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L’économie du ‘mouchoir’ : crédit et microcrédit à Venise au XVIIIe siècle

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Matteo Pompermaier

Deuxième partie - L’expérience et la tradition : marchés, offres et choix

Chapitre 10 - La structure du marché du crédit vénitien au XVIIIe siècle

Volltext

Entre passé et présent : le microcrédit et les pawnshops

  • 1 Par exemple, certains monts-de-piété acceptaient aussi des dépôts et, dans certains cas, effectuai (...)

1L’activité des banques du Ghetto, des monts-de-piété, des bastioni et des osterie, est caractérisée par la même ferme conviction de l’autorité publique qu’elle représentait un soutien fondamental et indispensable à la population pauvre. L’existence même de ces institutions était en effet subordonnée à cette fin précise, à tel point que la République ne manquait pas de le répéter dans les documents officiels régissant leur fonctionnement (cela vaut également pour les monts-de-piété de la terre ferme, puisque leur établissement devait être autorisé par Venise). De ce point de vue, un parallèle très intéressant peut être établi avec les institutions contemporaines de microcrédit et plus généralement de microfinance1.

  • 2 Botti – Corsi – Zacchia 2017, p. 101-102.
  • 3 Yan 2015, p. 53, 54.

2Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est peut-être préférable d’expliquer en quelques mots ce que l’on entend aujourd’hui par microcrédit. Très brièvement, il s’agit d’un instrument par lequel on tente de fournir divers services financiers à ceux qui, pour une raison quelconque, en sont exclus. Les causes les plus fréquentes de ce que l’on appelle exclusion financière sont l’absence de garanties et les asymétries d’information, qui entraînent des coûts de transaction tellement élevés que le système bancaire classique n’est pas en mesure de les couvrir avec les bénéfices générés par une offre de prêts et services de montants limités2. Les objectifs visés par les institutions de microcrédit et les moyens d’y parvenir sont très semblables à ceux que nous avons vus auparavant, dans le cas des bastioni, osterie, monts-de-piété et banques juives : il s’agissait de fournir un service de prêt accessible à tous, surtout à ceux qui en étaient habituellement exclus, une façon d’offrir un moyen de subsistance aux pauvres et, dans une certaine mesure, de stimuler les investissements. Outre leurs objectifs et leurs méthodes, les institutions de microcrédit contemporaines montrent qu’elles partagent aussi certaines limites avec leurs ancêtres, puisque, tout en prétendant soutenir la population pauvre, elles ne s’adressent généralement qu’à ceux qui, bien qu’économiquement vulnérables, possèdent un revenu minimum et des moyens suffisants pour pouvoir rembourser leur dette, du moins en théorie3.

  • 4 Commission Européenne 2012, p. 3.
  • 5 Bembo 1859, p. XVI.

3Le microcrédit est considéré à ce jour comme « un canal de financement efficace pour la création d’emplois et l’inclusion sociale », capable d’atténuer « les effets négatifs des crises financières et de favoriser l’entreprenariat et la croissance économique »4. Assurer l’accès à une source de microcrédit, même pour ceux qui sont victimes de l’exclusion financière, est actuellement considéré comme un bon moyen de lutter contre la pauvreté et d’encourager l’entrepreneuriat. Il est intéressant de noter qu’au XIXe il n’y a pas la même conception : le comte Bembo, que nous avons déjà rencontré au cours de ce texte, incluait l’activité de crédit des banques juives et des bastioni parmi les interventions “subventionnaires”, c’est-à-dire celles qui ne fournissaient qu’une aide totalement provisoire à la population pauvre de la ville5.

4Dans l’introduction, nous avons déjà eu l’occasion de réfléchir au sens du terme “pauvreté”, un concept difficile à définir, surtout dans une perspective historique. De plus, la pauvreté constitue en effet une catégorie qui renferme plusieurs niveaux de misère, avec des différences nettement plus prononcées par rapport à celles que l’on trouve dans le groupe opposé des “riches” : il est clair que la différence entre avoir des ressources et en avoir beaucoup plus n’est pas comparable à celle qui existe entre en avoir peu ou pas du tout.

  • 6 Par rapport au sujet de la pauvreté, voir l’introduction.

5Une autre différenciation entre “pauvretés” réside dans la déclination temporelle d’une crise, selon si elle est de nature cyclique ou structurelle. La pauvreté cyclique est liée à une phase de difficultés économiques temporaires, dont les causes, la durée et les tendances peuvent varier (une maladie, une catastrophe naturelle, etc.). La pauvreté structurelle, en revanche, est une situation de manque de ressources généralisée et d’impossibilité d’en obtenir dans le futur : dans ce cas, tous les objets engagés dans une opération de prêt sont perdus, puisque l’argent obtenu n’est rien de plus qu’une anticipation d’un revenu futur inexistant (comme c’était le cas de Catterina Vesentina, évoqué dans le chapitre 3)6.

6Dans le contexte du marché du crédit, le fait qu’un individu soit affligé par une pauvreté conjoncturelle ou structurelle a des effets complètement différents. Prenons le cas d’un pêcheur expérimenté qui, en raison de conditions météorologiques défavorables, ne peut plus exercer son métier pendant longtemps. Il peut avoir besoin de recourir au marché du crédit pour obtenir, en engageant certains de ses objets, l’argent nécessaire pour traverser cette période de conjoncture défavorable. Une fois le beau temps revenu et sa profession habituelle reprise, le pêcheur pourra disposer de nouvelles ressources et décider d’en utiliser une partie pour racheter les objets précédemment engagés. Il n’aura alors plus la nécessité de recourir à un prêteur jusqu’à ce qu’un autre besoin ou un nouvel épisode défavorable survienne. Bien sûr, il peut aussi décider de faire une nouvelle demande de prêt, mettre en gage sa maison ou les bijoux de sa femme afin d’acheter un bateau plus grand qui lui permettra d’aller plus loin et de pêcher dans des bancs de poissons plus riches : dans ce cas, cependant, la situation serait très différente par rapport à la précédente. Si, en revanche, toute la population devenait soudainement allergique au poisson, le pêcheur, trop âgé pour apprendre une nouvelle profession et passer à un autre secteur, serait contraint de recourir à toutes ses finances pour survivre. Dans l’espoir que la mystérieuse allergie passe, il n’aurait d’autre choix que de mettre en gage tous ses objets pour obtenir l’argent dont il a besoin, devenant à ce moment-là un homme dans un état de pauvreté structurelle.

7Bien qu’extrêmement simplifiée, cette histoire montre qu’outre la valeur moyenne des prêts, la fréquence des engagements (et donc le nombre de transactions effectuées) et le taux de remboursement sont également deux indices à prendre en compte pour évaluer la qualité de la demande. En effet, les individus en situation de pauvreté structurelle ont un besoin beaucoup plus fréquent d’obtenir de l’argent à crédit et, en même temps, sont beaucoup moins susceptibles de racheter leurs gages, dont la valeur sera de moins en moins élevée.

  • 7 Voir Carter – Skiba 2012, p. 202.

8L’économie du “mouchoir” montre qu’une pauvreté en termes de revenu ne coïncide pas toujours avec une absence générale de richesse. Les nombreux petits objets que chacun possédait, un drap inutilisé, une vieille robe, faisaient tous partie d’un capital toujours disponible. Le fait de pouvoir compter sur un grand nombre d’objets dont l’on pouvait se séparer en cas de besoin était une richesse, quoique dans un sens peu conventionnelle. D’autre part, la situation n’est pas réellement différente aujourd’hui encore : les pauvres qui vivent dans les pays développés ne sont pas entièrement privés de toute ressource mais, au contraire, possèdent des objets, investissent le peu d’argent dont ils disposent pour acheter des biens qu’ils mettent ensuite en gage en cas de besoin (généralement des objets technologiques comme les téléphones portables, ordinateurs, etc.)7.

  • 8 Woller 2007, p. 14-15.
  • 9 Voir Ferlito 2006, p. 131-135, tableaux 10, 11, 12.

9L’extension des services financiers aux pauvres entraîne inévitablement des coûts plus élevés pour le créancier et donc un bénéfice unitaire moins élevé. D’autre part, il est clair qu’effectuer un seul prêt coûte beaucoup moins cher que de diviser le même montant en 50 transactions différentes, à cause de l’incidence majeure des coûts de transaction. En effet, tous les prêteurs doivent effectuer des opérations de screening concernant les éventuels débiteurs, c’est-à-dire évaluer le niveau de risque de défaillance et la perte en capital qui pourrait en résulter. Il s’agit actuellement de l’une des incitations les plus fortes pour les institutions de microcrédit à “se déplacer” vers un marché plus élevé, excluant finalement la part de la demande pour laquelle elles ont été créées8. Il s’est produit en partie la même chose dans certains monts-de-piété qui souvent trouvaient un intérêt à accepter des gages de valeur plus importante, en “oubliant” partiellement leurs finalités de bienfaisance. Ce “déplacement”, en effet, impliquait un rendement plus élevé des prêts et une diminution simultanée de leur nombre (la demande de prêts d’un montant plus élevé est généralement inférieure à celle des microcrédits), en permettant de réduire les coûts d’évaluation et de stockage des objets. Il est facile de faire ce constat en parcourant simplement les inventaires des différents monts-de-piété de la péninsule italienne, qui répertorient de nombreux objets et bijoux précieux9. Toutefois, il ne s’agissait pas exactement dans ce cas d’un vrai déplacement, mais plutôt d’une ouverture à un marché “supérieur”, qui servait aussi à financer les opérations de crédit des pauvres.

10Les banques du Ghetto auraient également souhaité suivre la même dynamique afin d’accroître leurs revenus, augmenter la valeur moyenne des prêts et ainsi servir une clientèle proportionnellement plus riche : la République est cependant intervenue à plusieurs reprises, en premier lieu en limitant le montant maximum payable dans chaque opération de crédit, qui fut définitivement fixé à 3 ducats par banque à partir de 1573. Les bastioni et les osterie étaient exclus de ce phénomène en raison des caractéristiques structurelles de leur service de prêts sur gage. En effet, le caractère mixte des opérations et le fait qu’au moins un tiers du crédit était payé en vin, ne convenaient absolument pas dans le cas de montants élevés et, par conséquent, les incitations à ce déplacement à la hausse étaient beaucoup plus faibles (du moins du point de vue de la demande). Ceci est aussi clairement démontré par le fait que la limite maximale des prêts a été fixée seulement en 1747, soit beaucoup plus tard que pour les banques juives : de plus, le montant maximum était de 10 ducats, un chiffre qui pour l’ensemble des opérations au XVIIIe siècle, a été dépassé dans 0,1 % des cas seulement (96 % des prêts étaient inférieurs à 10 livres vénitiennes, soit moins de 1 ducat et demi).

  • 10 Voir Morduch 2000.
  • 11 Reichert 2016, p. 8-9.
  • 12 Morduch 2000, p. 617, 618.
  • 13 Pour exemple, voir Porteous 2006, fig. 1, 2, 3, p. 6, 7, 9.

11En 2000, moins de 5 % des institutions de microcrédit dans le monde étaient financièrement autosuffisantes. Plusieurs explications ont été données à cela, en se focalisant surtout sur leur approche par rapport à l’activité de prêt. En effet, elles sont très souvent divisées entre la réalisation de deux buts opposés qui se chevauchent et engendrent ce que des chercheurs ont appelé ’le schisme de la microfinance’ : il s’agit en substance d’un compromis (trade-off) entre des objectifs sociaux et financiers10. Si les intérêts sociaux prévalent, on privilégie ce que l’on appelle la depth of outreach, c’est-à-dire la “profondeur de la portée”, la capacité d’atteindre les clients les plus pauvres ainsi que les plus chers à servir. Les institutions de microcrédit qui se concentrent sur des objectifs financiers (essentiellement celles qui doivent garantir un rendement économique aux investisseurs), favorisent la breadth of outreach, l’étendue du public des débiteurs, y compris les moins pauvres11. Le premier groupe comprend les organisations non gouvernementales (ONG), financées par des capitaux publics ou privés et essentiellement à but non lucratif. Dans le second cas, on trouve tous les établissements de crédit davantage orientés vers les principes de la bonne pratique bancaire, qui doivent parfois être appliqués même s’ils sont en contradiction avec l’esprit social12. Au fil des années, ces dernières ont progressivement prévalu : la nécessité de rentabiliser les investissements et d’accumuler du capital sont quelques-unes des raisons pour lesquelles l’accès au crédit dans de nombreuses institutions de microcrédit, notamment dans les pays en développement, implique un coût du capital extraordinairement élevé13.

12On retrouve le même affrontement entre les promoteurs des objectifs sociaux et financiers dans la relation entre la République et l’Università des Juifs. La crise financière des banques entre les XVIIe et XVIIIe siècles a été une conséquence directe de l’absence de réformes structurelles visant à rétablir l’ordre dans les comptes de l’Università elle-même. Elle était saignée par la nécessité de faire face simultanément à l’augmentation de la demande de crédit et aux requêtes pressantes des pouvoirs publics qui demandaient d’investir davantage de fonds dans les prêts. En réalité, il ne s’agissait pas d’un véritable conflit, car le pouvoir de négociation était exclusivement entre les mains du gouvernement vénitien, qui a toujours clairement placé les intérêts des pauvres devant les nécessités de financement des banques. Afin de remettre en ordre les finances des banques, il aurait donc fallu accroitre les taux d’intérêt, réduire la durée des prêts et augmenter leur valeur moyenne (supprimant la limite du montant maximum de 3 ducats), conformément à ce qui a été fait par de nombreuses institutions de microfinance de nos jours. Cependant, les autorités vénitiennes refusaient catégoriquement d’intervenir en ce sens, en continuant à se plaindre du fait que les Juifs évitaient de prendre en gage les objets des plus pauvres en raison du manque de capitaux.

13Les monts-de-piété ont su répondre au besoin de financement en se présentant comme une alternative sûre et rentable où les particuliers pouvaient déposer leur argent (l’aspect spirituel s’ajoutait bien sûr à l’aspect matériel). Pour faire face au paiement des intérêts aux débiteurs, les Monts spéculaient sur la différence positive entre le taux payé sur les dépôts et le taux exigé sur les prêts (généralement autour de 2-3 %), ainsi que sur la durée moyenne plus courte d’un prêt (le capital déposé pouvait ainsi “tourner” plusieurs fois avant d’être rendu).

  • 14 Guirkinger 2008, p. 1437.

14La situation des bastioni et des osterie, en revanche, semble très différente, puisqu’ils n’étaient pas financés de l’extérieur mais basaient leur activité sur la liquidité fournie par une seule famille (osterie) ou par un propriétaire-investisseur (la plupart des bastioni). De plus, c’était un crédit alimenté de manière tout à fait inhabituelle, en raison de l’absence officielle de taux d’intérêt et à cause du lien étroit entre le commerce des capitaux et celui du vin. Normalement, plus les prêts sont modestes et nombreux, plus les coûts pour l’institution (ou le particulier) qui les débourse sont élevés : dans ce cas, le prêt d’argent et la vente de vin étaient deux activités qui se compensaient en se soutenant mutuellement, créant un cercle vertueux pour l’activité de l’oste ou du bastionere. Il s’agit d’une sorte d’économie d’envergure, dans laquelle des bénéfices (qui se traduisent en revenus) sont générés par la production conjointe de produits différents ou la réalisation d’objectifs différents avec les mêmes facteurs de production (mêmes ressources, équipements ou savoir-faire)14. Finalement, la clé pour comprendre comment ce circuit de crédit a réussi à prospérer et à maintenir dans le temps ses caractéristiques originelles, liées à la vie quotidienne et au soutien des classes populaires, résidait précisément dans la synergie, la complémentarité entre le service de prêt sur gage et la vente simultanée du vin.

  • 15 Ibid., p. 1445.

15Au-delà des similitudes, bien sûr, on observe aussi de nombreuses différences entre les institutions de microcrédit et les bastioni, monts-de-piété et banques du Ghetto, dont la plus évidente est que les trois dernières accordaient des prêts sur gage. Le microcrédit repose en effet habituellement sur la réputation des individus concernés et les prêteurs doivent donc être bien insérés dans des réseaux d’interconnaissance et être en mesure d’évaluer la réputation des débiteurs. Dans les pays en développement, où l’agriculture est la première source de revenus, les créanciers observent souvent l’état des cultures de ceux qui leur demandent de l’argent, afin d’estimer le degré de risque des investissements15.

16De l’autre côté, le fait que chaque prêt soit garanti par un gage nous permet de créer un autre parallèle, en considérant ces institutions comme une sorte de précurseur des prêteurs sur gages modernes ou pawnshops. Bien qu’aujourd’hui les pawnshops jouent souvent un rôle secondaire sur le marché, du moins en termes quantitatifs, ils opèrent eux-aussi dans des contextes financiers très développés, comme par exemple celui des États-Unis. Ils répondent à une demande de crédit jugée à haut risque, constituée de ceux qui ne disposent pas de garanties suffisantes pour accéder à l’offre de crédit conventionnelle (par exemple celle des banques).

  • 16 Ching Chan – Owyong 2007, p. 59, 63.

17La présence d’un gage élimine le problème de l’aléa moral et de l’asymétrie d’information, garantissant l’investissement du créancier, qui est assuré de pouvoir reprendre possession de son argent en vendant simplement l’objet reçu en garantie. Il n’est donc pas nécessaire que le prêteur recoure à des screenings et à des actions de surveillance, ce que les banques, par exemple, sont obligées de faire. Il s’agit d’un avantage important, puisque les coûts de ces opérations ne peuvent être couverts que par des prêts à moyen et long terme et d’un montant suffisamment élevé : c’est précisément pour cette raison que les banques ont du mal à répondre à la demande de crédit faible et fréquent, qui s’adresse alors aux prêteurs sur gages16.

  • 17 Ibid., p. 59.

18L’activité des pawnshops n’exige pas un capital initial excessivement élevé, à tel point qu’il s’agit souvent d’entreprises familiales, financées uniquement par le patrimoine de leurs membres17. Il est intéressant de noter que la même chose se produisait dans le cas des banques juives sur la terre ferme : à Venise, au contraire, elles étaient financées par une institution, l’Università des Juifs, qui se finançait directement en taxant chaque Juif résidant dans la capitale. Toutefois, la responsabilité de la gestion des banques était confiée à trois familles privées par le biais des adjudications, ce qui démontre que cette structure “familiale” avait tendance à se répéter. Comme nous l’avons déjà dit, même les bastioni et les osterie étaient financés par l’argent d’un seul investisseur-propriétaire : un marchand de vin bastionere dans presque tous les bastioni, ou une famille dans le cas des osterie.

  • 18 Ibid., p. 60.

19Les risques pour les prêteurs sur gages reposent entièrement sur l’évaluation correcte des gages, afin de minimiser les pertes en cas de défaillance du débiteur. Ce n’est pas un hasard si la position de l’estimateur (ou évaluateur) est absolument essentielle dans l’organigramme de gestion, une profession qui, aujourd’hui comme hier, n’implique pas un apprentissage ou une école et ne peut s’apprendre que sur le terrain18.

  • 19 Ibid. ; En considérant le volume d’objets vendus pendant les enchères publiques des gages des bast (...)

20La condition de base d’une entreprise de prêteur sur gages est l’existence d’un marché de l’occasion suffisamment développé pour permettre la vente rapide des gages des débiteurs insolvables19. Les données qui ressortent de l’analyse des registres des bastioni et des osterie par rapport aux enchères publiques, suggèrent non seulement qu’à Venise un tel marché existait réellement, mais aussi qu’il était suffisamment développé pour permettre aux créanciers de récupérer l’argent investi sans trop de dépenses en termes de temps et d’argent.

Le marché du crédit vénitien au XVIIIe siècle : une analyse quantitative

  • 20 Reichert 2016, p. 9.
  • 21 Ching Chan – Owyong 2007, p. 62.

21Pour commencer à comprendre quel était le rapport entre les offres de crédit qui composaient le marché du crédit à Venise au XVIIIe siècle, il est possible de comparer la valeur des prêts accordés. Le montant d’un prêt est souvent considéré comme proportionnel à la richesse du débiteur (plus le prêt est petit, plus le débiteur est pauvre), mais ce n’est pas toujours vrai. En effet, lorsque l’accès au crédit est limité, un “client” bien que riche, peut être obligé d’emprunter une petite somme même si cela implique des coûts élevés20. En outre, la simple valeur moyenne des prêts ne tient pas compte d’autres variables telles que le type et les conditions du crédit ou même les caractéristiques spécifiques de l’institution qui l’a déboursé. Dans le cas des prêts sur gage, la présence de nombreuses petites valeurs est synonyme d’une depth of outreach plus importante, puisqu’elles reflètent plus fidèlement la richesse à disposition de ceux qui les ont engagées21. Il est clair qu’un public de débiteurs plus riches mettra en gage plus probablement des objets pour une valeur globale plus élevée qu’un public plus pauvre, simplement parce que l’ensemble des objets dont disposent les premiers sera proportionnellement plus élevé. Bien que l’on puisse imaginer que toute personne, même la plus riche, peut posséder des biens de valeur modeste, nous devons considérer qu’un débiteur n’est pas incité à demander un prêt inférieur à ce dont il a besoin, car cela signifierait devoir retourner sur le marché dans un bref délai, augmentant proportionnellement les coûts impliqués.

22Cette section est consacrée à la comparaison de la valeur des prêts accordés par chacun des circuits de crédit analysés jusqu’à présent, afin de chercher à comprendre comment les différentes offres ont été réparties, en fonction de la composition (richesse) des clients qui y font appel. De cette façon, nous pourrions avancer des hypothèses par rapport à la depth of outreach de chacune des offres de crédit analysées jusqu’à présent.

  • 22 Reichert 2016, p. 9.
  • 23 ASVe, Giustizia Nuova, b. 40, fichier « Giovanni Orzali, 28 luglio 1701 ».

23Un autre moyen d’atteindre le même objectif serait de vérifier et de comparer le pourcentage de femmes ayant accès à un prêt dans les différents circuits. En effet, on considère que plus la composante féminine est importante, plus une offre de crédit favorise l’ampleur de son champ d’action, car les femmes sont presque toujours économiquement – et pas seulement – plus vulnérables que les hommes et il est donc plus difficile de répondre à leurs besoins22. Malheureusement, nous ne disposons à cet égard que de données comparables en ce qui concerne les prêts des bastioni et osterie et ceux des banques du Ghetto. En juillet 1702, le ragionato (comptable) Giovanni Orzali fut chargé de revoir les 70 livres produites par le masser Tommaso Brusa dans le cadre des ventes aux enchères des gages non rachetés entre mars 1699 et février 170023. Au total, le ragionato énumérait 1761 personnes qui n’avaient pas encore reçu le surplus provenant de la vente de leurs objets aux enchères : on y compte 1 391 hommes et seulement 369 femmes, soit un pourcentage d’environ 80 % contre 20 %.

  • 24 ASVe, Inquisitori sopra l’Università degli ebrei, b. 50, fichier « Pegni 1790 1mo settembre – 31 d (...)

24En ce qui concerne les banques, on peut se référer au même registre que celui utilisé pour analyser l’activité de prêt : les femmes représentent 21,15 % du total des personnes qui ont engagé un objet et 28,47 % de celles qui en ont racheté un pendant la même période24. Si l’on considère que la liste précédente relative aux bastioni et aux osterie concerne des articles vendus et donc engagés mais non remboursés, on peut dire que dans les deux cas le ratio hommes-femmes était d’environ 4 pour 1. Ne pouvant pas compter sur d’autres comparaisons, il n’est pas possible de faire d’hypothèses sur ce que ce pourcentage signifie en termes absolus, mais on sait au moins que, de ce point de vue, les deux offres de crédit étaient très similaires.

Les données

25Concernant la valeur des prêts, l’échantillon le plus complet concerne certainement l’activité de prêt des bastioni et des osterie, puisqu’on utilise la même base de données que celle déjà utilisée au cours du texte, qui contient plus de 30 000 valeurs de prêts déboursés au cours du XVIIIe siècle.

  • 25 Les remboursements peuvent être étudiés dans cette analyse car ils indiquent le montant prêté net (...)
  • 26 Cité par Pullan 1982, p. 630.

26Par rapport aux banques du Ghetto, cependant, les données sont beaucoup moins nombreuses et se limitent au registre susmentionné, qui contient une liste de 572 prêts décaissés et de 425 remboursements25. Dans celui-ci, la valeur des prêts atteint jusqu’à 55,8 livres décimales vénitiennes, ou 9 ducats, le maximum autorisé par la loi (3 ducats pour chacune des trois banques). Cela signifie qu’à ce stade, les valeurs sont réelles et ne sont pas divisées entre plusieurs tickets. Bien sûr, il existe des cas où plusieurs billets de la valeur de prêt maximale sont au nom du même débiteur, ce qui nous amène à supposer qu’il s’agit d’un seul prêt d’une valeur supérieure, mais c’est un défaut de la source dont il faudra tenir compte pour l’analyse des données. De manière générale, les informations qui nous sont parvenues sur l’activité des banques juives vénitiennes sont peu nombreuses : nous avons déjà dit que, bien que depuis 1573 ils pouvaient prêter jusqu’à 3 ducats par gage, l’une des critiques les plus répandues que la République leur ait faite était que « un grand nombre d’individus qui ne sont pas pauvres et qui veulent obtenir entre 40 et 50 ducats à la fois, font diviser les gages en différents tickets et entre plusieurs banques » (comme cela est visible également dans notre source)26.

  • 27 Un tiers des objets ne dépasse pas le ducat (6,2 livres) et seulement 14 % représentent plus de 10 (...)
  • 28 Ibid., p. 239, traduit par l’auteur ; l’Ormesino est un tissu de soie fine et légère qui était uti (...)

27Une série d’inventaires des banques des années 1730 donnent d’autres informations par rapport à la qualité d’objets engagés. L’un d’entre eux date de juin 1635 et concerne l’activité de prêt de Salomon, fils de Simone Levi, qui avait une simple participation dans l’une des banques vénitiennes. Il contient 336 objets répartis entre vêtements et linges – évalués au total à plus de 5 000 ducats (15 ducats en moyenne par objet) – suivis par l’argenterie (173), les montres (115) et les bijoux (7), dont la valeur dépasse 6 000 ducats. On y trouve aussi des objets plus modestes, comme une seule perle, des bobines de fil d’or et d’argent et un rang de perles de verre doré : ceux-ci constituent cependant un pourcentage marginal du total. Un autre inventaire du début du XVIIe siècle relatif à l’activité d’une banque de la terre ferme vénitienne, reflète une situation très similaire : une grande partie des objets catalogués sont très précieux, comme des pièces d’argenterie et des chaînes en or qui valent au total plus de 4 500 livres27. En général, le type de service fourni par les banques « ne semble guère viser les besoins de prêt à des clients pauvres : même les vêtements répertoriés dans l’inventaire sont l’expression d’un univers matériel luxueux ou du moins très riche, avec des draps de voiles de soie fins (“zendadi”), des vêtements en ormesino, des nappes de Flandre »28. Ces éléments renforcent la thèse selon laquelle les banques du Ghetto étaient le point de référence pour les personnes de différents milieux sociaux, y compris les classes aisées de la société qui, du fait de la rareté de l’argent en circulation, avaient besoin de liquidités pour leurs investissements ou pour faire face à une dépense.

28Comme nous l’avons déjà souligné, le mont-de-piété de Venise n’a été fondé que très tardivement, plus précisément en 1806 (mais il a pris ce titre plus tard encore, en 1829). Dans ce cas, on se concentre sur ce qui se passait au même moment sur la terre ferme, en considérant principalement trois Monts, c’est-à-dire ceux de Trévise, Padoue et Vérone : les villes qui les accueillaient étaient de grands marchés, des centres économiques de première importance et des carrefours le long de l’axe qui reliait la capitale à son arrière-pays. De plus, les sources montrent qu’ils étaient suffisamment proches de la capitale pour avoir une influence sur le marché vénitien du crédit.

29Bien que ces instituts aient été basés sur une structure originale commune et malgré l’existence d’une riche bibliographie – souvent pauvre en détails techniques – qui s’est chargée d’en décrire le fonctionnement, comparer l’activité des différents monts-de-piété n’est pas une tâche facile. Il faut en effet tenter de séparer la structure d’une institution de ses événements spécifiques, dans un contexte où nous constatons un fort manque d’homogénéité des données qui, par exemple, ne permet pas d’effectuer des comparaisons précises même sur de simples taux d’intérêt des prêts et des dépôts.

  • 29 Silvano 2005, p. 193.

30De manière générale, à Padoue le taux d’intérêt sur les prêts est resté stable aux alentours de 5 %, sauf pendant certaines périodes d’urgence où il a été augmenté. Les dépôts, contrairement à presque toutes les autres institutions de ce type, n’ont jamais été rémunérés : les particuliers étaient incités à y déposer leur argent du fait de la sécurité offerte par l’institution, mais surtout parce que l’argent qui se trouvait dans les caisses du Monte ne pouvait pas être saisi29.

  • 30 Sartor 2000, p. 100-101.

31À Trévise, en revanche, entre le XVIIe et le XVIIIe siècle, les intérêts exigés sur les prêts se situaient entre 3 % et 5 %, tandis que les dépôts rapportaient en moyenne 3 %. Pendant de courtes périodes, comme par exemple pendant la peste de 1628 et 1631, les dépôts rémunéraient 5 % à l’année afin d’attirer des capitaux et compenser le manque de liquidité30.

  • 31 Ferlito 2009, p. 120-123. J’ai utilisé le tableau qui se trouve à la page 122.
  • 32 Pour une comparaison plus large, on peut considérer qu’en 1795 le mont-de-piété de Paris avait plu (...)

32Le cas du mont-de-piété de Vérone est beaucoup plus documenté. Jusqu’en 1544, l’institution n’accordait que des prêts gratuits et plus tard, probablement en raison de l’augmentation des coûts de fonctionnement, le Mont a été divisé en un « petit » et un « grand » afin de séparer l’activité de prêt gratuit et rémunérée, qui prévoyait un taux annuel fixé à 6 %. En raison d’un incendie, à partir de 1631 le Mont a été autorisé à demander 8 % sur une base annuelle en suspendant temporairement l’activité de prêt gratuit. Après le remboursement des pertes, en 1709 les taux d’intérêt redescendirent rapidement à 4 % et l’activité de prêt gratuite reprit, quoique seulement de façon occasionnelle. Au fil des années, la demande d’argent augmenta tellement que le volume des décaissements devint insoutenable et le 26 août 1719, l’intérêt fut définitivement porté à 5 %. Finalement, en 1735, le prêt gratuit fut limité aux sommes comprises entre 1 et 8 sous31. En ce qui concerne la valeur des prêts, nous savons seulement qu’au XVIIIe siècle elle était compris entre 10 et 20 livres vénitiennes32.

Tab. 57 – Taux d’intérêt sur les prêts, mont-de-piété de Vérone.

Période Prêt gratuit Prêt à intérêt (%/année)
1490 - 1544 Exclusivement prêt gratuit
1544 - 1631 Seulement pour un certain montant 6 %
1631 - 1700 Non 8 %
1700 - 1709 Occasionnellement 6 %
1709 - 1719 Pas de prêt gratuit 4 %
1719 - 1735 Pas de prêt gratuit 5 %
1735 - 1797 Seulement pour les montants compris entre 1 et 8 sous 5 %

Source : Ferlito, Il monte di pietà di Verona, p. 122.

  • 33 Le voyage pouvait se faire entièrement en bateau, en remontant la Brenta, ou en bateau jusqu’à la (...)
  • 34 Bien qu’il soit plus éloigné, nous avons étudié le Mont de Vérone et non celui de Vicence parce qu (...)

33À partir de ce bref aperçu, on constate principalement une chose : emprunter dans l’un des monts-de-piété de la Vénétie ne coûtait généralement pas cher. Cependant, il faut tenir compte du fait que le voyage nécessaire pour se rendre dans ces villes n’était pas gratuit pour les Vénitiens, et que cette dépense avait un impact significatif sur le coût total de l’accès au crédit, surtout en cas de besoin fréquent de petits prêts. Dans la section dédiée à l’analyse de l’activité des monts-de-piété, nous avons parlé du temps et des dépenses nécessaires pour rejoindre Padoue depuis Venise : pour couvrir les 35-40 km qui séparent les deux villes, il fallait au moins 5 heures et entre 6 et 8 livres33. Vérone était encore plus loin (environ 105 km à vol d’oiseau) et on peut donc imaginer qu’y aller était plus coûteux en termes de temps et d’argent34. Par contre, aller à Trévise était beaucoup plus facile : l’un des pegnaroli, intermédiaires entre Venise et les monts-de-piété de la terre ferme y habitait, mais il se rendait à son bureau à Venise tous les jours. C’est précisément du fait de ces déplacements quotidiens qu’il était responsable de l’engagement et du rachat des objets déposés au Mont de sa ville de résidence pour au moins 3 de ses “collègues”. Mais si le voyage était possible, cela ne signifie pas qu’il était gratuit : de manière générale, il faut considérer qu’à la fin du XVIIe siècle pour traverser la lagune et revenir il fallait payer 2 livres, soit environ 2/3 de la valeur moyenne d’une opération de prêt dans un bastione. Il est certain que dans le cadre d’une demande fréquente et de faible importance typique de l’économie du “mouchoir”, un individu n’aurait guère trouvé d’avantage à se rendre jusqu’à Trévise, encore moins à Padoue ou à Vérone.

34En ce qui concerne le crédit informel, en revanche, les données sont très rares – voire presque totalement absentes – et ne permettent pas d’être prises en compte dans ce type d’analyse quantitative. Nous avons déjà eu l’occasion de présenter quelques théories sur la composition de la clientèle de cette offre de crédit, mais il s’agissait finalement d’un ensemble très hétérogène. Le manque de données nous empêche d’en faire une série à inclure dans notre comparaison : d’ailleurs, les chiffres sont souvent très éloignés les uns des autres et vont de quelques livres à des montants beaucoup plus élevés.

35Enfin, terminons ce bref aperçu par le crédit notarié. Nous avons déjà démontré qu’il s’agit d’une offre structurellement différente, impliquant des prêts de montants très éloignés de tous les autres. C’est précisément pour cette raison qu’il a été décidé de l’exclure de la comparaison, en limitant l’échantillon aux prêts inférieurs à 100 livres vénitiennes. Les sommes prêtées dans le cadre de contrats d’un livello affrancabile – tant celles qui ressortent de l’analyse de Corazzol par rapport à 1591, que ceux d’Alvise Bergantini du milieu du XVIIIe siècle – sont toutes d’un montant supérieur.

36Le résultat de la comparaison est présenté dans le graphique ci-dessous (graphique 32).

Graphique 32 – répartition des valeurs des prêts, bastioni et osterie, banques du Ghetto et mont-de-piété de Vérone

Graphique 32 – répartition des valeurs des prêts, bastioni et osterie, banques du Ghetto et mont-de-piété de Vérone

Rectangle gris : valeur moyenne de prêt, mont-de-piété de Vérone
Sources : ASVe, Giustizia Nuova, bb. 3, 7, 16, 17, 18, 22, 35, 40, 41, 42 ; ASVe, Inquisitori sopra l`Università degli Ebrei, b. 50 ; Ferlito, « Su un progetto di fondazione di un Monte di Pietà a Venezia (1778-1779) », p. 294.

  • 35 Ferlito 2009, p. 294.

37Ce graphique nous fournit des informations très intéressantes. Tout d’abord, le chevauchement entre différentes sources de crédit était évité par l’absence d’un mont-de-piété. Le rectangle en gris correspond à la valeur moyenne des prêts accordés par le Mont de Vérone – le seul pour lequel nous disposons de données en ce sens – qui se situaient à peu près entre 10 et 20 livres vénitiennes35. Même si l’on ne dispose pas de données très précises, la correspondance avec le pic de l’activité des banques est suffisante pour imaginer que les deux institutions auraient probablement été en concurrence si un Monte avait été mis en place dans la capitale. Les frais liés au déplacement faisaient des Monts de la terre ferme une source de crédit valable seulement dans le cas de prêts d’un montant assez élevé pour limiter leur incidence. De plus, il faut tenir compte aussi des pertes en termes du temps : il est très difficile d’imaginer que quelqu’un puisse décider de consacrer une journée entière pour se rendre à Padoue afin d’obtenir un prêt de quelques livres, plus encore dans le cas d’un besoin fréquent de crédit. Finalement, tout cela explique aussi le grand succès de l’activité des Pegnaroli, qui faisaient le lien entre Venise et les monts-de-piété de la terre ferme.

38Le graphique (graphique 32) permet de constater l’existence d’une structure du marché caractérisée par une concurrence plutôt limitée. En partant de la gauche, il y a les bastioni et les osterie, c’est-à-dire l’offre qui proposait des crédits de la valeur la plus basse dans l’absolu. Même si l’on trouve dans les sources des prêts pour des montants supérieurs à 100 livres, il s’agit d’un échantillon si petit qu’il est pratiquement négligeable : en général, 96 % des prêts avaient un montant inférieur à 10 livres et plus de 70 % inférieur à 3. Il est donc possible d’imaginer, par conséquent, que même les objets engagés avaient une valeur modeste, ce qui me porte à croire que la clientèle était composée en grande partie des individus les plus pauvres (donc une plus grande depth of outreach). Bien sûr, rien n’aurait empêché le plus riche patricien de la ville de mettre en gage un mouchoir dans un bastione en échange d’une bouteille de vin, ce qui pourrait suggérer que la corrélation entre la valeur des prêts et la richesse du débiteur est risquée, voire fausse. Même s’il est vrai que la valeur misérable d’un objet ne reflète pas toujours la situation économique de la personne qui l’a engagé, il faut considérer que c’est toutefois statistiquement très probable.

  • 36 Milano 1956, p. 223.
  • 37 Muzzarelli 2001, p. 208-214

39En continuant le long de l’axe des abscisses, il y a les banques du Ghetto. Attilio Milano avait expliqué la différence entre ces dernières et les monts-de-piété en la comparant à celle qui existe entre un hôpital public et une clinique privée, mais cette définition semble dériver davantage d’un préjugé que du fonctionnement réel des deux institutions36. De manière générale, l’activité des banques juives de la terre ferme n’a pas connu de limites comparables à celles imposées aux banques vénitiennes. Grâce à cette plus grande liberté, elles ont pu occuper une place différente sur le marché. Dans leurs statuts d’origine, les Monts comptaient parmi leurs objectifs la lutte contre l’usure juive, à laquelle ils devaient répondre par une concurrence impitoyable, limitant de plus en plus le nombre de clients qui s’y rendaient. Il n’existe pas d’études qui comparent d’un point de vue quantitatif les activités des banques avec celles des monts-de-piété et on ne dispose donc pas des données nécessaires pour définir clairement quels étaient les destinataires potentiels des deux activités : en tout cas, plusieurs recherches démontrent que, comme on l’a déjà dit, « les clients des banques étaient certainement très variés et assez souvent d’un profil social élevé »37. À Venise, cependant, la situation était très différente et leur activité, ainsi que leurs objectifs, auraient été largement similaires à ceux d’un mont-de-piété, qui toutefois n’existait pas.

40Il serait très intéressant de comprendre à qui s’adressaient les Vénitiens qui avaient besoin d’un prêt compris environ entre 4 et 9 ducats, soit exactement à mi-chemin entre les deux sommets générés par l’activité de crédit des bastioni et banques du Ghetto. Malheureusement, nous ne disposons pas des éléments nécessaires pour répondre à cette question, mais on peut imaginer que la demande de crédit dans cette fourchette de valeurs était également plus faible.

41Pour résumer, il est possible d’esquisser sur la base de la valeur des prêts une classification selon laquelle les bastioni et les osterie sont suivis par les banques du Ghetto et, idéalement, par les monts-de-piété de la Terre Ferme. Si quelqu’un avait besoin de davantage d’argent et possédait les garanties nécessaires, il pouvait s’adresser à l’un des nombreux bureaux de notaires actifs dans la ville (environ soixante-dix), où il pouvait conclure un contrat de livello affrancabile ou d’autres types de rentes commerciales (par exemple, lettres de change) ou immobilières.

  • 38 Voir pour exemple ASVe, Arti, b. 405ter, f.o 24v.

42Le crédit informel, en revanche, correspondait principalement à une partie de la demande qui ne trouvait pas sa place sur le marché officiel. Les raisons de ce décalage (mismatch) entre l’offre et la demande sont multiples et découlent des particularités de l’offre vénitienne et probablement aussi des règles strictes en matière d’accès au crédit formel. Par exemple, l’activité déjà mentionnée des pegnaroli compensait l’absence d’un Mont à Venise et la distance qui séparait Venise de ceux de la terre ferme. Le fait qu’un bastionere devait payer la troisième partie de chaque prêt en vin pouvait être un désavantage stratégique pour ceux qui n’avaient besoin que d’espèces ou plus simplement dans le cas de montants plus élevés. De plus, il fallait se rendre dans des lieux, les bastioni, qui ne jouissaient pas exactement d’une bonne réputation, fréquentés par toutes sortes de gens et souvent le théâtre d’épisodes de violence et de meurtres38.

  • 39 Deheija – Montgomery – Morduch 2012, p. 445-446.

43Les banques du Ghetto, par contre, auraient pu représenter une solution plus avantageuse, mais les prêts étaient limités à 3 ducats et, entre le XVIIe et le XVIIIe siècle notamment, elles manquaient probablement souvent de liquidités : par conséquent, il est très probable qu’une partie de la demande restait insatisfaite. Enfin, il ne faut pas oublier l’importance du recours aux intermédiaires et les aspects pratiques qui y sont liés, même si cela impliquait une augmentation considérable du coût du capital. En général, les études sur les marchés du crédit des pays en développement démontrent qu’au sein d’un échantillon de ménages pauvres, ceux à faible revenu sont habituellement les plus sensibles à toute hausse des taux d’intérêt. Cela signifie que, suite à une augmentation du coût du capital, le portefeuille de prêts d’une institution tend à se déplacer vers une clientèle relativement plus riche (bien que toujours pauvre en termes absolus)39. Le contexte du crédit informel vénitien du XVIIIe siècle semblait être caractérisé par des taux d’intérêt très élevés, ce qui suggère que ceux qui y avaient recours n’appartenaient pas à la catégorie des “pauvres parmi les pauvres”.

Les caractéristiques de l’offre et de la demande : un marché segmenté

Les variables de la demande

44En observant la situation d’un point de vue global, on constate que nous sommes confrontés à ce que l’on peut définir comme un marché segmenté. La segmentation consiste à identifier des catégories de consommateurs qui diffèrent dans ce qu’ils s’attendent d’un bien ou, dans ce cas, d’un service. Une telle procédure fait normalement suite à une étude de marché réalisée par une entreprise, qui vise à identifier les segments les plus significatifs, c’est-à-dire homogènes en leur sein et inégaux entre eux. Ainsi, les entreprises peuvent limiter leurs efforts et optimiser leurs ressources en les concentrant sur un objectif plus précis – un seul des segments du marché – de façon à être en mesure de répondre plus précisément aux besoins des consommateurs. Une segmentation correcte, en effet, permet d’augmenter la probabilité statistique d’obtenir un résultat économique positif, en vendant un produit mieux adapté à une demande spécifique.

45Dans le cas d’une maison de mode ou d’un constructeur automobile, il est facile de comprendre que la segmentation vise à augmenter le nombre de ventes et la compétitivité de l’entreprise : il est cependant plus complexe de comprendre pourquoi la structure de l’offre de crédit à Venise au XVIIIe siècle semble suivre une logique similaire. Il est peu probable qu’il y ait réellement eu une analyse de marché à l’origine et il est également difficile de croire que tout cela ait été organisé par la République, même si elle a certainement joué un rôle, même inconsciemment.

46À cet égard, trois décisions politiques principalement ont eu des effets cruciaux sur la définition de la structure du marché. Tout d’abord, l’autorisation officielle (et l’élaboration d’un dispositif réglementaire) accordée aux osti et aux bastioneri pour pouvoir prêter sur gage. Cela a permis le développement d’un circuit de crédit qui n’existait pas ailleurs, qui fondait son existence sur la façon particulière dont les prêts étaient accordés et sur la superposition entre crédit et consommation. Par la suite, la volonté des banques juives de continuer à faire prévaloir les objectifs sociaux sur les objectifs financiers : cela se traduisit principalement par des interventions visant à régler la valeur des prêts (3 ducats à partir 1573), pour maintenir un taux d’intérêt bas et augmenter le capital global investi. Enfin, la forte opposition à l’institution d’un mont-de-piété dans la capitale, qui, au XVIIIe siècle, s’était transformée en une incapacité objective de le faire. Finalement, la segmentation du marché du crédit était le résultat d’une série d’interventions – nous ne savons pas dans quelle mesure elles furent volontaires – de politique économique et sociale de part de la République, plutôt que d’une stratégie marketing visant à interpréter et à satisfaire la demande.

47Du côté de la demande, plusieurs variables peuvent orienter un individu vers l’une ou l’autre des offres de crédit. La première évaluation, hier comme aujourd’hui, est liée aux motivations qui poussent un individu à emprunter de l’argent. Il est facile de comprendre que le crédit à la consommation entraine des besoins et des montants différents par rapport à ceux d’un investissement, et que les acteurs ne sont pas les mêmes. Deuxièmement, la possibilité d’obtenir un prêt – et sa qualité – dépend des possibilités d’accès au marché des individus, c’est-à-dire de leur richesse matérielle. La segmentation reflétait également les garanties (biens mobiliers ou immobiliers) que les individus possédaient et dont ils étaient prêts à se séparer, ne serait-ce que temporairement. En effet, il est facile de comprendre que, même s’il s’agit d’opérations analogues sur le plan théorique, hypothéquer un champ ou une maison plutôt que mettre en gage un objet en argent, une paire de boucles d’oreilles ou un mouchoir sont des actions profondément différentes et reflètent souvent la condition de l’agent. Ainsi, les besoins qui sous-tendent un prêt et les garanties sur lesquelles un individu peut compter pour l’avoir, constituent probablement les deux premiers facteurs qui peuvent orienter sa décision de se tourner vers l’un ou l’autre des circuits de crédit.

48Ensuite, une autre variable clé résidait dans le coût du capital, c’est-à-dire le taux d’intérêt, les coûts fixes et toutes les autres dépenses connexes (par exemple les déplacements, le temps perdu, etc.). Les coûts d’un prêt sont étroitement liés aux besoins qui conduisent à emprunter. Ils augmentent d’une façon inversement proportionnelle au montant d’argent emprunté et les petits montants impliquent généralement des intérêts plus élevés en raison des coûts de transaction (et du fait qu’ils sont habituellement demandés par des clients plus pauvres et donc plus “à risque”). En fin de compte, un livello affrancabile était proportionnellement beaucoup moins cher qu’un prêt accordé par un oste, alors que des offres de crédit plus similaires ont à leur tour des coûts plus homogènes. Encore une fois, il s’agit d’un facteur étroitement lié à la motivation qui pousse une personne à s’endetter.

49Par ailleurs, les caractéristiques de chaque offre avaient un impact décisif : en effet, si quelqu’un devait acheter du vin à crédit, il aurait probablement été plus enclin à se tourner vers un bastione ou une osteria, alors que si ce même individu n’avait voulu obtenir que de l’argent, il aurait peut-être recouru aux banques du Ghetto ou à un prêteur informel (à un mont-de-piété de l’une des villes de la terre ferme ou à un notaire, selon ses besoins et possibilités). Enfin, il existait une série de causes exogènes qui pouvaient intervenir, en fonction ou non de la volonté de l’individu, telles que l’éventuel manque d’argent de la part du créancier, l’aversion ou la sympathie pour un individu ou un lieu, la proximité ou la distance du lieu de travail/résidence, etc.

50Pour résumer, parmi les variables qui pouvaient orienter la demande, il y a :

  • - la nature même de la dette, c’est-à-dire ses motivations d’origine (crédit à la consommation, investissements, etc.), qui se reflète également dans le montant emprunté ;
  • - la disponibilité et le type de garanties sur lesquelles un individu pouvait compter ;
  • - le coût du capital ;
  • - les conditions liées au déboursement du prêt ;
  • - d’autres causes exogènes.

51En combinant les informations dont on dispose par rapport aux différentes offres de crédit avec ces catégories, nous pouvons essayer de comparer les différentes offres de crédit du point de vue de la demande, afin de comprendre pourquoi un individu choisissait l’une plutôt que l’autre.

Concurrence entre les circuits de crédit ?

52Compte tenu de ce qu’on a déjà avancé jusque la, y a-t-il des raisons de croire qu’il existait une relation de concurrence entre les différentes sources de crédit ? Dans cette section, nous essayons de répondre à cette question et, pour ce faire, nous devons nous plonger dans le contexte du marché du crédit vénitien du XVIIIe siècle. Comparer des situations ou des moments différents n’aurait pas beaucoup de sens, car chaque événement a ses propres caractéristiques ; nous partons donc d’un cas réel afin de comprendre ce qui se serait passé si la réponse au besoin de crédit avait été différente. Le choix s’est porté sur un cas qui fait référence à l’offre de crédit dont les conditions sont probablement les plus difficiles à reconstituer, à savoir le marché informel. Nous utilisons en particulier l’exemple d’Isabetta Barbaro dont on a déjà parlé dans le chapitre sur le crédit entre particuliers (chapitre VI) et qui est brièvement résumé ci-dessous.

  • 40 Guirkinger 2008, p. 1442.

53Pendant le carnaval de 1706, le manque d’argent conduisit Isabetta Barbaro, épouse du patricien Andrea Barbaro, à mettre en gage deux robes de chambre. Par l’intermédiaire de l’un de ses serviteurs, la noble dame entra en contact avec deux intermédiaires, qui avaient servi de lien avec le créancier. Pour le moment, les raisons pour lesquelles Barbaro avait choisi de recourir au crédit informel ne sont pas claires : on imagine que le recours aux services des deux intermédiaires avait probablement rendu l’opération beaucoup plus pratique, rapide et discrète. De plus, ce type d’accord comprend souvent des règles plus souples par rapport à son équivalent officiel40.

  • 41 Voir ASVe, Signori di Notte al Civil, b. 341, documents non numérotés, 21 mai 1706.
  • 42 Isabetta a versé à titre d’intérêts 3,1 et 1,75 livres vénitiennes décimales : bien que les taux s (...)

54Quoi qu’il en soit, les deux femmes avaient engagé les deux robes respectivement pour 3 ducats (18,6 livres) et 10 livres et plus tard, quand Isabetta décida de les racheter, elle n’avait pas pu les récupérer et avait donc signalé l’incident aux autorités judiciaires41. Lorsque le serviteur s’était présenté au début du mois de mai avec l’argent nécessaire pour racheter les deux robes – qui avaient été engagées au cours des premiers jours de février, 3 mois plus tôt – il avait payé des intérêts d’environ 66,72 % et 70 % (sur une base annuelle)42. Il n’est pas possible de savoir si ces taux sont le résultat d’un accord particulièrement favorable ou non, mais en général, plus le prêt est court et plus le montant est bas, plus les coûts sont élevés : dans ce cas, il s’agit précisément d’une opération de ce type.

55Nous utilisons ce cas comme point de départ pour une série de comparaisons dans le but de comprendre quelles auraient été les conditions si la noble dame avait décidé de recourir à l’une des offres de crédit officielles disponibles sur le marché vénitien au début du XVIIIe siècle. L’objectif est de comprendre les raisons à l’origine de son choix.

56Nous ne savons pas pourquoi cette femme avait décidé d’emprunter de l’argent, mais sur la base du simple montant, on peut considérer que le besoin de crédit d’Isabetta était comparable à celui de ceux qui choisissaient d’aller dans les banques du Ghetto ou dans l’un des monts-de-piété de la terre ferme, plus rarement dans un bastione ou une osteria. À l’appui de cette thèse, les objets engagés appartiennent à une catégorie, celle des vêtements féminins, qui comprend une grande partie des gages déposés dans ce type de circuits de crédit. Au contraire, cela n’a aucun sens de faire la comparaison avec le crédit notarial, car le montant et les garanties en jeu ne correspondent pas. Nous nous concentrons sur les autres variables qui, à mon avis, pouvaient orienter la demande, à savoir le coût du capital, les conditions liées aux prêts et la présence de causes exogènes éventuelles.

57Les conditions de prêt dans les banques au début du XVIIIe siècle prévoyaient un taux d’intérêt de 5 % par an (5,5 % à partir du 1721). Il est clair qu’il y avait une grande différence avec les taux d’intérêt du marché informel, même si l’on considère que le recours aux banques entraînait certains coûts fixes. En effet, pour chaque gage – qui pouvait valoir au maximum 3 ducats – le débiteur était tenu de payer une commission d’un sou. L’incidence de ce coût variait proportionnellement à la valeur du gage : en considérant hypothétiquement une évaluation égale des deux robes, à savoir 3 ducats (18,6 lires) et 10 livres, Isabetta aurait dû payer 5 % d’intérêt par an, plus un sou pour chacun des vêtements, ce qui porte l’intérêt final respectivement à 5,27 % et 5,5 % (contre 67 % et 70 %).

Graphique 33 – Comparaison entre crédit informel et banques du Ghetto (10 livres, 30 jours).

Graphique 33 – Comparaison entre crédit informel et banques du Ghetto (10 livres, 30 jours).

Sources : ASVe, Inquisitori sopra l’Università degli Ebrei, b. 1 ; ASVe, Signori di Notte al Civil, b. 341.

Graphique 34 – Comparaison entre crédit informel et banques du Ghetto (18,6 livres, 30 jours).

Graphique 34 – Comparaison entre crédit informel et banques du Ghetto (18,6 livres, 30 jours).

Sources : voir graphique 33.

58En comparant la tendance d’une dette de 18,6 et 10 livres dans les deux circuits de crédit – marché informel et banques des Juifs – nous obtenons le résultat décrit dans les graphiques ci-dessus (graphiques 33 et 34). Dans ces conditions, si l’on considère uniquement le coût du capital, il ne semble pas y avoir de doutes : les taux exigés par le créancier informel sont environ 13 fois plus élevés que ceux des banques, frais compris.

  • 43 ASVe, Scansadori alle spese superflue, b. 122, documents non numérotés, « Tariffa delli prò sopra (...)

59Toutefois, il est vrai également que le fait que les intérêts courent sur une base quotidienne ou mensuelle change considérablement les choses (dans le cas contraire, il n’y aurait pas de différence entre rembourser un prêt après une semaine ou le 30e jour). Dans de nombreux manuels de mercatura (commerce), les tableaux élaborés pour aider le marchand dans ses calculs avaient une base quotidienne, exactement comme les tableaux utilisés par les employés des monts-de-piété43. Nous ne pouvons donc pas exclure que les particuliers et les banques du Ghetto pouvaient faire de même. De plus, dans le cas d’un prêt privé entre individus, il existe habituellement une plus grande flexibilité, qui laisse une plus grande marge de négociation entre les parties et, si quelqu’un n’avait besoin d’argent que pour une période limitée, il pouvait faire pression afin que les intérêts soient calculés sur une base quotidienne. Dans le graphique suivant (graphique 35), nous avons tenté de simuler le coût pour Isabetta si les banques avaient appliqué un intérêt sur une base mensuelle et le prêteur informel sur une base quotidienne (prêt de 10 livres vénitiennes).

Graphique 35 – Comparaison entre crédit informel (intérêts sur base quotidienne) et banques du Ghetto (intérêts sur base mensuelle), 10 livres, 1 mois.

Graphique 35 – Comparaison entre crédit informel (intérêts sur base quotidienne) et banques du Ghetto (intérêts sur base mensuelle), 10 livres, 1 mois.

Sources : voir graphique 33.

60Même avec ces caractéristiques, la comparaison confirme que pour Isabetta Barbaro les banques du Ghetto auraient sans doute été un moyen d’accéder à un crédit plus économique que le marché informel. En tout cas, si l’on était à la recherche d’un prêt à court terme et d’un petit montant, l’écart entre les deux offres se réduisait de manière décisive. En effet, les coûts de transaction, bien que presque négligeables, étaient appliqués au moment où l’opération était effectuée et avaient un impact significatif surtout sur les petits prêts à très court terme.

61Les conditions plus strictes des banques (limitation des prêts à 3 ducats par objet) n’auraient pas posé de problèmes dans ce cas, car ce qu’Isabetta Barbaro a obtenu sur le marché informel (ce qu’elle avait demandé aux intermédiaires, parce que les vêtements auraient peut-être pu être engagés pour plus d’argent) rentrait dans les conditions imposées par la République. Il est donc probablement nécessaire de chercher ailleurs les raisons de sa préférence pour le marché informel : peut-être considérait-elle les banques du Ghetto comme un lieu réservé aux pauvres, une catégorie à laquelle elle ne se sentait pas appartenir ; ou encore, le choix pouvait être dû à la simplicité, la commodité et la flexibilité offertes par la possibilité d’interagir avec des intermédiaires qui s’occupaient de tous les aspects liés à l’opération. Enfin, la crise financière que les banques traversaient à l’époque pourrait avoir profondément compromis leur opérativité et elles travaillaient probablement selon un régime de rationnement du crédit.

62Nous avons déjà souligné que l’absence d’un mont-de-piété dans la capitale n’avait pas empêché ses habitants de recourir à ceux qui existaient dans les villes de la terre ferme. Les sources montrent que les Vénitiens, en particulier les catégories plus aisées (ceux qui en avaient les moyens), s’y rendaient en cas de besoin. Comme il a été mentionné à plusieurs reprises, la distance impliquait un coût en termes de temps et d’argent justifiable uniquement par une transaction de crédit d’une certaine valeur.

  • 44 Voir Ferlito 2009, en particulier le chapitre 4 « Il sistema veneto dei monti di pietà », p. 259 e (...)
  • 45 Voir Sartor 2000, p. 90.
  • 46 ASVe Milizia da Mar, b.809 et Milizia da mar, b. 850, 01/05/1795.

63La décision de concentrer notre analyse sur les Monts de Trévise, Padoue et Vérone n’est pas le fruit du hasard et s’explique par le fait que, dans un contexte où la mobilité intra et inter urbaine était très développée, il est nécessaire de considérer ces institutions comme faisant partie d’un système et non comme des points isolés et imperméables entre eux44. Dans le cas d’un prêt comme celui demandé par Isabetta Barbaro, le choix le plus logique aurait certainement été de réduire autant que possible les dépenses et de se tourner vers le mont-de-piété le plus proche de la capitale, à savoir Trévise. Dans ce cas, la bibliographie sur le sujet s’avère extrêmement avare en détails techniques, car nous savons seulement qu’entre le XVIIe et le XVIIIe siècle, les intérêts sur les prêts se situaient entre 3 % et 5 %45. Dans le graphique ci-dessous (graphique 36), on simule un prêt de 18,6 livres vénitiennes décimales en considérant le taux le plus bas (3 %) calculé sur une base quotidienne, auquel s’ajoute le coût de la seule traversée en bateau de la lagune (égal à 2 livres à la fin du XVIIe siècle), sans compter le trajet jusqu’au centre-ville46.

Graphique 36 – Comparaison entre crédit informel et mont-de-piété de Trévise (18,6 livres, 30 jours).

Graphique 36 – Comparaison entre crédit informel et mont-de-piété de Trévise (18,6 livres, 30 jours).

Source : ASVe, Signori di Notte al Civil, b. 341 ; Sartor, Il monte di pietà di Treviso, p. 90.

64Malgré la grande différence entre les taux d’intérêt (3 % contre 66,7 %), les dépenses nécessaires pour le voyage rendaient absolument désavantageux pour Isabetta Barabara de se rendre jusqu’au Mont de Trévise. Les conditions du prêt étaient similaires à celles offertes par les banques du Ghetto et il ne semblait pas y avoir de causes exogènes capables de compenser cette grande différence en termes des coûts. Il n’y a pas grand-chose à ajouter : dans le cas d’un prêt d’un montant et d’une durée limités, entre les deux offres le marché informel est beaucoup plus avantageux.

65L’activité de prêt des bastioni et des osterie se distinguait des autres par son caractère “mixte”, puisqu’en engageant un objet il était possible d’obtenir de l’argent, du vin et/ou de la nourriture. Nous savons qu’officiellement, il n’y avait aucun taux d’intérêt sur les crédits, et que le gain pour les prêteurs résidait dans la troisième partie (minimum) de chaque prêt que le bastionere ou l’oste devait obligatoirement payer en vin. L’analyse des prix d’achat et de vente de cette boisson nous a permis d’estimer un taux de près de 7,1 % sur une base trimestrielle, soit environ 28,4 % par an (sans compter les autres coûts fixes).

66En tout cas, l’évaluation du taux d’intérêt visait simplement à calculer la marge bénéficiaire de l’oste (ou, dans la perspective inverse, la perte sur la valeur du vin), parce qu’il ne s’agissait pas d’un coût qui était effectivement payé par les débiteurs. Par conséquent, dans le cas d’Isabetta le facteur déterminant semble être la quantité de vin qu’elle aurait reçue après avoir engagé les deux robes. Il y avait aussi la taxe d’un sou par « bollettino », bien sûr, mais sa valeur n’aurait affecté que marginalement les deux opérations.

67Si Isabetta s’était rendue dans un bastione pour mettre en gage ses robes, elle aurait obtenu 1/3 de la valeur du crédit en vin, ce qui, sur un total de 18,6 et 10 livres, équivalait respectivement à 6,2 et 3,33 livres. Considérant qu’en février 1706 le vin dans les bastioni était vendu pour 13 sous la livre (2,68 litres, soit 4,12 sous par litre), 6,2 livres représentaient 25,56 litres et 3,33 livres 13,72 litres. Elle aurait donc dû accepter de recevoir environ 19 livres en espèces et 39,3 litres de vin : une quantité considérable, car, bien qu’il s’agisse d’un élément fondamental de l’alimentation quotidienne, il s’agissait d’un produit soumis à une détérioration assez rapide.

68De plus, même si le but d’un prêt était d’acheter du vin, le fait de recevoir tout le crédit en espèces aurait pu être un avantage : en effet, si Isabetta avait engagé ses vêtements dans l’une des banques du Ghetto, elle aurait pu se rendre ensuite dans un bastione et acheter le vin qu’elle préférait, en vérifiant la qualité du produit, sans être obligée de s’adapter à la volonté du bastionere. En effet, le pouvoir de négociation entre client et vendeur est très différent de celui qui existe entre créancier et débiteur.

  • 47 Porteous 2006, p. 4-5.

69Il est tout à fait clair qu’en raison des conditions du prêt, le recours aux services d’un bastione ou d’une osteria n’était pas l’option la plus avantageuse pour la noble femme. L’offre des bastioni était une offre de crédit qui, en fin de compte, ne présentait pas des caractéristiques plus avantageuses par rapport au marché informel. Les pauvres, c’est-à-dire ceux qui avaient principalement besoin du crédit à la consommation et qui détenaient des garanties mobiles de valeur misérable, recouraient à leurs services probablement en raison de leurs caractéristiques, en particulier à cause du chevauchement entre la figure du fournisseur de biens de base et celle du créancier. Bien entendu, le fait qu’il s’agissait d’une offre officielle et qu’elle apportait donc aux débiteurs une certaine protection en cas de besoin constituait un facteur très important. De plus, les bastioni jouaient un rôle central dans la vie quotidienne des individus et le fait d’être répartis dans la ville leur donnait aussi un avantage stratégique en termes de localisation : il faut souligner en effet qu’il n’y a pas d’autres offres de crédit aussi largement présentes sur un territoire et il s’agit là d’un autre facteur en mesure d’influencer les choix de la demande47. Ils permettaient en outre d’éliminer une étape car, en cas de manque d’argent, il n’était pas nécessaire de trouver un créancier avant d’acheter de la nourriture ou du vin (ou simplement de financer une soirée en compagnie), car les deux actions avaient lieu simultanément au même endroit.

70Finalement, les raisons qui ont conduit Isabetta Barbaro à recourir à un prêteur informel sont maintenant beaucoup plus claires. Les monts-de-piété et les bastioni ne représentaient certainement pas une référence attrayante pour répondre à ses besoins, en raison du coût du capital et des conditions liées aux prêts. Les banques du Ghetto, d’autre part, auraient pu l’être, mais il existait probablement des raisons qui ont poussé la noble dame vers l’alternative informelle. Il n’est pas possible d’en identifier une plus spécifiquement, mais nous pouvons avancer plusieurs hypothèses comme la distance entre son domicile (situé dans le sestiere de Castello) et le Ghetto, des raisons environnementales ou sociales, la préférence pour un service qui, bien que plus cher, était aussi beaucoup plus pratique grâce à la présence d’intermédiaires.

71En fin de compte, il est maintenant possible d’affirmer que l’on est très loin du concept d’irrationalité économique qui a souvent été utilisé pour expliquer ce type de situations. Isabetta Barbaro avait probablement un certain degré de connaissance du marché du crédit de la ville et elle avait fait son choix. Finalement, les individus devaient choisir entre différentes possibilités, qu’ils évaluaient sur la base d’avantages et d’inconvénients qui n’étaient pas seulement d’ordre économique.

L’expérience et la tradition : marchés, offres et choix

72La comparaison entre les circuits du crédit existant à Venise au XVIIIe siècle et les institutions modernes de micro-crédit et des pawnshops a mis en évidence l’existence de plusieurs similitudes, suffisantes pour nous fournir des clés d’interprétation permettant de contourner certaines lacunes des sources archivistiques. De cette façon, nous avons trouvé des outils d’analyse qui nous ont permis de mieux comprendre certaines des caractéristiques de l’offre et, surtout, de la demande.

73L’intransigeance initiale à l’égard des prêteurs sur gage, le fort contrôle exercé sur l’activité des banques du Ghetto, la nette opposition à la création d’un mont-de-piété et la formalisation d’une nouvelle forme de prêt à la consommation, ont contribué à conférer au marché du crédit vénitien des caractéristiques absolument uniques. L’éventail des offres de crédit a pris différentes formes qui n’étaient pas en concurrence directe les unes avec les autres. Il s’agissait en effet d’un marché que l’on pourrait définir comme segmenté, divisé en différentes unités (segments) par rapport à des besoins et à des critères divers, principalement de nature psychographique (c’est-à-dire niveau de revenu, classe sociale et modes de vie) et comportementale.

74Les taux d’intérêt requis pouvaient varier considérablement, de même que la forme sous laquelle ils étaient appliqués, parfois à mi-chemin entre crédit et troc. Certaines variables rendaient même compétitives les sources de crédit qui à première vue semblaient être les plus chères, comme c’est le cas avec les échanges informels entre particuliers. De ce point de vue, les coûts de transaction et les conditions liées à un prêt jouaient un rôle déterminant, car un taux d’intérêt plus élevé pouvait être compensé par l’absence de frais fixes ou d’obligations telles que celle de recevoir une partie du crédit en nature.

75Cela amène à se demander quelle était la conscience d’un individu du XVIIIe siècle à propos de l’offre du crédit urbaine, ainsi que les avantages et les inconvénients auxquels il s’exposait en choisissant l’une ou l’autre solution. Cependant, il faut considérer que les traditions, les habitudes et la pratique quotidienne jouaient également un rôle crucial. Joindre les deux bouts en recourant au prêt sur gage faisait partie de la routine de chaque ménage. On est sûr qu’à la fin du XIVe siècle les banques des Juifs étaient actives et qu’il était possible de mettre en gage des objets dans les osterie ; à la fin du XVe siècle, les bastioni commencèrent eux aussi à prêter de l’argent et au cours de la première moitié du XVIe siècle, l’activité des monts-de-piété de la Vénétie était certainement connue à Venise. Au XVIIIe siècle, de nombreuses caractéristiques originelles avaient certainement changé : la structure de base du marché, cependant, était restée la même pendant plus de trois siècles et était certainement connue des Vénitiens, précisément parce qu’elle était nécessaire aux pratiques quotidiennes.

76Alors que les osterie étaient concentrées autour du centre économique et politique de la ville, respectivement Rialto et San Marco, les bastioni étaient dispersés dans la capitale. La loi établissait qu’il ne devait pas y en avoir plus d’un par paroisse et, avec le puits et le pistore (le boulanger), ils constituaient l’un des centres de la vie quotidienne. Ils fournissaient à la population un produit de base et constituaient un point de rencontre et de socialisation, ainsi qu’un réseau capillaire de centres de microcrédit qui, nous l’avons vu, étaient essentiels pour la subsistance des couches inférieures de la population. Autour des opérations de crédit proprement dites, il existait une myriade de relations économiques telles que des paiements cumulatifs ou des avances de fonds qui étaient garanties par l’engagement d’objets simples d’usage quotidien et de valeur relativement modeste.

77D’autre part, les banques des Juifs et les monts-de-piété répondaient à des besoins différents. Tout d’abord, dans les deux cas, le prêt était payé exclusivement en espèces et, alors que les banques du Ghetto avaient une limite maximale fixée à 3 ducats par gage, au XVIIIe siècle la plupart des Monts n’avaient aucune limite, du moins en pratique. Les taux d’intérêt étaient plutôt bas dans les deux institutions, mais les Monts, qui dans certains cas accordaient des prêts gratuits de faibles montants, avaient souvent des coûts de transaction inférieurs à ceux des banques juives. Il s’agissait de deux alternatives valables, qui auraient été en concurrence l’une avec l’autre si un Mont avait été établi à Venise : ce n’était pas le cas et se rendre dans les villes de la Vénétie était trop coûteux dans le cas de petites opérations de crédit.

  • 48 Rosenberg 2010, p. 2.

78Il serait intéressant de comprendre le type d’aide qu’un tel marché du crédit pouvait offrir à la population pauvre de la ville, tant pour ceux qui l’utilisaient pour “niveler” leur consommation (smoothing consumption) que pour ceux qui engageaient un objet en sachant qu’ils n’avaient aucune chance de le racheter. Le microcrédit est considéré comme un outil essentiel pour les ménages pauvres, d’autant plus si l’on considère qu’ils souffrent non seulement d’un manque général d’argent, mais surtout de l’irrégularité et de l’incertitude de leurs revenus. Pour pouvoir manger tous les jours, ils sont obligés d’économiser et d’emprunter de façon permanente. Il a été démontré que dans les pays en développement, un ménage pauvre peut utiliser 8-10 instruments financiers différents au cours d’une année, la plupart d’entre eux à plusieurs reprises : à Venise, au XVIIIe siècle, les possibilités étaient moins nombreuses, mais il faut toutefois s’attendre à un recours simultané aux diverses sources de crédit48. Peut-être que, plutôt que de considérer les différentes offres comme en concurrence entre elles, il serait plus juste de les imaginer comme coopérant les unes avec les autres : elles offraient des solutions différentes à des besoins différents, mais qui pouvaient caractériser un même individu ou noyau familial. Cela est vrai aussi bien à long terme – il est logique que les besoins pendant la jeunesse et la vieillesse soient différents – qu’à court ou très court terme : quelqu’un, en effet, pouvait se tourner vers un bastione pour acheter du vin à crédit et peu de temps après mettre en gage un objet dans une de banques du Ghetto – ou pourquoi pas demander de l’argent à un parent – afin de payer, par exemple, le docteur ou l’apothicaire.

79En conclusion, qu’est-il possible de dire à propos de l’offre de crédit des bastioni et des osterie à l’intérieur du marché vénitien ? En premier lieu, elle possédait des caractéristiques absolument innovantes et complètement différentes par rapport aux autres. Les bastioni, en particulier, étaient les protagonistes de ce que nous avons appelé l’économie du “mouchoir” et, bien qu’il s’agisse d’un service plus coûteux que celui des banques juives ou des monts-de-piété, il était beaucoup plus facile pour un individu d’avoir les conditions minimales d’accès au crédit. Finalement, leur activité permettait d’accroître la depth of outreach (profondeur) du marché du crédit vénitien, le rendant probablement plus “large” par rapport à celui de n’importe quelle autre ville, capable ainsi de satisfaire les besoins d’une demande plus vaste et articulée.

Anmerkungen

1 Par exemple, certains monts-de-piété acceptaient aussi des dépôts et, dans certains cas, effectuaient des transferts d’argent.

2 Botti – Corsi – Zacchia 2017, p. 101-102.

3 Yan 2015, p. 53, 54.

4 Commission Européenne 2012, p. 3.

5 Bembo 1859, p. XVI.

6 Par rapport au sujet de la pauvreté, voir l’introduction.

7 Voir Carter – Skiba 2012, p. 202.

8 Woller 2007, p. 14-15.

9 Voir Ferlito 2006, p. 131-135, tableaux 10, 11, 12.

10 Voir Morduch 2000.

11 Reichert 2016, p. 8-9.

12 Morduch 2000, p. 617, 618.

13 Pour exemple, voir Porteous 2006, fig. 1, 2, 3, p. 6, 7, 9.

14 Guirkinger 2008, p. 1437.

15 Ibid., p. 1445.

16 Ching Chan – Owyong 2007, p. 59, 63.

17 Ibid., p. 59.

18 Ibid., p. 60.

19 Ibid. ; En considérant le volume d’objets vendus pendant les enchères publiques des gages des bastioni et osterie, on peut imaginer que le marché de l’occasion vénitien était suffisamment développé pour favoriser ce type d’activité.

20 Reichert 2016, p. 9.

21 Ching Chan – Owyong 2007, p. 62.

22 Reichert 2016, p. 9.

23 ASVe, Giustizia Nuova, b. 40, fichier « Giovanni Orzali, 28 luglio 1701 ».

24 ASVe, Inquisitori sopra l’Università degli ebrei, b. 50, fichier « Pegni 1790 1mo settembre – 31 dicembre ».

25 Les remboursements peuvent être étudiés dans cette analyse car ils indiquent le montant prêté net des intérêts. Dans le chapitre centré sur les banques du Ghetto (VII), nous avons déjà souligné que les prêts déboursés et remboursées au cours de la période représentent un pourcentage absolument négligeable du total.

26 Cité par Pullan 1982, p. 630.

27 Un tiers des objets ne dépasse pas le ducat (6,2 livres) et seulement 14 % représentent plus de 10 ducats (62 lires) ; Cecchini 2012b, p. 238.

28 Ibid., p. 239, traduit par l’auteur ; l’Ormesino est un tissu de soie fine et légère qui était utilisé pour fabriquer des vêtements féminins.

29 Silvano 2005, p. 193.

30 Sartor 2000, p. 100-101.

31 Ferlito 2009, p. 120-123. J’ai utilisé le tableau qui se trouve à la page 122.

32 Pour une comparaison plus large, on peut considérer qu’en 1795 le mont-de-piété de Paris avait plus de 62 000 gages dans ses entrepôts, pour une valeur d’environ 700 000 livres : en moyenne, un gage valait donc environ 11,18 livres ; Danieri 1991, p. 61.

33 Le voyage pouvait se faire entièrement en bateau, en remontant la Brenta, ou en bateau jusqu’à la ville de Fusina, près de l’actuelle Marghera, puis en voiture à cheval. À la fin du XVIIe siècle, dans le premier cas le prix était de 3 livres par personne pour l’aller et de 5 livres pour le retour (c’était plus cher puisqu’il fallait remonter la Brenta) ; pour aller à Padoue en voiture à cheval, il fallait payer un peu moins, soit environ 5 livres et 13 sous (dont 1 pour le traghetto entre Venise et Fusina) ; ASVe Milizia da Mar b. 809 e Milizia da mar b. 850, 01/05/1795.

34 Bien qu’il soit plus éloigné, nous avons étudié le Mont de Vérone et non celui de Vicence parce que son histoire est beaucoup mieux documentée.

35 Ferlito 2009, p. 294.

36 Milano 1956, p. 223.

37 Muzzarelli 2001, p. 208-214

38 Voir pour exemple ASVe, Arti, b. 405ter, f.o 24v.

39 Deheija – Montgomery – Morduch 2012, p. 445-446.

40 Guirkinger 2008, p. 1442.

41 Voir ASVe, Signori di Notte al Civil, b. 341, documents non numérotés, 21 mai 1706.

42 Isabetta a versé à titre d’intérêts 3,1 et 1,75 livres vénitiennes décimales : bien que les taux soient très élevés, ils s’appliquent habituellement à de petits montants.

43 ASVe, Scansadori alle spese superflue, b. 122, documents non numérotés, « Tariffa delli prò sopra li pegni al Monte al cinque per cento ».

44 Voir Ferlito 2009, en particulier le chapitre 4 « Il sistema veneto dei monti di pietà », p. 259 et suivantes.

45 Voir Sartor 2000, p. 90.

46 ASVe Milizia da Mar, b.809 et Milizia da mar, b. 850, 01/05/1795.

47 Porteous 2006, p. 4-5.

48 Rosenberg 2010, p. 2.

Abbildungsverzeichnis

Titel Graphique 32 – répartition des valeurs des prêts, bastioni et osterie, banques du Ghetto et mont-de-piété de Vérone
Bildunterschrift Rectangle gris : valeur moyenne de prêt, mont-de-piété de VéroneSources : ASVe, Giustizia Nuova, bb. 3, 7, 16, 17, 18, 22, 35, 40, 41, 42 ; ASVe, Inquisitori sopra l`Università degli Ebrei, b. 50 ; Ferlito, « Su un progetto di fondazione di un Monte di Pietà a Venezia (1778-1779) », p. 294.
URL http://books.openedition.org/efr/docannexe/image/21223/img-1.jpg
Datei image/jpeg, 491k
Titel Graphique 33 – Comparaison entre crédit informel et banques du Ghetto (10 livres, 30 jours).
Bildunterschrift Sources : ASVe, Inquisitori sopra l’Università degli Ebrei, b. 1 ; ASVe, Signori di Notte al Civil, b. 341.
URL http://books.openedition.org/efr/docannexe/image/21223/img-2.jpg
Datei image/jpeg, 52k
Titel Graphique 34 – Comparaison entre crédit informel et banques du Ghetto (18,6 livres, 30 jours).
Bildunterschrift Sources : voir graphique 33.
URL http://books.openedition.org/efr/docannexe/image/21223/img-3.jpg
Datei image/jpeg, 52k
Titel Graphique 35 – Comparaison entre crédit informel (intérêts sur base quotidienne) et banques du Ghetto (intérêts sur base mensuelle), 10 livres, 1 mois.
Bildunterschrift Sources : voir graphique 33.
URL http://books.openedition.org/efr/docannexe/image/21223/img-4.jpg
Datei image/jpeg, 52k
Titel Graphique 36 – Comparaison entre crédit informel et mont-de-piété de Trévise (18,6 livres, 30 jours).
Bildunterschrift Source : ASVe, Signori di Notte al Civil, b. 341 ; Sartor, Il monte di pietà di Treviso, p. 90.
URL http://books.openedition.org/efr/docannexe/image/21223/img-5.jpg
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