2) Daenerys Targaryen : figure de pouvoirs, archétype en mouvement
Texte intégral
1Dans l’univers médiéval-fantasy de Game of Thrones, saga littéraire et série télévisée, les personnages féminins jouent un rôle éminent dans la lutte pour l’appropriation du pouvoir, intrigue centrale de l’œuvre. Alors que certaines protagonistes se conforment aux archétypes médiévaux ou les dépassent, Daenerys Targaryen apparaît à la fois comme le personnage le plus complexe, en lien avec différents types de pouvoir, et le moins médiévalisant, véritable héroïne fantasy projetée dans une quête transcendante. Néanmoins, l’étude des rapports qu’elle entretient avec le pouvoir révèle le substrat médiéval qui construit son personnage.
2Au carrefour de plusieurs tropes médiévalisants, princesse Daenerys apparaît d’abord comme le vecteur d’un pouvoir masculin. C’est à travers elle que les hommes, tels son frère, son époux ou son fils à naître, gagnent en puissance.
3Dame, Daenerys l’est dans le sens courtois du terme. Elle fait l’objet du désir du chevalier Jorah Mormont, sur qui elle exerce, involontairement, un pouvoir amoureux. Dans l’ignorance puis le déni de ces sentiments, elle enlise son ami dans le dépit amoureux, transformant sa convoitise en dévotion digne d’un chevalier honnête et valeureux.
4Après la disparition de son époux, le statut de veuve de Daenerys lui donne accès à un pouvoir suppléant. Une domination masculine héritée s’exprime à travers elle et lui octroie une légitimité indéniable. Au Moyen Âge, la veuve représente une puissance stérile, asexuée, véhiculant des valeurs positives de bonté et de générosité. Sans descendance ni possibilité d’enfanter, elle devient la mère des laissés-pour-compte.
5Métaphoriquement, Daenerys Targaryen est également Mère des Dragons, ayant ramené l’espèce à la vie. Le substantif « mère » est ici dénué du sème de « génitrice ». Cette distanciation souligne l’aspect extraordinaire du personnage, en lien avec un pouvoir surnaturel transcendant.
6Toutefois, George R. R. Martin fonde un univers fantasy sur des tropes médiévaux qu’il déconstruit, par la suite, afin de révéler leur complexité inhérente, soulignant la caractéristique première du pouvoir, mouvance et instabilité.
7Le trope de la dame courtoise incarnant le désir charnel inassouvi est subverti par le biais de sa relation avec Daario Naharis. Les codes courtois sont détournés quand la reine succombe à son propre désir et ce pour contenter son propre plaisir. Elle sort du cadre fantasmagorique confinant les femmes puissantes à la binarité sexuelle.
8Car si la protagoniste est une mauvaise reine, c’est son idéalisme et ses valeurs positives inflexibles qui en sont la cause. La justice aveugle devient une injustice dans un système de valeurs absolutistes. À l’image de ses ancêtres, Daenerys est une conquérante.
9Dès le début de la saga, elle interroge, comprend, prend possession et détourne le pouvoir politique initialement masculin. Magicienne imbrûlée, princesse au contrôle des dragons et non à leur merci, elle apprend à maîtriser son pouvoir, et ce en acceptant son côté obscur, brutal et cruel. Les contradictions que Daenerys représente transparaissent à mesure que sa domination s’intensifie.
10L’évolution personnelle du personnage suit, en effet, celle de son pouvoir, dans un parcours initiatique esquissant étape par étape l’archétype de l’héroïne fantasy. Dans la série, les couleurs soulignent son déplacement d’un archétype à un autre.
11Habillée de rose pale, elle aspire à l’apaisement et à la sécurité et incarne l’Innocent. Vêtue de bleu azur symbolisant la maternité virginale, ou de marron lié à la terre mère, Daenerys renvoie à l’archétype du Créateur renouvelant le monde, du Magicien détenant un pouvoir surnaturel, du Soignant préoccupé par le bien-être des autres et de l’Explorateur tendant à la liberté.
12Sans nuances, le blanc habillant la reine renvoie à sa volonté de contrôle absolu et caractérise le Dirigent. Mélangeant toutes les couleurs, le noir annonce la réunion et la consolidation de l’ensemble des archétypes et appelle le personnage à évoluer. Une mutation ponctuant une quête de pouvoir, certes, mais de soi avant tout.
13Daenerys Targaryen est un archétype d’héroïne de gritty fantasy, sous-genre de la fantasy mêlant l’épique et l’historique entre fantastique et vraisemblable. La construction complexe de la figure de l’héroïne propose, dans ce cadre, une réflexion sur l’essence du pouvoir, son fonctionnement et ses conséquences.
14Loin du simple raccourci, la concentration de traits médiévalisants et d’archétypes complexes fait du personnage de Daenerys Targaryen une héroïne hors normes, figure de pouvoirs aux dynamiques mouvantes. Sa complexité la rend criante d’humanité et d’universalité, les stéréotypes de pouvoir se fondant et s’effritant simultanément en elle. Dans l’univers construit par George R.R. Martin, cette représentation contribue à une esthétique d’écriture réaliste spécifique à la gritty fantasy contemporaine, dont Daenerys Targaryen devient l’archétype.
Auteur
Université de La Manouba-Université d’Artois
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