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Les propriétés urbaines du patriciat

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Albane Cogné

Première partie. Du groupe social aux familles

Chapitre 2. Une élite composite : les patrimoines urbains, révélateurs de la diversité sociale

Texte intégral

  • 1  ASM, Araldica, cart. 136 : Elenco delle attuali famiglie milanesi rassegnato dall’Ecc. Città di Mi (...)

1Envisager le patriciat milanais comme un bloc monolithique, détenteur du pouvoir politique, économique et social de l’État n’est pas exact. L’étude des patrimoines urbains des diverses familles qui le composent met en évidence une grande variété de configurations qui apparaissent elles-mêmes largement liées à des décalages de fortune, d’implication institutionnelle ou de parcours social. La composition et la localisation des patrimoines immobiliers du patriciat est appréhendée à partir du croisement de deux sources : la liste des familles patriciennes établie en 1770 et le cadastre thérésien qui présente un état de leurs propriétés urbaines vers 17511. Ce dernier document permet aussi de situer les patrimoines patriciens par rapport à l’ensemble de la propriété foncière milanaise afin d’évaluer leur part et leurs spécificités.

Des profils patrimoniaux diversifiés au milieu du XVIIIe siècle

La structure de la propriété à Milan

  • 2  Au milieu du XVIIIe siècle, les agents chargés du recensement de la population considéraient qu’un (...)

2Au milieu du XVIIIe siècle, dans la ville de Milan, 2 315 propriétaires se partagent 5 927 unités de propriété, représentant une valeur totale de 4 394 144 scudi. Si l’on soustrait à ce nombre les propriétaires institutionnels, il ne reste que 1 835 personnes, soit 1,5 à 1,7 % de la population milanaise et environ 7 à 8 % des familles2. Cette concentration de la propriété aux mains d’un nombre restreint de personnes s’accompagne d’un statut locatif pour beaucoup d’immeubles (cf. pl. II et tab. 1a).

Tab. 1a – Le statut des biens à Milan en 1751.

Usage de la parcelle

Nombre de parcelles

Valeur (en scudi)

Usage locatif

4576
(77,2 %)

3 212 743
(73,1 %)

Usage du propriétaire

559
(9,4 %)

713 834
(16,2 %)

Usage mixte

429
(7,2 %)

454 751
(10,4 %)

Inconnu

22
(0,4 %)

12 235
(0,3 %)

Édifices publics et religieux

341
(5,7 %)

Non estimé

Total

5927
(100 %)

4 393 563
(100 %)

  • 3  Rouen compte par exemple 82 % de locataires (J.-P. Bardet, Rouen aux XVIIe et XVIIIe siècles : les (...)
  • 4  S. D’Amico, Le contrade e la città, Milan, 1994, p. 44.
  • 5  À Crémone seules 46 % des parcelles sont à usage locatif. À Lodi la proportion s’élève à 52 %, à C (...)

3Plus de 77 % des unités de propriétés sont en effet données en location, tandis que seulement 15 % sont à usage du propriétaire et 7 % à usage mixte. Une telle importance du statut locatif est courante dans les villes d’Ancien Régime, comme le démontrent les exemples de Rouen, Venise ou Turin3. À Milan, elle résulte en partie d’un mouvement de concentration de la propriété qui s’est effectué au cours de la période moderne. En effet, si à la fin du XVIe siècle, 13 % des familles vivaient dans une maison dont elles étaient propriétaires, la proportion chute à 8 % en 1610, puis à 7 % en 1633, soit une part semblable à celle du milieu du XVIIIe siècle4. Cette prépondérance des biens en location est propre aux grandes villes, où le foncier atteint des valeurs particulièrement importantes tandis que dans les villes petites ou moyennes, le rapport maisons louées / maisons habitées par le propriétaire diminue et peut même s’inverser. À Crémone, où la déprise économique et démographique a certes été particulièrement forte au cours de la période moderne, les maisons habitées par leur propriétaire sont en effet majoritaires et les valeurs foncières sont très nettement inférieures à celles de Milan5. Dans la capitale lombarde, la prépondérance de l’Église et de la noblesse dans la possession du sol urbain est manifeste (cf. tab. 1b).

  • 6  La valeur des propriétés de l’Église et des institutions caritatives ne comprend que les biens à u (...)

Tab. 1b – Distribution sociale de la propriété à Milan au milieu du XVIIIe siècle6.

superficie totale (en ha)

valeur des propriétés (en scudi)

nombre de biens

Église

270,2
(37,4 %)

728 262
(16,7 %)

1 376
(23,2 %)

Nobles

176,3
(24,4 %)

1 804 818
(41 %)

1 822
(30,7 %)

Non-nobles

108
(15 %)

1 393 885
(31,7 %)

1 945
(32,8 %)

Institutions caritatives

45,8
(6,3 %)

457 763
(10,4 %)

738
(12,5 %)

Institutions publiques

3,7
(0,5 %)

8 835
(0,2 %)

47
(0,8 %)

Total

604
(100 %)

4 393 563
(100 %)

5 928
(100 %)

  • 7  Pour une analyse plus approfondie : A. Cogné, Distribuzione della proprietà a Milano a metà Settec (...)

4En termes de valeur des biens, la noblesse domine la propriété milanaise puisque 41 % du capital foncier est entre ses mains. Elle est suivie par les non-nobles (31,7 %) tandis que l’Église semble loin derrière avec seulement 16,7 % de la valeur des biens. Si l’on prend en compte le nombre de biens, la hiérarchie s’inverse en faveur des non-nobles, qui conservent une part équivalente, tandis que la part des nobles diminue et que celle de l’Église augmente : en effet, la valeur des biens possédés par la noblesse est en moyenne plus élevée du fait de la présence des case da nobile tandis que les non-nobles sont propriétaires de biens de moindre valeur. Si l’on analyse enfin le critère de l’emprise spatiale, c’est l’Église qui figure désormais comme le principal propriétaire puisque 37,4 % de la superficie du sol urbain lui appartient. La noblesse n’en possède plus que 24,4 % et les non-nobles sont relégués à une position subalterne avec 15 %. Ce critère permet en effet de prendre en compte les nombreuses propriétés de l’Église qui n’avaient pas été soumises à une estimation lors de la réalisation du cadastre : les églises et surtout les nombreux monastères, dont la taille dépasse souvent deux à trois hectares. Si ces propriétés ne sont pas productrices de revenus, elles n’en constituent pas moins un capital important et une formidable réserve foncière à l’intérieur de la ville. Les suppressions ecclésiastiques dans la seconde moitié du siècle permettront de destiner à d’autres usages une partie de cette réserve foncière. La part des institutions caritatives demeure modeste avec 12 % du nombre de biens, 10 % de la valeur et seulement 6 % de la superficie. Quant aux institutions publiques, il s’agit essentiellement de la Regia Camera, de la Ville de Milan, du Banco de S. Ambrogio et elles ne possèdent que très peu de biens locatifs sujets à l’estimation7.

Composition des patrimoines patriciens au milieu du XVIIIe siècle

5Les patrimoines patriciens sont envisagés en tant que patrimoines familiaux. Dans la mesure où domine la pratique de la primogéniture masculine, un seul individu détient généralement toutes les propriétés de la famille même si certains lignages échappent à ce modèle (cf. chap. 10). Deux types de biens aux logiques a priori différentes composent les patrimoines urbains du patriciat : la résidence, qui accueille la famille tout en symbolisant architecturalement son statut social, et les immeubles à destination locative, qui constituent une source de revenus mais qui ont aussi des fonctions sociales. Leur part respective à l’intérieur des patrimoines familiaux constitue un élément essentiel de différentiation des familles patriciennes et est révélatrice de choix d’investissements commandés par le niveau de fortune, l’implication institutionnelle, les traditions et les origines familiales. Les patriciens représentent 11 % des propriétaires milanais (211 personnes sur un total de 1 835) et détiennent 20 % de la valeur foncière. À l’intérieur du groupe patricien (256 familles en 1751), on dénombre donc 82 % de propriétaires, ce qui confirme l’importance de la propriété urbaine pour le patriciat mais qui révèle aussi qu’un certain nombre de familles sont dépourvues de tout bien dans la capitale (18 %).

Valeur et nombre de biens

  • 8  Le cadastre recense 113 parcelles se caractérisant par une forme de division de la propriété. Dans (...)

6Les patriciens possèdent 20 % de la valeur foncière milanaise (soit 892 424 scudi d’estimo) et 15 % des unités de propriété (soit 880 parcelles ou portions de parcelles). À ces chiffres, qui représentent la propriété complète ou directe de biens immobiliers, il faudrait ajouter la propriété éminente de certains biens. Cette forme de propriété n’est toutefois pas prise en compte car le cadastre ne la recense pas de manière exhaustive8. Par ailleurs, les contenus juridiques et économiques que recouvrent ces dissociations de la propriété sont en fait très variés et la source ne contient pas d’informations sur ceux-ci. Si la moyenne des patrimoines patriciens est de 4,2 biens pour une valeur de 4 270 scudi, les situations sont en réalité extrêmement diverses d’une famille à l’autre. Alors que certaines familles possèdent des patrimoines conséquents, composés de plusieurs dizaines de biens et dépassant les 10 000 scudi d’estimo, d’autres ne détiennent qu’un seul bien qui est, le plus souvent – mais pas systématiquement – leur résidence. Afin de mettre en évidence la diversité des situations patrimoniales et de pouvoir appréhender la part représentée par les grands propriétaires urbains patriciens, un classement des familles en fonction de la consistance de leur patrimoine a été opéré. Si les patrimoines de grande valeur sont généralement associés à de nombreuses unités de propriété, les deux critères ne se recoupent pourtant pas parfaitement, comme en témoignent les tableaux 2a et 2b. Une famille peut posséder un seul bien mais de forte valeur (souvent sa résidence), tandis qu’une autre peut être propriétaire de plusieurs biens modestes pour une valeur équivalente. La famille Cicogna (II) possède ainsi quatre biens ayant une valeur totale de 939 scudi, alors que les Bossi (II) ne possèdent qu’un seul bien estimé 3 388 scudi, soit près de quatre fois plus.

Tab. 2a – La diversité des patrimoines en 1751 : le nombre de biens.

Nombre de biens détenus

Nombre de familles

Part des familles propriétaires

Valeur des patrimoines (en scudi)

1

55

26 %

97 à 3 388

2

39

19 %

654 à 5 555

3

27

13 %

1 659 à 4 777

4

22

11 %

939 à 7 837

5à6

25

12 %

2 534 à 9 763

7à9

24

11 %

4 660 à 11 624

10 à 12

10

5 %

7 788 à 16 447

14 à 34

7

3 %

13 235 à 27 788

Total

209

100 %

97 à 27 788

Tab. 2b – La diversité des patrimoines en 1751 : la valeur des biens.

Tab. 2b – La diversité des patrimoines en 1751 : la valeur des biens.
  • 9  La liste des familles patriciennes avec la valeur de leur patrimoine figure en annexe.
  • 10  Sur le patrimoine de la Fabrique du Duomo, voir M. Barbot, Le architetture della vita quotidiana. (...)
  • 11  Il s’agit des familles Cagnola (10148 scudi), Melzi (10492), Crivelli (10508), Barbo I (10 951), D (...)

7S’échelonnant de 1 à 34 biens, les patrimoines patriciens connaissent également une amplitude importante de leur valeur9. Le plus gros patrimoine représente ainsi 286 fois la valeur du plus petit. Seul un nombre restreint de familles possèdent des patrimoines véritablement importants, comprenant plus d’une dizaine de biens ou atteignant une valeur supérieure à 10 000 scudi. Il existe donc une véritable concentration de la propriété à l’intérieur même du groupe social : les 16 familles possédant des patrimoines supérieurs à 10 000 scudi (groupe 5) ne représentent que 8 % du groupe, mais détiennent 27 % de la valeur de la propriété patricienne. À l’autre extrémité, 27 % des familles ne possèdent que 12 % de la valeur foncière. Une telle concentration de la propriété n’est pas propre au patriciat et s’observe aussi dans la propriété ecclésiastique. Seuls les fabriques et monastères milanais les plus importants, soit une douzaine d’institutions, possèdent des patrimoines dont la valeur dépasse les 10 000 scudi. Le plus gros propriétaire ecclésiastique, la Fabrique du Duomo avec ses 39 526 scudi d’estimo, a du reste un poids foncier supérieur à celui du plus gros propriétaire patricien (le marquis Antonio Giorgio Clerici avec 27 788 scudi), mais elle constitue un cas très particulier10. Dans le cas de la propriété « bourgeoise », les patrimoines sont généralement de taille beaucoup plus réduite. Seuls deux gros entrepreneurs milanais détiennent plus de 10 000 scudi d’estimo. Il s’agit de Stefano Lavezzari (q Pietro Maria) et de Gerolamo Rossi (q Carlo Giuseppe). Viennent ensuite Felice Clerici (7 276 scudi), Carlo Domenico Delfinone (7 197 scudi) et Giovanni Diotti (5 408 scudi), tous les trois également entrepreneurs. Les petits propriétaires patriciens (groupe 1) ne possèdent en moyenne qu’1,3 bien pour une valeur inférieure à 1 000 scudi d’estimo. Pour ces familles patriciennes, l’unique propriété dont elles disposent souvent n’est pas d’une grande valeur (moyenne de 661 scudi). On trouve dans ce groupe, les Alciati, Barzi, Biumi, Bodio, Calchi (II), Cambiaghi Visconti, Carcano (III et IV), Castelletti, Cicogna (II) ou encore Cottica (I), des familles très mal connues. Les familles du groupe 2 (1 000 à 2 500 scudi) ne possèdent pas un patrimoine beaucoup plus important par le nombre de biens détenus (1,7), mais leur valeur est nettement plus élevée, puisqu’elle représente près du triple du groupe précédant en atteignant 1 729 scudi. On retrouve dans ce groupe des familles mal connues (les Meroni, Alfieri, Vimercati, Gallina, Giovio) auxquelles s’ajoutent des branches cadettes de riches familles patriciennes (Dugnani, Parravicini, Litta Modignani, Clerici II, Barbiano di Belgioioso II, Arconati). Le groupe 3 (2 500 à 5 000 scudi) constitue le type médian par excellence : il accueille 37 % des familles qui détiennent 31 % de la propriété patricienne. Au sein de ce groupe figurent les comtes Trotti et Marliani, les marquis Gallarati Ghisleri et Isimbardi, etc. Avec 7 biens en moyenne, les familles du groupe 4 sont moins nombreuses que celles du groupe précédent (elles représentent 17 % des familles), mais elles détiennent une part similaire de la propriété (30 %). Le dernier groupe comprend des familles qui possèdent d’importants patrimoines : plus de 10 000 scudi d’estimo et presque 15 biens en moyenne11. Bien qu’elles ne représentent que 8 % du groupe, ces 16 familles détiennent 27 % de la valeur de la propriété patricienne (soit 5,5 % de la valeur totale de la propriété milanaise quand elles ne représentent que 0,7 % des propriétaires). Elles constituent un groupe restreint de grands propriétaires urbains dont les patrimoines peuvent être comparés à ceux des principales institutions ecclésiastiques ou caritatives. La situation à l’intérieur de cette catégorie varie cependant du simple au triple puisque les patrimoines s’échelonnent entre 10 000 et 27 000 scudi. Leurs patrimoines seront l’objet d’études plus approfondies.

Résidence et immobilier locatif

  • 12  Instruzione della Real Giunta del Censimento... cit.

8La typologie des immeubles qui transparaît de la source cadastrale apparaît assez limitée. Les instructions données aux ingénieurs pour la recension des biens étaient assez laconiques : elles recommandaient « en premier lieu [de] noter la qualité du fonds, c’est-à-dire s’il s’agit d’une maison, d’un moulin, d’une sostra, d’une boutique » puis, « en second lieu, [d’] indiquer si le fonds possède un potager (orto) ou un jardin » et enfin de donner les confins de la parcelle12. Dans les registres, le terme générique de maison (casa) est le seul utilisé pour désigner les édifices résidentiels. Il renvoie aussi bien aux palais qu’aux immeubles de rapport ou aux maisons plus modestes. Le seul recours à une désignation plus spécifique concerne les édifices affectés à un usage commercial, enregistrés comme boutiques (bottega ou casa con bottega) ou comme hôtelleries (osterie), ceux associés à un jardin maraîcher et pourvus d’une fonction agricole comme case d’ortolano et enfin les quelques rares édifices industriels selon l’activité exercée (fonderie, teinturerie, savonnerie, etc.). Une série d’attributs peut compléter la description de la maison : maison avec jardin (giardino), petit jardin (giardinetto), jardin maraîcher (ortaglia), pré (prato), quai de débarquement (sostra), entrepôt (fondaco), moulin (mulino), pressoir (torchio). La mention des boucheries (macelleria) et des lieux de fabrication du pain (prestini di pane) – sans qu’il soit certain qu’elles soient complètement exhaustives – est probablement liée au statut spécifique de ces commerces qui nécessitent une autorisation de la ville.

9Le terme ici choisi de résidence est neutre et ne présuppose pas de l’importance de l’édifice, à l’inverse du terme « palais » (relativement peu usité à Milan avant la seconde moitié du XVIIIe siècle) ou de la casa da nobile. En effet, certaines habitations patriciennes pouvaient ne pas mériter ces appellations, comme en témoigne la grande diversité de leur valeur cadastrale. Le terme de résidence correspond mieux à la casa di propria abitazione, formule employée par le cadastre qui n’opère pas de distinctions qualitatives entre les différents édifices à fonction résidentielle. Pour le patriciat, la résidence urbaine occupe néanmoins une place singulière : reflet du statut social, elle constitue également une véritable preuve juridique mobilisée pour confirmer un statut nobiliaire. En effet, au cours de la période moderne, les preuves de noblesse sont de plus en plus codifiées. Alors que la qualification de dominus, nobilis ou spectabilis dans des actes officiels avait longtemps suffit à prouver la noblesse d’un individu, l’abus de ces termes, à partir du XVIe siècle, leur fait perdre leur statut de preuve. Dès lors, le train de vie more nobilium, les résidences, la possession d’une galerie de portraits, les alliances matrimoniales, le montant des dots, sont progressivement reconnus comme des gages officiels de noblesse, dont l’appréciation est laissée au Collège des Jurisconsultes. À partir de 1718, pour intégrer le patriciat, l’habitation centenaire à Milan doit être démontrée de dix ans en dix ans en produisant des documents publics. Dès lors, pouvoir attester de la propriété d’une demeure dans la capitale constitue une preuve de choix. Pourtant, tous les patriciens ne sont pas propriétaires de leur résidence. 19 % des familles patriciennes propriétaires ne possèdent que des biens à destination locative et seules 170 familles patriciennes sont ainsi propriétaires de leur résidence (soit 81 % des familles propriétaires et 66 % de l’ensemble des familles). Pour les familles propriétaires de leur résidence, la valeur de celle-ci varie fortement (tab. 3).

Tab. 3 – Part de la résidence selon la valeur des patrimoines urbains en 1751.

Tab. 3 – Part de la résidence selon la valeur des patrimoines urbains en 1751.
  • 13  Dans cette sous-catégorie figurent les Pusterla II, Lampugnani III, Carcano III, Mandelli II, Cico (...)

10La première catégorie, celle des patrimoines les plus ténus, se distingue par le faible pourcentage de familles propriétaires de leur résidence (43 % contre plus de 80 % pour les autres groupes). Pour ces familles, l’unique bien possédé dans la ville de Milan n’est probablement pas assez prestigieux pour y résider. Mais à l’intérieur de ce groupe se trouvent aussi des familles qui ne possèdent qu’une résidence de faible valeur : il s’agit, pour beaucoup, de branches cadettes d’anciens lignages patriciens13. Nous reviendrons de manière spécifique sur leur situation. Le groupe 3 se situe parfaitement au niveau de la moyenne avec une résidence de 2 087 scudi (contre 2 073 scudi pour l’ensemble du patriciat). Les situations individuelles démontrent néanmoins une certaine diversité. Chez des familles comme les Parravicini (IV), la valeur de la résidence est en effet très faible (625 scudi) tandis qu’elle constitue l’unique propriété des Talenti di Fiorenza et atteint alors 4 374 scudi. Cette hétérogénéité est moins forte dans le groupe 4 (5 000 à 10 000 scudi), où l’on ne trouve plus de résidences inférieures à 1 000 scudi. L’élément le plus frappant de ce tableau est sans doute la nette relation qui existe entre la valeur moyenne de la résidence et la valeur du patrimoine total. Plus les familles possèdent un patrimoine urbain important, plus leur résidence est dotée d’une valeur élevée : si les propriétaires les plus modestes (groupe 1) doivent se contenter d’une demeure qui avoisine les 774 scudi, les propriétaires les plus importants (groupe 5) voient quadrupler la valeur de celle-ci qui atteint 3407 scudi.

Tab. 4 – Part des biens locatifs selon la valeur des patrimoines urbains en 1751.

Tab. 4 – Part des biens locatifs selon la valeur des patrimoines urbains en 1751.

11La valeur moyenne des biens locatifs est, elle aussi, fonction de l’importance totale du patrimoine (tab. 4). Les familles aux plus gros patrimoines ont souvent investi dans des biens à plus forte valeur (boutiques dans un emplacement commercial favorable, maison de rapport composée de plusieurs appartements, casa da nobile, etc.), comme en témoigne la valeur moyenne des biens qui passe de 400 scudi (groupe 1) à 892 scudi (groupe 5). Il s’agit donc de voir quels types de biens composent l’immobilier locatif à travers la typologie, certes limitée, offerte par le cadastre.

Tab. 5 – Composition des biens locatifs du patriciat en 1751.

Tab. 5 – Composition des biens locatifs du patriciat en 1751.
  • 14  Ces 239 parcelles représentent un total de 406 boutiques, une parcelle pouvant accueillir plusieur (...)

Note14

  • 15  L’Église détient 40 % de la valeur des jardins maraîchers et les non-nobles 36 % de la valeur des (...)
  • 16  Sur le rôle essentiel des moulins à eau dans l’économie urbaine : M. Bloch, Avènement et conquêtes (...)
  • 17  Sur les biens de la ville, voir L. Mocarelli, La gestione dei beni della Città nella Milano d’età (...)
  • 18  Le marquis Clerici possède neuf maisons servant au dazio della mercanzia. Le marquis Molinari (nob (...)

12Les biens immobiliers à destination locative sont essentiellement de simples maisons (tab. 5) : elles représentent 390 parcelles et 55 % de la valeur des biens immobiliers locatifs du patriciat. Parmi celles-ci, 90 dépassent l’estimation de 1 000 scudi, ce qui laisse à penser qu’il s’agit de grands immeubles de rapport ou de case da nobile. Face à cela, le patriciat apparaît sous-représenté dans la propriété des boutiques et des jardins maraîchers : alors qu’il possède 20 % de la propriété milanaise, il ne détient que 12 % de la valeur des boutiques milanaises et 6,2 % de celle des jardins maraîchers. En effet, les boutiques appartiennent principalement à des non-nobles et les jardins maraîchers aux institutions ecclésiastiques15. Les patriciens possèdent en revanche 20 % de la valeur des hôtelleries et 23 % de celle des moulins, ce qui correspond à leur part globale dans l’ensemble de la propriété milanaise. Au milieu du XVIIIe siècle, le cadastre recense seize moulins en activité à l’intérieur des murs. Ceux-ci sont principalement situés le long de la Fossa interna, au débouché de la Martesana (Porta Comasina) ou le long de la Vettabia (Porta Ticinese). Ils sont utilisés pour moudre les céréales ainsi que les écorces d’arbres ou les minéraux nécessaires à la teinturerie. Ils constituent aussi une force motrice utilisée pour les activités de filature de la soie et du coton, pour le travail de l’or, des feuilles de tabac ou des peaux16. La présence de ces moulins est documentée à partir du XIVe siècle, où ils ont été installés par des familles patriciennes (tels les Omodei, Caimi, Pozzobonelli, Piatti) ou par des institutions ecclésiastiques (notamment le monastère de Chiaravalle) mais ces implantations demeurent limitées et ne sont pas comparables à celles existantes à Bologne et à Turin. Il semble en fait que ce type d’activités soit davantage présent dans les Corpi Santi, notamment ceux de Porta Ticinese et de Porta Lodovica. Sans doute les exigences de navigation sur les canaux contribuent-elles également à limiter les usages industriels de l’eau. Il faut enfin noter une présence particulièrement forte du patriciat dans la propriété des prestini de pain ou de farine : sur les seize recensés par le cadastre, sept appartiennent à des patriciens, soit près de la moitié. Leur valeur est certes variable puisqu’elle s’échelonne entre 138 scudi (pour celui du comte Renato Borromeo, situé dans la paroisse de S. Tecla) et plus de 2 000 (pour celui du marquis Luigi Cagnola, situé dans S. Michele al Gallo). Il est fort probable que les patriciens aient bénéficié de facilités pour investir dans ce type de biens puisque ceux-ci ont longtemps appartenu à la ville de Milan, qui les a cédés à des particuliers au début du XVIIIe siècle17. Les familles patriciennes possèdent également une part non négligeable des boucheries : sur les onze parcelles recensées comportant une ou plusieurs boucheries, cinq sont aux mains de patriciens. Il faut enfin signaler les maisons de l’octroi (case del dazio), situées aux portes de la ville, qui appartiennent pratiquement toutes au marquis Clerici18.

Les nouvelles familles : un profil patrimonial spécifique ?

  • 19  D. E. Zanetti, La demografia del patriziato milanese… cit.

13Au XVIIIe siècle, le patriciat apparaît comme un groupe social qui connaît une ouverture contrôlée et un renouvellement constant. Au cours du siècle, 143 nouvelles familles y sont admises. La liste des familles patriciennes de 1770 témoigne de ce renouvellement puisque 46 % des familles qui la composent ont été admises au patriciat après 1700. Si les aspects démographiques ont joué un rôle prépondérant avec de nombreuses extinctions de lignées19, des raisons d’ordre économique et social ont contribué à l’ouverture du patriciat. En effet, l’appauvrissement de certaines familles implique, en général, leur marginalisation pour l’exercice des charges les plus prestigieuses qui sont réservées à des personnes possédant titres, fiefs et pouvant assurer un train de vie nobiliaire. Par ailleurs, l’intégration des familles émergentes pouvait apparaître comme la condition d’une stabilité sociale. En évitant la création d’élites concurrentes, la pratique permettait de désamorcer les foyers de tension. Les admissions au patriciat, réalisées dans le cadre d’une cooptation, visent ainsi à maintenir le consensus autour du « système patricien » instauré. Sur les 42 familles qui sont admises au patriciat entre 1751 et 1796, 32 figurent comme propriétaires en 1751, soit 76 %. Il s’agit là d’un pourcentage assez semblable – bien que légèrement inférieur – à celui des familles patriciennes (le taux des propriétaires y était de 81 %). La plupart de ces familles sont déjà bien implantées sur la scène milanaise, au moins depuis le début du siècle. Elles possèdent 3,2 % de la valeur foncière de la capitale (soit 143 065 scudi). Une partie d’entre elles doit son admission au patriciat à une ascension sociale basée sur la réussite économique (c’est le cas des Andreani, Calderara, Crevenna II). Une autre partie provient d’autres villes de Lombardie où elles étaient intégrées depuis longtemps au patriciat local et demandent le statut de patricien milanais après avoir occupé des charges au Sénat ou dans les Magistrati (c’est par exemple le cas des Imbonati). Enfin un dernier groupe semble ne pas connaître de dynamique ascendante, ni du point de vue économique, ni du point de vue institutionnel : il s’agit de branches collatérales d’illustres familles patriciennes et leur intégration semble être en fait la reconnaissance d’un état déjà acquis par leurs ancêtres.

14La valeur des patrimoines de ces familles qui intégreront le patriciat après 1751 se répartit de manière assez similaire aux anciennes familles patriciennes, mais quelques décalages apparaissent. La différence principale tient à la valeur de la résidence : la moyenne est ici de 1 396 scudi alors qu’elle est de 2 073 pour les patriciens (tab. 6). En outre, aucune résidence ne dépasse le seuil des 3 000 scudi (y compris chez les familles à la tête des patrimoines les plus importants), alors qu’elle franchit celui des 5 000 scudi chez les familles ayant déjà acquis leur statut patricien en 1751. Le décalage tient aussi au statut de la résidence : seulement 68,7 % des familles possédant un bien immobilier dans la capitale sont propriétaires de leur résidence soit une proportion inférieure à celle des familles patriciennes (81 %).

Tab. 6 – Valeur des patrimoines des familles qui intègrent le patriciat dans la seconde moitié du XVIIIe siècle (état patrimonial en 1751).

Tab. 6 – Valeur des patrimoines des familles qui intègrent le patriciat dans la seconde moitié du XVIIIe siècle (état patrimonial en 1751).

15Ces différences pourraient tenir à la difficulté des familles nouvelles à acquérir une résidence digne de leur statut. Par ailleurs, leur implantation plus récente à Milan ne leur a pas permis de mettre en œuvre des stratégies de conquête des territoires voisins comme certaines familles patriciennes l’ont fait pour agrandir leurs demeures (voir chap. 5).

Tab. 7 – Composition des biens locatifs des familles qui intègrent le patriciat dans la seconde moitié du XVIIIe siècle (état en 1751).

Nombre de parcelles

Valeur (en scudi)

% des biens immobiliers

Boutiques

44
(pour 69 boutiques)

38 089

28,5 %

Hôtelleries

1

671

0,5 %

Moulins

0

0

0 %

Sostre

2

1887

1,4 %

Jardins maraîchers

3

3226

2,4 %

Maisons de location

80

89 588

67, 1 %

Total

130

133 461

100 %

16La part des biens spécifiques (hôtelleries, boutiques, sostre ou moulins), déjà limitée chez les familles patriciennes, apparaît ici encore moindre (tab. 7). Les simples maisons de location représentent la grande majorité des biens locatifs : 67,1 % (contre 55 % pour le groupe patricien). La part des biens susceptibles de procurer un rapport important apparait donc encore plus restreinte pour ces familles. Ce constat s’explique par diverses raisons : certaines familles – notamment des branches secondaires – ne jouissent que de capacités financières restreintes ; d’autres ont choisi des formes différentes de placement des capitaux ; enfin il est possible que la configuration foncière de la première moitié du XVIIIe siècle n’offre plus les opportunités du siècle précédent, en particulier celles qui ont suivi la crise de 1630.

  • 20  Ces trois dimensions reprennent les critères identifiés par L. Stone pour envisager la mobilité so (...)

17Si les états patrimoniaux sont diversifiés, cette première analyse statistique permet néanmoins de dégager les caractéristiques partagées par le plus grand nombre de familles. Le patrimoine type d’une famille patricienne se compose ainsi généralement d’une résidence dont la valeur avoisine les 2 000 scudi et de deux ou trois autres biens à destination locative qui sont estimés eux aussi pour environ 2 000 scudi. Pourtant, il existe des décalages importants entre les familles. Comment expliquer ceux-ci ? Sont-ils le reflet de situations économiques diversifiées ou résultent-ils de choix qui ont privilégié d’autres formes d’investissements que la propriété urbaine ? Pourquoi certaines familles sont-elles dépourvues de toute propriété à Milan quand la propriété constitue le meilleur moyen de prouver l’ancrage urbain requis pour l’exercice des charges patriciennes ? Que peut révéler une telle hétérogénéité dans la valeur des résidences urbaines ? Pour tenter de répondre à ces questions, les valeurs des patrimoines urbains ont été croisées avec d’autres données informant sur le niveau de richesse, le rang social ou l’implication institutionnelle des familles20.

Patrimoines urbains et hiérarchies socio-économiques

Propriétés urbaines et titres nobiliaires

18Il existe clairement une corrélation entre le titre nobiliaire et l’importance du patrimoine urbain. Plus le patrimoine est important, plus le pourcentage de familles titrées augmente et plus l’élite de la hiérarchie nobiliaire est représentée (tab. 8).

Tab. 8 – Titre nobiliaire et valeur du patrimoine urbain en 1751.

Tab. 8 – Titre nobiliaire et valeur du patrimoine urbain en 1751.

19Alors que le groupe de familles disposant d’un patrimoine inférieur à 1000 scudi ne comporte que 28,6 % de familles titrées, celui des familles possédant des patrimoines supérieurs à 10 000 scudi comprend 87,5 % de familles titrées. Les familles dépourvues de propriété urbaine constituent un cas quelque peu particulier sur lequel nous reviendrons.

Tab. 9 : Titre nobiliaire et valeur de la résidence urbaine en 1751.

Valeur des résidences (en scudi)

Nombre de familles patriciennes

Dont familles titrées

% des familles titrées

entre 5 000 et 6 000

4

4

100 %

entre 4 000 et 5 000

8

8

100 %

entre 3 000 et 4 000

13

13

100 %

entre 2 000 et 3 000

55

47

85 %

entre 1 000 et 2 000

70

44

63 %

inférieure à 1 000

20

3

15 %

Total

170

119

70 %

20La résidence, en particulier, apparaît comme le reflet du statut social de son propriétaire (tab. 9). Les valeurs des résidences patriciennes, qui s’échelonnent entre 500 et plus de 5 000 scudi d’estimo, mettent en évidence des différences très importantes dans la nature des édifices. Toutefois, il apparaît clairement que les demeures les plus prestigieuses (plus de 3000 scudi) appartiennent toutes à des patriciens qui possèdent également un titre de noblesse. Les quelques familles ayant le statut de Grand d’Espagne possèdent les palais aux estimations les plus élevées. Il s’agit des Borromeo (5 555 scudi), Clerici (5 000), Serbelloni (4 444), Trivulzio (4 166), Litta (4 166), Stampa (3 611). Au fur et à mesure que la valeur des résidences diminue, leurs propriétaires sont plus rarement titrés. La dernière catégorie de résidences (inférieure à 1 000 scudi) ne compte ainsi que 15 % de propriétaires titrés. Ces résultats confirment donc la fonction de marqueur social joué par la demeure. À l’extérieur du groupe patricien, il existe toutefois d’autres propriétaires de résidences de prestige (dont l’évaluation est supérieure à 2000 scudi). On trouve dans ce groupe des nobles d’autres villes de Lombardie ou d’origine étrangère qui recouvrent des charges institutionnelles dans la capitale. C’est par exemple le cas du comte Beltrame Cristiani, alors Grand chancelier de l’État (puis ministre plénipotentiaire en 1753), qui habite un palais estimé 3 543 scudi dans la paroisse de S. Babila. C’est également le cas du comte Cesare Airoldi, Trésorier général, de Don Cristoforo Mesmer, « secrétaire de la Reine de Hongrie », du comte Carlo Brentani, dont le père, Giuseppe Antonio, fut Trésorier général des armées puis membre du Conseil secret en 1723. Quelques grands financiers possèdent également des demeures d’une valeur comparable : le marquis Giovanni Paolo Molo qui, après avoir détenu la Ferme du sel, devient Trésorier général en 1760, le marquis Luigi Corbella ou Francesco Venini, dont la famille a détenu la Ferme du sel et qui possède une résidence estimée à 3055 scudi, située sur le corso de Porta Romana. Ces données confirment ainsi le rôle essentiel de la résidence dans cette culture du paraître qui fait de la demeure familiale le symbole du statut social.

Propriétés urbaines et richesse

  • 21  ASM, Atti di Governo, Tesoreria, cart. 25, Elenco delle cedole del prestito forzato ordinato dalla (...)
  • 22  Elenco delle famiglie nobili civili e vergognose soccorse nel 1785 [331 personnes], Bibl. Ambr. D  (...)

21En confrontant la valeur des patrimoines urbains à la richesse détenue par les familles, il s’agit de comprendre si les patrimoines urbains de taille modeste s’expliquent par un manque de disponibilités financières ou par un désintérêt pour les investissements urbains. La liste fiscale de 1798 a servi de référence principale pour envisager la richesse des familles21. Elle présente toutefois plusieurs limites. D’abord, les patrimoines urbains des familles ont connu des évolutions entre ces deux dates (1751 et 1798). Ensuite, les possessions situées hors de la Lombardie ne sont pas prises en compte pour la taxation. Or plusieurs familles patriciennes possèdent des propriétés dans d’autres états. Les Borromeo et les Busca ont ainsi une large partie de leurs terres dans le royaume voisin du Piémont Sardaigne. Enfin, cette liste fiscale se fonde exclusivement sur la propriété foncière qui représente, certes, la majeure partie de la richesse des familles, mais non la totalité. Si F. Arese avait publié une partie de la liste fiscale, il s’était arrêté à la frange supérieure, ne retenant que les familles possédant plus de 10 000 lires de revenu annuel. Il est donc apparu nécessaire de compléter sa liste en tenant compte des familles moins aisées, soit 56 familles supplémentaires. Pourtant, cet ajout ne permet toujours pas de cerner la totalité des familles patriciennes. Il est en effet fort probable que les familles qui n’apparaissent pas dans la liste possèdent un revenu annuel inférieur à 2 000 lires, seuil retenu pour l’établissement de celle-ci, sans compter bien sûr les nombreuses familles éteintes entre 1751 et 1798. Pour cerner ces familles les plus pauvres, l’exploitation des « listes des familles nobles et pauvres » se révèle délicate et il semble, au final, qu’elles ne comprennent que peu de chefs de famille patriciens22. La seule certitude concerne Don Alessandro Olocati (ou Holocati), qui est recensé en 1793 parmi les familles pauvres de Porta Ticinese. Il est également fort probable que la « famille Appiani d’Aragona » recensée en 1785 dans Porta Nuova ou les « frères Pusterla » dans Porta Orientale correspondent aux familles homonymes de la matricule. Ces quelques pistes confirmeraient donc l’existence d’un patriciat pauvre à Milan, réalité sociale négligée par les historiens.

Tab. 10 – Valeur des patrimoines urbains selon les niveaux de richesse (seconde moitié du XVIIIe siècle).

Tab. 10 – Valeur des patrimoines urbains selon les niveaux de richesse (seconde moitié du XVIIIe siècle).

22La relation entre la valeur des patrimoines urbains et le niveau de richesse ressort nettement (tab. 10) : les familles possédant moins de 10 000 lires annuelles de revenus sont aussi celles parmi lesquelles l’absence de propriété et les petits patrimoines sont les plus nombreux. Pour les familles gagnant 2 000 à 5 000 lires par an, le patrimoine urbain ne dépasse jamais les 5 000 scudi et il faut arriver à des revenus annuels supérieurs à 20 000 lires pour voir apparaître des patrimoines de plus de 10 000 scudi. Quant aux familles les plus riches (plus de 100 000 lires), elles sont toutes propriétaires de biens urbains et possèdent pour la grande majorité des patrimoines conséquents (pour 91 %, ils dépassent les 5 000 scudi). Quelles que soient les raisons qui motivent les investissements dans la capitale (rentabilité économique, prestige social, etc.), la possession d’un patrimoine urbain important, composé de biens locatifs et d’une résidence, est établie pour les familles les plus riches.

Tab. 11 – Valeur des résidences selon les niveaux de richesse (seconde moitié du XVIIIe siècle).

Tab. 11 – Valeur des résidences selon les niveaux de richesse (seconde moitié du XVIIIe siècle).
  • 23  Sur ce thème : L. Bourquin et Ph. Hamon (dir.), Fortunes urbaines : élites et richesses dans les v (...)
  • 24  Il situait au premier rang, en 1726, les Borromeo avec plus de 90 000 perches de terres, suivis pa (...)
  • 25  Les Rasini sont notamment propriétaires de terres situées dans le Piémont. Voir A. Vergani, Il Pal (...)
  • 26  Selon la liste établie par F. Arese (Elenchi dei magistrati patrizi… cit.), ont siégé au Consiglio (...)
  • 27  Teatro Genealogico… cit., p. 185. Il est qualifié de « pauvre et misérable cavalier par le vice du (...)
  • 28  J. Meyer, Un problème mal posé : la noblesse pauvre. L’exemple breton au XVIIIe siècle, dans RHMC, (...)

23Le rapport entre la fortune familiale et la valeur de la résidence est encore plus étroit (tab. 11) et confirme l’importance de la richesse pour maintenir son rang social23. Ce sont les familles les moins aisées qui sont dépourvues de résidence (cette situation concerne 64 % des familles possédant moins de 5 000 lires de revenu annuel), ce qui laisse penser qu’elles n’ont pas les moyens d’être propriétaires d’une demeure d’apparat à Milan. Pour les familles possédant moins de 10 000 lires annuelles, la résidence ne dépasse jamais les 2 500 scudi. Pour les familles les plus riches, le pourcentage des « sans résidence » diminue et il devient même nul puisque les deux familles qui sont concernées par cette situation, les Andreani (pour la classe 50 à 100 000) et les Recalcati (pour la classe supérieure à 100 000), en acquièrent une après 1751. Ce sont donc bien les familles les plus fortunées qui possèdent les principaux palais à Milan : les Litta, Archinto, Borromeo, Visconti di Modrone, Cusani, Belgioioso et Serbelloni, propriétaires de palais estimés pour plus de 3000 scudi, figurent parmi les familles dotées de plus de 100 000 lires de revenus annuels. Cette élite correspond globalement à celle identifiée par C. Besana pour la propriété terrienne24. Pourtant, la confrontation de la valeur du palais au revenu annuel fait ressortir, dans certains cas, l’existence de distorsions importantes. Certaines familles possèdent un palais dont la valeur avoisine celle des familles à peine citées alors qu’elles se trouvent à un niveau de richesse beaucoup moins important (aux alentours de 30 000 lires de revenu annuel ou même seulement 10 000 lires). La valeur du palais représenterait alors plusieurs décennies de leurs revenus. C’est le cas du prince Rasini qui est propriétaire d’un palais somptueux dans la paroisse de S. Babila (4 166 scudi) alors qu’il possède moins de 20000 lires de revenus. Dans ce cas, il est possible que la source fiscale ne tienne pas compte de l’ensemble des revenus, mais la famille a connu aussi des difficultés financières dans la première moitié du XVIIIe siècle qui ont pu amoindrir sa fortune25. Les Rasini appartiennent à une ancienne famille milanaise qui a occupé diverses charges durant la période ducale et s’est enrichie grâce au commerce au XVIe siècle. Elle obtient le titre de comte en 1573 et, quelques années plus tard, Giovanni est admis dans l’ordre de Malte (1596), ce qui suppose la reconnaissance d’un statut noble relativement ancien. L’acquisition de fiefs n’a lieu qu’au XVIIe siècle : les Rasini achètent d’abord le fief de Borsano dans la pieve de Dairago en 1670 puis celui de Valsesia en 1690. La même année, ils deviennent également princes de San Maurizio (Piémont). La famille est très présente au Consiglio Generale avec six décurions aux XVIIe-XVIIIe siècles26 et de manière plus limitée dans les institutions monarchiques, Carlo étant questeur ordinario en 1698 puis membre du Conseil secret en 1711. Son neveu Marco Antonio semble être largement responsable du déclin financier de la famille par sa passion du jeu qui entraîne une faillite en 173627. La fortune familiale a donc probablement été mise en péril. En tout cas, la résidence urbaine, ou plutôt les résidences urbaines, puisque les Rasini présentent l’un des rares cas où les deux frères sont propriétaires de résidences différentes, ont été sauvegardées à travers ces difficultés et demeurent quasiment les seules propriétés urbaines de la famille au milieu du XVIIIe siècle. Dans d’autres cas, le décalage entre un palais de très grande valeur et des revenus annuels modestes s’explique non par une évolution de la situation économique familiale, mais par les exigences de représentation liées à l’exercice de charges institutionnelles prestigieuses (présidence des Magistrati ou du Sénat, Régence, etc.). Le cas des Pertusati envisagé plus avant en est l’illustration. Le croisement des patrimoines urbains avec la richesse familiale permet donc d’éclairer certaines situations, mais le critère ne suffit pas, à lui seul, pour expliquer l’importance de la résidence urbaine. Comme le soulignait J. Meyer, les hiérarchies du pouvoir politique, de la richesse, de la noblesse et la profondeur généalogique des familles ne correspondent pas toujours28.

Patrimoines et implication institutionnelle

24L’implication institutionnelle des familles est étroitement liée à leur ancrage résidentiel dans la ville pour des raisons à la fois pratiques (remplir leurs charges institutionnelles qui se trouvent à Milan) et juridiques (il faut démontrer un siècle de résidence dans la capitale pour accéder aux principales charges urbaines).

Élaboration de profils institutionnels

  • 29  F. Arese, Elenchi dei magistrati patrizi di Milano dal 1535 al 1796 : i decurioni, dans ASL, 1957, (...)

25L’implication institutionnelle des familles patriciennes a été évaluée à partir des listes établies par Franco Arese qui concernent les deux principales magistratures civiques (Consiglio Generale et Vicario di Provvisione) et les principales magistratures royales (Sénat, Magistrato Ordinario et Straordinario, Conseil secret, charges de régent, capitaine de justice et d’avocat fiscal)29. Ces données ont servi à élaborer un profil des familles en fonction de leur domaine d’implication (magistratures royales et/ou civiques) et de leur période d’implication (période espagnole de 1535 à 1706 et période autrichienne de 1706 à 1796). Les profils obtenus présentent toutefois des limites. En effet, la catégorie des magistratures civiques ne prend pas en compte les membres du Tribunale di Provvisione pour lequel il n’existe pas de liste. Les nombreux offices inférieurs n’ont pas non plus été l’objet d’une recension alors qu’ils auraient pu accueillir des familles patriciennes qui n’étaient pas présentes au niveau supérieur.

Tab. 12 – Parcours institutionnels des familles patriciennes : situation générale (1535-1796).

Type de parcours

Nombre de familles

%

Familles n’ayant jamais occupé de charges

115

38,6 %

Familles ayant occupé une charge

183

61,4 %

Dont parcours uniquement dans les magistratures civiques

52

28,4 %

Dont parcours uniquement dans les magistratures monarchiques

25

13,7 %

Dont parcours mixtes (à la fois institutions civiques et monarchiques)

106

57, 9 %

Total des familles

298

100 %

  • 30  Soit dix familles qui sont les Castiglione (I), Trotti, Ordogno de Rosales, Bossi (I), Foppa (I), (...)
  • 31  M. Barbot, Il patriziato milanese : un’elite aperta ?... cit.

26Plus d’un tiers des familles patriciennes (38,6 %) n’a jamais fait partie des institutions recensées, ni civiques ni monarchiques, entre 1535 et 1796, soit un nombre conséquent pour un groupe social qui se définit par ses fonctions et son monopole institutionnels (tab. 12). À l’intérieur des familles représentées dans les différentes magistratures, 28,4 % ont participé aux seules institutions patriciennes et 13,7 % aux seules institutions monarchiques. La majorité a donc mené un double parcours, à la fois civique et monarchique mais qui a pu s’effectuer à des périodes différentes. En effet, les familles qui se sont maintenues tout au long de la période (de 1535 à 1796) dans les deux types d’institutions sont finalement très peu nombreuses : seulement 5,5 % des familles ayant occupé une charge (et 3 % de l’ensemble des familles patriciennes)30. Le nombre des familles qui se sont maintenues dans l’une des catégories institutionnelles (civique ou monarchique) est en revanche plus élevé : elles sont au nombre de 80 (soit 43,7 % des familles considérées). À ce niveau, si les charges monarchiques peuvent représenter un tremplin pour l’accès aux charges civiques, une famille qui a accès aux magistratures royales n’abandonnera jamais les charges civiques si elle y était intégrée précédemment. Ce constat met donc bien en évidence le prestige des institutions patriciennes. Toutefois, près de 30 % des familles qui avaient eu des charges durant la période espagnole n’en ont plus exercé après 1706. Ce constat rejoint donc celui de M. Barbot, qui mettait en évidence l’existence de familles ayant eu un rôle important aux XVIe-XVIIe siècles, mais se trouvant à l’écart au XVIIIe siècle31. Ce retrait institutionnel est-il lié à un déclin économique qui les contraint à se retirer de la capitale ? Le changement de souveraineté (de l’Espagne à l’Autriche) est-il responsable de leur marginalisation ? S’il est évident que ce bouleversement politique a pu avoir une influence directe sur le recrutement dans les institutions monarchiques, il a pu influer aussi sur les carrières civiques : en effet, parmi les trois noms proposés par le Consiglio Generale, c’est le gouverneur qui choisit finalement le nouveau décurion et celui-ci peut fort bien préférer des familles intégrées dans les réseaux impériaux après 1706. À l’inverse, 66 familles ont su conserver une implication institutionnelle importante, ayant au moins cinq membres dans l’un ou l’autre type de magistrature entre 1535 et 1796.

Tab. 13 – Familles ayant eu plus de cinq membres dans les institutions civiques et/ou monarchiques entre 1535 et 1796.

Nombre de familles

Dont exclusivement présentes dans les institutions civiques

5 membres

15

6

6 membres

12

1

7 membres

8

2

8 et 9 membres

10

1

10 à 13 membres

14

1

14 à 21 membres

7

0

Total

66

11

27Ces 66 familles ont toutes, sans exception, occupé des charges civiques, confirmant encore le prestige de celles-ci (tab. 13). La plupart de ces familles se caractérisent par leur durée institutionnelle : elles apparaissent généralement impliquées durant les deux périodes, espagnoles et autrichiennes, (seulement 12 familles – soit 18 % – ne figurent que pour l’une ou l’autre des périodes) et ont suivi un double cursus (seulement 11 familles n’ont pas été impliquées dans les institutions monarchiques). La prise en compte du nombre de membres met en évidence l’existence d’un noyau de familles qui non seulement a connu une longue durée institutionnelle, mais qui a aussi monopolisé les charges de manière simultanée. Le croisement de ces données avec les situations patrimoniales éclaire les cas particuliers, notamment ceux qui s’écartent de la « norme résidentielle », c’est-à-dire les familles dépourvues de toute propriété ou d’une résidence et les familles qui possèdent au contraire de gros patrimoines et une résidence de grande valeur.

Les familles dépourvues de propriété ou de résidence : une faible implication institutionnelle

Tab. 14 – Patrimoine urbain et profil institutionnel : situation générale.

Profil institutionnel

Ensemble des familles

Familles propriétaires mais non de leur résidence

Familles sans aucune propriété

sans charge

115
(39 %)

21
(48 %)

36
(62 %)

avec charges

183
(61 %)

23
(52 %)

22
(38 %)

Dont charges uniquement entre 1535 et 1706

54
(30 %)

6
(26 %)

15
(68 %)

Dont charges uniquement entre 1706 et 1796

35
(19 %)

5
(22 %)

3
(14 %)

Dont charges sur les deux périodes

94
(51 %)

12
(52 %)

4
(18 %)

Total familles

298
(100 %)

44
(100 %)

58
(100 %)

28Les familles complètement dépourvues de propriété en 1751 sont majoritairement des familles qui n’ont jamais exercé de charges institutionnelles et n’en exerceront pas dans la seconde moitié du XVIIIe siècle (tab. 14). Cette situation concerne en effet 62 % des familles. Pour celles-ci, la présence et la possession d’une résidence dans la capitale lombarde ne se voient pas justifiées par l’exercice de charges publiques. Il est donc vraisemblable que certaines d’entre elles ne vivent pas (ou plus) à Milan. Parmi les 38 % restant, la grande majorité se trouve également en retrait de la vie publique au XVIIIe siècle (68 % des familles ayant occupé au moins une charge n’en exercent plus au XVIIIe siècle) et la part des parcours simples (uniquement civique ou uniquement monarchique) y est aussi beaucoup plus élevée. Dans le cas des familles qui possèdent divers biens à Milan, mais non leur résidence, 48 % n’ont jamais exercé de charges institutionnelles, soit une proportion toujours supérieure à la moyenne mais moins massive que pour le groupe précédent. Une étude plus approfondie montre quatre cas de figure.

  • 32  Ces recours figurent dans ASM, Araldica, p.a.
  • 33  La grande majorité d’entre elles ne figure pas dans la liste fiscale d’Olona qui comprend les fami (...)
  • 34  P. Morigia, La nobiltà di Milano, Milan, 1595. Cette mention vaut preuve de noblesse generica (voi (...)
  • 35  ASM Araldica p.a. : demande d’admission au Conseil des Jurisconsultes d’Alessandro Bussero en 1712 (...)
  • 36  ASM Araldica p.a., cart. 87.
  • 37  ASM, Araldica p.a., cart. 81. Son admission au patriciat ne respecte donc pas le seuil minimal de  (...)
  • 38  ASM Araldica p.a., cart. 83.
  • 39  ASM, Araldica, p.a., cart. 113. « Si sarebbe praticato atto di rispettosa fina e obbligante attenz (...)

29Le premier cas renvoie à des familles qui n’ont jamais intégré les institutions recensées et dont l’admission au patriciat apparaît récente. « Apparaît » car, en réalité, il s’agit parfois d’anciennes familles milanaises qui n’avaient pas été recensées dans la liste de 1770 et qui ont effectué un recours dans les années qui suivent pour y être intégrées32. Il s’agit par exemple des Beolchi (admis en 1773), Pestagalli (1759), Porro III (1772), Parravicini I (1769), Mauruzzi (1771), Della Torre Rezzonico (1760), Isacco (1775), Gallarati (1772), Gemelli (1770), Bussero (1721), Vezzoli (1750), Lampugnani III (1744). Ces familles sont très mal connues, mais leur admission au patriciat n’est pas le résultat d’une réussite économique éclatante33 ni d’une insertion dans les institutions monarchiques. Il s’agit essentiellement d’anciennes familles milanaises qui ont occupé d’autres charges civiques plus modestes ou qui peuvent se réclamer d’une ancienne et illustre ascendance. Dans les dossiers qu’elles présentent pour attester leur noblesse, plusieurs font référence à leur mention dans l’ouvrage de Paolo Morigia sur la noblesse milanaise à la fin du XVIe siècle34. Certaines d’entre elles justifient leur statut patricien par la présence d’un ancêtre au chapitre du Duomo, au Conseil des Jurisconsultes ou des Physiciens35. Quant à Don Tommaso Isacco, il ne mentionne aucune charge institutionnelle, mais renvoie à la possession de qualificatifs nobiliaires avant le XVIe siècle et d’un tombeau familial depuis 1489. La vie de ses ancêtres s’est déroulée essentiellement sur leurs terres de Tabiago, où ils furent baptisés. En revanche, Tomaso et son frère sont nés dans la paroisse de S. Giovanni Quattro Faccie en 1733 et 1735, ce qui atteste la résidence de leurs parents à Milan. La richesse foncière de la famille s’élève à 11 741 scudi d’estimo, ce qui la place à un niveau modeste, mais non parmi les plus pauvres36. Don Emanuele Gallarati se rapproche quant à lui des niveaux économiques les plus bas du patriciat avec seulement 3038 scudi d’estimo, toutes ses possessions se trouvant dans les communes d’Arosio et Romano où s’élève aussi la casa da nobile familiale. Il prouve son appartenance à la petite noblesse locale par la possession d’un blason familial. Son père, Antonio Maria, a pu toutefois résider ponctuellement à Milan puisqu’il est mentionné comme habitant la paroisse de S. Simpliciano (Porta Comasina)37. Les Gemelli appartiennent aussi à une petite noblesse provinciale originaire d’Orta, où se trouvent leurs terres et la casa da nobile. Outre la possession d’un fief ecclésiastique, la présence de plusieurs de leurs membres au Collège des Jurisconsultes de Milan peut expliquer leur rattachement au patriciat38. Au sein de ce groupe, les Rezzonico della Torre constituent un cas particulier pour leur richesse et le prestige social dont ils jouissent. Il s’agit en effet d’une ancienne famille patricienne de Côme qui a été au service des souverains de Piémont dont elle a reçu un titre nobiliaire. Leur reconnaissance au patriciat milanais, en 1760, se fait grâce à une lettre de recommandation du cardinal Antonio Maria Erba Odescalchi qui met en évidence leur parenté avec le souverain pontife, Clément XIII39. En dehors de ce dernier cas, la situation quelque peu marginale de ces familles explique que beaucoup d’entre elles n’aient pas été insérées dans la liste des patriciens en 1770 et aient présenté un recours dans les années suivantes pour voir reconnaître leur statut.

  • 40  Gian Giacomo était au service de Francesco Sforza puis de Charles Quint et reçut le titre de marqu (...)
  • 41  F. Repishti, La residenza milanese di Pio IV : il palazzo Medici in via Brera, dans Annali di Arch (...)
  • 42  Teatro genealogico… cit.
  • 43  F. Calvi, Famiglie notabili… cit.
  • 44  Trois générations se sont succédé au Consiglio Generale : Cristoforo (1557-1564), Francesco (1564- (...)
  • 45  Francesco Appiani fut membre du Tribunale di Provvisione dans la seconde moitié du XVIIe siècle (T (...)

30Une deuxième catégorie de familles dépourvues de résidence à Milan a fait partie des institutions durant la période espagnole (1535- 1706), mais n’y figure plus au XVIIIe siècle. Il s’agit des Negroli, Piola, Daverio, Tosi, Mandelli, Medici di Marignano, Avogadri, Terzaghi (III), Sovico, Bolognini (I), etc. Ces familles peuvent vanter une appartenance ancienne au patriciat et leur retrait institutionnel au XVIIIe siècle s’explique par diverses raisons. Les Medici di Marignano avaient atteint les sommets de la reconnaissance sociale au XVIe siècle grâce à Gian Giacomo, célèbre condottiere, et à son frère, Giovanni Angelo, devenu pape sous le nom de Pie IV en 155940. Sous son pontificat, Giovanni Angelo s’était fait construire un somptueux palais dans le quartier de Porta Nuova41. Mais la demeure est abandonnée à sa mort, en 1565, puis louée à Pirro Visconti Borromeo di Brebbia en 1587 et finalement vendue en 1610 au comte Simonetta. Au XVIIe siècle, la famille réside dans le château de Melegnano, tout proche de Milan, qui avait été donné à Gian Giacomo par le duc Francesco II Sforza ou encore dans sa résidence de Frascarolo. Plusieurs facteurs peuvent contribuer à expliquer cet éloignement de la capitale : l’auteur du Teatro genealogico souligne la « mauvaise qualité des mariages »42, mais il semble surtout que la famille se désintéresse des charges institutionnelles, tout en conservant un rôle militaire43. Elle se rapproche des souverains toscans et, au milieu du XVIIIe siècle, réapparaît sur la scène publique milanaise puisque Carlo Antonio Medici est procureur et mandataire du grand-duc de Toscane à Milan en 1730. Les Appiani d’Aragona ont eu, quant à eux, un parcours limité aux institutions civiques dans lesquelles ils occupaient une place importante au XVIe siècle44. Si aucun membre de la famille Appiani n’apparaît plus au Consiglio Generale après 1613, ils restent en revanche présents au Tribunale di Provvisione et au Collège des Jurisconsultes45. Cette présence laisse supposer qu’au milieu du XVIIIe siècle, la famille habite à Milan dans une résidence en location. Les Appiani ne possèdent par ailleurs ni fief, ni titre de noblesse, et leur situation financière est bien modeste par rapport à d’autres familles patriciennes. Ces familles peuvent donc habiter hors de Milan ou dans la capitale, mais dans une modeste demeure en location. Elles n’occupent qu’une place secondaire à l’intérieur du patriciat, n’ayant plus de rôle institutionnel prestigieux. Cela les différencie de la catégorie suivante, qui apparaît au contraire bien intégrée dans les cercles de pouvoir.

  • 46  La famille est implantée à Milan au moins depuis le XIIIe siècle (Guglielmo est notaire des Consul (...)
  • 47  Virginia Casati, l’épouse de Tomaso Nava, mort en 1723, récupère la totalité de l’héritage paterne (...)
  • 48  Il s’agit de la parcelle n° 154 de S. Bartolomeo. La location de la demeure par la famille Nava es (...)
  • 49  A. Brugnoli, Paolo Rido della Silva : vita e opinioni di un gentiluomo al servizio di sua Maesta ( (...)
  • 50  ASM, Fondo Crivelli, Case Milano, cart. 6. Après son décès, l’appartement est loué à la comtesse B (...)
  • 51  Le premier contrat de location est signé par le comte Giulio Visconti Borromeo Arese le 9 août 170 (...)

31La troisième catégorie de familles dépourvues de résidence en propriété dans la capitale correspond à des familles qui sont impliquées dans les institutions exclusivement au XVIIIe siècle. Ces familles habitent donc à Milan dans une demeure qu’elles louent et ce statut locatif ne semble pas être une situation temporaire, mais un choix sur le long terme. C’est par exemple le cas des Nava, comtes de Brianzola, qui appartiennent à une vieille famille milanaise et qui sont présents au Consiglio Generale comme au Tribunale di Provvisione au XVIIIe siècle46. Ils sont propriétaires d’une maison avec jardin dans la paroisse de S. Marcellino (P. Comasina), qui est estimée à 1 597 scudi et qui est probablement leur ancienne demeure familiale abandonnée car devenue trop exigüe (la paroisse de S. Marcellino accueille la résidence d’une autre branche Nava). Le lignage vient en effet de connaître une amélioration de sa situation financière avec l’héritage Casati47 qui leur a permis d’acquérir le titre de comte (1723) et le fief de Brianzola (1732). Dans les années 1770, ils sont ainsi locataires d’une casa da nobile située dans la contrada du Borgonuovo, qui a appartenu aux Scaramuzza Visconti et qui est désormais propriété des Litta48. Ils ont donc choisi d’habiter l’une des rues aristocratiques de Milan, dans une demeure estimée à 2 777 scudi, soit une valeur bien supérieure à l’immeuble de S. Marcellino qui se trouvait par ailleurs dans un quartier plus populaire. Un autre patricien ayant fait le choix de vivre en location est Paolo de Rido della Silva, qui appartient à une noblesse féodale ancienne, sa famille détenant un fief dans la Valle d’Ossola depuis le XIVe siècle. Sans doute cet ancrage terrien et féodal peut-il expliquer le relatif désintérêt pour la résidence urbaine. En effet, avant la génération de Paolo, la famille ne figurait pas dans les institutions milanaises, bien qu’elle soit intégrée au patriciat depuis plusieurs siècles49. Paolo et son frère Antonio (q Marco Antonio) sont les premiers à faire partie du Collège des Jurisconsultes. Paolo occupe ensuite des charges importantes dans les institutions civiques (il est Vicario di Provvisione en 1741 et 1748) et surtout dans les institutions monarchiques, où il mène une carrière qui le porte aux fonctions les plus prestigieuses en suivant le cursus honorum traditionnel (avocat fiscal en 1749, capitaine de justice en 1755, sénateur en 1756). À partir des années 1760, il joue un rôle important dans les nouvelles institutions issues des réformes thérésiennes : il est président du Conseil de Justice de Mantoue en 1760, Consultore di Governo en 1762 et président du Tribunal d’héraldique en 1767. Paolo della Silva est propriétaire de quelques immeubles de valeur modeste dans la paroisse de S. Stefano in Brolio (ils sont estimés entre 500 et 600 scudi). Il ne cherche apparemment pas à acquérir ou bâtir une résidence et préfère louer un appartement à l’intérieur du palais Crivelli, où il demeure jusqu’à sa mort, en 178950. C’est là un choix singulier pour une personne recouvrant des charges d’une telle importance, mais il est possible que l’absence de descendance directe ne l’ait pas encouragé à investir dans la propriété d’un palais. Quant aux Cavazzi della Somaglia, famille qui se caractérise également par une origine féodale ancienne, ils louent l’ancien palais Visconti situé sur le corso Monforte (paroisse de S. Babila), estimé à 3 055 scudi51. Ces familles, qui ne possèdent pas de propriété conforme à leur rang social, ont donc fait le choix de vivre en location. L’ancienne origine féodale de certaines d’entre elles peut expliquer ce relatif désintérêt pour un ancrage urbain, le centre de leurs possessions se trouvant à la campagne. Leur résidence urbaine serait donc investie d’une moindre importance, n’ayant pas à confirmer un statut nobiliaire récemment acquis.

  • 52  Le cas Andreani est étudié de manière approfondie chap. 4.
  • 53  Sur l’acquisition de l’ancien palais Litta par les Recalcati : AOM, Fondo Litta, cart. 251, acte d (...)
  • 54  En 1765, Don Alessandro Ottolini déclare à l’Office du cadastre avoir fait l’acquisition, auprès d (...)
  • 55  Teatro Genealogico… cit.
  • 56  Sur la famille Verri : C. Capra, I progressi della ragione : vita di Pietro Verri, Bologne, 2002 ( (...)

32Enfin, pour la dernière catégorie de familles, la location d’une résidence en 1751 apparaît comme une situation temporaire. Il s’agit de familles nouvelles ou anciennes, mais qui connaissent toutes une phase d’ascension sociale et jouissent d’une situation financière confortable. Elles se trouvent donc dans une période de transition et sont à la recherche d’une résidence à la hauteur de leur nouveau statut. À la différence des familles précédentes, elles acquièrent une demeure dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. C’est par exemple le cas des Andreani, admis au patriciat en 1737 et qui achètent l’ancien palais Monti en 178352. C’est encore le cas de la famille Recalcati qui ne figure pas comme propriétaire de son habitation en 1751, mais qui fait l’acquisition, deux ans plus tard, de l’ex-palais Litta53. Famille d’origine marchande, les Recalcati se sont enrichis principalement grâce aux finances publiques et acquièrent le fief de Bassiano en 1678 puis le titre de marquis en 1681. Les Ottolini et Scaccabarozzi font aussi l’acquisition d’une casa da nobile après 175054. Les Ottolini appartiennent à une famille d’origine provinciale relativement modeste qui a compté plusieurs juristes et dont la présence à Milan est attestée en 1677 avec l’intégration de Federico au collège des Physiciens. Son fils Giulio fait ensuite partie du Collège des Jurisconsultes et du Tribunale di Provvisione55. Quant aux Verri, ils ne constituent pas à proprement parler une famille nouvelle mais la personnalité de Gabriele, célèbre juriste qui entre au Consiglio Generale en 1740, contribue à donner à la famille une reconnaissance sociale majeure56. Son intégration dans les institutions milanaises a sûrement pesé dans la décision d’acheter en 1760 une casa da nobile dans la paroisse de S. Andrea. Il semble ainsi que la majorité des familles intégrées dans les charges institutionnelles et possédant une aisance financière cherchent à devenir propriétaires de leur résidence dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle et y parviennent largement.

Les familles aux résidences les plus prestigieuses : une forte implication institutionnelle

33Le cas des familles propriétaires des résidences les plus importantes confirme le rapport étroit entre la situation résidentielle et l’exercice de charges institutionnelles (tab. 15).

Tab. 15 – Patrimoines et profil institutionnel : les familles aux résidences les plus prestigieuses.

Type parcours

Ensemble des familles

Résidence évaluée de 2500 à 4000 scudi

Résidence supérieure à 4000 scudi

Total familles

298

45

13

Sans charge

115
(39 %)

5
(11 %)

0
(0 %)

Charges uniquement entre 1535 et 1706

54
(18 %)

6
(13 %)

1
(8 %)

Charges uniquement entre 1706 et 1796

25
(8 %)

4
(9 %)

0
(0 %)

Charges sur les deux périodes

104
(35 %)

30
(67 %)

12
(92 %)

Total charges

183
(61 %)

40
(89 %)

13
(100 %)

  • 57  La première acquisition est la parcelle n° 44 de San Giovanni sul Muro, qui appartenait au Luogo P (...)

34Ces familles sont en effet quasiment toutes intégrées dans les institutions milanaises au XVIIIe siècle. Les familles sans rôle institutionnel sont inexistantes lorsque les résidences dépassent 4 000 scudi et elles représentent seulement 11 % des familles dont la résidence est comprise entre 2 500 et 4 000 scudi. Il s’agit de familles qui, pour beaucoup, ont un double parcours, à la fois civique et monarchique et qui connaissent une grande permanence au cours de l’ensemble de la période (1535-1796), au moins dans un type d’institution. Les familles possédant les résidences les plus importantes ont souvent intégré le patriciat après une carrière dans les institutions monarchiques. Dans leur cas, la possession d’une résidence prestigieuse apparaissait alors particulièrement importante pour prouver la noblesse de la famille et son enracinement dans la capitale. C’est le cas des Castelli, des Durini et des Clerici, qui se sont enrichis grâce à des activités commerciales et financières et qui ont obtenu un titre de noblesse à l’époque espagnole. La résidence milanaise, tout comme l’acquisition d’un fief et d’un titre, a donc contribué à effacer ce passé jugé peu digne. Si la qualité de la résidence apparaît étroitement liée à l’implication dans les institutions civiques ou monarchiques, le cas du marquis Giovanni Corrado d’Olivera peut, au premier abord, apparaître comme un contre-exemple, démontrant que l’implication au plus haut niveau institutionnel ne s’accompagne pas forcément d’une résidence prestigieuse. Toutefois sa reconnaissance institutionnelle s’accompagne d’importants travaux dans sa demeure confirmant alors la dimension représentative de celle-ci. Giovanni Corrado d’Olivera, intégré dans les institutions urbaines comme Vicario di Provvisione en 1734, conduit surtout une fabuleuse carrière dans les institutions monarchiques : après avoir été nommé questeur au Magistrato Straordinario en 1741, il devient sénateur et régent en 1750 puis président du Sénat (1751) et enfin Grand Chancelier honoraire en 1758. Pourtant, en 1751, il habite encore une résidence qui est loin d’être parmi les plus prestigieuses de Milan. Située dans la paroisse de S. Giovanni sul Muro (Porta Vercellina), elle n’est estimée qu’à 1 805 scudi et représente alors sa seule propriété dans la capitale. Sa nouvelle position au sein des institutions royales est sûrement l’un des facteurs qui le poussent à entreprendre des travaux importants. En 1763 puis 1766, il acquiert ainsi deux maisons mitoyennes destinées à agrandir sa demeure et dépose une demande de permis de construire en 176357.

35La variété des patrimoines urbains du patriciat milanais et les situations résidentielles diversifiées s’expliquent donc largement par deux critères déterminants : la richesse et l’implication institutionnelle. Le critère institutionnel influe principalement sur l’existence ou non d’une résidence en propriété à Milan et le critère économique sur la valeur du patrimoine urbain et de la résidence.

Stabilité de l’emprise foncière et concentration des patrimoines au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle

État des patrimoines patriciens en 1802

  • 58  « Metodo per regolare i trasporti delle partite d’estimo da un possessore all’altro (30 settembre  (...)
  • 59  Bibl. Braidense, Gridario 5. L’avis du 13 septembre 1773 oblige en effet les propriétaires à se me (...)

36Les livres de transferts du cadastre (libri dei trasporti d’estimo) permettent d’envisager l’évolution des patrimoines patriciens au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle. L’édit du 30 septembre 1752 obligeait en effet toute personne ayant nouvellement acquis un bien, par héritage ou à la suite d’un acte entre vifs, à le déclarer à l’administration du cadastre, dans un terme de quatre mois, sous la double peine d’une lire d’amende pour chaque scudo d’estimo non déclaré et de devoir payer deux fois le montant de l’impôt pour toute la période où le fisc aura été lésé58. Pour rendre plus efficace le système, et encourager son application, il est précisé que l’amende sera partagée entre le fisc et l’accusateur qui pourra demeurer secret. Le nouveau propriétaire doit présenter sa demande à l’Office du cadastre (Ufficio del Catasto) et produire ses nouveaux titres de propriété. L’application réelle de cette mesure pose toutefois des problèmes. En effet, surtout pour les premières années, les transferts de propriétés ne sont pas déclarés dans les délais nécessaires et la peine qui devait être infligée aux contrevenants n’est manifestement pas appliquée : de nombreux exemples montrent que des passages de propriété datant des années 1750 ou 1760 sont enregistrés avec plusieurs années de retard et il semble en fait que ce soient les avis de 1773-1774 qui réussissent véritablement à imposer la pratique59. À cette période, on observe en effet un pic de déclarations correspondant à des régularisations. Les livres des transferts de propriété sont organisés à la manière des livres de comptabilité. Avec une page double par propriétaire, ils permettent d’inscrire à droite les pertes et à gauche les acquisitions, mais ils ne donnent que l’identification du bien, les noms de l’ancien et du nouveau propriétaire, sans préciser la nature du transfert ni la date exacte de celui-ci. La date mentionnée est la date d’enregistrement, qui est parfois postérieure de plusieurs années au transfert effectif. L’inscription du transfert dans ces livres sanctionne son enregistrement officiel. L’estimation cadastrale des parcelles donnée en 1751 ne connaît pas de modifications par la suite, ce qui ne permet pas de prendre en compte les transformations architecturales de l’immeuble (élévation, agrandissement, etc.) ou même le fait qu’un terrain soit bâti. Il n’y a pas non plus d’information sur les changements d’usage d’un bien : le passage d’un usage locatif à un usage résidentiel (ou inversement) n’est pas mentionné. Seuls les changements de propriétaire peuvent donc être envisagés. Les libri dei trasporti ont été dépouillés uniquement pour le patriciat jusqu’en 1802 et permettent d’appréhender ainsi de manière certaine l’évolution des patrimoines familiaux depuis l’activation du cadastre (tab. 16).

Tab. 16 – Répartition des patrimoines patriciens en 1802.

Tab. 16 – Répartition des patrimoines patriciens en 1802.
  • 60  D. E. Zanetti, La demografia del patriziato milanese… cit., A-255 et sq. Le chiffre de 49 extincti (...)

37Le poids global du patriciat à l’intérieur de la propriété milanaise n’a quasiment pas changé par rapport à 1751, si ce n’est une très légère diminution de 0,7 % (il passe de 892 000 à 885 854 scudi). En revanche, le nombre de familles propriétaires connaît une diminution de près de 13 % en dépit des admissions nouvelles (il passe de 209 en 1751 à 182). Cette baisse du nombre de familles propriétaires ne provient pas d’un déclin économique de certaines d’entre elles (appauvrissement et vente de leur patrimoine), mais d’un phénomène biologique (extinction par absence de descendant masculin). Les cas de liquidations patrimoniales pour raisons financières sont exceptionnels et rarement complets. En revanche, les disparitions de familles sont importantes au cours de cette période : D. E. Zanetti mentionnait 49 extinctions de lignées patriciennes durant la seconde moitié du XVIIIe siècle60, mais celles-ci sont en réalité plus nombreuses car la liste publiée par Zanetti ne tient compte que des familles présentes au Consiglio Generale. Ce phénomène biologique n’a pourtant pas affaibli le poids foncier du groupe dans la mesure où les propriétés reviennent bien souvent à une autre famille patricienne du fait de la forte endogamie du groupe social. Le maintien du poids foncier de l’ensemble du patriciat et la baisse du nombre de familles propriétaires s’accompagne ainsi d’une légère élévation de la valeur moyenne des patrimoines familiaux, qui passe de 4 270 à 4 867 scudi, ainsi que du nombre de biens qui les compose (de 4,2 à 4,8). Si la catégorie des patrimoines les plus ténus (inférieurs à 1 000 scudi) tend à diminuer – 9 % des familles au lieu de 13 % et 1 % de la valeur des biens contre 2 % –, celle des patrimoines les plus importants connaît au contraire une augmentation : les deux catégories supérieures à 5 000 scudi qui représentaient ensemble 25 % des familles et 57 % de la propriété en 1751, représentent désormais 33 % des familles et 65 % de la propriété. L’évolution des patrimoines familiaux révèle que les transformations les plus manifestes s’opèrent à travers une concentration de la propriété aux mains de quelques familles.

38Durant la seconde moitié du XVIIIe siècle, l’évolution des patrimoines familiaux apparaît très variable (tab. 17) : 23 familles conservent un patrimoine identique, qui n’a connu ni entrées ni sorties de biens ; 79 familles n’apparaissent plus propriétaires en 1802 (pour beaucoup, il s’agit d’extinctions), 52 connaissent une diminution de leur patrimoine plus ou moins importante, 87 voient la valeur de leur patrimoine augmenter et 21 accèdent à la propriété.

Tab. 17 – Évolution des patrimoines patriciens (1751-1802).

Indice de variation des patrimoines

Nombre de familles

Perte totale

79

0,1 à 0,5 (perte supérieure à la moitié)

16

0,5 à 1 (perte inférieure à la moitié)

36

0 (stable)

23

1,1 à 1,5 (augmentation inférieure à 50 %)

33

1,5 à 2 (augmentation de 50 à 100 %)

23

2à3

20

3à6

11

jamais propriétaire

32

nouveaux propriétaires

21

nouveaux propriétaires (mais cédé avant 1802)

5

Total

299

Des augmentations remarquables : le rôle du marché et des héritages

39Un nombre important de familles réussissent ainsi à doubler, voire à multiplier par près de six la valeur initiale de leur patrimoine. Pour certaines, la récupération d’un héritage a contribué à cette augmentation du patrimoine. Pour d’autres elle est liée exclusivement ou majoritairement à une politique d’acquisition sur le marché. Le tableau 18 comprend les familles pour lesquelles le coefficient d’augmentation de la valeur des propriétés est supérieur à 3. Il s’agit, dans tous les cas, de patrimoines qui, au départ, étaient plutôt limités, un seul dépassant le seuil des 3 000 scudi d’estimo.

Tab. 18 – Les principales augmentations de patrimoines (1751-1802) (coefficient supérieur à 3).

Tab. 18 – Les principales augmentations de patrimoines (1751-1802) (coefficient supérieur à 3).
  • 61  Acte du 25 février 1772, r° L. Canziani.
  • 62  Testament du 25 septembre 1780, r° G. B. Riva.
  • 63  La demande de travaux pour « incorporer l’église » et refaire la façade de sa résidence est déposé (...)
  • 64  L’essentiel des aménagements a en effet été réalisé dans la première moitié du XVIIIe siècle : L. (...)
  • 65  Les baux de location sont conservés dans ASM, Fondo Litta Modignani, cart. 33.

40Dans le cas des Clerici II (branche cadette) l’augmentation provient exclusivement de l’héritage de la branche aînée des Clerici ; pour les Castiglione, elle résulte aux trois quarts de l’héritage des Stampa et pour le quart restant de l’acquisition d’un immeuble lors des suppressions ecclésiastiques. Pour les Isimbardi, elle est en partie liée à la récupération de l’héritage des Della Croce III, mais la majeure partie des transactions s’est effectuée sur le marché en profitant de la vente des ex-biens ecclésiastiques et surtout de cessions effectuées par des particuliers. Leur cas est exceptionnel par le nombre de mouvements qui affectent les propriétés au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle : on peut en effet dénombrer 29 entrées de biens et 16 sorties. En 1751, au moment de la réalisation du cadastre, les propriétés des Isimbardi se limitaient à la résidence familiale dans la paroisse de S. Marcellino (Porta Comasina) estimée à 2 777 scudi et à deux maisons de location voisine (347 et 76 scudi). Au cours de la seconde moitié du siècle, un deuxième noyau de propriétés est constitué dans la paroisse de S. Bartolomeo, à partir de l’héritage Della Croce, transmis par Margherita, épouse de Gian Pietro Isimbardi. L’augmentation du patrimoine des Viani provient pour un quart de l’héritage Monti et pour les trois quarts d’acquisitions. En 1751, le marquis Gabrio ne possédait que sa résidence dans S. Tomaso (estimée à 1 250 scudi). Il se constitue, au cours des années 1770, un nouveau noyau patrimonial dans S. Babila (Porta Orientale) avec l’achat des anciennes propriétés Bolagnos, dont une prestigieuse résidence estimée à 4 166 scudi61 et se transfère dans celle-ci, vendant peu de temps après son ancienne demeure de S. Tomaso. Le patrimoine Viani comprend alors trois biens pour une valeur totale de 6 248 scudi. Dans les années 1780, trois nouveaux biens (estimés à 2 167 scudi) provenant de l’héritage Monti Loaysa parviennent au marquis Viani62. Le marquis vend ensuite l’un d’eux (une casa da nobile située dans S. Andrea et estimée à 1 041 scudi) à Lodovico Berrini. Pour le comte Lurani, l’augmentation patrimoniale résulte, pour plus de la moitié, des biens qui lui sont transmis par les Lucini. En 1751, Cristoforo Lurani ne possédait qu’une très modeste résidence (972 scudi) dans la paroisse de S. Giorgio al Palazzo (PT). Quelques années plus tard, son fils Francesco devient propriétaire de trois autres biens, provenant des Bonesana, qui sont cependant revendus rapidement. Dans les années 1780, la famille entre en possession de l’héritage Lucini : il s’agit de quatre parcelles situées dans le quartier de Porta Orientale, estimées à 4 277 scudi. Le comte Francesco cède alors son ancienne résidence pour s’installer dans celle des marquis Lucini, bien plus prestigieuse (n° 3 de S. Pietro all’Orto, estimé 3 055 scudi). Il profite ensuite des suppressions ecclésiastiques pour acquérir l’église et la maison paroissiale de S. Pietro all’Orto, voisines de sa résidence, dans la perspective d’agrandir celle-ci63. Dans le cas des Litta Modignani, l’augmentation du patrimoine urbain provient exclusivement d’une politique d’acquisitions, largement permise par les suppressions ecclésiastiques et menée dans l’objectif d’accroître l’emprise familiale autour de la résidence. Au milieu du XVIIIe siècle, le marquis Eugenio ne possédait en effet que sa demeure dans la paroisse de S. Maria Passarella (estimée à 2 083 scudi). Durant la seconde moitié du siècle, la valeur de son patrimoine urbain est multipliée par 3,47. Si les acquisitions se situent dans différentes paroisses, toutes les parcelles sont en réalité contigües à la résidence (pl. III). Pourtant, ces achats ne semblent pas avoir été destinés à agrandir le palais Litta Modignani64, mais plutôt à rapporter une rente locative. L’ex-casa Catenacci se compose en effet d’appartements loués entre 450 et 900 lires par an à des membres de l’élite milanaise65.

41À la suite de ces diverses recompositions, la catégorie des familles possédant les patrimoines les plus importants s’est un peu modifiée. Si les Borromeo, les Litta Visconti Arese et les Visconti di Somma Modrone en font toujours partie, d’autres familles l’ont quittée (la branche aînée des Clerici s’est éteinte, les Recalcati et les Calderara ont cédé une part de leurs propriétés, etc.). En contrepartie, de nouveaux venus figurent parmi les familles possédant plus de 15 000 scudi d’estimo. Ce sont les propriétaires des patrimoines qui ont connu les plus fortes augmentations au cours de la seconde moitié du siècle en termes de valeur des biens acquis. Quatre familles ont en effet accru leur patrimoine de plus de 10 000 scudi (tab. 19).

Tab. 19 – Augmentations de patrimoines supérieures à 10 000 scudi (1751-1802).

Famille

Valeur 1751 (en scudi)

Valeur 1802 (en scudi)

Gain (en scudi)

Barbiano di Belgioioso I

4 225 (8 460 avec les biens de son épouse)

19 261

10 801

Isimbardi

3 201

14 449

11 248

Serbelloni

13 665

25 460

11 795

Cusani

8 735

21 613

12 878

42Le cas Isimbardi vient d’être évoqué. L’augmentation du patrimoine Cusani correspond à quelques acquisitions autour de la résidence de S. Eusebio (pour environ 428 scudi), à l’acquisition de l’ex-monastère de S. Radegonda (pour 3 633 scudi après les reventes) et surtout à la création de deux nouveaux noyaux résidentiels par des membres de la famille. Francesco fait l’achat d’une demeure dans S. Paolo in Compito avec une maison voisine (3 027 scudi) tandis que Cesare devient propriétaire d’une casa da nobile dans S. Eufemia avec deux maisons voisines (3 226 scudi). Quant aux Belgioioso et aux Serbelloni, les acquisitions ont servi à la construction des somptueux palais réalisés par Piermarini et Cantoni (voir chap. 8). Ces différents cas démontrent donc que les achats de biens immobiliers urbains sont essentiellement réalisés à des fins résidentielles ou pour renforcer l’emprise territoriale autour de la résidence. Les biens qui ne sont pas agglomérés à cette dernière procurent une rente locative, mais on ne constate pas d’achats suivis de revente dans une perspective spéculative. Est-ce un effet de la source cadastrale qui, étant donné les délais d’enregistrement, ne mentionne pas toutes les transactions dans le cadre d’achats suivis d’une revente rapide ? Est-ce le fait des patriciens qui se désintéressent de ces formes d’opérations ? Ou est-ce encore lié à la structure du marché immobilier et aux mécanismes de formation des prix qui ne permettent pas la réalisation de réels bénéfices ? Ces différentes questions seront examinées au chapitre 9.

Les diminutions ou pertes totales : le rôle de l’endettement et des extinctions de familles

  • 66  Une casa grande da nobile et deux maisons voisines avaient été achetées par le comte Gerolamo Barb (...)
  • 67  Il s’agissait de sa résidence et de trois maisons de location. Les propriétés étaient d’une valeur (...)
  • 68  ASM, Notarile, cart. 44 219, documentation dans l’acte du 22 octobre 1781, r° C. L. Rusca.
  • 69  En 1751, son patrimoine se composait de 21 biens pour 19 874 scudi. En 1802, il ne reste plus que  (...)
  • 70  Acte du 18 juin 1781, r° Carlo Giuseppe Francia.
  • 71  Pour les Visconti di Brignano : investitures en livello du 29 mars 1783 r° B. Guerini, du 22 juin  (...)

43Certaines familles sont contraintes de céder une partie, voire l’ensemble de leurs propriétés, pour des raisons économiques. La cession totale des biens est relativement rare mais elle concerne par exemple la branche aînée des Barbò (comtes de Casalmorano). En 1751, Barnaba (q Girolamo) possédait un patrimoine important, composé de sept biens pour une valeur totale de 10 983 scudi dont une casa da nobile située dans la paroisse de S. Tomaso66. Les années qui suivent sont marquées par la cession de la quasi-totalité des biens, y compris de la casa grande de S. Tomaso (3 333 scudi) qui a été préservée le plus longtemps possible mais qui passe finalement aux mains du concorso creditori Barbò. Les Visconti di S. Alessandro constituent un autre exemple de famille contrainte de liquider son patrimoine urbain pour des raisons financières. En 1751, le marquis Everardo était propriétaire de quatre immeubles situés dans la paroisse de S. Giorgio in Palazzo (Porta Ticinese)67. En 1776, à la mort d’Everardo, ses successeurs doivent céder les propriétés au comte Gesualdo Lambertenghi68. Les 100 000 lires tirées de la vente serviront à rembourser les nombreux créditeurs du marquis Everardo qui présentent un avoir de 133 000 lires. Le marquis Giuseppe Visconti, archidiacre au Duomo et frère du défunt, doit alors demander une dispense au fidéicommis pour conclure la vente. L’exemple montre donc que dans des cas d’extrême nécessité, la résidence familiale qui représentait le cœur du patrimoine peut être vendue et que la dispense au fidéicommis est alors accordée par le Sénat. Le prix à payer pour obtenir celle-ci est néanmoins élevé puisque Giuseppe prévoit près de 10 000 lires de frais pour la démarche. Dans d’autres cas, les ventes de patrimoines ne sont que partielles. Elles servent à obtenir des liquidités, peut-être pour financer d’autres investissements, mais ne sont pas pour autant synonymes de difficultés financières. Le marquis Calderara cède ainsi plus de la moitié de son important patrimoine dans la seconde moitié du XVIIIe siècle69. La famille possédait en effet de nombreux biens, dispersés dans toute la ville, dont beaucoup avaient été acquis lors d’opérations de crédit. Cela laisse penser que les propriétés urbaines ne résultaient pas d’un choix d’investissement et constituaient en fait une simple monnaie d’échange. Enfin, les diminutions de patrimoines s’expliquent parfois par la cession d’immeubles à travers des contrats de livello. Cette forme de gestion de la propriété urbaine, qui devient de plus en plus importante au cours de la seconde moitié du siècle (voir chap. 9), s’accompagne d’un transfert de propriété en faveur du preneur, dans le cadastre. C’est ce phénomène qui explique la forte baisse du patrimoine urbain des Archinto au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle. En 1751, le comte Carlo et ses frères possédaient en effet onze biens pour une valeur de 16 447 scudi, mais, en 1802, il ne leur reste plus que 12 778 scudi. En effet, à partir des années 1780, plusieurs cessions en livello sont opérées : les parcelles n° 52 et 53 de S. Lorenzo (PT) ont été cédées à Giuseppe Alchieri et Francesco Villa70, le n° 177 de la même paroisse est passé à Ambrogio Ferrario, livellario Archinto, de même que le n° 32 de S. Carpoforo, pris par Giovanni et Salvatore Fontana. Il ne s’agit donc pas d’une perte complète de la propriété, mais d’une nouvelle forme d’exploitation de celle-ci qui peut se révéler économiquement plus favorable. Dans le cas des Castel San Pietro, des Recalcati ou des Visconti di Brignano, la perte et la diminution des propriétés sont également liées à une cession des biens par des contrats de livello71. Ce qui est considéré comme une perte dans le cadastre (le bien passe au nom du livellario qui s’acquittera de l’impôt) n’en est toutefois pas forcément une en termes économiques car les livelli peuvent procurer des revenus importants.

  • 72  Le problème a été mis en évidence dans le cas anglais par L. Stone et J. C. Fawtier Stone, Una éli (...)
  • 73  D. E. Zanetti, La Demografia… cit. Zanetti relève le cas de Margherita Resta, épouse de Diego Lore (...)

44À Milan, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la majeure partie des disparitions de patrimoines est toutefois liée aux extinctions de familles. Au moins une soixantaine de familles ne possèdent plus de descendants masculins en 1802 et leurs propriétés sont passées à des héritiers extérieurs à la lignée directe. Les structures familiales et les systèmes de transmission du patrimoine ont fortement contribué à l’extinction des familles en limitant le mariage et la continuité dynastique au fils aîné. Au cours de la période moderne, la pratique de la primogéniture s’est en effet diffusée pour éviter la dispersion des patrimoines. Seul le fils aîné se marie et hérite des biens tandis que les cadets se voient contraints au célibat et sont dirigés vers des carrières militaires ou ecclésiastiques. Sur le long terme, l’extinction des familles devenait donc fort probable puisque la charge du renouvellement générationnel reposait uniquement sur un seul fils72. Certes, un frère cadet était parfois amené à se marier tardivement pour pallier l’absence de descendance masculine de l’aîné, mais ces pratiques de substitution n’étaient pas toujours suffisantes, compte tenu de la forte mortalité infantile et de la stérilité de certaines unions73. Les mariages consanguins contribuent du reste largement à cette stérilité puisqu’il n’est pas rare de marier un héritier avec sa cousine ou même sa nièce pour éviter la dispersion des patrimoines. Comme l’a montré D. E. Zanetti, c’est durant la seconde moitié du XVIIIe siècle que les extinctions de familles sont les plus importantes : les effets de la primogéniture et de la limitation des mariages mis en place au cours de la période moderne se font désormais lourds de conséquences (tab. 20).

Tab. 20 – Pourcentage d’extinction calculé à partir de 100 familles vivantes en 1650.

Période

Pourcentage d’extinction

1650-1699

8,5 %

1700-1749

16,9 %

1750-1799

26,6 %

Total 1650-1799

52 %

D’après D. E. Zanetti, « La demografia… » cit., p. 69.

  • 74  R. B. Litchfield, Demographic Characteristics of Florentine Patrician Families, Sixteenth to Ninte (...)
  • 75  L. Stone, La crisi dell’aristocrazia… cit., p. 181 et sq.
  • 76  J. C. Davis, The Decline of the Venetian Nobilty as a Ruling Class, Baltimore, 1962, p. 137. Entre (...)

45Au bout d’un siècle et demi, plus de la moitié des familles ont donc disparu. Ces proportions ne sont pas spécifiques à l’aristocratie milanaise : R. B. Litchfield avait calculé que les familles florentines des XVIe et XVIIe siècles avaient seulement 50 % de probabilité de survivre au-delà de la troisième génération74. L. Stone avait relevé, pour la période moderne, que 40 % des familles de pairs anglais ne dépassaient pas un siècle de longévité75. À Venise, ce sont sûrement les structures familiales différentes qui ont pu permettre cette fermeture particulièrement forte du patriciat aux XVe et XVIe siècles. En effet, dans la mesure où prédomine l’organisation en fratries avec un droit égalitaire pour tous les frères, les possibilités de remplacement intra-familial en cas d’absence de descendance pour l’un des frères apparaissent plus nombreuses. Pourtant, sur le très long terme, le problème des extinctions de familles se fait également sentir et explique – avec les motifs financiers – la réouverture sociale qui s’opère au XVIIe siècle76.

  • 77  Le comte Antonio Pusterla possédait 3 495 scudi d’estimo, deux biens sont vendus et la branche col (...)
  • 78  Les registres cadastraux le présentent désormais comme le marquis « Pietro Paolo Crevenna, ora Fra (...)
  • 79  Les biens provenant du marquis Luigi Corbella s’élèvent à 14 288 scudi et ceux provenant du chanoi (...)

46Que deviennent donc les patrimoines patriciens à l’extinction de la famille ? Une partie des transferts se fait au profit de branches collatérales. C’est souvent le cas lorsqu’un fidéicommis impose une transmission par voie exclusivement masculine ou lorsqu’il n’y a pas non plus de succession féminine. Ce modèle concerne le patrimoine urbain du marquis Antonio Giorgio Clerici ou du comte Antonio Pusterla77. C’est également ainsi que Don Pietro Paolo Crevenna récupère les propriétés de son cousin, Francesco Gerolamo Crevenna, ainsi que le titre nobiliaire et l’obligation de reprendre le prénom du défunt78. Dans d’autres cas, les biens circulent par la voie féminine et reviennent à une autre famille patricienne par le biais des alliances matrimoniales. C’est le modèle des Visconti Borromeo Arese qui ont transmis leurs biens aux Litta. Le comte Francesco D’Adda reçoit ainsi, vers 1768, l’héritage Corbella et ses propriétés passent alors de 4 585 scudi à 20109 scudi79. À la mort du comte Gerolamo Casati, en 1775, ses biens se trouvent partagés entre ses deux filles, qui sont entrées dans les familles Casnedi (Maria Margherita) et Arconati Visconti (Innocenza). Ce sont alors 14 430 scudi qui viennent enrichir les patrimoines de ces deux familles. On pourrait encore mentionner le cas du marquis Castiglione, qui obtient l’héritage des Stampa di Moncastello par son épouse Isabella née Stampa ; celui des Pertusati, qui récupèrent le patrimoine Aliprandi ; celui du marquis Lucini, dont l’héritage est partagé entre différentes familles patriciennes, dont les Arese ; celui des Cavenago, qui entrent en possession des propriétés du marquis Radenaschi à la mort de celui-ci (la sœur d’Ermes Radenaschi, Giulia, avait épousé le comte Ambrogio Cavenago). La transmission de la propriété par voie féminine apparaît donc non négligeable, ce qui relativise le poids des primogénitures masculines. Certes, les fils sont privilégiés mais, en leur absence, les filles peuvent aussi constituer des relais (voir chap. 10). Dans la mesure où l’endogamie est très répandue au sein du patriciat milanais, les biens demeurent à l’intérieur du groupe social. Les cas d’alliances extérieures, qui entraînent une sortie des biens, sont relativement rares mais les Strada en constituent un exemple puisque leur patrimoine passe aux Monticelli, une famille non-patricienne. Le poids des disparitions de familles et des transmissions successorales apparaît donc majoritaire dans les mouvements qui affectent les biens immobiliers dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Les successions en faveur d’autres familles patriciennes concernent au moins le quart des propriétés totales du patriciat et sûrement davantage au cours de ce demi-siècle. Le cadastre enregistrant les transferts avec un décalage, il faut aussi tenir compte du fait que certaines extinctions n’ont pas encore été prises en compte à la clôture des registres en 1802 : c’est par exemple le cas des Talenti di Fiorenza, disparus en 1796, des Cavenaghi en 1800, des Foppa en 1801. L’ampleur de ces mouvements serait donc encore plus importante qu’elle n’apparaît et largement responsable de cette concentration de la propriété.

***

47Au terme de cette analyse ressort en premier lieu la grande diversité des situations : la valeur et la composition des patrimoines urbains du patriciat varient beaucoup d’une famille à l’autre. Le statut social, économique et institutionnel des familles contribue à expliquer ces décalages. Si la part du patriciat dans le foncier milanais évolue peu au cours du XVIIIe siècle, on observe toutefois une concentration des patrimoines aux mains de quelques familles qui résulte largement de transmissions internes au groupe social à la faveur des extinctions de familles. Il n’y a donc pas un modèle patrimonial patricien, mais plusieurs, qui méritent des analyses plus approfondies pour faire ressortir les logiques qui les conduisent.

Notes

1  ASM, Araldica, cart. 136 : Elenco delle attuali famiglie milanesi rassegnato dall’Ecc. Città di Milano all’Ecc. Tribunale Araldico in esecuzione dell’editto di governo del giorno 20 novembre 1769. Cette liste a été adaptée à l’état de 1751 en ajoutant les familles éteintes entre 1751 et 1770 (cf. D. Zanetti, Cronologia delle estinzioni delle famiglie patrizie decurionali di Milano, dans Id., La demografia del patriziato milanese nei secoli XVII-XVIII-XIX, Pavie, 1972, p. 255-261). Pour le cadastre : ASM, Catasto, Milano città. La date de 1751 est celle de la recension des immeubles urbains. Le cadastre a été publié en 1758.

2  Au milieu du XVIIIe siècle, les agents chargés du recensement de la population considéraient qu’une famille était constituée en moyenne de cinq personnes.

3  Rouen compte par exemple 82 % de locataires (J.-P. Bardet, Rouen aux XVIIe et XVIIIe siècles : les mutations d’un espace social, 2 vol., Paris, 1983, p. 170). À Venise, le nombre de propriétaires tend également à diminuer, passant de 6 % de la population en 1661 à 4,5 % en 1712 et finalement à seulement 2 % en 1740 (D. Beltrami, Storia della popolazione di Venezia dalla fine del secolo XVI alla caduta della Repubblica, Padoue, 1954, p. 226). E. Concina remarque qu’entre 1661 et 1740, les maisons habitées par leur propriétaire passent de 1 516 à 1 228, soit une diminution de près de 20 % (E. Concina, Venezia nell’età moderna : strutture e funzioni, Venise, 1989, p. 195). Pour Turin : R. Curto, Da un’idea convenzionale di valore al valore di rendimento : estimi e significati della proprietà urbana tra ‘700 e ‘800 a Torino, dans Storia urbana, 71, 1995, p. 67-87.

4  S. D’Amico, Le contrade e la città, Milan, 1994, p. 44.

5  À Crémone seules 46 % des parcelles sont à usage locatif. À Lodi la proportion s’élève à 52 %, à Côme 55 % et à Pavie 62 % (ASM, Censo p. a., cart. 35). Ces données datent des travaux de la première Giunta del Catasto dans les années 1720.

6  La valeur des propriétés de l’Église et des institutions caritatives ne comprend que les biens à usage locatif, les églises, oratoires et monastères n’ayant pas été estimés car ils ne produisent pas de revenus et ne sont donc pas imposables. La catégorie « nobles » correspond essentiellement aux patriciens, mais est un peu plus large dans la mesure où elle inclut quelques nobles étrangers ou provinciaux.

7  Pour une analyse plus approfondie : A. Cogné, Distribuzione della proprietà a Milano a metà Settecento : la realizzazione di un GIS a partire dal catasto teresiano (1758), dans G. Alfani et M. Barbot (dir.), Ricchezza, valore, proprietà in età preindustriale (1450- 1800), Venise, 2009, p. 101-125.

8  Le cadastre recense 113 parcelles se caractérisant par une forme de division de la propriété. Dans seulement 17 cas, le propriétaire éminent est un patricien. Pour le reste, cette forme de propriété concerne essentiellement des institutions ecclésiastiques et caritatives.

9  La liste des familles patriciennes avec la valeur de leur patrimoine figure en annexe.

10  Sur le patrimoine de la Fabrique du Duomo, voir M. Barbot, Le architetture della vita quotidiana. Uso dello spazio e scambio immobiliare a Milano in età moderna : il patrimonio della Fabbrica del Duomo fra XVI e XVII sec., Venise, 2008.

11  Il s’agit des familles Cagnola (10148 scudi), Melzi (10492), Crivelli (10508), Barbo I (10 951), Dugnani II (11 392), Fossani (11 624), Magenta (13 235), Monti Melzi (13 380), Serbelloni (13 665), Casati I (13 836), Archinto (16 447), Visconti di Somma I (19 146), Recalcati (19 547), Borromeo Arese (20 179), Litta Visconti Arese (20 734) et Clerici I (27 788).

12  Instruzione della Real Giunta del Censimento... cit.

13  Dans cette sous-catégorie figurent les Pusterla II, Lampugnani III, Carcano III, Mandelli II, Cicogna II, etc.

14  Ces 239 parcelles représentent un total de 406 boutiques, une parcelle pouvant accueillir plusieurs boutiques.

15  L’Église détient 40 % de la valeur des jardins maraîchers et les non-nobles 36 % de la valeur des boutiques urbaines.

16  Sur le rôle essentiel des moulins à eau dans l’économie urbaine : M. Bloch, Avènement et conquêtes du moulin à eau, dans Annales d’histoire économique et sociale, 1935, p. 538-563. Dans le cas milanais, au Moyen Âge : L. Chiappa Mauri, I mulini ad acqua del milanese (secolo X-XV), Rome, 1984 et Id., Acque e mulini nella Lombardia medievale : alcune riflessioni, dans P. Galetti et P. Racine (dir.), I mulini nell’Europa mediévale [Actes du Coloque de San Quirino d’orcia (21-23 septembre 2000)], Bologne, 2003. Sur l’activité industrielle qu’ils suscitent à proximité du naviglio de la Martesana, voir S. Conca Messina, Acqua e industria a Milano : il tratto cittadino del naviglio della Martesana tra XVIII e XIX secolo, dans C. Tangari (dir.), Cinquecento anni di naviglio Martesana (1497-1997), Milan, 1998, p. 57-62.

17  Sur les biens de la ville, voir L. Mocarelli, La gestione dei beni della Città nella Milano d’età moderna, dans Annali di storia moderna e contemporanea, 11, 2005, p. 169-182 (sur les prestini di pane en particulier, p. 180).

18  Le marquis Clerici possède neuf maisons servant au dazio della mercanzia. Le marquis Molinari (noble non-patricien) est propriétaire de la dizième. Enfin, la Ville de Milan détient les 14 maisons abritant le dazio della macina (pour les moulins). Ces édifices ne sont pas assujettis à l’imposition et sont donc dépourvus d’estimation.

19  D. E. Zanetti, La demografia del patriziato milanese… cit.

20  Ces trois dimensions reprennent les critères identifiés par L. Stone pour envisager la mobilité sociale dans l’Angleterre de l’époque moderne : L. Stone, Social mobility in England, 1500-1700, dans Past and Present, 1966, n° 33-1, p. 16-55.

21  ASM, Atti di Governo, Tesoreria, cart. 25, Elenco delle cedole del prestito forzato ordinato dalla legge 22 ventoso anno VI rilasciate a prestatori del dipartimento d’Olona. Il est apparu parfois difficile d’identifier précisément les personnes mentionnées dans la liste à cause des homonymes et dans la mesure où les titres nobiliaires ne sont plus mentionnés en 1798. Sur cette source : F. Arese, Patrizi, nobili e ricchi borghesi del Dipartimento d’Olona secondo il fisco della prima republica Cisalpina 1797-1799, dans Archivio storico lombardo, 1975, p. 93-121.

22  Elenco delle famiglie nobili civili e vergognose soccorse nel 1785 [331 personnes], Bibl. Ambr. D 85 suss. La même liste existe pour l’année 1793 (Bibl. Ambr. G 32 suss). La liste de 1793 comprend 523 personnes qui ont reçu, au total, 18 106 lires. On ne possède pas d’indications sur la réalisation de ces listes (et notamment sur le seuil de pauvreté à partir duquel la famille est inscrite). Si l’on y trouve beaucoup de noms de familles patriciennes, il s’agit souvent de femmes veuves ou restées célibataires et d’hommes dont on peut penser qu’il s’agit de cadets ou de branches secondaires. L’identification des personnes est difficile dans la mesure où la liste ne donne pas le prénom du père ni même parfois celui des individus : elle ne mentionne généralement que « famille X ».

23  Sur ce thème : L. Bourquin et Ph. Hamon (dir.), Fortunes urbaines : élites et richesses dans les villes de l’Ouest à l’époque moderne, Rennes, 2011.

24  Il situait au premier rang, en 1726, les Borromeo avec plus de 90 000 perches de terres, suivis par les Visconti di Brebbia (54 645 perches) puis les Archinto di Tainate (39 381 perches), les Trivulzio (33 811 perches), les Serbelloni (28 203 perches) et les Visconti di Modrone (18 501 perches). À cette date, les Litta ne possèdaient que 2 173 perches de terres car ils n’avaient pas encore récupéré l’héritage Arese (12 957 perches) : C. Besana, Il patrimonio delle famiglie decurionali nella Milano del primo Settecento, dans Tra rendite e investimenti. Formazione e gestione dei grandi patrimoni in Italia in età moderna e contemporanea, Bari, 1998, p. 338-348.

25  Les Rasini sont notamment propriétaires de terres situées dans le Piémont. Voir A. Vergani, Il Palazzo Rasini a Cavenago di Brianza : un inedito episodio di residenza nobiliaire nella Lombardia di antico regime : secoli XVI e XVIII, Cinisello Balsamo, 1997.

26  Selon la liste établie par F. Arese (Elenchi dei magistrati patrizi… cit.), ont siégé au Consiglio Generale : le comte Carlo I (1615-1633) puis Carlo II (1694-1724), les princes Marco Antonio (1656-1686), Claudio (1686-1714), Marco Antonio (1714-33) et Fermino (1777-1796).

27  Teatro Genealogico… cit., p. 185. Il est qualifié de « pauvre et misérable cavalier par le vice du jeu ».

28  J. Meyer, Un problème mal posé : la noblesse pauvre. L’exemple breton au XVIIIe siècle, dans RHMC, 18, 1971, p. 161-188.

29  F. Arese, Elenchi dei magistrati patrizi di Milano dal 1535 al 1796 : i decurioni, dans ASL, 1957, p. 149-199 ; Id., Elenchi dei magistri patrizi di Milano dal 1535 al 1796 : i vicari di provvisione, dans ASL, 1964-65, p. 5-27 ; Id., Le supreme cariche del Ducato di Milano da Francesco II Sforza a Filippo V (1531-1706), dans ASL, 1970, p. 59-156 ; Id., Le supreme cariche del Ducato di Milano e della Lombardia austriaca (1706-1796), dans ASL, 1979-80, p. 535-598. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la catégorie des magistratures royales comprend également les nouveaux organes nés de la politique réformatrice : le Conseil suprême d’économie, la Chambre des comptes, le Conseil de gouvernement et le Magistrato politico-camerale.

30  Soit dix familles qui sont les Castiglione (I), Trotti, Ordogno de Rosales, Bossi (I), Foppa (I), Visconti di Soma (II), Taverna (I), Melzi (comtes de Magenta), Archinto, Borromeo. La hiérarchie apparaît ainsi quelque peu différente de celle obtenue par Michela Barbot, qui ne s’intéressait qu’à la carrière de décurion, identifiant 21 « familles historiques » : Archinto, Arcimboldi, Arconati, Arese, Borromeo, Brivio, Bossi, Casati, Castiglioni, Corio, Crivelli, Gallarati, Litta, Marliani, Melzi, Pecchio, Rainoldi, Stampa, Trivulzio, Visconti, Visconti Aicardi. Voir M. Barbot, Il patriziato milanese : un’elite aperta ? Ricambio politico e mobilità sociale nel ceto dirigente ambrosiano (secoli XVI-XVIII), dans Cheiron, 41 (« Per una storia sociale del politico. Ceti dirigenti urbani italiani e spagnoli nei secoli XVI-XVIII », éd. par M. Cattini, M. A. Romani, J. M. de Bernardo Ares), 2005, p. 71-99. Elle reprenait la définition de famille « historique » formulée par M. Cattini et M. A. Romani : « un cercle de familles relativement stables dans le long terme, exemptes du risque d’être impliquées dans des dynamiques de déclassement et habiles à mettre en œuvre des stratégies gagnantes destinées à conserver et même à renforcer le statut acquis » (M. Cattini et M. A. Romani, Una capitale e una periferia. La circolazione delle élite urbane a Parma e a Finale (secoli XVI e XVIII), dans A. Guarducci (éd.), Gerarchie economiche e gerarchie sociali, secoli XII-XVIII, Bagno Ripoli, 1990, p. 535-560 (p. 548).

31  M. Barbot, Il patriziato milanese : un’elite aperta ?... cit.

32  Ces recours figurent dans ASM, Araldica, p.a.

33  La grande majorité d’entre elles ne figure pas dans la liste fiscale d’Olona qui comprend les familles possédant plus de 2 000 lires de revenu annuel (ASM, Atti di Governo, Tesoreria, cart. 25, Elenco delle cedole del prestito forzato ordinato dalla legge 22 ventoso anno VI rilasciate a prestatori del dipartimento d’Olona).

34  P. Morigia, La nobiltà di Milano, Milan, 1595. Cette mention vaut preuve de noblesse generica (voir dossiers familiaux dans ASM, Araldica p.a.).

35  ASM Araldica p.a. : demande d’admission au Conseil des Jurisconsultes d’Alessandro Bussero en 1712 (cart. 59) ; en 1741, Scaramuzzia Beolchi vante des ancêtres ayant siégé au Tribunale di Provvisione et ayant fait partie du chapitre du Duomo (cart. 52).

36  ASM Araldica p.a., cart. 87.

37  ASM, Araldica p.a., cart. 81. Son admission au patriciat ne respecte donc pas le seuil minimal de 6 000 scudi d’estimo, confirmant la reconnaissance d’un statut ancien.

38  ASM Araldica p.a., cart. 83.

39  ASM, Araldica, p.a., cart. 113. « Si sarebbe praticato atto di rispettosa fina e obbligante attenzione verso del Papa Regnante quallora si annoverasse fra le patrizie famiglie di Milano la Rezzonico di sua Santità e quella del fu Co Flaminio per la prossima attinenza con sua Beatitudine e per la particolare considerazione in cui la rigguardava ».

40  Gian Giacomo était au service de Francesco Sforza puis de Charles Quint et reçut le titre de marquis de Marignano. Il épousa Marzia Orsini, intégrant ainsi l’élite nobiliaire italienne, et fut enterré dans un somptueux tombeau à l’intérieur du Duomo de Milan. Voir V. Palmisano, Gian Giacomo Medici marchese di Marignano, Melegnano, 2006 ; R. Gariboldi, Il marchese avventuriero : vita di Gian Giacomo Medici detto il Medeghino, Milano 2007.

41  F. Repishti, La residenza milanese di Pio IV : il palazzo Medici in via Brera, dans Annali di Architettura, 2000, p. 75-90. L’auteur souligne le rôle important des cousins Serbelloni dans la construction de la demeure, qui a été démolie au XIXe siècle.

42  Teatro genealogico… cit.

43  F. Calvi, Famiglie notabili… cit.

44  Trois générations se sont succédé au Consiglio Generale : Cristoforo (1557-1564), Francesco (1564-1600), Camillo (1600-1613). Giovanni Antonio fut également Vicario di Provvisione en 1587.

45  Francesco Appiani fut membre du Tribunale di Provvisione dans la seconde moitié du XVIIe siècle (Teatro genealogico), Carlo Antonio fut Vicario di Provvisione en 1718 (liste de F. Arese). Giovanni Antonio (q Francesco) fut lui aussi membre du Tribunale di Provvisione et Giudice della legna (Teatro genealogico… cit.). Carlo Antonio (1677-1738) et Giovanni Antonio (1708-1734) furent membres du Collège des Jurisconsultes.

46  La famille est implantée à Milan au moins depuis le XIIIe siècle (Guglielmo est notaire des Consuls de Justice en 1267, Mattiolo avocat de la paroisse S. Vittore, Giacomo figure parmi les décurions qui prêtent serment à Giovanni Maria Visconti). Au XVe siècle, Antonio (en 1436) puis Marco (en 1447) sont membres du Tribunale di Provvisione. Tomaso Nava est membre du Consiglio Generale entre 1716 et 1718. À la fin du siècle, Francesco est Vicario di Provvisione en 1791 et en 1796.

47  Virginia Casati, l’épouse de Tomaso Nava, mort en 1723, récupère la totalité de l’héritage paternel, qui n’était pas soumis à un fidéicommis.

48  Il s’agit de la parcelle n° 154 de S. Bartolomeo. La location de la demeure par la famille Nava est mentionnée lors de vente de la maison, réalisée par Pompeo Litta au marquis Moriggia : acte du 29 septembre 1773, r° Francesco Bernardino Righetti et Agostino Perocchio dans AOM, Fondo Litta, cart. 258. La maison est vendue pour 6 660 zecchini gigliati (soit environ 95 000 lires).

49  A. Brugnoli, Paolo Rido della Silva : vita e opinioni di un gentiluomo al servizio di sua Maesta (1690-1789), thèse de doctorat, Università cattolica di Milano, 2002.

50  ASM, Fondo Crivelli, Case Milano, cart. 6. Après son décès, l’appartement est loué à la comtesse Borromeo pour 2 200 lires.

51  Le premier contrat de location est signé par le comte Giulio Visconti Borromeo Arese le 9 août 1707. La demeure, jusqu’alors louée au questeur Angelo Mantegazza, passe au comte Antonio della Somaglia. Le contrat est renouvelé en 1734 puis en 1765 (AOM, Litta, cart. 253). Les Cavazzi sont originaires d’Espagne et arrivent à Milan en 1371. C’est à cette date que le fondateur de la lignée, Nicolò, est investi du fief della Somaglia en récompense de ses services d’armes (ASM, Araldica p. a., cart. 69).

52  Le cas Andreani est étudié de manière approfondie chap. 4.

53  Sur l’acquisition de l’ancien palais Litta par les Recalcati : AOM, Fondo Litta, cart. 251, acte du 5 mars 1753.

54  En 1765, Don Alessandro Ottolini déclare à l’Office du cadastre avoir fait l’acquisition, auprès de l’Ospedale Maggiore, de deux maisons voisines estimées à 680 et 1 944 scudi, dans la paroisse de S. Pietro in Caminadella (n° 21 et 23). En 1774, celles-ci sont mentionnées comme « case di propria abitazione ». Alessandro meurt en 1803 dans cette même paroisse (qui correspond selon le nouveau découpage à celle de San Ambrogio). En 1783, Cesare Scaccabarozzi obtient en livello l’ancienne résidence de Don Alessandro Castiglione (n° 70 de S. Eufemia, estimée 2 500 scudi). ASM, Catasto, Petizioni per trasporti d’estimo. Milano città.

55  Teatro Genealogico… cit.

56  Sur la famille Verri : C. Capra, I progressi della ragione : vita di Pietro Verri, Bologne, 2002 (voir en particulier chap. 1). L’insertion de la famille Verri au sein du patriciat milanais remonte au XVIe siècle.

57  La première acquisition est la parcelle n° 44 de San Giovanni sul Muro, qui appartenait au Luogo Pio della Stella, la seconde est la parcelle n° 49 de la même paroisse, qui était la propriété de Fabrizio Bellano (ASM, Catasti, Petizioni per trasporti). Le marquis dépose en 1763 une demande de travaux auprès de l’Ufficio delle Strade (ASCM, Località milanesi, cart. 421, fasc. 4).

58  « Metodo per regolare i trasporti delle partite d’estimo da un possessore all’altro (30 settembre 1752) », dans Raccolta degli editti, ordini, istruzioni, riforme e lettere circolari istruttive della R. Giunta del censimento generale dello Stato di Milano, riunita con cesareo reale dispaccio del 19 luglio 1749 e sciolta il 2 marzo 1758.

59  Bibl. Braidense, Gridario 5. L’avis du 13 septembre 1773 oblige en effet les propriétaires à se mettre à jour auprès du cadastre avant la fin du mois de novembre avec la menace d’appliquer la peine prévue par l’édit de 1752. Le terme est ensuite reporté au mois de mars 1774 par un autre édit en date du 20 décembre 1773.

60  D. E. Zanetti, La demografia del patriziato milanese… cit., A-255 et sq. Le chiffre de 49 extinctions correspond à la période 1750-1802.

61  Acte du 25 février 1772, r° L. Canziani.

62  Testament du 25 septembre 1780, r° G. B. Riva.

63  La demande de travaux pour « incorporer l’église » et refaire la façade de sa résidence est déposée en 1789 : ASCM, Località Milanesi, cart. 394, fasc. 5.

64  L’essentiel des aménagements a en effet été réalisé dans la première moitié du XVIIIe siècle : L. Negri, I Palazzi di Milano… cit., p. 195-196. Le fonds Località Milanesi ne fait état que d’une requête du marquis Litta Modignani pour ouvrir une porte dans la contrada del Durino en 1795 (ASCM, Località milanesi, cart. 167, fasc. 3).

65  Les baux de location sont conservés dans ASM, Fondo Litta Modignani, cart. 33.

66  Une casa grande da nobile et deux maisons voisines avaient été achetées par le comte Gerolamo Barbò en 1630 (acte du 6 mai, r° Agostino Quartieri). ASM, Catasto, cart. 3 128. Il s’agit a priori du n° 14 de S. Tomaso (PC), estimé à 3 333 scudi.

67  Il s’agissait de sa résidence et de trois maisons de location. Les propriétés étaient d’une valeur relativement modeste : 3744 scudi au total dont 1805 pour la casa da nobile.

68  ASM, Notarile, cart. 44 219, documentation dans l’acte du 22 octobre 1781, r° C. L. Rusca.

69  En 1751, son patrimoine se composait de 21 biens pour 19 874 scudi. En 1802, il ne reste plus que 13 biens pour 7 375 scudi. Le 11 avril 1780, le marquis Bartolomeo Calderara avait cédé aux frères Marinoni une casa da nobile située dans la contrada de S. Prospero pour 4 500 zecchini gigliati. La somme sert en partie à rembourser une dette envers Giacinto Bornago (ASM, Notarile, cart. 45 000, r° Antonio Calvi).

70  Acte du 18 juin 1781, r° Carlo Giuseppe Francia.

71  Pour les Visconti di Brignano : investitures en livello du 29 mars 1783 r° B. Guerini, du 22 juin 1779 r° B. Guerini et du 31 août 1786 r° Carlo Negri.

72  Le problème a été mis en évidence dans le cas anglais par L. Stone et J. C. Fawtier Stone, Una élite aperta ? L’Inghilterra fra 1540 e 1880, Bologne, 1989, p. 333 et sq. (éd. anglaise originale, 1984).

73  D. E. Zanetti, La Demografia… cit. Zanetti relève le cas de Margherita Resta, épouse de Diego Lorenzo Salazar qui meurt lors de son neuvième accouchement, mais qui laisse seulement deux filles en vie. Le cas, particulièrement impressionnant, n’est pas unique. Gerolamo D’Adda eut onze enfants nés entre 1609 et 1621, mais il ne resta qu’un seul fils pour assurer la descendance de la famille.

74  R. B. Litchfield, Demographic Characteristics of Florentine Patrician Families, Sixteenth to Ninteenth Centuries, dans The Journal of Economic History, 29, 1969, p. 191-205.

75  L. Stone, La crisi dell’aristocrazia… cit., p. 181 et sq.

76  J. C. Davis, The Decline of the Venetian Nobilty as a Ruling Class, Baltimore, 1962, p. 137. Entre 1550 et 1797, les familles qui jouissent du droit de siéger au Grand Conseil perdent 62 % des leurs.

77  Le comte Antonio Pusterla possédait 3 495 scudi d’estimo, deux biens sont vendus et la branche collatérale représentée par Alessandro récupère la valeur de 2 231 scudi (transfert enregistré en 1796).

78  Les registres cadastraux le présentent désormais comme le marquis « Pietro Paolo Crevenna, ora Francesco Gerolamo ». Sur les 10 718 scudi possédés par la branche aînée, la branche cadette n’en récupère que 2 269 (transfert enregistré en 1796). Une grande partie du patrimoine, dont la résidence de S. Calimero, a été vendue et une propriété est passée à la marquise Anna Crevenna née Pozzo.

79  Les biens provenant du marquis Luigi Corbella s’élèvent à 14 288 scudi et ceux provenant du chanoine Lodovico Corbella à 1 236 scudi. Les propriétés passent directement à Francesco D’Adda car Marianna Corbella, son épouse, est morte en mettant au monde son premier enfant.

Table des illustrations

Titre Tab. 2b – La diversité des patrimoines en 1751 : la valeur des biens.
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Titre Tab. 3 – Part de la résidence selon la valeur des patrimoines urbains en 1751.
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Titre Tab. 4 – Part des biens locatifs selon la valeur des patrimoines urbains en 1751.
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Titre Tab. 5 – Composition des biens locatifs du patriciat en 1751.
Légende Note14
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Titre Tab. 6 – Valeur des patrimoines des familles qui intègrent le patriciat dans la seconde moitié du XVIIIe siècle (état patrimonial en 1751).
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Titre Tab. 8 – Titre nobiliaire et valeur du patrimoine urbain en 1751.
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Titre Tab. 10 – Valeur des patrimoines urbains selon les niveaux de richesse (seconde moitié du XVIIIe siècle).
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Titre Tab. 11 – Valeur des résidences selon les niveaux de richesse (seconde moitié du XVIIIe siècle).
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Titre Tab. 16 – Répartition des patrimoines patriciens en 1802.
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Titre Tab. 18 – Les principales augmentations de patrimoines (1751-1802) (coefficient supérieur à 3).
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© Publications de l’École française de Rome, 2017

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