1Dans cette partie du livre sont examinés des parcours individuels ou collectifs qui amènent les instances étatiques à se positionner face à une série de situations inédites. On y voit se succéder des individus bannis dans la République de Venise entre le début du XVII^e et la seconde moitié du XVIII^e siècle, puis des minorités protestantes soumises à une forte pression judiciaire qui aboutit à leur condamnation suivie d’exil dans la Hongrie catholique de la fin du XVII^e siècle. Dans la Toscane du milieu du XVIII^e siècle se dessine une vaste gamme d’étrangers (pèlerins, marchands…), parmi lesquels peu sont dans une situation d’exil ou de refuge. Mais la manière dont l’État des Habsbourg-Lorraine met en œuvre des mécanismes de contrôle ou de protection renvoie à une grammaire du traitement des étrangers commune à de nombreux États de l’Europe d’Ancien Régime. Les trois dernières situations mises en scène concernent deux Indiens qui traversent la France en pleine Révolution en 1793 sur le chemin de l’Angleterre en y éprouvant les incertitudes de l’hospitalité, des émigrés français recherchant asile et protection à Venise en 1794-1795, enfin des exilés italiens du XIX^e siècle qui trouvent refuge à Malte lors des échecs des divers mouvements qui ont jalonné le Risorgimento à partir de 1820-1821.

2Si les pratiques de l’exil et la mise en place de procédures d’accueil par certains pays débouchent sur la reconnaissance progressive d’un droit d’asile à partir du XVII^e siècle, il existe de nombreuses utilisations possibles de ces déplacements de populations. Ceux-ci jouent un rôle tout particulier dans le cadre des relations internationales. Un État souverain ne se débarrasse pas aisément de populations bannies ou exilées, car d’une part celles-ci en étant expulsées échappent à la juridiction souveraine de l’État dont elles relevaient, d’autre part elles constituent une monnaie d’échange dans les relations entre États. Ce second cas de figure est celui des protestants de Hongrie qui en étant repoussés par le pouvoir catholique des Habsbourg et de leurs évêques sont susceptibles d’être soutenus soit par l’Empire ottoman en lutte contre l’Europe chrétienne et cherchant les moyens de l’affaiblir, soit surtout par les États protestants d’Europe du Nord qui font perdurer à l’occasion des procès et des déportations de protestants une compétition à la fois politique et religieuse avec l’Empereur.

3Une ligne de force de cette troisième partie est de mettre l’accent sur la dimension diplomatique, sur les tensions entre États, sur l’usage que ces derniers sont tentés de faire de présences étrangères dont parfois ils fabriquent de toutes pièces l’étrangeté en stigmatisant un groupe confessionnel au sein même d’une nation. Aux bannis échappant à la souveraineté de l’État qui s’en sépare à regret répond la vision moderne d’un droit d’asile qui ne peut être refusé à celui qui a cherché refuge dans un autre État. De leur côté, les protestants minoritaires dans la Hongrie limitrophe de l’Empire ottoman sont accueillis dans des pays où ils bouleversent certaines lignes en suscitant un réveil religieux tel que celui qu’incarne le cercle des piétistes réuni autour de Philipp Jacob Spener dans les Provinces-Unies. Un siècle plus tard vient le tour de ces Indiens que la France de la Convention songe à utiliser comme des espions. La présence d’étrangers et notamment des exilés suscite le désir de les apprivoiser, de les exploiter, mais aussi de sauvegarder leurs intérêts afin de préserver la capacité qu’a une communauté étrangère bien intégrée de contribuer à la bonne santé économique du pays, ainsi qu’on le voit à Livourne sous l’autorité du grand-duc François de Lorraine.

4Même s’il y a toutes raisons de se méfier des émigrés qui sont civilement morts dans leur pays, et d’éviter que leur présence ne provoque une rupture des relations diplomatiques avec la France, le gouvernement vénitien n’en reste pas moins tenté d’emboîter le pas à l’Espagne quand son représentant déclare que les biens d’un Français exclu de la citoyenneté dans son pays et mort à l’étranger ne sauraient revenir à la France. L’exil devient bien un enjeu de politique internationale, et on le mesure encore davantage en observant l’attitude de l’Angleterre en Méditerranée. Après s’être emparé en 1800 de l’île de Malte, qu’il ne lâche plus, le gouvernement britannique tente tout au long du XIX^e siècle d’introduire ses principes démocratiques en Méditerranée. En y introduisant certes avec lenteur la liberté de la presse, il fait de Malte un lieu de la convergence des exilés venus de la péninsule italienne et dans le même temps un pôle d’influence qui complète son programme de domination du monde au nom de la liberté.