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Le marché du crédit dans le monde romain

 | 
François Lerouxel

Chapitre 4. Le marché du crédit privé dans les tablettes de Campanie

Texte intégral

1Le but de ce chapitre et du suivant est d’étudier le marché du crédit privé dans les tablettes de Campanie, principalement dans les tablettes de Murecine et d’Herculanum, et de comparer, quand cela est possible, son fonctionnement à celui du marché du crédit égyptien. Cette étude est possible car l’Égypte n’a pas le monopole des documents de la pratique dans l’Empire romain même si l’aridité particulière du climat a permis leur conservation par centaines de milliers en Égypte alors qu’ils ont souvent disparu ailleurs. Les différences actuelles dans la documentation entre les différentes provinces de l’Empire sont donc majoritairement dues aux conditions de conservation des objets, papyrus, ostraca, tablettes et autres, qui servent de support à ces écrits de la pratique et elles ne reflètent pas les réalités d’utilisation de ces documents dans l’Antiquité.

  • 1  Bagnall 2011.
  • 2  Voir en général Cotton, Cockle et Millar 1995. Les P. Euphr. ont depuis été publiés dans deux arti (...)

2Des documents de la pratique ont été conservés un peu partout dans le monde romain, en Orient1 et en Occident, et leur contenu est similaire à celui des papyrus égyptiens. Ainsi, pour prendre un des exemples les mieux connus, la documentation papyrologique proche-orientale, riche de plus de 600 textes, comprend des documents administratifs, des lettres, des contrats privés, des comptes ou encore des documents militaires2.

  • 3  Les tablettes sont couramment utilisées comme support d’écriture jusqu’à l’époque moderne, voir La (...)
  • 4  Ciulei 1983.
  • 5  Bowman 2003 avec bibliographie. Les tablettes sont éditées dans deux volumes : Bowman et Thomas 19 (...)
  • 6  Sur les tablettes de Vindonissa, voir Speidel 1996.
  • 7  Voir Arangio-Ruiz 1943 et Macqueron 1982, deux anthologies contenant des documents occidentaux de (...)
  • 8  Marichal 1992.
  • 9  Pour une synthèse, voir Cuvigny (éd.) 2003. Voir également Cuvigny 2005.

3En Occident, la plupart des documents de la pratique conservés ont été rédigés sur des tablettes de bois3. Certaines sont connues et éditées depuis la fin du XIXème siècle, ainsi les tablettes du banquier L. Caecilius Jucundus à Pompéi ou les tablettes de Transylvanie4. D’autres en revanche ont été découvertes au cours du XXème siècle : ainsi, en Italie, les tablettes d’Herculanum retrouvées lors des fouilles des années 30 et les tablettes de Murecine retrouvées en 1959 lors de la construction de l’autoroute Naples-Salerne ; en Angleterre, les tablettes retrouvées dans le fort de Vindolanda depuis 19735 ; en Suisse, les tablettes retrouvées dans le camp légionnaire de Vindonissa, connues depuis le début du XXème siècle, mais dont l’édition s’est étalée tout au long du siècle6. Ces tablettes représentent une partie infinitésimale des actes de la pratique établis à l’époque romaine en Occident. Mais elles attestent que ces écrits documentaires y étaient couramment utilisés7, de la même manière qu’en Orient et plus particulièrement en Égypte. Le contenu des documents de la pratique occidentaux est d’ailleurs tout à fait similaire à la documentation égyptienne. Les tablettes de Vindolanda et de Vindonissa, les ostraca de Bu-Njem8 en Libye, permettent d’avoir un aperçu de la vie quotidienne d’établissements militaires romains en Occident, de la même manière que les ostraca du désert oriental en Égypte9. Les tablettes de Transylvanie et de Campanie donnent quant à elles un aperçu de la vie quotidienne civile dans ces régions. On y trouve de nombreux contrats privés, des documents judiciaires, des documents bancaires, soit le même type de documentation qu’en Égypte romaine.

  • 10  Dans le cadre du programme de recherches « La mémoire perdue » initié par C. Nicolet, après Nicole (...)
  • 11  Sur les origines antiques du notariat, voir Amelotti 1975. Pour une contribution à la recherche de (...)

4Par ailleurs, et plus largement, même s’ils ont pour l’essentiel disparu, ces documents et leur utilisation ont laissé des traces dans les sources littéraires, juridiques ou épigraphiques, traces qui ont fait l’objet de plusieurs études, portant essentiellement sur les documents publics et administratifs utilisés par les cités et par l’Empire romain10. Les traces laissées par les documents privés dans les autres sources, la manière dont ils étaient rédigés et utilisés, ont été en revanche peu étudiées11.

  • 12  Voir Cuvigny 1996 et Bowman 2006.

5La comparaison entre les documents de la pratique égyptiens et les documents de la pratique du reste du monde romain est donc possible et même souhaitable, mais elle est encore relativement peu pratiquée, alors qu’elle peut donner des résultats étonnants12.

Les tablettes de Campanie

  • 13  Les travaux de G. Camodeca ont suscité un renouveau des études sur ces tablettes. Pour un aperçu d (...)
  • 14  Sur les lieux où ont été trouvés ces différents groupes de tablettes, voir en général Camodeca 200 (...)

6Les tablettes de Campanie datent toutes du Ier siècle après J.- C., avant l’éruption du Vésuve en 7913, et elles se répartissent en trois groupes : les tablettes du banquier L. Caecilius Jucundus à Pompéi, les tablettes de Murecine qui appartiennent aux Sulpicii de Pouzzoles et les tablettes d’Herculanum qui appartiennent à plusieurs individus privés de cette cité14.

Support et diplomatique des documents campaniens15

  • 15  Camodeca 1991a et Camodeca 1993e.
  • 16  Dans certains triptyques d’Herculanum, la situation peut être différente, voir Camodeca 1999a, p.  (...)

7Les documents campaniens sont rédigés sur un support plus élaboré que les papyrus financiers égyptiens. Les actes sont écrits sur des diptyques ou des triptyques, c’est à dire sur deux ou trois tablettes en bois liées entre elles par la longueur. Un diptyque comporte quatre pages, un triptyque en comporte six. K. Zangemeister a établi le vocabulaire d’édition de ces tablettes dans son édition de l’archive de Jucundus (CIL IV, supplément 1). Le diptyque et le triptyque peuvent se refermer une fois rédigés. Ils protègent ainsi ce que K. Zangemeister a appelé la scriptura interior qu’on trouve sur les pages 2 et 3, donc sur la première et la deuxième tablette. Ces pages 2 et 3 sont creusées et cirées et l’écriture est inscrite au moyen d’un stylet dans la cire. Elles sont ensuite fermées et scellées pour protéger l’acte contre la falsification. Dans les triptyques, la scriptura exterior qui reprend le texte de l’acte se trouve sur la troisième tablette à la page 5, page elle aussi creusée et cirée16. Dans les diptyques, elle se trouve sur la partie gauche de la page 4, écrite à l’encre (atramentum) directement sur le bois. La scriptura exterior constitue donc un deuxième dispositif contre la falsification.

  • 17  Sur le « S.C. Neronianum », voir Camodeca 1991a et Camodeca 1993a.

8La partie droite de la page 4 est réservée à la liste des témoins (signatores) de l’acte et continue parfois sur la page 1 si nécessaire. Les sceaux des témoins (signa) sont apposés au centre de la page 4 à côté de leur nom, au génitif. Quand il s’agit d’un triptyque, une bande (sulcus) est creusée dans l’épaisseur au milieu de la tablette où on appose les sceaux des témoins afin qu’il ne dépasse pas de la deuxième tablette. Ainsi, on peut refermer la page 5, creusée et cirée, où la scriptura exterior est écrite, sur la page 4 qui comprend le nom des témoins et leur sceau. En effet, les sceaux étant placés dans la bande creusée dans l’épaisseur de la page 4, ils ne risquent pas de s’enfoncer dans la cire de la page 5. Le texte de la scriptura exterior est donc protégé. La présence de témoins est une troisième garantie contre la falsification de l’acte. Enfin, l’acte peut comporter un titre sur les pages de couverture, 1 ou 6, dans les triptyques, ou bien encore sur la tranche des tablettes. À partir de 61, de nouvelles dispositions sont prises pour empêcher la falsification des documents rédigés sur tablettes. Le « SC Neronianum » impose que les bords supérieur et inférieur des deux tablettes comprenant la scriptura interior soient troués, puis qu’on y fasse passer une cordelette de lin trois fois, et qu’enfin on appose les sceaux des témoins sur cette cordelette de lin17.

9La nature de l’acte n’a pas d’influence sur le choix du diptyque ou du triptyque. Les actes rédigés sur diptyque datent essentiellement des années 40 et 50 mais à cette époque, ils sont déjà minoritaires. Ils disparaissent de la pratique documentaire campanienne au début des années 60 au profit du triptyque. Les tablettes des Sulpicii qui comprennent davantage de documents datant des années 40-50 que celles de Jucundus et d’Herculanum comprennent davantage de diptyques que ces deux derniers groupes.

  • 18  Exceptés les contrats rédigés sur tablettes en Égypte, voir Camodeca 1991a, p. 68, note 28.
  • 19  Burkhalter 1990.

10Au total, les dispositifs destinés à lutter contre la falsification des actes campaniens sont impressionnants, surtout si on les compare à la pratique égyptienne18. En Égypte, tous ces dispositifs sont inutiles quand le contrat est rédigé par des notaires publics. En effet, dans ce cas, le contrat est enregistré à l’agoranomeion ou au grapheion, qui transmettent leurs actes aux bibliothèques des actes publics, qui à leur tour sont en relation avec les deux bibliothèques centrales d’Alexandrie19. Un particulier qui voudrait falsifier un acte, par exemple un débiteur souhaitant rembourser moins que ce qu’il doit, doit non seulement falsifier la copie de l’acte qu’il détient, mais il doit aussi s’assurer les services des employés de l’agoranomeion ou du grapheion, de la bibliothèque des actes publics et des deux bibliothèques d’Alexandrie, sinon le créancier n’aura aucun mal à prouver qu’il a falsifié le contrat. La tâche est plus ardue qu’en Italie au Ier siècle après J.-C. où il suffit de falsifier le contrat, car il n’existe pas d’équivalents du grapheion ou de l’agoranomeion, c’est-à-dire des notaires publics chargés de rédiger et surtout d’enregistrer les documents. Les contractants italiens recopient ou font recopier des formulaires affichés dans la cité.

  • 20  Voir par exemple Andreau 1974, p. 170-176 pour l’étude du statut économique et social des affranch (...)

11La présence des témoins dans les tablettes campaniennes permet évidemment de lutter contre la falsification des actes privés. Ils constituent un élément essentiel des contrats privés dans la pratique campanienne, ce qui n’est pas le cas en Égypte romaine. Il est particulièrement intéressant de relever que l’arrivée des Romains en Égypte coïncide avec la disparition des témoins des contrats privés. Selon toute vraisemblance, il ne s’agit pas d’une simple coïncidence, puisqu’on a vu plus haut que les Romains avaient probablement pris toute une série de mesures dans le domaine des contrats privés. D’un point de vue historique, on peut le regretter, car ces listes de témoins des tablettes campaniennes sont une source exceptionnelle pour l’histoire sociale de ces trois cités20, car les témoins sont mentionnés par ordre de préséance. Mais, du point de vue de la protection des actes privés égyptiens, l’absence de témoins se comprend très bien. Les Romains ont trouvé en Égypte des pratiques susceptibles d’évoluer vers un système extrêmement élaboré. Loin de chercher à imposer des pratiques italiennes, ils ont tiré tout le parti qu’ils pouvaient des pratiques locales pour en faire un système nouveau qui est le résultat d’une combinaison d’éléments de tradition égyptienne et hellénistique et d’adaptation romaine.

Les tablettes de Jucundus (TJ)

  • 21  Andreau 1974, p. 13-24. Jucundus est un coactor argentarius, voir Andreau 1987, p. 164, note 79 (p (...)
  • 22  CIL IV 3340, t. 1-153.
  • 23  Andreau 1974, p. 27-28.

12Les tablettes du banquier de métier (coactor argentarius) L. Caecilius Jucundus ont été découvertes en 1875 dans la maison de Jucundus à Pompéi (région 5, ins. 1, n° 26)21. Elles étaient regroupées dans un coffre de bois dont il ne subsistait que des restes au moment de la découverte. L’édition de référence est celle de K. Zangemeister qui date de 1898 dans le supplément 1 du CIL IV22. Ces tablettes, au nombre de 153, ne constituent probablement pas l’intégralité des archives de Jucundus23 puisque deux types d’actes seulement y sont attestés. La plupart d’entre elles, 137 précisément, sont des quittances délivrées à Jucundus par des clients vendeurs dans les ventes aux enchères organisées par Jucundus dans le cadre de sa profession de banquier. La quasi-totalité d’entre elles datent d’une période comprise entre 54 et 58. La tablette n° 2 atteste que Jucundus était déjà banquier en 27, la tablette n° 151 qu’il était toujours vivant en janvier 62. Ce sont les quittances délivrées par les clients à Jucundus dans le cadre de ventes aux enchères qui sont importantes pour l’étude du marché du crédit. En effet, dans quelques-unes d’entre elles, Jucundus accorde un crédit à l’acheteur.

  • 24  Andreau 1974, p. 53-71, pour l’étude de ces quittances, et p. 331-338, pour le texte de certaines (...)

13Les autres tablettes (138 à 153) sont à mettre en relation avec les contrats publics souscrits par Jucundus auprès de la cité de Pompéi où celui-ci prend à ferme un certain nombre de taxes de la colonie. Ce sont des quittances délivrées par un esclave de la cité de Pompéi à Jucundus attestant que celui-ci s’est bien acquitté du paiement dû dans le cadre de ces différents contrats24. Ces tablettes et ces contrats ne relèvent pas de son activité professionnelle de banquier.

Les tablettes de Murecine (TPSulp.)

  • 25  Voir Camodeca 2003c et Camodeca 2009a, p. 21-25.

14Les tablettes de Murecine, découvertes à Pompéi en 1959, sont une partie des archives d’hommes d’affaires opérant essentiellement à Pouzzoles, les Sulpicii. Si les tablettes ont été précisément retrouvées à Murecine, « suburbium portuaire » de Pompéi, l’essentiel des transactions a eu lieu à Pouzzoles. Elles ont été retrouvées dans un bâtiment appartenant probablement au dernier représentant des Sulpicii, C. Sulpicius Onirus, ou à un de leurs héritiers. Le transfert de Pouzzoles à Pompéi a probablement eu lieu après le tremblement de terre de 6225.

15Quatre Sulpicii sont connus dans un spectre chronologique allant de 26 à 61 : Faustus, Cinnamus, Eutychus et Onirus, mais les deux premiers sont de loin les plus attestés. C. Sulpicius Cinnamus est explicitement désigné comme l’affranchi de C. Sulpicius Faustus dans TPSulp. 72 où il agit comme procurator de son patron. Faustus est attesté de 26 à 52, et principalement de de 26 à 40, tandis que Cinnamus est attesté de 42 à 56, période durant laquelle il prend une importance grandissante, notamment dans les années 50 lorsque Faustus n’apparaît plus. Il semble donc que Cinnamus, après avoir été l’affranchi et le collaborateur de Faustus, ait succédé à son patron. Onirus quant à lui, est un ingénu, et il n’apparaît qu’à la fin de l’archive dans quatre actes, dont trois sont datés de 61. Il n’apparaît jamais en compagnie de Cinnamus, mais il semble que ce soit lui qui ait succédé à Cinnamus, et non pas le quatrième des Sulpicii attestés, Eutychus, qui est attesté comme procurator de Cinnamus en 51 dans TPSulp. 87. Selon G. Camodeca, il s’agit selon toute probabilité d’un affranchi mais il n’est pas possible de savoir s’il est également l’affranchi de Faustus ou bien celui de Cinnamus.

  • 26  Camodeca 1999a, p. 15-16 et Andreau 2001, p. 137-140. La qualité des travaux de G. Camodeca ne doi (...)
  • 27  Une table-ronde a été organisée à Paris à l’occasion de la sortie de l’édition de G. Camodeca. Ell (...)
  • 28  Camodeca 1992.
  • 29  Pour Tabulae Pompeianae Sulpiciorum. Edizione critica dell’archivio puteolano dei Sulpicii, Quasar (...)
  • 30  Voir Camodeca 2006b, notes 12 et 14.

16L’édition des tablettes de Murecine a connu une histoire mouvementée26 mais depuis 1999, on a la chance de disposer d’une édition complète de très grande qualité réalisée par G. Camodeca27 qui fait suite à une série d’articles préparatoires et à un livre paru en 1992 qui présentait les Sulpicii et les différents types de documents rencontrés dans l’archive28. Les 127 tablettes ont été renumérotées dans cette édition et elles sont désormais citées comme les TPSulp.29. Les types d’actes attestés dans les TPSulp. sont beaucoup plus variés que dans les tablettes de Jucundus. On compte 40 actes de procédure privée dont 21 vadimonia et testationes sistendi, promesses et attestations de comparution, et 87 actes relevant d’affaires privées : des ventes, des locations et surtout des affaires financières, des prêts, des reconnaissances de dettes, des quittances et des documents relatifs à la vente aux enchères dont on peut penser qu’ils sont liés aux affaires financières des Sulpicii. Ceux-ci ne sont pas présents dans tous les actes mais, en général, il est possible d’expliquer pourquoi ces tablettes sont présentes dans leurs archives. La variété de l’archive et la qualité de l’édition ont suscité de nombreuses recensions et articles30. Suivant les centres d’intérêt des auteurs, ils traitent plutôt des aspects juridiques ou plutôt des aspects économiques et sociaux illustrés par l’archive. La dimension financière, pour importante qu’elle soit, n’est qu’un des aspects des tablettes de Murecine. Grâce à G. Camodeca, ces documents occupent enfin la place qui leur revient dans l’histoire économique, sociale et juridique de l’Italie au Ier siècle après J.-C.

Les tablettes d’Herculanum (TH)31

  • 31  Avant de commencer, il faut signaler que les tablettes d’Herculanum sont, pour certaines, en cours (...)
  • 32  Et non dans sept maisons comme l’affirmait A. Maiuri dans Maiuri 1946, p. 375. Sur ces huit maison (...)
  • 33  Les tablettes d’Herculanum ont été publiées entre 1946 et 1961 dans six articles successifs de la (...)

17À la différence des tablettes de Jucundus et de celles des Sulpicii, les tablettes d’Herculanum n’appartiennent pas à un seul personnage ou à un seul groupe de personnages, et elles n’ont pas été retrouvées en un seul lieu mais dans huit maisons différentes32. Elles ont été retrouvées lors des fouilles d’A. Maiuri dans les années 30. D’autres tablettes avaient été découvertes lors des fouilles du XVIIIème siècle mais les richesses de la Villa des Papyri leur ont été fatales et on ignore tout de leur contenu aujourd’hui. Les tablettes ont fait l’objet d’une première édition entre 1946 et 1961 par G. Pugliese-Caratelli assisté de V. Arangio-Ruiz33. Cette édition n’était pas aussi bonne qu’on l’a d’abord pensé et G. Camodeca s’est lancé dans un travail général de réédition qui n’est pas encore terminé. Cependant de nombreux articles sont déjà parus et, comme pour les tablettes de Murecine, les progrès réalisés par G. Camodeca dans la lecture et l’interprétation des tablettes d’Herculanum sont considérables. Celui-ci a ainsi identifié environ 60 nouvelles tablettes, par rapport à la centaine identifiée par G. Pugliese-Caratelli. On compte donc aujourd’hui à Herculanum environ 160 tablettes dont quelques-unes restent inédites.

  • 34  En plus de ces trois archives, Camodeca 2006a, p. 259-260, annonce avoir reconstitué deux nouvelle (...)
  • 35  L’issue du procès est inconnue. Sur le procès, voir Arangio-Ruiz 1948, publié dans le même fascicu (...)

18Si des tablettes ont été retrouvées dans huit maisons, il n’est possible d’assigner des tablettes à des maisons, et donc de reconstituer des archives privées, que dans trois cas34. Ces trois archives sont plus variées encore que les tablettes de Sulpicii, qui pour l’essentiel sont des archives professionnelles, tandis que les tablettes d’Herculanum sont des archives privées au plein sens du terme. Elles comprennent une grande variété d’actes privés : des contrats, des documents judiciaires et des documents administratifs. Les deux premières archives appartiennent à L. Cominius Primus et à L. Venidius Ennychus et elles contiennent toutes les deux des documents financiers. La troisième, celle de Calatoria Themis, ne contient en revanche pas de documents financiers mais essentiellement des documents relatifs au procès intenté par Petronia Justa à Calatoria Themis pour que son ingénuité soit reconnue35.

Le contexte économique et social des transactions

19Il faut d’emblée souligner le caractère exceptionnel de Pouzzoles. S’il fallait comparer les cités campaniennes à des villes égyptiennes, on pourrait comparer Herculanum avec Oxyrhynchos, alors que Pouzzoles serait plutôt comparable au port d’Alexandrie.

  • 36  Sur Pouzzoles d’un point de vue général : Frederiksen 1984 et Camodeca 1991c.
  • 37  Morley 1996, p. 33-39, retient le chiffre de 200000 habitants en 200 avant J.-C. comme working fig (...)
  • 38  Lo Cascio (éd.) 2000.
  • 39  Hatzfeld 1919. Plus récemment, Müller et Hasenohr (éd.) 2002.

20La colonie romaine de Pouzzoles est fondée en 194 avant J.-C. par les Romains en liaison avec la construction à Rome de la porticus Aemilia et de l’emporium36. À partir de cette date, Pouzzoles est le port de Rome. La Ville n’a pas de port de haute mer et la côte nord de la mer tyrrhénienne est dépourvue de sites adéquats. La croissance de la population de la ville de Rome aux deux premiers siècles avant notre ère, de 200000 habitants37 après la deuxième guerre punique, à un million d’habitants sous Auguste, assure la croissance rapide du port de Pouzzoles38. Le blé de Sicile, de Sardaigne et d’Afrique et les produits orientaux, les esclaves notamment, arrivent en Italie par Pouzzoles. Le port campanien, fait figure de relais occidental de Délos, qui accède au statut de port franc en 166 avant J.-C., et où de nombreux marchands campaniens sont attestés39.

  • 40  Geraci 2003.
  • 41  Tchernia 1995 et De Romanis 1996 sur le développement du commerce avec l’Océan Indien à l’époque i (...)
  • 42  Sur l’approvisionnement de Rome, voir Rickman 1980, Le ravitaillement en blé de Rome et des centre (...)
  • 43  Sur Pouzzoles, port annonaire, voir Frederiksen 1980-1981 et Camodeca 1994b.
  • 44  Sur les ports de Rome, voir Zevi 2001.

21Au Ier siècle après J.-C., Pouzzoles atteint son apogée. L’annexion de l’Égypte en 30 avant J.-C. permet à Auguste de mettre la main sur la plus riche région céréalière de la Méditerranée40 et entraîne une augmentation très importante du commerce maritime entre l’espace méditerranéen et l’Orient indien41. Le système de l’annone mis en place par Auguste s’appuie en partie sur le blé égyptien et la flotte affrétée pour le transport du blé d’Égypte vers l’Italie débarque à Pouzzoles42. Les commerçants privés, qui continuent à jouer un rôle dans l’approvisionnement en blé de Rome après la mise en place de l’annone, font de même. Le port de Pouzzoles et ses entrepôts tiennent donc un rôle fondamental pour l’approvisionnement en blé de la capitale de l’Empire43 au Ier siècle après J.-C. jusqu’aux travaux de Trajan à Portus au début du IIe siècle44 Ainsi, une partie du blé produit à Tebtynis par exemple, après avoir traversé la Méditerranée, arrive dans le port de Pouzzoles, y est stockée, avant d’être expédiée à Rome sur des navires plus petits pour nourrir les habitants de la Ville.

  • 45  Voir Raschke 1978 ; Autour de Coptos. Actes du colloque organisé au Musée des Beaux-Arts de Lyon, (...)
  • 46  Camodeca 1979. Ils sont encore attestés au IIème siècle après J.-C., voir Bonsangue 2001.
  • 47  Tchernia 1995, De Romanis 1996 et Tchernia 2011.

22À ces transports de blé qui arrivent à Pouzzoles, il faut ajouter toutes les autres marchandises qui viennent de partout dans l’Empire, notamment d’Orient, de Syrie, d’Asie mineure, d’Égypte et, à travers l’Égypte, de régions extérieures à l’Empire, l’Arabie, l’Éthiopie et l’Inde méridionale45. Des negotiatores d’origine pouzzolane sont même attestés en Égypte au Ier siècle46 sur les routes de ce commerce de produits de luxe qui, après l’Océan indien et la Mer Rouge, passent par les pistes du désert oriental pour rejoindre la vallée du Nil. Si le blé représente certainement en volume une part importante du trafic arrivant à Pouzzoles, les autres produits, notamment les produits de luxe venant d’Orient dont la partie la plus riche de l’élite impériale est friande, portent vraisemblablement sur des sommes absolument considérables47. Par l’ampleur du trafic, en volume et en valeur, et par le nombre de marchands de toutes origines qui y travaillent, Pouzzoles est donc probablement le port le plus important de l’Empire romain au Ier siècle après J.-C. et c’est dans ce contexte exceptionnel que les Sulpicii exercent leurs activités financières.

  • 48  Lepore 1955.
  • 49  Camodeca 1999b, Camodeca 2003a et Camodeca 2008c.
  • 50  Voir Monteix 2010 sur les boutiques et les ateliers à Herculanum, qui réfute notamment la thèse d’ (...)
  • 51  Camodeca 1999b.

23En face de Pouzzoles, Herculanum apparaît plus banale. Les synthèses d’histoire économique et sociale sont rares depuis l’article d’E. Lepore en 1955 qui voulait voir, à tort, dans Herculanum une ville de villégiature pour l’aristocratie romaine48. La réédition d’une vingtaine de tablettes a déjà permis à G. Camodeca de faire une série d’observations qui montrent que l’économie d’Herculanum est moins ouverte sur l’extérieur que celle de Pouzzoles49. Herculanum est une petite cité aux activités commerciales et artisanales limitées50, par rapport à Pouzzoles bien sûr, mais aussi par rapport à Pompéi. Au Ier siècle après J.-C., Herculanum est une cité peuplée de propriétaires fonciers aisés dont l’économie est essentiellement fondée sur l’agriculture. On est donc loin du grand port méditerranéen qu’est Pouzzoles51. Au vu des différences importantes entre Pouzzoles et Herculanum, il paraît préférable d’analyser séparément les tablettes de Murecine et les tablettes d’Herculanum.

Le marché du crédit à Pouzzoles52

  • 52  G. Camodeca a consacré un article important au crédit dans les tablettes campaniennes (à Pouzzoles (...)

24Avant de présenter les résultats tirés de l’analyse des transactions, il est nécessaire de prendre position dans le débat qui porte sur le statut professionnel des Sulpicii, tant celui-ci est déterminant dans la compréhension du fonctionnement du marché du crédit de l’Italie romaine au Ier siècle après J.-C.

Le statut professionnel des Sulpicii : banquiers ou prêteurs d’argent spécialisés ?

25Une partie importante des TPSulp. concerne des affaires financières où on voit les Sulpicii prêter et parfois emprunter des sommes importantes. Le prêt d’argent semble donc être l’activité principale des Sulpicii. J’ai jusqu’ici délibérément employé le terme flou d’hommes d’affaires car le statut des Sulpicii fait débat : sont-ils des banquiers, comme Jucundus à Pompéi, ou sont-ils des prêteurs d’argent spécialisés, des feneratores ? Afin de faciliter la compréhension du débat, il n’est sans doute pas inutile de faire un bilan de nos connaissances sur le système financier de l’Occident romain, et plus particulièrement de préciser les activités respectives des banquiers de métier et des prêteurs d’argent spécialisés, puisque le débat porte sur ce point.

Les activités des banquiers en Occident romain et la place que le crédit y tient

  • 53  Dans l’étude des différents acteurs de la vie financière du monde romain, J. Andreau s’est princip (...)
  • 54  Andreau 2001, chapitre 2.

26Lors de ses recherches sur les banquiers romains, son objet d’étude principal au sein du système financier de l’Occident romain53, J. Andreau a cherché à distinguer les hommes qui prêtaient de l’argent et qui étaient des banquiers de ceux qui prêtaient de l’argent sans être des banquiers. Rappelons qu’avant ses travaux, toute personne prêtant de l’argent était susceptible d’être qualifiée de banquier dans la bibliographie, tant l’assimilation spontanée entre banque et crédit était (et demeure) forte. Atticus ou C. Rabirius Postumus étaient ainsi couramment qualifiés de banquier. Afin de délimiter son objet d’étude, J. Andreau a fait une première distinction entre les personnes prêtant de l’argent de manière professionnelle et celles prêtant de manière non professionnelle. Cette distinction permet d’isoler une première catégorie, celle des notables, qui comprend l’élite impériale, sénateurs et chevaliers, et la partie supérieure des aristocraties municipales54, et qui pratiquent le prêt d’argent de manière occasionnelle. Cette première distinction est claire et opératoire dans la mesure où, d’une part, les différences sociales entre les notables et les banquiers, qui sont souvent des affranchis et qui appartiennent au monde des métiers, sont évidentes, et où, d’autre part, le prêt n’est jamais l’activité principale des notables, il constitue au mieux une source importante de leurs revenus. Il est clair que les Sulpicii, eux, n’appartiennent pas au monde des notables. Ce sont des affranchis qui évoluent dans le monde du commerce à Pouzzoles.

  • 55  Andreau 1987a et Andreau 2001, chapitre 3.
  • 56  Andreau 1985, p. 380-382 et Andreau 2001, p. 101-106.

27Restent donc les personnes qui prêtent de l’argent de manière professionnelle, au premier rang desquelles les banquiers de métier55. Mais ils ne sont pas seuls dans cette catégorie et J. Andreau a proposé d’identifier une autre catégorie, moins facile à cerner, celle d’« affairistes » ou « grands hommes d’affaires »56. J’adopte ici le terme de « prêteurs d’argent spécialisés » pour désigner cette catégorie qui n’a pas rencontré dans la bibliographie le même succès que les deux précédentes, notables et banquiers de métier, alors qu’elle est pourtant essentielle à la compréhension du marché du crédit professionnel de l’Italie romaine, dont les banquiers ne sont qu’un élément. Les prêteurs d’argent spécialisés ont comme activité professionnelle principale et régulière le prêt d’argent et ils en tirent l’essentiel de leurs revenus.

  • 57  Andreau 1987a, p. 17.
  • 58  Les nummularii ne deviennent véritablement banquiers qu’au IIème siècle après J.-C. à une époque o (...)
  • 59  Andreau 1994b.

28Pour résumer les choses, on peut dire qu’à cause de l’historiographie qui le précédait, J. Andreau devait partir du crédit pour arriver à la banque. Pour pouvoir étudier les banquiers, il les a isolés analytiquement de toutes les autres catégories de personnes qui prêtaient de l’argent, sans ignorer ensuite les liens qui pouvaient exister entre les banquiers et ces autres catégories. Il définit ensuite la banque comme « une profession commerciale qui consiste à recevoir des dépôts de clients auxquels le banquier fournit un service de caisse, et à prêter les fonds disponibles à des tiers en agissant en créancière »57. On peut d’ores et déjà relever que l’intervention dans les ventes aux enchères, dont J. Andreau souligne à de multiples reprises dans la Vie Financière qu’elle est une activité essentielle pour les argentarii et les coactores argentarii, n’apparaît pas cette définition, probablement parce qu’elle ne fait pas partie des attributions des nummularii, le troisième type de banquiers58. Dans la définition proposée, le dépôt, le crédit et le service de caisse sont les trois opérations principales des banquiers de métier. Des trois, c’est le dépôt qui est le plus important, car c’est l’activité la plus spécifique des banquiers. Ils sont en effet les seuls à pouvoir recevoir des dépôts irréguliers et les obligations imposées par la puissance publique aux banquiers en Occident portent sur cette activité59. Les prêteurs d’argent spécialisés, en revanche, ne reçoivent pas de dépôts irréguliers.

  • 60  M. Amelotti qui suit l’interprétation de G. Camodeca selon laquelle les Sulpicii sont des banquier (...)

29On peut remarquer que, dans cette définition de la banque, le service de crédit est présenté comme une évidence. Ce statut d’évidence est d’autant plus compréhensible que J. Andreau commence son livre en isolant les banquiers de toutes les autres personnes qui prêtent de l’argent dans l’Occident romain. Les liens entre banque et crédit n’ont jamais été analysés de manière approfondie tant la chose semble naturelle60. Pour le sens commun, à l’époque romaine, comme aujourd’hui, une banque est d’abord une institution qui prête de l’argent. Pourtant, on doit se demander si la chose est aussi évidente. L’analyse du statut professionnel des Sulpicii invite à se pencher sur la place que le crédit occupe dans les activités des banquiers en Occident romain. En effet, l’importance du crédit dans leurs activités joue un rôle important dans l’interprétation qui fait des Sulpicii des banquiers, même si cela reste souvent implicite.

  • 61  Bogaert 2000, p. 216 : « Un changeur-essayeur devient banquier lorsqu’il accepte de ses clients de (...)

30On doit d’abord répéter que ce sont le dépôt et le service de caisse qui définissent la banque de dépôt. Une banque n’a pas besoin de prêter de l’argent pour être une banque. Après avoir travaillé sur la documentation papyrologique, R. Bogaert a ainsi pu proposer en 2000 une définition de la banque qui repose uniquement sur le dépôt et le service de caisse et qui évacue toute référence au crédit61. Si on nie que la banque prête de l’argent, on ne nie pas pour autant l’existence de la banque.

  • 62  Au moins pour les argentarii et les coactores argentarii.

31Deuxièmement, l’analyse de la situation égyptienne, peu étudiée dans les années 1980 en histoire économique romaine, invite à reconsidérer la question de la place du crédit dans les activités des banquiers en Occident puisque celui-ci ne fait pas partie de leurs activités en Égypte romaine. L’argument n’est bien sûr pas décisif car on peut tout à fait concevoir que les banquiers de métier prêtent de l’argent en Italie et non en Égypte. Le cas de la vente aux enchères, qui fait partie des activités des banquiers en Italie62, mais qui en est absente en Égypte, montre que les activités des banquiers égyptiens et italiens ne coïncident pas nécessairement. Néanmoins, le fait que les banques privées en Égypte romaine ne prêtent pas d’argent est suffisamment surprenant pour ne pas être purement et simplement ignoré.

  • 63  Andreau 1987a, p. 530.
  • 64  Andreau 1987a, p. 607-615. On sait peu de choses sur l’organisation interne des banques. La mieux (...)

32Troisièmement, les banques romaines sont de petites structures et le crédit sur dépôt, au moins de long terme, est une activité particulièrement risquée. Les banquiers travaillent dans des boutiques. Ils ne conservent pas les dépôts de leurs clients dans des coffres-forts qui seraient situés dans leur boutique mais ils louent des espaces fermés dans des entrepôts63. Leur personnel est peu nombreux64 et leur rayon d’action est local. Ils appartiennent au monde des métiers, ils sont souvent affranchis et aucun des banquiers connus n’appartient aux élites municipales. La surface financière des banques romaines est donc probablement peu étendue. Dans ces conditions, prêter l’argent des dépôts des clients peut s’avérer extrêmement périlleux pour un banquier, surtout à long terme. Il peut rapidement se retrouver dans une situation telle qu’il lui est impossible de rendre les dépôts à ses clients. De plus, le droit romain ne favorise pas les banquiers face à leurs clients. La compensation forcée s’impose à l’argentarius quand il intente une action contre un client pour lui demander ce qu’il lui doit. Si l’argentarius se trompe dans le calcul, l’argentarius devant déduire de ce que son client lui doit les créances que celui-ci a sur lui, il y a plus-pétition et il perd son procès. À l’inverse, dans le même cas, le client du banquier n’est pas tenu à cette règle de la compensation forcée. En revanche, l’argent prêté par les prêteurs d’argent spécialisés, ou par n’importe quel prêteur occasionnel, ne provient pas de dépôts faits par des particuliers, et il n’est donc soumis à aucune réglementation professionnelle de la part des pouvoirs publics. Il est donc plus facile aux prêteurs d’argent spécialisés qu’aux banquiers de prêter de l’argent, s’ils ont des capitaux.

  • 65  Hoffman, Postel-Vinay et Rosenthal 2001, p. 182-201.

33On dispose d’exemples pour d’autres périodes historiques qui montrent que le crédit sur dépôt à long terme est une activité particulièrement risquée. Ainsi, à Paris au XVIIIème siècle, les notaires jouent un rôle d’intermédiation financière passive important pour le fonctionnement du marché du crédit. Mais des notaires, dont certains parmi les plus importants, ont voulu faire plus pour augmenter leurs revenus. Ils ont essayé de prêter à long terme les dépôts qu’ils recevaient de certains de leurs clients. Ces tentatives se sont traduites par des faillites retentissantes et la compagnie des notaires parisiens a interdit ces pratiques en 1762, sous peine d’« être rayé de la liste des notaires »65.

  • 66  Voir Andreau 1987a, Andreau 2001 et García-Morcillo 2005.
  • 67  Andreau 1974, p. 95-103.

34Cependant, dans l’Occident romain, il existe une forme de crédit qu’accordent les banquiers et que ni les prêteurs d’argent spécialisés, ni les prêteurs d’argent occasionnels ne peuvent accorder. C’est un crédit de court terme, qu’on nomme dans la bibliographie « crédit d’enchères ». L’intervention des argentarii et des coactores argentarii dans les ventes aux enchères est une de leurs fonctions les plus originales et les plus importantes66. Dans la vente aux enchères, le banquier sert d’intermédiaire entre le vendeur et l’acheteur. Dans les jours suivant la vente, il verse au vendeur la somme correspondant au montant de celle-ci. Juridiquement, c’est le banquier qui paie le vendeur. Le vendeur verse une commission au banquier pour ce service. L’acheteur peut remettre le prix de vente au banquier le jour de la vente mais il peut aussi le faire plus tard. En ce cas, c’est le banquier qui paie le vendeur à sa place. Le banquier accorde à l’acheteur un crédit, la plupart du temps de court terme. C’est ce qu’on appelle le crédit d’enchères. Dans ce cas, l’acheteur verse certainement des intérêts au banquier, mais on n’en connaît pas le montant. En dehors de cette forme de crédit attestée dans les tablettes de Jucundus67, on ne dispose d’aucune attestation d’aucune autre forme de crédit accordé par une banque dans les sources documentaires d’époque romaine, d’où qu’elles viennent. En soi, là encore, cette absence n’est pas nécessairement significative. Mais il vient s’ajouter à une série d’autres constats qui finissent par faire douter que le crédit, en dehors du crédit d’enchères, occupe une part significative dans les activités des banquiers en Occident romain.

  • 68  Les tablettes de Jucundus ne comportent aucune information sur l’intérêt.

35À ce constat, on oppose parfois la question de la rémunération des banquiers : si les banquiers ne prêtent pas d’argent, comment peuvent-ils gagner leur vie ? Mais pourquoi l’essentiel des revenus des banquiers devrait-ils venir de prêts accordés en dehors des enchères ? La vente aux enchères qui est une de leurs activités essentielles leur assurent des revenus réguliers puisqu’ils reçoivent une marge sur les transactions et qu’ils perçoivent certainement des intérêts sur le crédit d’enchères68. On peut également penser que le service de caisse leur rapporte de l’argent. En Égypte, les actes rédigés par les banquiers finissent par avoir valeur de contrat public. Il est peu probable que ce service ait été gratuit. Les banquiers romains n’avaient sans doute pas l’imagination sans limite des banques actuelles pour facturer de nouveaux services à leurs clients mais la profession de banquier romain peut avoir été rémunératrice sans que le prêt constitue une partie importante des activités des banquiers.

36Pour conclure cette analyse, on peut donc dire qu’il est peu probable que le crédit, en dehors du crédit d’enchères, occupe une place importante dans les activités des banquiers dans l’Occident romain. Le dépôt, le service de caisse et surtout l’intervention dans les ventes aux enchères, sauf pour les nummularii, sont leurs activités principales. En revanche, le crédit tient une place importante dans les activités de l’autre catégorie de personnes qui prêtent de l’argent à titre professionnel : les prêteurs d’argent spécialisés.

Le monde des prêteurs d’argent spécialisés (feneratores)

  • 69  Verboven 2008. K. Verboven range également les Sulpicii parmi les prêteurs d’argent spécialisés, v (...)
  • 70  Andreau 1983.
  • 71  Verboven examine également le cas des intercessores, des proxenetae et des pararii qui jouent un r (...)
  • 72  Sur le rôle de la guerre et des conquêtes dans la transformation de l’économie italienne des trois (...)

37Les prêteurs d’argent spécialisés sont moins bien connus que les banquiers car ils ont été moins étudiés. À la suite des travaux de J. Andreau sur la banque, K. Verboven a repris l’analyse de cette catégorie69. Dans la catégorie des « affairistes » ou des « grands hommes d’affaires » qu’a proposée J. Andreau, K. Verboven commence par établir une distinction entre d’un côté, les grands affairistes de la fin de la République qui opèrent à l’échelle de la Méditerranée dans un contexte politique exceptionnel, comme C. Rabirius Postumus ou, à un degré moindre Cluvius et Vestorius70, et, de l’autre côté, les prêteurs d’argent spécialisés (feneratores)71. Les affairistes appartiennent à une époque bien particulière, la fin de la République, une époque d’enrichissements soudains et fabuleux, causés par les guerres, civiles ou impérialistes72. Ils ne sont pas durablement caractéristiques du système financier romain. Les prêteurs d’argent spécialisés quant à eux évoluent dans des sphères sociales moins hautes, ils exercent leurs activités dans un rayon géographique moins étendu, et ils manient des sommes moins importantes que les affairistes. Mais, plus important que tout cela, on les trouve sans interruption de la fin de la République à la fin du Haut-Empire. Pour cette raison, à la différence des affairistes, ils sont une des institutions durables du marché du crédit romain.

  • 73  Sur l’intermédiation, voir Andreau 1987b, Verboven 2000, Verboven 2008, Camodeca 2003a, p. 86-88, (...)
  • 74  Andreau 1987b, p. 172-173.
  • 75  Sur les lieux de la vie financière et sur les prêteurs d’argent spécialisés à Rome, voir Andreau 1 (...)

38Si les prêteurs d’argent spécialisés n’acceptent pas de dépôts, ils prêtent de l’argent, mais leur spécificité n’est pas là. En plus du prêt, ils ont une fonction qui leur est propre au sein du marché du crédit italien : l’intermédiation financière universelle, active et passive73. Dans le cadre de l’intermédiation active, ils empruntent des sommes qu’ils reprêtent ensuite à des taux supérieurs. Les prêteurs d’argent spécialisés prêtent donc à la fois leurs propres capitaux et des capitaux qu’ils ont empruntés. Dans le cadre de l’intermédiation passive, ils se contentent de mettre en relation des créanciers et des débiteurs potentiels. Ces fonctions d’intermédiation sont décisives pour le bon fonctionnement du marché du crédit en Italie romaine, et c’est pour cette raison que les prêteurs d’argent spécialisés sont si importants. À Rome à la fin de la République et au début de l’Empire, ils exercent leurs talents au puteal Libonis et surtout au Janus Medius74. C’est là qu’il faut se rendre pour emprunter de l’argent ou pour chercher à en prêter. Le rassemblement des prêteurs d’argent spécialisés dans un même lieu montre qu’ils ont conscience d’exercer une activité particulière. Les banquiers de métier travaillent ailleurs et les différences sociales et professionnelles qui existent entre prêteurs d’argent spécialisés et banquiers de métier se retrouvent dans la topographie de la ville de Rome75.

39Les prêteurs d’argent spécialisés ont intérêt à se rassembler en un même lieu pour exercer leurs activités car ce sont des professionnels et ils exercent sur un marché ouvert et anonyme. Il n’est pas besoin de les connaître auparavant pour s’adresser à eux. Dans leur cas, la relation de crédit ou d’affaires qu’ils entretiennent avec leurs clients ne dépend pas des liens personnels. Tous ceux qui veulent prêter et emprunter savent où les trouver. Les aristocrates, qui ne sont pas des professionnels mais qui prêtent parfois de l’argent, prêtent chez eux, à des gens qu’ils connaissent d’une manière ou d’une autre, par la parenté, l’amicitia ou leur réseau de dépendants.

40Le puteal Libonis et le Janus Medius sont des lieux d’information financière. À l’époque romaine où l’information circule beaucoup moins et beaucoup moins vite qu’aujourd’hui, le meilleur moyen de partager et de faire circuler l’information est de rassembler dans un même lieu les personnes qui ont intérêt à la partager. Les prêteurs d’argent spécialisés parlent entre eux pour échanger des informations utiles à tous. Ils se sont également dotés d’un système d’information financière permanent : la colonne Ménienne située près du puteal Libonis. L’affichage dans un lieu public connu de toutes les personnes concernées est un des moyens les plus simples de diffusion de l’information. Sur des placards accrochés à la colonne Ménienne, les créanciers affichent des indications sur la solvabilité et sur la capacité de leurs débiteurs à rembourser leurs dettes. Les créanciers potentiels peuvent ainsi consulter les affiches de la colonne Ménienne avant de prêter à quelqu’un. Les débiteurs insolvables ou mauvais payeurs peuvent ainsi être écartés du marché du crédit, ou, dans les cas extrêmes, voir leur réputation ruinée. Ces désagréments particuliers sont très utiles au fonctionnement général du marché du crédit. Les probabilités de défaut de paiement diminuent et les créanciers sont plus enclins à prêter. L’affichage sur la colonne Ménienne, comme le rassemblement au puteal Libonis et au Janus Medius, montre que les prêteurs d’argent spécialisés sont conscients que leurs intérêts sont solidaires et que les profits de chacun augmentent s’ils coopèrent en partageant les informations dont ils disposent.

41Une pleine reconnaissance de la catégorie des prêteurs d’argent spécialisés et de leur rôle dans le fonctionnement du marché du crédit est utile dans l’analyse du statut professionnel des Sulpicii. En effet, des deux catégories de personnes prêtant de l’argent à titre professionnel, banquiers et prêteurs d’argent spécialisés, les banquiers sont les mieux connus, et les prêteurs d’argent spécialisés les moins bien connus. Or, il est plus facile de ranger les Sulpicii dans une catégorie bien connue que dans une catégorie mal connue.

  • 76  Camodeca 1992, p. 29-36, contre l’avis exprimé par J. Andreau dans Andreau 1985 ou Andreau 1987a, (...)
  • 77  Voir notamment Gröschler 1997, p. 62-66 qui remarque que TPSulp. 82 (si on accepte la restitution (...)
  • 78  Camodeca 1999a, p. 22-26 et p. 187-188 ainsi que Camodeca 2003a, p. 71-76.

42Avant de prendre parti dans le débat sur le statut professionnel des Sulpicii, rappelons brièvement les positions en présence. En 199276, G. Camodeca a proposé que les Sulpicii soient des banquiers, et sa position a été suivie par les juristes qui travaillent sur les tablettes de Murecine77. Cette hypothèse repose sur un raisonnement juridique portant sur une unique tablette : TPSulp. 82. Dans cette tablette, G. Camodeca propose de restituer la formule ex auctione eius à la l. 10, ce qui ferait de C. Sulpicius Cinnamus un banquier versant au vendeur le prix d’un objet vendu aux enchères78. Or, en Occident, et particulièrement en Italie, l’intervention dans les ventes aux enchères est une des principales activités des banquiers de métier. Cette reconstitution exclut donc la possibilité que les Sulpicii soient des nummularii car ceux-ci n’interviennent pas dans les ventes aux enchères. Il ne peut s’agir que d’argentarii ou de coactores argentarii. La possibilité que les Sulpicii soient des prêteurs d’argent spécialisés n’est pas véritablement envisagée par G. Camodeca ni par ceux qui suivent son raisonnement.

  • 79  Voir Andreau 1994a et en dernier lieu, Andreau 2001, p. 145-152.
  • 80  Verboven 2003a.

43Tout le monde s’accorde à dire que cette restitution serait décisive, mais pour les tenants de l’autre hypothèse, elle ne s’impose pas. J. Andreau a contesté l’interprétation de G. Camodeca sur la base d’un raisonnement économique et social portant sur l’ensemble des tablettes79. Le reste de l’archive, pourtant très variée, ne comporte pas d’opérations spécifiques des banquiers. On ne trouve notamment aucun texte sur la vente aux enchères où les Sulpicii soient en position d’argentarii (en dehors de TPSulp. 82 si on accepte la restitution proposée par G. Camodeca). J. Andreau propose donc qu’ils soient des prêteurs d’argent spécialisés. K. Verboven a approfondi cette critique en s’intéressant à deux activités spécifiques des banquiers : le dépôt (et le crédit sur dépôt) et la vente aux enchères. D’une part, il remarque que rien dans les tablettes ne prouve que les Sulpicii aient reçu des dépôts ou aient pratiqué des prêts sur dépôt. D’autre part, il conteste la restitution ex auctione eius et il souligne que les Sulpicii apparaissent comme vendeurs et non comme banquiers dans les documents relatifs à la vente aux enchères dans cette archive80. C’est sur ces éléments que le débat a jusqu’ici porté. En dehors du crédit, dont on sait qu’il n’est pas spécifique des banquiers et dont j’ai soutenu qu’il devait être minoritaire dans les activités des banquiers, mis à part le crédit d’enchères, il n’y a rien dans les tablettes de Murecine qui plaide pour une identification des Sulpicii avec des banquiers.

  • 81  Andreau 1987a, p. 539.
  • 82  Camodeca 2003a, p. 86.

44En revanche, il y a peut-être un élément positif pour soutenir l’idée que les Sulpicii sont des prêteurs d’argent spécialisés. En effet, comme on va le voir, l’intermédiation financière passive et active est l’activité principale des Sulpicii. Or, le service d’intermédiation est l’activité essentielle et spécifique des prêteurs d’argent spécialisés, à la différence des banquiers, qui ne semblent pas faire d’intermédiation financière en Italie. Dans l’étude de J. Andreau sur les banquiers dans l’Occident romain, il n’est presque jamais question d’intermédiation81. Pourtant, dans son article sur le crédit dans les tablettes de Murecine et d’Herculanum82, G. Camodeca écrit que les tablettes de Murecine permettent de saisir un aspect très important de la vie financière, inconnu jusqu’alors. Selon lui, en plus des fonctions bancaires déjà connues, la banque des Sulpicii nous fait découvrir une nouvelle fonction bancaire, une fonction d’intermédiation. On peut se demander si cette interprétation est la plus probable, quand on sait que l’intermédiation est caractéristique des prêteurs d’argent spécialisés.

45Au vu de tous les éléments dont on dispose, on peut conclure qu’il est plus probable que les Sulpicii soient des prêteurs d’argent spécialisés plutôt que des banquiers même si cela n’est pas une certitude.

L’activité des Sulpicii

46Après avoir présenté les caractéristiques techniques des prêts attestés, trois aspects seront successivement traités : les services rendus par les Sulpicii, leur clientèle et le rôle joué par les esclaves dans les transactions. En effet, ces trois points sont particulièrement représentatifs des spécificités du marché du crédit de Pouzzoles tel qu’il apparaît dans les tablettes des Sulpicii.

  • 83  Et une transaction où le créancier est inconnu.
  • 84  Seules trois tablettes sont sans lien apparent avec les affaires des Sulpicii : TPSulp. 55, TPSulp (...)
  • 85  Voir Camodeca 1992, p. 165-198 et Camodeca 1999a, p. 132-133.
  • 86  Camodeca 1993b. On trouve les mêmes types juridiques dans les tablettes d’Herculanum où les nomina (...)

47Dans les tablettes de Murecine, 44 tablettes se rapportent aux prêts ou à des opérations liées aux prêts. Les Sulpicii sont créanciers dans 28 opérations et ils interviennent à un autre titre dans 7 transactions. Il reste 8 transactions sans participation des Sulpicii83 mais 5 d’entre elles peuvent être reliées à d’autres tablettes où les Sulpicii apparaissent, ce qui explique leur présence dans l’archive84. Ces transactions financières sont attestées dans plusieurs types de documents mais le plus souvent il s’agit de contrats de prêts. Ceux-ci se présentent sous la forme de mutua cum stipulatione (TPSulp. 50-59)85 ou sous la forme de nomina arcaria (TPSulp. 60-65) dont G. Camodeca a reconstitué le formulaire particulier grâce à deux tablettes d’Herculanum (TH 70+71 et TH 74)86. On compte également les reconnaissances de dettes (TPSulp. 66-69) et les quittances (apochae) (TPSulp. 70-77).

Caractéristiques techniques des prêts : somme, intérêt, échéance

  • 87  Sur l’organisation des Sulpicii, voir Verboven 2000.
  • 88  7 cas avec somme : une moyenne de 14714 HS, une médiane de 4000 HS.
  • 89  10 cas avec somme : une moyenne de 9821 HS, une médiane de 3150 HS. Je laisse de côté TPSulp. 63 ( (...)
  • 90  10 cas avec somme : une moyenne de 5598 HS, une médiane de 4000 HS.

48Tous les prêts attestés dans les tablettes de Murecine sont des prêts en argent. On ne trouve aucune transaction comparable aux prêts en nature ou aux prêts mixtes qu’on rencontre en Égypte romaine. Comme on l’a vu, Faustus et son affranchi Cinnamus sont les deux Sulpicii les plus attestés et, la plupart du temps, ils semblent avoir agi séparément87. Les prêts accordés par Faustus88 sont un peu plus élevés que ceux accordés par Cinnamus89, mais les deux échantillons ne sont pas très importants, de sorte qu’il est difficile de tirer argument de cette différence. Les prêts accordés par des créanciers autres que les Sulpicii sont du même ordre de grandeur90. Si on rassemble les prêts accordés par Faustus, par Cinnamus et par les créanciers autres que les Sulpicii, on obtient une moyenne de 10945 HS et une médiane de 4300 HS (31 cas).

  • 91  Dans les prêts contenus dans les tablettes de Dacie, l’intérêt et l’échéance sont mentionnés expli (...)

49Les contrats de prêts présents dans l’archive des Sulpicii présentent deux grandes différences par rapport à la majorité des contrats de prêts qu’on peut trouver en Égypte, que je signale seulement pour le moment car, pour pouvoir les analyser, il faut également tenir compte des tablettes d’Herculanum. Tout d’abord, il n’est jamais question d’intérêt sous quelque forme que ce soit dans les tablettes de Murecine, que ce soit dans les contrats, dans les remboursements ou dans tout autre type de document. En Égypte, il peut arriver qu’aucun taux d’intérêt ne soit mentionné dans le contrat mais c’est l’exception et non la règle91. Dans les TPSulp., c’est une règle qui ne souffre aucune exception. Cette absence ne peut donc pas être expliquée à partir des seuls Sulpicii car on constate le même phénomène dans les tablettes dont ils sont absents.

  • 92  TPSulp. 56, TPSulp. 63, TPSulp. 68 et TPSulp. 69. La durée de ces prêts n’excède jamais quelques m (...)
  • 93  K. Verboven cite à ce propos Ulpien (Dig. 2, 13, 1, 2) : dies solutionis sicuti summa pars est sti (...)
  • 94  Ne présentent pas d’échéance les tablettes suivantes : TPSulp. 52, 53, 54, 55, 57, 58, 60, 61, 62, (...)

50La seconde différence est l’absence très fréquente d’échéance précise dans les contrats de prêt. Elle a été moins commentée et pourtant ce second phénomène est peut-être encore plus surprenant que le premier. En Égypte, hormis le cas-limite de la parathêkê, les contrats de prêts comportent tous une échéance. Dans une parathêkê, un contrat de dépôt qui se présente de la même manière que certains contrats de prêts, le formulaire se contente de préciser que l’argent ou le bien déposé doit être restitué quand le dépositaire-créancier en fait la demande. On trouve une situation analogue dans deux tablettes seulement, TPSulp. 51 et 67, où le débiteur C. Novius Eunus s’engage à rendre l’argent emprunté quand son créancier le veut (cum petierit). Mais dans ces deux exemples, il s’agit du même débiteur et l’affaire présente un certain nombre de singularités. Autrement, on dispose en tout et pour tout de quatre prêts avec une échéance explicite92, ce qui est pour le moins étonnant93. Les autres textes ne disent rien de la date du remboursement ou de la durée du prêt, des données pourtant fondamentales. Que les quittances ne donnent pas la date où le contrat a été conclu n’est pas étonnant, mais que les textes qui se situent au début de la relation de crédit, contrats ou reconnaissances de dettes, ne le fassent pas, est étrange94.

  • 95  TPSulp. 69, TPSulp. 75 et TPSulp. 76. Dans TPSulp. 69, il est certain que Cinnamus est débiteur, d (...)
  • 96  Il s’agit d’un des rares documents où une échéance précise est mentionnée.

51Si les Sulpicii prêtent très souvent, 28 opérations, ils empruntent rarement. Faustus n’est jamais attesté comme débiteur et C. Sulpicius Cinnamus n’apparaît dans cette position que dans trois tablettes95. Le 2 mai 51, Cinnamus emprunte 94000 HS à un esclave de l’empereur Claude, Phosphorus Lepidianus, pour une durée d’un mois et 10 jours96. Cinnamus emprunte donc près de dix fois le montant moyen des prêts qu’il concède. Dans TPSulp. 75, Cinnamus reçoit d’une personne inconnue un remboursement de 24000 HS puis, dans la même tablette, il verse au moins 20000 HS, la somme n’est pas connue précisément, à C. Aponius Stephanus. Ce dernier donne quittance à Cinnamus et apparaît donc comme son créancier. Enfin, dans TPSulp. 76, C. Trebonius Auctus donne quittance à Cinnamus pour la somme de 5000 HS. Là aussi, il s’agit probablement du remboursement d’un prêt. Comment expliquer ces emprunts de Cinnamus ?

L’intermédiation financière active

  • 97  Camodeca 2003a fait la même interprétation mais pour lui, les Sulpicii sont des banquiers et non d (...)
  • 98  On verra plus loin qu’il faut peut-être interpréter de la même manière TPSulp. 94 et 95 et peut-êt (...)
  • 99  Un mécanisme similaire est peut-être à l’œuvre dans TPSulp. 75 que K. Verboven a interprété comme (...)

52Les Sulpicii empruntent des sommes importantes qu’ils fractionnent pour les reprêter ensuite à des taux supérieurs. Cinnamus emprunte « en gros » et il se charge ensuite de prêter « au détail »97. Il est donc très probable qu’il paie un taux inférieur à celui auquel il prête ensuite. Dans le cas de TPSulp. 69, Phosphorus Lepidianus, esclave impérial, prête 94000 HS à Cinnamus98. Phosphorus Lepidianus pourrait probablement prêter lui-même cet argent et obtenir un taux supérieur. Mais passer par Cinnamus a sans doute pour lui des avantages. Pour un non spécialiste, il n’est pas forcément évident de trouver quelqu’un à Pouzzoles qui soit capable d’emprunter 94000 HS d’un coup puis de les rembourser sans difficulté un peu plus d’un mois plus tard. Or les Sulpicii sont des prêteurs d’argent spécialisés, des intermédiaires professionnels qui ont vraisemblablement pignon sur rue à Pouzzoles. En s’adressant à eux, Phosphorus Lepidianus se dispense d’une recherche qui pourrait être longue et il est aussi certain qu’on peut l’être d’être remboursé. Ce gain de temps et cette sécurité ont un coût qui se mesure à la différence entre le taux d’intérêt payé à Phosphorus Lepidianus et le taux d’intérêt auquel Cinnamus va prêter l’argent. De son côté Cinnamus augmente ses capacités de prêt. Il gagne moins d’argent que lorsqu’il prête ses propres capitaux, mais il peut prêter à une échelle supérieure. Il gagne en volume ce qu’il perd en prix, grâce à ses compétences, grâce à sa connaissance du marché du crédit si particulier de Pouzzoles99.

  • 100  Verboven 2008.

53On peut même faire l’hypothèse que dans une bonne partie des prêts où les Sulpicii apparaissent comme créanciers, ils ne seraient en fait qu’intermédiaires100. Néanmoins, ceux-ci exercent une activité certainement lucrative de sorte qu’ils disposent de liquidités importantes. Les Sulpicii prêtent donc probablement aussi leurs propres capitaux, mais il est difficile de savoir quelle part ceux-ci représentent dans le total de leurs prêts. Il leur faut en tout cas pouvoir disposer de liquidités en permanence pour pouvoir satisfaire leur clientèle. TPSulp. 48 montre que les Sulpicii peuvent ouvrir une ligne de crédit illimité pour certains de leurs clients, C. Iulius Prudens en l’espèce.

L’intermédiation financière passive et les autres services proposés par les Sulpicii

54Les activités des Sulpicii ne s’arrêtent pas là. Ils peuvent rendre plusieurs types de services : une assistance juridique dans la rédaction des contrats, le recouvrement des créances, et surtout l’intermédiation financière passive, à distinguer de l’intermédiation active. Dans l’intermédiation active, les Sulpicii empruntent des sommes pour les reprêter ensuite, et leur rémunération provient de la différence entre les taux d’intérêt. Dans l’intermédiation passive en revanche, ils se contentent de mettre en rapport le créancier et le débiteur qui concluent eux-mêmes le contrat, et leur rémunération provient probablement d’une somme versée par le créancier et/ou le débiteur, somme vraisemblablement proportionnelle à la somme prêtée. L’intermédiation financière passive est visible dans plusieurs dossiers.

55Le dossier des emprunts d’Euplia est le premier d’entre eux (TPSulp. 60-62). Euplia est une pérégrine, originaire de Milet, qui emprunte à trois reprises. Les trois fois, Epichares, un Athénien, est son tuteur et son garant (fideiussor). Le 20 mars 42 (TPSulp. 62), Euplia emprunte 1000 HS à Cinnamus. Un an après ce premier emprunt, le 20 mars 43, (TPSulp. 60), Euplia emprunte 1600 HS à Titinia Anthracis, une femme qui n’apparaît que deux fois dans les tablettes de Murecine, la première fois dans cette tablette et la seconde dans la troisième tablette du dossier d’Euplia : TPSulp. 61. Dans cette dernière tablette qui date du 20 juillet 43, Euplia emprunte 500 HS à Cinnamus. Epichares, son tuteur et fideiussor, se porte garant pour cette somme et pour les autres sommes qu’elle doit à Titinia Anthracis et à Cinnamus.

56Dans la première transaction, Cinnamus prête lui-même l’argent à Euplia. On peut penser que dans l’année qui suit, Titinia Anthracis s’adresse à lui car elle désire prêter de l’argent. Cinnamus note alors son nom et lui promet de lui trouver un ou une débitrice. Lorsqu’Euplia désire emprunter un an plus tard, elle se rend chez celui qui lui a accordé un prêt un an plus tôt. Pour une raison qui demeure inconnue, Cinnamus préfère, ou bien est obligé de la mettre en contact avec Titinia. Celle-ci prête de l’argent à Euplia sans que Cinnamus apparaisse dans le texte de la transaction. Cinnamus s’est contenté de rendre un service d’intermédiation financière passive pour lequel il a probablement été rémunéré. Il est possible qu’il ait fourni en outre une aide juridique dans la rédaction du contrat puisqu’il connaît particulièrement bien les différentes manières de rédiger des transactions financières. Quelques mois plus tard, Euplia désire à nouveau emprunter. Cette fois, Cinnamus refait son apparition comme créancier et il assure le recouvrement de ces trois créances, plus d’autres peut-être, qui ne nous sont pas parvenues. Cinnamus rend donc à Titinia Anthracis un service d’intermédiation passive et un service de recouvrement. Ce dernier service est une raison supplémentaire de s’adresser à des intermédiaires spécialisés plutôt que de chercher soi-même un débiteur.

57De manière générale, les Sulpicii ne sont pas forcément obligés d’avoir testé au préalable la solvabilité des débiteurs potentiels en leur faisant un premier prêt avant de les adresser à des créanciers. Ainsi, dans TPSulp. 64, Titinia Basilis prête une somme inconnue à Faecia Prima. Ces deux femmes sont attestées uniquement dans cette tablette sans qu’il soit possible de les relier à une autre transaction. On peut certes imaginer que les tablettes relatives à cette autre transaction ont été perdues ou bien qu’elles figurent dans les tablettes dont le contenu est inintelligible. Mais il est aussi possible que le service rendu par les Sulpicii se limite à mettre en contact ces deux femmes pour une transaction unique, et, éventuellement à rédiger le contrat pour elles.

58Un même personnage peut avoir recours à l’intermédiation financière passive des Sulpicii pour emprunter et pour prêter. Le 17 juillet 41 (TPSulp. 70), Cnaeus Pompeius Blastus reçoit le remboursement d’un prêt d’environ 6000 HS qu’il avait accordé à Sextus Granius Numenius. Le 3 mars 49 (TPSulp. 55), le même Sextus Granius Numenius prête 5000 HS à Publius Vergilius Ampliatus. Sextus Granius Numenius apparaît donc deux fois dans les archives des Sulpicii à huit années d’intervalle. Suivant ses disponibilités, suivant ses besoins, il cherche un débiteur ou un créancier en utilisant les services des Sulpicii.

59D’autres dossiers pourraient être cités pour illustrer ces services d’intermédiation passive, de recouvrement et d’assistance juridique. Parmi eux, c’est probablement le service d’intermédiation passive qui est le plus important pour le fonctionnement du marché du crédit. Les Sulpicii sont particulièrement bien placés pour rendre ce type de service puisqu’ils sont prêteurs d’argent spécialisés. Pour un particulier qui souhaite prêter ponctuellement de l’argent à Pouzzoles, leurs conseils peuvent être utiles et mériter une dépense supplémentaire. Le contexte du marché du crédit de Pouzzoles est exceptionnel puisqu’il est ouvert sur le milieu du commerce maritime dont dépend l’approvisionnement de la capitale de l’Empire. Les possibilités de profit sont plus importantes qu’ailleurs, mais les risques le sont aussi car la clientèle est composée pour l’essentiel de marchands qui, s’ils peuvent résider temporairement à Pouzzoles, vont et viennent en Méditerranée, loin de l’Italie. Les problèmes d’information et de confiance, inhérents au fonctionnement de tout marché du crédit, se posent donc ici de manière particulièrement aiguë puisqu’il est difficile, si on ne connaît pas les milieux d’affaires de Pouzzoles, de savoir à qui prêter. Ceux qui, comme les Sulpicii, les connaissent ont une expertise à monnayer et le marché du crédit de Pouzzoles, comme ceux probablement de tous les grands ports de Méditerranée, pourrait difficilement fonctionner sans le service d’intermédiation rendu par les Sulpicii et par leurs autres collègues prêteurs d’argent spécialisés présents à Pouzzoles dont on peut supposer qu’ils étaient nombreux.

Les clientèles des Sulpicii : esclaves impériaux et commerçants

60Les Sulpicii ont deux clientèles complémentaires. La première s’adresse à eux pour placer des capitaux, soit directement, en leur prêtant de l’argent, en général de grosses sommes, soit indirectement, en prêtant à des tiers sur leurs conseils. Ces transactions portent en général sur des sommes moins importantes. La seconde clientèle s’adresse aux Sulpicii pour trouver un emprunt, soit directement auprès d’eux, soit auprès d’un tiers indiqué par eux. Dans les tablettes de Murecine, deux groupes particuliers de clients apparaissent nettement et font la spécificité du marché du crédit de Pouzzoles : les esclaves impériaux, comme créanciers, et les commerçants, comme débiteurs.

  • 101  Sur les affranchis et les esclaves impériaux : Boulvert 1970 et Boulvert 1974.
  • 102  TPSulp. 51, 52 et 45.
  • 103  TPSulp. 51, 52, 45, 67 et 68.

61Parmi les dépendants impériaux, c’est-à-dire les affranchis et les esclaves impériaux101, ce sont surtout les esclaves impériaux qui apparaissent dans plusieurs affaires financières des tablettes de Murecine. Il n’y a qu’un seul affranchi impérial attesté dans trois tablettes de Murecine, Ti. Iulius Euenus Primianus102, et ce n’est pas lui qui agit directement car il se fait représenter par Hesychus son esclave. Son dossier débute, pour autant que nous le sachions, le 18 ou le 28 juin 37 (TPSulp. 51), quand il prête, représenté par son esclave Hesychus, 10000 HS à C. Novius Eunus, un marchand de blé. Faustus apparaît dans la liste des témoins. Ce dossier, le plus riche des tablettes de Murecine, contient en tout cinq tablettes103. Dans les quatre tablettes suivantes, Hesychus se charge de l’affaire. Dans les deux dernières tablettes du dossier, datant de 38 et 39 (TPSulp. 67 et 68), Faustus apparaît de manière plus centrale puisqu’il est habilité à recevoir le remboursement à la place d’Hesychus. Dans cette affaire, on peut penser qu’Hesychus a été chargé par son maître de placer de l’argent à Pouzzoles. Il est probable que Ti. Iulius Euenus Primianus ne réside pas lui-même à Pouzzoles et qu’il y a envoyé son esclave pour faire des affaires. Celui-ci s’adresse à Faustus pour trouver un créancier, ce qu’il fait en le mettant en relation avec C. Novius Eunus. Un autre dossier, celui de L. Marius Jucundus, prouve qu’il arrive à Faustus de prêter de l’argent à des marchands de blé à Pouzzoles. En plus de ce service d’intermédiation passive, Faustus apparaît comme témoin dans l’acte. Là encore, on peut supposer que Faustus a fourni une assistance juridique dans la rédaction du contrat.

  • 104  Eunus est créancier et non débiteur comme le propose G. Camodeca dans son édition en 1999. Voir Ve (...)
  • 105  Camodeca 2003a, p. 87.
  • 106  Camodeca 2003a semble impliquer que le débiteur est un des Sulpicii.

62On ne revient pas sur le prêt de 94000 HS accordé par Phosphorus Lepidianus, esclave impérial à Cinnamus en 51 (TPSulp. 69) analysé plus haut. D’autres textes peuvent être interprétés de la même manière, ainsi TPSulp. 94 et 95, tous les deux fragmentaires. Ces deux tablettes sont de dimension supérieure à la normale. G. Camodeca fait l’hypothèse qu’elles font partie d’un codex rationum. Dans TPSulp. 94 apparaît Eunus esclave vicarius d’un esclave impérial, Amarantus Hyacinthianus, qui prête une somme de 50000 HS104. Dans TPSulp. 95, il est question d’un autre esclave, Thallus, vicarius de Phorus, sans plus de précision. Il s’agit probablement aussi d’un esclave de l’empereur Claude105. Thallus est créancier d’une somme de 25000 HS. Dans tous ces cas, un des Sulpicii, ou les deux, sont probablement débiteurs. Enfin, dans TPSulp. 49, dont le sens n’est pas clairement établi, un autre esclave de l’empereur Claude apparaît comme créancier d’une somme de 125000 HS, mais il n’est pas certain que le débiteur soit un des Sulpicii, même si l’hypothèse est possible106.

  • 107  TPSulp. 75 et 76.

63Dans ces quatre derniers cas, nous sommes en présence d’esclaves impériaux ou de vicarii d’esclaves impériaux qui prêtent directement aux Sulpicii des sommes très importantes et ce n’est probablement pas un hasard si les sommes les plus importantes attestées dans l’archive proviennent toutes d’esclaves impériaux. On peut également souligner qu’en dehors de ces prêts des esclaves impériaux, les Sulpicii n’empruntent qu’à deux autres personnes, C. Aponius Stephanus et C. Trebonius Auctus, et qu’ils leur empruntent des sommes moins importantes (plus de 20000 HS et 5000 HS)107.

  • 108  Camodeca 2003a, p. 80-83.

64Les commerçants constituent le second groupe particulier de la clientèle des Sulpicii108 et, sauf exception, ils sont débiteurs, soit directement des Sulpicii, soit d’autres personnes, rencontrées par l’intermédiaire des Sulpicii.

  • 109  Sur ces deux marchands, voir Camodeca 1994b et Virlouvet 2000.
  • 110  À l’emprunt de 10000 HS conclu le 18 (ou 28) juin 37 (TPSulp. 51) s’ajoute un second emprunt de 30 (...)
  • 111  TPSulp. 46 et 79. Sur le détail de la procédure, voir infra.
  • 112  Virlouvet 2000, que je suis ici.

65Les deux commerçants les mieux connus sont deux marchands de blé : C. Novius Eunus et L. Marius Jucundus109 et dans les deux cas, les sommes empruntées sont importantes. Le premier emprunte au total 13000 HS, le second 20000 HS. On sait de manière certaine qu’il s’agit de marchands de céréales grâce à la nature des gages avec lesquels ils garantissent leur prêt. C. Novius Eunus garantit ses deux emprunts110 par 7000 modii de blé alexandrin (triticum alexandrinum) et 4000 modii d’autres céréales et légumineuses. L. Marius Jucundus garantit les 20000 HS qu’il emprunte à Faustus le 13 mars 40 (TPSulp. 53) par un gage de 13000 modii de blé alexandrin111. Dans les deux cas, les quantités de blé gagées sont tellement importantes qu’il ne peut s’agir que de marchands. Ces emprunts doivent être analysés dans le contexte plus général du commerce du blé d’Égypte vers l’Italie112. Pouzzoles est à cette époque le port de haute mer de Rome et c’est un port de rupture de charge. Les gros bateaux qui convoient le blé depuis l’Égypte jusqu’à Pouzzoles doivent être déchargés sur des bateaux d’un tonnage inférieur pour le voyage final vers Rome. Ces plus petits bateaux ne sont pas toujours immédiatement disponibles et le blé doit être entreposé à Pouzzoles en attendant que des bateaux soient libres. Les marchands de blé peuvent alors emprunter de l’argent à Pouzzoles pour faire d’autres affaires en s’appuyant sur la valeur commerciale de leur cargaison. On voit donc dans ces deux dossiers une des multiples retombées du commerce destiné à l’approvisionnement de la ville de Rome.

  • 113  Le montant des prêts est parfois retenu, à tort à mon avis, si on n’a aucune information sur le st (...)

66On peut supposer que d’autres emprunts présents dans les tablettes de Murecine ont été faits par des commerçants, mais la part d’hypothèse est plus importante. Pour décider si un débiteur est un commerçant ou non, on dispose principalement d’un indice : la nature de la garantie du prêt113. En effet, un certain nombre de prêts sont garantis par des sûretés réelles, par aliénation fiduciaire (mancipatio fidei causa) ou par gage (pignus) dans les tablettes de Murecine. Vu le contexte économique et social des transactions, un certain nombre de ces objets sont probablement des marchandises et celui qui les met en gage est probablement un marchand. Lorsqu’on dispose de quantités aussi impressionnantes que celles qui sont attestées dans les dossiers de C. Novius Eunus et L. Marius Jucundus, le doute n’est pas permis mais cela n’est pas toujours aussi évident.

67Dans deux affaires, les choses semblent à peu près assurées. L. Marius Agathemerus est probablement un commerçant, qui a emprunté à Cinnamus et qui n’a pas réussi à rembourser. De son affaire, on ne connaît que la fin. Dans TPSulp. 83 et 84, est annoncée la vente des pourpres laconiennes qu’il a données en gage à Cinnamus pour garantir un prêt. Ces pourpres laconiennes sont probablement des marchandises commerciales. C. Caesius Quartio est lui aussi probablement un commerçant, un marchand d’esclaves. Dans TPSulp. 77, après la vente aux enchères des esclaves qu’il a donnés en garantie de son prêt, il récupère sur cette vente 4300 HS qui excèdent le montant de sa dette. Ces esclaves sont désignés par le mot venales, attesté une seule fois dans les tablettes de Murecine, et qui désigne les esclaves vendus sur le marché, et non par le mot mancipia qu’on trouve en général dans les autres tablettes pour désigner les esclaves vendus aux enchères.

  • 114  Le dossier comporte trois documents : TPSulp. 85-87.
  • 115  Contrairement à la situation attestée dans TPSulp. 90-93, où est annoncée la vente d’une seule esc (...)
  • 116  Camodeca 2003a ne retient pas ce cas. Il évoque la possibilité que M. Lollius Philippus soit un co (...)

68Mais dans deux autres affaires, les choses sont moins nettes. La première concerne la vente des six esclaves que M. Egnatius Suavis a donnés en garantie d’un prêt à Cinnamus114. Comme je le montrerai ensuite, il y a des raisons de croire que les esclaves sont le bien couramment donné en sûreté réelle dans un contexte non commercial. Dans le cas de M. Egnatius Suavis, le nombre d’esclaves et l’importance de la somme prêtée (26000 HS) peuvent laisser penser qu’il s’agit d’un marchand d’esclaves mais cela reste conjectural115. La seconde affaire concerne un emprunt fait par P. Vergilius Ampliatus le 3 mars 49 (TPSulp. 55). Il s’agit d’un emprunt de 5000 HS garanti par un gage, probablement de l’argenterie. Il est possible qu’il s’agisse d’une marchandise commerciale et donc que P. Vergilius Ampliatus soit un commerçant mais l’argenterie ou les bijoux font partie des biens souvent donnés comme gage dans un contexte non commercial116.

  • 117  M. Antonius Maximus (TPSulp. 50) ; M. Caecilius Maximus (TPSulp. 66) ; C. Caesius Quartio (TPSulp. (...)
  • 118  Au total, en dehors des Sulpicii, il y a une vingtaine de débiteurs différents dans les archives d (...)
  • 119  Le contraire est également difficile à établir.

69Il est difficile d’évaluer la proportion de commerçants parmi les débiteurs. Douze débiteurs n’apparaissent qu’une seule fois117, certains dans des textes fragmentaires118. Il n’est donc pas possible de dire s’ils sont commerçants ou non. Mais à défaut de pouvoir montrer que les commerçants représentent une proportion importante de la clientèle des Sulpicii119, les exemples étudiés plus haut, les deux marchands de blé en particulier, montrent que les commerçants sont des clients importants pour les Sulpicii à cause des sommes qu’ils empruntent et à cause de la spécificité des gages qu’ils fournissent. Il est important de noter leur présence, ainsi que celle des esclaves impériaux, car elle est spécifique du marché du crédit de Pouzzoles, ou en tout cas de la clientèle des Sulpicii. Une des fonctions des Sulpicii est de faire le lien entre ces deux univers, le monde du commerce et la cour impériale.

Le rôle des esclaves dans les transactions financières des tablettes campaniennes120

  • 120  Voir d’un point de vue général Lintott 2002. Cet article ne constitue pas une étude de synthèse su (...)

70Les esclaves impériaux sont loin d’être les seuls esclaves attestés dans les tablettes de Murecine. La présence massive des esclaves dans les transactions financières est frappante. Dans les transactions financières d’Égypte romaine, les esclaves apparaissent seulement comme objets, comme sûretés réelles dans certains prêts. À Pouzzoles en revanche, la plupart du temps, les esclaves agissent dans les transactions financières. Les tablettes de Murecine constituent donc une source de premier ordre pour analyser le rôle des esclaves dans le domaine financier, dans un contexte historiographique particulièrement propice.

  • 121  D’un point de vue historiographique, voir Andreau 1999, la présentation du dossier « les esclaves (...)
  • 122  Di Porto 1984 (Impresa collettiva e schiavo « manager » in Roma antica [II sec. a. C.-II sec. d. C (...)
  • 123  D’une bibliographie très importante, on peut retenir deux livres : A. Giardina et A. Schiavone, So (...)
  • 124  Pour une synthèse sur les différentes facettes du rôle économique des esclaves en Grèce et à Rome, (...)

71En effet, depuis les années 1980121, Spartacus a laissé place au « schiavo manager »122, et les débats sur l’existence du mode de production esclavagiste ou sur celle d’une slave society123 ont en partie disparu au profit de ceux sur les conséquences économiques du pécule et de la préposition. Les recherches ont privilégié les situations de relative autonomie juridique et économique des esclaves dans des activités qui nécessitent une certaine qualification professionnelle, plutôt que celles où ils sont exploités dans des travaux de grande pénibilité physique, comme l’agriculture, les mines ou les carrières. Le rôle économique des esclaves est moins envisagé sous l’angle de la force de travail que sous celui de leur rôle comme hommes d’affaires, comme gérants d’ateliers, de commerces ou de banques124. Dans ces études sur les esclaves gestionnaires, les sources juridiques occupent en général une place importante.

  • 125  Sur tout ceci, je suis Andreau 2004, p. 112-126.
  • 126  C’est pour cette raison que Serrao 1989 a pu y voir une analogie avec la société à responsabilité (...)
  • 127  Andreau 2004, p. 118.
  • 128  K. Hopkins, Conquerors and Slaves, Cambridge UP, 1978, p. 126 cité par Andreau 2004.
  • 129  Sur les institores, voir Aubert 1994.

72L’esclave peut agir dans le domaine économique de trois manières125. Il peut travailler sous le contrôle direct de son maître et au profit de celui-ci. Il peut aussi recevoir des biens de son maître, biens dont il a la quasi-propriété. Ces biens constituent alors le pécule de l’esclave sur lequel il ne semble pas avoir à rendre de comptes réguliers. Si les affaires de l’esclave tournent mal, le maître n’est responsable des pertes que dans la limite du pécule126. Le maître reste propriétaire du pécule et il peut le reprendre à tout moment, mais en général, il n’use pas de ce droit. En effet, en confiant un pécule à un esclave, le maître ne cherche pas d’abord à augmenter ses revenus. Le pécule « relève d’une intelligente gestion sociale de l’esclavage »127 et il est « l’expression institutionnelle de la liberté d’action dont jouit l’esclave »128. Il fait partie des éléments qui peuvent rendre la condition servile moins intolérable et qui peuvent dissuader l’esclave de fuir ou de se joindre à une révolte collective si l’occasion s’en présente. En cas d’affranchissement, le maître peut reprendre le pécule, ou au moins une partie du pécule qui correspond par exemple au prix d’achat de l’esclave. Dans l’institution du pécule, la motivation première du maître n’est pas d’abord économique. On peut dire l’inverse de la troisième possibilité qu’a un esclave d’agir dans le domaine économique : la préposition. L’esclave préposé, l’institor, est chargé par le maître de gérer un atelier ou un commerce129. Il peut recevoir un salaire pour ce travail. Dans la préposition, les biens que gèrent les esclaves sont les biens du maître et non pas la quasi-propriété de l’esclave et l’institor doit rendre des comptes de sa gestion au maître qui cherche dans ce cas, à la différence du pécule, à gagner de l’argent. En cas de problème, le maître est responsable sur son patrimoine de la totalité des pertes.

  • 130  Sur tout ceci, je suis Andreau 2001, p. 126-135.

73Dans le domaine financier proprement dit, l’esclave qui agit pour le compte de son maître peut en théorie être actor, arcarius ou dispensator130. Ces trois types d’esclaves peuvent utiliser à leur profit leurs compétences financières en même temps qu’ils les mettent en œuvre au service de leur maître. L’arcarius s’occupe de la caisse et du coffre-fort de son maître, il peut avoir des compétences d’essai de monnaies et de change. L’actor et le dispensator sont probablement plus investis dans les affaires financières que l’arcarius. Les dispensatores procèdent aux paiements et tiennent les comptes et certains d’entre eux ont accumulé des fortunes considérables, ce qui prouve qu’ils pouvaient gagner de l’argent, probablement à partir de leur pécule. Enfin, l’actor reçoit de son maître le pouvoir de l’engager et il peut avoir la gestion financière d’une partie du patrimoine du maître, voire être le gérant de la fortune de celui-ci.

  • 131  D’autres esclaves apparaissent également dans un rôle économique non financier : Primus, esclave d (...)

74Dans la réalité, les choses ne sont probablement pas toujours aussi tranchées. Un esclave préposé ou un esclave qui travaille sous le contrôle direct de son maître peuvent en même temps faire fructifier leur pécule. De même, il n’est pas toujours évident de dire si un esclave est dispensator ou actor ou arcarius à moins que cela ne soit précisé explicitement. Pour ces raisons, il serait vain de vouloir classer trop précisément tous les esclaves qui apparaissent dans les opérations financières des TPSulp. selon ces catégories131. Dans certains cas, les esclaves peuvent appartenir à l’une ou l’autre. Pour cette raison, il est nécessaire d’examiner au cas par cas tous les esclaves qui apparaissent dans des affaires financières. On peut distinguer trois catégories d’esclaves dans les affaires financières contenues dans les tablettes de Murecine. Commençons d’abord par distinguer les esclaves impériaux des autres esclaves, puis, parmi le reste des esclaves, on peut distinguer les esclaves des Sulpicii des esclaves qui ne leur appartiennent pas. Les esclaves impériaux et les esclaves des Sulpicii sont toujours du côté des créanciers tandis que les autres esclaves sont toujours du côté des débiteurs.

75D’un point de vue économique et financier, l’esclave travaillant directement pour son maître et le préposé se trouvent dans la même situation ; dans les deux cas, le chiffre d’affaires va au maître. La préposition concerne surtout le cas où l’esclave travaillant pour son maître a affaire à un tiers, qui trouve dans la préposition une sorte de garantie.

  • 132  Sur ce texte, voir Verboven 2000 et Camodeca 2003a.
  • 133  Selon Verboven 2000, p. 163-164, ces quatre esclaves sont des préposés et/ou travaillent dans le c (...)
  • 134  Camodeca 2003a, p. 79 sur la nature du litige qui oppose Cinnamus à Prudens dans TPSulp. 25.

76Les esclaves des Sulpicii sont attestés par une seule tablette, TPSulp. 48132. Dans cet acte, C. Iulius Prudens s’engage auprès du seul Cinnamus à répondre de tous les prêts et de toutes les cautions personnelles accordés par Faustus, Cinnamus et ses quatre esclaves, à l’esclave Hyginus et à l’affranchi Suavis, qui travaillent tous les deux pour C. Iulius Prudens. Les quatre esclaves travaillant pour Cinnamus ont pour noms Eros, … us, Titianus et Martialis et TPSulp. 48 implique qu’ils peuvent prêter de l’argent et se porter caution133. Les quatre esclaves de Cinnamus peuvent donc faire des opérations importantes, mais ces opérations dépendent de leur maître. Ils n’agissent probablement pas sur leur pécule134.

Les esclaves des débiteurs

  • 135  Ainsi que Suavis son affranchi. Voir infra.
  • 136  TPSulp. 25.
  • 137  Camodeca 1999a et 2003a.
  • 138  Pour le détail, voir l’édition du texte.

77TPSulp. 48 permet également de rencontrer Hyginus, l’esclave de Prudens135, qui peut emprunter autant qu’il l’estime nécessaire pour le compte de son maître. Sept ans plus tard136, Cinnamus semble avoir eu des problèmes avec deux des esclaves de Prudens, Hermes et Hyginus137. On peut penser que ce dernier est identique à l’esclave homonyme mentionné dans TPSulp. 48. D’après cette tablette, il est possible que Cinnamus ait prêté de l’argent à ces deux esclaves ou bien qu’il se soit porté caution pour eux, et que les deux esclaves ne l’aient pas remboursé. Dans TPSulp. 25, une interrogatio in iure de servis, Cinnamus demande à Prudens devant le duumvir pouzzolan L. Clodius Rufus si Hyginus et Hermes lui appartiennent bien138. Prudens donne confirmation. Cinnamus le met alors en demeure de les conserver sous sa potestas, c’est-à-dire de ne pas les vendre ou de ne pas les affranchir, afin de pouvoir les présenter devant un juge à Rome. Ce dernier point est intéressant car il laisse penser que le centre des activités de Prudens se trouve à Rome et qu’il a envoyé certains de ses esclaves et un de ses affranchis s’occuper de ses affaires à Pouzzoles. Les esclaves jouent donc dans cette affaire un rôle d’intermédiaires, mais d’intermédiaires « liés ». J’utilise le terme d’« intermédiaires liés » pour souligner la différence entre le rôle rempli par Hyginus et le rôle rempli par les Sulpicii. Hyginus n’agit comme intermédiaire que pour son maître tandis que les Sulpicii sont des intermédiaires universels qui peuvent agir comme intermédiaire pour n’importe qui.

  • 139  On peut également signaler l’existence de Felix, esclave de C. Iulius Trophus (TPSulp. 110) et cel (...)

78Comme Hyginus, les esclaves qui ne sont pas des esclaves impériaux et qui n’appartiennent pas aux Sulpicii apparaissent toujours du côté des débiteurs. Dans les tablettes de Murecine, quatre esclaves interviennent ainsi dans des transactions financières : Pyramus, Alcimus, Gnostus et Niceros139.

79Pyramus est l’esclave de Caesia Priscilla. Dans TPSulp. 58, il emprunte à Faustus 4000 HS, qui viennent s’ajouter à une autre dette de 20000 HS sur le compte de sa maîtresse. Il est donc certain que Pyramus travaille ici directement pour sa maîtresse. Il rédige le chirographe d’emprunt et il s’engage par fidepromissio. Comme Hyginus, Pyramus remplit un rôle d’intermédiaire-lié. On peut même se demander si, comme Prudens dans TPSulp. 48, Caesia Priscilla n’a pas demandé pour son compte la possibilité d’un emprunt illimité par l’intermédiaire d’un de ses esclaves. Il est possible que comme Prudens, Caesia Priscilla ne réside pas à Pouzzoles, mais à Rome ou à Capoue, les deux autres lieux qui apparaissent dans les vadimonia et les testationes sistendi. Pyramus apparaît également dans TPSulp. 71. Un certain C. Iulius Amarantus lui donne quittance pour une somme de 3000 HS qu’il lui avait vraisemblablement empruntée auparavant. Dans ce cas, Pyramus peut également travailler pour sa maîtresse, mais il peut aussi travailler à partir de son pécule, la somme en jeu, 3000 HS, étant moins importante que dans TPSulp. 58. Les deux hypothèses sont possibles.

80Dans TPSulp. 72, Cinnamus reçoit le 31 décembre, pour le compte de Faustus, 2000 HS qui s’ajoutent à 28000 HS déjà remboursés le 4 décembre, sur une dette totale de 50000 HS. Le débiteur se nomme C. Eprius Valgus mais c’est son esclave Alcimus qui verse l’argent. Dans son commentaire, G. Camodeca propose qu’Alcimus soit le dispensator de C. Eprius Valgus. Il est intéressant de constater ici que ni le créancier Faustus ni le débiteur C. Eprius Valgus n’interviennent directement. Ils recourent tous les deux au service d’un de leurs dépendants, un affranchi pour Faustus, un esclave pour Valgus. Vu le montant total de la dette, Alcimus agit probablement soit comme préposé, soit sous le contrôle direct de son maître.

81Dans le troisième cas, TPSulp. 73, Gnostus, esclave de Lollia Saturnina, rembourse à Cinnamus une somme inconnue au nom de M. Lollius Philippus. Il est possible que M. Lollius Philippus qui apparaît également dans TPSulp. 54 et dans TPSulp. 109 soit un affranchi de Lollia Saturnina. D’après G. Camodeca, cette dernière est à identifier avec la femme de D. Valerius Asiaticus qui est aussi la sœur de Lollia Paullina. Il s’agit donc d’une membre éminente de l’ordre sénatorial. Dans TPSulp. 54, M. Lollius Philippus emprunte 20000 HS à Cinnamus. Comme dans le cas de Caesia Priscilla, on peut se demander si Lollia Saturnina n’a pas conclu avec un des Sulpicii un accord analogue à celui que Prudens a conclu avec l’un d’entre eux dans TPSulp. 48. Dans celui-ci, Prudens répond de tout ce que pourraient emprunter son esclave Hyginus et son affranchi Suavis. Gnostus et M. Lollius Philippus ont peut-être la même possibilité. Néanmoins, le statut de Lollia Saturnina rend l’hypothèse moins crédible que dans le cas de Caesia Priscilla. Normalement, une femme de ce niveau social n’a pas besoin d’emprunter ces sommes, qui, même si elles sont considérables, restent largement inférieures aux sommes manipulées par les membres de l’élite impériale. En revanche, on peut imaginer que M. Lollius Philippus et Gnostus fassent des affaires ensemble, qu’ils aient été esclaves ensemble, et que Gnostus utilise son pécule pour rembourser tout ou partie d’une dette de M. Lollius Philippus.

  • 140  TJ 138-153.

82Dans le quatrième et dernier cas, Niceros, arcarius de la colonie de Pouzzoles emprunte 1000 HS à Cinnamus et il s’engage par fidepromissio car la sponsio est réservée aux citoyens romains. Il est probable que Niceros utilise ses compétences d’arcarius à son profit et qu’il fasse ici des affaires à partir de son pécule. La somme, 1000 HS, est peu élevée par rapport aux sommes maniées dans les TPSulp. et surtout, G. Camodeca fait remarquer que dans les quittances délivrées à Jucundus140 au nom de la cité par un esclave public, celui-ci a besoin du iussus ou du sceau des magistrats citadins.

Les esclaves impériaux

  • 141  Cinq esclaves impériaux connus dans les affaires financières des tablettes de Murecine : Amarantus (...)
  • 142  Deux attestations de vicarii d’esclaves impériaux dans les TPSulp. : Eunus, vicarius d’Amarantus H (...)
  • 143  Je remercie Y. Thomas d’avoir attiré mon attention sur ce point.
  • 144  TPSulp. 4, 13 et 14.
  • 145  TPSulp. 56 et 58.
  • 146  Cinq cas : quatre fois Hesychus (TPSulp. 51-52 et 67-68) et une fois Phosphorus Lepidianus (TPSulp (...)
  • 147  Dans son commentaire à TPSulp. 69, Camodeca cite Dig. 45, 3, 15 et Dig. 45, 1, 65.
  • 148  Selon G. Boulvert, à la fin du IIème et au début du IIIème siècle après J.-C., une véritable capac (...)

83Les esclaves impériaux141 et leur vicarius142 sont la troisième et dernière catégorie d’esclaves présents dans les tablettes de Murecine. Comme on l’a vu plus haut, ils apparaissent comme créanciers dans l’archive des Sulpicii, la plupart du temps des Sulpicii eux-mêmes, à l’exception d’Hesychus, et ils prêtent des sommes très importantes. Les esclaves impériaux posent évidemment un problème particulier. Agissent-ils pour eux ou pour leur maître, l’empereur ? Dans trois cas sur cinq (TPSulp. 49, 94 et 95), les textes sont trop allusifs ou trop fragmentaires pour qu’on puisse en tirer des conclusions. Restent les prêts accordés par Phosphorus Lepidianus et par Hesychus qui présentent une originalité d’un point de vue juridique143. En effet, les deux esclaves utilisent la sponsio, plutôt que la fidepromissio utilisée par Niceros (TPSulp. 56) et Pyramus (TPSulp. 58). Or, en temps normal, la sponsio est une forme d’engagement réservée aux citoyens romains, et la fidepromissio est son équivalent pour les non-citoyens romains. Dans les tablettes de Murecine, la fidepromissio est utilisée par les pérégrins144 et par les esclaves145, mais jamais par les citoyens romains. Comme le fait remarquer G. Camodeca dans son commentaire à TPSulp. 69, dans les cinq cas où la sponsio est utilisée par des esclaves146, ceux-ci sont en position de créanciers. Il s’agit soit d’esclaves impériaux (Phosphorus Lepidianus dans TPSulp. 69, Hesychus Euenianus dans TPSulp. 67-68), soit d’un esclave d’affranchi impérial (Hesychus dans TPSulp. 51-52). Ces anomalies présentent donc des traits communs. L’utilisation de la sponsio par Hesychus et par Phosphorus Lepidianus suppose inévitablement la présence juridique de leur maître. Dans ces affaires, ils agissent pour le compte de Ti. Iulius Euenus Primianus (Hesychus dans TPSulp. 51-52) et pour l’empereur (Hesychus dans TPSulp. 67-68, Phosphorus Lepidianus dans TPSulp. 69)147. Il va de soi que l’empereur ne surveille pas et ne décide pas lui-même au cas par cas des prêts consentis par le biais des esclaves impériaux mais il en tire des revenus148.

  • 149  Sur leurs homologues égyptiens, voir chapitre 6, p. 322-336.

84Les esclaves sont donc particulièrement nombreux à intervenir dans les affaires financières dans les tablettes de Murecine. Cette forte activité des esclaves dans le domaine financier à Pouzzoles se fait le plus souvent pour le compte du maître, probablement parce que celui-ci n’est pas présent à Pouzzoles. Dans ce cas, les esclaves jouent un rôle important pour le fonctionnement du marché du crédit car ils remplissent une fonction d’intermédiation mais celle-ci est circonscrite. Ils n’agissent comme intermédiaires que pour leur maître. C’est pour cette raison que j’ai utilisé le terme d’« intermédiaires liés » pour les désigner149.

  • 150  C. Novius Eunus reste lié à son patron C. Novius Cypareus pour le stockage du grain qu’il donne en (...)

85En comparaison, les affranchis travaillant pour leur patron sont beaucoup moins nombreux que les esclaves. Dans trois cas, il semble que des affranchis travaillent directement pour leur patron. Dans TPSulp. 72, Cinnamus déclare recevoir 30000 HS pour le compte de son patron Faustus. Mais en règle générale, Cinnamus travaille de manière indépendante. Dans TPSulp. 48, où Cinnamus accorde une ouverture de crédit illimité à C. Iulius Prudens, celui-ci répond de toutes les actions envers les Sulpicii ou leurs esclaves, de son esclave Hyginus et de son affranchi Suavis. Il semble donc qu’en l’espèce un affranchi joue le même rôle qu’un esclave. Enfin, si on relie TPSulp. 54 et TPSulp. 73, on peut faire l’hypothèse que M. Lollius Philippus travaille pour sa patronne Lollia Saturnina. Mais en dehors de ces trois cas, les nombreux affranchis qu’on voit intervenir dans ces tablettes agissent de manière indépendante150. Parmi les dépendants, ce sont donc surtout les esclaves qui sont utilisés par leur maître dans les affaires financières à Pouzzoles. Les choses sont différentes à Herculanum.

Le marché du crédit à Herculanum

86À Herculanum, le marché du crédit est moins sophistiqué qu’à Pouzzoles. Contrairement aux tablettes de Murecine qui constituent une partie des archives d’un seul groupe de prêteurs d’argent spécialisés, les tablettes d’Herculanum contiennent huit archives privées. Les personnages privés qui sont attestés dans les tablettes d’Herculanum entretiennent avec le crédit des rapports plus éloignés que les Sulpicii. Toutes les archives ne sont donc pas pertinentes ici. Deux personnages sont particulièrement importants : L. Cominius Primus et L. Venidius Ennychus. Avec eux, on se situe dans le monde du prêt non professionnel puisqu’il ne s’agit ni de banquiers, ni de prêteurs d’argent spécialisés. Ce sont simplement des particuliers qui utilisent le prêt d’argent occasionnellement pour placer des liquidités inactives ou qui recourent au crédit quand ils ont besoin de liquidités. On retrouve ici une situation analogue à la situation égyptienne où le prêt non professionnel est très largement dominant. Comme on le verra, certains signes laissent penser qu’à Pompéi, on trouve le même type de transactions. Même si on ne dispose pas de sources documentaires comparables pour le reste de l’Italie, il est probable que le prêt non professionnel domine également dans les cités ordinaires comme Herculanum, en dehors de Rome, de Pouzzoles et peut-être de quelques autres pôles économiques importants. Cette première différence entre prêt professionnel à Pouzzoles et prêt non professionnel à Herculanum est importante et elle explique les autres différences entre les marchés du crédit des deux localités.

Les caractéristiques techniques : sommes et taux d’intérêt

87Les documents financiers des tablettes d’Herculanum sont du même type que ceux qu’on trouve dans les tablettes de Murecine puisqu’on y trouve un mutuum cum stipulatione, plusieurs nomina arcaria et des reconnaissances de dettes. En revanche, on ne trouve pas de documents relatifs à la vente aux enchères. Les sommes prêtées sont environ trois fois inférieures à celles qui sont prêtées à Pouzzoles. À Herculanum, la moyenne est de 3918 HS et la médiane est de 1300 HS (11 cas avec somme) tandis qu’à Pouzzoles, la moyenne est de 10945 HS et la médiane de 4300 HS (31 cas avec somme). À Pompéi, le montant de l’unique prêt conservé sur tablette (FIRA III 91 et 91 bis) est de 1450 HS, ce qui correspond à peu près à la médiane des sommes prêtées à Herculanum.

Tableau 4.1 – Les sommes prêtées à Herculanum et Pouzzoles.

  • 151  Vu l’état de l’édition des tablettes d’Herculanum, il faut considérer ces chiffres comme provisoir (...)
  • 152  Quatre cas : 40, 60, 80 et 200 HS, voir Andreau 1974, p. 119-122.

Herculanum151

Pouzzoles

Graffitis Pompéi152

Moyenne

3918 hs

10945 hs

95 hs

Médiane

1300 hs

4300 hs

70 hs

Nombre de cas avec somme

11 cas

31 cas

4 cas

88Comme pour le marché du crédit égyptien, il est important de souligner que les transactions financières rédigées sur tablettes, pas plus que celles préservées sur papyrus, ne documentent l’ensemble de la vie financière. On a vu dans le chapitre 2, p. 107-109, que les transactions préservées sur ostraca, un support plus rudimentaire et moins coûteux que les papyrus, portaient en moyenne sur des montants nettement moins importants que celles mises par écrit sur papyrus. Les rares ostraca financiers conservés permettent donc d’entrevoir un autre aspect de la vie financière égyptienne, plus modeste, que les contrats sur papyrus laissent complétement dans l’ombre. Quelques graffitis de Pompéi tiennent pour la Campanie un rôle similaire à celui joué par les ostraca pour l’analyse du crédit en Égypte. En effet, les sommes prêtées dans les transactions préservées dans ces graffitis ne sont pas du tout du même ordre de grandeur que les sommes prêtées à Herculanum, et encore moins à Pouzzoles, puisque la médiane dans les graffitis de Pompéi est de 70 HS tandis qu’elle est de 1300 HS dans les tablettes d’Herculanum. La nature du support sur lequel sont documentées les transactions financières est donc une donnée essentielle pour l’analyse d’un marché du crédit. Grâce à ces graffitis, on mesure donc mieux les limites de la représentativité des tablettes pour l’étude de la vie financière des cités du Vésuve. Le segment le plus modeste du marché du crédit de ces localités nous échappe presque complétement.

89Comme à Pouzzoles, les documents financiers d’Herculanum, quels qu’ils soient, ne mentionnent aucun taux d’intérêt. Pour ce qui est de l’échéance, on est encore moins bien loti qu’à Pouzzoles, puisqu’aucun prêt d’Herculanum n’en mentionne une. Il est possible que cela soit dû à l’état de conservation de certaines tablettes, mais on a vu plus haut que la mention d’une échéance était également rare à Pouzzoles. L’absence de toute mention d’un taux d’intérêt fait donc partie du formulaire juridique commun aux documents financiers de Pouzzoles et d’Herculanum. Pourtant, ce problème est essentiellement traité, à tort, à partir des seules tablettes de Murecine dans la bibliographie.

90Cette absence de taux d’intérêt pose trois problèmes. Le premier est en général vite résolu par les commentateurs. Personne ne pense que l’absence de mention de taux d’intérêt signifie que ces prêts soient gratuits. Cette conviction partagée par tous pose un second problème. Comment le créancier et le débiteur conviennent-ils des intérêts en l’absence de toute mention explicite dans les contrats ? Troisièmement, on peut se demander pourquoi les intérêts ne sont pas mentionnés explicitement. S’agit-il ou non pour le créancier de dissimuler un taux usuraire, c’est-à-dire supérieur au taux maximal légal autorisé ?

  • 153  K. Verboven les passe en revue dans Verboven 2003b.

91Deux types de solutions ont été proposées : le premier repose sur une analyse juridique des contrats de prêt dans les tablettes de Murecine et il débouche sur la conclusion que ces prêts étaient usuraires153. Le second s’appuie sur une analyse économique et sociale de l’ensemble de l’archive des Sulpicii qui amène à conclure que ces prêts pouvaient difficilement être usuraires.

  • 154  Camodeca 1992, p. 173-177.
  • 155  Gröschler 1997, p. 165-194 développant une idée d’A. Guarino (A. Guarino, Giusromanistica elementa (...)
  • 156  En effet, en cas d’absence d’échéance explicite, le créancier peut exiger le remboursement le jour (...)

92Dans un premier temps, G. Camodeca pensait que les intérêts étaient calculés dès la contraction du prêt et qu’ils étaient déduits de la somme effectivement versée au débiteur, le créancier ne versant pas au débiteur la totalité de la somme indiquée dans le contrat. Ce dispositif présente un avantage important pour le créancier, car il lui permet de dissimuler le taux d’intérêt pratiqué, et donc de prêter à un taux usuraire. Cependant, le raisonnement se heurte à l’absence d’échéance explicite. En effet, si l’échéance du prêt n’est pas fixée, il est impossible de calculer le montant total de l’intérêt dû154. P. Gröschler a proposé une autre solution155: les intérêts ne sont pas mentionnés dans le contrat écrit, mais ils font l’objet d’un accord informel, un pactum conventum, qui prévoit que des intérêts soient versés mensuellement. Cet accord n’est pas exécutoire, mais le créancier a toujours la possibilité de menacer le débiteur d’exiger le remboursement immédiat du prêt s’il ne paie pas les intérêts chaque mois, ce qui doit en plus permettre au créancier d’exiger des intérêts usuraires156.

  • 157  Purpura 1984.
  • 158  Andreau 2000.

93Contre ces raisonnements juridiques, une troisième idée a été défendue par G. Purpura157 et par J. Andreau158. Selon eux, les intérêts étaient stipulés explicitement dans d’autres tablettes qui ne nous sont pas parvenues. Chez J. Andreau, au fondement de cette argumentation se trouve la conviction qu’il n’est pas possible que les prêts octroyés par les Sulpicii aient comporté des intérêts usuraires, car ils opèrent publiquement à Pouzzoles, et qu’ils ont, pour partie au moins, une clientèle de commerçants et d’esclaves impériaux. De plus, certaines sources juridiques laissent penser qu’à Rome et en Italie sous l’Empire, contrairement à la fin de la République, le taux d’intérêt était stable et souvent proche de 6 %. Or, s’il existe comme en Égypte un taux d’intérêt légal maximal en Italie, il est probablement de 12 %. Si les débiteurs des tablettes campaniennes empruntent à un taux usuraire, cela signifie qu’ils empruntent à un taux supérieur à 12 %. Pourquoi feraient-ils cela alors qu’ils peuvent emprunter à 6 % ? Doit-on penser qu’absolument tous les débiteurs présents dans les tablettes campaniennes sont dans une situation si défavorable qu’ils soient acculés à cette situation ? Cela paraît peu probable. C’est donc parce qu’il est convaincu que les Sulpicii ne peuvent pas accorder des prêts usuraires, que J. Andreau imagine des tablettes annexes. G. Camodeca a justement fait remarquer que l’absence de toute tablette de ce type dans les tablettes de Murecine est étrange car plus d’une vingtaine de types d’actes différents y sont attestés.

  • 159  Verboven 2003b.
  • 160  Verboven 2003b, p. 16.

94Ayant examiné ces différentes interprétations, K. Verboven demeure convaincu que l’absence de mention explicite d’un taux d’intérêt a pour but de prêter à des taux usuraires159. Il cite de nombreux textes littéraires déplorant les méfaits des prêteurs d’argent et notamment le fait qu’ils continuent à prêter à des taux usuraires malgré la loi. L’idée de J. Andreau et de G. Purpura lui paraît donc peu probable. Mais dans son article, K. Verboven envisage la question exclusivement du point de vue des Sulpicii. Il explique l’absence d’échéance par le fait que l’essentiel de la clientèle des Sulpicii sont des marchands impliqués dans le commerce maritime qui empruntent pour financer des activités qui sont par nature risquées et imprévisibles et qui s’accommoderaient donc mal d’une échéance trop précise160.

95Cependant ce raisonnement se heurte à un obstacle. Il repose essentiellement sur le statut de prêteurs d’argent spécialisés des Sulpicii, et sur la spécificité de leur clientèle et du marché du crédit sur lequel ils évoluent. Or, dans les tablettes de Murecine, les Sulpicii ne sont pas les seuls créanciers attestés. On en trouve beaucoup d’autres et ces créanciers ne sont pas des prêteurs d’argent spécialisés. Si on suit le raisonnement proposé, cela signifie que tous prêtent à des taux usuraires. Même si on est prêt à admettre cela, il reste les tablettes d’Herculanum. C’est pour cette raison que j’ai voulu traiter la question du taux d’intérêt dans les tablettes campaniennes dans le paragraphe consacré au marché du crédit à Herculanum. Les tablettes d’Herculanum laissent apercevoir un marché du crédit complétement différent, qui se tient dans un contexte économique et social qui n’est pas celui de Pouzzoles. Cinq créanciers différents y sont attestés. Pourtant là aussi, on ne trouve aucune mention d’intérêt et aucune échéance. Cela signifie-t-il qu’eux aussi prêtent à des taux usuraires et que tous les prêts attestés dans les tablettes campaniennes, à Pouzzoles comme à Herculanum, soient usuraires ?

  • 161  Andreau 1974, p. 119-122. Il n’est pas possible de déterminer exactement le taux d’intérêt mais il (...)

96On dispose certes de textes littéraires déplorant l’usure au Ier siècle après J.-C., que cite K. Verboven, mais on dispose aussi de textes juridiques indiquant à l’inverse une relative stabilité du taux d’intérêt en Italie au Ier siècle après J.-C., autour de 6 %. Que l’usure existe en Italie à cette époque n’est pas étonnant. Elle existe également en Égypte où on la saisit grâce à de rares lettres privées et pétitions, mais jamais dans des contrats qui, par nature, ont vocation à être produits en justice et qui doivent donc respecter la loi. L’usure existe également aujourd’hui dans les pays européens ou en Amérique du Nord. Mais en général, les prêts usuraires ne font pas l’objet d’un contrat écrit. Il s’agit d’un marché du crédit différent où la parole donnée remplace le contrat écrit et où l’intimidation et la violence physiques remplacent les instances judiciaires. À Pompéi au Ier siècle après J.-C., on trouve de rares traces de prêts usuraires161, et la faiblesse des traces écrites (graffitis à Pompéi, de rares lettres privées ou pétitions en Égypte), normale pour ces transactions illégales, ne permet pas de se faire idée de l’ampleur du phénomène. Il existe et il ne faut pas l’ignorer, mais la masse des documents écrits relatifs au crédit légal en Égypte et, à un degré moindre, en Campanie, interdit d’y voir l’archétype du crédit dans le monde romain.

  • 162  Tchernia 1986.
  • 163  Cela vaut plus généralement pour tous les types de sources. Voir par exemple Agut-Labordère et New (...)

97Plus largement, on doit rappeler que ni les sources littéraires ni les documents de la pratique ni les sources juridiques ne documentent l’ensemble de la vie financière, mais seulement une partie de celle-ci, et qu’il n’y a pas de raison a priori pour que deux types de sources différents documentent les mêmes aspects de la vie financière. De la même manière que les amphores vinaires ne permettent d’appréhender qu’une partie du commerce du vin162, les tablettes ne documentent qu’une partie du marché du crédit, celle des transactions financières relativement importantes, dont le montant justifie qu’elles fassent l’objet d’un contrat écrit, entre des individus relativement aisés. Il est très improbable que ces transactions aient été conclues au mépris de la loi sur le taux d’intérêt. Cela ne signifie pour autant pas que les prêts usuraires n’existent pas, comme le montrent les sources littéraires. Mais celles-ci sont plus enclines à privilégier l’aspect politique, voire moral, des phénomènes économiques ce qui, dans le domaine de la vie financière, conduit à traiter plutôt d’endettement généralisé ou de prêts à taux usuraires que de transactions financières se déroulant normalement. Les buts de rédaction des sources littéraires et des documents de la pratique n’ont rien à voir et cela a des conséquences sur les réalités historiques qu’elles nous permettent d’appréhender. Vouloir faire coïncider à toute force les renseignements extraits des sources littéraires avec ceux des documents de la pratique est, me semble-t-il, une erreur de méthode163. On doit plutôt partir du présupposé inverse, sans s’interdire évidemment de constater d’éventuelles convergences.

98Si du point de vue économique, il me paraît impossible de conclure de l’absence d’intérêt explicite dans les contrats que tous les prêts accordés dans les tablettes de Murecine et dans les tablettes d’Herculanum aient été usuraires, il est dans ces conditions difficile de résoudre le problème juridique de l’absence de la stipulation d’intérêts. Si l’on veut concilier les logiques économique et juridique, on se trouve donc dans une impasse.

  • 164  Voir chapitre 2, p. 110-112.
  • 165  Andreau 2000, p. 154-156.
  • 166  Voir Lerouxel 2012b.

99On peut mettre en avant le cas égyptien pour proposer une hypothèse. L’analyse de l’intérêt dans les contrats de prêts d’Égypte romaine, qui sont les seuls documents financiers romains comparables aux tablettes campaniennes, montre en effet que le taux d’intérêt est une chose extrêmement simple et évidente. Pendant trois siècles, il ne fluctue jamais et il reste fixé à 12%164. Rien n’assure évidemment qu’il en soit a priori de même en Campanie. Mais plusieurs textes juridiques suggèrent également que le taux d’intérêt était relativement stable dans le reste de l’Empire165. Le taux d’intérêt n’est donc pas un prix qui équilibre l’offre et la demande de crédit. Dès lors, la mention précise du taux d’intérêt est probablement un élément moins important dans l’Antiquité qu’aujourd’hui. À Oxyrhynchos en Égypte avant 79, on ne trouve aucune mention d’un taux d’intérêt, alors qu’il est toujours présent dans les contrats rédigés à Tebtynis et à Soknopaiou Nesos, deux villages du nome arsinoïte. Pourtant, il est presque certain que les prêts à Oxyrhynchos comportent un intérêt, probablement de 12 % comme partout ailleurs en Égypte166. Si, comme en Égypte, le taux d’intérêt est considéré comme connu parce qu’il demeure stable à Pouzzoles et à Herculanum, il se peut qu’en vertu d’un usage local, les contractants jugent inutile de le mentionner. La chose peut paraître exorbitante à des juristes, mais d’autres choses le sont dans les tablettes campaniennes, ainsi l’absence d’échéance dans les stipulations alors qu’elle en constitue la partie la plus importante selon Ulpien. Les tablettes campaniennes posent encore des problèmes d’interprétation sur certains aspects, ce qui n’est pas étonnant vu leur complexité et compte tenu du fait que ces documents sont exceptionnels en Italie. D’autres tablettes italiennes enrichiraient certainement la compréhension des tablettes campaniennes. Mais dans la mesure où il s’agit d’une source de nature différente de celle des textes juridiques transmis par les grandes codifications, il ne faut pas s’étonner qu’il y ait quelques discordances.

L. Venidius Ennychus et L. Cominius Primus

100Dans les tablettes d’Herculanum, le commerce tient un rôle économique nettement moins important qu’à Pouzzoles et on ne trouve aucun débiteur comparable aux commerçants qu’on trouve dans les TPSulp., comme C. Novius Eunus et L. Marius Jucundus, les deux marchands de blé. Les esclaves impériaux qui apparaissent comme les créanciers les plus importants à Pouzzoles sont également absents à Herculanum. Le statut social et professionnel des prêteurs et des emprunteurs est donc plus banal à Herculanum qu’à Pouzzoles. Cette banalité ne les rend pas moins intéressants, car ces personnages sont sûrement plus représentatifs de la norme italienne en matière de crédit que les acteurs du marché du crédit de Pouzzoles. Deux personnages sont particulièrement bien connus à Herculanum : L. Venidius Ennychus et L. Cominius Primus.

  • 167  Camodeca 2009a, p. 36-39.
  • 168  Voir Camodeca 2002 qui présente l’archive, Camodeca 2006a grâce auquel le détail de la procédure p (...)

101L’archive de L. Venidius Ennychus a été retrouvée dans la casa del Salone Nero167. L’évolution du statut juridique de ce personnnage est maintenant bien connue grâce aux rééditions de G. Camodeca168. Jusqu’en 62, L. Venidius Ennychus appartient à la catégorie juridique des Latins Juniens. Cette catégorie naît avec la loi Aelia Sentia de 4 après J.-C. qui tient une place essentielle dans la législation augustéenne visant à réglementer et à contrôler l’affranchissement des esclaves et qui prévoit que les esclaves affranchis avant 30 ans n’accèdent pas à la citoyenneté romaine mais à la catégorie de Latins. D’après la reconstruction de G. Camodeca, L. Venidius Ennychus est probablement dans ce cas. Puisqu’il est déjà affranchi en 40/43, il est probablement né vers 15/20. Les Latins Juniens sont soumis à un certain nombre de restrictions juridiques, notamment testamentaires. Ils ne peuvent pas léguer leur patrimoine à leurs descendants et celui-ci revient à leur patron ou à ses héritiers. En l’absence de ceux-ci, il revient à l’aerarium. En revanche, ils disposent du ius commercii qui leur permet notamment de mener des opérations financières. Comme il est impossible de reconnaître avec certitude un Latin Junien sur une base onomastique, on dispose avec ce dossier d’une chance unique. La condition de Latin Junien n’a nullement empêché L. Venidius Ennychus de connaître une indéniable réussite économique et sociale puisqu’il a obtenu, une fois devenu citoyen romain, le droit de revêtir l’Augustalité.

  • 169  Camodeca 2002, p. 262. En tout, G. Camodeca parle de cinq ou six tablettes dont un texte restant i (...)
  • 170  Camodeca 2002a, p. 266-268.
  • 171  TH 44 (8 mars 52) et TH 45 (21 avril 59) ne sont pas suffisamment bien conservées pour connaître l (...)

102Son archive contient plusieurs tablettes relatives au crédit169. L. Venidius Ennychus apparaît deux fois de manière certaine comme créancier. Le premier prêt date de 40/41, soit plus de 20 ans avant que L. Venidius Ennychus n’accède à la citoyenneté romaine, et il s’agit du premier et unique mutuum cum stipulatione connu à Herculanum170. Dans ce contrat, Venidius prête 1800 HS à [L. Mammius] Rufus. Le second prêt est un nomen arcarium dont la date est inconnue (TH 72) et où L. Venidius Ennychus prête 1400 HS, une somme comparable à la précédente, à un débiteur inconnu. Les autres tablettes financières de l’archive ne sont pas suffisamment bien conservées pour permettre une analyse171.

  • 172  C’est probablement l’une des grandes richesses de ces tablettes d’Herculanum et une des différence (...)
  • 173  Camodeca 2002, p. 265 et Camodeca 2003a, p. 93.

103Le prêt, et peut-être l’emprunt, sont des activités occasionnelles pour L. Venidius Ennychus qui sont attestées de 40/41 à 59. L. Venidius Ennychus n’est ni un banquier ni un prêteur d’argent spécialisé et on peut se demander quelle activité il exerce. Etant donné que les documents relatifs aux terres agricoles sont nombreux dans les tablettes d’Herculanum172, mais qu’ils sont absents de l’archive de L. Venidius Ennychus, G. Camodeca en conclut que ses sources de revenus sont majoritairement extra-agricoles. Il propose donc que L. Venidius Ennychus soit un marchand-negotiator qui utilise une partie de ses profits pour faire des prêts173. Les sommes qu’ils prêtent sont modestes au regard des sommes attestées dans les tablettes de Murecine ou dans certaines tablettes de l’archive de L. Cominius Primus.

  • 174  Camodeca 2009a, p. 32-34. G. Camodeca a ré-édité plusieurs textes appartenant à cette archive, voi (...)
  • 175  Camodeca 2012a.
  • 176  Voir Arangio-Ruiz 1959, p. 523-524.

104Celui-ci est le second personnage des tablettes d’Herculanum à être impliqué dans des affaires financières. Son archive a été retrouvée dans la maison située dans l’insula V, 19-22174. Il apparaît comme un propriétaire foncier aisé car, s’il n’appartient pas à l’ordo, plusieurs textes montrent qu’il avait le cens nécessaire pour en faire partie. L. Cominius Primus a ainsi acheté un terrain, le fundus Linisianus, valant 295000 HS175. TH 87, qui date de 70 après J.-C. montre que la dot de l’épouse de Cominius vaut 200000 HS. TH 31 (non daté) mentionne un terrain agricole d’une valeur de 70000 HS176. Il s’agit de la plus importante archive privée des tablettes d’Herculanum puisqu’elle contient une trentaine de tablettes, et elle couvre les années allant de 59 à 72.

  • 177  Rééditée dans Camodeca 1993b.
  • 178  TH 67 et 69, qui d’après l’editio princeps, appartiennent à l’archive de L. Cominius Primus, conti (...)
  • 179  Rééditée dans Camodeca 1993b.
  • 180  Rééditée dans Camodeca 1993a.

105En plus de ses revenus fonciers certainement élevés, L. Cominius Primus tire des revenus du prêt d’argent. Si certains prêts sont comparables à ceux octroyés par L. Venidius Ennychus, d’autres sont nettement plus élevés. Parmi les petits prêts, dans TH 74177 (20 juin 62), L. Cominius Primus prête 600 HS à M. Nonius Fuscus qui lui a déjà emprunté 1300 HS178. Une autre tablette non datée, TH 68, montre que le même débiteur lui a également emprunté 5000 HS. Dans TH 70+71179, il accorde un prêt de 1000 HS à Pompeia Anthis qui s’ajoute à un prêt antérieur, dix fois plus important, de 10000 HS. Ce prêt de 10000 HS appartient à la même classe que le prêt qui est mentionné dans TH 42180, une reconnaissance de dette de 20000 HS. L. Cominius Primus a prêté cet argent à D. Laelius Euphrosynus. Ces deux derniers prêts montrent que les capacités financières de L. Cominius Primus sont plus importantes que celles de L. Venidius Ennychus.

  • 181  Rééditée dans Camodeca 1993a.
  • 182  TH 52+90,5+inédit est une quittance de remboursement partiel.
  • 183  Camodeca 1994a.
  • 184  Camodeca 1999b, p. 535.
  • 185  Camodeca 2009c où le texte est publié, et Camodeca 2003b.
  • 186  Camodeca 2003a.
  • 187  Camodeca 1999b et plus largement Camodeca 2005 sur les propriétés sénatoriales en Campanie.

106Chose peut-être encore plus intéressante, L. Cominius Primus emprunte à des membres de l’ordre sénatorial, au moins deux fois, et ces emprunts portent sur des sommes nettement plus importantes. L’un de ces deux prêts supporte la comparaison avec les plus grosses transactions des Sulpicii. TH 52+90,5+inédit181 montre que L. Cominius Primus a emprunté 60000 HS à Ulpia Plotina, somme qu’il rembourse progressivement182. Ulpia Plotina ne réside pas à Herculanum mais elle y possède des terres agricoles voisines de celles de L. Cominius Primus183. Elle appartient à l’élite sénatoriale et elle est la tante paternelle de Trajan184. Un autre document montre que L. Cominius Primus a emprunté 10000 HS à Cn. Sentius Saturninus, consul en 41, avant que celui-ci ne soit condamné en 66185. Les fonds prêtés à L. Cominius Primus par Ulpia Plotina et par Cn. Sentius Saturninus proviennent sûrement des revenus des terres agricoles possédées par ces aristocrates dans les environs d’Herculanum, revenus qu’ils choisissent de faire fructifier sur place186. Dans la mesure où on trouve d’autres membres de l’élite romaine ayant des intérêts agricoles à Herculanum dans ces tablettes, il est possible que L. Cominius Primus n’ait pas été le seul à profiter de ce type de circuit financier187.

  • 188  Pour le détail de l’affaire, voir Camodeca 2009c.

107Il est très peu probable que ces membres de l’élite sénatoriale se soient personnellement chargés du prêt à L. Cominius Primus. Dans TH 52+90,5+inédit, une quittance de remboursement partiel, c’est Venustus, un esclave d’Ulpia Plotina, qui reçoit 4000 HS de L. Cominius Primus. Il est possible que Venustus ait joué dans cette affaire un rôle d’intermédiaire lié comme Pyramus pour Caesia Priscilla ou Hyginus pour C. Iulius Prudens dans les tablettes de Murecine. On peut en effet penser que des esclaves d’Ulpia Plotina gèrent pour elle ses intérêts agricoles à Herculanum et que Venustus est l’un d’entre eux et qu’il se charge de prêter de l’argent à L. Cominius Primus pour le compte de sa maîtresse, qui ne réside pas à Herculanum et qui ne connaît pas L. Cominius Primus. Dans la mesure où Venustus réside à Herculanum et qu’il connaît probablement la situation économique et sociale de L. Cominius Primus, il peut juger de la solvabilité de celui-ci. Grâce à cette intermédiation servile, L. Cominius Primus peut emprunter à des membres de l’ordre sénatorial. Il est possible que le prêt octroyé par Cn. Sentius Saturninus à L. Cominius Primus ait suivi des canaux similaires. Par ailleurs, lorsque L. Cominius Primus verse à Rome les 10000 HS empruntés à Cn. Sentius Saturninus à un des bénéficiaires de la condamnation de celui-ci en 66188, il le fait par l’intermédiaire de Festus, un de ses esclaves, lui ne s’est probablement pas déplacé. Les esclaves permettent donc à leur maître de se démultiplier pour mener plusieurs affaires en même temps, dans des lieux différents.

108Certains esclaves peuvent donc jouer un rôle d’intermédiaires liés dans les affaires financières d’Herculanum, quand leur maître appartient à l’ordre sénatorial. Néanmoins, et à la différence des tablettes de Murecine, cela ne semble pas être la fonction financière principale des esclaves à Herculanum, comme on va le voir dans le chapitre consacré aux garanties dans les tablettes campaniennes.

Conclusion

109Les marchés du crédit de Pouzzoles et d’Herculanum sont différents à plus d’un titre. Celui de Pouzzoles est ouvert sur l’extérieur et en particulier sur le monde du commerce maritime lié à l’approvisionnement de la ville de Rome. Les commerçants sont une composante importante des emprunteurs sur ce marché. Les esclaves impériaux apparaissent quant à eux comme des créanciers de premier plan. D’une manière générale, les esclaves jouent un rôle financier actif particulièrement important à Pouzzoles. Ils peuvent tout aussi bien servir les intérêts des débiteurs ou des créanciers. Leur rôle d’« intermédiaires liés » est sans doute leur fonction la plus importante pour le fonctionnement du marché du crédit. Ce rôle est aussi attesté à Herculanum même si les sommes qui y sont échangées sont inférieures à celles qu’on trouve à Pouzzoles. La présence de prêteurs d’argent spécialisés à Pouzzoles est probablement la différence la plus importante entre les deux marchés du crédit. Leur fonction principale est l’intermédiation financière, active et passive. Cette fonction permet d’atteindre un niveau de sophistication supérieur dans le fonctionnement du marché du crédit. Les Sulpicii sont des prêteurs d’argent spécialisés qui, avec leurs confrères, assurent le lien entre Rome et Pouzzoles.

110Leur rôle pour le commerce maritime en Méditerranée et pour l’approvisionnement de Rome n’est pas mince. En effet, Pouzzoles est de fait à cette époque le port de Rome mais elle est très loin d’en avoir les capacités financières. Or la demande de financement qui se manifeste à Pouzzoles est à la mesure de Rome, et non pas de Pouzzoles, car c’est à Pouzzoles que se pose concrètement une bonne part des problèmes économiques, financiers et logistiques liés à l’approvisionnement de la capitale de l’Empire. Les capitaux nécessaires, sans doute énormes, doivent donc se déplacer de Rome vers Pouzzoles pour être prêtés aux acteurs de l’approvisionnement de la capitale. Les ressources économiques du pouvoir impérial, surtout, d’après ce qu’on voit dans les tablettes de Murecine, et, peut-être aussi celles de l’élite de l’Empire, majoritairement concentrée à Rome, se retrouvent dans les mains des marchands qui débarquent à Pouzzoles de toute la Méditerranée, et cela se fait par le biais d’au moins deux intermédiaires : tout d’abord les dépendants de cette élite qui les amènent « en gros » à Pouzzoles, puis les prêteurs d’argent spécialisés qui les prêtent « au détail » aux commerçants présents à Pouzzoles. Le marché du crédit d’Herculanum ne présente bien sûr pas les mêmes enjeux mais lui non plus n’est pas fermé sur l’extérieur. Alors que ce sont les esclaves impériaux qui semblent être les créanciers des sommes les plus importantes à Pouzzoles, on voit grâce au dossier de L. Cominius Primus que ce rôle est tenu à Herculanum par des membres de l’élite sénatoriale, représentés par certains de leurs esclaves qui jouent sans doute un rôle dans la gestion de leurs intérêts agricoles en Campanie. Cette proximité géographique donne accès à des ressources financières particulièrement importantes pour les habitants d’Herculanum.

  • 189  Lerouxel 2008.

111Pour autant qu’on puisse en juger, la banque ne semble jouer aucun rôle d’intermédiation financière, active ou passive, dans le fonctionnement du marché du crédit en Campanie, contrairement à la situation observée pour l’Égypte189. Cela ne signifie pas pour autant qu’elle ne joue aucun rôle en Campanie comme on va maintenant le voir en examinant la question des garanties dont on a vu qu’elles étaient le déterminant essentiel du bon fonctionnement du marché du crédit en Égypte grâce à la bibliothèque des acquêts. Le sujet est suffisamment important pour faire l’objet d’un traitement spécifique. Ce n’est qu’après avoir étudié les garanties de manière approfondie qu’on pourra dresser une conclusion définitive sur les marchés du crédit de Pouzzoles et d’Herculanum.

Notes

1  Bagnall 2011.

2  Voir en général Cotton, Cockle et Millar 1995. Les P. Euphr. ont depuis été publiés dans deux articles du Journal des Savants : Feissel, Gascou et Teixidor 1997 ; Feissel et Gascou 2000. P. Bostra 1 (n° 171 dans l’inventaire de Cotton et Cockle et Millar 1995) a fait l’objet d’une publication préliminaire dans Gascou 1999.

3  Les tablettes sont couramment utilisées comme support d’écriture jusqu’à l’époque moderne, voir Lalou E. (éd.) 1992. Sur l’utilisation des tablettes dans le monde romain, voir Meyer 2004 (principalement la deuxième partie). Selon E. Meyer, elles ne seraient pas un support comme les autres car le fait d’écrire sur des tablettes aurait une valeur spéciale et supérieure dans le monde romain. En effet, les tablettes sont utilisées pour des actes publics mais aussi, surtout, pour des actes religieux, comme des vœux ou des prières. Les contrats privés rédigés sur tablette tireraient leur efficacité juridique de cette communauté de support avec les documents religieux. Voir les observations de Camodeca 2007.

4  Ciulei 1983.

5  Bowman 2003 avec bibliographie. Les tablettes sont éditées dans deux volumes : Bowman et Thomas 1994 (Tabulae Vindolandenses II) qui comprend une réédition des textes de Tabulae Vindolandenses I et Bowman et Thomas 2003 (Tabulae Vindolandenses III). Voir également l’édition en ligne : « Vindolanda Tablets Online » : http://vindolanda.csad.ox.ac.uk.

6  Sur les tablettes de Vindonissa, voir Speidel 1996.

7  Voir Arangio-Ruiz 1943 et Macqueron 1982, deux anthologies contenant des documents occidentaux de la pratique.

8  Marichal 1992.

9  Pour une synthèse, voir Cuvigny (éd.) 2003. Voir également Cuvigny 2005.

10  Dans le cadre du programme de recherches « La mémoire perdue » initié par C. Nicolet, après Nicolet 1988, poursuivi par C. Moatti. Voir Mémoire perdue I 1994 (particulièrement l’avant-propos de C. Nicolet), Mémoire perdue II 1998 ; « La mémoire perdue. Recherches sur l’administration romaine : le cas des archives judiciaires pénales », MEFRA, 112-2, 2000, p. 647-779. « La mémoire perdue. Recherches sur l’administration romaine : les documents du census », MEFRA, 113-2, 2001, p. 559-764. On peut également rattacher à ce programme Moatti 1993 et Virlouvet 1995.

11  Sur les origines antiques du notariat, voir Amelotti 1975. Pour une contribution à la recherche des traces laissées par les écrits documentaires privés, voir Meyer 2004.

12  Voir Cuvigny 1996 et Bowman 2006.

13  Les travaux de G. Camodeca ont suscité un renouveau des études sur ces tablettes. Pour un aperçu de ces travaux, voir Camodeca 2006b, p. 520, note 12.

14  Sur les lieux où ont été trouvés ces différents groupes de tablettes, voir en général Camodeca 2009a avec bibliographie.

15  Camodeca 1991a et Camodeca 1993e.

16  Dans certains triptyques d’Herculanum, la situation peut être différente, voir Camodeca 1999a, p. 31-32.

17  Sur le « S.C. Neronianum », voir Camodeca 1991a et Camodeca 1993a.

18  Exceptés les contrats rédigés sur tablettes en Égypte, voir Camodeca 1991a, p. 68, note 28.

19  Burkhalter 1990.

20  Voir par exemple Andreau 1974, p. 170-176 pour l’étude du statut économique et social des affranchis à Pompéi, ou Camodeca 1996 pour l’étude de l’élite municipale d’Herculanum dans les années 50-70. Voir également les remarques générales de J. Andreau dans Andreau 2003.

21  Andreau 1974, p. 13-24. Jucundus est un coactor argentarius, voir Andreau 1987, p. 164, note 79 (plus précis qu’Andreau 1974).

22  CIL IV 3340, t. 1-153.

23  Andreau 1974, p. 27-28.

24  Andreau 1974, p. 53-71, pour l’étude de ces quittances, et p. 331-338, pour le texte de certaines d’entre elles.

25  Voir Camodeca 2003c et Camodeca 2009a, p. 21-25.

26  Camodeca 1999a, p. 15-16 et Andreau 2001, p. 137-140. La qualité des travaux de G. Camodeca ne doit pas éclipser les contributions de L. Bove d’une part, et de J. Wolf et J. Crook d’autre part. Sur les aspects financiers de l’archive, voir entre autres Bove 1984b ; Crook et Wolf 1989.

27  Une table-ronde a été organisée à Paris à l’occasion de la sortie de l’édition de G. Camodeca. Elle a fait l’objet d’une publication dans les Cahiers du Centre Gustave Glotz, 11, 2000, p. 103-191. Elle contient sept contributions sur différents aspects de ces tablettes et une contribution de G. Camodeca qui propose un certain nombre de nouvelles lectures et de nouvelles interprétations : Camodeca 2000b.

28  Camodeca 1992.

29  Pour Tabulae Pompeianae Sulpiciorum. Edizione critica dell’archivio puteolano dei Sulpicii, Quasar, 1999, deux volumes, un premier de textes et un second de photographies et de copies.

30  Voir Camodeca 2006b, notes 12 et 14.

31  Avant de commencer, il faut signaler que les tablettes d’Herculanum sont, pour certaines, en cours de réédition, voire d’édition. G. Camodeca a déjà publié plusieurs articles préparatoires à une édition définitive : voir la liste donnée dans Camodeca 2012a, note 1. Cette liste est nécessairement provisoire mais G. Camodeca commence en général ses articles en faisant des bilans provisoires de son entreprise de réédition.

32  Et non dans sept maisons comme l’affirmait A. Maiuri dans Maiuri 1946, p. 375. Sur ces huit maisons, voir Camodeca 2009a.

33  Les tablettes d’Herculanum ont été publiées entre 1946 et 1961 dans six articles successifs de la revue La Parola del Passato : Pugliese-Carratelli 1946, Pugliese-Carratelli 1948, Pugliese-Carratelli 1953, Arangio-Ruiz et Pugliese-Carratelli 1954, Arangio-Ruiz et Pugliese-Carratelli 1955, Arangio-Ruiz et Pugliese-Carratelli 1961. M. Della Corte a publié 18 tablettes d’Herculanum dans Della Corte 1951. Certaines de ces tablettes avaient déjà été publiées par G. Pugliese-Carratelli en 1946 et en 1948 et d’autres ont été ensuite republiées par G. Pugliese-Carratelli seul ou par G. Pugliese-Carratelli et V. Arangio-Ruiz. L’édition de M. Della Corte est de moins bonne qualité et ne comporte pratiquement aucun commentaire.

34  En plus de ces trois archives, Camodeca 2006a, p. 259-260, annonce avoir reconstitué deux nouvelles archives, venant respectivement de la maison ins. IV 17-18 et de la casa dell’Alcova, qui feront l’objet d’articles ultérieurs.

35  L’issue du procès est inconnue. Sur le procès, voir Arangio-Ruiz 1948, publié dans le même fascicule de la Parola del Passato que la deuxième livraison des tablettes d’Herculanum (TH 13-30) éditées par G. Pugliese-Carratelli p. 165-184 et qui contient les tablettes relatives au procès de Justa. L’intérêt exceptionnel du dossier et le talent de V. Arangio-Ruiz ont suscité une grande attention. On trouvera des indications bibliographiques sur le procès de Justa dans Franciosi 2000, p. 138.

36  Sur Pouzzoles d’un point de vue général : Frederiksen 1984 et Camodeca 1991c.

37  Morley 1996, p. 33-39, retient le chiffre de 200000 habitants en 200 avant J.-C. comme working figure.

38  Lo Cascio (éd.) 2000.

39  Hatzfeld 1919. Plus récemment, Müller et Hasenohr (éd.) 2002.

40  Geraci 2003.

41  Tchernia 1995 et De Romanis 1996 sur le développement du commerce avec l’Océan Indien à l’époque impériale.

42  Sur l’approvisionnement de Rome, voir Rickman 1980, Le ravitaillement en blé de Rome et des centres urbains des débuts de la République jusqu’au Haut-Empire, CEFR 196, 1994, Virlouvet 2000b, Marin et Virlouvet 2003. Sur l’administration d’État chargée de l’approvisionnement de la ville de Rome couramment appelée « annone », Pavis d’Escurac 1976 ; sur les distributions publiques, voir Virlouvet 1995. L’Égypte n’est pas l’unique source du blé de l’annone, l’Afrique joue également un rôle important, voir De Romanis 2003.

43  Sur Pouzzoles, port annonaire, voir Frederiksen 1980-1981 et Camodeca 1994b.

44  Sur les ports de Rome, voir Zevi 2001.

45  Voir Raschke 1978 ; Autour de Coptos. Actes du colloque organisé au Musée des Beaux-Arts de Lyon, Topoi Suppl. 3, 2002 ; De Romanis 2006.

46  Camodeca 1979. Ils sont encore attestés au IIème siècle après J.-C., voir Bonsangue 2001.

47  Tchernia 1995, De Romanis 1996 et Tchernia 2011.

48  Lepore 1955.

49  Camodeca 1999b, Camodeca 2003a et Camodeca 2008c.

50  Voir Monteix 2010 sur les boutiques et les ateliers à Herculanum, qui réfute notamment la thèse d’A. Maiuri qui pensait détecter la montée en puissance d’une nouvelle élite, constituée d’affranchis enrichis dans le commerce et l’artisanat.

51  Camodeca 1999b.

52  G. Camodeca a consacré un article important au crédit dans les tablettes campaniennes (à Pouzzoles et à Herculanum), Camodeca 2003a, à ajouter à Camodeca 1992 et à l’introduction et aux commentaires dans Camodeca 1999a.

53  Dans l’étude des différents acteurs de la vie financière du monde romain, J. Andreau s’est principalement consacré aux banquiers de métier auxquels il a consacré deux monographies. La première est une étude de cas qui porte sur le banquier de métier L. Caecilius Jucundus à Pompéi (Andreau 1974), la seconde est une synthèse qui porte sur les banquiers de métier en Occident romain des origines, à la fin du IVème siècle avant J.-C., jusqu’à la fin du IIIème siècle après J.-C. (Andreau 1987a). Mais il a également consacré de nombreux articles aux autres acteurs de la vie financière romaine, articles regroupés dans Andreau 1997, première partie « banquiers et financiers ». La distinction entre les banquiers et les autres catégories de personnes prêtant de l’argent était analytiquement nécessaire et demeure un résultat fondamental d’un point de vue économique et social. Elle ne signifie bien sûr pas que ces différentes catégories n’ont aucune relation.

54  Andreau 2001, chapitre 2.

55  Andreau 1987a et Andreau 2001, chapitre 3.

56  Andreau 1985, p. 380-382 et Andreau 2001, p. 101-106.

57  Andreau 1987a, p. 17.

58  Les nummularii ne deviennent véritablement banquiers qu’au IIème siècle après J.-C. à une époque où le crédit d’enchères commence à perdre de son importance dans les attributions des banquiers de métier.

59  Andreau 1994b.

60  M. Amelotti qui suit l’interprétation de G. Camodeca selon laquelle les Sulpicii sont des banquiers écrit par exemple : « in un archivio di banchieri non possono ovviamente mancare i documenti di mutuo » (c’est moi qui souligne) dans son compte-rendu de l’édition des TPSulp. paru dans Index 29, 2001, p. 361-370.

61  Bogaert 2000, p. 216 : « Un changeur-essayeur devient banquier lorsqu’il accepte de ses clients des dépôts d’argent en espèces pour en faire des paiements sur ordre du déposant. C’est l’opération la plus courante de toutes les banques de dépôt du monde et ceci depuis l’origine de la banque ». Voir également Lerouxel 2008.

62  Au moins pour les argentarii et les coactores argentarii.

63  Andreau 1987a, p. 530.

64  Andreau 1987a, p. 607-615. On sait peu de choses sur l’organisation interne des banques. La mieux documentée est celle de Jucundus à Pompéi mais, même dans ce cas, nos connaissances sont limitées. Il semble que trois esclaves tout au plus aient travaillé pour Jucundus dans le cadre de ses activités bancaires. Voir Andreau 1974, p. 44-49.

65  Hoffman, Postel-Vinay et Rosenthal 2001, p. 182-201.

66  Voir Andreau 1987a, Andreau 2001 et García-Morcillo 2005.

67  Andreau 1974, p. 95-103.

68  Les tablettes de Jucundus ne comportent aucune information sur l’intérêt.

69  Verboven 2008. K. Verboven range également les Sulpicii parmi les prêteurs d’argent spécialisés, voir infra.

70  Andreau 1983.

71  Verboven examine également le cas des intercessores, des proxenetae et des pararii qui jouent un rôle sur le marché du crédit en Italie.

72  Sur le rôle de la guerre et des conquêtes dans la transformation de l’économie italienne des trois derniers siècles de la République, voir les réflexions de Schiavone 2003, p. 91-105.

73  Sur l’intermédiation, voir Andreau 1987b, Verboven 2000, Verboven 2008, Camodeca 2003a, p. 86-88, Lerouxel 2008 et Rathbone et Temin 2008.

74  Andreau 1987b, p. 172-173.

75  Sur les lieux de la vie financière et sur les prêteurs d’argent spécialisés à Rome, voir Andreau 1987b.

76  Camodeca 1992, p. 29-36, contre l’avis exprimé par J. Andreau dans Andreau 1985 ou Andreau 1987a, p. 658. Les Sulpicii ne sont pas des « marchands-financiers » mais des prêteurs d’argent spécialisés. Une lecture erronée de F. Sbordone, un des premiers éditeurs des tablettes de Murecine, pouvait laisser penser que les Sulpicii étaient des marchands mais il n’en est rien. Voir Andreau 2001, p. 150.

77  Voir notamment Gröschler 1997, p. 62-66 qui remarque que TPSulp. 82 (si on accepte la restitution de G. Camodeca) est l’unique quittance de vente aux enchères et qu’en conséquence, les Sulpicii étaient probablement simplement argentarii et non pas coactores argentarii ; voir également Wolf 2001 et Jakab 2003.

78  Camodeca 1999a, p. 22-26 et p. 187-188 ainsi que Camodeca 2003a, p. 71-76.

79  Voir Andreau 1994a et en dernier lieu, Andreau 2001, p. 145-152.

80  Verboven 2003a.

81  Andreau 1987a, p. 539.

82  Camodeca 2003a, p. 86.

83  Et une transaction où le créancier est inconnu.

84  Seules trois tablettes sont sans lien apparent avec les affaires des Sulpicii : TPSulp. 55, TPSulp. 64 et TPSulp. 70.

85  Voir Camodeca 1992, p. 165-198 et Camodeca 1999a, p. 132-133.

86  Camodeca 1993b. On trouve les mêmes types juridiques dans les tablettes d’Herculanum où les nomina arcaria sont nombreux tandis que les mutua cum stipulatione sont rares. Gröschler 1997, p. 92 veut voir dans le nomen arcarium un équivalent de la diagraphê égyptienne en considérant que les Sulpicii sont des banquiers et qu’ils jouent dans le nomen arcarium un rôle équivalent à celui que les banquiers jouent en Égypte dans les diagraphai. Mais même si on admettait que les Sulpicii sont des banquiers, ce qui n’est pas mon cas, cette hypothèse n’est pas recevable. L’obstacle principal est bien sûr que les Sulpicii n’apparaissent jamais dans le texte des nomina arcaria alors que les banquiers sont présents dans les diagraphai.

87  Sur l’organisation des Sulpicii, voir Verboven 2000.

88  7 cas avec somme : une moyenne de 14714 HS, une médiane de 4000 HS.

89  10 cas avec somme : une moyenne de 9821 HS, une médiane de 3150 HS. Je laisse de côté TPSulp. 63 (45) où un des Sulpicii prête 30000 HS et TPSulp. 74 (51) où un inconnu rembourse 50000 HS à Faustus et 80000 HS à Cinnamus.

90  10 cas avec somme : une moyenne de 5598 HS, une médiane de 4000 HS.

91  Dans les prêts contenus dans les tablettes de Dacie, l’intérêt et l’échéance sont mentionnés explicitement, de même que dans une tablette de Vindonissa. Voir Verboven 2003b, p. 11.

92  TPSulp. 56, TPSulp. 63, TPSulp. 68 et TPSulp. 69. La durée de ces prêts n’excède jamais quelques mois.

93  K. Verboven cite à ce propos Ulpien (Dig. 2, 13, 1, 2) : dies solutionis sicuti summa pars est stipulationis (Verboven 2000, p. 169).

94  Ne présentent pas d’échéance les tablettes suivantes : TPSulp. 52, 53, 54, 55, 57, 58, 60, 61, 62, 64. Sont laissés de côté les textes trop fragmentaires pour qu’on puisse savoir s’ils comportent une échéance ou non.

95  TPSulp. 69, TPSulp. 75 et TPSulp. 76. Dans TPSulp. 69, il est certain que Cinnamus est débiteur, dans TPSulp. 75, il ne s’agit que d’une hypothèse.

96  Il s’agit d’un des rares documents où une échéance précise est mentionnée.

97  Camodeca 2003a fait la même interprétation mais pour lui, les Sulpicii sont des banquiers et non des prêteurs d’argent spécialisés.

98  On verra plus loin qu’il faut peut-être interpréter de la même manière TPSulp. 94 et 95 et peut-être TPSulp. 49. Ces trois textes sont fragmentaires. TPSulp. 94 fait état d’une somme de 50000 HS, TPSulp. 95 d’une somme de 25000 HS et TPSulp. 49 d’une somme de 125000 HS. Ces sommes sont du même ordre de grandeur que celles que prête Phosphorus Lepidianus à Cinnamus (TPSulp. 69).

99  Un mécanisme similaire est peut-être à l’œuvre dans TPSulp. 75 que K. Verboven a interprété comme un exemple direct d’intermédiation active, voir Verboven 2000, p. 166.

100  Verboven 2008.

101  Sur les affranchis et les esclaves impériaux : Boulvert 1970 et Boulvert 1974.

102  TPSulp. 51, 52 et 45.

103  TPSulp. 51, 52, 45, 67 et 68.

104  Eunus est créancier et non débiteur comme le propose G. Camodeca dans son édition en 1999. Voir Verboven 2000, p. 162-163 accepté par Camodeca 2000b, p. 180.

105  Camodeca 2003a, p. 87.

106  Camodeca 2003a semble impliquer que le débiteur est un des Sulpicii.

107  TPSulp. 75 et 76.

108  Camodeca 2003a, p. 80-83.

109  Sur ces deux marchands, voir Camodeca 1994b et Virlouvet 2000.

110  À l’emprunt de 10000 HS conclu le 18 (ou 28) juin 37 (TPSulp. 51) s’ajoute un second emprunt de 3000 HS, conclu le 2 juillet 35 (TPSulp. 52).

111  TPSulp. 46 et 79. Sur le détail de la procédure, voir infra.

112  Virlouvet 2000, que je suis ici.

113  Le montant des prêts est parfois retenu, à tort à mon avis, si on n’a aucune information sur le statut socio-professionnel du débiteur. Le statut de pérégrin est un indice plus sûr (Camodeca 2003a, p. 83) mais seule Euplia est attestée comme débitrice parmi les pérégrins présents dans l’archive et il est difficile de savoir s’il s’agit d’une commerçante ou non.

114  Le dossier comporte trois documents : TPSulp. 85-87.

115  Contrairement à la situation attestée dans TPSulp. 90-93, où est annoncée la vente d’une seule esclave donnée en garantie à C. Sulpicius Onirus par Marcia Aucta pour garantir un prêt de 1000 HS.

116  Camodeca 2003a ne retient pas ce cas. Il évoque la possibilité que M. Lollius Philippus soit un commerçant, probablement à cause de la somme (TPSulp. 54, 20000 HS).

117  M. Antonius Maximus (TPSulp. 50) ; M. Caecilius Maximus (TPSulp. 66) ; C. Caesius Quartio (TPSulp. 77) ; C. Eprius Valgus (TPSulp. 72) ; Faecia Prima (TPSulp. 64) ; Sextus Granius Numenius (TPSulp. 70) ; C. Marcius Saturninus (TPSulp. 31) ; Niceros (TPSulp. 56) (TPSulp. 114 fait probablement allusion à la même opération) ; Magia Pulchra (TPSulp. 63) ; P. Servilius Narcissus (TPSulp. 81) ; P. Urvinus Zosimus (TPSulp. 57) ; P. Vergilius Ampliatus (TPSulp. 55) (il apparaît comme créancier dans TPSulp. 70).

118  Au total, en dehors des Sulpicii, il y a une vingtaine de débiteurs différents dans les archives des Sulpicii.

119  Le contraire est également difficile à établir.

120  Voir d’un point de vue général Lintott 2002. Cet article ne constitue pas une étude de synthèse sur les esclaves dans les tablettes campaniennes, étude qui reste à faire.

121  D’un point de vue historiographique, voir Andreau 1999, la présentation du dossier « les esclaves dans la vie économique à Rome » paru dans Topoi 9/1, p. 103-189.

122  Di Porto 1984 (Impresa collettiva e schiavo « manager » in Roma antica [II sec. a. C.-II sec. d. C.]). Voir également Aubert 1994.

123  D’une bibliographie très importante, on peut retenir deux livres : A. Giardina et A. Schiavone, Società romana e produzione schiavistica (trois volumes), Bari, 1981 et M. Finley, Esclavage antique et idéologie moderne, Paris, 1981.

124  Pour une synthèse sur les différentes facettes du rôle économique des esclaves en Grèce et à Rome, voir Andreau et Descat 2006, p. 107-151.

125  Sur tout ceci, je suis Andreau 2004, p. 112-126.

126  C’est pour cette raison que Serrao 1989 a pu y voir une analogie avec la société à responsabilité limitée.

127  Andreau 2004, p. 118.

128  K. Hopkins, Conquerors and Slaves, Cambridge UP, 1978, p. 126 cité par Andreau 2004.

129  Sur les institores, voir Aubert 1994.

130  Sur tout ceci, je suis Andreau 2001, p. 126-135.

131  D’autres esclaves apparaissent également dans un rôle économique non financier : Primus, esclave de P. Attius Severus qui verse une somme d’argent dans le cadre d’un contrat de transport (TPSulp. 78) ; Diognetus esclave de l’horrearius C. Novius Cypareus rédige un chirographe de location pour son maître. Il en est également le témoin avec Irenaeus, esclave de C. Iulius Senecio (TPSulp. 45) ; Nardus, esclave d’un autre horrearius, P. Annius Seleucus, rédige lui aussi un chirographe de location pour son maître. Le service de mesure du grain stocké prévu dans ce contrat sera rendu par l’horrearius et ses esclaves (cum servis suis).

132  Sur ce texte, voir Verboven 2000 et Camodeca 2003a.

133  Selon Verboven 2000, p. 163-164, ces quatre esclaves sont des préposés et/ou travaillent dans le cadre de leur pécule, parce que les quatre esclaves sont nommés explicitement. Camodeca 2003a, p. 78-79 préfère penser qu’ils travaillent directement pour Cinnamus et qu’ils sont nommés à cause du souci d’exhaustivité et de l’excès de précaution qui caractérisent ces documents de la pratique juridique.

134  Camodeca 2003a, p. 79 sur la nature du litige qui oppose Cinnamus à Prudens dans TPSulp. 25.

135  Ainsi que Suavis son affranchi. Voir infra.

136  TPSulp. 25.

137  Camodeca 1999a et 2003a.

138  Pour le détail, voir l’édition du texte.

139  On peut également signaler l’existence de Felix, esclave de C. Iulius Trophus (TPSulp. 110) et celle de Gaurus, esclave de C. Trebonius Auctus (TPSulp. 112). Felix et Gaurus apparaissent en tête de la liste des témoins d’un chirographe. Ils en sont donc les auteurs. Mais, le contenu de TPSulp. 110 n’est pas intelligible, tandis que celui de TPSulp. 112 a totalement disparu.

140  TJ 138-153.

141  Cinq esclaves impériaux connus dans les affaires financières des tablettes de Murecine : Amarantus Hyacinthianus, esclave de Claude (TPSulp. 94) ; Phorus (probablement esclave de Claude) (TPSulp. 95) ; Hesychus Euenianus, esclave de Caligula (TPSulp. 67 et 68) ; Phosphorus Lepidianus, esclave de Claude (TPSulp. 69) ; Cerinthus, esclave de Claude (TPSulp. 49). Dans le dernier cas, le texte est trop fragmentaire pour qu’on puisse dire de quoi il s’agit.

142  Deux attestations de vicarii d’esclaves impériaux dans les TPSulp. : Eunus, vicarius d’Amarantus Hyacinthianus, esclave de Claude (TPSulp. 94) ; Thallus, vicarius de Phorus (probablement esclave de Claude) (TPSulp. 95). Hesychus a peut-être été un vicarius, voir mon hypothèse supra.

143  Je remercie Y. Thomas d’avoir attiré mon attention sur ce point.

144  TPSulp. 4, 13 et 14.

145  TPSulp. 56 et 58.

146  Cinq cas : quatre fois Hesychus (TPSulp. 51-52 et 67-68) et une fois Phosphorus Lepidianus (TPSulp. 69). Voir Urbanik 1998.

147  Dans son commentaire à TPSulp. 69, Camodeca cite Dig. 45, 3, 15 et Dig. 45, 1, 65.

148  Selon G. Boulvert, à la fin du IIème et au début du IIIème siècle après J.-C., une véritable capacité juridique aurait été reconnue aux esclaves impériaux dans le domaine patrimonial, contrairement aux principes du droit privé. Voir Boulvert 1974, p. 94.

149  Sur leurs homologues égyptiens, voir chapitre 6, p. 322-336.

150  C. Novius Eunus reste lié à son patron C. Novius Cypareus pour le stockage du grain qu’il donne en garantie puisqu’il loue le grenier de son patron à un tarif préférentiel. Néanmoins, dans ses affaires financières, il semble indépendant. Sur cette question de l’affranchi indépendant, voir Garnsey 1998 (avec un addendum bibliographique de W. Scheidel). Voir également Mouritsen 2011 et Tran 2013.

151  Vu l’état de l’édition des tablettes d’Herculanum, il faut considérer ces chiffres comme provisoires.

152  Quatre cas : 40, 60, 80 et 200 HS, voir Andreau 1974, p. 119-122.

153  K. Verboven les passe en revue dans Verboven 2003b.

154  Camodeca 1992, p. 173-177.

155  Gröschler 1997, p. 165-194 développant une idée d’A. Guarino (A. Guarino, Giusromanistica elementare, 1989, p. 205).

156  En effet, en cas d’absence d’échéance explicite, le créancier peut exiger le remboursement le jour même d’après Dig. 45, 1, 41, 1 cité par K. Verboven dans Verboven 2003b, p. 15 note 46. Mais alors il est difficile de concilier cela avec le fait que certaines tablettes de Murecine précisent explicitement que le prêt sera remboursé quand le créancier le veut (cum petierit). En Égypte, où les intérêts sont en règle générale explicitement mentionnés dans les contrats, le paiement des intérêts s’effectue généralement à la fin du prêt. Lorsque le créancier désire toucher des intérêts avant le terme du prêt, c’est le cas dans les rares prêts qui excèdent un an, il le précise explicitement dans le contrat. Dans ce cas, les intérêts sont versés annuellement.

157  Purpura 1984.

158  Andreau 2000.

159  Verboven 2003b.

160  Verboven 2003b, p. 16.

161  Andreau 1974, p. 119-122. Il n’est pas possible de déterminer exactement le taux d’intérêt mais il est certainement supérieur à 12 %.

162  Tchernia 1986.

163  Cela vaut plus généralement pour tous les types de sources. Voir par exemple Agut-Labordère et Newton 2013 qui montre, comment deux sources différentes, l’archéobotanique et les textes démotiques apportent des renseignements différents sur un même objet, l’économie végétale à ’Ayn-Manâwir à l’époque perse.

164  Voir chapitre 2, p. 110-112.

165  Andreau 2000, p. 154-156.

166  Voir Lerouxel 2012b.

167  Camodeca 2009a, p. 36-39.

168  Voir Camodeca 2002 qui présente l’archive, Camodeca 2006a grâce auquel le détail de la procédure par laquelle L. Venidius Ennychus accède à la citoyenneté romaine est mieux connu (réédition de TH 89) et Camodeca 2006-2007.

169  Camodeca 2002, p. 262. En tout, G. Camodeca parle de cinq ou six tablettes dont un texte restant inédit et TH 38 qui, dans l’édition actuelle, est inutilisable.

170  Camodeca 2002a, p. 266-268.

171  TH 44 (8 mars 52) et TH 45 (21 avril 59) ne sont pas suffisamment bien conservées pour connaître la somme prêtée ni pour savoir si L. Venidius Ennychus est créancier ou débiteur. TH 44 est un chirographe rédigé par M. Volusius Crescens. Il peut s’agir d’une reconnaissance de dette, dans ce cas L. Venidius Ennychus est créancier, ou d’une quittance (apocha), dans ce cas il est débiteur. TH 45 est un chirographe rédigé par Q. Sallustius Inventus à la demande de M. Nonius Ampliatus. Le nom de L. Venidius Ennychus n’apparaît pas dans le texte, très fragmentaire, mais la tablette a été retrouvée avec les autres dans sa maison.

172  C’est probablement l’une des grandes richesses de ces tablettes d’Herculanum et une des différences qui les opposent aux tablettes de Murecine, voir Camodeca 1999b. De nombreux textes relatifs à ces terres demeurent inédits.

173  Camodeca 2002, p. 265 et Camodeca 2003a, p. 93.

174  Camodeca 2009a, p. 32-34. G. Camodeca a ré-édité plusieurs textes appartenant à cette archive, voir Camodeca 1993a, Camodeca 1993b, Camodeca 1994a, Camodeca 2009c et Camodeca 2012a.

175  Camodeca 2012a.

176  Voir Arangio-Ruiz 1959, p. 523-524.

177  Rééditée dans Camodeca 1993b.

178  TH 67 et 69, qui d’après l’editio princeps, appartiennent à l’archive de L. Cominius Primus, contiennent, elles-aussi, des transactions inférieures à 1000 HS.

179  Rééditée dans Camodeca 1993b.

180  Rééditée dans Camodeca 1993a.

181  Rééditée dans Camodeca 1993a.

182  TH 52+90,5+inédit est une quittance de remboursement partiel.

183  Camodeca 1994a.

184  Camodeca 1999b, p. 535.

185  Camodeca 2009c où le texte est publié, et Camodeca 2003b.

186  Camodeca 2003a.

187  Camodeca 1999b et plus largement Camodeca 2005 sur les propriétés sénatoriales en Campanie.

188  Pour le détail de l’affaire, voir Camodeca 2009c.

189  Lerouxel 2008.

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