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L’économie du ‘mouchoir’ : crédit et microcrédit à Venise au XVIIIe siècle

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Matteo Pompermaier

Première partie - « Le vin et l’argent » : osterie, bastioni et marché du crédit à Venise au XVIIIe siècle

Chapitre 5 - Au sein de l’économie du “mouchoir” : taux de rachat et fréquences d’engagement

Texte intégral

Taux de rachat et volume total des objets engagés : quand la quantité compense la qualité

  • 1 Carter – Skiba 2012, p. 195.
  • 2 En 1990 le taux de défaut était plus bas, environ 14-22 % ; le taux de rachat est très lié à la va (...)
  • 3 Voir Partie I, Chapitre IV « Activité de prêt sur gage des bastioni et osteria : les enchères », s (...)
  • 4 Carter – Skiba 2012, p. 195.

1Afin de connaître le volume total des gages déposés chaque année dans les entrepôts des bastioni et des osterie, il est nécessaire de pouvoir estimer le taux de rachat des objets, c’est-à-dire le pourcentage de débiteurs qui remboursaient leurs dettes à temps. Comme il a été démontré dans le cas des pawnshops modernes, le fait que les prêts soient liés à des objets personnels soumet les emprunteurs à des phénomènes complexes à la fois économiques et psychologiques. En effet, le taux de rachat des objets est à la fois conforme à un modèle rationnel de prise de décision et à un processus dans lequel l’affect ou les sentiments par rapport à l’objet engagé jouent un rôle important dans la maximisation de l’utilité1. C’est pour cette raison qu’aujourd’hui encore, le nombre de gages rachetés dans les pawnshops est relativement élevé et varie, selon la catégorie d’objets, entre 50 % et 65 % du total2. Même si la valeur et la qualité des objets engagés dans les bastioni et les osterie étaient généralement très faibles, nous ne pouvons pas partir du principe qu’il n’y avait pas de liens émotionnels entre les propriétaires et leurs biens et c’est justement pour cette raison qu’ils pouvaient être amenés à se comporter d’une manière que l’on peut considérer comme économiquement “non rationnelle” (par exemple, une personne pouvait choisir de racheter son gage même si la valeur du prêt était très proche ou dépassait ce qu’elle estimait être la valeur réelle de son objet)3. De plus, l’aversion à la perte, concept selon lequel les individus ont tendance à accorder plus d’importance à une perte économique qu’à un gain de même valeur, jouait probablement aussi un rôle important dans ce contexte4.

2Compte tenu des caractéristiques de ce circuit de crédit, on peut imaginer qu’au moins une partie des opérations était destinée à la simple subsistance. Dans ce cas, les individus concernés étaient des personnes pauvres qui, pour des raisons physiques (invalidité, vieillesse, etc.) ou sociales, non seulement ne disposaient pas de ressources financières dans l’immédiat, mais n’avaient même pas l’espoir d’en avoir à l’avenir. Pour survivre, ils engageaient donc tous les objets qui leur tombaient sous la main et qui n’étaient pas strictement indispensables, luttant jour après jour dans un combat épuisant pour leur survie. Dans ce type de contexte, il faut considérer que la possibilité d’un rachat était extrêmement improbable.

  • 5 Voir pour exemple Kimball – Weil 1992 ; Morduch 1995.

3D’autres individus, cependant, pouvaient avoir besoin d’un prêt dans le cadre du consumption smoothing, un concept économique qui décrit le besoin des individus de bénéficier de niveaux de consommation aussi stables que possible au fil du temps5. À une époque où les salaires n’étaient pas fixes et variaient largement en fonction des cycles saisonniers, les ménages devaient adopter des stratégies qui leur permettaient de vivre avec des revenus irréguliers. Avoir accès à des sources de crédit constituait alors une opportunité décisive, car mettre en gage un objet en exploitant sa valeur monétaire – et éventuellement le racheter quelque temps après – permettait d’anticiper un revenu futur et de disposer immédiatement de la liquidité nécessaire au maintien d’un modèle de consommation constante.

  • 6 ASVe, Giustizia Nuova, b. 42, fichier « pegni non venduti ».

4Afin d’estimer le nombre d’objets engagés puis rachetés par leurs propriétaires et dans le but d’avoir une vision plus complète de la composition sociale des débiteurs (et donc aussi de mieux comprendre l’offre de crédit elle-même), nous allons nous appuyer à nouveau sur les inventaires des gages qui étaient déposés dans les entrepôts des bastioni et des osterie. Comme il a déjà été dit, un numéro d’identification spécifique était affecté à chaque objet, afin que les officiers de la Giustizia Nuova puissent les utiliser pour rendre les opérations d’inventaire et d’enregistrement plus rapides et plus efficaces. Le fait que ces chiffres atteignaient des valeurs extrêmement élevées, de l’ordre de plusieurs dizaines de milliers d’objets a d’abord laissé croire à l’existence d’une seule série continue commune à tous les bastioni et osterie. Toutefois, l’analyse d’une série de 40 inventaires de gages invendus lors des enchères de 1739 contredit cette hypothèse en fournissant également d’autres informations intéressantes6. Il s’agit d’une source particulièrement importante car les objets (8 076 au total) appartiennent tous au même “groupe”, c’est-à-dire qu’ils ont tous été engagés pendant la condotta de 1736-1738.

5Pour montrer que chaque bastione et chaque osteria avait sa propre numérotation, il suffit de vérifier l’existence d’un échantillon de numéros d’identification doubles en une quantité suffisante pour démontrer qu’il ne s’agit pas d’une simple erreur d’enregistrement. Si tel était le cas, il serait absolument certain qu’il était possible, au même moment, d’avoir des gages différents, déposés dans des centres différents, mais avec un numéro identique.

Tab. 21 – Composition de l’échantillon.

Échantillon Numéros uniques Numéros au moins double
8 076 4 843 3 233
100 % 59,97 % 40,03 %

Source : ASVe, Giustizia Nuova, b. 42.

6Comme on peut le voir dans le tab. 21, 40,03 % des numéros sont répétés au moins deux fois, avec des cas où le même identifiant est répété jusqu’à cinq fois (détails dans le tab. 22).

Tab. 22 – Détail des numéros des billets au moins doubles.

Répétitions Nb  %
Deux fois 2 436 30,16 %
Trois fois 714 8,84 %
Quatre fois 68 0,84 %
Cinque fois 15 0,19 %

Source : ASVe, Giustizia Nuova, b. 42.

7L’échantillon est assez vaste pour nous permettre d’affirmer avec certitude que chaque bastione et osteria avait sa propre numérotation spécifique. Cette considération est très intéressante parce qu’elle peut nous aider à déterminer, au moins en principe, quel était le nombre total d’objets engagés au cours de chaque condotta. Pour cela, puisque les numérotations étaient certainement séparées, il suffit de considérer les valeurs les plus élevées trouvées dans tous les inventaires.

  • 7 Les inventaires sont tous relatifs à des bastioni.

8Comme indiqué plus haut, il y a 40 inventaires et, en additionnant les chiffres les plus élevés enregistrés dans chacun d’entre eux, le total est de 336 954, soit une moyenne d’environ 8 400 objets par bastione (tab. 23)7.

Tab. 23 – Numéros de bulletin les plus élevés pour chaque bastione (condotta 1736-1738).

Bastione N° de bulletin le plus élevé Bastione N° de bulletin le plus élevé
Ca’ d’oro 18 444 San Samuel 7 865
San Stin 16 704 Giudecca 7 602
San Moisè 16 254 San Gerolamo 7 521
San Giovanni in Bragola 15 060 San Basilio 7 521
San Giovanni e Paolo 14 914 San Polo 7 220
Bari 14 303 San Marcuola 7 108
Sant’Aponal 14 273 Campo dell’erba 5 497
Campo delle Gatte 13 340 Fondamenta Bragola 4 926
Rio Terrà 12 768 San Gregorio 4 788
Gaffaro 12 688 Incurabili 4 405
San Simeon Piccolo 11 650 Servi 3 766
Biri 11 518 San Martin 3 083
San Francesco di Paola 10 584 Canevetta 3 054
Sant’Antonin 10 545 San Giuseppe 2 565
San Benetto 10 431 San Iseppo 2 554
Anzolo Raffael 10 122 Ponte Lungo 2 097
Furatola 9 947 San Giobbe 994
San Barnaba 9 570 Ponte di Ghetto 922
Pietà 9 356 San Gioacchino 904
Rugagiuffa 9 211 San Felice 880

Source : ASVe, Giustizia Nuova, b. 42.

  • 8 ASVe, Giustizia Nuova, b. 25, reg. 13, fichier « Giustizia Nuova scritture pubbliche e private, 16 (...)

9Les rapports de deux ragionati – Evangelista Grioni pour la période de mai à novembre 1738 et Giacomo Ghedini de novembre 1738 à mai 1739 – témoignent qu’à cette période, entre 41 et 47 bastioni et 2 osterie avaient participé aux enchères publiques8. Cela signifie qu’il est tout à fait plausible de proposer une estimation de 380 à 400 000 objets engagés au cours d’une condotta (2 ans), soit environ 190 à 200 000 par an.

10Cinq ans plus tard seulement, en 1743, les bastioni qui participaient aux enchères publiques pour vendre leurs gages étaient au nombre de 57 : si l’on considère une moyenne plutôt réaliste de 50 centres constamment en activité au cours du siècle, le montant total des objets engagés s’élèverait à environ 420/450 000 gages par condotta (en considérant également l’activité des osterie), soit 210/225 000 par

  • 9 ASVe, Giustizia Nuova, b. 39, fichier « Contabilità », documents non numérotés, 15 mai 1761.
  • 10 Si l’on ne considère que l’échantillon de valeurs disponibles pour 1761 (8.036 prêts) la valeur mo (...)

11En 1761, la Giustizia Nuova ordonna un contrôle de la valeur totale des objets et du vin stockés dans chacun des entrepôts des osterie et des bastioni de la ville. Le rapport issu de ce contrôle, daté du 15 mai de la même année, évoque plus de 2 000 bigonce de vin (environ 300 000 litres) et une valeur de 771 800 livres vénitiennes en gages (environ 124 500 ducats)9. Malheureusement il n’y a aucune indication par rapport à leur nombre, mais il est pourtant possible de l’estimer. Selon mes données, la valeur moyenne d’un gage était de 3,32 livres décimales et, en divisant le stock de 1761 par cette valeur, on obtient un total d’environ 230 000 objets10. Il s’agit d’un chiffre très intéressant, car très proche de l’estimation du nombre total d’objets déposés dans les bastioni que nous venons de calculer sur la base de l’analyse des numéros d’identification des gages (210/225 000).

12À présent, il est aussi possible d’estimer quel était le taux de rachat au cours de la période. Pour le faire avec une certaine précision, nous pouvons essayer de confronter les données du stock total avec celles des incanti : il s’agit de comparer la valeur et le nombre estimé de gages déposés dans un bastione spécifique avec les résultats de la vente aux enchères suivante. En considérant la valeur des gages en stock et de ceux qui ont été vendus, la différence moyenne indique que le taux de rachat était d’environ 68,07 %. En revanche, si l’on utilise le nombre de gages – la valeur moyenne est toujours estimée à 3,32 livres vénitiennes décimales – le taux de rachat diminue considérablement et atteint 53,03 %. Il faut souligner que, dans la première évaluation, il y a un problème qui provient de l’utilisation de la valeur obtenue à partir des ventes aux enchères. Comme on l’a vu dans la précédente section, les revenus étaient très souvent inférieurs à l’estimation des osti et des bastioneri et les données obtenues sont donc probablement légèrement surestimées. En utilisant uniquement le nombre initial d’objets, par contre, il n’est pas possible de tenir compte de tous ceux qui furent engagés après l’inventaire et qui ont ensuite été vendus aux enchères. Dans de nombreux cas, en effet, la différence entre le nombre de gages vendus et ceux enregistrés en stock est négative, une différence qui atteint parfois des milliers d’objets. Ce qui est étrange, c’est que ce n’est pas seulement le cas pour les enchères qui avaient lieu plusieurs mois après le jour de l’estimation, mais aussi pour celles qui la suivaient immédiatement : cela suggère que, probablement, ce second moyen d’estimation du taux de rachat est encore moins fiable que le premier.

  • 11 Voir chapitre 4, section 1.2.
  • 12 Le stock de départ concerne exclusivement les objets déposés dans les bastioni, nous n’avons donc (...)

13Une dernière tentative consiste à considérer toutes les enchères effectuées pendant les 8 mois suivant la date de l’évaluation du stock – le délai moyen dans lequel les bastioneri vendaient leurs gages11. Pendant cette période (du 16 mai 1761 au 16 janvier 1762), il y a eu 31 ventes aux enchères, au cours desquelles ont été vendus environ 55 000 gages appartenant à 26 bastioni différents. Si l’on considère le stock initial total d’environ 230 000 articles, ceux qui ont été vendus aux enchères correspondaient à environ 23,91 %12. Cela suppose bien sûr qu’il y ait une certaine stabilité dans le nombre de gages en stock, c’est-à-dire un fort échange d’objets avec une différence de près de 0 entre ceux qui entrent et ceux qui sortent (c’est-à-dire qu’à chaque rachat doit correspondre à un engagement). Le fait que l’estimation du nombre total de gages au 15 mai 1761 et le nombre total d’objets engagés au cours d’une année soient si semblables (230 000 contre 210-225 000) semble justement confirmer cette hypothèse.

14Les trois valeurs issues des trois méthodes que nous avons utilisées pour aborder la question vont de 53 % à 77 %. Comme on pouvait pressentir au début, le résultat de l’analyse n’est pas très précis ; en tout cas, nous sommes convaincus qu’il n’est pas très éloigné de la réalité d’envisager qu’au milieu du siècle les gages vendus aux enchères représentaient grosso modo un tiers du total, tandis que la partie restante était rachetée par les débiteurs. Il s’agit d’un pourcentage curieux, difficile à interpréter, assez différent des chiffres relatifs aux pawnshops contemporains (aux États-Unis, en 1990 le taux de défaut était d’environ 14-22 %). La plupart des débiteurs décidaient donc de rembourser les prêts, mais il ne s’agit pas d’une majorité écrasante. D’autre part, nous n’avons aucune raison de croire à l’existence d’une stratégie d’ensemble de part des bastioneri qui visait à augmenter ou diminuer le taux de rachat.

  • 13 Voir chapitre I, section « Le commerce du vin à Venise : système de vente et distribution ».
  • 14 Les données relatives au nombre de clients par jour datent de la fin du XVIIe siècle, donc on peut (...)

15En tout cas, sur la base de ces données, en 1761 et 1762, plus de 600 objets étaient engagés quotidiennement dans les bastioni de la ville, tandis que, à la même période, environ 400 étaient rachetés. Chaque jour, chacun des 48 bastioneri prêtait en moyenne 41,5 livres – dont 1/3 en vin, soit un maximum de 27,7 livres en espèces – sur les 13 objets qu’il recevait ; dans le même temps, il encaissait 27,6 livres grâce aux 8 gages qui étaient rachetés par leurs propriétaires. Dans la première partie de l’ouvrage, nous avons estimé que chaque bastione vendait en moyenne 0,8 litre de vin par jour à 700 clients13. Si l’on considère un prix moyen du vin au XVIIIe siècle d’environ 6 sous par litre, on obtient une dépense totale de 168 livres par bastione (6 livres multipliées par 0,8 litre et 700 ventes). Par conséquent, selon nos estimations, 25 % en moyenne des achats étaient payés à crédit, ce qui signifie que 25 % des individus engageaient un objet pour payer leur consommation14.

  • 15 ASVe, Governatori delle entrate, b. 448, fichier « 20 febbraio 1792/93 ».
  • 16 En outre, certains de ces objets peuvent ne pas avoir trouvé d’acheteurs ou ne pas avoir été mis a (...)

16Pour vérifier ces estimations, il est possible de les comparer avec ce qui ressort de certains registres de bastioni dans lesquels ont été rapportées des données sur le stock total des gages à une certaine date et le nombre de rachats les jours suivants. Cette analyse est utile pour comparer mes estimations du taux de solvabilité avec des données réelles, basées sur les enregistrements de la véritable activité quotidienne. Le premier registre concerne le bastione de la Crosera à San Pantalon et contient des informations sur le stock total de gages au 20 février 1793 ainsi qu’une liste de ceux qui avaient été rachetés au 26 février de la même année15. Sur un total de 561 prêts, environ 260 – 47,59 % du total – avaient déjà été remboursés au bout de 6 jours : la période est très courte, trop pour croire que toutes les opérations avaient eu lieu pendant ces quelques jours. Il s’agit certainement d’un inventaire qui rend compte de tous les gages déposés et collectés sur une période plus longue, probablement à partir du 7 février 1793, jour où s’était tenue la dernière vente publique de gages du bastione en question. Si tel était le cas, entre le 8 et le 26 février (18 jours), environ 14 gages par jour auraient été recueillis, un nombre encore plus élevé que ce que l’on avait estimé16. Il n’est pas possible de faire la même chose avec ceux qui ont été engagés pendant cette période, pour la simple raison que certains d’entre eux pouvaient déjà se trouver dans l’entrepôt du bastione avant la vente aux enchères (jusqu’à trois mois).

  • 17 ASVe, Governatori delle Entrate, C. 448, fichier « 5 aprile 1791 Bastione S.n Barnaba ».

17Un autre inventaire, cette fois celui du bastione de San Barnaba, est encore plus utile pour cette analyse. Le 5 avril 1791, 379 gages étaient enregistrés en stock, pour une valeur totale de 1.631,2 livres vénitiennes décimales17. Au cours des deux mois suivants, les opérations de rachat ont été enregistrées et figurent dans le tableau 24.

Tab. 24 – Nombre et valeur des gages rachetés chaque jour, bastione de San Barnaba (avril-mai 1791).

Date Nb gages rachetés Livre Vén. Dec.
11 avril 1791 25 141,5
19 avril 1791 9 72,45
26 avril 1791 27 162,3
9 mai 1791 30 178,25
12 mai 1791 11 46
18 mai 1791 1 10,5
24 mai 1791 6 14
7 juin 1791 8 39,5
Total 117 664,5
Rachats/jour 14,6

Sources : ASVe, Governatori delle Entrate, C. 448, fichier « 5 aprile 1791 Bastione S.n Barnaba ».

18En deux mois, 117 articles ont été rachetés, soit 30,87 % du total, avec une moyenne de 14,6 gages par jour qui est encore une fois supérieure à nos estimations. Ces comparaisons semblent indiquer que mes hypothèses ne surestiment pas l’ampleur réelle de l’activité de prêt des bastioni et des osterie, mais qu’il faudrait plutôt de les revoir à la hausse.

19Une autre confirmation en ce sens vient du rapport de l’Imprimeur Ducal de 1791 auquel nous avons déjà fait référence dans la section précédente. Cette année-là, la Giustizia Nuova commença à s’inquiéter du fait que le nombre de gages continuait de diminuer : pour calculer rapidement la différence par rapport aux années précédentes, les magistrats demandèrent à l’imprimeur le nombre de registres qu’il avait produits et livrés aux osti et aux chefs de bastioni au cours des quatre dernières années.

Tab. 25 – Diminution des objets engagés (1788-1791).

Année Nb registre Nb gages Écart (Nb) Écart (valeur en Livres)a
1788 200 320 000 - -
1789 141 225 600 94 400 295 000
1790 136 217 600 102 400 320 000
1791 155 248 000 72 000 225 000
Total 268 800 840 000
a. Évaluation faite par la Giustizia Nuova ; ASVe, Giustizia Nuova, b. 44, « Per il magistrato de’ provveditori alla Giustizia Nova contro il consorzio mercanti bastioneri », p. 197-199.

Sources : voir note de bas de page 17.

20Comme l’indique clairement le tableau 25, la perte sur les trois années considérées a été très importante, représentant plus de 250 000 objets et une valeur estimée à 840 000 livres vénitiennes. Il est intéressant de noter, cependant, le nombre stupéfiant de gages déposés chaque année, jusqu’à 320 000 en 1788. Un tel chiffre est tout à fait conforme aux estimations de la tendance générale au cours du siècle. En effet, bien que mon évaluation soit inférieure d’environ 100 000 unités, les données que nous avons traitées jusqu’à présent concernaient le milieu du XVIIIe siècle : c’est donc la preuve qu’il y a effectivement eu une augmentation constante et décisive de l’activité de prêt des bastioni et des osterie, mise en évidence de manière indiscutable également par l’analyse des ventes des objets à travers les enchères publiques, dont on a déjà longuement parlé.

21Pourtant, cette augmentation de la pression n’était pas positive pour l’activité de prêt en général, et s’accompagnait d’un autre phénomène qui a contribué à aggraver la situation. Vers la fin du siècle, le taux de rachat des objets semble avoir été considérablement réduit par rapport aux années précédentes. Sur les 217 000 objets engagés en 1790 et les 248 000 de 1791, respectivement 122 000 et 116 000 ont été vendus aux enchères publiques, soit environ 1 sur 2 ; si l’on considère que, comme il a été mentionné précédemment, les enchères ne semblent pas avoir constitué une source de revenus pour les osti et les chefs des bastioni, cette importante réduction du nombre d’objets rachetés n’était certainement pas un fait positif pour l’activité de crédit des bastioneri et des osti.

22En fin de compte, on peut considérer comme probable un taux de rachat des objets d’environ 66 % (2 objets sur 3) au milieu du XVIIIe siècle, qui passe à 50 % dans les années 1790. En appliquant ces pourcentages aux données relatives aux enchères, nous obtenons les valeurs énumérées dans le tableau suivant (tab. 26).

Tab. 26 – Nombre de bastioni et osterie qui participèrent aux enchères, nombre d’objets vendus, évaluation du taux du rachat et du nombre totale d’objets engagés.

Année Nb enchères Gages vendus Taux rachat Objets totaux
1745 127 41 457 66,6 % 124 371
1746 107 39 515 66,6 % 118 545
1747 111 44 732 66,6 % 134 196
1748 78 49 402 66,6 % 148 206
1749 92 55 867 66,6 % 167 601
1750 105 58 255 66,6 % 174 765
1751 84 47 272 66,6 % 141 816
1752 66 57 562 66,6 % 172 686
1753 49 63 363 66,6 % 190 089
1754 108 73 946 66,6 % 221 838
1755 92 61 446 66,6 % 184 338
1756 33 14 029* 66,6 % 42 087*
1757 66 54 766 66,6 % 164 298
1758 61 63 013 66,6 % 189 039
1759 33 56 963 66,6 % 170 889
1760 55 53 427 66,6 % 160 281
1761 40 75 072 66,6 % 225 216
1762 95 76 063 66,6 % 228 189
1789 67 44 267* 50 % 88 534*
1790 265 122 615 50 % 245 230
1791 313 116 781 50 % 233 562
1792 297 116 843 50 % 233 686
1793 252 119 524 50 % 239 048
1794 273 122 696 50 % 245 392
1795 97 45 181* 50 % 90 362*
* données partielles

Sources : ASVe, Giustizia Nuova, bb. 13, 40, 41, 42, 43.

23Bien que partiellement incomplètes, ces informations me permettent de franchir une étape supplémentaire dans cette analyse et d’essayer d’estimer le volume total d’argent investi dans l’activité de prêt (tab. 27).

Tab. 27 – évaluation des objets engagés, leur valeur, revenu global (activité de prêt des bastioni et osterie).

Année Objets engagés Investissement total Marge annuelle*a Revenu moyen par bastione / osteria*
1745 124 371 412 911,72 117 266,93 923,36
1746 118 545 393 569,40 111 773,71 1 044,61
1747 134 196 445 530,72 126 530,72 1 139,92
1748 148 206 492 043,92 139 740,47 1 791,54
1749 167 601 556 435,32 158 027,63 1 717,69
1750 174 765 580 219,80 164 782,42 1 569,36
1751 141 816 470 829,12 133 715,47 1 591,85
1752 172 686 573 317,52 162 822,18 2 467,00
1753 190 089 631 095,48 179 231,12 3 657,78
1754 221 838 736 502,16 209 166,61 1 936,73
1755 184 338 612 002,16 173 808,61 1 889,22
1757 164 298 545 469,36 154 913,30 2 347,17
1758 189 039 627 609,48 178 241,09 2 921,99
1759 170 889 567 351,48 161 127,82 4 882,66
1760 160 281 532 132,92 151 125,75 2 747,74
1761 225 216 747 717,12 212 351,66 5 308,79
1762 228 189 757 587,48 215 154,84 2 264,79
1790 245 230 814 163,60 231 222,46 872,54
1791 233 562 775 425,84 220 220,94 703,58
1792 233 686 775 837,52 220 337,86 741,88
1793 239 048 793 639,36 225 393,58 894,42
1794 245 392 814 701,44 231 375,21 847,53
* livres/année. Sources : voir tab. 26.
a. Le taux d’intérêt est de 7,1 % pour chaque trimestre, c’est-à-dire 28,4 % sur une base annuelle.
  • 18 Voir chapitre III, section 2, « Activité de prêt : taux d’intérêt et coût fixes ».

24En plus du montant total investi, le tableau 27 montre dans les deux dernières colonnes la marge annuelle totale et la moyenne pour chaque bastione et osteria en fonction du nombre d’entre eux qui participaient aux enchères au cours de l’année. Cette valeur a été calculée à partir d’un taux d’intérêt estimé à 7,1 % qui, comme il a été mentionné dans le chapitre précédent, découlait du fait que la troisième partie du crédit total devait être payée en vin18.

Graphique 18 – Évaluation du revenu moyen, activité de prêt sur gage des bastioni et osterie. Sources : voir tab. 28.

Graphique 18 – Évaluation du revenu moyen, activité de prêt sur gage des bastioni et osterie. Sources : voir tab. 28.

25Si l’on observe le graphique relatif au revenu moyen (graphique 18), il est encore plus clair qu’il y a eu une tendance à la hausse au moins jusqu’au début des années 1760 et une forte baisse dans les années 1790, autre symptôme (ou peut-être cause) de la “crise” de l’activité de prêt au cours de cette période.

26L’estimation du pourcentage des gages rachetés et du taux d’intérêt demandé sur chaque prêt, peut aussi être utilisée pour essayer de savoir si les gains tirés de l’activité de prêt permettaient effectivement de compenser la dépréciation théorique des objets lorsqu’ils étaient vendus aux incanti. Dans l’ensemble, les données confirment qu’entre 1745 et 1755, il y avait une perte moyenne d’environ 8 % de la valeur totale des objets vendus, une valeur tout à fait acceptable si l’on considère que, comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, le coût du capital était plus faible, soit 7,1 %.

Tab. 28 – Évaluation de la marge de gain par rapport au taux de rachat.

Valeur des
objets vendus
aux enchères
(Livres vénitiennes)
Revenus
(Livres
vén. Dec.)
Perte (en livres dec.) / Taux de rachat
66 % 33 % 20 % 10 %
1 0,071 0,02667 0,05333 0,06400 0,07273
2 0,142 0,05333 0,10667 0,12800 0,14545
3 0,213 0,08000 0,16000 0,19200 0,21818
4 0,284 0,10667 0,21333 0,25600 0,29091
5 0,355 0,13333 0,26667 0,32000 0,36364
6 0,426 0,16000 0,32000 0,38400 0,43636
7 0,497 0,18667 0,37333 0,44800 0,50909
8 0,568 0,21333 0,42667 0,51200 0,58182
9 0,639 0,24000 0,48000 0,57600 0,65455
10 0,71 0,26667 0,53333 0,64000 0,72727
11 0,781 0,29333 0,58667 0,70400 0,80000
12 0,852 0,32000 0,64000 0,76800 0,87273
13 0,923 0,34667 0,69333 0,83200 0,94545
14 0,994 0,37333 0,74667 0,89600 1,01818
15 1,065 0,40000 0,80000 0,96000 1,09091
16 1,136 0,42667 0,85333 1,02400 1,16364
17 1,207 0,45333 0,90667 1,08800 1,23636
18 1,278 0,48000 0,96000 1,15200 1,30909
19 1,349 0,50667 1,01333 1,21600 1,38182
20 1,42 0,53333 1,06667 1,28000 1,45455

Tab. élaboré par l’auteur.

27Comme les pertes étaient directement proportionnelles au nombre d’objets vendus aux enchères, il est possible de calculer le taux de rachat minimum qu’il fallait espérer atteindre pour ne pas perdre d’argent. Pour ce faire, il suffit de calculer le gain total dérivé de l’engagement des objets pour une certaine valeur (tab. 28, première et deuxième colonnes) et de soustraire le taux moyen de dévaluation (calculé sur l’ensemble de la période 1745-1755) sur une partie spécifique de la valeur initiale, calculée sur la base de ce que nous avons estimé être le taux de rachat des objets.

Graphique 19 – Incidence du taux de rachat sur le gain des bastioneri et des osti (*taux de rachat).

Graphique 19 – Incidence du taux de rachat sur le gain des bastioneri et des osti (*taux de rachat).

Graphique élaboré par l’auteur.

28Comme on peut le voir dans le graphique 19, le pourcentage minimum de rachat qu’il fallait atteindre était de 10 %, une valeur très basse et nettement en dessous des valeurs apparues jusqu’à présent. Ainsi, si moins de 90 % des gages étaient vendus aux incanti, on pouvait espérer gagner de l’argent sur l’activité de prêt. Il faut considérer, cependant, que la marge réelle chutait très rapidement en fonction du taux de rachat, comme le montre clairement le tab. 29.

Tab. 29 – Gains effectifs par rapport au taux de rachat.

Taux de rachat Gain effectifs (%)
66 % 4,43 %
33 % 1,77 %
20 % 0,70 %
10 % -0,17 %

Tab. élaboré par l’auteur.

  • 19 Voir chapitre IV, section « Des ventes à perte ? ».
  • 20 Chapitre III, section III « La valeur moyenne de prêts ».

29En fin de compte, les gains provenant des prêts ne semblaient pas être excessifs et étaient étroitement liés aux décisions des débiteurs eux-mêmes : plus le pourcentage d’emprunteurs insolvables était faible, plus le rendement pour les créanciers était élevé. Les variables pouvant affecter le taux de remboursement étaient multiples et dépendaient de nombreuses causes. En premier lieu, elles étaient liées à la situation économique globale, mais pas seulement : certaines dépendaient des biens engagés, de leur qualité, du lien que leurs propriétaires avaient avec eux et de la période de l’année (avec la différence été-hiver à laquelle on a déjà fait référence précédemment) ; d’autres étaient liées aux débiteurs eux-mêmes, à l’indisponibilité due à un déplacement du débiteur ou à son décès et au statut social. Bien sûr, la composition de la clientèle d’un bastione ou d’une osteria était fondamentale à cet égard et, par conséquent, sa position dans la ville était une variable déterminante dans cette équation. L’évaluation des objets faite par les osti et des bastioneri avait elle aussi une incidence sur le taux rachat. Comme on l’a dit dans le chapitre précédent, une estimation plus élevée par rapport à la valeur marchande d’un objet réduit la probabilité de rachat de la part de son propriétaire, qui peut aussi choisir de participer aux enchères afin de le récupérer à un prix plus bas19. De plus, à ce propos il est intéressant de souligner que la valeur moyenne de prêts dans les années 1790 était sensiblement plus élevée qu’auparavant20. En outre, le nombre d’objets engagés et le taux de rachat varient grandement selon la paroisse prise en considération (cela est démontré dans une section particulière), un élément fondamental qui nous permettra aussi de comparer plus généralement la situation économique de certains quartiers spécifiques de la ville.

Calcul de la fréquence de mise en gage

  • 21 Dans ce cas, nous nous occuperons seulement des bastioni, parce que sinon l’analyse devrait se lim (...)
  • 22 On y trouve aussi d’autres informations intéressantes, comme le nombre de gondoles dans chaque mén (...)

30En utilisant les données sur le nombre d’objets vendus aux enchères par les bastioni et l’estimation du total des crédits remboursés, il est possible de formuler des hypothèses par rapport à la fréquence à laquelle chaque ménage/individu vénitien engageait un objet21. Les données concernant la population proviennent d’un registre de 1761 produit sur ordre des Provveditori alla Sanità, magistrats responsables de la protection de la santé publique. Ils avaient chargé les prêtres d’interroger chaque chef de ménage résidant dans leurs paroisses afin d’enregistrer son nom, sa profession, la présence éventuelle d’étrangers, de domestiques, de servantes (massere) et le nombre de membres de chaque foyer réparti par sexe et classe d’âge22.

  • 23 À ce propos, voir Arru – Ramella 2003 ; Canepari 2008 ; Bernardi 2017.

31Considérer que la clientèle d’un bastione n’était composée que de résidents d’une même paroisse constitue en partie un biais car de cette façon on exclut a priori l’incidence d’un phénomène largement démontré comme celui de la mobilité interparoissiale23. En général, il y avait certainement une relation entre un bastione et les habitants d’une paroisse, qui s’y rendaient quotidiennement pour y passer du temps, acheter du vin et de la nourriture ou, pourquoi pas, obtenir un prêt. L’histoire de Bortolo Bodai, orfèvre accusé de fraude pour avoir engagé des objets en faux argent à laquelle nous avons fait référence dans le chapitre précédent, semble aller dans cette direction, démontrant que les dettes s’accumulaient progressivement, jour après jour, dans le cadre d’une relation stable et durable. D’autre part, il va de soi que l’existence d’un lien entre débiteur et créancier était un avantage pour le succès d’une opération de crédit, au-delà de la présence d’une garantie matérielle ou non. En fin de compte, donc, bien que l’on ne puisse exclure a priori que la clientèle – et donc un certain pourcentage de débiteurs – provenait aussi en partie d’autres quartiers de la ville, on est amené à croire qu’elle était composée en grande partie de résidents d’une même paroisse.

Fig. 5 – Localisation des paroisses analysées.

Fig. 5 – Localisation des paroisses analysées.

Conception : M. Pompermaier. Réalisation : F. Delisle, GRHis 2020.

32L’échantillon sélectionné pour cette analyse comprend cinq paroisses, à savoir San Simeon Profeta (ou Grande), Sant’Aponal (ou Sant’Apollinare), Sant’Agnese, San Martino et San Felice, situées respectivement dans les sestieri de Santa Croce, San Polo, Dorsoduro, Castello et Cannaregio (tab. 30 et fig. 5). Malheureusement, le registre d’état civil nous est parvenu incomplet ; en effet, nous ne disposons pas du registre du sestiere de San Marco, qui ne sera donc pas inclus dans cette analyse.

Tab. 30 – Détail des bastioni analysés.

Sestiere Paroisse Bastione
Santa Croce San Simon Profeta Bari
San Polo Sant’Aponal Sant’Aponal
Dorsoduro Sant’Agnese Sant’Agnese
Castello San Martino San Martin
Cannaregio San Felice San Felice
  • 24 ASVe, Provveditori alla Sanità, bb. 573-574.

33En 1761, environ 10 900 personnes vivaient dans ces cinq paroisses, représentant au total 2 217 ménages24. La population a été enregistrée selon trois groupes séparés : les nobili (nobles), les cittadini (citoyens) et les artefici (artisans). La première catégorie incluait les membres de la classe politique de la ville, à savoir les membres du patriciat, suivis de ceux qui exerçaient des professions “non-mécaniques” comme les marchands, les médecins ou les notaires ; enfin, il y avait ce que l’on pourrait définir comme le “peuple”, c’est-à-dire ceux qui pratiquaient des emplois manuels. Cette subdivision socio-professionnelle ne correspondait pas à une hiérarchie économique, parce que de manière globale ces groupes présentent une forte hétérogénéité en leur sein (par exemple, de nombreuses familles patriciennes vivaient dans de réelles conditions de pauvreté).

  • 25 Voir la liste des bastioni en activité en 1782 ; ASVe, Giustizia Nuova, b. 12, fichier « stampe 17 (...)

34Pour choisir les paroisses à prendre en compte, nous nous sommes focalisés sur deux éléments, à savoir qu’il n’y ait en leur sein qu’un seul bastione et que celui-ci ait participé à au moins une enchère en 1761. Bien que la loi stipule le contraire, dans certains cas (probablement à cause d’anciennes concessions), on trouve deux bastioni dans une même paroisse : par exemple, à Santa Maria Formosa, dans le sestiere de Castello, le bastione de Santi Giovanni et Paolo et celui du Mondo Novo étaient actifs simultanément, tandis qu’à San Pietro di Castello, on trouve ceux de San Francesco di Paola et de San Gioacchino25.

Paroisse Nombre d’habitants
Nobles Citoyens Peuple Total
San Felice 189 352 1 233 1 774
San Simeon Profeta 140 261 2 039 2 440
Sant’Agnese 175 164 1 184 1 523
Sant’Aponal 86 313 1 720 2 119
San Martino 188 138 2 699 3 025

Tab. 31 – Composition numérique et sociale des paroisses analysées.

Nombre de ménages
Nobles Citoyens Peuple Total
15 63 252 330
8 44 515 567
15 33 281 329
7 50 353 410
18 29 534 581

Sources : ASVe, Provveditori alla Sanità, bb 573, 574.

35Dans le tableau 31, nous voyons plus spécifiquement la composition sociale des paroisses en question. Comme il était facilement prévisible, la classe la plus nombreuse était celle du “peuple”, les artefici, suivie des cittadini et, enfin, des nobili (graphique 20).

Graphique 20 – Représentation graphique de la composition sociale des paroisses (nobles, citoyens, peuple).

Graphique 20 – Représentation graphique de la composition sociale des paroisses (nobles, citoyens, peuple).

Sources : ASVe, Provveditori alla Sanità, bb. 573, 574.

  • 26 Concina 1989, p. 77, 203.
  • 27 Cette adage derive d’une prière catolique « a peste, fame et bello libera nos domine » ; Concina 1 (...)

36Parmi les paroisses analysées, les plus pauvres étaient certainement celles de San Martino et de Sant’Agnese, la première insérée dans une vaste zone pauvre entourant l’Arsenal et la deuxième située dans le sestiere de Dorsoduro, qui depuis le XVIe siècle enregistrait la plus faible densité de bâtiments à usage résidentiel et les tarifs les plus bas en termes de loyer annuel26. Même San Simeon Profeta était principalement une paroisse populaire, où les maisons alternaient avec des ateliers d’artisans : elle était située, avec les paroisses voisines de San Giacomo dall’Orio, San Stin et San Simeon Piccolo dans une zone urbaine où le cadre social et économique et les bâtiments enregistraient une tendance régressive et notamment où les conditions de logement se détériorèrent progressivement au cours de l’époque moderne. Un ancien adage vénitien, « da Biri, Bari e Bragora, libera nos, domine » (« de Biri, Bari et Bragora, Seigneur délivre-nous »), décrit très bien la situation27.

  • 28 Ibid., p. 170.
  • 29 Ibid., p. 13, 37, 44.
  • 30 Concina compte plus de 43 entrepôts dans toute la paroisse ; Ibid., p. 43 note de bas de page 29.
  • 31 Ibid., p. 208.

37San Felice était également considérée comme une zone périphérique, même si les conditions y étaient meilleures grâce au fait qu’elle était beaucoup mieux reliée – par des canaux et des gondoles – aux centres de San Marco et de Rialto28. Sant’Aponal, en revanche, était l’une des paroisses “marchandes” de Venise, réunissant une quantité considérable de magasins, d’ateliers et d’entrepôts29. La situation y était légèrement différente par rapport aux quatre autres paroisses précitées, puisque juste à côté des logements bon marché et des vieilles maisons en ruine qui étaient louées aux porteurs et aux travailleurs saisonniers se trouvaient, tout au long du Grand Canal, de riches résidences patriciennes30. Plus généralement, bien que les cinq zones ne soient pas parfaitement superposables, leur situation n’était pas très différente en termes socio-économiques : il s’agissait de paroisses populaires, où les logements des patriciens représentaient un très faible pourcentage du total et où il y avait des bâtiments loués à bas prix et d’autres réservés à l’assistance, habités par des personnes extrêmement pauvres (en particulier des malades et des veuves, que l’on trouve surtout dans la paroisse de Sant’Agnese)31.

  • 32 Malheuresement, nous n’avons pas de données complètes pour 1763.
  • 33 ASVe, Giustizia Nuova, b. 42.

38En raison de l’irrégularité avec laquelle les bastioni participaient aux ventes aux enchères et de la variabilité du nombre de gages vendus qui en résulte, il serait très peu significatif de considérer dans notre analyse les seules données relatives aux incanti de 1761. Par conséquent, l’analyse se focalise sur une période de cinq ans compris entre 1758 et 1762 (plus les tous premiers mois du 1763), les deux années précédentes et les deux suivantes par rapport au registre d’état civil. Ce choix est dû au fait qu’il n’y a aucune raison d’imaginer des changements démographiques majeurs au cours de ces années32. Pendant cette période, les bastioni pris en compte ont participé à 22 enchères (San Felice : 6, San Martino : 5, Bari et Sant’Agnese 4, Sant’Aponal 3) vendant un total d’environ 38 000 objets, d’une valeur globale de plus de 84 000 livres vénitiennes33.

Graphique 21 – Nombre d’objets vendus aux enchères, (cinq bastioni analysés, période 1758-1763).

Graphique 21 – Nombre d’objets vendus aux enchères, (cinq bastioni analysés, période 1758-1763).

Source : ASVe, Giustizia Nuova, b. 42.

  • 34 Une tendance qui a été confirmée par l’analyse des ventes aux enchères des années précédentes. Ent (...)

39Comme on peut le voir sur le graphique 21, les ventes aux enchères des bastioni de Bari et de San Martino ont une tendance fortement oscillatoire, alternant des ventes d’un nombre significatif d’objets avec d’autres moins importantes : le bastione de Sant’Aponal, au contraire, semble avoir une évolution résolument négative mais, selon toute probabilité, s’il y avait des données sur les enchères suivantes, il aurait été possible de vérifier que dans ce cas aussi la tendance est la même que celle des bastioni de Bari et de San Martino, malgré un cycle plus long34. San Felice et Sant’Agnese, d’autre part, ont une tendance plus linéaire, bien qu’à des niveaux beaucoup plus bas.

40En appliquant un taux de rachat de 2/3 du total aux 35 214 gages vendus pendant cette période (Sant’Agnese 3 328, Bari 8 962, San Felice 5 623, San Martino 7 513 et Sant’Aponal 9 788), on obtient un total d’environ 105 600 gages, répartis entre les différents bastioni comme indiqué dans le tableau 32.

Tab. 32 – Évaluation du nombre d’objets engagé entre 1759-1763 (moyenne par individu et ménage).

Bastione Nombre d’objets engagés chaque année Gages/Années
1758 1759 1760 1761 1762 1763 Ménage Individu
Sant’Agnese 966 4 395 3 072 2 517 6,66 1,44
Barri 6 252 13 452 4 704 2 478 9,48 2,20
San Felice 2 775 8 040 4 017 4 812 11,91 2,21
San Martino 4 878 11 505 1 488 8 400 1 146 9,44 1,81
Sant’Aponal 16 008 9 378 3 978 14,32 2,77

Sources : ASVe, Giustizia Nuova, b. 42 ; ASVe, Provveditori alla Sanità, bb. 573-574.

  • 35 Dans la proche paroisse de San Mattio, cependant, il y avait quatre osterie : la Donzella, les Due (...)
  • 36 Les ménages étaient composés d’environ 5 individus ; données relatives à 1760, estimées par Beltra (...)

41Chaque ménage résidant dans la paroisse de Sant’Aponal a engagé environ 1 objet par mois, ce qui, si l’on considère le valeur moyenne calculée au chapitre précédent, correspondait à un peu plus de 3,3 livres vénitiennes décimales. C’est une valeur plus élevée que celle des 4 autres paroisses, probablement parce qu’il s’agissait d’une paroisse centrale, entourée de trois autres dans lesquelles il n’y avait pas de bastioni, à savoir San Silvestro, San Cassiano et Santa Maria Mater Domini35. Dans le cas de ce quartier, il est clair qu’il faut utiliser les données avec encore plus de prudence, car elles sont partiellement “gonflées” par les objets engagés par les résidents des zones contiguës. Si l’on se concentre sur les données relatives au nombre d’objets engagés par individu, on constate que les paroisses de Sant’Agnese et de San Martino ont des valeurs similaires (environ 1,5 gage par individu et par an) tout comme celles de San Simeone Profeta – où se trouvait le bastione des Bari – et San Felice (2,2 gages par an). Si l’on considère la ville entière, pendant les cinq années comprises entre 1758 et 1762 environ 970 000 objets ont été engagés au total. Sur une population d’environ 150 000 habitants, cela équivaut à une moyenne d’environ 1,30 gage par an et par habitant, soit 6,50 par ménage36.

42Comment expliquer la différence dans les estimations du nombre d’objets engagés entre les paroisses (et par rapport au volume général) ? Ce n’est pas un hasard si les deux quartiers présentant les valeurs les plus basses – San Martino, 1,81 et Sant’Agnese, 1,44 – sont les plus pauvres de notre échantillon. La réponse est probablement que, bien qu’il s’agisse d’une offre qui s’adressait aux couches les plus pauvres de la population, l’accès au crédit était encore une fois lié à la possession d’objets qui, bien que de faible valeur, étaient nécessaires pour garantir un prêt. Outre le fait de ne pas avoir d’emploi, les pauvres, les malades et les vagabonds pouvaient compter sur des ressources économiques et sociales très limitées : ils n’avaient probablement pas le niveau minimum de richesse nécessaire pour accéder au marché, ou seulement en quantités extrêmement limitées, ce qui justifie une faible fréquence annuelle d’engagement.

43D’autre part, on peut imaginer que les classes moyennes choisissaient probablement de confier leurs objets (que nous imaginons avoir une valeur moyenne beaucoup plus élevée) aux autres circuits du crédit disponibles dans la ville ou à l’extérieur, parce que dans le cas de montants élevés, le fait de devoir recevoir 1/3 du crédit en vin n’était certainement pas très apprécié ni très pratique. De plus, les bastioni étaient des endroits fréquentés par les pauvres, parfois même des lieux dangereux, ce qui, selon toute probabilité, n’encourageait pas les classes les plus riches à s’y rendre.

44En général, l’étude du marché du crédit vénitien donne l’impression d’avoir affaire à un système qui crée des offres différentes dans le but d’englober la société toute entière, en essayant d’inclure à la fois les plus riches et les plus pauvres. C’est précisément l’une des causes de la “formalisation” de l’activité de prêt des bastioni et des osterie, dans le but de fournir un moyen grâce auquel même les indigents puissent se nourrir et avoir accès à des biens primaires fondamentaux pour l’alimentation quotidienne, tels que le vin (bien sûr, le fait que cela générait également un rendement économique pour la République n’était pas secondaire). Malgré tout, même si le cercle s’élargit de plus en plus, une partie de la population était exclue. Mais d’autre part, c’est précisément là, dans la différence entre les pauvres et les “très pauvres”, que se trouve la limite entre le crédit et la charité.

Bastioni et osterie dans l’économie de la ville

  • 37 Ibid., p. 38.

45En croisant les données relatives à l’évolution des ventes aux enchères de chaque bastione et osteria avec le registre d’état civil de la population vénitienne rédigé par le Provveditori alla Sanità en 1761, il est aussi possible de mettre en évidence certaines différences entre les diverses parties de la ville. Dans cette analyse, nous considérerons la même période chronologique qu’à la section précédente, c’est-à-dire les 5 années entre 1758 et 1762. Selon les estimations, la population totale était alors d’environ 150 000 habitants – sans compter les étrangers et les voyageurs en transit – qui étaient répartis dans six sestieri et 71 paroisses qui composaient la ville (cf. fig. 5, chapitre précèdent)37.

46Le registre en question est un outil extrêmement utile car il contient des informations précieuses non seulement en ce qui concerne le nombre de résidents, mais aussi sur le plan démographique et social. De cette façon, il est possible d’approfondir notre analyse et d’essayer de mieux comprendre à la fois la nature de l’activité de crédit des bastioni et des osterie et la structure de la ville elle-même. Dans le tableau 33 nous pouvons voir la subdivision démographique de la population au sein des différents sestieri de la ville.

Tab. 33 – Structure démographique des six Sestieri.

Sestiere Garçons (-18) Hommes (18-50) Vieux (+50) Femmes Filles (-18) Totala
Santa Croce 2 368 2 987 1 036 5 238 2 312 16 347
Castello 5 085 7 225 2 479 10 731 5 041 35 060
Cannaregio 5 049 6 570 2 023 2 303 5 392 31 875
San Polo 1 578 2 292 984 3 154 1 439 11 330
Dorsoduro 4 762 5 861 2 252 10 078 4 768 30 491
San Marco* 3 614 4 783 1 682 6 019 3 636  24 000
a. La somme des différentes parties n’atteint pas 100 % parce qu’il y a d’autres composantes mineures qui n’ont pas été incluses dans le tableau, comme le nombre des serveuses, serveurs, prêtres et étrangers.
  • 38 En additionnant les différentes catégories, on n’arrive pas à 24.000 individus parce que dans ce t (...)

Source : ASVe, Provveditori alla Sanità, bb. 573, 574.
* Les données pour le sestiere de San Marco sont obtenues en faisant la différence avec le volume total de population estimé par Beltrami, et est divisé proportionnellement en catégories par rapport à la moyenne des autres sestieri de la ville38.

  • 39 Entre le XVIIe et le XVIIIe siècle, San Marco 44,78 hectares, San Polo 28,26 hectares, Castello 10 (...)

47Dans ce tableau, nous remarquons une grande variation entre les Sestieri en termes de nombre d’habitants, principalement due au fait qu’ils s’étendent sur des surfaces différentes39. Il y avait deux blocs relativement homogènes, le premier composé de Castello, Cannaregio et Dorsorduro, dans lequel vivaient environ 30 000/35 000 personnes, tandis que le second comprenait les moins peuplés San Marco, Santa Croce et San Polo (respectivement environ 24 000, 15 000 et 10 000 habitants). Cannaregio était le sestiere le plus jeune en 1761, puisque 48,93 % de la population (à l’exclusion des étrangers, des domestiques et du clergé, environ 10-12 % de la population totale) était âgée de moins de 18 ans, tandis qu’à San Polo plus de 68 % des habitants avaient déjà dépassé cet âge (tab. 34).

Tab. 34 – Division de la population par tranches d’âge. Sources : voir tab. 33.

Sestiere Garçons et filles (-18) Hommes et femmes (+50)
Santa croce 33,57 % 66,43 %
Castello 33,13 % 66,87 %
Cannaregio 48,93 % 51,07 %
San Polo 31,94 % 68,06 %
Dorsoduro 34,38 % 65,62 %

48Le registre contient aussi des informations relatives à la composition sociale des paroisses, car il nous indique quelle était la répartition des habitants dans les trois classes des nobili, cittadini et artefici. Ce sont des données à considérer avec prudence car une grande partie de la noblesse vénitienne vivait dans la pauvreté, au même niveau (et peut-être même en deça) que certains artisans. En tout état de cause, la corrélation entre ces données et la quantité et surtout la valeur moyenne des objets vendus lors des enchères publiques des gages des bastioni et des osterie peut certainement nous donner une indication supplémentaire sur la fiabilité de ces informations, notamment en comparant la situation dans différentes paroisses. En observant le graphique suivant (graphique 22), nous remarquons que Dorsoduro et San Polo sont les quartiers où l’on trouve le plus grand nombre de nobles et de citoyens, bien que les artefici représentent bien sûr une nette majorité comme dans tous les quartiers de la ville.

Graphique 22 – Composition de la population par catégorie sociale (sauf San Marco).

Graphique 22 – Composition de la population par catégorie sociale (sauf San Marco).

Sources : voir tab. 33.

49Enfin, le registre nous fournit également des données sur la répartition des pauvres, des malades et des mendiants vivant dans les différents quartiers de la ville, autre élément qui pourrait affecter la quantité et la qualité du crédit fourni par les bastioni et les osterie. La plus forte concentration de cette partie extrêmement pauvre de la population est enregistrée dans les quartiers de Cannaregio, San Marco et Castello, tandis qu’à Santa Croce et San Polo, elle diminue considérablement (tab. 35).

Tab. 35 – Nombre et répartition des habitants pauvres, infirmes et mendiants.

Sestiere Total  %
Santa Croce 2 400 10,9 %
Castello 4 040 18,3 %
Cannaregio 4 922 22,3 %
San Polo 2 372 10,7 %
Dorsoduro 3 280 14,8 %
San Marco 5 093 23,0 %
Total 22 107 100,0 %

Sources : voir tab. 33.

50Cette série de données, bien qu’intéressante également en termes absolus, est particulièrement utile si elle est croisée aux informations en notre possession par rapport aux enchères des gages des bastioni et des osterie. Contrairement aux banques du Ghetto ou aux monts-de-piété, qui étaient situés dans un seul endroit, les bastioni étaient répartis dans toute la ville et leur activité était donc certainement influencée par le contexte dans lequel ils étaient situés. Cette caractéristique me permet de comparer et de corréler les particularités démographiques et sociales de chaque sestiere et paroisse avec des données sur la quantité et la qualité des gages, le nombre de bastioni et d’osterie dans une zone spécifique et leur fréquence de participation aux enchères, afin d’identifier les facteurs qui affectaient la qualité et la quantité de la demande de crédit. De cette façon, nous pouvons aussi avancer une hypothèse sur la hiérarchie qui existait entre les différentes zones qui composaient la ville. Malgré cela, ce n’est pas une analyse qui vise à étudier spécifiquement le phénomène des inégalités socio-économiques à l’intérieur de Venise, mais plus simplement à comprendre quelles variables pouvaient affecter la demande de crédit.

51Le tableau 36 compare les données du registre, pour le moment uniquement au niveau des sestieri, avec celles utilisées dans les chapitres précédents pour décrire l’activité de crédit des bastioni et des osterie, informations différentes mais potentiellement liées entre elles.

Tab. 36 – Comparaison : enchères publiques et situation démographique des Sestieri.

Période 1758-1762 Santa Croce Castello Cannaregio San Polo Dorsoduro San Marco
Nb Enchères 16 48 60 41 56 48
Nb jours* 108 224 234 154 191 197
Objets vendus 32 744 68 101 64 862 36 664 52 927 54 861
Objets/enchères 2 046 1 418 1 081 894 945 1 142
Gain (livre vén) 71 993 158 514 140 544 90 034 123 583 133 200
Objets engagés
(évaluation)
98 232 204 303 194 586 109 992 158 781 164 583
Valeur moyenne
objets
2,2 2,33 2,17 2,46 2,33 2,43
% Nobili 4,9 4,99 5,92 8,94 8,27
% Cittadini 11,15 11,21 11,38 16,57 22,77
% Artefici 83,95 83,8 82,7 74,49 68,97
Nb Pauvres 2 400 4 040 4 922 2 372 3 280 5 093
Nb bastioni/osterie
aux enchères
4 11 13 12 14 14
Nb bastioni et osterie
dans le Sestiere**
4 11 14 14 18 16
% bastioni et osterie
aux enchères
100 % 100 % 93 % 86 % 78 % 88 %

* Jours auxquels un bastione ou une osteria participait aux enchères ** ceux localisés avec certitude). Sources : ASVe, Giustizia Nuova, bb. 13, 40, 41, 42, 43 ; ASVe, Provveditori alla Sanità, bb. 573-574.

52Les bastioni situés dans les trois sestieri les plus peuplés, à savoir Castello, Cannaregio et Dorsoduro, étaient ceux dont l’activité était la plus élevée en termes de participation aux enchères, respectivement 48, 60 et 56 ventes sur les 5 années prises en compte. Concrètement, pendant cette période, le comandador a vendu des objets appartenant uniquement à ces bastioni pour un total de 224, 234 et 191 jours. Comme il était prévisible, le nombre d’objets concernés est donc étroitement lié au nombre d’habitants, du moins au niveau du sestiere (0,91). À San Marco, bien que la population fût numériquement moins nombreuse, un total de 16 bastioni et osterie étaient actifs, dont 14 avaient participé aux enchères pendant la période en question. Le tableau indique que le volume d’objets et d’argent traités par ces derniers n’était pas très éloigné de celui des autres sestieri de la ville, ce qui peut s’expliquer par la grande présence d’étrangers (qui n’étaient pas enregistrés dans le registre d’état civil) et la vivacité économique qui caractérisait le quartier de la place San Marco, le centre administratif de Venise.

53San Marco et San Polo étaient depuis longtemps devenus les zones de prédilection de la noblesse vénitienne, dans lesquelles étaient établies toutes les principales résidences patriciennes : c’est peut-être la raison pour laquelle la valeur moyenne des objets est plus élevée, même si la différence n’est pas très grande. En effet, le pourcentage d’artefici dans une zone était inversement corrélé à la valeur moyenne des gages (-0,61), qui semblait plutôt être en relation directe avec le nombre de nobles qui y résidaient (0,73).

Graphique 23 – Incidence du % d’artefici sur le nombre de gages par individu.

Graphique 23 – Incidence du % d’artefici sur le nombre de gages par individu.

Élaboré par l’auteur.

Graphique 24 – Incidence du % de cittadini sur le nombre de gages par individu.

Graphique 24 – Incidence du % de cittadini sur le nombre de gages par individu.

Élaboré par l’auteur.

Graphique 25 – Incidence du % de nobili sur le nombre de gages par individu.

Graphique 25 – Incidence du % de nobili sur le nombre de gages par individu.

Élaboré par l’auteur.

54Les graphiques 23, 24 et 25 illustrent le fait que l’augmentation du pourcentage d’artefici et de cittadini – bien que proportionnellement moins importante – a une incidence négative sur le nombre d’objets engagés par personne. Cela signifie non seulement que les nobili étaient statistiquement plus riches et utilisaient le service de prêt sur gage des osterie et des bastioni, mais aussi qu’ils contribuaient avec un plus grand nombre d’objets engagés par habitant.

55Nous ne pouvons pas vérifier s’il y avait un lien entre le nombre de pauvres qui vivaient dans un sestiere et la quantité d’objets engagés, parce que leur présence est partiellement corrélée au nombre total de la population : en général, cependant, leur nombre n’affectait pas la valeur moyenne des prêts (-0,08). Enfin, en ce qui concerne les caractéristiques démographiques plus spécifiques, la plus grande présence d’habitants de moins de 18 ans était positivement corrélée à la quantité de gages (0,51, et évidemment la même corrélation avec le nombre de résidents de plus de 18 ans donne un résultat égal mais inverse), mais non à leur valeur (-0,68). Le pourcentage de résidents masculins entre 18 et 50 ans, que l’on pouvait imaginer être les clients principaux des bastioni et des osterie, est étroitement lié à la quantité d’opérations de prêt (0,97). Par conséquent, au moins au niveau du sestiere, la valeur moyenne des gages était influencée négativement par le pourcentage de résidents appartenant au groupe des artefici. Les zones plus jeunes et avec un plus grand pourcentage d’hommes étaient plus actives sur le marché du crédit par rapport à celles où habitaient plus de femmes et où l’âge moyen était plus élevé.

56Dans le tableau 37 on trouve indiqué le nombre moyen d’objets déposés dans un bastione ou une osteria par individu et par ménage dans chacun des six sestieri, comparé aux données des 5 paroisses analysées dans la section précédente.

Tab. 37 – Objets engagé par chaque individu/ménage, comparaison entre sestieri/paroisses (* Santa Croce = San Simeon Profeta, Castello = San Martino, Cannaregio = San Felice, San Polo = Sant’Aponal, Dorsoduro = Sant’Agnese).

Sestiere Analyse par Sestiere Analyse par paroisse*
Gages / ind.
(1 année)
Gages / mén.
(1 année)
Gages / ind.
(1 année)
Gages / mén.
(1 année)
Paroisse
Santa Croce 1,06 5,33 2,2 9,48 San Simeon Profeta
Castello 1,28 6,22 1,81 9,44 San Martino
Cannaregio 1,25 6,24 2,21 11,91 San Felice
San Polo 1,95 9,73 2,77 14,35 Sant’Aponal
Dorsoduro 1,09 5,47 1,44 6,66 Sant’Agnese
San Marco 1,37 6,86 - -
Venise 1,31 6,56

Élaboré par l’auteur, sources : ASVe, Giustizia Nuova, bb. 13, 40, 41, 42, 43 ; ASVe, Provveditori alla Sanità, bb. 573, 574.

57On remarque immédiatement une grande différence entre les données relatives aux paroisses et celles des Sestieri en ce qui concerne le nombre d’objets engagés annuellement par les particuliers et les familles, qui dérive probablement du fait que, du moins pendant la période considérée, toutes les paroisses ne pouvaient pas compter sur la présence d’un bastione ou d’une osteria actif dans le prêt sur gage (tab. 38).

Tab. 38 – Nb de paroisses par sestiere et Nb de paroisses où se trouvait au moins un bastione/osteria qui participait aux enchères entre 1758/1762.

Sestiere Paroisses Bast./Ost. aux enchères*
Santa Croce 9 4 (44,44 %)
Castello 13 7 (53,85 %)
Cannaregio 13 8 (61,54 %)
San Polo 9 5 (55,56 %)
Dorsoduro 11 9 (81,82 %)

*Bast. = Bastioni, Ost. = Osterie. Sources : voir tab. 38.

  • 40 Concina 1989, p. 203, 204 ; voir surtout les notes de bas de page 23 et 24.

58En partant de l’analyse du coût des loyers, Ennio Concina a pu dresser une carte des paroisses qui, en 1740, avaient la plus forte densité de logements à faible loyer, où il est donc légitime de s’attendre à trouver la partie la plus pauvre de la population vénitienne40. Il est intéressant de noter qu’il existe une forte corrélation entre les quartiers de la ville où entre 40 % et 70 % des loyers coûtent moins de 19 ducats par an (30 sur 71) et la présence de bastioni/osterie qui participèrent au moins à une vente aux enchères pendant les cinq années 1758-1762 en question (tab. 39).

Tab. 39 – Correspondance entre faibles loyers et bastioni/osterie qui participaient aux enchères de gages (1758-1762).

Sestiere Paroisses 40/70 %
des loyers
– 19 ducats
Sestiere Paroisses 40/70 %
des loyers
– 19 ducats
Cannaregio San Geremia X Dorsoduro San Raffael X
Cannaregio San Cancian Dorsoduro San Basilio X
Cannaregio San Marcilian Dorsoduro Sant’Agnese X
Cannaregio San Marcola X Dorsoduro San Gregorio X
Cannaregio Santi Apostoli Dorsoduro Santi Trovaso X
Cannaregio San Felice Dorsoduro Santa Margarita X
Cannaregio Santa Soffia Dorsoduro San Barnaba X
Cannaregio San Leonardo San Polo San Giovanni di Rialto X
Castello Sant’Antonino San Polo San Polo
Castello San Pietro X San Polo San Mattio X
Castello San Martino X San Polo Sant’Aponal X
Castello Santa Giustina X San Polo San Stin
Castello San Provolo Santa Croce Santa Croce X
Castello Santa Maria Formosa Santa Croce San Simeone Profeta X
Castello San Giovanni in Bragora Santa Croce San Simeone Apostolo X
Dorsoduro Sant’Euffemia della Giudecca X Santa Croce San Stae X
Dorsoduro San Niccolò X Total 21/33 (63 %)

Source : voir note 44.

59En fin de compte, grâce à cette analyse nous avons identifié un certain nombre de caractéristiques qui avaient des effets sur la quantité et la qualité de la demande de crédit. Le nombre d’objets utilisés dépend bien sûr strictement du nombre d’habitants d’une même zone, du pourcentage d’hommes et, surtout, de garçons et de filles de moins de 18 ans (les familles nombreuses avaient probablement un besoin plus fréquent d’argent à crédit). La valeur des prêts, en revanche, était inversement proportionnelle au pourcentage d’artefici et augmentait proportionnellement à l’âge moyen des habitants. Le nombre de gages par personne et par ménage, en revanche, était directement proportionnel au pourcentage de cittadini et de nobili. Enfin, la présence de bastioni et des osterie actifs dans le prêt sur gage était plus probable dans les paroisses où le coût des loyers était plus bas et où vivait probablement la partie la plus pauvre de la population.

Faux mythes et véritables besoins

60Dans ses mémoires, le citoyen Marco Piazza se réfère à :

  • 41 Bembo 1859, p. 139, traduit par l’auteur.

certains hommes qui ne craignaient pas de profiter de la plus misérable pauvreté avec un commerce injuste des gages, se nourrissant des larmes des hommes malheureux qui se tournaient vers eux à la recherche de secours, en s’enrichissant de leurs chiffons que leur nudité réclamait fortement41.

61Quiconque a une connaissance minimale de l’histoire du crédit et de l’usure entre le Moyen Âge et l’époque moderne pourrait penser sans doute que le sujet de cette accusation soient les Juifs, toujours accusés d’être d’avides usuriers qui profitaient des malheurs des pauvres chrétiens. Mais les Juifs n’ont rien à voir avec cela : ces hommes qui « profitent de la plus misérable pauvreté » ne sont autres que les osti et les bastioneri.

  • 42 Ibid., p. 161.

62Au cours de l’analyse, il est progressivement apparu que les craintes de M. Piazza – et aussi celles du comte Bembo – étaient largement infondées, fondées peut-être sur des préjugés ou, plus probablement, sur le désir de célébrer la récente naissance du mont-de-piété de Venise. L’accusation probablement la plus grave adressée par Bembo aux osti et aux bastioneri concerne le taux d’intérêt, car il soutenait que la troisième partie en vin sur un prêt de la durée maximale de trois mois aurait obligé « quiconque détenait un gage, ou des gages différents pour le cours d’une année entière, [à] recevoir 120 sous de vin qui ne vaut absolument rien à cause de sa mauvaise qualité »42. Cependant, il a été démontré que, du moins au XVIIIe siècle, aucun oste ou bastionere ne vendait les gages en stock tous les trois mois et que ces derniers restaient beaucoup plus longtemps dans leurs entrepôts, en moyenne 8 mois mais souvent même plus d’un an. Il s’agit d’une vision largement négative de ce circuit de crédit : la quantité de prêts accordés chaque année démontre sans aucun doute qu’il s’agissait au contraire d’un soutien décisif pour les classes pauvres de la population vénitienne.

63Nous avons tracé les contours de cette activité ancienne, en décrivant son fonctionnement et en analysant l’appareil normatif que la Giustizia Nuova – puis les Provveditori e Sopravveditori alla Giustizia Nuova – et le Collegio dei Sette Savi ont développé au cours de plus de quatre siècles et demi. Ce système répondait parfaitement à tous les critères anti-usure, soient ces d’origine spirituels ou temporels : ce n’est pas un aspect secondaire, car d’un certain point de vue il témoigne ses origines médiévales, quand la question liée à l’usure était encore au centre du débat. De plus, de cette façon, la vente du vin était favorisée, augmentant les revenus dans les caisses publiques et répondant au principe de base qui avait accompagné la naissance – ou mieux, l’“officialisation” – de ce circuit du crédit, c’est-à-dire, permettre aux pauvres d’avoir accès aux biens de première nécessité.

64Deux traits inhabituels et originaux sont aussitôt apparus en ce qui concerne les acteurs et les lieux où se déroulaient les échanges. En premier lieu, il ne s’agissait pas de prêteurs professionnels, et plutôt que d’un banc au sens strict du terme, nous devrions parler d’un “comptoir”, très semblable à ce que l’on trouve aujourd’hui dans les osterie modernes. Les modalités selon lesquelles se déroulaient les prêts et surtout le système d’application du taux d’intérêt étaient également exceptionnels et, jusqu’à aujourd’hui, il n’a pas encore été possible de savoir s’il s’agit d’un unicum dans son genre, d’une spécificité toute vénitienne, ou s’il existe ailleurs quelque chose de semblable. Certes, dans les osterie de la campagne vénitienne comme probablement dans celles de nombreuses autres villes, vénitiennes ou non, les osti prêtaient de petites sommes ou vendaient des produits à crédit (il s’agissait surtout de paiements cumulatifs, comme le système des tailles dans les boulangeries françaises) : la spécificité de Venise est liée au fait que, comme il a déjà été souligné à plusieurs reprises au cours de ce texte, la République était intervenue en réglementant ce circuit du crédit, en le plaçant dans un cadre normatif. Ce n’est pas directement l’autorité publique qui prêtait de l’argent, bien sûr, mais elle s’assurait que les créanciers savaient qu’ils étaient surveillés, dans le but de protéger les débiteurs et leurs biens.

  • 43 Le conflit à l’intérieur des institutions de microfinance entre performance sociales et financières (...)

65Dans les institutions de microfinance contemporaines, l’un des problèmes principaux est celui de réussir à faire coïncider des nécessités d’ordre social, c’est-à-dire la lutte contre la pauvreté, et financières, avec l’autosuffisance économique de l’institution elle-même et sa capacité à générer des profits qui doivent être reversés aux investisseurs43. Osterie et bastioni ont réussi à résoudre ce problème en associant leur activité de crédit à leurs buts commerciaux. En effet, on peut dire que pour eux, prêter signifiait aussi vendre, d’une part parce que la troisième partie du crédit était fournie en vin et d’autre part grâce à l’augmentation globale des ventes due à la possibilité même de payer à crédit (augmentant ainsi le nombre des clients potentiels). Surtout, cela a été possible en maintenant le coût du capital à des niveaux relativement bas, ce que seules certaines ONG peuvent faire aujourd’hui, grâce au soutien financier gratuit des particuliers ou des États (mais nous reviendrons plus en détail sur ce point ultérieurement).

  • 44 « Il denaro non era l’unico possibile mezzo di pagamento … economia naturale ed economia monetaria (...)

66Un autre élément de grand intérêt est d’avoir identifié qui étaient ces débiteurs et quels étaient les types de biens les plus engagés. La valeur moyenne des prêts et l’analyse qualitative des inventaires suggèrent sans équivoque qu’il s’agissait de la partie la plus pauvre de la population, qui recourait quotidiennement à leur soutien dans une relation stable et durable : le passage à l’osteria ou au bastione était un rituel, franchir son seuil signifiait accéder à ce que nous avons défini comme l’économie du “mouchoir”, dans laquelle les objets, même les plus modestes ou n’ayant apparemment aucune valeur, acquéraient une importance nouvelle. Une serviette pouvait être utilisée pour garantir un prêt mais aussi pour acheter du vin ou un repas, en l’échangeant comme s’il s’agissait d’une véritable monnaie, dont la valeur était convenue directement avec l’oste, une opération absolument impensable en dehors de ce contexte44.

67L’analyse des inventaires nous a également fourni une fenêtre privilégiée pour observer ce qui se trouvait à l’intérieur des chambres des Vénitiens, de leurs armoires et de leurs coffres. Considérant qu’il s’agissait de la classe pauvre de la société, cela représentait une quantité énorme d’objets, surtout de textiles. Mouchoirs, serviettes, chemises, pantalons, draps et taies d’oreiller ne sont que quelques-unes des catégories de biens dont les individus décidaient de se séparer, temporairement ou non : il faut avoir à l’esprit qu’il est très probable que ceux qui se séparaient d’un de leurs pantalons devaient en posséder au moins un autre à porter et il en va de même pour les chemises et autres types de vêtements. Dans l’économie du “mouchoir”, en dernière analyse, c’est la quantité qui compte, pas la qualité.

68Même les couches inférieures disposaient donc d’une richesse matérielle notable, qu’elles exploitaient en l’introduisant dans les différents circuits du crédit urbain. Le non-rachat et la perte conséquente des gages donnaient lieu à un très riche marché de l’occasion, qui passait par les incanti qui se déroulaient dans la zone centrale à proximité du pont du Rialto. De cette façon, une quantité considérable d’objets – et donc de richesses – était remise en circulation, vendue, achetée et peut-être à nouveau engagée, donnant lieu à un cercle vertueux de redistribution des ressources.

  • 45 Il y avait une conception de la pauvreté qui distinguait les pauperes pinguiores, ceux qui étaient (...)

69En analysant la réalisation de la vente aux enchères, nous avons pu comparer la situation entre les différentes paroisses de Venise et évaluer le taux d’engagement dans les différentes parties de la ville. Cela nous a permis de comprendre que, bien qu’il s’agisse d’un circuit de crédit qui cherchait à impliquer la couche la plus basse de la population vénitienne, certains en étaient exclus. Le même phénomène a été mis en évidence chez ceux qui se tournaient vers les monts-de-piété dans les villes de la terre ferme vénitienne, à la différence que dans ce cas-là le niveau minimum d’accès – comme en témoigne la valeur moyenne des prêts – était nettement plus élevé45.

  • 46 ASVe, Municipalità Provvisoria, b. 131, reg. 27.
  • 47 BCMCV, mss pd 785 c/4.

70Nous avons longuement parlé de l’évolution de l’activité de prêt des osterie et des bastioni au cours du XVIIIe siècle et du fait que le système semble entrer en crise vers la fin des années 1780. Malgré tout, il est possible de suivre encore ses traces pendant la période de la Municipalità Provvisoria (1797-1798) et donc après la chute de la République. Un enthousiasme renouvelé engendrant la fondation d’un mont-de-piété à Venise avait favorisé l’élaboration de programmes ayant comme point de départ l’abolition de tous les circuits du crédit préexistants. On avait donc ordonné la restitution gratuite aux pauvres des gages d’une valeur inférieure à 3 livres vénitiennes et la vente totale des gages qui restaient dans les entrepôts par le biais d’enchères extraordinaires, qui ont eu lieu à partir du 8 février 179846. Cependant, en octobre 1798, l’expérience de la Municipalità Provvisoria fut brusquement interrompue par la signature du traité de Campoformio, par lequel les Français cédaient presque tous les territoires de l’ancienne République de Venise aux Autrichiens. Parmi les documents relatifs à cette période, il n’y a pas d’autres indications sur ce qui est réellement arrivé aux osterie et bastioneri, mais nous savons avec certitude que les efforts de démantèlement n’ont pas été achevés car on a trouvé des matrices de reçus de gages du bastione de la Ca’ D’oro relatives à l’année 182047. Il s’agit d’un produit de la République qui a réussi à survivre même après sa chute.

  • 48 Casellato 1996, p. 1594 ; à ce propos, voir aussi Filippini 1990.

71Après tout, il est presque juste que la conclusion de cette histoire soit entourée de mystère, tout comme ses origines. Dans la tradition vénitienne, cependant, les osterie ont longtemps continué à représenter une référence sociale et économique pour la population. Jusqu’à tout récemment (1997), de nombreuses osterie sur le territoire vénitien abritaient des casse peote, une sorte de petite banque d’épargne et de crédit. Elles étaient créées par les membres d’associations professionnelles ou des résidents du quartier, qui nommaient un caissier et établissaient une cotisation qui devait être payée périodiquement par tous les membres. L’argent accumulé était utilisé pour diverses raisons, mais il était surtout investi dans des opérations de crédit, pour fournir de petits prêts à intérêt aux membres dans le besoin. À la fin de l’année, les bénéfices étaient redistribués entre tous les actionnaires48.

72Dans un sens, le secteur privé était intervenu à nouveau pour répondre à ce qui était probablement un besoin encore ressenti par la population. Cette fois, cependant, ce sont les citoyens eux-mêmes qui ont financé une activité qu’ils menaient dans les osterie, qui étaient encore au centre de la vie publique, un lieu commun où tous les membres pouvaient se rendre pour demander un prêt ou pour payer leurs tranches. Nous ne voulons pas affirmer que les casse peote dérivent directement de l’activité de crédit des osterie et des bastioni, car les modes de financement et de gestion sont complétement différents. Le caractère commun des lieux, cependant, indique clairement que dans la tradition vénitienne, l’osteria a continué à avoir une importance économique aussi bien que sociale, en constituant un point central de la vie quotidienne, un lieu de rencontre, de partage et, si nécessaire, un endroit où l’on pouvait trouver de l’argent à bon marché.

Annexes à la première partie I

Vin et crédit : activité quotidienne d’un bastione

73En partant des données relatives aux enchères publiques des gages non rachetés par leurs propriétaires, on a estimé qu’entre 1761 et 1762 plus de 600 objets étaient engagés quotidiennement dans les bastioni de la ville, tandis que dans le même temps environ 400 étaient rachetés. Chaque jour, chacun des 48 chefs de bastione prêtait en moyenne 41,5 livres – dont 1/3 en vin, soit un maximum de 27,7 livres en espèces – sur les 12,5 objets qu’il recevait en gage ; au même moment, il encaissait 27,6 livres grâce aux 8,3 objets rachetés par leurs propriétaires.

74À partir de là, il est possible de comparer ces informations avec celles sur les transactions autour du vin vendu quotidiennement. Nous avons estimé qu’à la fin du XVIIe siècle, chacun des 45 bastioni vendait environ 540 litres de vin par jour. En sachant qu’au cours des années 1710 le prix moyen du vin était de 5,8 sous par litre, la dépense totale peut être estimée à un montant de 157,3 livres vénitiennes décimales. On peut essayer d’appliquer les mêmes paramètres de consommation pour l’année 1762, dans la mesure où il a été possible de calculer le nombre et la valeur moyenne des gages déposés quotidiennement dans les bastioni de la ville. Le but ici est d’estimer combien d’achats quotidiens étaient payés à crédit ainsi que le nombre de ménages qui recouraient au service de prêts sur gage. Il est important de rappeler qu’en 1762, le nombre de bastioni ne s’élevait plus à 45 comme à la fin du XVIIe siècle, mais à 53 et, compte tenu des ventes minimales obligatoires (en moyenne 274 anfore de vin par an et par bastione, environ 164 000 litres), le volume total était de 8,7 millions de litres par an, soit 451,16 litres par jour par bastione. Cette valeur est probablement sous-estimée, car nous avons vu que les ventes effectives entre 1694-1696 et 1696-1698 avaient dépassé le minimum fixé par la loi (+14 % et +15,8 % respectivement). Malheureusement, nous n’avons pas de données sur le coût moyen du vin pour cette période. Toutefois, si l’on songe à l’augmentation progressive du plafond des prix, nous pouvons considérer comme fiable la moyenne des valeurs enregistrées entre 1756 et 1766, à savoir environ 7 sous par litre. Dès lors, il est possible d’évaluer que la vente de 451 litres rapportait 158 livres vénitiennes au chef du bastione.

75Pour estimer le pourcentage d’achats à crédit sur le total des ventes quotidiennes, nous pouvons comparer la valeur moyenne du vin vendu et celle des objets engagés. Dans ce cas, si les 41,5 livres que les bastioneri vénitiens prêtaient chaque jour étaient entièrement payées en vin, cela signifierait qu’environ 26,3 % des achats étaient effectués à crédit. En revanche, si le rapport entre vin et espèces était de 1/3 et 2/3, soit le ratio minimum établi par la loi, le pourcentage tomberait à 11,4 %. En ce qui concerne le nombre total de prêts, cependant, en considérant une valeur moyenne de 3,32 livres vénitiennes, il pouvait y en avoir au maximum 50 par jour. Mais, nous l’avons vu, il n’y avait en moyenne que 13 prêts par jour.

  • 49 Beltrami 1954, p. 186.

76Une autre façon d’obtenir le même résultat est de considérer les données relatives aux niveaux de consommation de vin des individus et des ménages. Pour ce faire, on peut choisir soit de faire confiance aux chiffres avancés par la République en 1673, c’est-à-dire à 0,82 litre par individu, soit de réaliser notre propre estimation à partir de la composition démographique de la ville. Le registre d’état civil de 1761, en effet, nous fournit les données totales de 5 sestieri divisées par groupes d’âge. Pour les hommes, nous avons le nombre d’habitants âgés de moins de 18 ans, de 18 à 50 ans et de plus de 50 ans, tandis que pour les femmes, nous n’avons que les personnes âgées de moins et plus de 18 ans. À cela s’ajoutent quatre autres catégories, à savoir : les étrangers, les serviteurs, les servantes et les prêtres. Pour ces dernières, il n’y a pas de subdivision par groupe d’âge : les serviteurs et les servantes pouvaient aussi être mineurs, les prêtres avaient certainement plus de 18 ans, mais nous ne savons pas combien d’entre eux en avaient plus de 50. Enfin, il y avait probablement des familles entières comprises dans la catégorie des étrangers. Par conséquent, nous nous appuierons uniquement sur les données concernant la composition de la population vénitienne (donc sans les autres catégories) des sestieri de San Polo, Cannaregio, Castello, Santa Croce et Dorsoduro. Notre recensement devra être analysé à l’aune du nombre total d’habitants estimé par Beltrami (environ 150.000 habitants) afin de pouvoir intégrer dans notre étude le sestiere de San Marco49.

Tab. 40 – Catégories d’âge, population vénitienne 1761.

Catégorie d’âge Nombre  % Nombre total estimé
Garçons – 18 18 842 18,29 % 27 435
Hommes 18-50 24 935 24,21 % 36 315
Hommes + 50 8 774 8,52 % 12 780
Filles – 18 18 952 18,40 % 27 600
Femmes +18 31 504 30,58 % 45 870
Totala 103 007 100,00 % 150 000
a. Serveurs, serveuse, prêtres, étrangers et juifs ne sont pas considérés.

Sources : ASVe, Provveditori alla Sanità, bb. 573, 574.

  • 50 Tucci 1987, p. 186, voir chapitre I, section 2, « Venise et le vin : niveaux de consommation ».

77Un document datant de 1730 fournit des données sur la consommation moyenne supposée d’une manière plus spécifique, répartie par sexe et par groupe d’âge50. En croisant les deux statistiques, on obtient une moyenne quotidienne de 113 486 litres, soit 0,80 litre par habitant, un chiffre très proche de celui estimé par la République à la fin du XVIIe siècle et qui donc s’avère être plutôt fiable.

78En vendant 451 litres de vin, un bastione satisfaisait les nécessites quotidiennes d’environ 564 personnes, ce qui, avec une moyenne d’environ 5 individus par ménage, correspondait approximativement à 115 ménages. Selon les normes régissant l’activité des bastioni, ils ne pouvaient vendre que des bouteilles d’une lira ou d’une demie lira (2,68 ou 1,34 litre), ce qui implique un nombre de ventes quotidiennes compris entre 168 et 336. Toutefois, ces calculs ne tiennent pas compte de deux variables essentielles. Tout d’abord, rien n’empêchait d’acheter deux lire ou plus de vin à la fois : on pourrait raisonner par rapport à la diffusion des bouteilles de verre parmi la population vénitienne, mais comme il s’agissait d’un centre célèbre pour le soufflage et le travail du verre, on peut imaginer qu’il était relativement simple et peu onéreux d’en obtenir une. Il est tout à fait envisageable que les individus n’achetaient pas tous les jours du vin. Les habitants disposaient sans doute de réserves suffisantes pour deux ou trois jours. À ce propos, la valeur moyenne des gages correspondait à 3,32 livres, soit plus de 3 lire de vin, l’équivalent de la consommation d’une famille de 5 personnes pour deux jours ou plus.

79Si la valeur moyenne des prêts (3,32 livres) correspondait aussi à la valeur moyenne des achats, il en résulterait environ 50 transactions par jour, dont 12,5 – nombre d’objets engagés quotidiennement – à crédit. Dans ce cas, si chaque prêt était déboursé complétement en vin, cela équivaudrait à 25 % du total des ventes quotidiennes. Or si l’on retient la valeur minimale (1/3 du total), il ne s’agit que de 8 % du total des ventes. Les deux méthodes, considérer la valeur des ventes ou le nombre de transactions, donnent à peu près le même résultat : un pourcentage entre 8 et 25 % de vin vendu à chaque jour par un bastione était payé à crédit.

80Une autre approche consiste à s’intéresser aux comportements des consommateurs. Il est intéressant d’essayer d’estimer le pourcentage total de familles qui allait dans les bastioni pour leurs achats. En considérant un total de 150 000 habitants et en les divisant par groupes de 5 individus, on obtient une moyenne d’environ 29 800 ménages. Un seul bastione vendait une quantité de vin capable de satisfaire les besoins quotidiens de 115 foyers, ce qui implique que les 53 centres parallèlement en activité en 1762 pouvaient potentiellement satisfaire la demande de 6 095 familles. Puisque nous avons estimé qu’à chaque fois les individus achetaient en moyenne la quantité de vin nécessaire pour environ deux jours, le nombre total de familles s’élève à 12 200, soit 41 % de la population de la ville (60 000 personnes).

81Dans la même année, 76 063 objets ont été vendus aux enchères, ce qui signifie que le total des objets engagés était à peu près de 228 000 : répartis entre 60 000 particuliers et 12 200 ménages. Respectivement, nous obtenons en moyenne 3,7 et 18,7 prêts par an. Il ressort de cette étude que les volumes de la consommation de vin sont presque deux fois supérieurs à l’activité des bastioni estimée (rappelons-le, grâce aux recensements des habitants à l’échelle des paroisses). On ne peut pas en être sûr, mais cette mesure pourrait être plus fiable car elle est basée sur des données qui sont liées à la consommation réelle de vin. Cependant, même cette analyse présente plusieurs limites qui nous invitent à prendre des précautions. Tout d’abord, les données sur la consommation, qui ne sont pas réelles mais seulement estimées, et le registre d’état civil lui-même, qui pour 1/6 est incomplet.

82En tout état de cause, on pourrait se poser d’autres questions, auxquelles on ne peut pas répondre pour l’instant : en premier lieu, où allaient les 60 % de la population pour acheter du vin ? Qui était ces 40 % qui se rendait dans les bastioni ?

Activité de prêt dans chaque paroisse (détail 1758-1762)

Tab. 41 – Activité de prêt dans chaque paroisse – détail (1758-1762).

Sestiere Paroisse Pop. Paroisse % Pop. Tot. Objets vendus
(année)
Prêt (val. moy.) Objets engagés
(année)
Obj/indiv
paroisse
Obj/mén.
paroisse
Cannaregio San Geremia 6 151 4,36 % 598 2,12 1 795 0,29 1,46
Cannaregio San Leonardo 585 0,41 % 855 1,81 2 566 4,39 21,93
Cannaregio San Cancian 3 476 2,47 % 1000 2,35 2 999 0,86 4,31
Cannaregio San Marcilian 3 514 2,49 % 1076 2,20 3 229 0,92 4,59
Cannaregio San Felice 1 774 1,26 % 1310 2,51 3 929 2,21 11,07
Cannaregio Santi Apostoli 3 495 2,48 % 1799 2,13 5 398 1,54 7,72
Cannaregio San Marcola 6 608 4,69 % 2425 1,97 7 276 1,10 5,51
Cannaregio Santa Soffia 2 692 1,91 % 3909 2,22 11 727 4,36 21,78
Castello Sant’Antonino 1 368 0,97 % 57 2,53 170 0,12 0,62
Castello San Provolo 922 0,65 % 684 2,60 2 051 2,22 11,12
Castello Santa Giustina 1 646 1,17 % 1134 2,37 3 401 2,07 10,33
Castello San Pietro 9 985 7,08 % 1813 2,61 5 440 0,54 2,72
Castello San Martino 3 025 2,15 % 1828 1,96 5 483 1,81 9,06
Castello San Giovanni in Bragora 2 962 2,10 % 3416 2,41 10 249 3,46 17,30
Castello Santa Maria Formosa 4 781 3,39 % 4687 2,25 14 060 2,94 14,70
Dorsoduro San Basilio 1 666 1,18 % 396 2,25 1 188 0,71 3,57
Dorsoduro San Niccolò 4 330 3,07 % 550 2,77 1 649 0,38 1,90
Dorsoduro Sant’Euffemia della Giudecca 5 728 4,06 % 562 2,30 1 685 0,29 1,47
Dorsoduro Sant’Agnese 1 581 1,12 % 730 2,38 2 190 1,39 6,93
Dorsoduro San Raffael 4 027 2,86 % 909 1,68 2 726 0,68 3,38
Dorsoduro San Gregorio 2 113 1,50 % 1068 2,18 3 204 1,52 7,58
Dorsoduro Santi Gervasio e Protasio 2 627 1,86 % 1431 2,17 4 294 1,63 8,17
Dorsoduro Santa Margarita 2 244 1,59 % 1674 2,55 5 023 2,24 11,19
Dorsoduro San Barnaba 2 369 1,68 % 4186 2,43 12 559 5,30 26,51
San Polo San Giovanni di Rialto 1 089 0,77 % 339 4,72 1 018 0,93 4,67
San Polo San Polo 2 333 1,65 % 784 2,72 2 351 1,01 5,04
San Polo San Mattio 775 0,55 % 855 2,29 2 565 3,31 16,55
San Polo San Stin 933 0,66 % 1791 2,08 5 372 5,76 28,79
San Polo Sant’Aponal 2 109 1,50 % 3564 2,41 10 693 5,07 25,35
Santa Croce San Simeone Apostolo 1 032 0,73 % 956 1,95 2 867 2,78 13,89
Santa Croce San Simeone Profeta 2 444 1,73 % 1628 2,36 4 883 2,00 9,99
Santa Croce Santa Croce 3 689 2,62 % 1811 2,19 5 432 1,47 7,36
Santa Croce San Stae 1 227 0,87 % 2155 2,19 6 466 5,27 26,35

Sources : ASVe, Giustizia Nuova, bb. 13, 40, 41, 42, 43 ; ASVe, Provveditori alla Sanità, bb. 573, 574.

Notes

1 Carter – Skiba 2012, p. 195.

2 En 1990 le taux de défaut était plus bas, environ 14-22 % ; le taux de rachat est très lié à la valeur des gages, c’est-à-dire qu’habituellement les plus chers sont aussi les plus rachetés ; Carter – Skiba 2012, p. 219, en particulier voir la figure 2.

3 Voir Partie I, Chapitre IV « Activité de prêt sur gage des bastioni et osteria : les enchères », section 3 « Des ventes à perte ? ».

4 Carter – Skiba 2012, p. 195.

5 Voir pour exemple Kimball – Weil 1992 ; Morduch 1995.

6 ASVe, Giustizia Nuova, b. 42, fichier « pegni non venduti ».

7 Les inventaires sont tous relatifs à des bastioni.

8 ASVe, Giustizia Nuova, b. 25, reg. 13, fichier « Giustizia Nuova scritture pubbliche e private, 1651-1795 », voir fichiers datés 1738, 1739.

9 ASVe, Giustizia Nuova, b. 39, fichier « Contabilità », documents non numérotés, 15 mai 1761.

10 Si l’on ne considère que l’échantillon de valeurs disponibles pour 1761 (8.036 prêts) la valeur moyenne pour cette année-là est inférieure, soit 2,69 livres vénitiennes décimales : en utilisant ces données, 771 800 livres correspondraient à environ 286 000 objets. Cependant, nous pensons que la valeur dérivée de l’ensemble de la base de données disponible, qui comprend plus de 30 000 sondages, est plus exacte et plus fiable.

11 Voir chapitre 4, section 1.2.

12 Le stock de départ concerne exclusivement les objets déposés dans les bastioni, nous n’avons donc pas pris en compte dans notre estimation les gages vendus par les osterie. La différence est toutefois minime, car il s’agit de 73 667 articles vendus et non de 75 975.

13 Voir chapitre I, section « Le commerce du vin à Venise : système de vente et distribution ».

14 Les données relatives au nombre de clients par jour datent de la fin du XVIIe siècle, donc on peut imaginer que le pourcentage des achats payés à crédit soit légèrement plus élevé, entre 25 % et 30 %.

15 ASVe, Governatori delle entrate, b. 448, fichier « 20 febbraio 1792/93 ».

16 En outre, certains de ces objets peuvent ne pas avoir trouvé d’acheteurs ou ne pas avoir été mis aux enchères parce qu’ils avaient été engagés moins de trois mois avant la date de l’incanto.

17 ASVe, Governatori delle Entrate, C. 448, fichier « 5 aprile 1791 Bastione S.n Barnaba ».

18 Voir chapitre III, section 2, « Activité de prêt : taux d’intérêt et coût fixes ».

19 Voir chapitre IV, section « Des ventes à perte ? ».

20 Chapitre III, section III « La valeur moyenne de prêts ».

21 Dans ce cas, nous nous occuperons seulement des bastioni, parce que sinon l’analyse devrait se limiter à quelques paroisses des sestieri de San Marco et San Polo. De plus, comme nous l’avons vu, les osterie ne représentaient qu’une petite partie du volume total des crédits accordés.

22 On y trouve aussi d’autres informations intéressantes, comme le nombre de gondoles dans chaque ménage et si certaines pièces étaient louées à des étrangers à l’intérieur des maisons ; ASVe, Provveditori alla Sanità, bb. 573 – 574.

23 À ce propos, voir Arru – Ramella 2003 ; Canepari 2008 ; Bernardi 2017.

24 ASVe, Provveditori alla Sanità, bb. 573-574.

25 Voir la liste des bastioni en activité en 1782 ; ASVe, Giustizia Nuova, b. 12, fichier « stampe 1714-1788 », 2 mai 1782.

26 Concina 1989, p. 77, 203.

27 Cette adage derive d’une prière catolique « a peste, fame et bello libera nos domine » ; Concina 1989, p. 76, 103 ; Biri, Bari et Bragora sont, encore aujourd’hui, les noms de 3 fondamenta (rues qui courent tout au long d’un canal) situées respectivement dans les paroisses de San Nicolò (Dorsoduro), San Simeon Profeta (Santa Croce) et San Giovanni in Bragora (Castello). Nous disposons de témoignages d’une aggravation ultérieure de la situation économique de ces paroisses au fil du temps ; Ibid., p. 172.

28 Ibid., p. 170.

29 Ibid., p. 13, 37, 44.

30 Concina compte plus de 43 entrepôts dans toute la paroisse ; Ibid., p. 43 note de bas de page 29.

31 Ibid., p. 208.

32 Malheuresement, nous n’avons pas de données complètes pour 1763.

33 ASVe, Giustizia Nuova, b. 42.

34 Une tendance qui a été confirmée par l’analyse des ventes aux enchères des années précédentes. Entre 1759 et 1761, les ventes ont atteint un niveau sans précédent : une telle chute, même si elle est plutôt forte, peut être considérée comme normale.

35 Dans la proche paroisse de San Mattio, cependant, il y avait quatre osterie : la Donzella, les Due Spade, le Sol e le Sturion.

36 Les ménages étaient composés d’environ 5 individus ; données relatives à 1760, estimées par Beltrami 1954, p. 80.

37 Ibid., p. 38.

38 En additionnant les différentes catégories, on n’arrive pas à 24.000 individus parce que dans ce tableau les catégories des serveurs, serveuses, prêtres et étrangers n’ont pas été prises en compte.

39 Entre le XVIIe et le XVIIIe siècle, San Marco 44,78 hectares, San Polo 28,26 hectares, Castello 108,84 hectares, Dorsoduro (et Giudecca) 124,46 hectares, Cannaregio 108,99 hectares, Santa Croce 35,32 hectares (au total 450,66 hectares) ; voir Beltrami 1954, p. 33.

40 Concina 1989, p. 203, 204 ; voir surtout les notes de bas de page 23 et 24.

41 Bembo 1859, p. 139, traduit par l’auteur.

42 Ibid., p. 161.

43 Le conflit à l’intérieur des institutions de microfinance entre performance sociales et financières est au centre d’un grand débat ; voir Morduch 2000 ; Reichert 2006 ; Andreoni – Peligna 2009 ; Andreoni – Sassatelli – Vichi 2013 ; Botti – Corsi – Zacchia 2017 ; Woller 2017.

44 « Il denaro non era l’unico possibile mezzo di pagamento … economia naturale ed economia monetaria non sono affatto legate da un rapporto di mutua esclusione, ma al contrario hanno convissuto e convivono in forme varie e complesse » ; Ago 2006, p. 5.

45 Il y avait une conception de la pauvreté qui distinguait les pauperes pinguiores, ceux qui étaient appauvris par des crises (nous pourrons les appeler “pauvres moins pauvres”) et les pauperes pauperiores, ceux qui avaient toujours été pauvres et qui n’avaient pas les moyens de changer leur situation. Voir Carboni 1999, p. 52.

46 ASVe, Municipalità Provvisoria, b. 131, reg. 27.

47 BCMCV, mss pd 785 c/4.

48 Casellato 1996, p. 1594 ; à ce propos, voir aussi Filippini 1990.

49 Beltrami 1954, p. 186.

50 Tucci 1987, p. 186, voir chapitre I, section 2, « Venise et le vin : niveaux de consommation ».

Table des illustrations

Titre Graphique 18 – Évaluation du revenu moyen, activité de prêt sur gage des bastioni et osterie. Sources : voir tab. 28.
URL http://books.openedition.org/efr/docannexe/image/21200/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 64k
Titre Graphique 19 – Incidence du taux de rachat sur le gain des bastioneri et des osti (*taux de rachat).
Légende Graphique élaboré par l’auteur.
URL http://books.openedition.org/efr/docannexe/image/21200/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 72k
Titre Fig. 5 – Localisation des paroisses analysées.
Légende Conception : M. Pompermaier. Réalisation : F. Delisle, GRHis 2020.
URL http://books.openedition.org/efr/docannexe/image/21200/img-3.png
Fichier image/png, 323k
Titre Graphique 20 – Représentation graphique de la composition sociale des paroisses (nobles, citoyens, peuple).
Légende Sources : ASVe, Provveditori alla Sanità, bb. 573, 574.
URL http://books.openedition.org/efr/docannexe/image/21200/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 45k
Titre Graphique 21 – Nombre d’objets vendus aux enchères, (cinq bastioni analysés, période 1758-1763).
Légende Source : ASVe, Giustizia Nuova, b. 42.
URL http://books.openedition.org/efr/docannexe/image/21200/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 166k
Titre Graphique 22 – Composition de la population par catégorie sociale (sauf San Marco).
Légende Sources : voir tab. 33.
URL http://books.openedition.org/efr/docannexe/image/21200/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 39k
Titre Graphique 23 – Incidence du % d’artefici sur le nombre de gages par individu.
Légende Élaboré par l’auteur.
URL http://books.openedition.org/efr/docannexe/image/21200/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 88k
Titre Graphique 24 – Incidence du % de cittadini sur le nombre de gages par individu.
Légende Élaboré par l’auteur.
URL http://books.openedition.org/efr/docannexe/image/21200/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 66k
Titre Graphique 25 – Incidence du % de nobili sur le nombre de gages par individu.
Légende Élaboré par l’auteur.
URL http://books.openedition.org/efr/docannexe/image/21200/img-9.jpg
Fichier image/jpeg, 67k

© Publications de l’École française de Rome, 2022

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