1Sismondi accorde une part marginale au Haut Moyen Âge dans sa monumentale Histoire des républiques italiennes du Moyen Âge (1807-1818), cette période lui servant avant tout à poser les bases de la naissance des villes italiennes. Cependant, le contact entre les peuples du Nord et du Sud – une question omniprésente chez les lettrés depuis la Renaissance et destinée à connaître une grande postérité lors du XIX^e siècle – représente dans sa pensée une étape clé. Ce serait l’origine de la naissance du caractère italien conduisant à terme à la liberté des communes. La rencontre et la fusion progressive entre les populations italiennes et septentrionales, les Ostrogoths, les Lombards puis les Francs, marque le temps de gestation de la civilisation communale qui n’aurait pu naître sans cette étape. Les peuples du Nord ont contribué à régénérer les peuples du Sud : ils ont insufflé leur énergie, liée à l’esprit d’indépendance septentrionale, à des citadins méridionaux qui avaient conservé de leur passé antique le sens du bien commun, de la patrie et de la sociabilité. Les uns ne pouvaient se battre pour une civitas dont ils n’avaient pas conscience quand les autres avaient perdu le courage de se sacrifier pour elle. Ce mélange de valeurs a permis aux populations de reprendre leur liberté et de prospérer sous des régimes républicains. Le caractère italien, issu du mélange du Sud et du Nord, s’est alors peaufiné grâce au monde urbain communal, il s’est affirmé sous des traits bourgeois, et a donné à l’Italie une forme d’apogée civilisationnel, par contraste avec les autres pays européens féodaux et nobiliaires. Néanmoins, pour Sismondi, les vertus des hommes, dans une perspective machiavélienne et rousseauiste, dépendent des lois et non de facteurs immuables comme le sang ou le milieu.

2L’arrivée de seigneurs et de tyrans à la tête des républiques, à partir de la fin du XIII^e siècle, a provoqué une corruption de l’identité italienne sous l’effet de mauvaises lois, ce processus étant différé selon les régions et les époques. Cette dégénérescence locale était compensée par un esprit global de liberté entretenu par des cités indépendantes comme Florence. Mais, avec le XVI^e siècle, ce caractère s’est étiolé et entièrement perverti. Au contact des Espagnols, l’ethos bourgeois a laissé place à des valeurs aristocratiques annihilant les vertus et les mœurs originelles des Italiens. Pour Sismondi, cette évolution a été accrue par quatre facteurs. La religion tridentine a contribué à altérer le sens moral des Italiens tout en les rendant profondément superstitieux. L’éducation, prodiguée par les structures ecclésiastiques, a affaissé leurs corps et avili leurs esprits, la population devenant docile et prompte à se soumettre à toute forme d’autorité et d’absolutisme. La législation judiciaire, dévoyée par les princes, a éloigné les Italiens d’une institution censée garantir le bien commun, la criminalité est devenue omniprésente car le sens de la justice s’est étiolé dans une société méfiante à l’égard d’un système corrompu. Le dernier facteur est la notion d’honneur introduite par les Espagnols en Italie. Initialement, elle avait permis de susciter un mouvement positif en faisant renouer les Italiens avec le métier des armes, une pratique marginale depuis le XIII^e siècle. Mais le courage militaire, celui du sacrifice pour la patrie, n’a pas été maintenu comme une marque de distinction sociale, la lâcheté s’affirmant publiquement. De l’honneur, les Italiens n’ont gardé que les traits les plus négatifs : l’obsession de la vengeance, qui se traduit dans des vendette cruelles et sanglantes, loin des normes réglées du duel européen.

3Chez Sismondi, le Moyen Âge est érigé en référent pour penser le présent italien. C’est à cette époque que la civilisation italienne a atteint son apogée et acquis un caractère distinctif. La dégénérescence est intervenue à l’époque moderne, laquelle a conféré aux Italiens des traits négatifs, la superstition, les valeurs aristocratiques, l’arbitraire politique et la violence, critiqués par les Européens. Les legs néfastes ne sont plus ceux des temps médiévaux mais ceux de la modernité ayant annihilé les progrès entamés au Moyen Âge. Néanmoins, pour Sismondi, ces changements relevant d’un processus historique, politique et culturel, les Italiens ne sont pas condamnés par déterminisme, celui du milieu ou des héritages ataviques, à demeurer irrémédiablement dans le déclin. A l’avenir, en renouant avec la liberté, ils pourront se régénérer et dépasser la gloire de leurs ancêtres médiévaux.

Bibliographie

4Casalena 2018
Sismondi, Histoire
Tabacco 1990