Chapitre 5. Les stratégies foncières des familles
p. 223-289
Texte intégral
1L’existence de patrimoines urbains compacts, rassemblant l’immobilier locatif autour de la résidence familiale représente la forme la plus identifiable de stratégies d’implantation urbaine, c’est-à-dire d’acquisitions conduites en vue d’un objectif précis1. Mais elle ne caractérise qu’une petite partie des patrimoines patriciens. D’autres patrimoines répondent plutôt à des logiques économiques ou au hasard des héritages qui portent à une dispersion des biens. La construction ou l’agrandissement de palais a souvent été menée grâce à l’achat d’immeubles voisins qui sont ensuite intégrés à la demeure. La constitution de ces blocs immobiliers dans un lieu circonscrit de la ville porte donc à s’interroger sur les modalités de leur acquisition et sur la durée dans laquelle s’inscrivent ces stratégies. R. Maschio énumérait différents instruments de conquête immobilière : le pouvoir financier, les pressions d’amitiés influentes, le droit de préemption, le contrôle des ventes aux enchères2. À ces éléments structurels, il faut ajouter des éléments conjoncturels car certaines périodes, plus que d’autres, s’avèrent favorables à la constitution de grands patrimoines immobiliers. Ces phénomènes de conquête du territoire urbain par des familles aristocratiques sont à envisager à l’échelle de plusieurs générations. Toutefois, s’ils dépassent généralement le cycle de vie d’un individu3, il apparaît clairement que certaines personnes y ont souvent joué un rôle déterminant.
Les instruments au service de la conquête foncière
Le cadre du marché immobilier
2Le marché immobilier constitue un marché spécifique du fait même des caractéristiques de l’objet de la transaction et de l’encadrement particulier auquel il est soumis.
La maison ne possède pas le statut de marchandise ordinaire. Elle rend en effet aléatoire l’emploi de la notion de coût de production car le sol ne prend de valeur que par l’usage auquel il est destiné ; elle ne se déplace pas vers les consommateurs ; elle est offerte en nombre limité ; elle confère aux propriétaires un monopole de fait car chaque site possède une valeur singulière ; elle présente une large palette de prix suivant les caractéristiques architecturales et l’emplacement qui font de chaque immeuble un objet unique ; enfin, elle échappe à la concurrence parfaite (si tant est qu’il en existe une) car la relation personnelle entre les protagonistes d’une vente peut jouer un rôle dans l’établissement du prix4.
3Les historiens ont souligné le caractère contraignant de l’encadrement juridique des transactions immobilières dans l’Europe d’Ancien Régime. Outre l’existence de droits de préemption, il faut rappeler la longueur de la procédure de transfert de propriété, l’importance de la prise de possession pour affirmer le droit de propriété (conception aristotélicienne qui accorde la primauté aux situations de fait), l’existence de contraintes, en amont du marché, qui entravent la circulation des biens, tels les livelli ou les fidéicommis5.
4La publication des ventes immobilières aux Gride Provvisionali permet aux personnes qui revendiquent des droits sur l’immeuble de présenter leurs recours. Les ayants droit peuvent être des créditeurs du vendeur, la femme de ce dernier, le propriétaire éminent et enfin, si l’immeuble est soumis à un fidéicommis, les membres de la famille « appelés » par celui-ci. Ces personnes peuvent ainsi bloquer la transaction ou du moins la retarder fortement. Les créditeurs ou le propriétaire éminent bénéficient d’un droit de préemption tandis que les immeubles peuvent aussi faire partie de dots ou jouer une fonction de garantie en cas d’éventuelle restitution. Le cas de la vente de la casa da nobile de S. Protaso ad Monacos par Giovanni Battista Visconti à Giorgio Clerici illustre le processus6. Le 15 décembre 1653, l’accord ayant été conclu entre l’acheteur et le vendeur, Giorgio Clerici demande la publication de l’achat aux Gride provvisionali. Le premier obstacle est alors suscité par un recours de Francesca Visconti, née Cattaneo. L’épouse du vendeur s’oppose à la vente dans la mesure où la maison sert de garantie à sa dot. Son mari étant fortement endetté, elle prévoit qu’il ne pourra que difficilement effectuer une éventuelle restitution. Si elle accepte finalement, le 9 juin 1654, de renoncer à ses droits, la transaction demeure bloquée par les interventions de divers créditeurs de son mari qui présentent leurs recours durant les années 1655-1656. C’est seulement le 3 octobre 1656, après que l’acheteur s’est engagé à payer directement une partie du prix de la maison aux créditeurs, qu’a lieu la ratification finale de la vente. Celle-ci intervient donc près de trois ans plus tard. La nécessité de libérer les biens soumis à de multiples obligations (livelli, fidéicommis, messes quotidiennes) engendre aussi des délais de cession de la propriété plus ou moins longs. Lorsque la famille Andreani acquiert l’ex-palais Visconti auprès du comte Vitaliano Bigli, dix-huit mois séparent la vente de sa ratification, qui a lieu le 21 mai 1778 : le temps de substituer les deux livelli qui pesaient sur l’édifice et d’obtenir la dérogation au fidéicommis instauré par les Visconti7. Les deux livelli annuels, de 24 lires chacun, avaient été établis en 1450, à titre de bénéfice de messe à célébrer dans l’église de S. Giovanni in Conca. Le comte Bigli obtient de les remplacer par deux rentes de 30 lires chacune auprès du Banco de S. Ambrogio. Dans ce cas, les substitutions se font assez rapidement ; elles sont beaucoup plus longues lors de la vente réalisée par la comtesse Agnese Biumi Litta au comte Renato Borromeo8 : le 21 juillet 1751 est signée la promesse de vente d’une maison située dans S. Maria Pedone, qui stipule que le prix devra en partie servir à rembourser les dettes de la comtesse envers le Collège des Jésuites de Varese (42 600 lires doivent lui être versées directement sur les 75 000 lires du prix total). Cependant, comme le bien est soumis à un double bénéfice de messe, la procédure de vente s’éternise. Le Sénat, après avoir examiné la documentation, autorise la vente en 1756, mais la mort de la comtesse bloque la transaction. Ce n’est que le 15 mars 1761, que le Sénat approuve la transaction entre les héritiers de la comtesse Biumi et le responsable des legs pieux du diocèse de Milan, ce qui permet la vente effective de la maison le 9 avril 1761 (r° Carlo Bonanome). Le lendemain, le Collège des Jésuites reconnaît avoir reçu l’acompte de 4 834 lires sur les 54 834 qui lui sont dues (les 42 600 lires initiales sont augmentées des intérêts). Il faudra encore 25 ans pour qu’il obtienne la totalité du paiement car c’est seulement le 24 avril 1786 que les 50 000 lires restantes sont versées au Fondo di Religione qui est désormais chargé de la gestion des ex-biens jésuites. Il aura donc fallu d’abord 10 ans pour résoudre le problème de la charge de messe qui pesait sur le bien et ratifier la vente, puis ensuite 25 ans pour que la somme soit complètement réglée. L’intérêt des Borromeo à devenir propriétaires de cette maison, qui se trouve à proximité de leur palais, dans la paroisse de S. Maria Pedone, justifie sûrement la persévérance avec laquelle les obstacles sont affrontés. Certaines transactions peuvent toutefois s’effectuer très rapidement : dans le cas des livelli le passage de propriété peut avoir lieu à travers une simple reconnaissance de la part du propriétaire éminent. En ce qui concerne les fidéicommis, le Sénat semble accorder relativement facilement les dérogations permettant la vente de propriétés, surtout lorsqu’il y a substitution par d’autres biens9. La rigidité de l’instrument juridique sert surtout à protéger les palais patriciens en assurant leur maintien dans la famille, mais ne bloque pas véritablement les transactions concernant de simples maisons. Ces charges qui pèsent sur les biens immobiliers peuvent donc ralentir la procédure de transfert, mais elles ne semblent que rarement constituer de véritables obstacles à la vente.
5Le caractère public des transactions immobilières permet aussi aux patriciens de faire valoir un droit de préemption lors de la mise en vente d’une propriété voisine. Le comte Cavenago use de cette possibilité pour compléter son emprise immobilière autour de sa résidence dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. En février 1780, le Luogo Pio di Loreto annonce son intention de mettre en vente ou de donner en livello quatre immeubles, dont une casa da nobile située contrada dei Cavenaghi. Lors de la mise aux enchères des immeubles, le comte Cavenago ne se manifeste pas et la vente de la propriété utile (livello) est emportée par un certain Gira qui annonce, quelques mois plus tard, son intention de céder le contrat de livello à Giuseppe Zamperini. En effet, la maison ne lui convient finalement pas, ne permettant pas d’accueillir les nombreux carrosses nécessaires à son activité. C’est alors qu’intervient le comte Ambrogio Cavenago qui dépose un recours auprès de la congrégation de Loreto (le propriétaire éminent) en lui demandant d’utiliser son droit de préemption à l’occasion de la cession Gira-Zamperini. Il obtient ainsi le bien en livello perpetuo aux mêmes conditions que Gira et cette acquisition lui permet de compléter son patrimoine dans la paroisse de S. Tomaso. Si le droit de préemption entre voisins est assez courant, les patriciens milanais bénéficient aussi d’un formidable outil pour étendre leur emprise foncière, qui s’apparente à un droit d’expropriation.
Un droit d’expropriation pour favoriser les constructions de prestige
6L’article De Aedificiis privatis des Nouvelles Constitutions offre un outil juridique aux familles patriciennes pour s’approprier les propriétés voisines des leurs à condition d’y effectuer des travaux d’envergure et moyennant le versement d’un prix majoré de 25 % à titre de dédommagement pour la vente contrainte10. La mesure, telle qu’elle apparaît officiellement dans la constitution de 1541 a en réalité des origines plus anciennes et remonte au moins au XVe siècle, lorsque les ducs de Milan se préoccupèrent de l’urbanisme de la ville et édictèrent une législation visant à réglementer l’occupation de l’espace. Après avoir instauré des mesures dissuasives pour préserver les espaces publics, le pouvoir ducal cherche à encourager les initiatives privées contribuant à l’embellissement de la ville, au decoro urbano11. Un décret d’août 1493 imposa ainsi la vente de petits terrains constructibles ou d’immeubles, au prix du marché augmenté d’un quart, par ceux qui n’étaient pas en mesure de procéder à des constructions et en faveur de ceux qui voulaient agrandir leurs édifices. La possibilité de racheter l’immeuble ou le terrain voisin moyennant une augmentation du prix sanctionne ainsi l’existence d’un droit d’expropriation entre particuliers. Ce droit favorise bien sûr les personnes économiquement les plus puissantes : celles qui ont les moyens d’entreprendre des travaux d’envergure et de racheter les propriétés voisines à une somme supérieure à leur valeur estimée. Ce droit d’expropriation en faveur des particuliers désirant ériger un palais n’est pas spécifique à Milan : il existe aussi à Rome, à Naples et en Sicile12. C’est du reste quelques années avant leur instauration à Milan, que les papes, soucieux de l’urbanisme romain, avaient ordonné des mesures similaires, visant à favoriser la construction d’édifices contribuant au decoro et à l’ornato de la ville13. À Milan, de nombreuses familles patriciennes y ont recourt pour s’approprier les propriétés voisines à leur résidence dans la perspective d’agrandir celle-ci. Laura Giacomini a pu démontrer l’importance de cet instrument pour la réalisation des grandes demeures patriciennes au tournant des XVIe et XVIIe siècles14. Par la suite, de nombreuses familles, tels les Clerici et les Crivelli au XVIIe, les Serbelloni et les Belgioioso au XVIIIe siècle y ont encore recours. Cet instrument permet donc d’atténuer le principal obstacle auquel se heurtent les familles patriciennes au XVIIe-XVIIIe siècle : la faible disponibilité de biens sur le marché, en particulier pour l’immobilier de prestige. Si l’expropriation constitue le moyen le plus direct et le plus rapide pour s’approprier les immeubles voisins – étant toutefois conditionnée par la réalisation de travaux d’embellissement –, d’autres facteurs aident également les patriciens dans leurs stratégies de conquête urbaine, qui n’ont pas toujours la finalité d’édifier un palais. Lorsqu’il s’agit d’acquérir un parc immobilier locatif, le capital social et l’endettement des propriétaires urbains peuvent servir les stratégies patriciennes. Le processus s’échelonne alors sur des durées plus longues, mais se révèle financièrement plus avantageux.
Le rôle du capital social et institutionnel
7Le prestige social d’un individu et son implication dans les principales charges politiques s’avèrent des éléments déterminants pour la constitution de grands patrimoines. Ils garantissent d’abord un accès privilégié à l’information, notamment lors des ventes aux enchères organisées par les magistratures milanaises. Les Magistrati Ordinario et Straordinario contrôlent en effet directement les ventes qui relèvent du Regio demanio et en particulier les ventes aux enchères au bénéfice du fisc. Lorsqu’un de leur membre se porte candidat à l’achat, il s’avère souvent privilégié15. Les propriétés de Porta Vercellina ont ainsi été acquises, en grande partie, par le comte Bartolomeo Arese lorsqu’il siégeait au Magistrato Ordinario ; les principaux investissements de la famille Crivelli dans la paroisse de S. Simpliciano ont été conduits par le marquis Flaminio qui fut également questeur dans cette même institution. Matteo de Rosales est, quant à lui, questeur au Magistrato Straordinario lorsqu’il acquiert cinq propriétés en 1644 pour réaliser sa demeure milanaise puis les fiefs de Vailate et Castelleone en 1647. La présence dans l’un des Magistrati a ainsi favorisé la poursuite de stratégies d’investissement qui dépassent le cadre urbain et permettent également la constitution de grands patrimoines ruraux. Par ailleurs, l’implication dans les magistratures a aussi suscité la réalisation d’importants travaux dans les résidences milanaises, la demeure étant chargée d’exprimer la position institutionnelle de ses propriétaires.
8Les sociologues ont mis en évidence le rôle déterminant du poids social des contractants16. Il est certain que le fait d’occuper une position hiérarchique supérieure apparaît souvent décisif, tant pour conclure un contrat que pour le conclure dans les meilleures conditions possibles. La reconnaissance sociale dont bénéficie l’acquéreur potentiel exerce une forme de pression sur le vendeur, surtout lorsque ce dernier est d’un rang social inférieur, et contribue à lui faire obtenir des facilités de paiement. Les formules qui apparaissent dans certains actes de vente témoignent que le prestige social de l’acquéreur peut, à lui seul, constituer un élément déterminant pour céder un bien. Les frères Salvaterra se décident ainsi à vendre une de leurs maisons au prince Belgioioso, le 17 octobre 1776 « bien qu’ils n’aient pas l’intention de s’en priver. Toutefois, pour marquer leur grande estime envers un gentilhomme d’un tel mérite, ils se sont volontiers décidés à procéder à la vente »17. L’acheteur devient alors redevable au vendeur qui lui a fait une faveur en cédant son bien. Ce dernier peut espérer une compensation en retour qui peut aussi être de nature immatérielle, tels un appui ou une recommandation. La reconnaissance sociale consent également un traitement privilégié pour le recouvrement des crédits : elle facilite l’obtention de financements sur la longue durée puis l’allongement des délais de paiement par rapport au terme fixé. Renata Ago a montré l’importance de la valeur sociale du débiteur dans la mesure où celle-ci joue sur ses capacités à offrir l’accès à d’autres ressources18. Par ailleurs, il est aussi évident que le vendeur peut y trouver économiquement son compte grâce aux intérêts qui s’avèrent parfois importants. Le pouvoir social des grandes familles milanaises facilite ainsi l’échelonnement de leurs paiements sur de longues durées. Lorsque le comte Borromeo achète le palais du marquis Molinari qui donne sur la place de S. Maria Pedone, il obtient du vendeur, en 1781, un crédit de 18 ans avec un taux d’intérêt modeste (3,5 %)19. La durée accordée s’avère particulièrement longue par rapport aux usages habituels qui fixent celle-ci à trois, six voire neuf ans au maximum. Les Molinari ne sont pas des inconnus sur la scène milanaise, notamment depuis l’implication d’Antonio dans la politique réformatrice autrichienne20. Toutefois, ils ne bénéficient pas du prestige et de l’ancienneté dont jouissent les Borromeo. Malgré cette concession initiale, le rythme de remboursement n’est pas respecté. En effet, en 1821, la totalité de la somme n’est pas encore versée puisque Susana Roscio Chiesa, héritière des Molinari, accorde au comte une prolongation de six ans pour les 9 000 lires restant à payer. Le marquis Molinari, lorsqu’il avait lui-même acheté le palais au marquis Bartolomeo Carpani, avait également obtenu un délai de paiement relativement long car si la vente avait été signée en 1715, elle n’avait été ratifiée qu’en 1748 après le versement complet de la somme établie21. Même lorsque cette dilation des paiements finit par déboucher sur une action judiciaire, les patriciens apparaissent souvent comme bénéficiaires, ayant réussi à conserver leurs capitaux pendant plusieurs décennies. Le 4 juin 1586, Giovanni Battista et Alessandro Serbelloni avaient acheté à Giulio Dardanone plusieurs biens immobiliers dans les paroisses de S. Maria Passarella et S. Babila pour la somme alors importante de 26 500 lires22. Les délais de paiement s’étalent sur plusieurs décennies et finissent par donner lieu à un procès : en 1633, la somme due par les Serbelloni n’est toujours pas payée puisque le comte Giovanni Battista Serbelloni déclare devoir à Andrea Dardanone 28 000 lires pour le prix des maisons et boutiques et leurs intérêts. Les héritiers d’Andrea Dardanone engagent finalement une action en justice en 1646 qui n’est réglée que huit ans plus tard. Il ne s’agit là que de quelques exemples parmi bien d’autres. La puissance sociale des familles patriciennes leur procure donc des facilités de paiement et retarde bien souvent l’entreprise d’actions judiciaires contre les mauvais payeurs. Ces exemples démontrent aussi que les faibles disponibilités monétaires caractérisant l’économie d’Ancien Régime ne représentent pas un réel frein à la circulation des biens. Diverses opérations servent souvent de substitut à un versement comptant : le règlement des achats est effectué à travers des échanges de crédits, les délais de paiement sont allongés. De manière générale, il est rare que l’acheteur paye comptant surtout si le prix est élevé, sauf lorsque le vendeur a un besoin immédiat de liquidités.
9Un dernier élément avantage les patriciens dans leurs stratégies immobilières : il s’agit de leur présence à la tête des plus importantes institutions ecclésiastiques et caritatives de la ville qui sont aussi les principaux propriétaires urbains, tels l’Ospedale Maggiore ou la Fabrique du Duomo. Ces institutions s’avèrent souvent disposées à céder à un patricien un immeuble qu’il convoite particulièrement. C’est ainsi que les Serbelloni réussissent à acquérir, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, plusieurs parcelles dans la paroisse de S. Babila pour l’édification de leur nouveau palais : l’abbaye de S. Dionigi, propriétaire éminent de ces parcelles, était tenue en commende par le cardinal Serbelloni ce qui a pu indéniablement faciliter les transactions. De manière similaire, la famille Ottolini se crée un complexe dans la paroisse de S. Pietro in Caminadella en achetant plusieurs maisons qui appartenaient à l’Ospedale Maggiore23. L’éventuelle appartenance de l’acheteur au collège des députés de l’hôpital ne peut être vérifiée24, mais la position sociale de celui-ci apparaît à travers sa nomination comme questeur au Magistrato camerale en 1763 puis comme sénateur en 1771. Comme nous le verrons, le rôle de « réservoir de propriétés » tenu par l’Ospedale dei Vecchi pour la famille Arese puis Litta confirme ce phénomène déjà mis en évidence pour l’acquisition de biens ruraux au XVe et XVIe siècles25.
Le pouvoir financier
10L’endettement et le crédit jouent un rôle essentiel dans la circulation des biens immobiliers à l’époque pré-industrielle26. À Milan, entre le XVIe et le XVIIIe siècle, la place centrale du crédit et de l’endettement n’est pas moindre et bien souvent, ceux-ci ont joué un rôle déterminant dans la constitution des patrimoines patriciens. Surtout au XVIe et au XVIIe siècles, les familles patriciennes (ou qui intégreront le patriciat) apparaissent très impliquées dans le système du crédit privé et celui-ci leur a souvent permis de s’approprier des biens immobiliers. Plusieurs situations sont alors possibles. Dans un premier cas de figure, un propriétaire urbain a contracté un crédit auprès d’un patricien et ne peut le rembourser. Il lui cède alors un immeuble pour éteindre une partie ou la totalité de sa dette. Le patricien entre en possession du bien sans avoir à effectuer de versement ou celui-ci est très inférieur au prix de l’immeuble. Dans un second cas de figure, le patricien n’est pas le créditeur direct du propriétaire. Il se porte acquéreur du bien, qu’il obtient toujours à bon prix et verse directement les sommes dues au(x) créditeur(s) du vendeur. Dans le troisième cas de figure, le bien immobilier a une fonction de garantie du prêt à travers un contrat de livello ou une vente effectuée con patto di redimere. Il s’agit d’une vente fictive de la propriété éminente ou totale de l’immeuble qui établit dans le contrat une durée pendant laquelle le vendeur peut rentrer en possession de son bien s’il rembourse la somme versée. Ce dernier, après avoir vendu son immeuble en devient souvent le locataire et le versement des loyers représente alors les intérêts du prêt27. Si la somme n’a pas été restituée dans le délai prévu, l’acheteur conserve définitivement la propriété de l’immeuble. De telles pratiques sont fort courantes au XVIIe siècle : elles permettent aux patriciens d’entrer en possession de biens dispersés dans toute la ville, mais elles constituent aussi le moyen de s’approprier des immeubles proches de leur résidence car les liens de voisinages jouent un rôle important dans l’établissement des réseaux de crédit. Les études de cas conduites un peu plus loin révèlent le rôle déterminant de ces pratiques dans la constitution des grands patrimoines immobiliers. Au XVIIIe siècle, si l’endettement est toujours l’un des principaux motifs de vente, la pratique qui consistait à garantir le prêt sur un immeuble semble moins courante. Il est aussi possible que les patriciens aient massivement investi les capitaux dont ils disposaient dans la terre et se soient quelque peu désengagés des circuits du crédit urbain28. Par ailleurs, les familles patriciennes impliquées dans la finance au XVIIIe siècle (tels les Andreani) le sont à une échelle internationale qui dépasse les réseaux de voisinage.
Le rôle de la conjoncture
Les effets de la crise de 1630
11Certaines périodes, plus que d’autres, s’avèrent favorables à la constitution de grands blocs de propriété. Il s’agit, de manière générale, des moments où la disponibilité de biens sur le marché est plus importante et où les prix sont moins élevés. Les périodes de crise, qui favorisent l’endettement des propriétaires urbains et les obligent à se séparer de leurs biens, permettent ainsi à d’autres individus – et en particulier aux patriciens qui possèdent les moyens financiers et les relations nécessaires – d’entrer en possession de nombreux immeubles. La crise qui fait suite à l’épidémie de peste de 1630 constitue, à ce niveau, un moment paroxystique dont les effets furent particulièrement importants29. La population milanaise a diminué de moitié et la crise économique qui succède au désastre démographique est à l’origine d’une chute des prix de l’immobilier pour plusieurs décennies. Un rapport du Collège des ingénieurs daté de 1656 affirme que les prix sont inférieurs de 25 % en moyenne à ce qu’ils étaient avant 1630 et sûrement la baisse a-t-elle été plus forte encore dans les années 1630-164030. Un certain nombre de familles en situation d’ascension sociale profitent de cette conjoncture pour constituer des patrimoines importants qui constituent de véritables îlots urbains : outre le cas des Crivelli, des Arese et des Clerici, envisagé un peu plus loin et qui représentent les principaux exemples de patrimoines regroupés autour d’une résidence nobiliaire, les Durini et les Rosales entrent en possession, à cette même période, du noyau immobilier qui constituera leur casa da nobile. Comme les Clerici, les Durini représentent « le prototype de la nouvelle noblesse de provenance provinciale (région du lac de Côme) qui au cours du XVIIe et XVIIIe siècle, renouvelle les rangs du patriciat milanais grâce au pouvoir économique acquis par l’activité marchande et bancaire »31. L’installation de la famille dans la capitale s’effectue à la fin du XVIe siècle afin de gagner de nouvelles opportunités commerciales, mais aussi de satisfaire les ambitions d’ascension sociale offertes par la monarchie espagnole. Parallèlement à cette activité commerciale, les Durini mènent une activité financière consistant en prêts et adjudications qui leur permet d’agrandir leur patrimoine foncier avec des immeubles cédés par leurs débiteurs à Milan, mais aussi à Monza, Gênes ou Madrid. Gian Giacomo I (1573- 1639) entre par ce biais en possessions de deux maisons dans le quartier de Porta Romana et de Porta Orientale en 163232. En 1644 et 1645, son successeur, Gian Battista II (1612-1677), achète quatre maisons dans la paroisse de S. Stefano in Borgogna qui sont cette fois destinées à constituer le cœur du noyau patrimonial milanais. La première acquisition est une casa da nobile avec jardin qui est ensuite complétée par d’autres immeubles plus modestes33. En 1648, est inauguré un somptueux palais, réalisé par le grand architecte Francesco Maria Ricchini et appelé à devenir un modèle pour l’architecture privée milanaise34. La réalisation nécessite d’abattre les maisons préexistantes pour opérer une reconstruction totale, procédure relativement rare à Milan. L’alignement de la nouvelle façade requiert par ailleurs l’achat d’une portion importante de terrain public accordée par la ville en 1645 (126 quadrati pour 505 lires)35. La nouvelle demeure possède une chapelle privée où les Durini obtiennent le droit d’y faire dire la messe. Ce somptueux palais signe l’empreinte de la famille sur la ville puisque la contrada della Cantarana di Porta Tosa devient dès lors la contrada del Durino. La construction du palais est contemporaine de l’acquisition, en 1648, du comté de Monza, dont les feudataires Antonio et Gerolamo de Leyva faisaient partie des débiteurs des Durini. La famille est intégrée au patriciat en 1741 après avoir pu prouver un siècle de résidence à Milan. Matteo Ordogno de Rosales profite aussi de la conjoncture favorable qui suit la crise de 1630 pour réaliser les acquisitions qui lui permettront de construire le palais familial dans la paroisse de S. Stefano in Broglio (Porta Orientale). Entre 1644 et 1651, six acquisitions sont effectuées pour la somme totale de 65 800 lires (tab. 26)36.
Tab. 26 – Acquisitions des Rosales au milieu du XVIIe siècle.
Date | Bien | Vendeur | Prix (en lires) |
2 août 1644 | moitié d’une maison (S. Stefano in Broglio, PO) | Luogo pio della Pietà | 6 000 |
9 août 1644 | autre moitié de la dite maison | Gio Batta Sistini (?) | 6 600 |
5 octobre 1644 | casa da nobile (S. Stefano in Broglio, PO) | Giulio Porro | 21 000 |
5 octobre 1644 | l’Osteria della Cervia et maison voisine (S. Stefano in Borgogna, PO) | Giuseppe et Giovanni | 17 500 |
11 octobre 1644 | maison (S. Stefano in Broglio, PO) | Maurizio Alisinta (?) | 7 000 |
27 juin 1651 | maison avec boutique (S. Stefano in Broglio, PO) | Antonio Milano | 7 700 |
12À l’exception de l’Osteria della Cervia, tous les immeubles sont destinés à la réalisation du palais Rosales. À partir d’un noyau d’origine, qui est souvent une casa da nobile, ces familles achètent les propriétés mitoyennes qui sont en partie destinées à l’agrandissement de la demeure familiale, mais qui servent aussi souvent à un usage locatif. Par ces opérations, elles contribuent donc à un véritable remodelage du parcellaire existant : les grandes parcelles qui accueillent en 1750 les résidences patriciennes sont, pour beaucoup, le résultat d’une agglomération de biens immobiliers acquis, puis intégrés les uns aux autres par diverses interventions architecturales au cours des siècles précédents. L’étude des actes de vente montre qu’à partir des années 1570-80 et jusqu’au début du XVIIIe siècle, le marché immobilier milanais semble reposer en grande partie sur l’endettement de propriétaires, contraints à vendre leurs biens. Ce constat s’accompagne d’un mouvement de concentration de la propriété urbaine et de restriction du nombre de propriétaires, propre à de nombreuses villes européennes. Sans doute la crise de 1630 ne fait-elle donc qu’amplifier un phénomène déjà existant. La période de récession qui caractérise les années 1730-40 semble être à nouveau favorable à ces stratégies de conquête foncière. C’est à ce moment que Carlo Pertusati achète plusieurs maisons sur le corso de Porta Romana avec l’intention explicite de les « unir » à sa résidence comme le mentionnent les actes notariés. Entre 1733 et 1746 au moins huit immeubles sont achetés37.
Les suppressions ecclésiastiques (1769-1802)
13La seconde moitié du XVIIIe siècle voit la remise en jeu d’une grande partie de la propriété ecclésiastique et caritative milanaise. Etant donnée l’importance de celle-ci à l’intérieur de la capitale (plus de 37 % de la superficie foncière est entre les mains de l’Église au milieu du XVIIIe siècle et plus de 6 % entre celles des institutions caritatives), il est certain que le phénomène influe sur la structure de la propriété. Il ne s’agit pas, ici, d’envisager les conséquences générales de l’événement, mais de voir comment le patriciat a pu profiter de cette opportunité pour augmenter son emprise foncière dans la ville.
14Sous le règne de Marie-Thérèse, les réformes visant à limiter le poids économique de l’Église s’accompagnent des premières suppressions d’ordres religieux38. Firmian et Kaunitz, qui considèrent que les compétences de l’Église doivent être limitées aux seules responsabilités spirituelles (prédication du culte, administration des sacrements) et à sa discipline interne, contribuent largement à la mise en œuvre de cette politique. À la fin de l’année 1765, la formation de la Giunta economale, dirigée par Michele Daverio, constitue le point de départ des réformes dans ce domaine. La première mesure importante, en 1767, interdit les nouvelles acquisitions sous le régime de la main morte et limite fortement les possibilités d’extension foncière de l’Église39. C’est dans ce contexte qu’est créé, en 1768, le Fondo di Religione qui a en charge la gestion des biens ecclésiastiques passés dans le domaine public. Avec l’édit du 27 avril 1769, plusieurs communautés bénédictines sont en effet fermées40 et, en juillet 1773, les riches jésuites subissent le même sort suite à leur dissolution sur ordre du pape41. Ces différentes mesures expliquent donc la part croissante des propriétés ecclésiastiques mises sur le marché à partir des années 1770. Les revenus de la vente (ou de la location) des immeubles des anciens couvents doivent être affectés à la création de nouvelles institutions d’assistance, à l’entretien des paroisses défavorisées, des hôpitaux et des couvents. Si certains édifices, destinés à des usages administratifs, sociaux ou culturels, demeurent propriété de l’État, le Fondo di Religione a pour fonction de céder les patrimoines immobiliers restants qui sont alors mis en vente ou donnés en livello, à travers l’organisation d’enchères. Avec l’arrivée sur le trône de Joseph II, en 1780, l’offensive contre le clergé devient plus radicale42. L’une des premières mesures entreprises est la réforme du clergé régulier afin d’en supprimer les parties parasites et superflues, c’est-à-dire les ordres contemplatifs. Le billet souverain du 6 décembre 1781 exprime clairement cette volonté :
La considération que les ordres religieux de l’un et l’autre sexe, dédiés uniquement à la vie contemplative, ne contribuaient visiblement en rien par effet de cela au bien du prochain et de la société civile m’a déterminé à ordonner dans tous mes états la suppression de tous les religieux de ce type, qui ne font pas l’école, n’assistent pas les malades ou les moribonds, ne prêchent ni n’écoutent les confessions et ne se distinguent pas par leurs études43.
15En conséquence, une autre série de couvents milanais est supprimée en mars 1782 (six couvents de réguliers et vingt de religieuses). La réorganisation paroissiale, au cours des années 1780, entraîne aussi la désacralisation de nombreux édifices tandis que l’année 1787 voit la suppression des confréries. Les attaques à la propriété ecclésiastique marquent une pause à la mort de Joseph II en 1790 mais, à partir de 1796, l’arrivée des armées françaises et l’instauration de la République engendrent de nouvelles suppressions. La cession des propriétés se fait alors dans le cadre de la vente des biens nationaux44. Si les réutilisations des édifices ecclésiastiques à des fins publiques ont suscité l’intérêt des historiens45, les réutilisations privées restent encore à étudier ainsi que l’ampleur des transferts fonciers. Entre 1769 et 1796, au moins seize monastères masculins et 24 monastères féminins ont été expropriés dans la ville de Milan. Si l’on tient compte de la période napoléonienne durant laquelle les suppressions se poursuivent, ce sont au moins 73 édifices qui changent de fonction46. Aux réaffectations des édifices occupés par les églises et monastères, il faut ajouter la redistribution de leurs propriétés immobilières à destination locative. En 1789, c’est plus d’une centaine de parcelles que le Fondo di Religione doit mettre en vente47. Au total, à l’intérieur de la ville, l’étendue des propriétés concernées par les suppressions entre 1767 et 1788 est de 57,5 ha soit plus de 20 % de la superficie de la propriété ecclésiastique en 1758. Un peu plus des deux tiers de la superficie concernée par les suppressions sont occupées par des monastères ou églises (38,6 ha) tandis que le tiers restant accueille des immeubles locatifs.
16Les registri di trasporti du cadastre thérésien, dépouillés sur la base des seules propriétés patriciennes, permettent d’appréhender la part de la propriété ecclésiastique récupérée par l’élite milanaise dans le contexte des suppressions. Certains mouvements peuvent toutefois ne pas avoir été enregistrés par le cadastre lorsque l’achat a été suivi d’une revente rapide. Par ailleurs, dans la mesure où la série des registri dei trasporti consultée s’arrête en 1802, les ventes réalisées après cette date n’ont pas été prises en compte. Durant la période envisagée (1769- 1802), au moins 64 patriciens acquièrent ou prennent en livello des biens provenant d’ex-institutions ecclésiastiques et caritatives et 100 parcelles sont concernées (tableau 27 et pl. XXIV)48.
Tab. 27 – Acquisitions par des patriciens d’ex-biens ecclésiastiques (1769-1802).
Nombre de biens acquis | Nombre d’acquéreurs | Valeur totale (estimation cadastrale des biens en scudi) | Valeur moyenne par acquéreur (estimation cadastrale des biens en scudi) |
1 | 47 | 35 937 | 764 |
2 | 8 | 11 065 | 1 383 |
3 | 3 | 7 325 | 2 442 |
4 | 2 | 8 181 | 4 091 |
5 | 3 | 6 873 | 2 291 |
6 | 1 | 2 381 | 2 381 |
Total | 64 | 71 762 | 1121 |
Tab. 28 – Les patriciens acquéreurs d’ex-biens ecclésiastiques (d’après les registri di trasporti ; en caractères gras sont mis en évidence les principaux acquéreurs, pour une valeur supérieure à 2 000 scudi).
Acquéreur | Nb de biens | Estimation cadastrale (en scudi) |
1 D’Adda Febo marquis de Pandino | 1 | 619 |
2 D’Adda marquis Girolamo | 1 | 1798 |
3 D’Adda marquis Gio Batta | 1 | 80 |
4 Andreani comte Gio Maria | 5 | 1700 |
5 Anguissola Secco Comneno comte Antonio Carlo | 2 | 600 |
6 Araciel Ruitz marquis Diego | 1 | 555 |
7 Archinto comte Carlo | 1 | 777 |
8 Arese Lucini Don Benedetto | 1 | 616 |
9 Belgioioso comte Antonio | 3 | 1163 |
10 Belgioioso (II) comte Francesco | 1 | 562 |
11 Barbo comte Barnaba | 1 | 513 |
12 Besozzi Carlo | 2 | 1201 |
13 Biglia comte Vitaliano | 2 | 856 |
14 Borri comte Carlo | 1 | 416 |
15 Borromeo comte Renato | 1 | 166 |
16 Bossi Francesco | 2 | 4248 |
17 Brasca Visconti Daverio Don Alessandro | 1 | 1150 |
18 Brebbia comte Francesco Antonio | 1 | 605 |
19 Brivio marquis Sforza | 1 | 20 |
20 Calderara marquis Bartolomeo | 1 | 166 |
21 Cambiaghi Visconti comte Luigi | 1 | 638 |
22 Candiani comte Francesco | 1 | 48 |
23 Castiglione marquis Guido | 1 | 1944 |
24 Castiglione Don Alfonso | 3 | 3802 |
25 Cicogna Clerici canonico Gio Pietro | 1 | 650 |
Acquéreur | Nb de biens | Estimation cadastrale (en scudi) |
26 Confalonieri comte Carlo et frères | 1 | 390 |
27 Crivelli marquis Tiberio | 1 | 5541 |
28 Croce Don Giuseppe | 1 | 166 |
29 Cusani marquis Ferdinando | 4 | 6516 |
30 Cavazzi della Somaglia comte Annibale | 5 | 1574 |
31 Cavazzi della Somaglia baron Ercole | 2 | 1520 |
32 Dugnani Don Giulio | 1 | 531 |
33 Frisiani Don Giovanni | 1 | 416 |
34 Frisiani Don Carlo | 1 | 458 |
35 Galaratti Scotti Francesco | 1 | 1558 |
36 Gemelli Francesco | 1 | 263 |
37 Isimbaldi marquis Pietro | 6 | 2381 |
38 Litta Visconti Arese marquis Pompeo | 2 | 1309 |
39 Litta Modignani marquis Eugenio | 1 | 638 |
40 Lurani Cernuschio comte Francesco | 1 | 520 |
41 Lonati Don Giulio | 2 | 1027 |
42 Melzi cav. Giacomo | 1 | 166 |
43 Menclozzi Teodoro | 1 | 402 |
44 Olivazzi Paolo Emilio | 5 | 3599 |
45 Orombelli Don Marco Giuseppe | 1 | 555 |
46 Padulli Don Giuseppe | 1 | 375 |
47 Pallavicini marquis Giorgio Pio | 1 | 1944 |
48 Pecchio Don Antonio | 3 | 2360 |
49 Rasini prince Fermino et comte Rodolfo | 1 | 490 |
50 Resta comte Giuseppe | 1 | 416 |
51 Orsini di Roma marquis Egidio Gregorio | 1 | 1074 |
52 Rovida marquis Antonio | 1 | 735 |
53 Settala Don Carlo | 1 | 395 |
54 Sormani comte Alessandro | 1 | 547 |
55 Talenti da Fiorenza marquis Girolamo | 1 | 2361 |
56 Tosi Don Francesco | 1 | 580 |
57 Vezzoli comte Girolamo | 1 | 812 |
58 Visconti di Brignano marquis Antonio | 2 | 304 |
59 (VMisocodrnotinDe) i Somma marquis Alessandro | 4 | 1665 |
60 Visconti Modrone comte Francesco | 1 | 652 |
61 Visconti d’Aragona marquis Alberto | 1 | 964 |
62 Visconti di Fontaneto comte Gaetano Prospero | 1 | 416 |
63 Viani marquis Giuseppe | 1 | 694 |
Total | 100 | 71 171 |
17C’est donc plus d’un tiers des propriétaires patriciens qui profitent de l’opportunité. Si le nombre de patriciens qui participent à l’opération est donc important, les acquisitions n’ont toutefois pas renforcé de manière très significative la richesse foncière de l’ensemble du groupe : les ex-biens ecclésiastiques ne représentent qu’environ 8 % de la valeur de la propriété patricienne en 1802. Ce constat est lié au fait que la majorité des achats a porté sur des biens de faible valeur et que les acquisitions comportant plusieurs propriétés sont peu nombreuses : 73 % des acquéreurs patriciens (47 personnes) n’ont acheté qu’un seul bien dont la valeur moyenne est de 764 scudi et, au-delà de deux biens, le nombre d’acquéreurs devient très limité. Les cas de monastères rachetés par des patriciens sont rares et, bien souvent, la propriété est alors divisée entre plusieurs familles.
18La valeur moyenne élevée dans la catégorie « 4 biens acquis » (4 091 scudi) est liée au fait que l’un des deux acquéreurs, le marquis Ferdinando Cusani, s’est porté acquéreur du monastère de S. Radegonda situé en plein cœur de la ville (6 516 scudi). Il s’avère difficile d’envisager la chronologie des achats dans la mesure où la date du contrat n’est que rarement mentionnée dans les registres et celle de l’enregistrement par le cadastre est souvent postérieure de plusieurs années à celui-ci. En se basant sur cette dernière, il semble tout de même que la majeure partie des acquisitions s’effectue tardivement, essentiellement dans les années 1790-180049. Sans doute, l’arrivée des Français et l’instauration de la république ont alors joué un rôle déterminant : la vente des ex-propriétés ecclésiastiques – désormais devenues des biens nationaux – constitue un moyen de renflouer les finances de l’État et une forme de compensation aux prêts forcés auxquels sont soumis les patriciens durant cette période. L’exemple des Crivelli peut en témoigner. En 1798, le marquis Crivelli se porte acquéreur de deux actions de 17 000 lires chacune, selon la loi du 17 prairial an VI, à la condition qu’elles correspondent à des parts de l’ortaglia du monastère de S. Simpliciano qui se trouve juste derrière sa résidence. La vente est conclue le 18 août 1798 alors que l’estimation du bien n’est pas encore établie. Le 19 mars 1799, elle est ratifiée pour une portion d’ortaglia correspondant à 34 404 lires, soit un peu plus de 115 perches sur les 148 que comptait le terrain50. Les Crivelli acquièrent également une petite maison ayant appartenu au monastère, mais qui sera revendue rapidement. En termes de valeur, l’acquisition de l’ortaglia augmente de plus de 40 % le patrimoine urbain des Crivelli ; en termes de superficie, elle le fait presque quadrupler. L’emprise de la famille sur le sol urbain est donc passée de deux hectares à 9,5 hectares ce qui représente, 1,3 % de l’espace urbain milanais (pl. XXVa). Cet accroissement du patrimoine urbain s’est également réalisé à un prix intéressant si l’on considère que le marquis Crivelli a déboursé 34 000 lires pour obtenir un bien estimé 4 305 scudi, quand ses ancêtres avaient dépensé 228 000 lires (sans compter les améliorations réalisées) pour obtenir un patrimoine de 10 508 scudi. Sans doute le contexte particulier dans lequel s’est effectué la vente, celui d’un impérieux besoin d’argent de la part de la République Cisalpine, a-t-il garanti aux Crivelli la réalisation d’une bonne affaire.
19Durant la période des premières suppressions (années 1770), les biens ecclésiastiques semblaient moins attractifs pour les patriciens. En tout cas, les autorités publiques se refusaient à les voir « bradés » sur le marché. En effet, lorsque les propriétés du monastère de S. Cattarina alla Ruota sont mises aux enchères le 15 avril 1777, certains biens – et notamment une casa da nobile située contrada di Pantano – n’ont pas été vendus faute d’une offre jugée suffisamment appropriée51. Une semaine plus tard, les enchères sont renouvelées et la proposition de Faustino Pennati pour 2 310 zecchini gigliati est finalement acceptée, soit une somme supérieure de seulement 30 zecchini à celle qui avait été refusée auparavant. De même, les demandes des patriciens pour acquérir des biens hors des enchères – et bénéficier ainsi d’un prix plus intéressant – semblent difficilement acceptées. Les requêtes de ce type concernent du reste plutôt des propriétés situées hors de Milan, ce qui soulignerait l’intérêt majeur pour l’acquisition de biens ruraux. Elles sont généralement déposées par des familles qui souhaitent compléter leur emprise foncière dans des territoires précis52. En juin 1786, les demandes d’exemption d’enchères sont encore acceptées dans certains cas, à condition que le prix offert soit approprié53. En revanche, à partir d’octobre 1786, la position du gouvernement se fait plus rigide et toutes les transactions doivent désormais passer par des enchères, unique moyen de garantir le meilleur prix possible pour le Fondo di Religione54. Le comte Arrivabene (un noble de Mantoue) se voit ainsi clairement refusé, la possibilité d’une vente directe sans enchères55. L’exemption des enchères, cette faveur désormais refusée à la noblesse lombarde, est en revanche accordée à ceux qui contribuent au développement économique du pays en y installant des manufactures56.
Les usages des ex-biens ecclésiastiques
20La majeure partie des acquisitions d’ex-propriétés ecclésiastiques est destinée à renforcer l’ancrage des familles patriciennes autour de leur palais (pl. XXIV). Le cas des Crivelli en témoigne, mais l’on pourrait encore citer l’exemple des Litta qui acquièrent les propriétés de l’Ospedale dei Vecchi à proximité de leur palais de Porta Vercellina (pl. XXVb), celui des Brivio dans S. Fermo (pl. XXVI), des Biglia dans S. Bartolomeo (pl. XXVII), des Belgioioso dans S. Stefano et S. Martino in Nosiggia (pl. XXVIII). Dans le cas des Belgioioso, la famille a profité de la suppression de ces deux paroisses pour récupérer les parcelles correspondant aux deux églises et aux propriétés paroissiales adjacentes. Ces acquisitions ont notamment permis la réalisation de la place devant leur nouveau palais (voir chap. 8). Le marquis Pietro Isimbardi est le patricien qui a acheté le plus de biens (six parcelles), mais la valeur totale reste relativement modeste car il s’agit de simples maisons de location. Ces acquisitions ont servi à renforcer les différents noyaux patrimoniaux de la famille dans les paroisses de S. Bartolomeo, S. Marcellino et S. Babila (pl. XXIX) et proviennent de diverses institutions : les deux parcelles de S. Babila appartenaient aux Pères Fatebenefratelli, les autres à la Scuola de S. Bartolomeo, à celle de S. Pietro in Castello, au Luogo Pio della Divinità et aux Ursulines de Monza. Menées selon des critères géographiques précis, les acquisitions ont contribué à renforcer le nouvel ancrage résidentiel (dans S. Babila) et à valoriser les propriétés des autres paroisses qui seront ensuite vendues. La situation du marquis Olivazzi, l’un des principaux acquéreurs de biens ecclésiastiques, est différente : Giorgio Antonio Olivazzi avait cédé, en 1767, toutes ses propriétés à Don Francesco Tanzi, trésorier royal57. La famille reste alors dépourvue d’immeubles dans la capitale pendant plusieurs années. En 1789, le marquis Paolo Emilio obtient, à travers un contrat de livello établi par l’Asse gesuitico vacante, la plupart des anciennes propriétés du Collège des Patellani, situées dans S. Bartolomeo et S. Eusebio (PN)58. On ne connaît pas leur destination, mais il est fort possible qu’elles servent à réaliser une nouvelle résidence pour la famille59. Si le comte Giovanni Mario Andreani a acheté cinq parcelles provenant du monastère de S. Giovanni in Conca et les a revendu très rapidement, c’est parce qu’il pensait les utiliser pour agrandir la Casa dei Cani, qu’il avait acquise dans la même paroisse. À partir du moment où la famille s’installe dans le palais Monti et revend la Casa dei Cani, elle n’a plus de raison de conserver ces immeubles locatifs. Finalement, peu d’acquisitions se font dans une perspective de spéculation foncière et la majorité d’entre elles vise d’abord à renforcer l’ancrage d’une famille dans un quartier.
21Toutefois, quelques rares acquisitions patriciennes ne s’inscrivent pas dans le schéma d’un renforcement de l’emprise immobilière aux alentours de la résidence. La première d’entre elles est la seule opération d’envergure directement reliée à une perspective de rentabilité financière. Il s’agit du rachat du monastère de S. Valeria par le comte Alfonso Castiglione en 1785. L’année suivante, celui-ci dépose une demande de travaux pour transformer l’édifice en immeuble de rapport doté d’habitations et de boutiques60. La documentation concernant le devenir de ce projet n’a malheureusement pas été retrouvée. Le second cas particulier est celui du marquis Ferdinando Cusani (1737-1815) qui figure en première position pour la valeur des biens ecclésiastiques achetés (6 516 scudi). Sur les quatre achats qu’il réalise, un seul est destiné à conforter son ancrage résidentiel et il demeure extrêmement modeste61. La motivation qui justifie les autres acquisitions est exceptionnelle car il s’agit de réaliser une opération urbanistique d’intérêt public. Le marquis Cusani profite de la mise en vente, par le Fondo di Religione, du monastère de S. Radegonda pour ouvrir la contrada du même nom, en 1784, à ses frais. L’objectif est de raccourcir le trajet entre le Palazzo Ducale et le nouveau Teatro alla Scala. Il s’agit donc là d’une opération de prestige visant à obtenir la faveur de l’archiduc et qui représente un investissement important : l’ex-monastère est estimé 4 250 scudi, les deux maisons de location voisines 1 090 et 1 048 scudi. En plus de ces ex-propriétés ecclésiastiques, Ferdinando Cusani doit aussi acquérir la parcelle n° 42 de S. Raffaele qui appartenait à Giovanni Battista De Magistris (590 scudi). L’importante valeur des biens est liée à leur emplacement : le monastère se trouvait juste derrière le Duomo au cœur du centre commercial de Milan, là où les valeurs foncières sont les plus élevées. À côté du prestige qui découle de cette entreprise, il n’est pas impossible que le marquis Cusani ait pu rentrer en partie dans ses frais. Il revend en effet les portions du monastère qui ne servent pas à l’ouverture de la rue et n’en conserve, au final qu’une toute petite partie62. La revente rapide de ces biens témoigne du fait que le marquis Cusani ne s’engage pas lui-même dans la transformation lucrative de ces espaces qui pourraient être destinés à la création de nouveaux logements et commerces à la rentabilité exceptionnelle étant donné la position centrale. Une partie du site de l’ex-monastère accueillera finalement le théâtre de S. Radegonda en 1803. Lorsque Ferdinando Cusani se lance dans cette opération, il occupe déjà une position de choix dans la société milanaise : appartenant à une vieille famille de la noblesse féodale, il est membre du Consiglio Generale et fut Giudice delle strade. Il apparaît aussi bien intégré dans le réseau impérial puisqu’il est chambellan de l’Empereur. Ses liens avec l’archiduc Ferdinand se renforcent durant les dernières décennies du XVIIIe siècle : le couple fréquente régulièrement la Villa Reale de Monza tandis que l’épouse de Ferdinando, Claudia Cusani Litta, est dame d’honneur de l’archiduchesse Béatrice et la suivra à Vienne en 1796. Peut-être l’opération urbanistique a-t-elle contribué à cette proximité, mais il est aussi fort possible qu’elle ait lourdement pesé sur les finances familiales. Dans les années 1790, Ferdinando Cusani se voit en effet contraint de vendre certaines propriétés rurales pour rembourser des dettes63.
Les Crivelli, Arese, Clerici et Serbelloni : quatre exemples de stratégies d’implantation urbaine
22Ces familles disposent toutes d’importants patrimoines urbains au milieu du XVIIIe siècle, estimés plus de 10 000 scudi dans le cadastre64. Ces patrimoines se caractérisent par leur forme compacte ou du moins par l’existence d’un important noyau de propriétés locatives autour du palais, situation relativement rare. Les trois premiers patrimoines ont été formés à partir des années 1630 et mettent en évidence le contexte particulièrement favorable pour l’implantation urbaine de familles en pleine ascension sociale. Tous illustrent le rôle du capital social des acquéreurs et le recours au droit d’expropriation.
Les Crivelli : le recentrage patrimonial dans S. Simpliciano (XVIIe siècle)
23À partir de 1633, la famille Crivelli s’installe dans la paroisse de S. Simpliciano et entreprend, autour de sa nouvelle résidence, la formation d’un complexe patrimonial65. À cette époque, les Crivelli connaissent un renouveau et une ascension qui les placent au premier rang des familles patriciennes milanaises66. La situation économique de la famille vient en effet de connaître une nette amélioration grâce à des héritages conséquents67 et aux investissements judicieux de Flaminio I. Ces disponibilités financières constituent le moyen et la raison des investissements à Milan qui visent d’abord à procurer à la famille une résidence correspondant à son nouveau statut social. En effet, les Crivelli habitaient jusqu’alors une casa da nobile située dans la paroisse de S. Andrea (Porta Nuova), qui avait été achetée par Giovanni Battista le 12 novembre 1596. Cette paroisse accueillait d’assez nombreuses résidences aristocratiques et constituait donc un emplacement a priori prestigieux. Mais sûrement la demeure s’avérait-elle trop petite et sans grande possibilité d’extension ce qui explique la décision des Crivelli de se transférer dans la paroisse de S. Simpliciano. Ce choix apparaît à première vue un peu paradoxal : S. Simpliciano n’est pas une paroisse aristocratique où s’installent volontiers les familles patriciennes. Sa situation excentrée, le voisinage du Castello avec ses servitudes militaires, la présence du naviglio de la Martesana et de ses activités industrielles, le caractère commerçant du corso di Porta Comasina ne constituent pas des éléments engageants pour l’aristocratie. Pourtant, s’implanter au-delà du cercle médiéval des canaux offre aussi la possibilité de disposer de plus grands espaces et d’un jardin, ce que ne permettait pas la résidence de S. Andrea. Enfin, il est fort possible que l’opportunité représentée par la vente aux enchères d’une casa da nobile et de trois maisons voisines, en 1633, ait constitué une occasion à saisir. Ces biens constituent en effet un noyau patrimonial qui sera complété par les générations à venir.
Acquisitions dans S. Simpliciano et cession des propriétés périphériques
24Durant près d’un siècle, de nombreuses acquisitions sont ainsi effectuées dans la paroisse de S. Simpliciano par différents membres de la famille, tant par les chefs de famille que par leurs frères et leurs épouses. Le premier achat dans la paroisse de S. Simpliciano a lieu en 1633. Il s’agit d’une casa da nobile destinée à la résidence de la famille et de trois maisons de location, qui sont mises en vente par le Magistrato Straordinario dans le cadre d’une vente aux enchères au bénéfice du fisc. À partir de cette date, se succèdent de nouvelles acquisitions, plus ou moins importantes, mais selon un rythme assez régulier. Au total, entre 1633 et 1726, ce sont deux case da nobile et 16 autres maisons qui sont achetées, à travers dix actes notariés, pour la somme totale de 228 140 lires68. En plus de ces immeubles, a également été acquis, en 1674, en partage avec les Clerici, la propriété utile d’un petit canal situé derrière le palais, qui constitue une source d’eau et aussi un lieu d’arrivée pour les matériaux et denrées à usage de la famille.
25Les acquisitions s’échelonnent essentiellement entre les années 1633 et 1692. Un autre achat important aura lieu en 1726, mais après cette date et jusqu’en 1798, la famille ne réalise plus aucun investissement à Milan ni, semble-t-il, ailleurs. En 1798, elle profite de la vente des biens nationaux pour acquérir le grand jardin maraîcher du monastère de S. Simpliciano qui se trouve juste derrière sa résidence. Ces phases d’investissements sont étroitement liées à la conjoncture économique générale (crise de 1630 pour la première phase puis vente de biens ecclésiastiques pour la seconde), mais elles doivent aussi être reliées à la conjoncture familiale. L’ascension sociale des Crivelli, commencée grâce aux héritages Giussani et Gallina à la fin du XVIe siècle, se poursuit. Une étape importante est constituée par l’acquisition de plusieurs fiefs et du titre de marquis d’Agliate en 1654. Ensuite, en 1674, le mariage d’Enea avec Gabriella Trivulzio intègre la famille dans un réseau impérial. C’est aussi cette alliance qui permet à Flaminio, le frère d’Enea, d’entrer au Magistrato Ordinario. Les années d’acquisitions massives dans la paroisse de S. Simpliciano, entre 1633 et 1692, correspondent donc à cette période d’ascension et les Crivelli se trouvent dans la situation classique des familles cherchant à exprimer leur progression sociale sur la scène urbaine à travers leur résidence. La phase d’arrêt des investissements, à partir de 1726, s’explique par conflit qui déchire les héritiers de Tiberio II. Celui-ci se prolonge jusqu’en 1743 et épuise les finances familiales.
26Ces acquisitions dans la paroisse de S. Simpliciano se sont accompagnées de la liquidation des biens situés dans d’autres parties de la ville. C’est essentiellement durant la première moitié du XVIIIe siècle, une fois que le nouveau noyau patrimonial est constitué, que les Crivelli se débarrassent des propriétés situées hors du quartier de Porta Comasina. À la phase d’acquisition dans S. Simpliciano (essentiellement entre 1633 et 1692) succède donc la vente des autres biens devenus périphériques par rapport au nouveau noyau immobilier69. L’inventaire de 1656, réalisé à l’occasion de la succession de Flaminio Crivelli, montre en effet que la famille possédait alors des biens dans plusieurs autres paroisses de la ville. Ces propriétés provenaient surtout de l’activité usuraire des Crivelli. Il s’agissait donc de propriétés qui n’étaient pas le fruit de stratégies d’implantation territoriale, mais qui étaient parvenues à la famille selon le hasard des possessions de leurs débiteurs. Les alliances matrimoniales furent aussi l’occasion pour la famille d’entrer en possession de nouvelles propriétés. Toutes ces propriétés, éloignées du complexe de S. Simpliciano ne sont pas conservées. Trois ventes particulièrement importantes ont lieu en 1739 : la maison de S. Vincenzo, celle de S. Pietro in Campo Lodigiano et l’ancienne résidence familiale de S. Andrea. Pourtant, la conjoncture du marché immobilier est loin d’être des plus favorables à ce moment : les prix et les loyers s’avèrent particulièrement bas. Ces ventes s’avèrent toutefois nécessaires étant donné la grave crise successorale qui déchire les héritiers de Tiberio II et qui nécessite des liquidités. Enea demande alors plusieurs dérogations au fidéicommis pour pouvoir vendre des biens. Les travaux de réfection du palais milanais et des villas, entrepris durant cette même période, mobilisent aussi de nombreux capitaux. Il existe donc clairement une stratégie visant à regrouper les propriétés dans une seule paroisse pour obtenir un bloc cohérent du point de vue géographique et, en cas de difficultés, les biens périphériques sont cédés en premier.
27La carte du patrimoine Crivelli au milieu du XVIIIe siècle montre le résultat de cette politique d’acquisitions menée depuis un peu plus d’un siècle (pl. XXVa). À cette époque, le marquis Enea Crivelli apparaît ainsi propriétaire de neuf biens estimés pour un total de 10 508 scudi d’estimo, ce qui le place parmi les principaux propriétaires urbains particuliers. Sur les neuf biens, huit se situent dans la paroisse de S. Simpliciano tandis que la neuvième parcelle n’est, elle-même, pas très éloignée se trouvant dans la paroisse mitoyenne de S. Carpoforo et située juste en face du bloc des propriétés familiales. Dans cet ensemble continu, une seule lacune : la parcelle n° 73, qui est en fait partagée entre quatre propriétaires différents. Sans doute ce morcellement de la propriété a-t-il constitué un obstacle pour l’acquisition. Cette configuration, qui rassemble les biens locatifs autour du palais, assure donc aux Crivelli un contrôle de l’espace sur un territoire précis et leur donne une visibilité majeure dans la ville. Elle implique aussi des rapports plus étroits avec les locataires, par la proximité géographique existante.
28Une partie des achats réalisés entre 1633 et 1726 a été destinée à l’agrandissement de la résidence familiale. Le cadastre ne fait du reste état que de neuf parcelles en 1750 alors que 18 maisons ont été acquises. En 1633, la casa da nobile achetée par la famille s’avérait relativement modeste : elle était composée de 13 pièces au rez-de-chaussée, de 15 pièces à l’étage, de petites chambres, d’un grenier sous les toits, d’une cour avec deux portiques et d’un jardin70. Les trois autres maisons acquises en même temps y ont tout de suite été agglomérées. Si des aménagements ont été réalisés lors de l’installation de la famille, la résidence reste constituée, en 1656, de plusieurs édifices distincts qui gardent les traces des différents immeubles d’origine. À cette date, la casa da nobile comprend l’essentiel des pièces résidentielles et représentatives ; les maisons voisines accueillent, en revanche, les espaces de service (écuries, cuisines, logements du personnel)71. C’est donc d’abord avec l’objectif de renforcer la visibilité et le prestige de la demeure familiale que sont réalisés la plupart des investissements urbains qui sont souvent suivis de travaux. La résidence familiale est en effet l’objet de phases d’aménagements successives qui restent encore mal connues72. Une partie des biens acquis conserve cependant une destination locative puisque, en 1750, le palais est entouré de sept maisons de location et possède lui-même plusieurs appartements loués, situation relativement rare dans le cas milanais. Il reste donc à voir comment la famille a réussi à entrer en possession de 18 maisons, situées les unes à côté des autres, en moins d’un siècle.
Les facteurs au service d’une stratégie urbaine
29Deux facteurs principaux ont permis aux Crivelli de se rendre acquéreurs de biens et, dans certains cas, de bénéficier de prix intéressants sans avoir à débourser directement des liquidités. Un premier facteur est l’endettement des propriétaires urbains qui les contraint à vendre et les met en situation de faiblesse au moment de la négociation. L’acquisition originelle de 1633 fut réalisée dans le cadre d’une mise aux enchères, les biens ayant été saisis à leur propriétaire débiteur envers le fisc. Ces circonstances ont garanti aux Crivelli un prix attractif. Dans les décennies qui suivent, la famille devient créditrice du voisinage ce qui lui permet de récupérer les maisons qui entourent leur résidence. Pour les achats de 1655 et 1669, le vendeur est en effet endetté auprès des Crivelli. Dans le premier cas, il s’agit plus précisément d’un crédit garanti sur l’immeuble à travers une vente avec patto di grazia. En 1655, le délai est manifestement arrivé à échéance sans que Prospero Lombardo ait réussi à rembourser ses dettes. Les frères Crivelli deviennent donc les propriétaires définitifs de la maison. En 1669, Carlo Francesco Maino, redevable envers les Crivelli, se sépare de sa maison pour éteindre sa dette. En 1726, Don Antonio Toscano est contraint de vendre sa résidence (une casa da nobile) et trois maisons de location pour satisfaire ses créditeurs auxquels les Crivelli versent directement la majeure partie du prix d’achat. C’est l’un des rares cas d’acquisition importante (56 000 lires) pour lequel la totalité du prix est payée en moins d’un an par les Crivelli. La position institutionnelle de certains membres de la famille influe également sur la constitution du patrimoine : Flaminio II est questeur ordinario entre 1674 et 1694 et c’est à partir de ce moment qu’il réalise plusieurs achats de valeur importante qui complètent les acquisitions initiales de S. Simpliciano. Tant pour le patrimoine rural que pour le patrimoine urbain, il est du reste le membre de la famille qui aura le plus investi. Il est évident que les relations privilégiées qu’il pouvait avoir avec le gouverneur de l’État ou le Sénat lui assuraient un avantage indéniable face à d’autres acquéreurs. Pour l’achat des fiefs, qui sont soumis à l’autorisation de la Regia Camera, Flaminio II Crivelli réussit à défendre les intérêts de sa famille de manière remarquable73. Il bénéficie aussi d’un accès favorisé aux informations concernant la mise aux enchères de biens et la vente de fiefs, qui sont réalisées directement par les Magistrati.
30Un autre moyen d’acquérir des biens voisins, lorsque leur propriétaire n’est pas contraint à la vente par l’endettement, est l’usage de l’article De Aedificiis privatis des Nouvelles Constitutions. C’est grâce à cette disposition juridique que les Crivelli peuvent s’approprier quatre maisons appartenant à Giovanni Battista Ferrario en 1688. L’estimation faite par Francesco Bianco, ingénieur du Collège de Milan s’élève à 50 607 lires, somme comprenant l’augmentation de 25 % pour dédommagement du propriétaire contraint à la vente. Le fait que celles-ci soient sujettes à un fidéicommis retarde l’entrée en possession des biens puisque les héritiers de Ferrario contestent la vente au nom du fidéicommis. Mais, finalement, la sentence du Sénat en date du 23 août 1692 permet au marquis et questeur Flaminio Crivelli « d’utiliser le bénéfice de l’article des Nouvelles Constitutions pour l’achat des maisons Ferrario en dépit du fidéicommis auquel celles-ci sont soumises »74. Les Crivelli réussissent donc à passer outre une disposition testamentaire qui pouvait être considérée comme un obstacle à la circulation des biens.
31Enfin, la famille sait faire jouer ses relations pour entrer en possession des biens qui l’intéressent. La maison qui est achetée en 1689 – une propriété assez importante vu son prix de 32 000 lires – est acquise auprès d’un proche de la famille. Le vendeur, Tomaso Sorzi, est à la fois voisin et notaire des Crivelli : c’est lui qui rédige les actes d’achats de 1674 et 1692 ainsi que ceux de diverses acquisitions de terres. Enfin, c’est une personne en qui la famille a toute confiance puisque Enea Crivelli en fait le tuteur de son fils dans son testament. Si Tomaso Sorzi accepte de céder sa maison aux Crivelli, c’est parce qu’il est dépourvu d’héritier masculin et il le fait à certaines conditions puisque le couple Tomaso et Laura Sorzi conserve la jouissance de la maison leur vie durant. Finalement, à la mort de son mari, en 1696, Laura décide de se retirer dans un monastère. Les Crivelli accèdent alors à la jouissance du bien. Quelques années plus tard, en 1702, le solde restant à payer (3 000 lires) est transformé en une rente à vie de 190 lires annuelles pour Laura. En 1692, pour acquérir la petite maison qui appartenait au monastère de S. Radegonda, les Crivelli avaient utilisé la médiation de l’abbé Giovanni Battista Litta, mobilisant encore leur réseau relationnel. La famille Crivelli a ainsi réussi à acquérir 18 immeubles entre 1633 et 1726 dans la paroisse de S. Simpliciano et s’est constitué un patrimoine compact dont la résidence familiale constitue le centre. Leur cas n’est pas unique puisque la famille Arese profite de conditions similaires dans le quartier de Porta Vercellina.
La famille Arese et ses successeurs : une permanence dans le quartier de Porta Vercellina (XVIIe-XVIIIe siècle)
32L’extension du patrimoine Arese, dans le quartier de Porta Vercellina, commence en effet exactement à la même période que celui des Crivelli : en 1633. Le cas est intéressant à suivre car il est constitué d’une première phase de conquête de l’espace urbain, extrêmement rapide, effectuée par le comte Bartolomeo Arese, suivie d’une consolidation, sur la longue durée, par ses héritiers. Lorsque Bartolomeo Arese meurt sans héritier masculin en 1674, ses propriétés reviennent aux Visconti Borromeo qui s’attachent dès lors à poursuivre l’ancrage patrimonial dans Porta Vercellina. Ils abandonnent leur résidence de S. Babila pour venir s’installer dans le palais Arese et continuent la politique d’acquisition dans le quartier. Le même scénario se répète un peu moins d’un siècle plus tard avec la famille Litta, amenée à succéder aux Visconti Borromeo Arese.
Le rôle du comte Bartolomeo Arese75
33En moins de 40 ans (de 1633 à 1672), le comte Bartolomeo Arese réussit à acquérir au moins treize biens dans les paroisses voisines de S. Nicolao et S. Maria Porta (quartier de Porta Vercellina)76. La plupart de ces acquisitions se font au cours des années 1630 (neuf actes notariés sur treize). On retrouve donc deux éléments déterminants qui ont permis la constitution d’un tel ensemble : d’une part les opportunités offertes par le marché immobilier après la crise de 1630 et d’autre part, la position institutionnelle prestigieuse occupée par l’acheteur.
Tab. 30 – Acquisitions du comte Bartolomeo Arese dans Porta Vercellina (1633-1674).
Bien | Vendeur | Prix (en lires) | Acte |
Une pièce (S. Nicolao) | Francesco Martinelli | 300 | 9 août 1633, r° G.B. Quartieri |
Boutique avec cave + 1 pièce (S. Nicolao) | Gio Batta Terzago et Angela Mojo | ? | 9 août 1633, r° G.B. Quartieri |
Maison avec boutique (S. Nicolao) | Andrea Castiglioni | 4 400 | 6 sept. 1633, r° G. B. Quartieri |
Une portion de maison (S. Nicolao) | Pietro Paolo ? | 2 945 | 19 déc. 1633, r° G. B. Quartieri |
2 pièces dans une maison (S. Nicolao) | Scuola della | 1 400 | 3 déc.? 1635 |
Maison (S. Nicolao) | Gio Ambrogio Lonati | 1 425 | 4 juillet 1635, r° G. P. Crotta |
La moitié de 2 maisons, en indivis (S. Nicolao) | Gio Massimo et | 3 535 | 5 janvier 1636, r° G. B. Quartieri |
Livello sur une maison (S. Maria Porta) | LP della Carità | 2 000 | 12 avril 1636, r° G. C. Visconti |
Casa da nobile et maison avec boutique (S. Maria Porta) | C. et O. Castiglioni | 23 000 + 700 | 0 12 juillet 1636, r° G. B. Quartieri |
Une portion de jardin | Ospedale dei vecchi | 775 | 15 déc. 1649, r° D. Regretto |
Maison (S. Maria Porta) | D. et C. Assi | 5 665 | 17 mai 1651, R° P. G. Imbonati |
Maison avec boutique (S. Nicolao) | G. B. Del Conte et I. Rosati Jugali | 6 000 | 1er sept 1660, r° P. G. Imbonati |
Partie arrière d’une maison | Cattarina Pallavicini | 3 333 | 10 décembre 1672, |
34Le morcellement extrême des premières acquisitions immobilières surprend puisqu’il s’agit de simples pièces ou portions d’immeubles. En réalité, elles ne se font pas ex-nihilo comme ce fut le cas pour les Crivelli dans la paroisse de S. Simpliciano car la famille habitait déjà la paroisse de S. Maria Porta depuis le XVIe siècle77. C’est donc ce premier noyau que Bartolomeo III choisit comme point de départ pour la constitution d’un patrimoine conséquent, un siècle plus tard. Son objectif est d’abord la réalisation d’une résidence imposante, traduisant le statut social qu’il occupe dans la capitale lombarde. Il appartient en effet à une ancienne famille milanaise présente au Conseil des Neuf Cents au XIVe-XVe siècles et bénéficiant de l’accès au chapitre du Duomo. Enrichie grâce au commerce de la laine au XIVe siècle, plusieurs de ses membres possèdent également une formation juridique puisqu’ils sont présents au Collège des Jurisconsultes78. Si la famille apparaissait déjà dans l’entourage des ducs de Milan, son décollage intervient dans la seconde moitié du XVIe siècle avec son entrée dans les institutions monarchiques. Elle occupe alors, durant plusieurs générations, une place de premier plan au sein des Magistrati et du Sénat. Bartolomeo II, nommé trésorier général en 1554, a préparé la carrière de son fils, Marco Antonio, qui entre au Sénat en 1569, mais c’est la génération suivante qui commence véritablement à se distinguer en obtenant la présidence d’institutions royales : Giulio (q Marco Antonio) entre au Collège des Jurisconsultes en 1569, il est ensuite questeur straordinario (1606), puis sénateur (1612). L’année suivante (1613), il obtient la présidence du Magistrato Ordinario qui le fait également entrer au Conseil Secret. Enfin, en 1619, lui échoit la charge la plus importante de la hiérarchie administrative : la présidence du Sénat qu’il conservera jusqu’à sa mort en 1627. Giulio est également le premier de la famille à entrer au Consiglio Generale des soixante décurions79. La voie était donc ouverte pour son fils, Bartolomeo III, qui est à l’origine des acquisitions immobilières de Porta Vercellina. La fortune accumulée par ses prédécesseurs lui permet d’entrer en possession du fief de Castellambro, puis du titre de comte en 1629. Du point de vue institutionnel, il est successivement membre du Collège des Jurisconsultes (1631), capitaine de Justice (1636) puis questeur ordinario (1638). En épousant Lucrezia Omodei en 1640, il s’allie à la plus riche famille de Milan80 et, dès l’année suivante, il accède aux dignités majeures puisqu’il entre au Sénat, est nommé président du Magistrato Ordinario et membre du Conseil secret. Il devient finalement régent en 1649, puis président du Sénat en 1660. Grâce à son habileté politique et du fait de la conjoncture délicate que connaît alors Milan, Bartolomeo Arese joue un rôle de premier plan dans la Lombardie des années 1630-166081. La cour de Madrid recommande même aux gouverneurs de l’État de prendre conseil auprès de lui pour toute décision d’importance, ce qui lui donne une fonction d’arbitre entre les principaux pouvoirs milanais, ceux du gouverneur, de l’archevêque et du Sénat. Les premiers achats que Bartolomeo réalise dans le quartier de Porta Vercellina datent de 1633. Ils se situent donc juste après l’acquisition d’un fief et d’un titre nobiliaire (1629) et la plupart de ces achats sont destinés à l’agrandissement de la demeure familiale. Il s’agit d’une conquête territoriale qui se fait de manière minutieuse et qui est sans doute facilitée par la position institutionnelle de l’acquéreur. Dans les années 1640, après avoir élargi son emprise foncière dans Porta Vercellina, Bartolomeo Arese confie la construction de son nouveau palais à Francesco Maria Ricchini, l’un des architectes les plus en vue de Milan82. La résidence Arese devient dès lors l’un des hauts lieux de la sociabilité milanaise et accueille notamment Marie Anne d’Autriche, épouse du roi Philippe IV d’Espagne, lors de son passage à Milan en 164983. Il est ainsi évident que la position institutionnelle de Bartolomeo Arese a représenté un atout essentiel pour la conquête foncière qu’il entreprend dans la ville et qu’il réussit à mener à un coût relativement limité. Le prix de la plupart de ses acquisitions apparaît en effet relativement modeste, reflétant l’état du marché immobilier post- 1630, mais aussi l’endettement des propriétaires qui ne se trouvent pas en position de force pour la négociation. Au moins cinq de ses achats sont en effet réalisés auprès de propriétaires contraints à vendre pour rembourser leurs dettes, comme le démontrent les destinataires d’une partie ou de la totalité du prix de vente. Bartolomeo III n’a pas de fils, mais l’une de ses deux filles, Margherita, hérite des propriétés de Porta Vercellina et les transmet ainsi à la famille de son mari : les Visconti Borromeo (voir chap. 10).
La poursuite de l’ancrage dans Porta Vercellina par les héritiers des Arese
35Après la mort de son père, en 1674, Margherita, puis son fils Giulio, poursuivent l’œuvre de Bartolomeo et complètent le patrimoine de Porta Vercellina avec quatre nouvelles acquisitions :
36Giulio Visconti Borromeo Arese habite le palais de son grand-père maternel et les possessions de Porta Vercellina constituent donc le centre de son patrimoine immobilier urbain, marginalisant celles héritées de son grand-père paternel dans la paroisse de S. Babila (Porta Orientale) qui sont données en location. Au milieu du XVIIIe siècle, le patrimoine urbain des Visconti Borromeo Arese dans le quartier de Porta Vercellina se compose de seize biens pour une valeur totale de 16 000 scudi (pl. XXVb). Il constitue un véritable bloc et représente la majeure partie du patrimoine urbain de la famille, tant pour le nombre de propriétés que pour leur valeur : le palais Arese est entouré de maisons de location dont la plupart sont pourvues de boutiques. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, pour permettre l’agrandissement du palais, de nouvelles propriétés voisines sont acquises par les marquises Paola et Elisabetta Litta Visconti Borromeo Arese, les filles et héritières de Giulio qui ont toutes deux épousé un Litta, puis par leurs descendants.
Tab. 32 – Acquisitions de la famille Litta Visconti Borromeo Arese dans Porta Vercellina (1750-1800)85.
Bien acquis (n° de parcelle et estimation du cadastre) | Provenance | Prix (en lires) | Acte notarié |
Portion de maison | Scuola de S. Nicolao | 5 650 | 27 septembre 1753, r° G. Antonio Carrara |
Petite maison | Ospedale dei Vecchi | 8 400 | 26 sept. 1753, r° G. Batta Argenti |
Portion de maison | Couvent de | 3 550 | 31 janvier 1758, r° G. Antonio Carrara |
Maison (S. Nicola, n° 5) | Couvent de S. Pietro Martire | ? | 175 ? |
Portion d’une maison + boutique | Couvent della Fontana + | 7 499 | 30 juin 1775, r° C.A. Silvola |
Portion de maison | Ospedale dei Vecchi | ? | vers 1777 |
Portion de maison | Scuola di S. Maria Porta | ? | vers 1777 |
Dominio utile d’une maison de location avec 2 boutiques | Scuola di S. Maria Porta | ? | vers 1777 |
Maison de location avec boutique | Scuola della Misericordia (héritage de G. B. Forni) | 8 000 | 3 juin 1782, r° Giuseppe Macchio |
Maison de location + maison d’habitation + église (S. M. Porta n° 68 et H, 2 847 scudi) | Ospedale dei Vecchi (enchères du Fondo di religione) | 38 500 | 6 juin 1786, r° C. A. Silvola |
Petite maison avec jardin (S. M. | Pio Albergo Trivulzio (qui a succédé à l’Ospedale dei Vecchi) | 3 186 | 5 avril 1786, r° C. A. Silvola |
37Les registres cadastraux précisent en effet que les quatre premières acquisitions du tableau, réalisées au cours des années 1750, seront incorporées au palais Litta. À l’issue de ces travaux, la demeure est devenue la plus prestigieuse de Milan, comme l’affirment les voyageurs de passage dans la capitale lombarde et notamment Lalande qui la compare aux grandes maisons parisiennes86. Pietro Verri la désigne comme le modèle que cherche à imiter toute l’aristocratie milanaise87. Au cours des années 1770-1780 sept autres achats sont effectués par Pompeo Litta. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, les investissements urbains des Litta visent du reste exclusivement à renforcer les deux noyaux de provenance Visconti Borromeo Arese88 : celui de Porta Vercellina, autour du palais Arese, mais aussi celui de Porta Orientale où se trouvait le palais Visconti Borromeo (pl. XXVb et XXX). Ces nouveaux biens font passer la valeur du patrimoine urbain de 16 000 à 23 594 scudi en 1802. La famille Litta se présente donc également en continuatrice de la stratégie de conquête urbaine commencée par le comte Bartolomeo Arese au XVIIe siècle. Les achats des Litta dans la seconde moitié du XVIIIe siècle sont réalisés, dans la totalité, auprès d’institutions religieuses ou caritatives. Le contexte est en effet celui de la suppression de nombreuses institutions ecclésiastiques et caritatives, il constitue une opportunité pour les familles patriciennes qui veulent étendre les possessions immobilières autour de leur palais. Pourtant, bien avant cette période, une institution voisine de la résidence Arese, l’Ospedale dei Vecchi, avait déjà constitué une réserve foncière dans laquelle la famille avait puisé à de nombreuses reprises.
L’Ospedale dei Vecchi : un réservoir de propriétés
38Le prestige social de la famille Arese et les relations privilégiées qu’elle entretient avec le chapitre de l’Ospedale dei Vecchi ont indubitablement constitué un atout déterminant dans sa stratégie de conquête foncière. L’institution caritative se trouve juste à côté du palais Arese et représente une réserve de terrains dans laquelle la famille puise régulièrement. La première trace d’un accord date du 16 juillet 1641. Le comte Arese obtient alors un droit de passage à l’intérieur du jardin de l’hôpital ainsi que le droit d’ouvrir une porte dans son mur d’enceinte afin d’accéder directement à la piazza del Castello, ce qui lui permet une communication plus commode avec son agent qui habite sur la place. La concession est effectuée à titre révocable, moyennant 4 scudi par an. En cas de renonciation de la part du comte Arese, celui-ci est tenu de refermer l’ouverture à ses frais. En 1649, le comte Bartolomeo Arese, désormais régent, fait à nouveau appel à l’hôpital pour agrandir sa résidence à l’occasion de la venue de la reine d’Espagne. Il réussit alors à convaincre les députés de lui vendre une partie du jardin89. Avec cette acquisition, cesse l’accord concernant le droit de passage puisque le terrain est désormais propriété du comte Arese. En 1717, le comte Giulio Visconti Borromeo Arese échange encore un livello de 157 lires annuelles contre une petite maison appartenant au même Ospedale90. La maison est alors détruite et sert à l’édification des nouveaux appartements donnant sur le jardin. En 1753, c’est toujours auprès de la même institution que les marquises Paola et Elisabetta acquièrent une maison (8 400 lires) qui est incorporée au palais dans le cadre des travaux en cours. Dans les années 1780, les acquisitions des propriétés de l’Ospedale dei Vecchi se font suite à la suppression de l’institution dans le cadre des réformes engagées par Joseph II pour réorganiser le système d’assistance. Les propriétés de l’Ospedale dei Vecchi passent alors à l’Albergo Pio Trivulzio qui en garde une partie afin d’augmenter ses capacités d’accueil, mais vend le reste, notamment l’édifice qui accueillait le siège de l’hôpital. En 1786, le marquis Litta s’entend avec le comte Dal Verme pour acquérir l’édifice de l’ex-Ospedale dei Vecchi ainsi qu’une maison de location voisine (parcelles n° 68 et 68 ½ de S. Maria Porta). La vente s’effectue par le biais d’une mise aux enchères et l’ensemble est acquis pour 38 500 lires. Le partage est ensuite effectué en proportions presque similaires puisque la valeur cadastrale qui revient au marquis Litta est de 1 470 scudi contre 1 377 scudi au comte Dal Verme91. La famille Arese et ses successeurs représentent donc un cas particulièrement impressionnant d’extension de l’emprise urbaine d’une famille au cours des XVIIe et XVIIIe siècles. La chronologie des acquisitions principales est étroitement liée aux travaux d’agrandissement du palais même si de nombreux biens demeurent à destination locative.
Les Clerici ou l’implantation d’une famille nouvelle au XVIIe siècle
39Le cas Clerici, par le contexte et les moyens de sa constitution, s’apparente aux deux cas précédemment étudiés, mais il s’agit d’une famille dont l’implantation milanaise est plus récente et qui accorde une place particulièrement importante aux investissements immobiliers à finalité économique. Les stratégies d’investissements urbains de cette famille ont déjà été l’objet d’une étude de L. Mocarelli92. Il semblait cependant intéressant d’y revenir pour souligner leur caractère exceptionnel à différents titres. Il tient d’abord à l’importance du patrimoine urbain : les Clerici éclipsent, en 1750, toutes les autres familles patriciennes. Le marquis Antonio Giorgio Clerici est en effet le premier propriétaire urbain particulier de Milan avec 34 propriétés pour une valeur de près de 28 000 scudi. La seconde spécificité des Clerici tient à l’importance du palais urbain pour une famille récemment intégrée au patriciat (elle n’y a été admise qu’en 1739). Le palais atteint l’estimation de 5000 scudi, soit l’une des plus hautes de Milan, comparable seulement à celle des palais Borromeo et Simonetta. Bien que les Clerici ne se soient installés à Milan qu’au début du XVIIe siècle, ils ont réussi en quelques décennies à constituer un bloc compact de propriétés autour de leur résidence. Les Durini, qui présentent un parcours similaire et ont intégré le patriciat en 1740, se sont également fait construire un somptueux palais, mais ils sont bien loin de posséder un patrimoine immobilier urbain comparable à celui des Clerici. Pour ces derniers, la stratégie qui visait à regrouper les propriétés autour du palais n’a pas empêché de nombreuses autres acquisitions, dispersées dans d’autres zones de la ville, dans une perspective exclusivement économique.
La formation du noyau central autour du palais de S. Protaso ad Monacos
40Les Clerici constituent l’un des nombreux exemples de familles qui doivent leur ascension sociale à l’activité commerciale puis à l’intégration dans les institutions monarchiques93. Originaires de Domaso sur le lac de Côme, les Clerici font fortune grâce au commerce du textile avec les pays allemands. Ils se transfèrent à Milan au début du XVIIe siècle et Giorgio I (1575-1665) s’associe alors avec Giovanni Pietro Carcano et Bernardo Porro. Giovanni Pietro Carcano était l’un des principaux commerçants de laine de Milan, banquier à la tête d’une immense fortune qu’il légua pour moitié à l’Ospedale Maggiore, permettant ainsi son agrandissement. Dès son arrivée à Milan, Giorgio I Clerici mène une importante activité de crédit qui lui permet d’accroître considérablement la fortune familiale : dans les années 1630, il fait partie des banquiers engagés à la foire de Plaisance94 et, à sa mort, il laisse un patrimoine évalué plus de deux millions de lires rapportant annuellement 118 000 lires95. La richesse des Clerici est utilisée pour s’attirer les bonnes grâces de la monarchie espagnole en finançant celle-ci et leur permet d’atteindre très rapidement des postes importants dans les magistratures monarchiques96. Carlo (1615- 1677), l’un des neuf fils de Giorgio I, s’engage dans des études de droit, nécessaires pour une carrière de togato. Ces études et l’appui familial lui permettent d’entrer au Sénat puis de devenir régent du Conseil d’Italie en 1676. Giorgio II (1648-1736) suit le chemin ouvert par son père : il entre lui aussi au Sénat (1684) et succède à Marco Arese à la présidence du Magistrato Ordinario (1695) puis, en 1697, il cumule aussi la présidence du Sénat. En 1691, tout en étant régent du Conseil d’Italie à Madrid, il est nommé Grand Chancelier par intérim. Si la famille ne peut pas encore intégrer le patriciat milanais, elle réussit néanmoins à s’allier avec ses plus dignes représentants : les D’Adda, Pallavicini, Archinti et Visconti. Lors du passage à la domination autrichienne, elle réussit à conserver les faveurs des nouveaux souverains et la correspondance que Giorgio entretient avec le prince Eugène de Savoie témoigne de l’appui d’un homme clé du nouveau régime. Celui-ci encourage du reste l’héritier des Clerici à s’engager dans l’armée autrichienne, moyen de parfaire son intégration à la cour de Vienne97. Parallèlement à son insertion dans les magistratures monarchiques, la famille était entrée en possession de très nombreuses propriétés terriennes, du fief de Cavenago (1666) puis de Cuggiono (1674). Ses relations privilégiées avec la cour de Madrid permettent à Pietro Antonio de bénéficier du titre de marquis dès 1661, « pour services rendus à la monarchie », quelques années avant l’achat des fiefs.
41Dès son arrivée à Milan, la famille s’installe dans la paroisse de S. Protaso ad Monacos, toute proche du centre commercial et, en particulier, du Broletto qui est alors le principal marché de la ville98. Le choix du quartier de Porta Comasina est traditionnel pour les nouveaux venus en provenance du lac de Côme. C’est là que naît Giorgio II en 1648 et la famille y demeure jusqu’à son extinction en 1768. L’installation des Clerici dans S. Protaso ad Monacos est rapidement suivie par l’instauration d’une chapelle sous le patronage de la famille dans l’église paroissiale du même nom99. Les Clerici – qui ne sont encore que de riches marchands – ont donc fait le choix d’habiter au cœur du centre commercial de Milan. Pourtant, si leur palais se trouve à proximité de nombreuses boutiques, dont plusieurs sont du reste leur propriété, il existe une séparation entre l’immobilier résidentiel qui donne sur la contrada Clerici et les boutiques qui se trouvent dans le même îlot, mais du côté de la contrada de S. Tomaso (pl. XXXI). La contrada Clerici maintient donc un caractère résidentiel ainsi que la contrada de Bassano Porrone, toute proche, où se trouve une autre casa da nobile propriété de la famille. L’emprise des Clerici, bien que récente, se traduit dans la toponymie urbaine. En 1653, lorsque Giorgio achète la casa da nobile qui deviendra sa résidence, l’acte notarié la situe dans la contrada dei Bossi. Il en est encore de même en 1692, lors de l’achat d’une autre maison voisine. En revanche, au début du XVIIIe siècle, la contrada a pris le nom des Clerici. Sans doute la réfection du palais qui a eu lieu entre la fin du XVIIe et le début du XVIIIe siècle, a-t-elle favorisé cette évolution dans la toponymie. Les travaux d’agrandissement de la demeure des Clerici ont en effet été permis par l’acquisition de plusieurs biens immobiliers à cette fin dans les années 1690100.
Tab. 33 – Acquisitions des Clerici dans S. Tomaso in Terramara et S. Protaso ad Monacos (1636-1723)101.
Date de l’acte | Provenance | Bien | Prix (en lires) |
Avant 1630 | Héritage d’Andrea | 2 maisons dans S. Tomaso, contrada dei Bossi | - |
Vers 1636 | Giovanni Paolo | Grande maison avec 2 boutiques (S. Tomaso) | ? |
1643, 24 septembre | Carlo Mariano | 2/3 d’une boutique et maison avec hôtellerie (S. Tomaso). | ? |
1653, 28 novembre | Gio. Batta Visconti | Casa da nobile, S. Protaso ad | 38 000 |
1668, 13 avril | Paolo Girolamo | Pièce + cave dans la maison ex-Maranta | 1100 |
1670, 8 mars | Carlo et | Boutique (Bettolino, S. Tomaso) | |
1691, 14 septembre | Carlo Antonio Ferrario | Maison S. Protaso ad Monacos (contrada dei Bossi) pour construire les écuries | 13 750 |
1692, 14 juillet | Gio Galeazzo Visconti | Maison avec 4 boutiques (S. Tomaso, près du Broletto) pour l’incorporer au palais | 64 754 |
1693, 7 septembre | Giorgio Giulini | Maison dans S. Protaso (pour l’incorporer au palais) | 24 000 |
1695, 6 août | Comtes de S. Giuliano | Maison dans S. Protaso, 4 pièces au rdc, avec 2 cours, 2 puits et un portique (pour l’incorporer au palais) | 21 000 |
1723, 21 août | Monastero di S. Maria del Lentasio | 1/3 d’une maison (S. Protaso ad | 16 366 |
1723, 23 août | Comtes Antonio et | 2/3 d’une maison (S. Protaso ad | 2 (mais bien estimé 32 733) |
42Les premières acquisitions milanaises des Clerici ont été réalisées dans la paroisse de S. Tomaso in Terramara, voisine de S. Protaso. Leur choix d’implantation à Milan apparaît alors directement lié à leur association avec les Carcano puisque ceux-ci possédaient des biens immobiliers dans la contrada dei Bossi qu’ils transmettent à Giorgio Clerici avant 1630102. L’héritage Carcano semble donc constituer le noyau d’origine que complète Giorgio Clerici dans les années 1630- 1640. Il achète en effet une grande maison avec deux boutiques puis une maison avec une boutique et une hôtellerie. Il s’agit donc d’abord d’un immobilier à destination commerciale, qui procure une rente locative tandis que la famille habite la paroisse voisine de S. Protaso. Quelques années plus tard Giorgio réussit à acquérir une casa da nobile dans S. Protaso103, cédée par Giovanni Battista Visconti pour solder ses dettes. La vente, conclue en 1653, est ratifiée seulement le 3 octobre 1656 après le paiement des 38 000 lires, prix estimé de la maison, aux différents créditeurs de G.B. Visconti. C’est ensuite à partir de 1692 que reprend une série d’investissements importants dans le quartier qui ont pour finalité directe l’agrandissement de la résidence familiale et qui sont réalisés par Giorgio II. Celui-ci est désormais Grand Chancelier (1691) et vient de se voir promettre la présidence du Magistrato Ordinario ou du Sénat (1689). Sa demeure doit donc exprimer le prestige de sa charge et de sa famille. Entre 1692 et 1695, trois gros achats sont réalisés pour agrandir le palais, s’élevant à un total de 123 000 lires. Le prix de ces immeubles apparaît particulièrement élevé car ils se trouvent dans le centre commercial de la ville. Les 64 754 lires investies dans l’achat d’une maison avec quatre boutiques en 1692 témoignent de l’importance des valeurs foncières pour l’immobilier commercial occupant une situation centrale. Le prix payé pour ce bien représente le double de celui investi dans la casa da nobile d’origine (38 000 lires). Bien que l’acte de vente précise que le bien doit être incorporé au palais Clerici, il semble en fait que seule une partie ait servi à l’agrandissement de la résidence familiale. En effet, les archives familiales conservent avec l’acte d’achat les contrats de location de boutiques jusqu’en 1768 et tout porte à croire que les Clerici ont maintenu les commerces qui demeurent une source de rapport : en 1688, leur location rapportait en effet 2 600 lires par an. Les achats des années 1690 sont réalisés grâce à l’endettement des propriétaires, à l’utilisation de l’article De Aedificiis et à la position sociale des Clerici qui leur permet d’entrer en possession des biens convoités. En effet, en 1692, Giovanni Galeazzo Visconti cède la maison avec quatre boutiques de S. Tomaso pour solder des dettes104. Bien que la maison soit soumise à un fidéicommis, la procédure d’achat est rapide : le 14 juillet 1692 est signé l’acte de vente tandis que deux mois plus tard, le 17 septembre, parvient le décret du Sénat qui accorde la dérogation au fidéicommis et permet ainsi à la vente de prendre effet. La présence de Giorgio II Clerici au Sénat a probablement facilité la procédure. L’article De Aedificiis est en revanche utilisé pour s’approprier la maison de la contrada dei Bossi qui doit servir à réaliser les écuries du palais Clerici. L’estimation de l’ingénieur fixe le prix du bien à 12 093 lires, en incluant le quart en plus prévu par la loi pour dédommager le propriétaire. L’acquisition du bien apparaît alors plus longue et plus délicate que précédemment car il avait été légué à la chapelle de S. Giovanni Battista dans l’église de S. Protaso in Monacos pour la célébration d’une messe quotidienne. Si la promesse de vente est signée le 14 septembre 1692 avec Carlo Antonio Ferrario, chapelain de S. Giovanni Battista, près de trois ans s’écoulent pour obtenir l’accord du pape libérant ladite maison et transférant sur un autre bien la messe quotidienne. C’est seulement le 18 octobre 1695 que parvient le bref d’Innocent XII permettant la ratification de la vente105. Les deux autres achats de 1693 et 1695 semblent avoir été plus simples et sans doute la position institutionnelle de Giorgio II a été déterminante : les vendeurs, qui appartiennent dans les deux cas à la noblesse milanaise, pouvaient difficilement refuser une telle faveur au « Signore marchese reggente e Gran Cancelliere » qui constituait un intermédiaire précieux auprès de la cour madrilène. Les Clerici entretiennent également des relations privilégiées avec le Luogo Pio della Misericordia, dont le siège se trouve juste derrière leur palais. Dans le cadre des travaux qui sont réalisés pour le palais en 1703, Giorgio obtient ainsi du comte Uberto Stampa, député du Luogo Pio, de pouvoir ouvrir plusieurs fenêtres donnant sur la cour de celui-ci106. Une concession du même type sera accordée plus tard, en 1755, au marquis Antonio Giorgio puisqu’il obtient l’autorisation de construire des bâtiments à usage de remise et de logement pour les domestiques, contre le mur du Luogo Pio, au fond de son jardin107. À l’issue des travaux d’agrandissement de la résidence du début du XVIIIe siècle108, le marquis Giorgio Clerici déclare à la ville de Milan les maisons qui ont été agglomérées à la nouvelle construction et précise que sa résidence actuelle est désormais composée de « six corps de maisons qui se trouvaient en partie sous S. Tomaso et en partie sous S. Protaso »109. La demeure, qui possède une façade relativement sobre, est devenue l’une des plus fastueuses de Milan pour ses aménagements intérieurs110. C’est du reste au palais Clerici que s’installera l’archiduc Ferdinand, le temps de la réfection du Palazzo Ducale au début des années 1770. Finalement, les deux derniers achats de 1723 concernent une seule et même maison. Ils ne sont plus réalisés dans la perspective d’un agrandissement de la résidence, mais sans doute s’agissait-il d’une opportunité que la famille a exploité pour compléter son patrimoine locatif111. La casa da nobile étant louée 2 386 lires à Carlo Giuseppe Bellini, l’achat garantit en effet un revenu de 4,8 % par rapport au prix de vente fixé à 50 000 lires112. Si les propriétés de S. Protaso et S. Tomaso constituent donc le cœur du patrimoine Clerici, la famille possède cependant de nombreux autres biens dispersés dans la ville.
Des investissements économiques diversifiés et la pratique du crédit
43Dès le début de leur implantation milanaise, les Clerici ont bénéficié d’autres apports immobiliers. Il s’agit d’abord des quelques autres biens qui composaient l’héritage Carcano : en plus des maisons de S. Tomaso, celui-ci comportait une maison avec boutique dans S. Tecla (PR) et une autre dans S. Simpliciano113. La plupart des autres immeubles sont le résultat de l’activité de crédit menée par les Clerici. Ils ne répondent donc pas à des stratégies d’investissement déterminées de la part de la famille, mais sans doute celle-ci a-t-elle trouvé un intérêt économique à leur conservation. C’est par le biais d’un prêt non remboursé que Pietro Antonio Clerici devient propriétaire d’une maison dans S. Carpoforo, donnée en paiement par Lucia Clara Cavalla en 1670114. Deux maisons dans S. Lorenzo et une autre dans S. Bartolomeo ont été cédées par Lucrezia Soresina en 1666 et servent à solder la dette de son mari, Orazio Scotti, qui était redevable de 6 103 lires aux Clerici115. Une autre maison dans S. Protaso al Castello a été achetée en 1639 pour 6 890 lires. Le prix témoigne bien de la chute de l’immobilier dans les années qui suivent la crise de 1630, puisque la même maison avait été acquise par Francesco Favagrossa pour 7 440 lires en 1575116. Enfin, au moins trois autres investissements sont réalisés vers 1670 par Pietro Antonio Clerici117. Une part importante des biens acquis se trouvent dans le quartier de Porta Comasina : sans doute la proximité de la résidence familiale des Clerici en a-t-elle fait un lieu privilégié pour conclure des affaires, ce qui démontrerait encore l’importance des liens de voisinage dans l’établissement des réseaux de crédit. L’ensemble de ces acquisitions est antérieur à 1680 : par la suite l’activité de crédit des Clerici se réduit et, avec elle, les occasions d’entrer en possession d’immeubles. À la différence d’autres familles, les Clerici conservent les biens dont ils se sont appropriés grâce à leur activité de crédit. Au milieu du XVIIIe siècle, le patrimoine urbain est donc varié : en plus de la résidence, des maisons et boutiques de location, il se compose de trois sostre situées dans S. Simpliciano et S. Rocco, dont l’une au tombone de S. Marco, un emplacement stratégique pour l’arrivée des marchandises dans la ville. Enfin, huit autres biens, qui n’ont pas été soumis à l’estimation cadastrale sont aussi propriété de la famille : il s’agit des maisons d’octroi situées près des portes de la ville, qui servent à la collecte du dazio della mercanzia (pl. XXXII). Le cas des Clerici est donc singulier à l’intérieur du patriciat pour l’importance du patrimoine urbain qui a été rassemblé et qui se compose de biens divers, situés en partie dans les alentours de la résidence, mais aussi dans d’autres paroisses de la ville.
De S. Maria Passarella à S. Babila : les stratégies foncières des Serbelloni
44Au milieu du XVIIIe siècle, le duc Gabrio Serbelloni habite encore le palais de S. Maria Passarella, donnant sur la corsia dei Servi, à proximité du monastère du même nom et non loin du centre commercial de la ville. Son palais représente alors l’un des plus importants de Milan par sa valeur (4 444 scudi) et symbolise la richesse de ses propriétaires118. Il est entouré de plusieurs biens immobiliers locatifs : une hôtellerie et sept maisons comprenant quatorze boutiques se trouvent dans son voisinage immédiat (pl. XXXIII).
L’implantation initiale dans S. Maria Passarella (XVIe siècle)
45La constitution de ce complexe patrimonial remonte au milieu du XVIe siècle, à une période où la famille se voit propulsée aux premiers rangs de l’élite lombarde avec le pontificat de Pie IV (1559-1565), fils de Cecilia Serbelloni et Bernardino Medici di Marignano. En 1560, Giovanni Antonio Serbelloni, neveu de Cecilia, devient cardinal tandis que son frère, Fabrizio, intègre le Sénat de Milan en 1562. Les Serbelloni, par leurs liens privilégiés avec la cour pontificale, figurent désormais aux premiers rangs de la noblesse italienne comme en témoignent les prestigieuses alliances qu’ils réalisent avec les Balbi, les Massina ou les Landi. La seconde moitié du XVIe siècle marque un pas décisif dans l’ascension sociale de la famille avec l’acquisition de terres, principalement dans la région de Parme et Gorgonzola (en particulier sur les territoires de Cornaredo et Taino) et de fiefs119. C’est justement durant ces décennies 1560-1580 que se constitue le complexe patrimonial de Milan grâce aux acquisitions de Filippo, puis de ses neveux, Giovanni Battista et Alessandro120.
46Comme bien souvent, le noyau d’origine autour duquel se constitue le patrimoine est une casa da nobile, acquise en 1566. L’achat est complété par plusieurs autres immeubles dont une partie est intégrée à la résidence lors de travaux d’agrandissement. C’est notamment le cas de la maison achetée à Giulio Dardanone en 1586. Le fonds Località Milanesi conserve en effet des demandes de concession d’espace public, déposées en 1599 puis en 1627, qui accompagnent des travaux de réfection122. Une autre partie des immeubles acquis est destinée à la location comme le montre l’état patrimonial de 1750. Le XVIIe siècle ne voit pas de grands investissements de la part des Serbelloni, ni en ville, ni ailleurs, comme le souligne F. Cerini. Il se caractérise en revanche par l’insertion de la famille dans les institutions civiques milanaises et, en particulier, au Consiglio Generale123. Au XVIIIe siècle, trois autres achats sont réalisés et servent à l’agrandissement de la résidence. Les Serbelloni ont connu en effet une nouvelle période d’ascension sociale puisqu’ils deviennent ducs en 1684 (titre accordé par Charles II en remerciement d’un prêt), Grands d’Espagne en 1710 puis marquis d’Incisa en 1752. Pour entrer en possession des propriétés voisines, ils utilisent alors le droit d’expropriation offert par l’article De Aedificiis des Nouvelles Constitutions. C’est le cas en 1749, alors qu’une nouvelle phase de travaux se prépare : pour acquérir la maison appartenant au monastère de S. Maria delle Grazie, le duc Serbelloni fait valoir le fait qu’elle est contiguë par trois côtés aux propriétés familiales. Le petit immeuble est démoli dans les années qui suivent pour être intégré au palais. Ces récents travaux n’empêchent pas la réalisation d’une nouvelle et prestigieuse demeure dans la seconde moitié du XVIIIe siècle.
La formation du nouveau complexe résidentiel dans S. Babila (seconde moitié du XVIIIe siècle)
47En 1750, toutes les propriétés des Serbelloni apparaissent regroupées autour du palais de S. Maria Passarella, à l’exception de deux biens qui proviennent de la duchesse Maria Giulia Trotti. À partir de 1758, le duc Gabrio Serbelloni entreprend la constitution d’un nouveau bloc de propriétés, toujours dans le quartier de Porta Orientale, paroisse de S. Babila, mais cette fois juste à l’extérieur des canaux (pl. XXXIII). Il peut sembler étrange que le duc Gabrio ait réalisé des travaux relativement importants dans la résidence de S. Maria Passarella vers 1748 et qu’il fasse le choix de la quitter dix ans plus tard. Mais il est possible qu’en dépit des adaptations réalisées, elle ne corresponde plus aux exigences de la famille et que la cohabitation fraternelle devienne aussi plus difficile (voir chap. 10). Le choix de sortir du centre médiéval pour s’installer au-delà des canaux offre une disponibilité d’espace plus importante et la possibilité de bénéficier d’un jardin. L’ancien palais se trouvait dans la partie commerciale de la ville et ne disposait pas d’une façade particulièrement somptueuse, celle-ci devant faire place aux ouvertures de boutiques. Par ailleurs l’absence de grandes salles de représentation constitue un handicap pour les nouvelles habitudes de sociabilité du XVIIIe siècle. La partie extérieure du corso de Porta Orientale offre donc un cadre plus adapté. C’est l’entrée en possession, en 1756, de plusieurs parcelles appartenant au marquis Lodovico Trotti qui constitue le noyau originel de la nouvelle implantation dans S. Babila autour de laquelle se feront les acquisitions successives. Les liens familiaux des Serbelloni avec les Trotti (famille maternelle de Gabrio) ont sans doute aidé à la conclusion de l’accord.
Tab. 35 – Acquisitions des Serbelloni dans S. Babila (1758-1792).
Date de l’acte | N° parcelle | Type de bien, valeur cadastrale (en scudi) et prix de vente | Vendeur |
26 août 1756 et 20 juin | 100, 101, 102 | 3 maisons de location dont une avec boutique et une avec jardin (4 944 sc) | Marquis |
28 septembre 1758 | 98 | Résidence (777 sc). | Federico Gilardino |
22 septembre 1759 | 99 | Résidence (694 sc). | Paolo et |
3 octobre 1769 | 97 | Résidence (1666 sc) | Marquis Gaetano |
1 juillet 1776 | 103 | Résidence (833 sc) | Comtesse Laura |
22 octobre 1778 | 86 (portion) | Jardin maraîcher (valeur estimée de la portion : 397 sc) | Comte |
1er août 1781 | 82, 84 (2), | Jardins maraîchers et maison de location (3580 sc). | Marquis |
13 juin 1783 | 118 (portion) | Jardin maraîcher (290 sc) | Marquis Pompeo |
22 juin 1792 | 96 | Résidence (1666 sc), livello de 60 lires à l’Abbaye de S. Dionigi | Comte Gaetano |
48La possession de ce premier noyau de provenance Trotti permet ensuite au duc Serbelloni de faire jouer l’article De Aedificiis pour devenir propriétaire des parcelles voisines : c’est grâce à celui-ci qu’il acquiert les parcelles n° 97, 98 et 99 de S. Babila, trois maisons habitées par leur propriétaire, qui s’avéraient, a priori, plus difficiles à acquérir que de simples maisons de location, même si le marquis Bussetti fut probablement contraint à la vente de sa demeure du fait d’un endettement important124. Le duc Gabrio Serbelloni profite aussi de la position de son frère Fabrizio (1695-1775), devenu cardinal en 1753, qui possède en commende l’Abbaye de S. Dionigi. Les parcelles n° 82, 84, 85, 98, 100, 101, 102 et 103 de S. Babila sont en effet toutes soumises au versement d’un livello annuel à l’Abbaye de S. Dionigi. Grâce à l’intervention de son frère, le duc Serbelloni peut ainsi réunir la propriété utile et directe de plusieurs de ces parcelles125. Les Serbelloni réussissent aussi à conquérir ce territoire en quelques décennies grâce à des échanges de bons procédés entre patriciens : le prestino dei Bossi, qui provenait de la duchesse Giulia Serbelloni Trotti, mère de Gabrio, est vendu en partie au marquis Pompeo Litta et en partie au marquis Lodovico Trotti qui, à leur tour, cèdent des propriétés au duc Serbelloni126. Enfin, le fait qu’il s’agisse d’une zone de la ville où les jardins maraîchers sont importants facilite le morcellement des parcelles : c’est notamment le cas des acquisitions provenant du comte Arrigoni et du marquis Incisa. Des travaux sont entrepris, dès les années 1760, pour réaliser un véritable palais à partir de ces différents édifices et terrains. Les maisons Ravasi, Bussetti et Galli (acquises par expropriation) sont démolies pour être intégrées dans la nouvelle construction127. À quatre reprises, les Serbelloni demandent et obtiennent une portion d’espace public (en 1760, 1762, 1764 et 1774), suivie d’un permis de construire (1764, 1766 et 1775)128. Ici, la conquête de l’espace urbain ne se fait donc pas à la faveur d’une conjoncture particulière, telle celle qui succède à la crise de 1630 ou celle de la vente des ex-biens ecclésiastiques. C’est essentiellement grâce à leurs relations familiales ou sociales que le duc Gabrio puis son fils Gian Galeazzo réussissent en quelques années à constituer un nouveau bloc de propriété dans la paroisse de S. Babila.
49Les Crivelli, Arese, Clerici et Serbelloni constituent des cas particulièrement emblématiques de familles ayant réussi à conquérir les espaces proches de leur résidence. Mais s’avèrent-ils réllement représentatifs des comportements patriciens ou font-ils figure d’exception ?
« Une ville en archipel »129 ?
50Les configurations spatiales des patrimoines immobiliers dans la ville sont révélatrices de logiques diverses qui répondent à des objectifs économiques et pratiques (faire un investissement le plus rentable possible et simplifier la gestion des biens), symboliques (marquer la puissance d’une famille sur un territoire urbain et faciliter l’agrandissement de la résidence) ou encore sociaux (à travers la formation de réseaux clientélistes dans le cadre du voisinage et de la location d’immeubles). En général, les familles cherchent à éviter une dispersion trop forte de leurs biens et opèrent des stratégies de regroupement autour de leur résidence. Ce constat confirmerait donc l’existence d’une « ville en archipel » dont chaque île serait la propriété exclusive d’une grande famille qui « phagociterait » l’espace environnant130. Pourtant, à Milan, ce modèle ne peut s’appliquer à l’ensemble du groupe patricien. Plusieurs éléments viennent le nuancer : premièrement, la composition et la taille des patrimoines s’avèrent très variables d’une famille à l’autre : certaines ont délibérément choisi de limiter leurs propriétés urbaines à leur seule résidence et la plupart des familles ne possèdent que deux ou trois immeubles locatifs. Deuxièmement, les stratégies de regroupement des propriétés autour de la résidence nécessitent une puissance sociale et économique que ne possèdent pas toutes les familles patriciennes. La diversité des profils institutionnels et des niveaux de richesse révèle bien que les familles ne sont pas égales de ce point de vue. Troisièmement, il n’est pas exclu que certaines familles, possédant pourtant la richesse et le pouvoir requis pour opérer de tels regroupements de propriétés, aient obéi à d’autres logiques. Si le critère économique peut en effet s’avérer déterminant pour les biens locatifs, avec le choix d’un emplacement commercialement stratégique et garant d’une rente immobilière élevée, des logiques sociales et représentatives peuvent déterminer les choix d’implantation résidentielle. Quatrièmement, une large part des échanges immobiliers passe à travers d’autres mécanismes que des achats volontaires et ciblés : il s’agit des héritages, des dots, des opérations de crédit. Si certains de leurs nouveaux propriétaires s’empressent de revendre les biens ainsi acquis pour poursuivre leurs propres stratégies spatiales, d’autres choisissent de les conserver ou peuvent y être contraints par l’effet des fidéicommis.
Un centre patrimonial autour de la résidence : la prédominance des fonctions symboliques et sociales de l’immobilier urbain
51Une telle configuration s’observe aussi bien dans le cas des petits patrimoines qui se composent d’une ou deux maisons de location dans la proximité immédiate de la résidence familiale que dans le cas de gros patrimoines dotés d’un noyau important autour de la demeure nobiliaire. Sur les douze petits patrimoines représentés sur la pl. XVII, la majeure partie suit le modèle d’un regroupement des biens autour de la résidence : c’est le cas des propriétés des comtes Bolagnos et Visconti Borromeo, des marquis Arconati Visconti et Trivulzio131. Deux seulement dissocient la résidence de l’immobilier locatif : celui du comte Benedetto Arese, qui possède sa résidence dans S. Babila (PO) et une maison de location dans S. Vittore al Teatro (PV) et celui du comte Giuseppe Giulini qui demeure dans la paroisse de S. Tommaso (PC), mais qui est aussi propriétaire d’un jardin maraîcher avec casa d’ortolano, dans S. Calimero (PR). Dans ces deux cas, l’implantation résidentielle est relativement récente puisqu’elle remonte à la fin du XVIIe siècle. Les Giulini sont originaires de Côme et c’est la voie traditionnelle du cursus honorum monarchique pour une famille de juristes qui occasionne son transfert à Milan132. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, leur patrimoine urbain ne subit pas de grandes modifications : le comte Cesare Giulini hérite du marquis Moriggia une boutique et une maison dans S. Lorenzo (PT), mais les biens sont rapidement revendus133. La valeur de ses propriétés est relativement modeste : 1 805 scudi pour la résidence dont une partie est louée – situation rare – et 907 scudi pour le jardin maraîcher. La famille du comte Benedetto Arese a des origines milanaises beaucoup plus anciennes que les Giulini, mais sa résidence de S. Babila n’a pourtant été acquise qu’en 1679134. Si les Giulini donnaient l’image d’un patrimoine relativement immobile dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, ce n’est pas le cas des Arese qui récupèrent, en 1768, une partie de l’héritage Lucini135 (pl. XVIII). Passant de deux à neuf biens entre 1750 et 1802, le patrimoine de la famille voit sa valeur doubler (de 4 097 à 8 396 scudi). L’obtention de nouvelles propriétés dans la paroisse de S. Simpliciano n’empêche pas un renforcement du centre patrimonial de S. Babila avec l’acquisition, dans les années 1790, de trois maisons voisines du palais, après d’importants travaux dans les années 1770136. À la fin du XVIIIe siècle, la configuration des propriétés Arese Lucini se caractérise ainsi par l’existence d’un double noyau patrimonial.
52Dans le cas des patrimoines moyens (six à sept biens), les phénomènes de regroupement des immeubles locatifs autour de la résidence sont encore majoritaires (pl. XIX). Au milieu du XVIIIe siècle, les Cavenago possèdent ainsi la totalité de leurs propriétés dans la paroisse de S. Tomaso in Terramara (PV). Il s’agit de leur résidence, estimée 2 522 scudi, et de cinq immeubles de location qui comprennent huit boutiques. L’implantation de la famille dans cette paroisse, bien visible dans la toponymie avec l’existence d’une contrada dei Cavenaghi, remonte au moins au milieu du XVIIe siècle et s’avère probablement plus ancienne137. Les Cavenago s’inscrivent dans un ancien lignage milanais, déjà présent dans les institutions civiques au XVe et XVIe siècles qui a acquis fief et titre au milieu du XVIIe siècle138. Entrés en possession de biens situés dans diverses paroisses de la ville au cours du XVIIe siècle, ils ne les ont pas conservés139. La famille s’est donc attachée exclusivement à préserver et renforcer l’ancrage territorial aux alentours immédiats de sa résidence et elle maintient un tel comportement dans la seconde moitié du XVIIIe siècle : le comte Ambrogio Cavenago revend rapidement les biens situés hors de S. Tomaso, notamment les deux maisons héritées du marquis Radenaschi en 1752140. Il s’attache en revanche à compléter le patrimoine de S. Tomaso par quatre achats entre 1770 et 1781 qui lui permettent de combler les vides existants (pl. XX). La fonction symbolique de ce patrimoine apparaît clairement et démontre l’emprise d’une vieille famille milanaise sur un territoire urbain. Les biens immobiliers dont elle dispose sont variés puisque l’on trouve plusieurs maisons dotées de boutiques, mais la rente procurée par celles-ci s’avère modeste comparée à celle d’édifices commerciaux plus centraux. Un agrandissement de l’emprise foncière autour de la résidence s’observe également pour les Stampa di Moncastello dans la paroisse de S. Babila ou pour la branche aînée des marquis Piantanida dans la paroisse de S. Eufemia. Une telle configuration concerne également les propriétés des Fagnani qui sont installés dans la paroisse de S. Maria Porta depuis le début du XVIIe siècle au moins141 et n’ont pas conservé les biens situés dans d’autres paroisses, sauf un immeuble dans S. Sisto. Les deux boutiques que comporte ce dernier ont pu présenter un intérêt économique particulier, justifiant leur conservation : elles donnent en effet sur le corso de Porta Ticinese, l’un des principaux axes commerciaux de la ville.
53Les « grands patrimoines », composés d’au moins huit biens, sont au nombre de 36. Seulement un tiers d’entre eux se caractérisent par leur forme compacte ou par une emprise spatiale remarquable dans une paroisse de la ville autour d’un noyau résidentiel (pl. XXI). Les patrimoines où toutes les propriétés sont contiguës ne dépassent jamais plus d’une dizaine de biens et sont en nombre très limité : c’est le cas des Crivelli dans S. Simpliciano ou des Rovida dans S. Stefano in Brolio. Les propriétés des Arconati, comtes de Lomazzo, constituent également un ensemble compact dans S. Pietro alla Vigna où ils habitent au moins depuis le début du XVIIe siècle142. Si les biens locatifs qui entourent la demeure sont au nombre de sept, il s’agit exclusivement d’immeubles à destination résidentielle et d’une valeur fort limitée (100 à 500 scudi), ce qui démontre le faible intérêt économique représenté par la propriété urbaine pour cette famille. Le cas des Rovida mérite de s’y arrêter car ils sont l’une des rares familles patriciennes à résider à proximité du centre politique et commercial de la ville, juste derrière la place du Verzaro. Les propriétés locatives qui entourent leur résidence de S. Stefano in Brolio sont, pour la totalité, des maisons de location avec boutiques. L’aspect compact de leur patrimoine est d’autant plus impressionnant qu’il se situe dans une zone de la ville où le foncier atteint des valeurs particulièrement importantes (voir chap. 4). La branche cadette, à la tête d’un patrimoine plus modeste (cinq biens contre onze pour la branche aînée), se trouve, elle aussi, implantée dans la paroisse de S. Stefano in Brolio (pl. XXII). Les Rovida appartiennent à une ancienne famille milanaise qui exerçait le commerce de la laine au début du XVe siècle et dont plusieurs membres furent notaires. Alessandro est le premier de la famille à entrer dans les institutions monarchiques, à la fin du XVIe siècle, et accède au poste prestigieux de régent en 1604 après avoir été avocat fiscal en 1592 puis sénateur en 1598. En 1610, la famille acquiert le fief de Mondondone et, la même année, le titre de comte. Comme pour de nombreuses autres familles, la carrière dans les institutions monarchiques a donc constitué la voie d’ascension sociale qui se poursuit par l’intégration aux institutions civiques au milieu du XVIIe siècle pour la branche cadette143. Il est fort probable que l’implantation des Rovida dans la paroisse de S. Stefano in Brolio soit contemporaine de l’ascension d’Alessandro. C’est en tout cas à ce moment qu’est réalisée la sépulture familiale dans l’église de S. Stefano144. Leur patrimoine ne subit quasiment pas de transformations dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, si ce n’est deux acquisitions dans la même paroisse, fruit de l’opportunité créée par les réformes ecclésiastiques145. Le patrimoine des Rovida est donc assez exceptionnel par le fait qu’il associe, dans le voisinage immédiat de la résidence, un immobilier à destination commerciale qui, par sa situation privilégiée, doit garantir des revenus importants.
54Les grands patrimoines pour lesquels toutes les parcelles sont proches de la résidence sont donc assez peu nombreux. Les familles à la tête d’unités immobilières supérieures à la dizaine se trouvent systématiquement confrontées à des formes d’éclatement : elles possèdent souvent un noyau central autour de la résidence, mais le reste des biens est dispersé dans la ville avec d’autres pôles mineurs ou sous forme d’unités isolées. Ces configurations sont le résultat des différents vecteurs par lesquels ces biens sont parvenus aux familles tandis que des contraintes juridiques ont pu les obliger à conserver ces différents pôles de propriété dans la ville. Le patrimoine des Bigli apparaît relativement resserré, du fait de l’emprise spatiale occupée par la résidence dans la paroisse de S. Bartolomeo (Porta Nuova). Celle-ci est entourée de quatre parcelles locatives dont deux semblent être des case da nobile. L’implantation de la famille dans la paroisse de S. Bartolomeo remonte au moins au XIVe siècle : à cette époque déjà, la rue où donnait leur résidence portait leur nom. Mais le patrimoine familial se constitue aussi d’autres propriétés qui sont éloignées de la résidence : deux maisons de location se trouvent dans la paroisse de S. Andrea et une maison avec hôtellerie dans celle de S. Giovanni Laterano (PR), à proximité du centre commercial. Le patrimoine des Borromeo possède une configuration similaire : le bloc original de S. Maria Pedone ne se compose que de trois parcelles locatives autour de la résidence, les autres se trouvant dispersées dans diverses paroisses et, en particulier, dans le centre de la ville où se trouvent plusieurs boutiques. Quant aux Melzi, ils possèdent deux pôles : le premier dans S. Maria Segreta où se situe la demeure familiale et six autres biens locatifs, le second dans S. Sebastiano avec trois parcelles à destination locative. Le premier noyau est la propriété du comte Francesco, l’autre est au nom de son fils Gaspare. Dans l’un comme dans l’autre de ces ensembles, la part de l’immobilier commercial est importante : les trois parcelles de S. Maria Segreta, situées à proximité de la résidence, accueillent une hôtellerie et des boutiques (onze au total) et ont été achetées dans la seconde moitié du XVIIe siècle146. Dans S. Sebastiano on trouve aussi une hôtellerie et cinq boutiques qui bénéficient du voisinage de la Balla, le grand marché des produits laitiers. Les Serbelloni, les Litta ou les Clerici démontrent aussi l’existence d’un noyau principal autour de la résidence, tandis que les autres propriétés proviennent soit d’héritages, soit de l’activité de crédit menée par ces familles. Dans tous ces cas où l’immobilier locatif entoure la résidence familiale, la valeur symbolique et sociale du patrimoine immobilier prime sur sa fonction économique, bien que celle-ci ne soit pas absente. La centralité patrimoniale de la résidence détermine l’existence de biens « périphériques » qui sont plus facilement cédés147. Il existe donc clairement une volonté de regrouper les possessions autour de la demeure familiale et la finalité de ces stratégies immobilières n’est pas celle de réaliser le placement le plus avantageux, mais plutôt de marquer l’emprise d’une famille sur un territoire précis, de créer des liens sociaux par la location d’immeubles, de constituer un glacis aux alentours de la résidence qui pourra éventuellement servir à l’agrandissement de celle-ci. Cette configuration, centrée sur la demeure familiale, est cependant loin de concerner l’ensemble des familles disposant de nombreuses propriétés.
La dispersion des immeubles : une stratégie d’investissement économique ?
55La dispersion des propriétés dans différents quartiers de la ville correspond souvent à une stratégie d’investissement économique qui cherche à privilégier la rentabilité et qui vise à diversifier les biens immobiliers. Dans le cas de la famille Pozzobonelli (pl. XIX), la résidence se trouve dans la paroisse de S. Giorgio in Palazzo (PT) et se révèle plutôt modeste pour une famille patricienne qui fit fortune grâce au commerce, qui fut intégrée dans les institutions et qui vient de donner un archevêque à la ville148. Leur patrimoine urbain, d’une valeur de 6 444 scudi au milieu du XVIIIe siècle, se compose de sept unités immobilières : à côté de leur résidence (1 388 scudi), les Pozzobonelli possèdent une maison de location avec cinq boutiques, d’une valeur importante (1590 scudi), qui a été constituée par plusieurs acquisitions successives entre 1668 et 1701149. Ces achats n’ont pas servi à agrandir la résidence, à l’inverse des opérations menées par d’autres familles, mais à constituer un ensemble locatif qui procure un revenu important étant donné son emplacement privilégié, à l’angle de la contrada della Balla. Les cinq autres propriétés de la famille se trouvent dispersées dans différentes paroisses et trois d’entre elles possèdent aussi des boutiques150. Dans le cas des Pozzobonelli, le patrimoine urbain semble donc investi d’une fonction essentiellement économique. Il constitue une source de revenus pour la famille comme en témoigne la place importante des boutiques, souvent situées à des emplacements stratégiques (carrefours urbains au niveau de la contrada della Balla, du corso de Porta Orientale, au débouché de la contrada du Rovello), qui contribuent à les valoriser. La résidence familiale, en revanche, n’a pas été l’objet d’investissements particulièrement importants. À la différence d’autres familles marchandes à l’ascension plus récente, les Pozzobonelli n’ont pas cherché à faire oublier leurs origines commerçantes par de somptueux investissements dans la pierre. Le cas des Carcano qui, comme les Pozzobonelli, ont d’anciennes origines milanaises et se sont enrichis grâce au commerce, confirme que les stratégies d’investissement dans un immobilier commercial s’accompagnent souvent d’une dispersion des propriétés : leur résidence, accompagnée d’une maison de location, se trouve dans S. Calimero (PR). Ils possèdent en revanche neuf boutiques réparties dans les principales paroisses commerciales du centre de la ville151. Les Carcano appartiennent au petit cercle des familles qui peuvent vanter une vieille origine milanaise, mais ils démontrent que l’ancienneté ne s’accompagne pas forcément d’un patrimoine compact dans la ville, ni d’une demeure particulièrement importante. Il est vrai que leur situation économique ne les place pas parmi l’élite patricienne et ne leur permet peut-être pas de mener de véritables stratégies d’implantation urbaine152. Si les Visconti di Brignano ont des origines bien différentes des Pozzobonelli153, la composition de leur patrimoine urbain est pourtant assez similaire avec une nette séparation de la résidence et de l’immobilier locatif qui a, lui aussi, été choisi ou conservé pour ses caractéristiques économiques : sur cinq parcelles locatives, trois possèdent des boutiques (cinq boutiques au total) et deux des hôtelleries.
56Une telle configuration de dispersion des biens est évidemment davantage répandue dans le cas des grands patrimoines (pl. XXIII). Les Calderara (branche aînée des marquis de Turano) possèdent certes plusieurs boutiques à proximité de leur résidence, dans la paroisse de S. Giorgio in Palazzo, mais les quinze autres propriétés sont dispersées dans l’espace urbain, constituant plusieurs petits blocs de deux ou trois parcelles voisines. À l’exception d’une autre maison dotée de trois boutiques dans S. Sebastiano, le reste des propriétés se compose de simples maisons de location. On ne peut donc pas attribuer cette dispersion à une stratégie de diversification du patrimoine et au choix d’emplacements commerciaux favorables. Sans doute faut-il y voir le résultat de l’activité de crédit, pratiquée par la famille depuis son arrivée à Milan en 1617, qui l’a fait entrer en possession des biens de ses débiteurs154. La cession d’une grande partie de ces propriétés au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle témoigne du peu d’intérêt que les Calderara leur portent. Quant aux vingt parcelles des Recalcati, l’aspect de dispersion est encore plus net. Certes, près de la moitié des parcelles se situent dans la paroisse de S. Bartolomeo (PN), mais elles ne forment pas un ensemble compact : il s’agit essentiellement de simples immeubles de location dont deux possèdent une vocation industrielle avec la présence d’un moulin et d’une teinturerie. La valeur élevée de deux parcelles dans S. Babila et S. Bartolomeo laisse penser qu’il s’agit de case da nobile, mais la famille n’y réside pas au milieu du XVIIIe siècle. Il est toutefois probable que les Recalcati aient habité S. Bartolomeo où se trouvent leurs sépultures familiales. Ceci expliquerait l’importance de leurs propriétés dans cette paroisse tandis que leur configuration éclatée laisse penser que nombre d’entre elles proviennent d’opérations de crédit en faveur du voisinage. Sur les dix-neuf parcelles que la famille possède, seulement quatre sont des maisons avec boutiques, dispersées dans les quartiers de Porta Orientale, Porta Comasina, Porta Ticinese et Porta Vercellina. Le parcours des Recalcati est semblable à celui des Calderara : dans les deux cas, il s’agit de familles provenant du monde marchand qui se sont enrichies grâce aux finances publiques. Si les Calderara possédaient la Ferme du sel au milieu du XVIIe siècle, les Recalcati étaient commissaires généraux des impôts. Les Recalcati, durant la seconde moitié du XVIIIe siècle, cèdent, comme les Calderara, plusieurs immeubles (ventes ou contrats de livello), mais on ne constate pas de véritables logiques spatiales dans les évolutions patrimoniales155. C’est peut-être parce que l’ascension sociale des Calderara et des Recalcati se situe dans un contexte plus tardif que celui des Arese, des Crivelli ou des Durini qu’il leur a été plus difficile de créer des blocs de propriétés à la manière des précédents. Il est aussi possible que ce modèle d’un patrimoine compact ne soit pas recherché par toutes les familles patriciennes. En effet, à l’inverse des Recalcati et des Calderara, les Visconti di Somma-Modrone appartiennent à une vieille et prestigieuse famille milanaise156. Ils figurent parmi les premiers propriétaires urbains avec 24 biens pour 19 000 scudi, mais ceux-ci sont largement dispersés dans la ville, à l’exception de deux petits noyaux de propriétés autour de leurs résidences. La très grande majorité des immeubles possède une fonction commerciale : celle-ci concerne dix parcelles qui accueillent au total 26 boutiques. On peut donc supposer que le choix d’un immobilier commercial a largement déterminé cette dispersion. Au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle, le patrimoine immobilier s’accroît, passant à 24 000 scudi, mais il ne connaît pas de véritable recomposition spatiale. Le patrimoine des Monti, un peu plus petit que les précédents (douze biens pour une valeur de 13 380 scudi), démontre encore une parfaite dissociation entre la résidence et les immeubles locatifs parmi lesquels les boutiques occupent une place non négligeable157. Là encore, il s’agit d’une ancienne famille milanaise, présente au Conseil des Neuf Cents au XIVe siècle, qui siège de manière très régulière au Consiglio Generale entre le XVIe et le XVIIIe siècle et qui a donné plusieurs sénateurs et un archevêque à Milan. Le noyau de S. Eusebio, qui comprend deux case da nobile, correspond à l’ancienne implantation de la famille, abandonnée au cours du XVIIe siècle. En effet, en 1642, Cesare Monti, archevêque de Milan, veut procurer à la famille une résidence plus prestigieuse et acquiert un nouveau palais sur le corso de Porta Tosa (S. Stefano in Brolio)158. Le transfert de la famille dans cette nouvelle demeure n’empêche pas de compléter le noyau originel de S. Eusebio dans la seconde moitié du XVIIe siècle159. C’est une configuration semblable, celle d’une séparation géographique entre la résidence et le patrimoine locatif qui caractérise aussi les Magenta160 ou les Archinto161, d’anciennes familles milanaises. Dans le cas de ces familles, on retrouve à une échelle un peu plus grande, le modèle déjà observé pour les Pozzobonelli qui privilégie l’immobilier urbain procurant un rendement important et qui se contente d’une résidence à la valeur relativement minime pour la position économique et sociale de la famille. La volonté de posséder des immeubles variés, comprenant des édifices commerciaux, des hôtelleries et exploitant les emplacements favorables, tels les carrefours urbains, explique ainsi largement l’éclatement des patrimoines à l’intérieur de la ville.
57L’existence d’une concentration spatiale des biens n’apparaît donc pas en relation avec l’ancienneté de l’implantation urbaine et du statut patricien de la famille : dans les deux cas de figure (regroupement / dispersion) on trouve des familles récentes (les Clerici, les Recalcati, les Calderara) ou des familles anciennes (les Borromeo, les Taverna, les Archinto). Dans le cas des petits patrimoines, prime généralement le regroupement des biens locatifs autour de la demeure familiale qui s’avère aussi plus simple quand il ne s’agit que d’un ou deux biens. Pour les gros patrimoines, les situations sont plus diversifiées. Si certaines familles se sont constitué un noyau de propriétés autour de leur résidence, d’autres ont choisi ou conservé une configuration éclatée qui peut garantir la possession de divers types de biens et notamment d’un immobilier commercial, procurant les plus gros rapports (boutiques, sostre, hôtelleries, dazi). Une politique d’investissement économique se trouve donc souvent en contradiction avec une logique privilégiant les aspects symboliques et cherchant à conforter l’emprise foncière dans un quartier précis. Dans le cas vénitien, la relative rareté des patrimoines compacts a été soulignée par J.-F. Chauvard qui notait que les grands investisseurs étaient manifestement guidés davantage par des logiques économiques que par des logiques spatiales et que l’étroitesse du marché ne leur laissait pas beaucoup de choix. L’extension d’agrégats existants s’y avérait donc relativement rare malgré l’existence d’un droit de préemption en faveur de parents ou de voisins162. La configuration spatiale des patrimoines s’avère donc étroitement liée aux stratégies choisies par la famille, qu’il s’agisse de privilégier la rentabilité économique (dispersion des biens) ou au contraire les apparences symboliques (regroupement des propriétés autour de la résidence). Les principaux facteurs de circulation des biens immobiliers (dots, héritages, crédit…) ont pu aussi contribuer à une relative dispersion des patrimoines sur le long terme. Certaines familles n’ont pas forcément adopté de véritables stratégies immobilières et ont pu se contenter de conserver les biens qui leur parvenaient par des opérations de crédit ou des héritages.
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58Pour mener à bien leurs stratégies d’implantation urbaine, les patriciens peuvent s’appuyer sur un cadre juridique qui leur accorde un droit de préemption et même d’expropriation sur les immeubles voisins de leur résidence. La pratique du crédit et l’endettement important qui caractérisent les propriétaires urbains après la crise de 1630 favorisent leurs politiques d’acquisitions immobilières ainsi que les suppressions ecclésiastiques à partir des années 1770. Enfin, le prestige social et le rôle institutionnel représentent des atouts déterminants pour obtenir les propriétés convoitées aux meilleures conditions possibles. Les stratégies de conquête foncière placent au cœur des motivations la réalisation d’une résidence digne du prestige familial : celle-ci constitue le noyau original et les nombreux achats postérieurs sont parfois directement destinés à permettre son agrandissement. Mais une partie des immeubles conserve aussi une fonction locative du moins dans le court terme. Ils contribuent alors à renforcer l’emprise de la famille dans un quartier et constituent une réserve foncière pour d’éventuels travaux à venir dans la demeure. Entourer la résidence d’un glacis de biens locatifs est en effet le moyen de se garantir des possibilités d’extension et de permettre l’ancrage de la famille sur la longue durée. Pourtant, la constitution de tels patrimoines urbains dans un laps de temps limité apparaît relativement rare : elle concerne les familles économiquement les plus favorisées, qui ont réussi à profiter d’une conjoncture favorable et qui peuvent mobiliser leur puissance sociale au service de leurs stratégies immobilières. Parallèlement au marché immobilier urbain d’autres ressources existent pour compléter ponctuellement l’emprise foncière dans un lieu donné : il s’agit des concessions d’espace public.
Notes de bas de page
1 Ces stratégies de conquête de l’espace ont été particulièrement étudiées dans le cas du patriciat vénitien : J.-F. Chauvard, La circulation des biens à Venise : stratégies patrimoniales et marché immobilier (1600-1750), Rome, 2005 ; E. Concina, Venezia nell’età moderna : strutture e funzioni, Venise, 1989 (p. 217 en particulier).
2 R. Maschio, Investimenti delle Scuole Grandi a Venezia, dans A. Guarducci (dir.), Investimenti e civiltà urbana, secoli XII-XVIII, Bagno a Ripoli, 1989, p. 383-426 (p. 422).
3 Sur la théorie du cycle économique de vie : L. Arrondel, Cycle de vie et composition du patrimoine : un regard théorique, Paris, 1993.
4 J.-F. Chauvard, La circulation des biens à Venise… cit., p. 4.
5 Sur l’économie d’Ancien Régime : J.-Y. Grenier, L’économie d’Ancien Régime : un monde de l’échange et de l’incertitude, Paris, 1996 ; R. Ago, Economia barocca, mercato e istituzioni nella Roma del Seicento, Rome, 1998.
6 La documentation se trouve dans ASM, Fondo Clerici, cart. 9.
7 ASM, Sormani Andreani Verri, cart. 405, Palazzo dei Cani, acte de vente en date du 21 mai 1778, r° Carlo Negri et Agostino Perrocchio.
8 ABIB, Milano, case via S. Orsola, acquisti. Dans le cadastre, il s’agit du n° 67 de S. Maria Pedone, estimé 1944 scudi et enregistré comme maison de location.
9 A. Cogné, Le fidéicommis, un instrument d’immobilisation des patrimoines ? Le cas de la Lombardie durant la période moderne, dans MEFRIM, 124-2, 2012, p. 501-517.
10 Constitutiones Dominii Mediolanensis decretis et Senatus consultis, édité par Gabriele Verri, Milan, 1747, livre III, p. 172 : « Quicunque in aliqua ex Civitatibus hujus Dominii laute aedificare voluerit, et domum, aream, locumve alium privatum contiguum habuerit, qui novo aedificio quoquomodo usui ad ejus lautitiam esse possit ; teneantur et debeat is, cujus domus, area, locusque, cujusvis, fuerit, ea vendere aedificare volenti, si tamen is ultra justum pretium quartum plus exponere, et dare fit paratus ». Sur l’évolution du concept d’expropriation pour utilité publique dans les théories juridiques : U. Nicolini, La proprietà, il principe e l’espropriazione per pubblica utilità, Milan, 1940.
11 Sur la politique urbanistique des ducs de Milan : G. Soldi Rondinini, Le strutture urbanistiche di Milano durante l’età di Ludovico il Moro, dans Milano nell’età di Ludovico il Moro, t. 1, Milan, 1983, p. 553-576 ; P. Boucheron, Le pouvoir de bâtir : urbanisme et politique édilitaire à Milan (XIVe-XVe siècles), Rome, 1998.
12 A. Visconti, Il diritto privato nelle Nuove Costituzioni dello Stato milanese, dans Rivista di diritto civile, 4, 1912, p. 433-468.
13 J. Delumeau, Vie sociale et économique de Rome dans la seconde moitié du XVIe siècle, Paris, 1957, p. 231 et sq. À Rome, le principe de l’expropriation est posé par Sixte V en 1480, pour cause d’intérêt public. La compensation pour le propriétaire est fixée au prix estimé par les experts augmenté d’un quart. Rome comporte alors de nombreuses maisons étroites et abandonnées et la volonté de réunir deux maisons en une seule est à la base de la politique édilitaire romaine. Les propriétaires de maisons en ruine sont ainsi contraints de les vendre à qui voudra s’en servir ou se servir de leur emplacement pour construire. En outre, les propriétaires qui louent leur maison sans y résider eux-mêmes pourront aussi être contraints à les vendre à leurs voisins qui désirent agrandir leurs habitations. La mesure est reprise en 1574 par la constitution de Grégoire XIII.
14 L. Giacomini, Costruire una lauta dimora : Milano nell’età dei Borromeo, 1560- 1631, Benevento, 2007.
15 Ce constat est réalisé par G. Signorotto, Milano spagnola : guerra, istituzioni, uomini di governo (1635-1660), Milan, 1996, p. 154.
16 P. Bourdieu, Les structures sociales de l’économie, Paris, 2000.
17 ASM, Notarile, cart. 46 471.
18 R. Ago, Economia barocca… cit., p. 202. « Non di rado, infatti, il contenuto attuale della transazione passa in secondo piano rispetto a quello potenziale, rappresentato dal valore sociale del debitore e dalla sua capacità di offrire accesso ad altre risorse. E la relazione che cosi si instaura tra le parti non sa parlare altro linguaggio che quello della grazia. Ecco allora che reclamare con troppa insistenza il pagamento di un debito diventa controproducente… ».
19 ABIB, Milano, Piazza Borromeo, case 2840 et 2841.
20 C. Capra, La Lombardia austriaca… cit.
21 ABIB, Milano, Piazza Borromeo, case 2840 et 2841, acquisti 1708-1722. Les 96 000 lires du prix de vente sont à verser à différents créditeurs des Carpani, en particulier au marquis Ercole D’Adda (36 000 lires) et à divers monastères.
22 ASM, Fondo Serbelloni, cart. 17.
23 ASM, Catasto, Trasporti. Don Alessandro Ottolini acquiert les parcelles n° 21 et 23 de S. Pietro in Caminadella (enregistrement en 1765) puis le n° 20 (enregistrement en 1781), qui étaient des propriétés de l’hôpital.
24 Les listes annuelles des députés sont incomplètes, notamment à partir de 1760 (AOM, Origine et dotazione. Fondazione e storia, cart. 4, deputati patrizi).
25 G. Chittolini, Un problema aperto : la crisi della proprietà ecclesiastica fra ‘400 e ‘500. Locazioni novennali, spese di migliorie ed investiture perpetue nella pianura lombardia, dans Rivista storica italiana, 85, 1973, p. 353-393.
26 Leur importance fut soulignée dans différents cadres géographiques et à différentes époques. Pour la France d’Ancien-Régime : G. Beaur, Foncier et crédit dans les sociétés préindustrielles : des liens solides ou des chaînes fragiles ?, dans Annales HSS, 6, nov-déc 1994, p. 1411-1428 ; Id., Au comptant ou à crédit : comment financer une acquisition foncière au XVIIIe siècle ?, dans M. Balard, J. C. Hervé, N. Lemaître (dir.), Paris et ses campagnes sous l’Ancien Régime : mélanges offerts à Jean Jacquart, Paris, 1994, p. 47- 56 ; P. T. Hoffman, G. Postel-Vinay et J.-L. Rosenthal, Économie et politique : le marché du crédit à Paris 1750-1840, dans Annales, histoire, sciences sociales, 2, 1994, p. 65-98 ; G. Postel-Vinay, La terre et l’argent : l’agriculture et le crédit en France du XVIIIe au début du XXe siècle, Paris, 1998, p. 9-177. Dans le cadre plus spécifiquement italien et urbain, il a été envisagé pour la Rome médiévale : E. Hubert, Propriété immobilière et crédit à Rome dans la seconde moitié du XIVe siècle : quelques mécanismes, dans F. Menant et O. Redon (dir.), Notaires et crédit dans l’Occident méditerranéen médiéval, Rome, 2004. p. 173-184. E. Hubert, Espace urbain et habitat à Rome du Xe à la fin du XIIe siècle, Rome, 1990. Pour Venise à l’époque moderne : J.-F. Chauvard, La circulation des biens… cit, en particulier p. 101-108. Pour Milan au Moyen Âge : E. Saita, Case e mercato immobiliare a Milano in età viscontea-sforzesca (secoli XIV-XV), Milan, 2003, en particulier p. 328 et sq.
27 E. Hubert soulignait la difficulté à repérer cette pratique dans la Rome du XIVe siècle car les actes de vente ne stipulaient pas, sauf rares exceptions, les clauses de rétrocession. Les promesses de restitution pouvaient parfois faire l’objet d’un acte séparé. À Milan, à la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe siècle, la procédure est relativement explicite car la formule « con patto di grazia di X anni » ou « con patto di redimere » apparaît clairement dans l’acte.
28 Sur l’importance des investissements fonciers au XVIIe siècle : A. De Maddalena, L’immobilizzazione della ricchezza : movimenti, esperienze, interpretazioni, dans Annali di storia economica e sociale, 6, 1965, p. 39-72.
29 Sur les difficultés économiques et la reconversion profonde qui suit la crise de 1630 : L. Faccini, La Lombardia fra ‘600 et ‘700 : riconversione economica e mutamenti sociali, Milan, 1988, en particulier p. 17-39.
30 ASM, Stilati della prattica dei SS Ing. collegiati di Milano intorno alle servitù urbane, bob. 1, registre 1. Note en date du 12 février 1656 « Sul deterioramento patito nel prezzo delle case a causa del contaggio del 1630 ».
31 C. Geddo, Il cardinale Angelo Maria Durini (1725-1796) : un mecenate lombardo nell’Europa dei Lumi fra arte, lettere e diplomazia, Milan, 2011, p. 29. Sur les Durini, voir aussi : C. Cremonini, Breve storia della famiglia Durini, banchieri milanesi, conti di Monza, tra marcatura, nobiltà e interessi culturali, dans Le ville Mirabello e Mirabellino nel parco reale di Monza, Monza, 2006, p. 12-31 ; K. Lofrano, « Ricerche sulla famiglia Durini tra XVII e XIX secolo », tesi di laurea, Università degli Studi di Milano, année 2000-2001.
32 Acte du 16 décembre 1632, r° Gerolamo Vellano. Il s’agit d’une maison dans la contrada de S. Antonio (PR) et d’une autre dans la paroisse de S. Pietro all’Orto (PO). Les deux immeubles seront revendus avant 1750.
33 K. Lofrano, op. cit. La documentation se trouve dans ASM, Notarile, cart 27 526 : acte du 21 juillet 1644, r° G. B. Aliprandi, qui stipule l’achat de deux maisons à Pietro Mandelli pour 87 000 L. Le 16 février 1645, G. B. Durini acquiert auprès de Giuseppe Monti, une maison voisine pour 10 900 L, puis le 15 février 1645, il achète un immeuble à Margherita Niguarda pour 5 600 L.
34 I. Giustina, Indagine sull’aspetto distributivo dell’edilizia residenziale a Milano nella prima metà del Seicento : il caso di Palazzo Durini, dans A. Scotti Tosini (dir.), Aspetti dell’abitare in Italia tra XV e XVI secolo : distribuzione, funzioni, impianti, Milan, 2001, p. 203-217 ; R. Calzini, Il Palazzo e la famiglia Durini in due secoli di vita milanese (1648-1848), Milan, 1923. Sur les décorations intérieures du palais : C. Geddo, op. cit., p. 35 et sq.
35 Pour la concession de terrain public : ASCM, Località milanesi, cart. 167, fasc. 3.
36 Archivio Rosales, Amministrazione, cart. 3, fasc. 12.
37 Actes du 25 avril 1733, r° Pietro Antonio Rusca ; du 14 octobre 1737, r° Carlo Fabrizio Beretta ; du 5 août 1743 ; du 20 juillet 1744, r° Antonio Maggi ; du 21 avril 1745, r° Gio Maria Valera ; du 15 octobre 1746, r° Gian Tomaso Ferrario.
38 C. Capra, La Lombardia austriaca… cit., p. 230-251.
39 La Prammatica di ammortizzazione du 5 septembre 1767 interdit l’introduction dans l’État de nouveaux corps religieux, la construction de nouvelles églises et d’oratoires. Elle interdit aussi l’acquisition de nouveaux biens par les communautés religieuses. Les legs testamentaires ne sont permis que pour les hôpitaux et pour la restauration d’églises en ruine ; la fondation de bénéfices de messe est soumise à l’autorisation de l’impératrice. En 1772, le nombre des clercs et des réguliers est limité et la mesure s’applique, le 8 mars 1774, au nombre de religieuses. À partir de 1769 un contrôle des bilans financiers des monastères est mis en place.
40 M. A. Chisini Bulak, Sulla politica ecclesiastica dell’assolutismo illuminato nella Lombardia austriaca : il piano di sussistenza dei monasteri cassinesi, dans ASL, 1956, p. 262-305 ; P. Vismara Chiappa, La sopressione dei conventi e dei monasteri in Lombardia nell’età teresiana, dans A. De Maddalena, E. Rotelli, G. Barbarisi (dir.), Economia, istituzioni e cultura... cit. t. 3, p. 481-500 ; Id., Le sopressioni dei monasteri benedettini : un episodio dei rapporti Stato-Chiesa nella Lombardia teresio-giuseppina e napoleonica, dans Archivio Ambrosiano, 1981, p. 138-201. M. Taccolini, Per il pubblico bene : la soppressione di monasteri e conventi nella Lombardia del secondo Settecento, Rome, 2000.
41 B. Genero, La sopressione di case e collegi della Compagnia di Gesù in Lombardia in età teresiana, dans A. De Maddalena, E. Rotelli, G. Barbarisi (éd.), Economia, istituzioni e cultura... cit., t. 3, p. 501-508.
42 Sur la politique ecclésiastique de Joseph II : C. Capra, La Lombardia austriaca... cit., p. 343-357 ; E. Garms-Cornides, Giuseppinismo e riformismo cattolico : problemi sempre aperti nella storiografia austriaca, dans Quaderni storici, 15, sept-déc. 1970, p. 759-772 ; F. A. J. Szabo, Intorno alle origini del Giuseppinismo, dans Società e Storia, 1979, p. 155-174 ; F. Maass, Der Josephinismus : Quellen zu seiner Geschichte, I, Ursprung und Wesen des Josephinismus, 1760-1769, Vienne, 1951 ; Id.,…, II, Entsaltung und Krise des Josephinismus, 1770-1790, Vienne, 1953. Voir aussi L. Sebastiani, Proposte di ricerca per una storia religiosa lombarda tra il 1750 e il 1815, dans Problemi di storia religiosa lombarda, Côme, 1972, p. 187-195 ; C. Castiglioni, Sopressioni religiose avanti la Rivoluzione francese, dans Memorie storiche della diocesi di Milano, Milan, 1954, p. 7-38 ; C. Cuccia, La Lombardia alla fine dell’Ancien régime, Florence, 1971.
43 Cité par F. Valsecchi, Giuseppe II e l’offensivo contra la chiesa, dans Storia di Milano, XII, Milan, 1959, p. 360 et sq.
44 Sur les suppressions napoléoniennes : A. Cova, La vendita dei beni nazionali in Lombardia durante la prima e la seconda repubblica cisalpina (1796-1802), dans Economia e Storia, 3 et 4, 1963, p. 335-412 et p. 556-581 ; U. Marcelli, La vendita dei beni nazionali nella repubblica cisalpina, Bologne, 1973 et plus récemment M. P. Donato, D. Armando, M. Cattaneo, J.-F. Chauvard (dir.), Atlante storico dell’Italia napoleonica, Rome, 2013.
45 L. Patetta, Sopressione di ordini religiosi e riuso civile dei beni in Lombardia, dans G. L. Fontana et A. Lazzarini (éd.), Veneto e Lombardia tra rivoluzione giacobina ed età napoleonica : economia, territorio, istituzioni, Milan-Rome, 1992, p. 371-397 ; L. Patetta, Il ruolo del demanio e del patrimonio pubblico nella costruzione della città. Il caso di Milano, dans Demanio e patrimonio pubblico nella gestione della città, Milan, 1980, p. 19-26. Outre des usages administratifs et gouvernementaux, les ex-propriétés ecclésiastiques de Milan ont accueilli l’Académie des Beaux-Arts de Brera, la Poste Royale, le Mont de Pieté, un orphelinat, la Casa dei Poveri et plusieurs écoles.
46 Ces chiffres sont donnés par L. Patetta (Il ruolo… cit.), mais l’auteur souligne lui-même leur caractère incertain. Au moins sept monastères sont mis aux enchères et acquis par des particuliers.
47 ASM, Fondi camerali, p. a., cart. 183 (Comuni Milano, 1788-1801), Elenco delle case in Milano di ragione del Fondo di Religione che restano d’alienarsi sotto il primo maggio 1789.
48 Parmi ces cessions, on dénombre environ une vingtaine de contrats de livello, mais le chiffre serait à confirmer par l’étude des actes notariés.
49 On recense ainsi 11 ventes en faveur de patriciens enregistrées au cours des années 1770, 10 pour les années 1780, 29 pour les années 1790 et 12 pour les années 1800-1802.
50 Crivelli, Vecchio, cart. 25, fasc. 4. Acte de vente du 18 août 1798, ratifié le 19 mars 1799 par le notaire Gaetano Sacchi. L’ortaglia était estimée dans le cadastre pour 5 541 scudi, la portion qui revient aux Crivelli équivaut à 4 305 scudi.
51 ASM, Notarile, cart. 44 217, acte du 31 juillet 1777, r° C. L. Rusca.
52 ASM, Fondi Camerali p.a., cart. 2, lettre du 24 mai 1786 ; ASM, Fondi Camerali, cart. 182. Le marquis Recalcati demande à pouvoir acquérir deux maisons à Binasco en dehors des enchères ; le marquis Brivio s’avère intéressé par les eaux de Lisoncello ; les Litta sont candidats à l’achat de la possession de Roncaro (propriété de l’ex-monastère S. Agata de Pavie) ; les Malaspina voudraient la possession de Merone (propriété de l’ex monastère S. Felice de Pavie) ; la demande des Serbelloni porte sur deux petites métairies à Cornaredo, etc.
53 ASM, Fondi camerali p. a., cart. 182, Note de Kaunitz en juin 1786 : « (...) Ho veduto egualmente che appunto le famiglie più comode sono quelle, che per gli acquisti che intendono fare, desiderano la dispensa dell’asta, come il marchese Sforza Brivio, ed il marchese Recalcati : è chiara la convenienza, che li determina alla compra ; dovrebbero essi appunto per questo assicurare con una migliore obblazione la propria convenienza, che certamente è valutabile per i medesimi (...) ».
54 ASM, Fondi Camerali p. a., cart. 182, note du 26 octobre 1786.
55 ASM, Fondi Camerali p.a., cart. 2, lettre du 19 octobre 1786.
56 ASM, Fondi Camerali p.a., cart. 1, lettre du 14 février 1785. Cette dispense des enchères a été diffusée par le biais d’avis publics (voir avis du 26 janvier 1785 dans Bibli. Braid. Gridario Gallarati, t. V, f° 135).
57 Acte du 6 octobre 1767, r° Giambatta Mascaroni. La vente concerne les parcelles n° 20 et 21 de S. Pietro alla Rete et n° 28 de S. Donnino (PN). Elles sont toutes trois voisines et comprenaient la résidence Olivazzi. La famille Olivazzi est originaire d’Alessandria et possède le fief de Quattordio depuis 1673. Giorgio fut sénateur en 1710, obtint le titre de marquis de Spinola en 1713 puis fut Grand chancelier de l’État de Milan pour le roi de Sardaigne (1733).
58 Acte du 2 avril 1789, r° Felice Antonio Castiglioni. La vente concerne l’ancien édifice du Collège et deux maisons de location voisines.
59 La documentation des permis de construire fait seulement état d’une demande d’ouverture de porte dans la contrada dei fiori chiari en 1795 (ASCM, Località Milanesi, cart. 171, fasc. 10).
60 ASCM, Località Milanesi, cart. 421, fasc. 2.
61 Il s’agit de la parcelle n° 22 de S. Eusebio (PN) qui se trouve dans la proximité immédiate de sa résidence de Brera.
62 Une portion équivalent à 1 240 scudi est revendue à la Fabrique du Duomo, une autre de 1 200 scudi à Giovanni Battista Cesati et enfin une troisième de 1 477 scudi à Luigi Veladini. Ferdinando Cusani ne conserve donc qu’une partie du monastère équivalent à 373 scudi.
63 ASM, Notarile, cart. 44 741, acte du 18 août 1790 : vente de la possession de Robadello au marquis Talenti da Fiorenza pour 193 000 lires.
64 En 1751, le marquis Antonio Giorgio Clerici possède 34 parcelles pour 27 788 scudi, le marquis Crivelli 9 parcelles pour 10 508 scudi, les Litta Visconti Arese 19 parcelles pour 20 734 scudi et les Serbelloni 8 parcelles pour 13 665 scudi.
65 Le cas Crivelli a été analysé de manière plus approfondie dans A. Cogné, Constitution, usages et transmission d’un patrimoine urbain : la famille Crivelli d’Agliate à Milan (XVIIe-XVIIIe siècle), dans MEFRIM, 119-2, 2007, p. 475-499.
66 La lignée qui nous intéresse ici et qui entre en possession du fief d’Agliate avait accédé à des charges institutionnelles et diplomatiques à l’époque des Sforza. Lodrisio, en particulier, fut membre du Collège des Jurisconsultes en 1450, puis ambassadeur à Gênes en 1456-1457. Voir Teatro Genealogico… cit. ; F. Leverotti, Diplomazia e governo dello Stato : i « famigli cavalcanti » di Francesco Sforza (1450-1466), Pise, 1992 ; ASM, Crivelli, Araldica, cart. 46. Avec l’instauration de la souveraineté espagnole, dans les années 1530, la famille s’insère dans les institutions monarchiques et milanaises : Giovanni Battista, fils d’Enea, obtient un poste au Magistrato Ordinario en 1556 tandis que son frère, Giovanni Francesco, figure comme membre du Conseil des Soixante décurions entre 1537 et 1560. Pourtant, cette insertion ne dure qu’une génération, car la famille connaît ensuite une certaine éclipse que C. Cremonini explique par ses difficultés à nouer des relations avec la cour de Madrid : C. Cremonini, Percorsi politici e identità sociale di una famiglia lombarda tra Sacro Romano Impero e monarchia cattolica : I Crivelli di Agliate, dans Cheiron, 29 (« Titolati, cadetti e parvenus. Il caso lombardo tra Antico regime e Rivoluzione francese »), 1999, p. 25-75.
67 La famille Crivelli recueille en 1580 l’héritage de Tiberio Giussani (frère d’Aurelia Giussani, l’épouse de Giovanni Battista Crivelli : testament du 8 septembre 1580, r° Giacomo Antonio Ronco). Les nombreuses terres qui le composent formeront le noyau du futur patrimoine Crivelli (2 330 perches). Quelques années plus tard, en 1594, un nouvel héritage leur parvient, celui de Giovanni Paolo Gallina, frère d’Anna, épouse de Flaminio (2 019 perches.).
68 ASM, Crivelli, Case Milano, cart. 1. La somme mentionnée est l’addition des prix de vente et non le coût final auquel il faudrait ajouter les intérêts, parfois énormes, pour paiement différé.
69 ASM, Crivelli, Case Milano, cart. 10.
70 ASM, Crivelli, case Milano, cart. 1, Memorie circa il palazzo Crivelli.
71 L’inventaire réalisé en 1656 lors de la succession de Flaminio Crivelli décrit ainsi l’ensemble immobilier : « casa da nobile (…), con annessa altra casa a mano dritta quale serve per le carozze, per cavalli e per servitù, e un altro casino a mano sinistra entrando, quale serve per fare cucina e per le donne » (ASM, Crivelli, case Milano, cart. 10).
72 Les demandes de permis de construire témoignent d’interventions en 1633 et 1694, (ASCM, Località Milanesi, cart. 266/1). Les archives familiales gardent la trace d’autres interventions sur lesquelles nous reviendrons au chap. 8 pour envisager leur contenu économique.
73 Voir K. Visconti, Feudo e società nel contado milanese tra Sei e Settecento, dans Annali di Storia moderna e contemporanea, 9, 2003, p. 193-263 (en particulier p. 243-259 sur le cas Crivelli).
74 ASM, Crivelli, Case Milano, cart. 2.
75 Il s’agit de la branche des comtes de Castellambro qui ne figure pas dans la Matricola teresiana puisqu’elle s’est éteinte.
76 Les actes d’achats figurent dans AOM, Fondo Litta, cart. 252 (primogenitura Arese), fasc. 1
77 Son ancrage dans Porta Vercellina est ancien : en 1461, Bartolomeo I Arese habitait S. Maria Segreta (PV) puis S. Maria Pedone (PV) en 1484. En 1499, son fils Marco Antonio figure comme résidant de S. Vittore al Teatro (PV), de même qu’en 1502 et 1523. En 1534, Bartolomeo Arese (l’arrière grand-père de Bartolomeo III) avait fait l’acquisition de deux maisons et d’un jardin situés dans les paroisses de S. Maria Porta et S. Nicolao (AOM, Fondo Litta, cart. 252, acte du 22 décembre 1534, r° Giovanni Francesco Vergo). L’achat réalisé auprès de Giovanni Porrone s’élève à 2 750 lires et est destiné à devenir sa résidence puisque sa présence y est attestée en 1541 (voir documentation de la demande d’admission au Collège des Jurisconsultes du comte Bartolomeo Arese en 1631 : ASM, Araldica p.a., cart. 45).
78 Teatro Genealogico… cit. Martino est marchand de laine, décrit dans la matricule de 1398. Son arrière petit-fils, Giovanni Francesco est banquier et abbé des marchands au milieu du XVIe siècle. Giacomo, au milieu du XIVe siècle, était désigné comme « légiste et avocat ».
79 Les membres du Consiglio Generale furent : Giulio (1596-1627) puis le comte Bartolomeo (1627-1674) et son frère Lodovico (1646-1650).
80 Sur la famille Omodei : A. Spiriti, Il cardinale Luigi Alessandro Omodei e la sua famiglia : documenti e considerazioni, dans ASL, 1993, p. 107-127.
81 Voir G. Signorotto, Milano spagnola : guerra, istituzioni, uomini di governo (1635- 1660), Milan, 1996, en particulier p. 146-160 ; G. Leti, Il governo del Duca d’Ossuna e la vita di Bartolomeo Arese, Milan, 1854 (il s’agit en fait de la publication de deux ouvrages écrits par Giovanni Gerolamo Arconati Lamberti en 1678 et 1682. À ce sujet, voir A. Spiriti, La vita del Conte Bartolomeo Arese fra ekphraseis e strategie politiche, dans Annali di Storia moderna e contemporanea, 11, 2005, p. 85-112).
82 Sur Francesco Maria Ricchini (1584-1658), voir Storia di Milano… cit., t. X, p. 635-645. Influencé par le baroque romain après un séjour à Rome, il participe notamment au chantier du Duomo de Milan et intervient pour la construction ou la réfection d’un nombre considérable d’églises (S. Maria di Loreto, S. Agostino delle Umiliate, S. Ulrico, S. Eusebio, S. Nazaro Pietrasanta, etc…), bénéficiant de l’appui du cardinal Federico Borromeo. Il réalise notamment le portail du séminaire de Milan et la façade du Collège helvétique. Il dirige les aménagements du palais ducal à l’occasion de la venue de la reine d’Espagne (1649), la restauration de S. Ambrogio, la construction du collège des Jésuites de Brera (1651). Outre le palais Arese, il bâtit plusieurs des principaux palais milanais du XVIIe siècle : en particulier le palais Annone de Porta Romana (1631) et le palais Durini (1645).
83 La magnificence des fêtes organisées dans le palais Arese à cette occasion est rapportée dans G. Porro Lambertenghi, Memorie storiche milanesi di Marco Cremosano, dall’anno 1642 al 1691, dans ASL, VII, 1880, p. 277-298.
84 Source : AOM, Litta Visconti Arese, cart. 252.
85 Source : ASM, Catasto, Trasporti.
86 « C’est la maison [le palais Litta] où l’on vivoit le plus grandement de mon tems et où l’on recevoit la meilleure compagnie ; les étrangers y trouvoient une société pleine d’urbanité et d’agrément ; il n’y avoit rien dans le reste de l’Italie qui ressemblât davantage aux grandes maisons de Paris », J. J. de Lalande, Voyage en Italie, vol. 1, Paris, 1786 (2e éd, revue et corrigée), p. 398.
87 Lettre du 13 mars 1779 dans P. et A. Verri, Carteggio dal 1776 al 1797, vol. IX-XII, éd. par G. Seregni, Milan, 1937-42, vol. X.
88 En effet, s’ils reçoivent l’héritage Scaramuzza Visconti, composé notamment d’une casa da nobile dans le Borgonuovo, celle-ci est revendue en 1773 : AOM, Litta, cart. 258.
89 AOM, Litta, cart. 256, note datée du 15 décembre 1649 : « Avendo il comte Bartolomeo Arese a ricevere in Casa Sua l’Ill. Maria Anna d’Austria, regina di Spagna con l’occasione del suo passaggio (…) », acte de cession en date du 15 décembre 1649, r° Domenico Regretto. Les députés acceptent de céder les 17 tavole demandées (soit 464 m2) pour 775 lires, dans la mesure où elles s’avéraient de peu d’utilité pour l’hôpital.
90 Acte du 11 octobre 1717, r° Pietro Antonio Rusca.
91 Accord du 1er avril 1786, ratifié le 17 octobre 1786 ; acte de vente du 6 juin 1786, r° Carlo Antonio Silvola (AOM, Litta, cart. 253). Le marquis Litta se réserve l’immeuble en face de la stretta dei Vecchi qui servait d’habitation au gardien de l’hôpital, la maison de location (parcelle n° 68, estimé 347 scudi) et une partie du siège de l’Ospedale (le réfectoire, la salle des armes, la cuisine et les pièces attenantes, ainsi que leurs pièces correspondantes dans les étages supérieurs (H, estimé 962 scudi), le tout pour une valeur de 20 201 lires. Le comte Dal Verme reçoit la partie restante dont l’église donnant sur la stretta, l’autre partie du siège (avec la salle capitulaire, le vestiaire, une petite cour, un portique ainsi que le grand jardin : H, estimé 1 377 scudi). La valeur de ce deuxième ensemble est de 18 298 lires. La porte et la cour principale demeurent en commun. Les dépenses engagées pour séparer les deux ensembles seront partagées.
92 L. Mocarelli, Ascesa sociale e investimenti immobiliari : la famiglia Clerici nella Milano del ‘600-‘700, dans Quaderni storici, 113, 2003, p. 419-436.
93 Sur l’ascension de la famille Clerici et son rôle dans les institutions politiques : C. Cremonini, I Clerici di Cavenago : una famiglia lombarda tra mercatura e nobiltà, burocrazia togata ed esercito, dans Ca’ de Sass, 131, 1995, p. 38-43 ; Id., Le Vie della distinzione… cit., p. 135-161. Voir aussi Dizionario biografico degli Italiani, Rome, 1982 (pour Giorgio et Antonio Giorgio), F. Calvi, Il patriziato milanese, Milan, 1857, p. 148-161.
94 Sur les activités commerciales et financières des Clerici : G. Tonelli, Affari e lussuosa sobrietà : traffici e stili di vita dei negozianti milanesi nel XVII secolo (1600- 1659), Milan, 2012.
95 « Giorgio Clerici », dans Dizionario biografico… cit. Une grande partie du patrimoine (près d’un million de lires) est alors investie dans les finances publiques (redditi camerali, censi, dazi). Le reste se compose de possessions immobilières : maisons et boutiques situées à Milan et Pavie, terres dans la région de Milan, Novare, Pavie et Lodi (environ 21 000 perches). C’est la génération des fils de Giorgio I qui développe les investissements fonciers : en 1738, la famille a doublé ses possessions terriennes qui couvrent désormais 45 000 perches. Les revenus annuels procurés par les finances publiques s’élèvent alors à plus de 54 000 lires. Voir aussi L. Mocarelli, op. cit., p. 422.
96 En 1647, près de 350 000 lires ont été prêtées à la Regia Camera. Deux ans plus tard, la somme est doublée (Dizionario biografico… cit.).
97 À ce sujet, C. Cremonini explique ainsi la nouvelle orientation militaire : « (...) quella militare è, ora più che mai, la scelta che consente di distinguersi nella corte di Vienna. E riportando la nobiltà al proprio ruolo originario, l’esercizio delle armi può ora finalmente porre i Clerici sullo stesso piano dell’aristocrazia più antica », I Clerici di Cavenago… cit., p. 42.
98 Sur le Broletto : S. Latuada, Descrizione di Milano... cit., t. V, p. 26-30. Le Broletto est le marché des grains, farines et légumes. En 1714, le Banco de S. Ambrogio, qui était jadis sur la Piazza dei Mercanti, y est transféré.
99 Cappella di patronato della famiglia Clerici in S. Protaso ad Monachos (1656- 1768), ASM, Clerici r.a., cart. 7, fasc. 3.
100 Sur les réalisations architecturales : voir Palazzo Clerici, la proiezione internazionale di Milano, Milan, 2005.
101 La documentation sur la constitution du patrimoine de S. Protaso et S. Tomaso se trouve dans ASM, Clerici r. a., cart. 9, fasc. 3, cart. 10, cart. 11 et Clerici r. m. cart. 123. Voir aussi ASM, Catasto, cart. 3150.
102 ASM, Clerici r. a., cart. 8, fasc. 6. Le 20 février 1645, Giorgio Clerici, en tant qu’héritier d’Andrea Carcano possède deux maisons dans la paroisse de S. Tomaso, contrada dei Bossi. Il résultait déjà propriétaire de ces biens en 1630 (ASCM, Famiglie, cart. 475). Notons que S. Tomaso est la paroisse d’implantation des Carcano, comme en témoigne la présence de leur blason dans l’église (ASM, Araldica, cart. 64, fasc. Carcano Don Francesco).
103 ASM, Clerici r. a., cart. 9.
104 Une partie du prix de vente (15 247 lires) est payé directement par le marquis Clerici à Francesco Baldironi et ses frères, créditeurs des Visconti, le 9 août 1695 : ASM, Clerici r.a., cart. 10, fasc. 3.
105 ASM, Clerici r. a., cart. 10, fasc. 2.
106 ASM, Clerici r. a., cart. 10, fasc. 2 : autorisations en date du 16 juin 1703 et du 21 août 1704. En 1636, le précédent propriétaire, Francesco Maria Visconti, avait déjà obtenu du Luogo Pio la permission de surélever sa maison (id. fasc. 3).
107 ASM, Clerici r. m., cart. 122, fasc. 3.
108 Le gros oeuvre a duré au moins deux ans et demi. En effet, entre 1717 et 1719, la famille Clerici s’est transférée dans une autre résidence le temps d’effectuer les travaux : le marquis Giorgio loue alors au marquis Acerbo Casati une casa da nobile située sur le corso de Porta Romana pour une durée de 2 ans et six mois et un loyer annuel de 1 400 lires (ASM, Clerici r. a., cart. 8, fasc. 3).
109 ASM, Catasto, cart. 3150.
110 Voir G. C. Bascape, I Palazzi della vecchia Milano… cit., p. 174-179. La demeure est surtout célèbre pour les fresques qu’y réalise Tiepolo en 1740.
111 Le prix symbolique de 2 lires versé aux Belgioioso laisse penser que ceux-ci cèdent la maison aux Clerici pour solder des dettes.
112 ASM, Clerici r.a., cart. 11, fasc. 2.
113 ASM, Clerici r.a., cart. 8, fasc. 4.
114 Acte du 6 décembre 1670, r° Giacomo Filippo Biumi. Il s’agit de l’ancienne Osteria della Stella.
115 ASM, Clerici, cart. 11, fasc. 6. Elles sont respectivement estimées pour une valeur de 400, 4 000 et 5 200 lires.
116 ASM, Clerici r.a., cart 11, fasc. 3.
117 Il s’agit d’une maison avec sostra dans S. Simpliciano (PC) acquise en 1669 (acte du 16 juillet, r° Giacomo Filippo Biumi), d’une maison dans S. Carpoforo (PC) achetée en 1670 pour 3 391 lires (ASM, Clerici, Case Milano, cart. 7) et d’une maison dans S. Babila (PO) obtenue en 1672 (id., cart. 11, fasc. 5).
118 Les Serbelloni figurent parmi les plus riches familles du patriciat. En 1790, leur fortune s’élève à huit millions de lires : F. Cerini, I Serbelloni nel XVIII-XIX secolo : un grande patrimonio e la sua dissoluzione, dans Storia in Lombardia, 2, 1994, p. 5-43 ; C. Manaresi, La famiglia Serbelloni, dans Studi in onore di C. Castiglioni, Milan, 1957, p. 350-387.
119 En 1581, les Serbelloni obtiennent le fief de Castiglione Lodigiano et le titre de comte puis, en 1588, le fief de Romagnano Sesia qui sera érigé en marquisat en 1649.
120 Filippo, le fils aîné de Giovanni Pietro Serbelloni, épouse Laura Sormani, mais le couple n’a pas de descendance masculine. Son frère, Gabrio, s’est consacré à une carrière militaire, mais a eu plusieurs fils de sa concubine Catterina Bellingeri, dont Giovanni Battista et Alessandro qui assurent la continuité familiale.
121 La documentation sur le patrimoine immobilier milanais se trouve dans ASM, Fondo Serbelloni, cart. 17.
122 ASCM, Località Milanesi, cart. 271, fasc. 2. En 1599, le comte Alessandro Serbelloni obtient le droit d’empiéter sur la rue pour rectifier le mur de façade de sa maison donnant sur le corso de Porta Orientale. En 1627, le comte Carlo Francesco Serbelloni reçoit l’autorisation d’occuper l’espace public pour la construction de sa maison.
123 Le premier décurion de la famille est le comte Giovanni (1620-38). À sa mort, durant près de trois décennies, la famille n’est plus représentée au Consiglio Generale. C’est à partir du duc Gabrio (décurion de 1666 à 1693) que les Serbelloni occupent en permanence un siège jusqu’à la fin de l’institution en 1796.
124 ASM, Notarile, cart. 44736, acte du 27 avril 1783, r° Gio. Agostino Gariboldi. On y apprend qu’en 1768, le marquis Bussetti, « afin d’assainir ses dettes » avait vendu ses terres de Gorgonzola et Barnago au duc Gabrio Serbelloni pour 218 000 lires. Sans doute la vente de la demeure urbaine, l’année suivante, s’explique t-elle aussi par l’absence d’héritiers masculins.
125 La propriété directe de la parcelle n° 98 est cédée le 6 octobre 1758, soit quelques jours après l’acquisition du bien, par le cardinal Fabrizio Serbelloni, au nom de l’Abbaye de S. Dionigi (acte r° Carlo Giuseppe Dall’Orto).
126 ASM, Notarile, cart. 44 737, acte du 13 juin 1783, r° Gio Agostino Gariboldi.
127 ASM, Serbelloni, cart. 18, rapport de l’ingénieur Ferrario en date du 26 mars 1776.
128 ASCM, Località Milanesi, cart. 271 (2).
129 L’expression est empruntée à P. Boucheron et D. Menjot, La ville médiévale, dans J. L. Pinol (dir.), Histoire de l’Europe urbaine, Paris, 2003, p. 287-597 (p. 472).
130 G. Labrot a mis en évidence l’existence d’un « phagocitage » de l’espace à travers une organisation insulaire contrôlée par les grandes familles à Naples et Rome : G. Labrot, Aspects de l’urbanisme romain (1550-1650), dans P. Francastel (dir.), L’urbanisme de Paris et de l’Europe, 1600-1680, Paris, 1969, p. 216-233.
131 Le comte Carlo Bolagnos possède une résidence dans la paroisse de S. Babila (Porta Orientale) et juste à côté de celle-ci une maison de location pourvue d’une boutique (parcelle n° 181 et 182, estimées 4 166 et 1 388 scudi). Le comte Antonio Visconti Borromeo est propriétaire de trois biens, tous situés dans S. Bartolomeo (Porta Nuova) : sa résidence (2 500 scudi) est encadrée par une maison de location (555 scudi) et un jardin maraîcher (699 scudi). Le marquis Giuseppe Arconati Visconti est propriétaire de sa demeure avec jardin dans S. Pietro in Campo Lodigiano (Porta Ticinese) et d’une maison de location voisine (parcelles n° 2 et 3, estimées 1 666 et 375 scudi). Sur les trois parcelles possédées par le marquis Alessandro Trivulzio, deux se trouvent dans la paroisse de S. Alessandro et une dans celle de S. Fermo, mais elles sont en réalité mitoyennes : il s’agit de sa résidence (2 638 scudi) et de deux maisons de location (estimées 750 et 1 388 scudi).
132 Giorgio Giulini est membre du Collège des Jurisconsultes de Côme en 1700, vicaire général de l’État de Milan à la fin du XVIIe siècle, avocat fiscal (1708) puis sénateur (1711). Le titre de comte, obtenu en 1716, est complété par l’acquisition des fiefs de Villapizzone et Vialba en 1770. Giuseppe (q Giorgio) est finalement admis au patriciat milanais en 1750 (ASM, Araldica p.a., cart. 84). Voir S. Meschini et L. Conti, « Giulini Giorgio (1714-1780) », dans Dizionario biografico degli Italiani, 57, Rome, 2001 ; C. Manaresi, La famiglia Giulini, Milan, 1938.
133 Pour la transmission des biens Moriggia : actes du 2 mai 1783 (r° Gio Batta Pessina) et du 9 mars 1795 (r° Gio Batta Giudici).
134 Giacomo Arese est membre du Conseil des Neuf Cents en 1331 et avocat au for ecclésiastique. Benedetto Arese appartient à la branche des comtes de Barlassina, dont la division avec la branche des comtes de Castelambro remonte au milieu du XVIe siècle. Leur demeure a été achetée au comte Carlo Francesco Serbelloni (acte du 19 janvier 1679, r° Andrea Cima).
135 Le comte Benedetto Arese est le fils de Giulia Lucini (q marquis Giulio Antonio) et l’époux de Margherita Lucini (q marquis Gio Pietro). Il hérite de plusieurs propriétés dans la paroisse de S. Simpliciano, pour une valeur de 2 564 scudi et reprend le nom de Lucini.
136 Le 8 janvier 1794 (acte r° Carlo Bonifacio Reina), le comte Benedetto Arese acquiert au Fondo di Religione la parcelle n° 302 de S. Babila qui provenait de la Confrérie de S. Marta (616 scudi). Le 2 juin 1795 (r° Gio Pietro Bellotti), l’acquisition est complétée par la parcelle n° 303 (402 scudi). Sur les travaux de la résidence, cf. ASCM, Località Milanesi, cart. 272 : le 30 juillet 1774, le comte Benedetto Arese demande la possibilité d’élever un échaffaudage et d’entreprendre une réfection de sa façade.
137 En 1649, le comte Ferrante Cavenago déclare au fisc, être propriétaire de maisons dans S. Tomaso puis, en 1684, il déclare l’acquisition de deux maisons et deux boutiques dans la paroisse (acte en date du 22 septembre 1682, r° Federico Maggioli). Catasto, cart. 3 148. Le fonds Araldica de l’ASM (cart. 109) n’informe pas sur les lieux de résidence de la famille.
138 Teatro Genealogico, cit. La famille apparaît dans divers offices ducaux, mais aussi au Conseil des Neuf Cents. Giovanni Ambrogio est membre du Consiglio Generale, entre 1535 et 1558. L’achat du fief de Trezzo, en 1647, est suivi trois ans plus tard par celui du titre de comte.
139 Catasto, cart. 3 148 : en 1649, Ferrante Cavenago apparaissait également propriétaire de plusieurs maisons et boutiques dans les paroisses de S. Marcellino et S. Maria Segreta (PC). Son frère, Carlo, déclarait quant à lui des maisons situées dans S. Martino in Nosiggia et S. Andrea (PN), S. Pietro in Sala (PV) et S. Calimero dans les années 1650-70.
140 Le marquis Ermes Radenaschi, oncle maternel d’Ambrogio Cavenago, en fait son héritier universel (testament du 27 janvier 1752, r° Francesco Bozzacco). Ambrogio devient donc propriétaire de sa résidence (n° 28 dans S. Giovanni in Laterano, PR, estimée 1 666 scudi) et d’une maison de location avec jardin (n° 33 dans S. Nicolao, PV, estimée 930 scudi). La casa da nobile est revendue à la Regia Camera (transfert enregistré en 1779) et la maison à Ignazio Baroggi (transfert enregistré en 1783).
141 Catasto, cart. 3 159 : en 1611, Raffaele Fagnani déclare posséder une maison dans S. Maria Porta. En 1691, le marquis Federico Fagnani acquiert une autre maison dans la même paroisse par l’intermédiaire de Carlo Rampolio (acte du 6 septembre 1691, r° Gio Batta Bianchi, ASM, Araldica, cart. 78).
142 En 1619, Luigi Arconati déclare l’achat d’une maison dans S. Pietro alla Vigna pour l’incorporer aux deux maisons qu’il habitait (ASM, Catasto, cart. 3 125).
143 Seule la branche cadette, comtale, est présente au Consiglio Generale, avec Giovanni Battista (1645-1675) puis Giuseppe (1780-1796). La branche aînée, qui acquiert le fief de Bocca en 1675 et le titre de marquis, est présente exclusivement dans les institutions monarchiques.
144 ASM, Araldica pa, cart. 116, Rovida. Le dossier présenté au Tribunal d’héraldique en 1774 comprend une attestation du prévôt de S. Stefano qui affirme que le régent Alessandro Rovida a restauré la chapelle de S. Ambrogio, Gervasio e Protasio et en a fait la sépulture familiale.
145 Il s’agit de biens qui appartenaient aux chanoines de S. Stefano. Leur transfert est enregistré en 1801 dans le cadastre.
146 En 1669, le comte Luigi Melzi déclare l’acquisition d’une boutique dans S. Maria Segreta, puis de deux autres maisons avec boutiques le 3 mars 1677. En 1692, une autre boutique est achetée au chapitre de S. Tomaso (ASM, Catasto, cart. 3177).
147 L’existence de centres et de périphéries au sein des patrimoines a été mise en évidence par J.-F. Chauvard, La circulation des biens à Venise : stratégies patrimoniales et marché immobilier (1600-1750), Rome, 2005.
148 L’estimation cadastrale de celle-ci ne s’élève en effet qu’à 1 388 scudi en 1751. La demeure sera néanmoins l’objet de travaux en 1775 (ASCM, Località Milanesi, cart. 264/21, contrada dei Piatti). Les Pozzobonelli appartiennent à l’une des grandes familles marchandes de Milan, présente sur diverses places internationales au XVe siècle. Giacomo est cité comme marchand de laine en 1417 (Teatro Genealogico), ainsi que ses descendants sur trois générations. Le XVIe siècle semble marquer une certaine éclipse, peut-être liée aux évolutions de la conjoncture économique et politique internationale. La famille se tourne alors vers les investissements fonciers et acquiert le fief d’Arluno en 1647, suivi du titre de marquis l’année suivante. Francesco réalise l’intégration de la famille dans les institutions monarchiques à travers un cursus honorum brillant qui le porte de la charge d’avocat fiscal (en 1626) à la régence (1638), en passant par le Sénat (1632). Seuls Giovanni et Gerolamo siègent au Consiglio Generale, à près d’un siècle d’intervalle (respectivement en 1646-79 et 1729-55).
149 Catasto, cart. 3196. Les Pozzobonelli acquièrent d’abord « trois boutiques avec supérieurs » (acte du 9 septembre 1667, r° Gio Batta Lampugnano), puis une maison avec boutique achetée à Cattarina de Ricordi et aux frères Bevagna (22 septembre 1699, r° Gaetano Francesco Claro) et enfin « une boutique avec supérieur » (25 janvier 1701, r° Antonio Baccioco).
150 Elles se trouvent dans les paroisses de S. Marcellino (PC), S. Babila (la maison avec boutique de S. Babila avait été apportée en dot par Camilla Dardanone au marquis Francesco Pozzobonelli, Catasto, cart. 3196, enregistré en 1679), S. Giorgio al Pozzo (PO) et S. Nazaro in Brolio (PR).
151 Elles occupent quatre parcelles situées dans les paroisses de S. Tecla alla Metropolitana, S. Maria Segreta et S. Tomaso in Terramara, lieux privilégiés pour les activités d’échanges.
152 L’ascendant commun aux différentes branches de la famille serait Beltrame Carcano qui vécut à Milan à la fin du XIIIe siècle. La division de la famille en plusieurs lignées remonte au XVe siècle. Elle fut très présente au Conseil des Neuf Cents comme au Collège des Physiciens. Sur leur situation économique, à la fin du XVIIIe siècle : ASM, Araldica, cart. 64. Au moment de la taxation d’Olona, en 1798, leurs revenus sont estimés à 19 000 lires, ce qui reste modeste comparé aux 300 000 lires des Litta Visconti Arese.
153 Ils possèdent le fief de Brignano (Gera d’Adda) depuis le XVe siècle. Le chef du lignage, Sagramoro, est un fils illégitime de Bernabò Visconti. Voir M. Di Tullio, L’economia del fedecommesso : la gestione delle « aziende » agricole dei Visconti di Brignano (secc. XVI-XVIII), dans MEFRIM, 124-2, 2012, p. 471-487.
154 Les Calderara figurent aux premiers rangs de l’élite milanaise pour leur richesse : C. Capra, Bartolomeo Calderara, dans Dizionario bibliografico degli Italiani, vol. 16, 1973.
155 La casa da nobile de S. Bartolomeo est donnée en livello à Giuseppe Antonio Bussi (acte du 19 février 1773, r° Francesco Quattrocase), l’autre casa da nobile, située dans S. Babila et une maison voisine sont vendues au marquis Molinari (acte du 10 octobre 1781, r° C. F. De Magistri). Deux autres maisons de S. Bartolomeo, celle de S. Donnino et celle de S. Lorenzo sont également données en livello. En 1802, leur patrimoine apparaît diminué de moitié puisqu’il est passé de plus de 19 000 scudi à seulement 10 000, mais il ne s’agit pas de pertes définitives puisque beaucoup sont en réalité des contrats de livello.
156 Cette branche des Visconti dispose d’une grande richesse et figure de manière quasiment continue au Consiglio Generale depuis 1535 (sauf entre 1634 et 1708). La possession du fief de Somma est considérée « immémoriale » et le titre de comte a été acquis en 1541.
157 Le palais familial est en effet isolé dans la paroisse de S. Stefano in Brolio (PO), trois maisons de location se trouvent dans S. Eusebio (PN), deux autres dans S. Vito al Pasquirolo. Les six autres propriétés se répartissent dans différents quartiers de la ville. Quatre parcelles accueillent au total sept boutiques.
158 F. Calvi, Famiglie notabili Milanesi… cit. Cesare Monti (1593-1650) s’insère dans la Curie romaine grâce à ses liens de parenté avec le cardinal Federico Borromeo. Nonce apostolique à Naples (1627) puis en Espagne (1628), il est fait cardinal en 1633. Voir aussi Dizionario biografico degli Italiani, vol. 76, Milan, 2012.
159 ASM, Catasto, cart. 3180. Acte d’achat d’une maison dans S. Eusebio par la comtesse Anna Monti Simonetta à Giulio Cesare Romano (12 février 1663, r° Francesco Lobia).
160 À la fin du XIVe et au XVe siècle, les Magenta ont compté plusieurs médecins, membres du Collège des Physiciens de Milan et appartenant à l’entourage ducal. Ils apparaissent insérés dans les institutions monarchiques et civiques au XVIe et XVIIe siècles, mais de manière relativement ponctuelle. Leur cas se singularise par l’existence de deux résidences qui demeurent fort modestes (1 250 et 1 388 scudi) et qui servent l’une au père et l’autre au fils. Celle du marquis Guido Gaetano se trouve dans S. Bartolomeo (PN) et est entourée de trois autres maisons de location. Celle de son fils, Lodovico, se trouve dans S. Fermo, juste à côté de celle des comtes Archinto. Le reste du patrimoine de Lodovico se distribue dans S. Michele nella Metropolitana, S. Raffaele, S. Satiro et S. Protaso ad Monacos. La part de l’immobilier commercial y est encore dominante puisque six des huit parcelles locatives possèdent des boutiques (soit treize boutiques au total). Une maison de location avec sept boutiques donne sur la place du Verzaro et atteint la valeur exceptionnelle de 2 083 scudi.
161 Les Archinto ont des origines encore plus anciennes que les Magenta puisqu’ils figuraient déjà parmi les soutiens à la République milanaise en 1231 puis en 1447. Ils furent très présents au Conseil des Neuf Cents puis dans les institutions civiques et monarchiques durant toute la période (1535-1796) et figurent à ce titre parmi les familles « historiques » du patriciat milanais. Le titre de comte leur a été accordé en 1634. La résidence familiale des comtes Archinto se situe dans la petite paroisse aristocratique de S. Fermo (PT). À proximité de celle-ci se trouve une dépendance à usage de la famille et une autre casa da nobile en location. Les autres biens (sept parcelles) se trouvent dans S. Lorenzo ou S. Maria Beltrade (PT), dans S. Stefano in Brolio (PO) et S. Carpoforo (PC) : quatre parcelles accueillent des boutiques (10 au total) et trois des hôtelleries. La parcelle où se trouve l’Osteria del Pozzo et quatre boutiques (S. Maria Beltrade) atteint la valeur de 4 861 scudi, alors que la résidence familiale (annexe comprise) dépasse à peine les 3 000 scudi.
162 J.-F. Chauvard, La circulation des biens à Venise… cit., voir en particulier chapitre 9. Sur l’émiettement des patrimoines à l’époque moderne : E. Concina, Venezia nell’età moderna : strutture e funzioni, Venise, 1989, p. 29-30 et p. 131-144 ; pour l’époque médiévale : E. Crouzet Pavan, Sopra le acque salse : espaces, pouvoirs et société à Venise à la fin du Moyen Âge, Rome, 1992, p. 499-503.
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