Religion romaine et esclavage au Haut-Empire
|Première partie - Action, initiative et autorité des esclaves dans la sphère religieuse
Chapitre 2
Acteurs ou agents serviles ?
Texte intégral
L’ancrage religieux des aeditui
- 1 Voir par exemple Tac., Hist., I, 43 au sujet de la fuite de Pison en 69 de notre ère : Piso in aed (...)
- 2 Van Andringa 2009, p. 114. À Herculanum, l’entrée du sanctuaire suburbain constituée d’un « haut e (...)
- 3 Plaut., Curc., 203-5 :
Bene uale, ocule mi : nam sonitum et crepitum claustrorum audio :
Aeditu<m>um </m> (...) - 4 Plin., H.N., XXXVI, 32, 5 et Sen., Ep., 41, 1. Estienne 1992, p. 420-421 a cependant montré que, p (...)
- 5 Hérodien, I, 14, 3 écrit à propos du temple de la Paix : « C’était le plus riche des temples, car (...)
- 6 Dig., 21, 77, 26.
- 7 Les inventaires nous permettent d’entrevoir les richesses des temples. À titre d’exemple, on pourr (...)
- 8 « Hausverwalter » et « Hausmeister » (p. 21), « Küster » et « Verwaltungsbeamten » (p. 22) sont le (...)
- 9 Comme le montre par exemple l’horreur éprouvée par Cic. (Phil., 5, 18) lors de l’occupation du tem (...)
- 10 Ad Aen., IX, 645.
- 11 Mathesis, III, 5, 15.
- 12 La transition de Bömer 1957 de la question des aeditui à celle des esclaves chez les frères arvale (...)
1Une fois admise l’implication des esclaves dans l’espace religieux, reste à caractériser la nature de leur action, de leur initiative voire de leur autorité. S’agissant des aeditui, la question se pose de leur implication dans les temples. Il est certain que la nature de l’édifice religieux ainsi que son importance conduisent à décliner la fonction de l’aedituus de manière variée. À ce titre, certains d’entre eux disposaient d’une loge, où ils pouvaient éventuellement rester la nuit, sans que l’on sache si cette pratique était la règle. Les témoignages épigraphiques sont silencieux sur ce sujet. Ce sont les historiens latins, qui, par le biais des aléas du règne de certains empereurs, mettent en évidence un fait1, confirmé par les données archéologiques2. Chargés de l’ouverture et de la fermeture des portes du temple3, les aeditui sont aussi responsables de l’accueil des fidèles et du parcours qu’ils suivent dans leur visite à la divinité4. Ils ont également pour mission de veiller à l’état et à la conservation des objets présents dans le temple, par exemple des statues des divinités. Dans la mesure où temples et sanctuaires, à Rome, étaient par ailleurs des lieux de dépôts pour les Romains, qui souhaitaient bénéficier d’une protection pour leurs biens de valeur, ils étaient aussi affectés à la surveillance étroite de tout ce que contenait le temple5. Archives publiques, œuvres d’art, argent, testaments6 pouvaient ainsi se trouver confiés à leur vigilance7. Si l’on conçoit aisément l’importance de cette fonction, on pourrait cependant être tenté de considérer qu’elle ne revêtait aucun caractère religieux à l’instar de Franz Bömer, qui, consacrant plusieurs pages aux aeditui, se refuse à voir en eux autre chose que des assistants de second ordre, dépourvus de tout lien avec le sacré8. Ce serait mettre de côté la menace, bien réelle pour les Romains, que constituait la violation de l’espace sacré du temple9, véritable espace consacré à la divinité, qu’il convenait de protéger au nom de la pax deorum. À lire Franz Bömer, on mesure les hésitations de l’historien à reconnaître à cette fonction une place importante sur la foi de Servius10, qui rapporte que les aeditui étaient in ingenti honore apud maiores, ou à la défaire de toute relation avec le sacré pour placer l’aedituus en dernière position dans la hiérarchie du temple et lui assigner d’« humbles fonctions ou une tâche servile » (ignobilia officia aut seruile aliquod ministerium) pour reprendre la distinction de Firmicus Maternus11. Une difficulté de caractérisation de cette fonction vient du fait qu’elle pouvait être exercée par des individus de différentes conditions. Comment dès lors admettre qu’un citoyen romain, par définition honorable, puisse être investi d’une charge ignoble, comment par ailleurs accepter qu’un simple esclave puisse accéder à une position en vue ? On voit ici comment se manifestent les préjugés qui affectent la perception des esclaves, pour lesquels le postulat de départ consiste à considérer qu’ils sont par nature inaptes, incapables et empêchés par leur condition d’accéder à tout exercice d’un poste à responsabilité, à quelque degré que cette responsabilité puisse se situer, encore moins lorsqu’il est question de relation avec le sacré12.
- 13 Plaut., Aul., v. 579 et 612 et Liv., 5, 22, 4. Sénèque rapporte pour sa part que lorsqu’on rentrai (...)
- 14 Ep., 41, 1 : « Il ne s’agit pas d’élever les mains vers le ciel, de décider un sacristain à nous l (...)
- 15 Par exemple Vitr., IV, 5, 2.
- 16 Veyne 1989, p. 175-194.
- 17 Clem. Al., Strom., 5, 7, 9.
- 18 Outre la remarque de Tert. (Ad nat., 1, 10, 24) : exigitis mercedem pro solo temple, pro aditu sac (...)
- 19 CIL VI, 2206 : M(arco) Ogulnio Feroci, / aedituo aedis Concordiae. / Collegium / spec(u)lariorum / (...)
2Pourtant, contrôlant l’accès au temple et à la cella, et donc aux dieux, sous l’égide du préteur, les aeditui pouvaient être amenés à accomplir eux-mêmes les rituels permettant aux fidèles l’entrée dans le temple, notamment des rites de purification13. Si la prescription s’applique aux fidèles qui réclament l’entrée ponctuelle dans le temple, comment pourrait-il en être autrement pour l’aedituus appelé à fréquenter lui-même ce temple dans la durée ? On peut dès lors supposer que l’aedituus était appelé à réaliser un certain nombre de rites purificateurs, pour lui-même et pour les visiteurs, de nature à conférer à sa fonction une dimension à caractère religieux. C’est dans cette perspective qu’on peut comprendre les remarques de Sénèque sur les pratiques liées à la fréquentation des statues des dieux : Non sunt ad caelum eleuandae manus nec exorandus aedituus, ut nos ad aurem simulacri, quasi magis exaudiri possimus14. Car visiter les sanctuaires constituait un acte de piété à part entière, qu’on salue les dieux depuis l’extérieur15 ou que l’on recherche une proximité plus grande avec eux16, comme l’indique la présence des oreilles en stuc qui ornent la niche de Bacchus sur le mur arrière de la cella du temple d’Isis17. On ne sait pas si l’aedituus pouvait s’acquitter lui-même de rites permettant l’accès au temple des fidèles (un sacrifice, une offrande, une libation), les sources relatives aux activités des aeditui ne permettant pas de conclure. Mais on est en droit de supposer que l’aedituus se devait a minima de connaître et de maîtriser la géographie sacrée du temple et de son mobilier, ce qui, compte tenu des spécifications et des interdits qui pesaient sur les objets et les lieux, n’était pas négligeable. On conçoit par ailleurs que ce rôle ait pu être source non seulement d’enrichissement – les actes rituels réalisés dans le temple sont payants18 –, mais aussi de dignité, tant elle pouvait supposer de proximité non seulement avec le sacré, mais également avec les hommes venus s’entretenir avec les dieux, à qui s’ouvrait un accès peut-être parfois privilégié. Il n’est pas surprenant que l’un de ces aeditui ait pu être désigné comme le patron, partant comme le bienfaiteur, d’un collège de miroitiers19. Certes, l’homme n’était pas un esclave, mais le fait en dit beaucoup sur l’influence qu’on pouvait prêter à ces individus, dont témoigne le qualificatif d’optimus décerné à ce patron : au-delà de ce qu’il doit à l’usage épigraphique, il traduit les services qu’il a pu rendre à l’association qu’il patronait. Leur simple investiture à la fonction conduit au minimum les esclaves à devoir intégrer codes et rituels religieux ainsi qu’à obéir pour eux-mêmes aux prescriptions rituelles qu’imposent leur entrée et leur propre évolution dans le temple. L’esclave n’ignore pas les aspects techniques des cultes pratiqués dans les temples – il est sans doute même impliqué dans certaines situations pour réaliser des libations – ni l’organisation de l’espace sacré à l’intérieur des temples, dont, dans certains contextes, il est le garant.
L’ars des victimaires
- 20 On s’accorde à reconnaître, par-delà la variation des termes suouetaurilia ou solitaurilia, une id (...)
- 21 Les sources épigraphiques et littéraires ainsi que les reliefs représentant la scène sacrificielle (...)
- 22 Précisé dans Festus, 152 L.
- 23 Campus Martius (Liv., 1, 44, 2), in Martis ara in Campo (Festus, 204 L), Marspedis (Festus, 152 L)
- 24 Qu’il s’agisse des rites liés à à la censure tels que Tite-Live en présente l’histoire (I, 44, 1-2 (...)
- 25 Scheid 2016, p. 205, qui insiste sur la nécessité d’en finir avec l’idée que, dans toutes ces circ (...)
- 26 Pour Huet 1992, le seul indice de sacrifice privé est le port de la tunique et non de la toge par (...)
- 27 Le corpus iconographique permettant d’évaluer l’action des esclaves dans le cadre des suovétaurile (...)
3La participation des victimaires aux sacrifices publics fournit l’occasion d’aller plus loin dans la réflexion sur l’implication du personnel servile dans les rituels religieux. Leur rôle de sacrificateur est à la fois précis et variable et on l’observera, pour ce qui concerne la sphère religieuse publique, à partir des suovétauriles20, pour lesquels on dispose d’un corpus d’étude cohérent et qui représentent par ailleurs un type de sacrifice particulièrement important dans le culte public21. De nombreux auteurs ont décrit le contexte et le déroulement de ce rite, qui met en scène le sacrifice de trois animaux mâles, sus, ouis et taurus dans un contexte de lustratio. Le sacrifice est offert à Mars, à qui s’adresse la prière22, ce que soulignent également les lieux où s’effectue le sacrifice23, même si d’autres divinités peuvent être présentes en tant que spectatrices et que Mars figure rarement sur les reliefs tant le risque d’ambiguïté est faible dans l’esprit du spectateur. Si de nombreux contextes sont possibles24, il faut comprendre à chaque fois que « [l]es suovétauriles et le lustrum sont un moyen destiné à mobiliser le dieu autour d’un groupe humain clairement défini25. » Bien qu’il soit, la plupart du temps, difficile de distinguer les circonstances privées ou publiques du rituel26, l’examen de ces documents offre la possibilité d’apprécier la fonction des esclaves lors du rituel sacrificiel ainsi que la signification symbolique et fonctionnelle des gestes et des objets (sacra) qu’ils utilisent (fig. 1)27.
Fig. 1 – Relief architectural dit Autel de Domitius Ahenobarbus. Paris, Musée du Louvre (Inv. MA 975). Photo B. Amiri.

- 28 Pour une présentation complète des différentes séquences, on se réfèrera à Prescendi 2007, 284 p.
- 29 Tite-Live (1, 45, 6) souligne l’impossibilité pour les acteurs de pratiquer un sacrifice sans s’êt (...)
- 30 Non., 23 L, citant ensuite un passage de Varron, qui emploie le mot extispex.
- 31 Bas-relief du Musée du Louvre (MA 978/1089) daté de l’époque d’Hadrien et retrouvé sur le Forum de (...)
4La première remarque concerne la présence des esclaves lors des différentes séquences du sacrifice28. Présents lors de la procession qui ouvre le sacrifice, puisqu’ils accompagnent les animaux, ils sont fixés par le sculpteur en position d’arrêt, de mouvement ou encore dans une position difficilement discernable entre le mouvement et l’arrêt, toujours au contact des animaux et établissant parfois un contact visuel avec l’autel ou avec le spectateur. Ils ne sont que spectateurs durant la praefatio, mais il faut souligner que leur seule présence durant cette étape est susceptible de revêtir une portée religieuse29. Le terme « acteur » est suffisamment large pour qu’on puisse le comprendre dans une version réduite comme le seul sacrifiant ou dans une vision élargie comme les individus appelés à un moment ou à un autre à intervenir durant le sacrifice. Dans ce dernier cas, si l’esclave est appelé à participer à ces gestes rituels, on est amené à considérer qu’il est intégré à la continuité des séquences cultuelles, même si certaines ne relèvent pas de ses attributions. Les esclaves n’agissent pas personnellement non plus durant l’immolatio, où c’est le sacrifiant qui verse sur la tête de l’animal la mola salsa, le vin puis effleure le dos de l’animal avec son couteau. L’abattage de l’animal est en revanche effectué par les esclaves uictimarii, qui sont représentés une hache à la main peu avant d’assommer l’animal. Après l’abattage et la mise à mort, c’est encore aux esclaves qu’il revient de retourner le corps de l’animal, de l’ouvrir et d’en extraire les organes internes (les exta) pour les transmettre à l’haruspice chargé de les examiner pour vérifier qu’ils ne présentent aucune anomalie. On dispose de peu d’information sur cette étape. Les textes littéraires ne permettent pas de préciser davantage les conditions d’exercice30 ; quant aux documents iconographiques, on ne connaît qu’un relief représentant une scène d’extispicium lors d’un sacrifice en l’honneur de Jupiter Capitolin (fig. 2)31.
Fig. 2 – Bas-relief représentant une scène dite de l’extispicium. Paris, Musée du Louvre (Inv. MA 978). Photo B. Amiri.

- 32 Voir le témoignage de Plaut., Phoen., 449-457 b ; Sen., Œdip. ; 299-397 ; Luc., 1, 605-638.
- 33 Liv., 41, 15, 1-2 : Dum de iis rebus <in> senatu agitur, Cn. Cornelius euocatus a uiatore, cum templo </in> (...)
- 34 Scheid 1985, p. 193-206 : « Si l’on admet que sacrifier, c’est établir, à l’occasion d’un festin o (...)
- 35 Scheid 2007, p. 20 : « La viande détermine le statut social. Les égaux mangent ensemble, les infér (...)
- 36 CFA 333 et sq. n° 115, col II, 1, 24-26. Les assistants, esclaves et affranchis, bénéficient ainsi (...)
5On y voit un homme vêtu d’un simple tablier autour de la taille, un esclave uictimarius, dont l’action est supervisée par un haruspex32. La litatio en revanche, qui consiste à contrôler et à lire, ce qui se trouve dans les entrailles, n’est pas affectée aux serviteurs. Les esclaves reprennent néanmoins la main au moment de la préparation et de la cuisson de la viande. Ce n’est pas l’objet de notre travail de revenir sur les exta ni sur les modes de cuisson ou de préparation. On notera simplement que ce sont une nouvelle fois les serviteurs, qui sont chargés de cette étape du sacrifice. Un texte de Tite-Live en témoigne sans ambiguïté, puisque le consul de 176 av. J.-C., Cn. Cornelius, parti assister à la séance du Sénat pendant la phase de cuisson des exta, est rappelé par le uictimarius qui en a la charge en raison d’un incident justement survenu durant la cuisson33. L’épisode présente en outre l’intérêt de montrer que durant la partie faste de la journée consacrée au sacrifice, la cuisson des exta est laissée à l’appréciation de l’esclave, puisque le sacrifiant n’y assiste pas. Certes, le récit de Tite-Live montre bien que les actions de l’esclave sont subordonnées à celles du consul, puisque toutes les décisions sont prises par lui ; mais il illustre aussi un fait incontestable : la responsabilité et l’autonomie accordées à l’esclave durant ce temps du sacrifice. L’offrande est pour sa part accomplie par le sacrifiant. Le sacrifice se conclut avec un banquet, durant lequel chaque participant reçoit une portion de la viande, les uiscera, qu’il mange pendant le banquet ou emporte chez lui. Les esclaves uictimarii en recevaient-ils une portion34 ? Aucun document ne permet de trancher la question. On fera cependant remarquer qu’à l’issue du sacrifice et de l’offrande à la divinité, l’ultime rituel de la profanatio permettait de rendre la viande non offerte à la divinité propre à la consommation humaine. À partir du moment où la viande n’était plus sacrée, elle devenait accessible aux hommes, parmi lesquels on pouvait entendre les esclaves, même si l’on retrouvait dans les modalités d’accès au banquet ou à la viande la marque de l’organisation sociale de la cité35. On sait par exemple, grâce à la documentation des arvales, qu’il existait une étape durant les cérémonies des fêtes de dea Dia, pendant laquelle les frères, après avoir jeté sur la voie son repas à la Mère des Lares, s’enfermaient dans le sanctuaire et s’asseyaient sur les bancs de marbre pour partager « les pains de fleur de farine entourés de laurier à leurs esclaves et au personnel36. »
- 37 Van Andringa 2007, p. 50.
- 38 Par exemple de Ruyt 1983, p. 376-378. Sur les macella de Rome et du monde romain, on pourra aussi (...)
- 39 Paul (Corinthien, I, 10, 25), Tert. (Jejun., XV, 5), Jérôme (Ep., 64, 2), Publicola (Epistulae ad (...)
- 40 Van Andringa 2007, p. 47-72.
- 41 Van Andringa 2006, p. 185-201.
- 42 Van Andringa 2007, p. 62-63 soulignant d’une part l’existence « dans le macellum des équipements r (...)
- 43 Andreau 2012, p. 80-82, notamment à partir de l’examen des témoignages chrétiens, qui ne donnent p (...)
6Cette caractéristique, qui tend à conférer à l’esclave un rôle de passeur, se manifeste au-delà du déroulement du sacrifice à proprement parler lié à l’abattage de l’animal. La pratique sacrificielle se poursuivant au-delà de la procession et de l’abattage jusqu’à la vente de la viande dans le macellum et sa consommation, on remarquera la présence des esclaves dans les différentes étapes de ce que l’on peut appeler à la suite de W. Van Andringa « la chaîne alimentaire de la viande en contexte urbain, du sacrifice dans les sanctuaires à la découpe de l’animal, du traitement des carcasses à la distribution et à la vente des pièces de boucherie dans le macellum de l’agglomération37. » Le rapport fondamental du marché public de la cité avec les animaux sacrifiés lors des grands sacrifices publics ou abattus rituellement dans l’enceinte même du macellum est dorénavant bien établi. L’archéologie38 a ainsi permis de confirmer ce que laissaient entendre quelques textes chrétiens39, à savoir, comme l’a montré William Van Andringa pour la ville de Pompéi, bien documentée, le lien topographique entre macellum et grands sanctuaires urbains (fig. 3)40 ainsi que l’existence d’infrastructures religieuses au sein des marchés publics (fig. 4), qui suppose un abattage rituel des animaux avant leur vente au public et des actes cultuels accomplis autour de la statue de la divinité protectrice, le plus souvent Mercure41. Ces aménagements intérieurs et extérieurs au macellum révèlent de ce fait une circulation de la viande subordonnée à des impératifs religieux42, même s’il faut garder à l’esprit les conclusions nuancées de Jean Audreau au sujet de la provenance non exclusivement sacrificielle de la viande vendue au macellum43.
- 44 Les bouchers semblent issus, en majorité, du milieu servile. Tran 2007a, p. 158-159 évoque les fai (...)
- 45 Belayche 2007, p. 34.
7L’origine, sacrifielle ou non, de la viande vendue sur les macella ne modifie, quoi qu’il en soit, pas sensiblement la relation que les esclaves présents sur les lieux entretenaient avec les rites nécessaires à l’abattage et ils intervenaient à toutes les étapes en vertu d’une spécialisation de leur activité, qui les rendait indispensables. Présents, on l’a vu, durant le sacrifice proprement dit de l’animal et son examen, on les retrouve à l’intérieur du marché en tant que bouchers pour la découpe de la viande destinée à la distribution ou à la vente44. L’engagement des esclaves, victimaires ou bouchers, dans l’accomplissement du sacrifice correspond au caractère technique des gestes qui sont nécessaires à la conformité de la cérémonie. L’archéologie a montré en effet que le statut de la viande évolue au fur et à mesure du rituel, d’où la multiplicité des outils utilisés par le victimaire et le boucher, ce qui fait de la découpe de la viande un exercice techniquement et rituellement codifié45, dont les esclaves sont donc en majorité les dépositaires sur le plan de la réalisation, où ils peuvent être appelés à exercer à cette occasion une ars aussi bien profane que religieuse.
Fig. 3 – Plan de Pompéi et localisation des principaux sanctuaires (d’après Van Andringa 2007, p. 63). En hachuré, le macellum.

1. Temple de Vénus 2. Temple d’Apollon 3. Capitole 4. Temple de Fortune Auguste 5 Chapelles du marché 6. Sanctuaire de la domus diuina ? (ou Augusteum ?) 7. Templum Augusti 8. Portiques de Concorde Auguste et Pietas 9. Temple de Minerve/Hercule 10. Temple d’Isis 11. Temple d’Esculape.
- 46 Ismard 2015, p. 65. Le terme désignait « indistinctement une fonction – celle de travailler pour l (...)
- 47 Scheid 1990, p. 674.
- 48 Ismard 2015, p. 81-84 évoque, à côté des emplois d’intendance exercés par les esclaves dans les te (...)
8Par ailleurs, si l’on se rappelle que la religion romaine se définit comme la célébration exacte des rituels prescrits et que l’on considère à quel point les esclaves sont investis, en qualité de victimaires, d’aeditui parfois ou d’assistants, dans la réalisation de ces gestes qui fondent le rituel, rendent possible son accomplissement et à terme l’efficacité du sacrifice dans la construction d’une relation apaisée entre les hommes et les dieux, on ne peut que conclure à l’importance des esclaves dans ce système. Acteurs privilégiés des gestes techniques qui permettent l’établissement du lien avec les dieux, les esclaves sont au cœur du fonctionnement ritualiste romain. Ils participent, ce faisant, de la nature des dêmosioi que Paulin Ismard identifie dans la Grèce ancienne aux hommes à qui incombaient la responsabilité des charges indispensables au fonctionnement de la cité sans toutefois disposer de la compétence politique du magistrat46. Pour autant, on ne peut complètement assumer le modèle que propose Paulin Ismard pour la Grèce compte tenu de l’interchangeabilité du personnel servile, où la spécialisation des fonctions en matière religieuse ne signifie pourtant sans doute pas la création d’un ordre spécifique de serviteurs. Rien d’étonnant, ce faisant, que l’on puisse supposer, comme le fait John Scheid à propos des frères arvales, que les esclaves jouaient un rôle non négligeable dans la transmission des combinaisons liturgiques que chaque magistrat se devait de maîtriser lorsqu’il entrait en fonction47. En d’autres termes, bien qu’il n’appartienne pas à la communauté des citoyens pour qui se joue le sacrifice, l’esclave qui participe à ces cérémonies se trouve cependant doté d’une culture rituelle commune voire supérieure à l’ensemble des citoyens. Pour autant, l’exercice des sacerdoces publics reste confié aux magistrats citoyens, contrairement à ce que Paulin Ismard a pu explicitement relever dans le monde grec, où la cité a parfois confié à ses dêmosioi l’exercice d’un sacerdoce civique48.
Le geste rituel servile entre visibilité et invisibilité
9Les espaces de présence et d’expérience religieuses qui s’offrent ainsi à l’esclave dans l’espace communautaire romain conduisent à s’interroger sur la place qui est la sienne dans cet univers et sur le regard que la cité pouvait porter sur lui. Ne serait-ce en effet que par la visibilité dont bénéficiaient certains esclaves au cours des fêtes publiques, visibilité enregistrée dans la mémoire collective par l’image, il paraît d’emblée impossible de continuer à parler, s’agissant de l’esclave, d’une relation à la religion romaine qui se situerait dans les marges. Pour autant, si l’on ne peut parler d’exclusion totale, en raison de la présence physique des esclaves durant les rites et de son enregistrement figuré dans la pierre, il faut néanmoins se demander si cette image est réellement la marque d’un phénomène religieux ou si elle doit être considérée comme seconde, anecdotique au regard de l’objet de la représentation.
- 49 On en recense 17 sur 150 d’après Huet 2005, p. 103.
- 50 Scheid 1998a, p. 519-529 (citation p. 525) ; Scheid 2005, p. 55 souligne que l’abattage, la litati (...)
- 51 Huet 1992, p. 451, qui ajoute qu’à la différence des vases grecs, « [l]a question de la représenta (...)
- 52 Gordon 1996, p. 24.
- 53 Plin., H.N., XXXV, 77 : Semper quidem honos ei fuit, ut ingenui eam exercerent, mox ut honesti, pe (...)
10Lors des sacrifices, on l’a vu, les esclaves interviennent durant trois temps différents : la pompa, l’abattage et l’extispicium. Nous ne nous attarderons pas sur cette dernière étape, trop peu documentée, pour observer plus particulièrement la place et le rôle des victimaires dans la pompa et au moment de l’abattage de la victime, qui appellent plusieurs remarques. Ces scènes ont été examinées selon différents éclairages, qui ont un impact sur la représentation des esclaves. Plusieurs commentateurs ont fait observer le faible nombre de reliefs montrant l’instant de la mise à mort49, c’est-à-dire l’instant où les esclaves victimaires étaient le plus sollicités. La raison en serait que cette scène fait intervenir des subalternes, et non les sacrifiants, empereur ou commanditaire du monument, qui préféraient, selon John Scheid, se voir représenter « dans l’exercice de [leurs] propres responsabilités, ce qui expliquerait également pourquoi le victimaire est figuré non pas comme agissant, mais le maillet levé, dans l’attente de l’ordre à venir du sacrifiant, véritable acteur du rite50. » De ce point de vue, le petit nombre de reliefs consacrés à cette scène apparaît comme un choix de figuration, qui consacre le caractère secondaire du victimaire et revient à mettre en scène l’infériorité du sacrificateur dans l’ensemble du rituel. On pourrait considérer de la même manière, c’est-à-dire comme une forme de marqueur social, la représentation figurée de la pompa sacrificielle, qui présente l’intérêt de « planter les personnages, de présenter leur statut social et d’établir les différents liens sociaux qui existent entre les diverses personnes51. » L’ensemble des choix de figurations serait donc de nature à indiquer au spectateur une hiérarchie sociale et fonctionnelle dans l’ensemble du rite représenté. On rejoint ici les remarques que formulait R. Gordon sur la question des représentations et des classifications d’une société donnée52. Rappelant le « mensonge » de Pline53 à propos des œuvres peintes ou sculptées dont aucune realisée par un esclave n’avait jamais été célébrée, l’historien conclut :
Well, of course: nothing so conspicuously useless as art could be entrusted to slaves, who by definition could not compete in the honour stakes. Slaves could paint, cast bronze, sculpture marble, and did all the time; but their art did not ‘exist’. It was classified out. The history of art in the ancient world is the history of the accumulation of symbolic capital, by cities, patrons and craftsmen.
11Dans cette perspective, la présence des esclaves, quoique incontestable durant les cérémonies et même figurée sur les bas-reliefs, serait, aux yeux des spectateurs de l’Antiquité familiers d’un certain ordre social, équivalente à une absence : les yeux ne voient que ce qu’ils ont l’habitude de considérer comme digne d’observation et d’attention. Présents durant l’ensemble de la cérémonie et même agissant à des moments clés de son déroulement, les esclaves victimaires resteraient cependant des invisibles en vertu des classifications hiérarchiques en vigueur, qui orientent le regard et l’interprétation. Leur action serait ainsi de l’ordre de l’indicible, au sens où elle ne donnerait pas matière à ce qu’on s’y arrête. Présents durant la cérémonie et représentés comme tels sur les bas-reliefs, les esclaves ne seraient en réalité pas considérés, en raison de la mise en œuvre d’un regard conditionné par une certaine échelle de valeur. Nous serions de ce fait confrontés à une présence bien réelle, mais qui ne signifierait rien d’autre aux yeux du spectateur qu’une inexistence.
12Quand on aura ajouté à ce conditionnement du regard qu’incontestablement, au cours de la pompa, l’esclave était essentiellement lié aux animaux et que, durant l’abattage, l’action du victimaire était subordonnée à la parole du sacrifiant, on ne sera pas loin de pouvoir conclure que sa présence sur les lieux où se joue la bonne exécution du culte public est tout simplement nulle et non avenue pour les citoyens présents durant le rite ou pour les spectateurs des bas-reliefs. La proximité que les bas-reliefs mettent en évidence entre les esclaves et les animaux (fig. 5) contribuent à dénier à l’esclave toute appartenance au monde humain de la cité et on ne saurait considérer sa représentation comme honorifique dans le système de la cité antique. L’esclave serait, dès la pompa, renvoyé à son statut économique de force de travail en association avec l’animal, tandis que le moment de l’abattage suspendu à la parole du sacrifiant soulignerait sa subordination.
Fig. 5 – Détail de l’autel de Cn. Domitius Ahenobarbus. Paris, Musée du Louvre (Inv. MA 975). Photo : B. Amiri.

- 54 Voir le trait figé par Juvénal dans sa troisième satire (243-254), qui présente l’activité de l’es (...)
13Quant à la préparation matérielle de l’animal et du banquet, laissée aux mains des serviteurs, elle renverrait à la fonction traditionnelle de l’esclave, appelé naturellement à servir son maître54. Les bas-reliefs qui mettent en scène la présence servile dans le cadre du sacrifice devraient dans cette logique être compris comme la transposition d’un ordre social, qui appelle une hiérarchisation des fonctions et de l’intérêt que le regard doit porter à leur accomplissement. Pour autant, il est difficile de nier l’implication de l’esclave dans les sacra. C’est là une des tensions constitutives entre la représentation de l’esclave et l’interprétation qu’il faut en faire en tentant de garder à l’esprit les mentalités de l’époque : tension entre le citoyen, acteur réel des sacra, et l’esclave sans légitimité ni pouvoir religieux ; tension entre une représentation de l’esclave, qui pourrait bien ne pas le prendre pour objet premier, mais plutôt comme un figurant imposé par le déroulement du rite, sur lequel personne n’attend que le regard s’attarde, et une présence effective dans le déroulement du rite collectif qui interroge ; en d’autres termes, tension entre le contrôle nécessaire à l’ordre social et l’implication de l’esclave nécessaire au déroulement du rite collectif.
- 55 Scheid 1998b, 147-148, p. 19.
- 56 Huet 2005.
- 57 Prescendi 2007, p. 234 qui rappelle (à la suite de Scheid 1998a, p. 522-523) que dans les temps an (...)
- 58 Scheid 1990, p. 540.
- 59 Scheid 1990, p. 660 : « sans les [publici], les prêtres ne peuvent pas célébrer le culte, mais en (...)
14À cet égard, il faut revenir aux interprétations symboliques que l’on peut faire des deux temps du sacrifice dont les esclaves sont partie prenante. Commençons par la scène de l’abattage, dont John Scheid interroge l’intérêt de la représentation, puisqu’elle met en lumière un personnage dit secondaire en attente d’action55. Il propose de considérer cette scène comme la représentation symbolique de l’âge historique, où l’homme montre sa supériorité sur l’animal, là où la pompa viendrait symboliser l’âge d’or : hommes et animaux, ornés pour la fête, marchent de concert selon un critère d’égalité. En ce sens, le uictimarius avec l’animal serait d’une part une illustration du pouvoir absolu des êtres supérieurs sur les êtres inférieurs que sont les animaux, d’autre part un rappel du pouvoir que l’empereur exerce sur ses sujets56. Dans le même ordre d’idée, les commentateurs soulignent la valeur symbolique de la hache portée par le victimaire en charge de l’abattage, indiquant unanimement que la hache est « l’instrument qui représente le pouvoir absolu par excellence57. » Il peut dès lors sembler surprenant qu’un personnage traditionnellement considéré comme négligeable en raison de son statut juridique ou invisible à un regard exercé à ne pas le voir, et dont l’action serait par ailleurs jugée secondaire dans le déroulement du sacrifice, soit celui que l’on choisisse pour porter un instrument chargé de symbole au point de voir en lui l’image de l’empereur omnipotent. La seule manière de comprendre ce paradoxe consiste à admettre que le victimaire, et donc parfois l’esclave qui en a le titre, n’est pas qu’un simple auxiliaire, toléré parce qu’il faut bien admettre à la représentation et au sacrifice ceux qui matériellement le rendent possible en s’occupant de gérer des tâches dites inférieures. Les enjeux symboliques de cette figuration sur les reliefs, qui confèrent à l’esclave une forme de toute-puissance, conduisent à jeter un nouvel éclairage sur le rôle et la signification de sa présence dans le dynamisme du rituel. Certes, les esclaves ne détiennent pas de rôle rituel, ils n’ont pas le pouvoir de sacrifier pour les dieux ni d’entrer en relation avec eux dans la cadre des sacrifices publics qui nous intéressent, mais, comme le souligne John Scheid à propos de l’organisation des sacrifies chez les arvales, « ce sont des esclaves qui traduisent en actes tangibles les volontés des arvales, transmises et contrôlées par les pueri. » Dans ce partage des tâches se manifeste ce que John Scheid appelle « la structure ‘républicaine’ de l’action publique et la volonté de souligner et de limiter les compétences de chacun des partenaires58. » L’implication de différents acteurs suppose que soit confiée à des esclaves une partie des séquences rituelles nécessaires au bon déroulement du sacrifice. Cela ne signifie pas que, par là, on oublie le statut inférieur qui est le leur ; cela ne signifie pas non plus que l’on revalorise leur condition. Le victimaire n’est nullement un sacrifiant autonome, mais un sacrificateur, qui agit comme l’instrument du maître du sacrifice, dans une prolongation active du sacrifiant, qui est le seul à disposer d’une parole performative. À ce dernier, juridiquement autonome, la responsabilité de l’acte religieux ; aux esclaves sa réalisation. De la même manière, lors du premier et du dernier jour du sacrifice public à Dea Dia les esclaves publics de la confrérie sont invités à transférer les offrandes sacrifiées par les frères arvales et à les verser dans le feu. Ce n’est naturellement pas leur geste qui fait l’acte religieux, mais essentiellement la prière d’offrande du président. Leur présence active, subordonnée à leur rang59 et à la délégation de pouvoir qu’ils ont reçue, invite seulement à la prudence, lorsqu’on veut parler d’exclusion des esclaves dans la sphère publique religieuse. Elle suppose aussi que l’on tienne compte de leur capacité à agir, qui les distingue manifestement de tous les éléments purement matériels également indispensables à l’acte religieux : les esclaves peuvent manifestement revendiquer une capacité d’action, qui permet la formation d’une conscience de soi en tant qu’acteur nécessaire sur la scène rituelle.
- 60 AE 1953, 154 : Attalus, Noni M(arci) s(eruus). « Attalus, esclave de Nonius Marcus ».
- 61 Scheid 1994, p. 245.
- 62 Huet 1992, p. 347.
- 63 Bien qu’en désaccord sur le sens du sacrifice ainsi accompli (pour l’historiographie, on se report (...)
15Que les esclaves puissent acquérir durant le sacrifice une stature qui outrepasse largement leur statut juridique, le point est souligné par une inscription isolée datée des premières décennies du Ier siècle et figurant sur une base retrouvée à Aesernia (fig. 6). Elle présente la particularité de mettre en scène, dans le cadre d’un suovétaurile, un sacrifiant vêtu de la tunique et du ricinum, que l’on est amené à identifier comme un individu de statut servile. Cette lecture, par ailleurs fortifiée par le texte de l’inscription qui surplombe le relief60 et présente un certain Attalus, esclave de M. Nonius, a de quoi surprendre, si l’on considère d’abord que dans la religion romaine publique, l’esclave n’a pas le droit de sacrifier et si l’on observe ensuite que l’esclave est saisi dans son action au cours de l’un des sacrifices majeurs de la religion romaine. Or, la présence de la nomenclature officielle de l’esclave, qui, incongrue dans l’espace domestique, trouve toute sa légitimité dans l’espace public, comme le relève John Scheid61, tend incontestablement à inscrire ce monument dans un contexte public. Certes, le vêtement pourrait ne pas forcément être signe d’un statut servile, note Valérie Huet, qui, confrontée à ce relief « problématique », souligne que sur d’autres reliefs, comme celui de la Chancellerie, rien n’indique que les porteurs de tunique et de ricinum soient des esclaves62. Pour autant, il est difficile de ne pas tenir compte de la proximité de la scène du sacrifice avec le cartouche portant la mention explicite de l’esclave63.
Fig. 6 – Base d’Isernia. Face centrale comportant l’inscription de l’esclave Attalus (AE 1953, 154) au-dessus d’une scène représentant un suovétaurile. Sur concession du Museo Nazionale di Santa Maria delle Monache di Isernia. Photo : D-DAI-ROM-75.2553

- 64 En considérant que Tacite mentionne la nécessité d’une lustratio en cas de (re)fondation d’un lieu (...)
- 65 Sur des esclaves attestés parmi les ministri pagi de Pompéi, cf. CIL X, 924 et ILS 3609-3611. S’ag (...)
16Aussi bien sommes-nous conduit à mettre en évidence la lecture proposée par John Scheid de ce qui pourrait autrement ressembler à une anomalie. John Scheid propose de considérer Attalus comme un esclave procédant à un suovétaurile dans le cadre de la fondation d’un autel à Fortuna Augusta64. Le geste de l’esclave serait rendu possible par son appartenance à un collège d’esclave ou de ministri, dont il aurait été le responsable, seul contexte susceptible d’expliquer l’implication d’un esclave dans un suovétaurile. John Scheid écarte l’idée qu’il puisse s’agir d’un minister Larum ou pagi, dans la mesure où les Lares sont complètement absents de la représentation, ce qui serait dans cette situation inédit, et propose de considérer la possibilité d’un collège de ministri de Fortuna Augusta à Aesernia sur le modèle de ce qui existait à Pompéi65. Ces ministres, au nombre de quatre, étaient nommés par les autorités publiques de la cité et devaient être affectés au temple pour son entretien ainsi que celui de l’autel sur lequel ils devaient accomplir des rites spécifiques.
- 66 Van Andringa 2009, p. 94-99.
- 67 Cf. infra.
17Nous serions donc de ce fait confrontés à une des premières manifestations du culte impérial rendu par un esclave, responsable d’un collège, dont il faut souligner qu’il appartient à l’une des plus grandes familles sénatoriales d’Aesernia. Ce faisant, l’esclave apparaîtrait lui-même, en raison de la fonction qu’il exerce, comme un membre de l’élite locale au service de la domination de la vie locale par la famille des Nonii. Cette interprétation est d’autant plus séduisante qu’elle repose en partie sur des similitudes avec des pratiques relevées à Pompéi concernant l’implication des esclaves des grandes familles, les Olii, les Vettii, les Caesii, les Numitori, dans les collèges de ministri66. Dans cette perspective, et compte tenu des prérogatives religieuses accordées aux magistri des collèges67, quand bien même ils seraient de statut servile, la participation active des esclaves aux sacrifices dans le cadre collégial est de nature à renforcer la réalité de leur présence sur la scène religieuse, y compris publique. De tels témoignages sont néanmoins bien isolés et il est difficile d’en tirer des conclusions générales, si ce n’est en soulignant l’existence de possibilités réelles pour l’esclave d’être largement impliqué et reconnu dans la vie religieuse, dans le cadre d’un système parfaitement admis dans la société et occasionnant pour lui la possibilité de travailler à sa représentation par le biais de l’inscription et du relief qui l’accompagne.
- 68 Moreau 2002, p. 179-200.
- 69 On se souvient par exemple que lorsque la délégation du Sénat se présente à L. Quinctius Cincinnat (...)
- 70 Les griefs des Romains contre l’athlétisme grec sont bien connus (cf. Plin., H.N., XV, 19 ; XXXV, (...)
- 71 Cons. Helv., XVI, 3-4. Sur la question, Dubourdieu 2011, p. 45-56.
18Que les esclaves officiant en qualité de victimaires ou d’assistants lors des sacrifices publics soient intégrés dans le dynamisme du rite et non rejetés à ses marges est par ailleurs manifeste si l’on s’attache à observer sur les bas-reliefs la représentation du corps à la manière de Philippe Moreau68, non comme une donnée naturelle mais comme une construction culturelle, susceptible de devenir le support de signes. Certes, les sacrificateurs sont vêtus du limus, mais leur corps reste néanmoins très exposé, à la fois parce qu’ils sont saisis dans toute la force requise par les gestes qu’ils vont accomplir sur l’animal, mais aussi parce que leur torse est nu. La nudité partielle qui caractérise exclusivement le victimaire sur ces reliefs renvoie à celle qui par définition caractérise l’esclave, dont le corps est exposé par opposition à celui des citoyens et des affranchis surtout saisis dans l’exercice public69, où le port de la toge permet de faire état de leur pietas et de leur dignitas70. Les représentations figurées montrent de ce fait le sacrifiant et les autres acteurs libres ou affranchis dans des postures qui ne dépassent pas les limites imposées par la dignitas. C’est ainsi qu’ils se présentent le corps revêtu d’une toge, « gage d’une vertu qui constituerait par elle-même une parure, un ornementum » selon Sénèque71. La nudité partielle du victimaire associée au port du limus constitue donc à première vue un marqueur juridique et social, qui transpose la hiérarchisation de la société dans le rituel du sacrifice et agit de ce fait comme un signal destiné à orienter le regard – et partant l’attention, c’est-à-dire en l’occurrence le désintérêt – des spectateurs.
- 72 Dupont 1989, p. 270.
- 73 Dig., 11, 4, 1, 8 a : les sourcils des esclaves fugitifs sont rasés ou comme le rapporte Cic. (Ros (...)
- 74 Moreau 2002, p. 28 : « les cicatrices et les pratiques qui leur sont associées mettent en place di (...)
- 75 Cic., Verr., V, 52, 139-53 ; 54, 140 et 142 ; 61, 160 sq. (sur l’usage métaphorique de ce terme, P (...)
- 76 Blonski 2015, p. 56-57 : « Pureté et propreté rituelle peuvent être matérialisées par l’utilisatio (...)
19Plusieurs éléments d’ordre visuel incitent néanmoins à relativiser ce constat initial. Si le corps du citoyen est incontestablement un corps habillé, lavé, maîtrisé72, celui de l’esclave-victimaire n’est pas pour autant dépourvu d’honneur. Les textes littéraires et juridiques présentent en effet volontiers le corps de l’esclave comme supportant différents stigmates73, qui font partie de la mémoire du corps et ont une valeur sociale et culturelle74. L’esclave stigmosus75, qui porte les cicatrices des coups de fouets, des tortures et des stigma qui lui ont été infligés, offre le modèle d’un corps sans honneur. Or, sur les reliefs sacrificiels, si l’esclave à demi-nu est représenté de manière à mettre en exergue la masse de son corps, ses efforts, ses gestes amples, force est aussi de constater qu’il présente un corps intact, exempt de mutilation, de marque de châtiments ou de traces de violence exercée à son encontre. Sans tâche ni cicatrice, le corps de l’esclave intégré dans le processus rituel se définit significativement par son absence de souillure76.
- 77 Par exemple Plutarque (Questions grecques, 281 c), qui, à la question de savoir pourquoi on interd (...)
- 78 À propos de la valeur intégratrice du nettoyage et partant des actes de purification, Blonski 2014 (...)
- 79 Estienne 2001a, 189-210.
- 80 Sappho apud Athénée, Banquet des savants, XV, 674e. Cité par Mehl 2008, p. 179.
- 81 Plin., H.N., XV, 135 : Adeoque in profanis usibus pollui laurum et oleam fas non est, ut ne propit (...)
20Dans la mesure où l’absence de souillure est une caractéristique requise pour l’ensemble des participants au sacrifice, il faut donc remarquer que l’esclave participe alors sans conteste de ce mouvement, au même titre que, par exemple, le sacrifiant, pour qui les sources sont catégoriques77. Obéissant aux mêmes impératifs que ceux qui sont fixés aux libres, l’esclave acquiert de ce fait une stature sociale qui dépasse de beaucoup sa condition juridique, puisqu’elle l’intègre dans le processus général du rite dans la structure de l’agir et du faire78. L’association de ces esclaves à la pureté du rite, condition nécessaire à son accomplissement79, se manifeste aussi dans leur parure. Deux éléments sont à mettre en évidence, le premier d’entre eux correspond aux instruments du sacrifice, dont nous avons déjà parlé, le second au port de la couronne de laurier durant la pompa, l’immolatio ou encore la mise à mort de l’animal. La couronne a en soi une portée symbolique forte, que fait entrevoir le constat de Sappho : « Les dieux se détournent de ceux qui se présentent à eux sans couronnes80. » Le caractère particulier du laurier est, quant à lui, particulièrement attesté dans les sources81, qui mettent notamment l’accent sur l’obligation de pureté faite à celui qui le porte. S’agissant de l’esclave, cela suppose qu’au même titre que les autres acteurs du sacrifice, il ne devait pas être exposé à la souillure, ce que s’emploient à montrer les reliefs en soulignant l’intégrité de son corps, l’absence de mutilation ou de plaies. Le port de la couronne de laurier signale le respect de ces règles. Faut-il imaginer que la nécessaire pureté de l’esclave imposait d’autres conditions que physiques ? On pourrait avancer l’hypothèse que les esclaves-victimaires bénéficiaient d’une naissance connue de leur maître, qu’ils n’étaient pas nés de la prostitution ou n’avaient pas été affectés à des travaux pénibles. Quoi qu’il en soit, ces éléments confirment l’appartenance des victimaires à une « élite » servile, qui leur permettait d’obtenir une forme d’accès aux cérémonies publiques par le biais de leur fonction. Dans ce processus rituel, où la démarche consistait à établir une communication avec le dieu, la présence d’éléments funestes ou de traits négatifs aurait été de nature à remettre en cause le bon déroulement de la cérémonie. L’intégrité requise de tous les acteurs réunis au service du bon déroulement du rite rappelle que le sacrifice est bien cette occasion d’affirmer la cohésion communautaire en groupant les individus sur une base culturelle, qui suppose l’existence d’un lien au-delà des catégories juridiques.
Des esclaves à l’interface
- 82 Rappelant qu’il n’existe pas à Rome d’enseignement religieux et que c’est par l’observation des pr (...)
- 83 Voir par exemple le constat de Scheid 1985, p. 21, qui tout en reconnaissant que les esclaves peuv (...)
- 84 Ps., 148 sq.
- 85 Nous renvoyons sur la question de l’émotion à la contribution de Scheid 2011b, p. 406-415, particu (...)
- 86 Cf. Rappaport 1999, chapitre 4 p. 119-124 « acceptance, belief, and conformity » et chapitre 9 « t (...)
21Or, c’est le plus souvent sur la base de son statut juridique que l’on a pris l’habitude de considérer la présence de l’esclave sur la scène religieuse romaine : « présence passive » ou « présence invisible » car finalement dépourvue d’épaisseur, en dépit de l’implication matérielle, évidente des esclaves dans le déroulement des rituels, signe que leur différence juridique ne les empêchait pas de s’investir ni d’être impliqués dans le déroulement du sacrifice ou des rites. Sans doute cette expérience-là ne relève-t-elle pas du même ordre que celle que vit le sacrifiant82. Mais on peut néanmoins parler d’une expérience, certes conditionnée par la volonté de la communauté civique, et ce faisant admise par la société, mais bien vécue conformément à la condition de l’esclave83. Comme le rappelle Plaute84, l’officium d’un esclave consiste à se conduire comme le lui dicte sa condition. Or, servir les maîtres, et, dans une certaine mesure, servir les dieux lors de la pompa, de la mise à mort ou encore lors de la préparation des exta, voilà de quoi offrir un champ d’action religieuse conforme au statut de l’esclave et l’intégrer à la mise en œuvre communautaire du sacrifice. C’est la raison pour laquelle parler de passivité de l’esclave, alors qu’il occupe une place dans le déroulement du rituel, doit être nuancé, car cela ne rend pas compte de la réalité d’une activité au sens propre. Quant à savoir si elle est essentielle au déroulement, c’est une question qu’il convient de poser. Essentielle dans le sens où l’esclave joue un rôle, mais non de premier plan, puisque l’ensemble de ses gestes est soumis, dans un cadre codifié, à la décision du prêtre : ce n’est pas lui qui établit le dialogue avec la divinité, il est un maillon de la chaîne qui se forme sous l’égide du sacrifiant. Les pratiques gestuelles, telles qu’elles ont été évoquées précédemment, n’ont certes pas le même degré d’intensité que celles des prêtres ou des sacrifiants, mais elles conduisent les esclaves à faire l’expérience d’une participation, encore une fois à la mesure de la place que leur assigne la communauté, mais néanmoins d’une participation, qui empêche de parler d’exclusion absolue. Il n’est évidemment pas question de parler de transgression de la hiérarchie sociale : à aucun moment ne se crée un axe entre la divinité et l’esclave. Celui-ci, extérieur à cet axe de communication divinité / sacrifiant, est cependant essentiel dans la mesure où il contribue par son geste à l’instauration de ce lien : l’acte de mise à mort qui lui est confié sur l’ordre du sacrifiant contribue au bon déroulement du sacrifice et à l’instauration du lien de la communauté avec la divinité. Tel est bien le rôle que l’on peut lui reconnaître, et il n’est pas à négliger, pendant le sacrifice : qu’il s’agisse de la conduite des animaux, de leur mise à mort, de la litatio ou de la préparation des exta, l’esclave a pour fonction de rendre matériellement possible la mise en relation du sacrifiant avec la divinité : il est celui par qui se crée un lien entre les différentes séquences sacrificielles, permettant à terme le rendez-vous avec la divinité. Certes, ce ne sont pas des activités autonomes en soi – en témoigne le silence de ces victimaires, qui contraste avec le pouvoir de dire et d’agir du sacrifiant – mais, bien des activités dépendantes du dynamisme global du rite tel qu’il est codifié par exemple dans le cadre des suovétauriles. Elles participent cependant de l’admission de l’esclave, en tant qu’acteur, même second, dans la mise en œuvre des cérémonies cultuelles. Si le degré de professionnalisation de l’esclave est ici indéniable, il n’est pas associé à l’exercice d’une autorité à proprement parler, qui ferait de lui l’acteur de l’acte performatif. Cette autorité qui garantit la reconnaissance du rite n’est en général pas l’apanage des esclaves, si l’on excepte le fonctionnement de certains collèges, dont on reparlera, ou la possibilité – rarement attestée – pour les esclaves d’accéder aux fonctions de prêtres, comme à Lectoure dans le cadre du culte de Mater Magna. Il n’est pas non plus question ici de parler des croyances personnelles de l’esclave ni de l’émotion qu’il pourrait être amené à éprouver85. Ces questions, dans le contexte de la religion publique, n’ont pas lieu d’être, dans la mesure où l’exécution de l’offrande sacrificielle, qui fait intervenir une multitude d’acteurs, n’a pas pour objectif de faire naître un sentiment, mais de permettre par sa conformité avec les prescriptions rituelles de s’acquitter de ses relations avec le divin. L’émotion telle que nous nous la représentons n’y a en ce sens pas sa place ; c’est l’attention scrupuleuse portée à la réalisation des gestes qui permettra de faire place à la satisfaction du devoir bien accompli. Pas plus qu’elle ne se pose pour le citoyen, la question du sentiment et de la croyance éprouvée par l’esclave au moment de la cérémonie ne présente d’intérêt dans la définition de l’expérience religieuse vécue par le victimaire. Ce qui apparaît cependant fondamental, c’est la possibilité que la fonction de victimaire offre à l’esclave d’accomplir des gestes religieux pendant l’exercice du rite, qui n’est pas une croyance, « ni un état intérieur, mais […] un acte public86. » Dans une religion essentiellement fondée sur le faire, le rôle de l’esclave est ainsi manifeste et sa présence rendue fondamentalement nécessaire. Il bénéficie en conséquence de la possibilité de « partager les croyances et les rites » officiels de la religion de la cité, selon la formule de Jean Andreau et de Raymond Descat, et, dans le schéma global de la cérémonie rituelle, se trouve situé à l’interface des différents acteurs du rite, comme l’illustre clairement l’exemple des victimaires. Sans doute ne sont-ils ni les acteurs ni les bénéficiaires des rites, accomplis, on s’en souvient au nom du peuple romain, dont ils ne font pas partie sur un plan juridique ; cela ne signifie pour autant pas leur absence en tant que desservants de ce culte, qui ne les concerne pas, pour lequel ils ne disposent d’aucune possibilité d’initiative propre, mais dont ils rendent possible l’accomplissement. De cet état de fait, deux conclusions radicalement opposées peuvent être posées. La première considèrera, non sans raison, que la non-appartenance juridique des esclaves à la communauté civique constitue une fin de non-recevoir, qui pose les manifestations publiques de la religion romaine comme exclusives. La seconde remarquera que cette exclusion ne signifie pas impossibilité d’accès et de participation, sur un autre registre, des esclaves à ces cérémonies civiques. Ce seul fait empêche de considérer la religion civique comme une citadelle accessible aux seuls citoyens et, partant, de l’envisager uniquement du point de vue des bénéficiaires et des acteurs sans tenir compte de ses modalités de mise en œuvre. Pour des raisons immédiatement pratiques d’abord, liées à la tenue matérielle du sacrifice, les esclaves, certains du moins, dont la présence est rendue nécessaire pour le bon déroulement des gestes, sont à même de côtoyer les éléments rituels et d’assister aux cérémonies sacrées. Il ne s’agit pas de faire d’eux des acteurs du rite, mais de souligner que cette familiarité avec les détenteurs de l’autorité religieuse et les gestes mêmes du sacré leur procurent une certaine proximité avec ce qui relève de la religion civique. Le victimaire doit s’adapter à une façon d’être et de faire et pratiquer des normes qui répondent au contrôle du corps, des expressions et des gestes dans un cadre défini par l’espace et le temps civiques, ce qui implique qu’il ne se définisse plus seulement par sa situation juridique, mais également par son implication momentanée dans un champ social autre. Pour les esclaves, cela signifie tout à la fois la conscience de leur situation dans la hiérarchie sociale romaine et l’accès à un statut d’initié, au sens où ils sont détenteurs d’une connaissance liée à l’exercice du rite par sa pratique régulière. On objectera sans doute légitimement que proximité ne signifie ni adhésion ni reconnaissance, mais force est de souligner qu’au niveau qui est le leur, certains esclaves ont été plus au contact du déroulement et des enjeux des rites publics que bien des citoyens, dont la présence n’était pas forcément requise, et qui bénéficiaient de loin des retombées de gestes accomplis par d’autres pour eux et en leur nom. Il ne s’agit dès lors pas de feindre de croire que les esclaves, tels que les victimaires, bénéficiaient de la moindre considération : esclaves ils étaient et c’est en tant que tels qu’ils étaient appelés à agir. Pour autant, dans une religion où croire c’est faire, il paraît impossible de méconnaître la présence d’esclaves dans la réalisation de ce faire et la proximité qu’ils pouvaient entretenir avec les gestes et les techniques sacrés.
L’expérience religieuse collégiale servile
- 87 Sur l’ambiguïté de l’occasion offerte par les Compitalia aux esclaves de participer à la vie relig (...)
- 88 Sur ces aspects, cf. infra 2e partie.
- 89 Ferrary 2003, p. 737 définit les collèges comme des « structures intermédiaires, des lieux de renc (...)
- 90 Sen., Clem., 1, 24, 1 rapporte qu’on avait un temps imaginé de faire porter aux esclaves un vêteme (...)
- 91 Scheid 2013a, p. 71.
- 92 Tran 2006, p. 50-51
22Une conclusion similaire doit, semble-t-il, prévaloir, lorsqu’on envisage la présence des esclaves dans des associations ou collèges dits religieux, qui semble faire fi du cadre juridique. En effet, même subordonnée à une décision toujours révocable du maître, l’entrée de l’esclave dans un collège représente en tout état de cause d’une part l’accès à une pratique religieuse que le système civique ne prévoyait pas dans le cadre de la cité – ou très peu, à l’échelle du uicus par exemple87 –, d’autre part l’accès à une pratique religieuse distincte de celle de la familia, à laquelle l’esclave était par ailleurs appelé à participer88. Grâce à leur intégration dans un collège, les esclaves pouvaient accéder à une pratique cultuelle éventuellement plus en phase avec leurs préoccupations et leurs activités que ne le leur permettaient les choix imposés par le maître en matière de culte domestique. L’espace collégial offrait également aux esclaves la possibilité de pratiquer un culte dans une structure qui incluait la possibilité d’une mixité sociale89 susceptible, par la proximité collégiale, de donner l’impression d’un effacement des barrières statutaires, d’autant plus favorisé que, comme le souligne John Scheid commentant un passage de Sénèque90, dans la vie quotidienne rien ne distinguait l’esclave de l’homme libre91. Par ailleurs, les collegiati, indépendamment de leur statut, bénéficiaient d’une voix équivalente au moment des prises de décision qui regardaient la vie de l’association, ce qui conduisait également à harmoniser les statuts. L’expérience religieuse offerte par le collège aux esclaves membres correspondait de ce fait à la possibilité de s’investir, de manière autonome au sein d’une collectivité, dans l’accomplissement d’activités cultuelles liées aux différentes divinités sous le patronage desquelles l’association avait choisi de se placer ou de gestes religieux évergétiques. Le phénomène associatif, comme l’a rappelé Nicolas Tran, ne concernait sans doute qu’une minorité d’esclaves, même si nombre d’affranchis connus par les albums des collèges ont pu y être admis avant d’avoir obtenu leur liberté92. Pour les esclaves collegiati cependant, cette entrée dans le monde associatif représentait beaucoup :
- 93 Tran 2006, p. 64-65.
[Ils] semblent occuper dans la société une place paradoxale, puisque celle-ci est définie par leur participation à des groupes dissociés de l’esclavage lui-même et de la relation au maître. La dépendance personnelle s’avère ne pas être l’unique facette des existences serviles. L’exclusion de la communauté civique subie par l’esclave ne constitue pas une donnée intangible et inéluctable, mais une donnée parfois relative. Le collège s’apparente, non seulement à un lieu de convivialité, mais aussi à un espace d’intégration pour des individus dont le statut juridique évoque a priori la mise à l’écart et le confinement dans la sphère privée. […] Le collège permet de gagner en rang et en dignité. En effet, les esclaves ne forment pas une masse indistincte d’êtres inférieurs. Chacun d’entre eux se voit assigner une place personnelle dans la hiérarchie du monde servile. L’adhésion à un collège, l’appartenance à une entité collective distincte de la familia est un élément de positionnement dans cette hiérarchie. Pour les esclaves, l’admission dans un collège correspond à une forme, particulière et limitée, de mobilité dans la hiérarchie sociale93.
- 94 Le règlement du collège de Lanuvium prévoit ainsi (CIL XIV, 2112, II, l. 29-30 = ILS 7212) : Item (...)
- 95 Festus (230 L) montre que le collège des pêcheurs et des plongeurs du Tibre étaient sollicités lor (...)
- 96 Dès l’époque grecque, comme l’évoque Vernant 1989, p. 291.
- 97 Scheid 1985, p. 193 sur le lien social qui se crée entre ces collèges et les cérémonies publiques (...)
- 98 Waltzing 1969, p. 254.
23À quelles activités l’esclave pouvait-il envisager d’être associé dans le cadre collégial ? L’étude des inscriptions et des vestiges archéologiques permet de reconstituer une part de l’activité religieuse des associations, à laquelle les esclaves membres pouvaient participer : l’érection de statues ou d’autels, la dédicace par l’un des membres, un ex-voto. Ils soulignent surtout la dimension religieuse de chaque activité collégiale. À côté des dédicaces, la vie associative est rythmée par un calendrier de fêtes et de manifestations où le religieux est partout présent, manifesté lors d’un sacrifice et d’un banquet, où l’on offre aux dieux des libations de vin, d’encens, voire de lait94. Les occasions étaient nombreuses : il y avait celles qui concernaient le collège lui-même, comme son dies natalis ou encore l’anniversaire d’un patron du collège voire de l’empereur régnant lui-même, à quoi il fallait encore ajouter parfois d’une part les multiples célébrations autour de la schola et des statues des différents dieux qui l’ornaient ainsi que d’autre part l’éventuelle participation du collège à la fête publique du dieu qu’il revendiquait comme patron95. Les banquets qui réunissent les commensaux à l’intérieur du collège jouent un rôle essentiel dans la constitution du lien social96 et par là dans l’établissement d’une hiérarchie sociale97. Or, la présence d’esclaves parmi les collegiati suppose également leur présence lors des banquets, ce qui, dans le cadre restreint de la communauté collégiale, conduisait là encore à effacer les distinctions sociales à l’œuvre dans la cité au profit d’un ordre collégial distinct, au sein duquel les divisions fondées sur le statut juridique ne prévalaient pas sur la participation aux activités religieuses. Face à la multiplication des événements religieux collégiaux, on peut bien conclure à l’instar de J.-P. Waltzing : « La religion, dans les collèges, ne faisaient que consacrer d’autres liens : la communauté de la profession et des intérêts, le désir de sortir de l’isolement et de se fortifier, l’appât de certains avantages tels qu’un enterrement décent et des banquets fraternels98. »
24Lorsqu’on se place du point de vue de l’esclave, on est amené à conclure à l’intérêt tout particulier que pouvait revêtir pour les collegiati serviles la participation à de telles cérémonies. Pour tout citoyen en effet, les cultes rendus dans le cadre de l’investissement dans ces associations relevaient d’une pratique qui n’avait rien d’inédit. À une autre échelle se répétait, avec éventuellement d’autres divinités et d’autres commensaux, ce qui leur était loisible d’expérimenter en tant qu’individus libres partout ailleurs dans la cité. Rien de tel pour les esclaves, dont l’investissement religieux à l’extérieur du collège ne redoublait pas ce qu’il pouvait y vivre, mais se réalisait sur un autre registre : celui de membre « contraint » de la familia ou d’agent dans le cadre de cérémonies publiques. La participation collégiale fournissait de ce fait à l’esclave une expérience cultuelle forte, où il lui était donné d’être à la fois l’origine, la raison d’être et le bénéficiaire de l’accomplissement du rite ou du culte. Pour le dire en d’autres termes, ceux qu’utilise Anna Clark:
- 99 Clark 2011, p. 368.
[Gods] allowed members of ‘lower’ social strata to talk (in publicly inscribed texts) in the same idiom as those higher up the social ladder. […] While we cannot know and should not ask whether they believed in these gods, we do need to develop further a vocabulary that allows gods an integral role in many people’s experience of community life99.
25Ce ne sont en réalité pas tant les dieux eux-mêmes que l’organisation communautaire de la religion romaine qui permettait aux esclaves de pouvoir tenir un discours et de participer à une action collective rituelle de nature à leur offrir, à un niveau bien précis, une expérience religieuse semblable à celle que vivait le citoyen concerné au premier chef par la religion de la cité. Ce que nous désignons aujourd’hui avec le terme « participer » nécessite d’être relativisé à l’aune des caractéristiques de la religion romaine antique. Dans la perspective romaine, la participation au culte ne signifiait nullement l’obligation d’action personnelle ou de présence du citoyen. Dès lors, la participation doit davantage s’entendre comme la reconnaissance d’un statut qui indique qu’un groupe donné est concerné par le culte, ou qu’un individu a le droit ou la possibilité d’être investi d’un rôle ou d’une fonction qui le conduisent à prendre part au culte. Tel est bien l’intérêt de la structure collégiale pour les esclaves, qui leur offre les conditions d’une participation, c’est-à-dire d’une réelle reconnaissance et légitimité dans les actes accomplis.
- 100 Verboven 2012, p. 21 propose une version provinciale de cette hiérarchisation, au sein de laquelle (...)
- 101 Evoquant la nature des collèges fréquentés par le personnel impérial, Boulvert 1974, p. 242-245 no (...)
- 102 Tran 2008, p. 303.
26Avant de parler d’une voie royale conduisant les esclaves à une intégration religieuse pleine et entière, il faut cependant aussi raison garder. Que l’expérience collégiale ait pu être vécue par un nombre conséquent d’esclaves n’est pas discutable, à partir du moment où l’on considère leur implication dans les collèges funéraires et/ou domestiques, attestés à Rome et en Italie. Ces structures ne peuvent néanmoins masquer l’existence de hiérarchies parmi les différents collèges attestés dans les cités100. Quels que soient les critères qui les sous-tendent, les collèges funéraires et domestiques, dans lesquels se comptent une majorité d’esclaves et d’affranchis, sont justement connus pour être des collegia tenuiorum, c’est-à-dire des collèges d’humiliores par opposition à ceux auxquels avaient accès les honestiores. Partant de là, l’accès des esclaves au fait collégial, entendu comme une occasion d’intervenir en qualité d’acteurs légitimes, trouverait souvent à s’exercer dans l’univers restreint d’individus eux-mêmes d’origine servile101. Dans la foule des associations qui caractérisent le monde romain, il faut en effet distinguer celles qui favorisent l’entre-soi, à l’instar de corporations telles que les corpora mensorum frumentariorum de Rome et Ostie, dont les membres sont principalement « des entrepreneurs indépendants, petits ou grands, en affaire avec les propriétaires d’entrepôts et donc avec la préfecture de l’annone102 » et celles qui autorisent un recrutement élargi, comme le sodalicium formé par les travailleurs des horrea Galbana, qui semble en effet avoir recruté aussi bien parmi les esclaves et les affranchis impérieux que parmi les libres ou encore les dépendants privés, ce dont témoigne une inscription datable de 128 et dédiée Herculi Domus Augusti par deux esclaves impériaux, un affranchi impérial et les operari Galbenses. La dédicace est par ailleurs réalisée par le biais d’Hermès, un esclave de particulier, après financement par une collecte des horrearii de la deuxième cohorte :
Herculi domus Augusti sacrum ex / collatione horriariorum c(o)hortis II, Maioris / et Diadumeni, C(aesaris) n(ostri) ser(uorum), et T(iti) Flaui Crescentis et / operari Galbe(n)ses (!), curante Hermete, C(ai) Mundic(i) / Helpisti ser(uo), dedicatum K(alendis) Iuni(i)s, / M(arco) Iunio Mettio Rufo, Q(uinto) Pomponio Materno co(n)s(ulibus).
- 103 CIL VI, 30901. Ce qui conduit Tran 2008, p. 30 à conclure qu’« il est [également] concevable que l (...)
Consacré à l’Hercule de la Maison d’Auguste à partir des dons des horrearii de la deuxième cohorte, des esclaves impériaux, Maior et Diadumenus, de Titus Flavius Crescens et des travailleurs des horrea Galbana, par l’entremise d’Hermès, esclave de Caius Mundicus Helpistus. Dédié aux calendes de juin, sous le consulat de Marcius Iunius Mettius Rufus et de Quintus Pomponius Maternus103.
- 104 Van Haeperen 2010, p. 258 signale ainsi clairement la différence entre le collège « très officiel (...)
- 105 Le collège des lenunculariorum tabulariorum auxiliariorum d’Ostie ne présente ainsi pas d’esclaves (...)
- 106 CIL XI, 4771 = ILS 3127 : Mineruae do[n(um) d(ant)] / fullones. / Magistri quinquen(nales) / curau (...)
27De ce point de vue, la vie collégiale reflèterait bien, par la diversité des structures qui coexistent104, une hiérarchie socio-économique, parfois bouleversée par la possibilité accordée à certains esclaves d’intégrer une association au recrutement non exclusivement servile plus prestigieuse que les collegia tenuiorum. Combien sont-elles ces associations qui acceptent le principe de la mixité sans être pour autant des structures regroupant des individus de condition modeste105 ? En la matière, nous sommes malheureusement tributaires de la documentation. La situation était sans doute aussi différente en-dehors de Rome, où les esclaves pouvaient occuper au sein des collèges des fonctions plus importantes que celles auxquelles ils pouvaient prétendre dans des collèges romains au recrutement plus important. Ainsi trouve-t-on à Spoletium en Ombrie, une inscription commémorant un don à Minerve réalisé par les foulons et mis en œuvre par les quatre magistri quinquennales du collège des foulons, dont l’un est esclave106.
28Le caractère exceptionnel ou non de la présence des esclaves dans les collèges à recrutement mixte change-t-il quelque chose à l’expérience religieuse susceptible d’être vécue par l’esclave dans le milieu collégial ? À proprement parler, pas vraiment, dans la mesure où nous sommes toujours en présence de la possibilité pour l’esclave de pratiquer un culte hors du contexte de sa dépendance ; mais on peut néanmoins parler d’une différence de degré(s). L’appartenance à un collège mixte offre à l’esclave en matière religieuse un pouvoir de décision, une possibilité d’investissement financier voire une autorité qui le place à l’égal de son collegiatus citoyen. Si l’expérience religieuse reste identique, le contexte juridique et social variable dans laquelle elle a lieu procure à l’esclave un bénéfice symbolique d’autant plus différent que chaque collège, selon la place qu’il occupe dans la cité, est susceptible de s’investir plus ou moins dans la vie religieuse publique. L’intégration à certains collèges supposait en effet la participation, ou du moins l’implication, à l’organisation de jeux, de fêtes, de cultes, qui les mettaient en évidence dans le cadre de la cité. Cette mobilisation n’était de ce fait pas sans conséquence sur la nature de l’autorité religieuse qui pouvait échoir aux présidents des collèges ni sur l’importance des décisions prises ni encore sur la visibilité offerte aux membres de l’association. L’expérience religieuse offerte aux esclaves dans le cadre de ces structures collégiales, pour être bien réelle, n’en apparaît pour autant pas moins encadrée.
29Ces réserves faites, il n’en reste pas moins que la participation à la vie religieuse du collège pouvait se doubler d’un investissement très actif, lorsque les esclaves membres étaient appelés à exercer une fonction, notamment de direction, au sein de la structure collégiale, qui ne pouvait manquer de rejaillir sur le prestige dont l’esclave pouvait bénéficier. Même si être minister supposait une subordination au sein du collège et la reproduction de la hiérarchie en vigueur dans la société, il est manifeste que les esclaves le considéraient comme un honneur apte à les distinguer de leurs confrères de même statut juridique :
P(ublio) Herenio Pollione M(arco), Annio Herenio / Pollione f(ilio) co(n)s(ulibus). Magistri Fontani: / C(aius) Mac[i]lius Surus I, / M(arcus) Cosi[us] Epaprhditus (sic) I, / M(arcus) Trollius Lo[n]gus [.] / M(arcus) Antonius Tyra[nnus .]. // Ministri: / Himer I, / Nymphycus I, / Nicostratus II, / Alexander I.
- 107 AE 1975, 21.
Sous le consulat de Publius Herenius Pollio et de Marcus Annius Herenius Pollio, son fils. Magistri Fontani : Caius Macilius Surus, Marcus Cosius Epaphroditus tous deux en fonction pour la première fois, Marcus Trollius Longus et Marcus Antonius Tyrannus. Ministri : Himer, Nymphicus tous deux en fonction pour la première fois, Nicostratus, en fonction pour la deuxième fois, et Alexander, en fonction pour la première fois107.
- 108 Tran 2007c, p. 599-601 identifie les foulons aux Fontani, des dévôts de Fons, divinité des sources (...)
- 109 CIL VI, 10330.
30Himer, Nymphicus, Nicostratus, Alexander se présentent comme quatre ministri d’une collectivité identifiée par N. Tran comme le collège des foulons de l’Esquilin108, et ils sont subordonnés à quatre magistri, qui portent quant à eux les marques de la citoyenneté. Incontestablement, la répartition des fonctions a ici à voir avec une hiérarchisation du collège calquée sur celle en vigueur dans la société. On la retrouve dans une inscription où figurent à la fois le nom d’Abinnaeus, un esclave minister d’un collège indéterminé, et ceux de cinq hommes libres désignés comme les curateurs du collège, qui se font connaître par un don (fig. 7). Abinnaeus n’a été que l’instrument du collège, chargé de faire rédiger l’inscription. Son nom figure en marge de l’espace réservé aux donateurs et délimité par une couronne qui les met en valeur109. Pour autant, les esclaves sont manifestement attentifs à singulariser leur parcours, conscients que de l’obtention de ces fonctions dépendent leur place et leur rang dans cette hiérarchie précise, d’autant mieux marquée qu’elle est calquée sur les formules présentes dans les actes civiques. Nicostratus, l’un des ministri du collège, est ainsi minister bis, à la différence de ses trois collègues, présentés pour leur part comme des ministri semel. Une fonction exercée à deux reprises signale la confiance manifestée par les membres du collège à l’occasion du renouvellement de leur investiture. Elle permet sans doute aussi, plus concrètement, de disposer d’une forme de préséance sur ceux qui n’ont pas été ainsi distingués.
Fig. 7 – CIL VI, 10330. Base de marbre.Rome, Musée du Capitole (NCE 2547) © Roma, Sovrintendenza Capitolina ai Beni Culturali. Photo : Archivio di Epigrafia Latina Silvio Panciera.

- 110 Tran 2006, p. 61.
- 111 CIL VI, 10315 : Lucrio Alfeni Vari / et C(aius) Fabius C(ai) et / (mulieris) l(ibertus) Agathopus (...)
31Certains esclaves peuvent accéder aussi à une fonction de direction, en tant que magister ou curator, qui fait dire à Nicolas Tran que nous avons alors affaire à des « homme[s] de statut inférieur occupant une position collégiale de supériorité110. » Primigenius, curateur à deux reprises du collège des lotores d’Aricie représente cette catégorie d’individus de manière éclatante, dans la mesure où il incarne par ailleurs la réussite d’un esclave, qui a acquis à la fois l’aisance matérielle et la respectabilité due à son investissement dans sa cité. Mais on trouve des exemples d’esclaves qui, sans forcément disposer de l’éclat d’un Primigenius à Aricie, peuvent se targuer d’être parvenus à exercer un rôle central dans la direction de leur collège. Ils apparaissent alors comme des dignitaires et également, parfois, des bienfaiteurs. On voit aussi un certain Lucrio, esclave d’Alfenus Varus, ainsi qu’un affranchi, C. Fabius Agathopus, donner un triclinium expolitum à un collège, dont on ignore la raison d’être. L’expression mag(istri) ter(tium) qui accompagne la mention de l’identité des donateurs, si elle s’applique aux deux personnages, suppose que l’esclave avait occupé cette fonction de direction à trois reprises111. À Rome, Lixus Lucil(ianus) a pour sa part été plusieurs fois curateur de son association :
Lixus Lucil(ianus), cur(ator) iter(um), / q(uaestor) solus sine suffragi(i)s ex / omnium sententia, eodem / anno decur(io) ordine adscitus, / et cur(ator) in K(alendas) Ian(uarias) design(atus), / maceriem alt(am) p(edes) V adiecit.
- 112 CIL VI, 10333 = ILS 7351.
Lixus Lucilianus, curateur pour la deuxième fois, seul questeur choisi à l’unanimité sans que des suffrages aient été nécessaires, admis la même année dans l’ordre des décurions et curateur désigné aux calendes de janvier, a fait construire un mur d’enceinte d’une hauteur de 5 pieds112.
- 113 L’absence de vote nécessaire à sa prise de responsabilités au sein du collège peut s’appliquer, se (...)
32L’esclave a également été questeur de son collège et l’inscription s’attache à souligner qu’il a été admis sans qu’un vote officiel n’ait été nécessaire113, signe de son intégration et de la reconnaissance dont il bénéficie dans la confrérie. Il se présente également comme le bienfaiteur qui a fait construire le mur d’enceinte d’un monument sépulcral. Au final, c’est toute une carrière collégiale qui se dessine à travers l’inscription et qui souligne ce que cet investissement pouvait avoir de gratifiant pour des individus d’origine servile : il était le signe qu’ils avaient participé à une communauté organisée sur le modèle civique et qu’ils trouvaient là une manière de s’élever dans leur condition.
Agency et autorité religieuse des esclaves dans le cadre communautaire
- 114 Exception faite des collèges, dont l’importance du caractère religieux pouvait conduire à la prése (...)
- 115 Scheid 2002, p. 391.
- 116 Le concept est notamment issu des travaux de Butler 2002 (l’édition originale date de 1997) et 200 (...)
- 117 Guilhaumou 2012, p. 27.
33Cette élévation n’était pas sans conséquence sur l’expérience religieuse de l’esclave. Les chefs des collèges étaient en effet dans la majeure partie des cas les responsables religieux du culte114. C’étaient donc à eux qu’il revenait d’accomplir, au nom de l’association entière, les gestes que, dans la cité, un magistrat ou un prêtre aurait pris en charge au nom du peuple romain. Ils devenaient alors les garants de l’ordre religieux au sein de l’association, de la bonne entente entre les divinités et les membres de la collectivité. L’exercice d’une telle fonction leur assurait donc un prestige d’autant plus grand qu’il ne reposait pas seulement sur une élévation sociale, mais se parait aussi de la caution et de l’autorité religieuses. Dans cet exercice, l’esclave magister voire minister n’était plus seulement un auxiliaire, qui, quoiqu’au contact du sacré, n’avait en charge que les tâches subalternes traditionnellement dévolues au personnel servile ; il devenait le responsable de l’accomplissement du rite et son acteur principal. Il faut s’arrêter un instant sur cette notion d’autorité religieuse, dont John Scheid a montré le caractère particulier en parlant notamment d’une « dilution » de l’autorité caractéristique de « la structure de la société romaine115. » Concentrée entre les mains d’un seul le temps de la cérémonie, l’autorité religieuse n’est cependant pas le monopole d’un seul, puisqu’elle peut être diffusée entre plusieurs personnes selon les circonstances, un magistrat, un prêtre, un père de famille, ou encore un président de collège, fût-il esclave. Dans son développement, John Scheid explique par ailleurs que « le pouvoir d’agir rituellement n’est à proprement parler que le pouvoir d’agir, l’action elle-même étant du ressort d’assistants. » Si l’on avait pu un temps considérer que le propre du faire en religion pour les esclaves relevait en effet du domaine de l’action subalterne, dont témoignaient par exemple les uictimarii, l’étude du fait collégial démontre que les esclaves sont aussi susceptibles de détenir eux-mêmes ce pouvoir d’agir, dont ils peuvent déléguer l’action concrète à d’autres. Ce faisant, l’une des caractéristiques essentielles de la place de l’esclave dans le système religieux communautaire est d’être à géométrie variable : entre personae non gratae et acteurs nécessaires à l’arrière-plan au bon déroulement du rite, il arrive aussi aux esclaves d’être les détenteurs, dans un espace donné, d’une autorité religieuse momentanée, au sens où ils vont pouvoir exercer dans ce domaine leur capacité d’action. Le concept d’agency popularisé notamment dans les études sur le genre pourrait rendre compte de la nature du pouvoir exercé à un moment donné par les esclaves sur certaines scènes religieuses116. Il permet en effet de nuancer la notion d’autorité religieuse, ambiguë dans les esprits, car elle suppose, en même temps que la capacité à agir pour et sur un groupe donné, la détention d’un pouvoir essentiel de décision, de jugement voire de sanction. L’agentivité en revanche, définie comme « une puissance d’agir qui n’est pas une volonté inhérente au sujet, plus ou moins attestée, mais le fait d’u[n] individ[u] qui se désigne comme sujet sur une scène d’interpellation marquant la forte présence d’un pouvoir dominant117 » peut permettre de rendre compte de la place spécifique occupée par certains esclaves à un moment de leur parcours : détenteurs d’une capacité d’action, qu’ils inscrivent volontiers dans le discours en affichant leurs titres et leurs fonctions, ils ne sont cependant ni les dépositaires ni les gardiens immuables d’une autorité, que de toute façon ils n’incarnent pas aux yeux de la société.
- 118 Parvenue à ce point, l’interprétation que l’on fait du phénomène associatif est susceptible de div (...)
34Que cette autorité, cette puissance d’agir soit limitée dans le temps et l’espace est sans doute aussi ce qui distingue fondamentalement l’esclave de l’homme libre. Lorsqu’il quitte le cadre associatif, l’esclave, même magister de son collège, retrouve sa condition de dépendant, notamment sur le plan religieux, là où le citoyen laissera son éventuelle charge de président pour endosser au moins celle de chef de famille voire une responsabilité de magistrat, qui l’amènera à poursuivre ailleurs et autrement l’exercice d’une autorité religieuse118. Quoi qu’il en soit, la possibilité qu’une telle autorité religieuse soit confiée à un esclave traduit l’organisation de la polis-religion en structures communautaires, où chacun peut trouver potentiellement un lieu d’expression religieuse active voire, si l’on veut parler en termes plus forts, un lieu d’engagement religieux au sens où cet engagement constitue la reconnaissance d’une légitimité dans la société. En ce sens, le collège apparaît bien comme l’espace où le rapport de l’esclave à la religion romaine se veut non pas exclusif mais intégratif et un microcosme où se joue un apprentissage au sens propre et une expression individuelle, qu’ont pu expérimenter une part non négligeable de la population servile.
- 119 Par exemple AE 1929, 161 (= AE 2006, 7) et Eph. Ep., VIII, 124, 125.
- 120 Tran 2008, p. 304.
- 121 CIL VI, 588 et 682 présentent les dédicaces de trois esclaves impériaux à Silvanus ; CIL VI, 30885 (...)
- 122 Pour Boulvert 1974, p. 237-247, la plupart du temps, l’appartenance à ces collèges ne revêt pas de (...)
- 123 Par exemple CIL VI, 10267, qui présente le collège des esclaves et affranchis des Volusiani, desti (...)
- 124 Par exemple CIL VI, 8844, où un dispensator de Trajan assure les fonctions de quinquennalis d’un c (...)
35Il est difficile d’établir des chiffres sur la question. Mais les esclaves collegiati sont peut-être plus nombreux que ce que l’on peut explicitement recenser : nombre d’affranchis membres ont pu débuter leur carrière collégiale en tant qu’esclaves, ce que tendent à prouver certaines listes de collegiati de statuts divers, qui, lorsqu’il est question d’esclaves, laissent des champs vierges susceptibles d’être complétés par un praenomen et un nomen obtenus par affranchissement119 : les noms uniques de Mopsus, un collegiatus de Trebula Mutuesca et de douze membres de la confrérie de Teate Marrucinorum sont placés sous les cognomina des hommes libres, dans l’attente d’être associés à un prénom et à un gentilice, lorsque surviendra leur affranchissement. Mais on retiendra surtout que si le fait collégial est partout présent à Rome et à Ostie, il se caractérise aussi par sa diversité et son hétérogénéité. Certes, il existe des associations qui se refusent à recruter des esclaves ; mais nous pouvons également supposer pour d’autres un recrutement beaucoup plus varié, où se mêlent non seulement libres et non-libres, mais aussi une population servile plus bigarrée que l’on n’aurait pu l’imaginer a priori. Certains collèges d’horrearii, comme celui des horrea Galbana, pouvaient ainsi regrouper des serviteurs impériaux, ceux-là même qui travaillent dans les greniers impériaux, mais également des esclaves privés, engagés avec ou sans leur maître dans le négoce120. Les inscriptions laissées par les uns et les autres incitent en effet à conclure en faveur d’une proximité121, qui pouvait trouver à s’exprimer dans un cadre collégial, même si les documents ne nous ont pas livré la composition épigraphique de ces structures. Même si elles ne sont pas forcément la règle, leur existence n’en conduit pas moins à souligner la plasticité du fait collégial en général et au regard de la question servile en particulier : il a existé à Rome des associations susceptibles de permettre à une population servile hétérogène de pratiquer avec des libres des rites et des cultes communs, indépendamment d’une familia originelle. Enfin, à côté de ces expériences collégiales, on est également confronté, quoiqu’à une autre échelle, à l’existence de collèges domestiques impériaux ou privés, organisés au sein de la familia, qui n’en résultent pas moins d’une certaine autonomisation de la population servile. Il n’entre pas dans notre propos d’envisager si la présence d’un dépendant dans ces structures est ou non synonyme d’élévation sociale122, mais, dans la perspective religieuse qui est la nôtre, l’appartenance même à l’une de ces structures, qu’elle soit socialement valorisante ou non, est en tout cas le gage de disposer, sinon d’une autonomie réelle, du moins de la possibilité d’une différenciation. Alors, certes, l’adhésion à un collège domestique par essence majoritairement à finalité funéraire, suppose que le culte rendu dans le cadre des activités de l’association fasse une place au maître : on sacrifie à son génie, à son salut, à ses Lares123, mais pour les esclaves qui accèdent aux fonctions de direction du collège, il est aussi question d’une responsabilité religieuse124. Le collège est en outre là pour s’assurer que les dispositions funéraires souhaitées par l’esclave puissent être respectées au cas où le maître lui-même ne s’en soucierait pas, ce qui constitue bien une marque d’autonomie de l’esclave par rapport à son maître dans un domaine religieux.
- 125 Nous employons l’expression par pure commodité. Turcan 1992, p. 13 parlait pour sa part de « relig (...)
- 126 Discutant par exemple les critiques portées au modèle de la polis-religion par ses détracteurs, Sc (...)
36Dans ces conditions, si l’on tient compte notamment de la diversité des structures associatives à Rome, on se rend compte qu’une part non négligeable de la population servile a pu accéder à une pratique religieuse différenciée de celle en vigueur dans sa familia et se familiariser avec le modèle civique religieux. Pour cette population, le collège peut dès lors être défini comme un lieu d’expression individuelle, non parce que l’esclave serait en mesure d’y exprimer une religiosité personnelle ou une ferveur inhabituelle, mais en ce sens qu’il accède au sein d’une collectivité à une pratique non encadrée par le référent juridique que constitue son dominus. Il n’est ainsi pas question dans ce contexte par exemple d’imaginer que l’entrée des esclaves dans les collèges, notamment dits orientaux125, ait quelque chose à voir avec l’expérimentation d’une autre religion que celle de la cité. On a depuis longtemps souligné ce que ces associations formées autour de divinités issues du monde oriental et admises au panthéon romain avaient de normatif au regard du modèle romain126. Il s’agit bien au contraire pour l’esclave d’expérimenter au sein de la structure associative un aspect ou une dimension supplémentaire de la religion romaine, auxquels l’esclave non collegiatus n’accède pas. Le collège permet ainsi à l’esclave de pratiquer la religion à l’instar du citoyen romain, même si cette expérience n’a pas forcément lieu dans les mêmes sphères, et de rendre manifeste l’existence au sein de la religion romaine de plusieurs religions romaines. La religion communautaire romaine offre par là-même à l’esclave une place qui est loin d’être négligeable, ou, pour le dire autrement, la structure communautaire de la religion romaine offre à l’esclave la possibilité d’être un acteur religieux à proprement parler, à l’instar de n’importe quel citoyen.
Conclusion
37L’engagement des esclaves dans la sphère religieuse les conduit incontestablement à faire preuve d’un savoir-faire spécifique, qui les différencie des citoyens libres et les renvoie en même temps à leur statut. Cette position particulière, à la fois au-dedans et en-dehors, nous a conduit à les reconnaître à l’interface du geste religieux, incontestablement présents, sans que cette présence ne soit pour autant source de transformation de leur statut fondamental. Ce phénomène nous incite à souligner deux points essentiels. Le premier constitue le prolongement d’un fait déjà énoncé à la fin du premier chapitre : c’est que, dans la mesure où tous les esclaves n’accèdent pas à la technicité et à un savoir-faire en matière de sacra, il se creuse de fait un écart entre les tenants de ce savoir, qui ont une connaissance pratique de l’univers civique, et les autres, qui expérimentent une pratique à une échelle toute différente, renvoyant à la nécessité d’une approche sociale de l’expérience religieuse des esclaves. Par ailleurs, l’engagement des esclaves dans la réalisation des actes cultuels suppose leur intégration à des séquences rituelles normées. Il n’existe cependant pas de cadre institutionnel stable et définitif qui valide et rende évidente la participation de l’esclave à ces actes religieux, pour lesquels il est pourtant sollicité. L’accès par l’esclave à une expérience religieuse dans la cité se révèle fortement dépendant des rapports qu’il entretient avec le tissu social dans lequel il est placé et avec les autres classes sociales, notamment avec son maître et son cadre de dépendance. Pour les esclaves, cet espace social est par essence mouvant et explique que leur participation au fait religieux, si elle existe, se construise plutôt au gré des besoins et des volontés de la communauté civique. Lorsque la pratique religieuse de l’esclave bénéficie d’un horizon validé par les libres, c’est dans le cadre de la communauté qu’elle s’exerce. On peut donc dire que la pratique de l’esclave est assignée à un espace, en dehors duquel elle risque d’entrer en conflit avec la norme collective qui donne à la société romaine sa cohésion d’ensemble, et le fait d’avoir à un moment donné accès à une pratique légitime n’implique pas que toute autre action religieuse menée par l’esclave soit du même coup légitimée. Dans cette sphère, il faut donc souligner que la pratique du geste rituel par l’esclave est sans conteste de nature à lui offrir une forme de distinction par rapport à ceux qui, au sein du groupe servile, ne bénéficient pas de la même ars religiosa. Cette distinction ne s’inscrit néanmoins pas dans la perspective d’une construction identitaire et religieuse servile, mais se réalise au prix d’une dissolution dans l’espace social.
Notes
1 Voir par exemple Tac., Hist., I, 43 au sujet de la fuite de Pison en 69 de notre ère : Piso in aedem Vestae peruasit, exceptusque misericordia publici serui et contubernio eius abditus non religione nec caerimoniis sed latebra imminens exitium differebat, cum aduenere missu Othonis nominatim in caedem eius ardentis Sulpicius Florus e Britannicis cohortibus, nuper a Galba ciuitate donatus et Statius Murcus speculator, a quibus protractus Piso in foribus templi trucidatur. « Pison réussit à se sauver dans le temple de Vesta, et recueilli par la pitié de l’esclave public qui le cacha dans sa loge, il trouvait moins dans la sainteté du culte qu’on y célébrait que dans sa cachette même, le moyen de différer un trépas imminent, lorsque se présentèrent, envoyés par Othon, qui brûlait de le faire spécialement périr, Sulpicius Florus, soldat des cohortes auxiliaires de Bretagne, récemment gratifié par Galba du droit de cité, et Statius Murcus, garde du corps, qui arrachèrent Pison de sa retraite et le massacrèrent aux portes du temple ». Le même Tacite rapporte (Hist., III, 74) que Domitien se cacha chez le gardien d’un temple. Inversement, l’histoire rapportée par Varr. (R.R., 1, 2, 2) à propos de l’aedituus du temple de Tellus montre qu’il disposait de son propre domicile.
2 Van Andringa 2009, p. 114. À Herculanum, l’entrée du sanctuaire suburbain constituée d’un « haut et large mur percé d’une fenêtre qui s’apparente à une meurtrière et un portail étroit semblable à ceux des domus, que l’on fermait de l’intérieur en calant une solive sur une encoche excavée dans le sol » suppose que le gardien dormait sur place
3 Plaut., Curc., 203-5 :
Bene uale, ocule mi : nam sonitum et crepitum claustrorum audio :
Aeditu<m>um aperire fanum. Quousque quaeso ad hunc modum
Inter nos amore utemur semper surrepticio ?
« Adieu, prunelle de mes yeux. J’entends le bruit des portes et les serrures qui crient : le gardien ouvre le temple. Quand cela finira-t-il ? Nous faudra-t-il donc toujours nous contenter de ces furtives amours ? » La remarque indique qu’à Rome les temples étaient fermés à double tour la nuit et ouverts pendant la journée. Voir aussi Hor., Od., I, 9, 18-20.
4 Plin., H.N., XXXVI, 32, 5 et Sen., Ep., 41, 1. Estienne 1992, p. 420-421 a cependant montré que, pour Rome, on ne pouvait les confondre avec de simples guides touristiques.
5 Hérodien, I, 14, 3 écrit à propos du temple de la Paix : « C’était le plus riche des temples, car en raison de la sécurité qu’il inspirait, il était orné d’offrandes d’or et d’argent, et chacun y déposait son avoir pour le conserver ».
6 Dig., 21, 77, 26.
7 Les inventaires nous permettent d’entrevoir les richesses des temples. À titre d’exemple, on pourra voir celui retrouvé à Nemi concernant le temple d’Isis et Bubastis (CIL XIV, 2215), où se côtoient bustes et vases à libation en argent, autels et trépied en bronze, diadème, colliers, bracelets ornés de pierres précieuses, couronne ornée de vingt-et-une topaze et vêtements de soie.
8 « Hausverwalter » et « Hausmeister » (p. 21), « Küster » et « Verwaltungsbeamten » (p. 22) sont les termes qui reviennent pour les désigner jusqu’à ce que l’auteur conclue (Bömer 1957) : « die Sklaven sind technische Diener der Priester, wie Hausssklaven Diener des Hauherrn und der Hausfrau sind ; religiös oder kultisch ist ihr Tun nahezu bedeutungslos » (p. 26). Même position de Saglio 1877, p. 101 : « Ceux qui exerçaient cette fonction, chez les Romains, n’avaient pas un caractère sacerdotal. Leurs soins et leur surveillance étaient nécessaires précisément parce que les prêtres, ou collèges de prêtres, ne venaient au temple pour les actes de leur ministère qu’à des moments déterminés ». S’il est exact que la fonction d’aeditui ne se confond pas avec celle de hierodouloi exercée chez les Grecs, on peut cependant remettre en question le sentiment exprimé par les auteurs des lignes précédentes concernant le caractère strictement contingent de leur mission, comme on le verra plus loin.
9 Comme le montre par exemple l’horreur éprouvée par Cic. (Phil., 5, 18) lors de l’occupation du temple en 43 avant J.-C. : Illud uero taeterrimum non modi adspectu sed etiam auditu, in cella Concordiae collocari armatos, latrones, sicarios ; de templo carcerem fieri ; opertis valuis Concordiae, cum inter subsellia senatus uersarentur latrones, patres conscriptos sententias dicere. « Mais voici qui est effroyable non seulement à contempler, mais même à entendre raconter : dans le sanctuaire de la Concorde étaient placés des hommes armés, des bandits, des assassins ; le temple était transformé en prison ; les portes de la Concorde étant closes, tandis qu’entre les bancs du sénat allaient et venaient des bandits, les sénateurs exprimaient leur avis ».
10 Ad Aen., IX, 645.
11 Mathesis, III, 5, 15.
12 La transition de Bömer 1957 de la question des aeditui à celle des esclaves chez les frères arvales est à cet égard intéressante et bien révélatrice : « Solche Feststellungen dürfen immer wieder betont werden gegenüber den Theorie, die behaupten, der Sklave sei als nicht vollwertiger Mensch auch in sakraken Funktionen ein nicht vollgültiger Kontrahent der Gottheit ».
13 Plaut., Aul., v. 579 et 612 et Liv., 5, 22, 4. Sénèque rapporte pour sa part que lorsqu’on rentrait dans le temple pour la prière ou l’offrande, il fallait se laver les mains dans le bassin (Ep., 41, 1).
14 Ep., 41, 1 : « Il ne s’agit pas d’élever les mains vers le ciel, de décider un sacristain à nous laisser arriver jusqu’à l’oreille de la statue, comme si de cette façon nous pouvions nous faire mieux entendre ».
15 Par exemple Vitr., IV, 5, 2.
16 Veyne 1989, p. 175-194.
17 Clem. Al., Strom., 5, 7, 9.
18 Outre la remarque de Tert. (Ad nat., 1, 10, 24) : exigitis mercedem pro solo temple, pro aditu sacri, pro stipibus, pro hostiis ; uenditis totam diuinitatem : non liceat eam gratis coli. « Vous prélevez un droit sur l’entrée dans l’enceinte du sanctuaire, sur l’accès au sanctuaire, sur les offrandes, sur les victimes : il n’est pas permis d’adorer les dieux gratuitement », nous est parvenue une inscription qui détaille les prix pratiqués durant l’Empire pour les rites les plus courants (CIL VI, 820).
19 CIL VI, 2206 : M(arco) Ogulnio Feroci, / aedituo aedis Concordiae. / Collegium / spec(u)lariorum / patrono optimo d(onum) d(edit). « À Marcus Ogulnius Ferox, aedituus du temple de la Concordia. Le collège des miroitiers à fait ce don à son excellent patron ».
20 On s’accorde à reconnaître, par-delà la variation des termes suouetaurilia ou solitaurilia, une identité de rituel. Sur la signification des deux termes, voir Siebert 2001, p. 1111-1112 ; sur l’identité du rituel, voir Dumézil 1947, p. 138. Sur les reliefs historiques, on pourra consulter le chapitre VIII de Scott Ryberg 1955, p. 104-119.
21 Les sources épigraphiques et littéraires ainsi que les reliefs représentant la scène sacrificielle des suouetaurilia constituent un ensemble de documents suffisamment nombreux pour offrir des témoignages significatifs sur la place de l’esclave dans le déroulement du sacrifice, qui plus est d’un sacrifice public spécifiquement romain comprenant procession (pompa) et libation (praefatio). La pratique rituelle des suouetaurilia a été étudiée par Prescendi 2007 (mise au point utile sur les terminologies et la description des différentes étapes du sacrifice romain) et Huet 1992 (analyse du sacrifice romain sur les reliefs historiques).
22 Précisé dans Festus, 152 L.
23 Campus Martius (Liv., 1, 44, 2), in Martis ara in Campo (Festus, 204 L), Marspedis (Festus, 152 L)
24 Qu’il s’agisse des rites liés à à la censure tels que Tite-Live en présente l’histoire (I, 44, 1-2), de la lustratio d’une armée (Liv., XLI, 18, 7), d’un espace sacré comme le Capitole (Liv., I, 28, 21), de la ville de Rome elle-même (Liv., XXI, 62, 6-7), du peuple romain (Varr., R.R., II, 1, 10 : populus Romanus cum lustratur suouitaurilibus, circumaguntur uerres aries taurus. « lorsque le peuple romain est redéfini dans son intégrité par le rite des suovétauriles, on mène autour de lui un verrat, un bélier et un taureau. »), ou d’un simple champ, qu’un paysan tente de mettre sous la protection de Mars (Cato, De Agr., 141) pour lui éviter toute agression.
25 Scheid 2016, p. 205, qui insiste sur la nécessité d’en finir avec l’idée que, dans toutes ces circonstances, la lustration serait une purification et d’être attentif aux traductions des passages évoquant lustratio et lustrum. Le témoignage de Tite-Live (I, 44, 2 : Ibi instructum exercitum omnem suouetaurilibus lustratuit, idque conditum lustrum appellatum, quia is censendo finis factus est.) donne ainsi lieu à une traduction renouvelée : « Toutes les troupes une fois alignées, il constitua son armée [au lieu de « purifia », généralement proposé] par des suovétauriles et il donna à cette cérémonie le nom de fondation du lustrum [au lieu de « clôture du lustre »], parce qu’elle marquait la fin du recensement ». Voir déjà Scheid 2005a, p. 61 à la suite de Rüpke 1990, p. 144-146 : la lustratio n’a pas pour objectif de purifier un objet ou des personnes, mais d’appeler le dieu à les défendre sur la ligne tracée par la procession : « la lustratio définit et constitue une chose ou un groupe ».
26 Pour Huet 1992, le seul indice de sacrifice privé est le port de la tunique et non de la toge par le sacrifiant.
27 Le corpus iconographique permettant d’évaluer l’action des esclaves dans le cadre des suovétauriles est constitué de plusieurs documents : le relief de Cn. Domitius Ahenobarbus (figure 1) ; la base d’Isernia ; les frises nord et sud de l’Arc de Suse ; la base claudienne du Louvre ; la colonne Trajane ; un relief privé ; la colonne de Marc-Aurèle ; le relief aurélien ; la base des Decennalia. Pour une description complète, on se reportera au travail de Huet 1992, p. 229-242.
28 Pour une présentation complète des différentes séquences, on se réfèrera à Prescendi 2007, 284 p.
29 Tite-Live (1, 45, 6) souligne l’impossibilité pour les acteurs de pratiquer un sacrifice sans s’être au préalable soumis à des rites de purification : Quin tu ante uiuo perfunderis flumine ? Infima ualle praefluit Tiberis. « Que ne commences-tu par faire des ablutions dans l’eau courante ? Au fond de cette vallée coule le Tibre ». Quant à Macr. (III, 1, 6), il précise la nature de ces rites selon la divinité à qui s’adresse le sacrifice : Constat dis superis sacra facturum corporis ablutione purgari ; cum uero inferis litandum est, satis actum uidetur si aspersio sola contingat. « C’est un fait établi que l’on procède à l’ablution corporelle quand on va faire un sacrifice aux dieux d’en-haut ; mais quand il faut apaiser les divinités infernales, les conditions rituelles semblent remplies si l’on s’en tient à une simple aspersion d’eau lustrale ».
30 Non., 23 L, citant ensuite un passage de Varron, qui emploie le mot extispex.
31 Bas-relief du Musée du Louvre (MA 978/1089) daté de l’époque d’Hadrien et retrouvé sur le Forum de Trajan.
32 Voir le témoignage de Plaut., Phoen., 449-457 b ; Sen., Œdip. ; 299-397 ; Luc., 1, 605-638.
33 Liv., 41, 15, 1-2 : Dum de iis rebus <in> senatu agitur, Cn. Cornelius euocatus a uiatore, cum templo egressus esset, paulo post rediit confuso uultu et exposuit patribus conscriptis bouis sescenaris, quem immolauisset, iocur diffluxisse. Id se uictimario nuntianti parum credentem ipsum aquam effundi ex olla, ubi exta coquerentur, iussisse et uidisse ceteram integram partem extorum, iecur omne inenarrabili tabe absumptum. « Pendant qu’on réglait ces affaires au Sénat, Cn. Cornélius étant, à l’appel d’un appariteur, sorti du temple, y revint peu après, le visage bouleversé, et exposa aux sénateurs que le foie d’un bœuf « sescenaris » qu'il avait immolé s’était liquéfié. Comme il ne croyait guère ce que lui annonçait le victimaire, il avait ordonné, disait-il, de vider l'eau du chaudron où l’on faisait bouillir les entrailles et il avait constaté lui-même que, tandis que tout le reste des entrailles était intact, le foie avait été entièrement dévoré par une indescriptible pourriture ». Ce récit est confirmé par les calendriers, qui montrent que certains jours sont fastes et néfastes selon le moment de la journée, ce qui permet de s’occuper le matin des sacrifices, des activités politiques au cours de la journée et de terminer le sacrifice le soir, une fois la cuissson des exta terminée. Voir sur cette question les explications de Varron, L.L., 6, 31 ; Ov., Fast., I, 49-52 ; Macr., I, 16, 2-3.
34 Scheid 1985, p. 193-206 : « Si l’on admet que sacrifier, c’est établir, à l’occasion d’un festin où les dieux sont invités, et à travers le partage d’un aliment ou d’une victime, les relations qui mettent chacun à sa place : les hommes par rapport aux dieux, les citoyens par rapport à ceux qui ne le sont pas, enfin les citoyens par rapport aux autres, l’importance de la division sacrificielle, et donc du banquet sacrificiel, n’a pas à être démontrée ». (p. 193) ; Scheid 2005, p. 273-287. Lors des Saturnales, c’est à travers la participation au banquet que se joue le rituel d’inversion sociale, les esclaves prenant alors la place des maîtres (Sen., Ep., 47, 14 et Macr., I, 10, 22).
35 Scheid 2007, p. 20 : « La viande détermine le statut social. Les égaux mangent ensemble, les inférieurs reçoivent des parts moins prestigieuses et mangent après l’élite, ou ailleurs qu’elle. La viande et le banquet commun étaient le lieu où se définissent la valeur et le rang ».
36 CFA 333 et sq. n° 115, col II, 1, 24-26. Les assistants, esclaves et affranchis, bénéficient ainsi du privilège d’être nourris publiquement aussitôt après la Mater Larum (ce qui renvoie à la tradition qui associe les Lares à la domesticité, dont témoignera encore l’investissement des esclaves durant les fêtes des Compitalia, consacrées aux Lares des carrefours, cf. infra) en récompense de leur service. Voir Scheid 1990, p. 599.
37 Van Andringa 2007, p. 50.
38 Par exemple de Ruyt 1983, p. 376-378. Sur les macella de Rome et du monde romain, on pourra aussi lire de Ruyt 2007, p. 135-150.
39 Paul (Corinthien, I, 10, 25), Tert. (Jejun., XV, 5), Jérôme (Ep., 64, 2), Publicola (Epistulae ad Aug., 46, 8).
40 Van Andringa 2007, p. 47-72.
41 Van Andringa 2006, p. 185-201.
42 Van Andringa 2007, p. 62-63 soulignant d’une part l’existence « dans le macellum des équipements religieux qui permettaient de sacrifier des animaux avant de commercialiser leur chair », d’autre part la proximité du marché avec les sanctuaires publics, où étaient également abattus les animaux. Pour Rome, notamment le macellum magnum et le macellum Liuiae, cf. de Ruyt 1983, p. 158-183.
43 Andreau 2012, p. 80-82, notamment à partir de l’examen des témoignages chrétiens, qui ne donnent pas le sentiment que les chrétiens aient eu conscience de l’existence d’un abattage religieux s’agissant de la viande qui n’était pas destinée au sacrifice.
44 Les bouchers semblent issus, en majorité, du milieu servile. Tran 2007a, p. 158-159 évoque les faibles possibilités, dans l’espace civique, de promotion personnelle de ces individus, qui peuvent parfois être amenés à gérer des entreprises petites et peu hiérarchisées. Pour les sources épigraphiques et iconographiques, on consultera Chioffi 1999, 143 p.
45 Belayche 2007, p. 34.
46 Ismard 2015, p. 65. Le terme désignait « indistinctement une fonction – celle de travailler pour la cité – et un statut personnel – celui d’esclave ».
47 Scheid 1990, p. 674.
48 Ismard 2015, p. 81-84 évoque, à côté des emplois d’intendance exercés par les esclaves dans les temples et les sanctuaires, des témoignages épigraphiques illustrant leur engagement dans le culte, ainsi pour l’organisation du culte des divinités étrangères autour du mont Cynthe au IIe et au Ier siècles. Toujours à Délos la prêtrise du culte de Sarapis est également confiée de 139 à 137 à un dêmosios (ID 2610, l. 2-3). L’auteur explique le phénomène comme le résultat de la prise de « contrôle temporaire des autorités civiques sur le sanctuaire », qui prouve qu’il n’existait « aucun interdit proscrivant qu’un dêmosios devienne prêtre d’un culte ». Pour Rhodes, voir aussi IG, XII 1, 31.
49 On en recense 17 sur 150 d’après Huet 2005, p. 103.
50 Scheid 1998a, p. 519-529 (citation p. 525) ; Scheid 2005, p. 55 souligne que l’abattage, la litatio, la découpe et la cuisson des exta ne sont presque jamais enregistrés par les sources, sans doute parce que les gestes qu’ils supposaient n’étaient pas dignes d’être décrits longuement, puisque confiés au personnel subalterne.
51 Huet 1992, p. 451, qui ajoute qu’à la différence des vases grecs, « [l]a question de la représentation d’un défilé égalitaire ou non ne se pose pas dans l’espace imagé romain. Ce qui importe, c’est l’identification des acteurs et de leur rôle dans le rituel extrêmement précis qu’était le sacrifice à Rome (p. 452) ». Pour Scheid 2007, p. 21, « les sacrifices mettent en vue le rang social des participants, mais n’ont pas pour fonction de l’instituer, comme c’est souvent le cas en pays grec ».
52 Gordon 1996, p. 24.
53 Plin., H.N., XXXV, 77 : Semper quidem honos ei fuit, ut ingenui eam exercerent, mox ut honesti, perpetuo interdicto ne seruitia docerentur. Ideo neque in hac neque in toreutice ullius, qui seruierit, opera celebrantur. « Le fait est que l’art pictural eut toujours un prestige qui lui permit d’être pratiqué par des hommes libres et qu’il en eut, après quelque temps, assez pour l’être par des personnages de haut rang ; il fut en tout cas constamment interdit de l’enseigner aux esclaves. Aussi ne fait-on mention, ni en peinture ni en sculpture d’aucun ouvrage célèbre de la main d’un esclave ».
54 Voir le trait figé par Juvénal dans sa troisième satire (243-254), qui présente l’activité de l’esclave privé lors d’un sacrifice domestique : Nonne uides quanto celebretur sportula fumo ? / Centum conuiuae, sequitur sua quemque culina. / Corbulo uix ferret tot uasa ingentia, tot res / inpositas capiti, quas recto uertice portat / seruulus infelix et cursu uentilat ignem. « Voyez-vous cette cohue et cette fumée autour de la sportule ? Cent convives, suivis chacun de leur batterie de cuisine ! Corbulon aurait peine à soulever tous les vases énormes, tous les ustensiles juchés sur la tête d’un malheureux petit esclave qui les porte, le cou roidi, et de sa course avive le feu ».
55 Scheid 1998b, 147-148, p. 19.
56 Huet 2005.
57 Prescendi 2007, p. 234 qui rappelle (à la suite de Scheid 1998a, p. 522-523) que dans les temps anciens la hache était portée comme insigne des magistrats, qui détenaient l’imperium. Interdite ensuite dans la Ville, elle continue d’être utilisée comme instrument de châtiment, notamment, dans Rome, à l’encontre des prisonniers de guerre, qui n’avaient pas la possibilité d’en appeler au peuple de l’exécution de la sentence. À ce titre, elle est donc le symbole du pouvoir absolu exercé à l’encontre de ceux qui n’ont pas le droit de se défendre.
58 Scheid 1990, p. 540.
59 Scheid 1990, p. 660 : « sans les [publici], les prêtres ne peuvent pas célébrer le culte, mais en fait ce sont les arvales seuls qui sont investis du pouvoir de sacrifier et de commercer avec les dieux ».
60 AE 1953, 154 : Attalus, Noni M(arci) s(eruus). « Attalus, esclave de Nonius Marcus ».
61 Scheid 1994, p. 245.
62 Huet 1992, p. 347.
63 Bien qu’en désaccord sur le sens du sacrifice ainsi accompli (pour l’historiographie, on se reportera à la mise au point de Huet 1992, p. 344-345 ou de Scheid 1994, p. 246-248), plusieurs interprètes ont cependant unanimement considéré que le sacrifiant était le maître de l’esclave, M. Nonius (voir Fuhrmann 1949, p. 45-65 ; Picard 1957, p. 245-247 et Scott Ryberg 1955, p. 34-36). Alföldy 1973, p. 46-47 ne répugne pas, pour sa part, à identifier le sacrifiant à l’esclave en raison du ricinum et considère le suovétaurile comme un acte lié à la fondation de l’autel dont subsisterait la base.
64 En considérant que Tacite mentionne la nécessité d’une lustratio en cas de (re)fondation d’un lieu de culte (Hist., IV, 53).
65 Sur des esclaves attestés parmi les ministri pagi de Pompéi, cf. CIL X, 924 et ILS 3609-3611. S’agissant des ministri Fortunae Augusti de Pompéi, cf. ILS 6382-6385. John Scheid reconnaît que les réalisations de Pompéi sont de plus petite taille que celles d’Aesernia, mais souligne des similitudes, notamment l’existence à Pompéi également de dédicaces de deux bases de marbre semblables à ce que l’on trouve pour le relief d’Aesernia. D’après les fouilles menées par William Van Andringa, ces ministres partageaient à Pompéi leur temps entre le temple et l’autel et une annexe qui leur permettait de se restaurer et de dormir.
66 Van Andringa 2009, p. 94-99.
67 Cf. infra.
68 Moreau 2002, p. 179-200.
69 On se souvient par exemple que lorsque la délégation du Sénat se présente à L. Quinctius Cincinnatus pour lui proposer la dictature, elle le trouve dévêtu en train de cultiver ses terres sur la rive droite du Tibre (Plin., H.N., XVIII, 20 : Aranti quattuor sua iugera in Vaticano, quae prata Quintia appellantur, Cincinnato uiator attulit dictaturam et quidem, ut traditur, nudo plenoque nuntius morarum. « Cincinnatus labourait ses quatre jugères sur le Vatican, au lieu-dit Près Quintiens, lorsqu’un courrier lui apporta la dictature, et à vrai dire il était en tenue légère et plein d’hésitations ».). Elle le somme alors de revêtir sa toge pour qu’il puisse recevoir la communication du Sénat et c’est donc togatus qu’il entendra la proposition des sénateurs (Liv., III, 26).
70 Les griefs des Romains contre l’athlétisme grec sont bien connus (cf. Plin., H.N., XV, 19 ; XXXV, 168). Pour Cic., Tusc., IV, 33, 70, se mettre nu au milieu de ses concitoyens, c’est le début de la débauche. Voir aussi Tac., Ann., XIV 20-21, qui souligne combien la nudité signale l’absence de dignitas, l’infamie et le déshonneur.
71 Cons. Helv., XVI, 3-4. Sur la question, Dubourdieu 2011, p. 45-56.
72 Dupont 1989, p. 270.
73 Dig., 11, 4, 1, 8 a : les sourcils des esclaves fugitifs sont rasés ou comme le rapporte Cic. (Rosc. Am., V, 20) leur front est marqué par un stigma, une lettre F. Voir aussi Pétr., CII, 25 ; CIII, 2-4 ; CV, 2 et 11 ; CVI, 1. ; CV10). Les cicatrices sur le dos des esclaves sont aussi présentes. Comme le rappelle Tite-Live (II, 23, 3-7), les cicatrices honorables figurent sur la poitrine, les déshonorables sur le dos.
74 Moreau 2002, p. 28 : « les cicatrices et les pratiques qui leur sont associées mettent en place différents corps qui correspondent à des statuts sociaux différents et à des sphères culturelles différents ; les cicatrices ne sont pas identiques d’un corps à l’autre ».
75 Cic., Verr., V, 52, 139-53 ; 54, 140 et 142 ; 61, 160 sq. (sur l’usage métaphorique de ce terme, Plin., Ep., I, 5)
76 Blonski 2015, p. 56-57 : « Pureté et propreté rituelle peuvent être matérialisées par l’utilisation de l’eau. […] La propreté, préalable au commerce avec les dieux, devrait ainsi être mise en relation avec l’intégrité corporelle requise de ceux qui ont, notamment, une charge officielle, en particulier les prêtres ; une forme humaine, sinon de perfection, du moins d’une certaine norme de beauté, semble nécessaire, au-delà d’une simple question de propreté ».
77 Par exemple Plutarque (Questions grecques, 281 c), qui, à la question de savoir pourquoi on interdit aux « prêtres portant une plaie de présider à la prise d’auspices d’après le vol des oiseaux » répond que c’est parce qu’il doit être « préservé et complet », soulignant donc à quel point la mutilation ou les blessures sont le signe d’une souillure corporelle. Cette pureté est aussi marquée par les vêtements et la parure. Sur la relation entre sacré et pureté, cf. Apul., Met., 4, 11 ; Serv., Aen., XII, 120 ; Plut., Questions romaines, 26. Voir aussi Sabbatucci 1951-2, p. 91-101 et Schilling 1971, p. 953-969.
78 À propos de la valeur intégratrice du nettoyage et partant des actes de purification, Blonski 2014, p. 158 rappelle que les opérations de nettoyage de manière générale ne sont pas spécifiquement liées au seul sens du confort ou du plaisir. « [T]ant mieux s’ils sont présents, mais ils ne sont pas la raison de ces opérations. Si l’on se nettoie, c’est pour remplir ses devoirs d’être humain : officia que l’on doit aux autres (ne pas les importuner et socialiser avec eux), à sa cité (ne pas souiller son aspect civique), et surtout à soi-même ».
79 Estienne 2001a, 189-210.
80 Sappho apud Athénée, Banquet des savants, XV, 674e. Cité par Mehl 2008, p. 179.
81 Plin., H.N., XV, 135 : Adeoque in profanis usibus pollui laurum et oleam fas non est, ut ne propitiandis quidem numinibus accendi ex iis altaria araeue debeant. « La religion interdit de souiller le laurier et l’olivier à des usages profanes, au point qu’on ne doit pas, même dans un sacrifice propitiatoire aux dieux, allumer avec ces bois les feux des autels des divinités inférieures ou supérieures ». Devaient être également purs ceux qui les portent. Nous savons en outre que la culture de l’olivier faisait l’objet de prescriptions religieuses.
82 Rappelant qu’il n’existe pas à Rome d’enseignement religieux et que c’est par l’observation des pratiques que se transmettait le savoir-faire des différents acteurs du rite, Scheid 1998a, p. 520 souligne ainsi que les esclaves sont « commis aux actes manuels ». Cf. supra.
83 Voir par exemple le constat de Scheid 1985, p. 21, qui tout en reconnaissant que les esclaves peuvent jouer un rôle durant les sacrifices évoque néanmoins leur passivité : « On sait toutefois par des représentations figurées, par des allusions littéraires, par certaines fêtes ou fonctions religieuses, que la participation des esclaves (comme celle des étrangers) dépendaient toujours de la volonté de la communauté, et que cette assistance était limitée, de toute façon, à un rôle passif et subordonné. Ainsi les esclaves peuvent assister aux sacra, s’ils en reçoivent l’autorisation ; ils sont d’ailleurs utilisés en règle générale comme aides culturels ».
84 Ps., 148 sq.
85 Nous renvoyons sur la question de l’émotion à la contribution de Scheid 2011b, p. 406-415, particulièrement à cette remarque (p. 413) : « L’activité religieuse romaine est toujours en relation avec des émotions. Mais aussi que les Romains ne donnent pas à celle-ci la place que nous attendrions. D’après eux, la piété consiste à remplir ses obligations comme il faut. Si elle est conformément à cette exigence, la piété suscite la liesse et la joie. La colère se développe au contraire quand le rite est mal célébré. La terreur quant à elle, les Romains ne l’ignoraient pas. Elle est manifestement omniprésente. Numa ou la Rome des années 213/2 av. n.è. la subissent […]. Cette terreur doit être combattue avec les rites (« Moi, je sacrifie ! ») et ne doit pas déterminer la nature de la pratique, qui risque sinon de verser dans la superstition ».
86 Cf. Rappaport 1999, chapitre 4 p. 119-124 « acceptance, belief, and conformity » et chapitre 9 « the idea of the sacred » passim. Voir aussi Jeffrey 1998.
87 Sur l’ambiguïté de l’occasion offerte par les Compitalia aux esclaves de participer à la vie religieuse de la cité, on lira la conclusion de North 2012, p. 71-72 : « we have of course an unmistakeable religious role for slaves, though of course in an exceptional, if annually repeated situation. It is, of course, quite possible to argue that these exceptional rituals had the effect of reinforcing, not modifying the condition of slavery ».
88 Sur ces aspects, cf. infra 2e partie.
89 Ferrary 2003, p. 737 définit les collèges comme des « structures intermédiaires, des lieux de rencontre de plusieurs strates de la hiérarchie sociale ».
90 Sen., Clem., 1, 24, 1 rapporte qu’on avait un temps imaginé de faire porter aux esclaves un vêtement qui les aurait distingués, avant d’y renoncer de peur qu’ils ne viennent à prendre conscience de leur nombre et, partant, de leur force éventuelle.
91 Scheid 2013a, p. 71.
92 Tran 2006, p. 50-51
93 Tran 2006, p. 64-65.
94 Le règlement du collège de Lanuvium prévoit ainsi (CIL XIV, 2112, II, l. 29-30 = ILS 7212) : Item placuit, ut quinquennalis sui cuiusque temporis diebus sollemṇ[ibus ture]et uino supplicet et ceteris officiis albatus fungatur. « Il a de plus été voté qu’aux jours solennels de son mandat, chaque président (quinquennalis) conduise le culte avec de l’encens (?) et du vin et qu’il accomplisse ses autres fonctions vêtu de blanc ». À Brixia, des inscriptions attestent l’existence de sacrifices (CIL V, 549) et de victimes immolées (CIL V, 4203).
95 Festus (230 L) montre que le collège des pêcheurs et des plongeurs du Tibre étaient sollicités lors de la fête civique des ludi piscatorii organisés par l’État.
96 Dès l’époque grecque, comme l’évoque Vernant 1989, p. 291.
97 Scheid 1985, p. 193 sur le lien social qui se crée entre ces collèges et les cérémonies publiques par l’organisation de banquets.
98 Waltzing 1969, p. 254.
99 Clark 2011, p. 368.
100 Verboven 2012, p. 21 propose une version provinciale de cette hiérarchisation, au sein de laquelle les collèges les plus en vue sont d’abord liés à l’approvisionnement et au rayonnement supra-local (tels les collèges de nautae). Ensuite viendraient les collèges municipaux illustres (dendrophores, fabri, centonarii et iuuenes), les collèges de citoyens, de militaires et de vétérans, les autres collèges formant la fin du peloton.
101 Evoquant la nature des collèges fréquentés par le personnel impérial, Boulvert 1974, p. 242-245 note que certains collèges réunissent les membres d’un même service, ceux qui exercent une même fonction, ceux qui appartiennent à une même villa du prince et conclut qu’à l’exception des conductores des domaines impériaux, « qui appartiennent à la bourgeoisie provinciale » et des apparitores « situés socialement plus haut », les membres de ces collèges sont plutôt de condition modeste ».
102 Tran 2008, p. 303.
103 CIL VI, 30901. Ce qui conduit Tran 2008, p. 30 à conclure qu’« il est [également] concevable que la vie des horrea conduisait des professionnels de statuts différents à se côtoyer ». Une conclusion similaire naît de l’examen des collèges de negotiatores, dont l’existence est avérée au sein des horrea. Voir Tran 2018, p. 7 : « Ainsi, les collèges de professionnels d’un même entrepôt devaient souder des communautés de travail hétérogènes ».
104 Van Haeperen 2010, p. 258 signale ainsi clairement la différence entre le collège « très officiel » des mensores d’Ostie, dont les activités et le choix des divinités sollicitées visent à le « présenter comme une composante de la cité » et celui des horrearii, « réunis en sodalicium ou en en communauté informelle », qui « honorent des divinités qui ne coïncident pas avec celles auxquelles l’État rend un culte pour assurer la protection des greniers ».
105 Le collège des lenunculariorum tabulariorum auxiliariorum d’Ostie ne présente ainsi pas d’esclaves dans son effectif, mais compte au contraire des affranchis, des décurions et des chevaliers, en sorte que l’affranchissement offre la possibilité d’intégrer une structure qui permettra ensuite une évolution personnelle et surtout « intergénérationnelle » (cf. Tran 2006b, p. 395).
106 CIL XI, 4771 = ILS 3127 : Mineruae do[n(um) d(ant)] / fullones. / Magistri quinquen(nales) / curauere : / C(aius) Fuuli(us) C(ai) l(ibertus) Statius, / P(ublius) Oppi(us) L(uci) l(ibertus) Pilonicus, / L(ucius) Magni(us) L(uci) l(ibertus) Alaucus, / Pampilus Tur/pili T(iti) s(eruus). « Les foulons font ce don à Minerve. Caius Fuulius Statius, affranchi de Caius, Publius Oppidus Pilonicus, affranchi de Lucius, Lucius Magnius Alaucus, affranchi de Lucius et Pampilus, esclave de Turpilus Titus, magistrats quinquennales, se sont chargés de sa réalisation ». Même si l’esclave figure en dernière position dans la liste, il n’en possède pas moins le titre – et les prérogatives religieuses – de magister quinquennalis au sein de l’association, ce qui lui confère incontestablement une expérience religieuse spécifique ainsi qu’une visibilité incontestable, notamment due aux activités religieuses auxquelles il participe.
107 AE 1975, 21.
108 Tran 2007c, p. 599-601 identifie les foulons aux Fontani, des dévôts de Fons, divinité des sources et des fontaines et considère qu’il s’agit des mêmes individus, qui se désignent selon l’une ou l’autre facette de leur identité, le terme Fontani leur permettant « de s’abstraire en partie de leur qualité de foulons en cultivant une autre facette, plus valorisante, de leur identité sociale » (p. 601).
109 CIL VI, 10330.
110 Tran 2006, p. 61.
111 CIL VI, 10315 : Lucrio Alfeni Vari / et C(aius) Fabius C(ai) et / (mulieris) l(ibertus) Agathopus / mag(ister ou tri) ter(tium) / triclinium expolitum ded[er(unt)]. « Lucrio, esclave d’Alfenus Varus, et Caius Fabius Agathopus, affranchi de Caius et d’une femme, magistri pour la troisième fois, ont fait don d’un élégant triclinum ». La restitution de MAG TER peut considérer que le groupe ne s’applique qu’au magistrat le plus proche, en l’occurrence l’affranchi, ou que l’expression vaut pour les deux responsables du collège.
112 CIL VI, 10333 = ILS 7351.
113 L’absence de vote nécessaire à sa prise de responsabilités au sein du collège peut s’appliquer, selon la ponctuation, à différentes fonctions.
114 Exception faite des collèges, dont l’importance du caractère religieux pouvait conduire à la présence d’une fonction de sacerdos pour les sacrifices. CIL VI, 4416 nous fait connaître un affranchi comme prêtre de l’association municipale de la jeunesse.
115 Scheid 2002, p. 391.
116 Le concept est notamment issu des travaux de Butler 2002 (l’édition originale date de 1997) et 2006. Le terme « agentivité » est aussi employé en France dans le cadre de recherches associant l’anthropologie, la sociologie et la linguistique : Monod Becquelin – Vapnarsky 2010.
117 Guilhaumou 2012, p. 27.
118 Parvenue à ce point, l’interprétation que l’on fait du phénomène associatif est susceptible de diverger. On pourrait considérer le retour à la réalité extérieure au collège comme un dur retour à la réalité pour l’esclave forcé de constater que la vie collégiale n’était qu’une parenthèse. Pour d’autres, l’existence même de cette parenthèse représente un souffle nécessaire à la régulation sociale. Tran 2004, p. 133 : « [L]e champ collégial mérite d’être dissocié des autres champs sociologiques, car les collèges donnaient à leurs membres le moyen de s’abstraire en partie des réalités souvent pénibles, découlant de l’infériorité de leur statut juridique et des activités économiques auxquelles ils étaient astreints ».
119 Par exemple AE 1929, 161 (= AE 2006, 7) et Eph. Ep., VIII, 124, 125.
120 Tran 2008, p. 304.
121 CIL VI, 588 et 682 présentent les dédicaces de trois esclaves impériaux à Silvanus ; CIL VI, 30885 fait connaître un uilicus horreorum Galbianorum qui consacre une inscription à Bona Dea, tandis que CIL VI, 30901 montre la dédicace d’un esclave impérial, Diadumenus, dont la réalisation est laissée aux bons soins d’un esclave privé, Hermes, seruus de C(ai) Mundic(i) / Helpisti.
122 Pour Boulvert 1974, p. 237-247, la plupart du temps, l’appartenance à ces collèges ne revêt pas de signification particulière, d’abord parce qu’il s’agit d’associations privées, qui ne situent pas publiquement leurs membres dans la cité, mais les hiérarchisent au sein de ce groupe privé, ensuite parce que la composition sociale de ces structures est en général relativement basse.
123 Par exemple CIL VI, 10267, qui présente le collège des esclaves et affranchis des Volusiani, destiné au culte des Lares Volusiani.
124 Par exemple CIL VI, 8844, où un dispensator de Trajan assure les fonctions de quinquennalis d’un collège.
125 Nous employons l’expression par pure commodité. Turcan 1992, p. 13 parlait pour sa part de « religions d’origine orientale » et nous suivons Belayche 2000, p. 589, qui propose de distinguer parmi ces religions celles qui ont été officiellement intégrées aux sacra publica (c’est-à-dire le culte de Mater Magna et des divinités égyptiennes) et les cultes qui ne sont jamais devenus publics (ceux de Jupiter Dolichenus, de Sabazios et de Mithra).
126 Discutant par exemple les critiques portées au modèle de la polis-religion par ses détracteurs, Scheid 2013a, p. 101-104 souligne ainsi que les religions différentes, notamment les cultes issus d’autres parties de l’empire, étaient négociées et finissaient par être intégrées en renfort des cultes de la cité, chaque fois que nécessaire, à partir du moment où ils acceptaient au moins tacitement la cosmologie de la religion civique.
Table des illustrations
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Titre | Fig. 1 – Relief architectural dit Autel de Domitius Ahenobarbus. Paris, Musée du Louvre (Inv. MA 975). Photo B. Amiri. |
URL | http://books.openedition.org/efr/docannexe/image/12603/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 50k |
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Titre | Fig. 2 – Bas-relief représentant une scène dite de l’extispicium. Paris, Musée du Louvre (Inv. MA 978). Photo B. Amiri. |
URL | http://books.openedition.org/efr/docannexe/image/12603/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 137k |
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Titre | Fig. 3 – Plan de Pompéi et localisation des principaux sanctuaires (d’après Van Andringa 2007, p. 63). En hachuré, le macellum. |
Légende | 1. Temple de Vénus 2. Temple d’Apollon 3. Capitole 4. Temple de Fortune Auguste 5 Chapelles du marché 6. Sanctuaire de la domus diuina ? (ou Augusteum ?) 7. Templum Augusti 8. Portiques de Concorde Auguste et Pietas 9. Temple de Minerve/Hercule 10. Temple d’Isis 11. Temple d’Esculape. |
URL | http://books.openedition.org/efr/docannexe/image/12603/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 483k |
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Titre | Fig. 4 – Le quartier du macellum de Pompéi (d’après Van Andringa 2007, p. 63). |
URL | http://books.openedition.org/efr/docannexe/image/12603/img-4.png |
Fichier | image/png, 200k |
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Titre | Fig. 5 – Détail de l’autel de Cn. Domitius Ahenobarbus. Paris, Musée du Louvre (Inv. MA 975). Photo : B. Amiri. |
URL | http://books.openedition.org/efr/docannexe/image/12603/img-5.jpg |
Fichier | image/jpeg, 60k |
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Titre | Fig. 6 – Base d’Isernia. Face centrale comportant l’inscription de l’esclave Attalus (AE 1953, 154) au-dessus d’une scène représentant un suovétaurile. Sur concession du Museo Nazionale di Santa Maria delle Monache di Isernia. Photo : D-DAI-ROM-75.2553 |
URL | http://books.openedition.org/efr/docannexe/image/12603/img-6.jpg |
Fichier | image/jpeg, 161k |
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Titre | Fig. 7 – CIL VI, 10330. Base de marbre.Rome, Musée du Capitole (NCE 2547) © Roma, Sovrintendenza Capitolina ai Beni Culturali. Photo : Archivio di Epigrafia Latina Silvio Panciera. |
URL | http://books.openedition.org/efr/docannexe/image/12603/img-7.jpg |
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© Publications de l’École française de Rome, 2021