1Fondée au VII^e siècle, l’abbaye de Saint-Riquier a connu son apogée à l’époque carolingienne. Ayant échappé à la destruction à la Révolution française, elle appartient au département de la Somme depuis 1972. En 2012, l’abbaye a obtenu le label de centre culturel de rencontre. Par conséquent, le département de la Somme a confié la gestion de l’abbaye de Saint-Riquier à une association dirigée par Anne Potié. En octobre 2016, un ossuaire a été découvert à l’abbaye de façon fortuite. À cette occasion, j’ai eu l’opportunité de me rendre à Saint-Riquier et de rencontrer Anne Potié et un guide de l’abbaye. Mais en discutant avec le guide, je me suis rendu compte que l’abbaye avait tendance à réinterpréter et à idéaliser son histoire à des fins touristiques. Il s’agissait en effet d’accroître son rayonnement afin d’attirer le plus de visiteurs possible (avec notamment le projet d’ouvrir un hôtel-restaurant haut de gamme sur le modèle des hôtels Paradores). L’exemple de Nithard illustre parfaitement cette tendance à la réinterprétation et à l’idéalisation de l’histoire de l’abbaye de Saint-Riquier. Petit-fils de Charlemagne, Nithard est né vers 800, il fut abbé laïque de Saint-Riquier et mourut au combat, vraisemblablement en 844. Ses ossements, découverts lors de fouilles en 1989, sont aujourd’hui conservés à l’abbaye. Nithard est principalement connu pour être l’auteur, entre 841 et 843, de l’Histoire des fils de Louis le Pieux dans laquelle il raconte le conflit opposant à la même époque Lothaire, Louis le Germanique et Charles le Chauve. Dans cette œuvre, il évoque les serments de Strasbourg échangés le 14 février 842 entre Louis le Germanique, Charles le Chauve et leurs armées respectives. Ces serments sont très célèbres car Nithard en a donné le texte en langue romane et en langue tudesque. Sachant cela, l’abbaye de Saint-Riquier a cherché à valoriser Nithard de plusieurs façons. Sur son ancien site Internet, plusieurs pages lui étaient consacrées et, sur l’une d’elles (http://www.ccr-abbaye-saint-riquier.fr/pages/maison-de-l-ecrivain/nithard.html), on pouvait lire que Nithard est le premier écrivain de langue française. Un hommage solennel a été rendu à Nithard, à Saint-Riquier, le 7 novembre 2015. À cette occasion, une plaque en son honneur a été dévoilée juste devant le portail central de l’église. L’abbaye voulait également créer une « Maison de l’écrivain Nithard » qui devait être une reconstitution numérique de l’environnement et des occupations d’un aristocrate franc du milieu du IX^e siècle. Dans sa démarche de valorisation de Nithard, l’abbaye a reçu le soutien de Bernard Cerquiglini, professeur à l’Université de Paris VII. Celui-ci a notamment rédigé un article, intitulé « Tombeau de Nithard », qui a été publié dans le catalogue de l’exposition sur les Carolingiens qui a eu lieu à Saint-Riquier en 2014. Il a également donné une conférence sur Nithard lors de l’hommage solennel rendu à celui-ci le 7 novembre 2015. Il a enfin écrit un livre, intitulé L’invention de Nithard, qui est paru en octobre 2018. De façon générale, Bernard Cerquiglini considère que Nithard est le premier écrivain de langue française voire même l’inventeur de la langue française. Toutefois, l’Histoire des fils de Louis le Pieux est une œuvre rédigée en latin dans laquelle il n’y a que quelques mots en langue romane et en langue tudesque. Nithard est donc un des plus anciens témoignages d’une langue ancêtre du français actuel mais on ne peut pas dire qu’il est le premier écrivain de langue française. De même, étant donné que les langues évoluent et se construisent au fil du temps et n’ont donc pas de date de naissance absolue, on ne peut pas dire non plus que Nithard est l’inventeur de la langue française. De toute évidence, la valorisation excessive de Nithard par l’abbaye de Saint-Riquier n’avait donc d’autre but que d’augmenter artificiellement son prestige et son attractivité. Dans tous les cas, les ambitions de l’abbaye ont été réduites à néant pour des raisons politiques. En effet, à la suite des élections départementales de mars 2015, le département de la Somme est passé de gauche à droite et le montant des subventions accordées à l’abbaye a nettement diminué. L’année 2017 a été marquée par le départ d’Anne Potié puis par la mise en liquidation judiciaire de l’association chargée de la gestion de l’abbaye. Le département de la Somme a finalement annoncé en mars 2018 qu’il reprenait en direct la gestion de celle-ci. Depuis, la démarche de valorisation de Nithard a été abandonnée et les pages qui lui étaient consacrées ont été supprimées du site Internet de l’abbaye. On peut voir dans cette décision une réduction des ambitions de cette dernière due à la réduction de son budget mais aussi un retour à la raison sur le plan scientifique.

Bibliographie

2Cerquiglini 2018
Nithard, Histoire