Introduction

1À partir des quatre lots stratigraphiques et des comparaisons typologiques, des formes contemporaines ont été regroupées afin de mieux cerner leur origine, leur diffusion et leur datation. Les cinq « assemblages » ainsi obtenus présentent des formes qui peuvent être issues des mêmes ateliers. Nous chercherons à mettre en évidence leur répartition et leur dynamique de développement.

2Afin de comparer les quantités de chacun d’entre eux, nous avons additionné d’une part, le NMI et d’autre part le NR des formes qui les composent. Celles produites sur de longues périodes (les gobelets ovoïdes (3), les gobelets à panse sphérique (4) et les pots (44) biaisent les comptages et n’ont donc pas été ajoutées : c'est le cas par exemple des gobelets ovoïdes à bord évasé, lèvre simple (3.12), produits à des époques variées, et que nous avons choisi d’indiquer comme « indéterminé » dans les colonnes de comptages. En revanche, lorsque des types de bords peuvent être isolés chronologiquement, ils ont été pris en compte.

3Chaque assemblage est représenté par trois types de quantification : la première renvoie au nombre absolu de NMI et de NR sur l’ensemble du site ; la deuxième met en évidence la répartition de chaque assemblage dans les cinq grands secteurs de fouille (Bains hellénistiques, domus, marché, nécropoles hellénistique et impériale)1 ; la troisième, compare les assemblages dans chaque secteur. Il est alors possible qu’un assemblage qui ne concentre pas la majorité de ses fragments dans un secteur en particulier soit le plus représenté par rapport aux autres : c’est le cas par exemple de l’assemblage 1 qui ne concentre que 34 % du NMI dans la nécropole hellénistique, mais ces 34 % représentent 70 % des céramiques à paroi fine de ce secteur. Dans ce cas, les assemblages fournissent des données sur la datation des espaces fouillés et sur la fréquentation des secteurs.

1. Des techniques ordinaires pour des formes nouvelles

4On rattache 330 individus au minimum à cet assemblage, soit 27 % du NMI de la totalité des assemblages (tab. 64), ce qui en fait le plus représenté, juste après l’assemblage 3 (30 % du NMI et 27 % du NR). La majorité des fragments se concentre dans le marché (56 % du NMI, 41 % du NR) (tab. 65) ; cependant c’est dans la nécropole hellénistique que sa présence est significative puisqu’elle représente 71 % des individus de céramique à paroi fine (tab. 66). Dans la domus, ce pourcentage s’élève à 44  %, notamment en raison de son abondance dans le remblai de la maison de carriers 451. Toujours comparé aux autres assemblages, il est en revanche peu attesté dans le vaste secteur du marché (25 % du NMI) et des bains hellénistiques (9 % du NMI), où les céramiques à paroi fine sont par ailleurs très abondantes.

5L’assemblage 1 est fabriqué exclusivement avec des argiles non calcaires du groupe technique 1. La majorité des exemplaires présente une pâte très sableuse, de couleur vive. Les vases sont cuits en mode A, c'est-à-dire en atmosphère de cuisson réductrice et de post-cuisson oxydante. La température de cuisson semble identique à celle atteinte pour les céramiques communes grossières, qui présentent le même aspect. Elle n’est probablement pas très élevée car le produit fini est très poreux, et facilement cassable à main nue. La post-cuisson est toujours oxydante, ce qui confère aux exemplaires des couleurs vives et homogènes. Ces vases relativement fragiles et de petites dimensions pourraient compléter le chargement de fours en partie remplis de céramiques communes. Ils ont pu avoir été placés dans la partie supérieure du four, dans les interstices laissés par les vases de céramique commune, plus gros, ce qui faciliterait en outre leur réoxydation au cours de la post-cuisson.

6Ces vases appartiennent-ils à la même production ? On distingue clairement deux groupes techniques : le premier est celui dit « à pâte rouge/marron brique à gros dégraissants sableux2 » (pl. XXXVII), qui compte des gobelets fusiformes (1), des gobelets ovoïdes à bord évasé et lèvre en biseau (3.18), un gobelet à panse cintrée (5), des gobelets tronconiques (9), des bols hémisphériques (19), un bol en cloche (20) et des skyphoi (36). Deux vases exposés au Musée de Tarquinia appartiennent de toute évidence à la même production ; il s’agit d’une sorte de bol en cloche mais dont les parois sont plus évasées et d’une tasse à fond caréné et paroi légèrement rentrante. L’affinité technique de ces exemplaires laisse supposer qu’ils proviennent du même atelier. L’autre production probable de cet assemblage présente une pâte « pulvérulente » elle aussi riche en dégraissants sableux ; les parois, plus fines, ne sont généralement que partiellement réoxydées et sont pulvérulentes au toucher. Les bols hellénistiques à relief (18) présentent une pâte similaire à ce dernier groupe, mais légèrement plus claire ; cette variation peut résulter de la nature même de l’argile, ou du mode de cuisson. De manière générale, le traitement de l’argile, et en particulier l’ajout de dégraissants sableux, est identique. Ces différences de pâte pourraient faire conclure à des ateliers distincts, mais très proches l’un de l’autre, ou bien refléter un léger écart chronologique.

7Dans le cas de la production « rouge/marron brique à gros dégraissants sableux », la pâte est apparemment identique à celle employée pour la fabrication d’une partie des céramiques communes grossières présentes à Musarna. Le tournage des vases est soigné, les bords sont très réguliers et finement tournés. Comparées à celles des autres classes de céramiques contemporaines, comme les céramiques à vernis noir, communes fines et grossières, les parois sont minces, proportionnelles à la taille réduite des objets ; toutefois, elles ne sont pas particulièrement fines si on les confronte aux céramiques à paroi fine postérieures, notamment à celles des productions des « gobelets hauts semi-ouverts » ou « à pâte crème ».

8Très sableuses et peu plastiques, ces argiles non calcaires ne sont pas bien adaptées à la réalisation de petits vases et à une finition soignée des détails. C’est donc un choix pour le moins surprenant, auquel s’ajoute celui de la porosité qui conduit inévitablement à une perte de liquide au travers des parois. Les modules des gobelets fusiformes (1), des gobelets tronconiques (9) ou des bols hémisphériques (19), le tournage des bords et des fonds sont très constants d’un vase à l’autre.

9L’assemblage 1 comprend au moins 13 formes (tab. 67) : les gobelets fusiformes (1) dominent très largement le groupe, puisqu’ils représentent la moitié des formes de cet assemblage. Ils sont suivis par les gobelets tronconiques (9) et les bols hémisphériques (19), qui représentent respectivement 21 et 20 % du NMI. Les 10 autres formes identifiées ne sont attestées que par quelques exemplaires et il faut tenir compte d’une très probable sous-représentation des gobelets ovoïdes (3) qui n’ont pu être identifiés avec certitude au cours de l’inventaire.

10Cet assemblage compte plusieurs productions et plusieurs « micro-phases » de production. A-t-il été produit à Musarna, ou dans ses environs ? Sur le site même ou aux alentours, aucun rebut de cuisson ou restes de fours céramique n’a été découvert, mais cette absence ne suffit évidemment pas à affirmer que des ateliers ne peuvent y avoir existé. Plus généralement aucune trace de production n’a été découverte en Étrurie méridionale, à l’exception d’un rebut de cuisson tardo-républicain provenant de Ferento3.

11D’un point de vue technique, beaucoup de céramiques à paroi fine de cette phase peuvent être associées aux céramiques communes grossières qui présentent les mêmes pâtes, et parfois les mêmes formes : gobelet ovoïde (3), gobelet tronconique (9) et pot (44). Les gobelets ovoïdes (3) et les gobelets tronconiques (9) de cette catégorie sont attestés sur le site dès la fin du III^e siècle av. J.-C. au moins.

12L’habitat de carriers (451), localisé sous la partie postérieure de la domus, est riche de ces deux catégories et leurs pâtes sont analogues. Le répertoire morphologique des céramiques communes grossières se compose essentiellement de pots de dimensions variées (ollae), de clibani et de gobelets tronconiques. L’ensemble des éléments techniques (pâtes) et typologiques (formes, traitement des bords, fonds, anses) permettent d’affirmer qu’elles proviennent des ateliers qui produisaient également des céramiques à paroi fine.

13Les affinités techniques et typologiques très fortes de ces deux catégories sont également attestées dans le matériel des sites proches : Castel d’Asso, Cordigliano, Viterbe, Tuscania, Acquarossa et Tarquinia. Ces cités, qui offrent les parallèles les plus convaincants, appartiennent toutes au territoire de Tarquinia, au sein duquel émergent certains particularismes : les formes du gobelet tronconique (9) et du bol hémisphérique (19), et la rareté des décorations de perles réalisées à la barbotine.

14Ces indices, soutenus essentiellement par des éléments techniques (caractéristiques de la pâte) conduisent à supposer l’existence, d’un nombre réduit d’ateliers dans cette région. Ces derniers peuvent avoir écoulé leur marchandise dans l’ensemble du territoire de Tarquinia, certainement très peuplé. Cette densité d’occupation est reflétée par la multiplicité des centres urbains situés à proximité les uns des autres : Musarna est à quelques kilomètres de Castel d’Asso et de Cordigliano ; par les routes actuelles, elle est située à 12 km de Sorrina/Viterbe, 17 km de Tuscania et 44 km de Tarquinia. En outre, tout ce territoire bénéficiait d’un réseau de voirie efficace, organisé autour de trois axes principaux : la via Aurélia, Clodia et Cassia4. Pour pouvoir fabriquer les différentes catégories de céramique, amplement attestées dans cet espace géographique, il faut envisager une structure assez importante dont nous n’avons conservé aujourd’hui aucune trace. Il apparaît cependant peu probable que celle-ci ait été implantée à Musarna ou dans ses alentours qui ont fait l’objet d’intenses prospections sans jamais livrer le moindre élément allant dans ce sens.

15Seuls les gobelets piriformes (2) pourraient provenir d’une production située en dehors du territoire de Tarquinia où elle est peu commune. Elle est en revanche beaucoup mieux représentée dans le corpus de Cosa où sa pâte, récurrente sur de nombreuses formes indique une production régionale d’où pourrait provenir nos fragments.

2. Entre influences régionales et hellénistiques

16Le premier répertoire morphologique des céramiques à paroi fine attesté à Musarna présente des formes entièrement nouvelles pour la céramique italique : le gobelet fusiforme (1), piriforme (2), le bol hémisphérique (19) et le bol en cloche (20). À ces formes novatrices s’ajoutent des éléments nouveaux sur des formes déjà connues, en particulier les anses à poucier flanquées de vaguelettes et volutes sur les canthares (33/34) et les skyphoi (36). Toutes ces nouveautés traduisent la recherche d’un vocabulaire nouveau, mais les formes qu’elles empruntent peuvent-elles conduire à une influence plus précise ? En céramique, les parallèles sont rares mais significatifs : les gobelets fusiformes (1) sont également produits en céramique à vernis rouge à relief de Pergame ; il est cependant possible que ce soit les productions italiques en céramique à paroi fine qui aient influencé ces dernières, tant ils sont exceptionnels et leurs chronologies superposées. Dans la même classe, on trouve des skyphoi dont les anses peuvent être à poucier flanquées de vaguelettes et de volutes, ou flanquées de deux disques. On retrouve ce dernier type d’anses sur des exemplaires en céramique à paroi fine de Cosa et de Populonia. La production de ces prototypes est située à Pergame ou dans sa région ; elle débute au milieu du II^e siècle av. J.-C. et se poursuit au siècle suivant. Sa diffusion est très limitée, puisqu’on la trouve presque exclusivement dans la région de Pergame et à Délos.

17Les bols hellénistiques à relief (18) se développent à la même époque : ils commencent à être produits dans la seconde moitié du II^e siècle av. J.-C. en Étrurie méridionale et dans les environs de Rome (Tivoli). La céramique hellénistique à relief est connue dans la péninsule italique dès le III^e siècle av. J.-C. 5, notamment à Métaponte où elle est produite dès de cette période. Mais ces premières productions sont vernissées et s’inscrivent dans la lignée directe des productions attiques, ce qui n’est pas le cas des productions d’Italie centrale, sans vernis, qui apparaissent au moins un demi-siècle plus tard, et que leur décor permet de les rapprocher plus précisément des productions d’Asie Mineure et de Pergame6 devenus des centres de production majeurs au cours du II^e siècle av. J.-C.

18En dehors des céramiques, les productions en verre de Méditerranée orientale de la même époque offrent également plusieurs parallèles intéressants : bols hémisphériques (19) et skyphoi (36) sont produits dans ce matériau, et certains détails sont attestés dans les deux productions, en particulier la lèvre interne en amande des bols hémisphériques (16), leur fond parfois mouluré, et les anses à poucier flanquées de volutes et vaguelettes des skyphoi (36).

19Bien que rares, des parallèles en argent semblent eux aussi une source d’inspiration plausible pour les potiers de l’Étrurie romaine. Des exemplaires de canthare et de bols hémisphériques fabriqués dans ce métal ont été découverts dans la péninsule ibérique ; leur lèvre en amande et le fond mouluré de certains individus mettent en évidence un lien direct qui unit les productions céramiques à paroi fine d’Étrurie méridionale, celles en verre de Méditerranée orientale, et celles en argent de la péninsule ibérique datées de la seconde moitié du II^e siècle av. J.-C.

20Mis au jour dans la Saône, un exemplaire de skyphos en argent (à anses à poucier flanquées de vaguelettes) daté de la première moitié du I^er siècle7, témoigne ici aussi des liens entre les différents matériaux. D’autres parallèles sont attestés dans des tombes d'Ancône, et un service entier a été découvert à Tivoli ; ils sont tous datés du milieu du I^er siècle av. J.-C. Ces deux lots comportent des canthares à vasque hémisphérique et bord légèrement concave, dont le profil est voisin de celui du canthare en cloche (20) de Musarna. Leurs anses sont bifides et ne reposent pas sur le bord.

21D’autres exemplaires figurent dans les trésors découverts à Boscoréale, à Pompéi, à Alésia, Berthouville, Hildesheim et Stevensweert. La vasque des skyphoi métalliques est presque identique à celle de l'exemplaire de Musarna. Les canthares présentent deux variantes : l’une en calice, l’autre, à vasque profonde et parois convexes.

22Les influences du verre et de la céramique orientent donc en partie vers la Méditerranée orientale, et plus particulièrement vers les côtes d’Asie Mineure et vers Pergame. Les données historiques confortent ces liens directs de part et d’autre du bassin méditerranéen puisque le royaume de Pergame est intégré à l’Empire romain en 133 av. J.-C., tandis que la même année la prise de Numance assure à Rome un accès aux riches mines de la péninsule ibérique. D’après Pline l’Ancien8, la découverte du trésor d’Attale II suscite chez les Romains une frénésie sans précédent pour l’argenterie. Si les témoignages archéologiques liés à ces productions sont rares, sinon inexistants9, il ne fait aucun doute que ce succès ait trouvé un large écho dans la vaisselle de terre cuite. Au-delà des céramiques à paroi fine, d’autres classes de céramique se sont certainement inspirées de la vaisselle pergaménienne ; on pensera plus particulièrement à l’introduction des grandes patères en vernis noir10qui font écho aux grandes patères à vernis rouge, et peut-être en argent. À Musarna, cette forme est fréquente dans le contexte de l’habitat de carriers (451) où elle est associée aux vases à paroi fine de l’assemblage 1.

23La diversité des éléments typologiques empruntés à l’Anatolie conduit à s’interroger sur l’origine des potiers : ces derniers étaient-ils d’origine orientale ? Si les nouveautés typologiques orientent vers une réponse positive, la constance des techniques de production et en particulier de celle du vernis noir, qui s’oppose à la céramique à vernis rouge à relief pergaménienne, suggère plutôt une origine italique. Il serait effectivement étonnant que ces artisans, s’ils étaient orientaux, n’aient recopié que quelques formes de leur répertoire et qu’ils n’aient cherché à reproduire ni le vernis rouge, ni le décor à relief qui apparaît à Arezzo quelque trois quarts de siècle plus tard. À l’exception de la forme du gobelet fusiforme (1), les éléments comparables entre les premières formes de céramique à paroi fine et les productions à vernis rouge à relief pergaméniennes sont tous attestés sur des vases en argent ou en verre. Compte tenu de la popularité de la vaisselle d’argent il semble très probable que les productions en verre, une partie de celles en céramique à vernis rouge à relief de Pergame, et plusieurs formes anciennes des céramiques à paroi fine de Musarna se soient inspirés de cette vaisselle précieuse. Une copie des vases en argent, plutôt que de ceux en céramique expliquerait par ailleurs une réalité archéologique : la rareté, sinon l’absence de céramique pergaménienne en Italie centrale dans la seconde moitié du II^e siècle av. J.-C. De rares témoignages sont néanmoins connus sur les côtes tyrrhéniennes et en particulier à proximité de Populonia, dans l’épave de Baratti11, qui comptait des bols hellénistiques à relief de production ionienne et quelques fragments de céramique à relief à décor d’appliques appartenant sans doute à la céramique à vernis rouge pergaménienne. La cargaison de l’épave de Spargi en Sardaigne datée entre 140 et 120 av. J.-C., a pour sa part livré des bols hémisphériques en verre d’origine syro-palestinienne.

24L’imitation de vases métalliques étant avérée, il faut souligner l’attachement des potiers à reproduire certains détails : la lèvre interne en amande des bols hémisphériques (19) et leur fond mouluré, les anses à poucier flanquées de vaguelettes et volutes des skyphoi (36) et canthares (33/34/35) et leur pied également mouluré. Une telle précision indique une observation directe des pièces d’origine qui devaient sans doute circuler, sinon exclusivement à Rome, au moins dans des centres urbains majeurs comme Tarquinia. Il est donc possible que ces formes si particulières ait été produites dans des ateliers de Tarquinia même, ou aux alentours, et qu’elles aient ensuite circulé dans un territoire que la métropole dominait encore très largement.

25Mais l’influence orientale ne saurait à elle seule définir le répertoire morphologique des céramiques à paroi fine les plus anciennes car, si les éléments stylistiques sont probants, ils sont en revanche peu représentés quantitativement. En tenant compte de l’impossibilité d'établir une influence claire pour les gobelets fusiformes (1), de la grande quantité probable des gobelets ovoïdes (3), et de celle attestée des gobelets tronconiques (9), on ne peut que remarquer l’ancrage régional des formes les mieux représentées. En effet, le gobelet ovoïde (3) se rattache directement à la tradition de l’olla républicaine, caractéristique des territoires étrusques12, et le gobelet tronconique (9) a été principalement découvert dans le territoire de Tarquinia13. Ces deux formes sont attestées à Musarna dans des contextes antérieurs à l’introduction des céramiques à paroi fine : les petites ollae sont fabriquées avec une argile calcaire riche de gros dégraissant visible à l’œil nu, et les gobelets tronconiques en céramique commune grossière à feu. Elles cessent au même moment d’être fabriquées ainsi et commencent à être produites en céramique à paroi fine.

26Les formes anciennes s’inscrivent donc principalement dans la continuité typologique de formes locales auxquelles s’ajoutent des recherches formelles plus « exotiques », fortement marquées par les courants stylistiques orientaux contemporains. Mais l’élément le plus significatif est l’apparition d’un service de vases à boire inexistant auparavant dans la céramique romaine. Quels sont les vases antérieurs dévolus à cette fonction ?

27À Musarna, des contextes plus anciens, datés de la fin du III^e et de la première moitié du II^e siècle av. J.-C. ont montré que cette fonction peut avoir été remplie par les ollae en céramique commune ou les bols et « chopes » en vernis noir. Les nécropoles de Tarquinia offrent quelques formes supplémentaires en céramique à vernis noir14. Il s’agit de formes héritées de la tradition du banquet de la fin de l'époque classique et du début de l'époque hellénistique ; leurs attestations se raréfient dès la fin du III^e siècle av. J.-C. Dans son étude sur les pratiques alimentaires à Délos à la fin de l'époque hellénistique, A. Peignard-Giros15 met en évidence la transformation des pratiques du banquet et de la consommation du vin à la fin de l'époque hellénistique. Dès le deuxième quart du II^e siècle av. J.-C., on observe à Délos comme à Athènes, la disparition progressive des cratères décorés, utilisés pour le mélange du vin et de l'eau. Ces derniers sont peut-être remplacés en cuisine par des vases en céramique commune, le vin étant ensuite apporté, déjà mélangé, aux convives. Il est également possible que les mélanges aient été pratiqués directement dans les vases de service ou de consommation, bien que les formes s'y prêtent malaisement (lagynos, gobelet). C'est toutefois au même moment qu'apparaissent en très grand nombre les lagynoi, qui étaient peut-être des vases de service individuels. Dans la catégorie des vases dévolus à la consommation, les coupes d'époque classique sont progressivement remplacées par les bols hellénistiques à relief et par les coupes carénées à vernis rouge ou noir provenant de Cnide ou de Cos.

28En Étrurie méridionale, les lagynoi sont produits en quantité de plus en plus importante tout au long du II^e siècle av. J.-C. Avec ces vases liés à la consommation du vin, nous observons tout le long de la côte tyrrhénienne, de l’Étrurie à la Campanie, le développement de la viticulture et des amphores à vin (Dressel 1), dont un atelier de production a été identifié à Cosa. L’apparition d’un nouveau service à boire dans lequel sont intégrés les bols à relief hellénistiques de production italique, des imitations de vases précieux d’origine orientale, ainsi que des formes de tradition autochtone, semble correspondre à de nouveaux besoins et modes de consommation du vin. Cette dernière, en rupture avec la tradition antérieure du banquet, s’oriente vers une consommation à grande échelle, dont témoigne l’augmentation du commerce des amphores vinaires tout au long du II^e siècle av. J.-C.

3. De l’Étrurie méridionale aux territoires conquis

29Les formes les plus anciennes attestées à Musarna trouvent des parallèles à Cosa, mais quelques différences notables permettent néanmoins de bien distinguer ces deux corpus. Techniquement, les deux lots sont comparables mais non identiques : ils présentent une pâte sableuse et sont cuits en mode A, mais leur rendu est distinct. La pâte de la majorité des vases de Musarna apparaît beaucoup plus sableuse et poreuse, alors que l’argile utilisée pour les productions de Cosa, semblent plus « fermée », plus lisse. Dans le détail, les deux répertoires morphologiques offrent des variations notables. Tout d’abord, et bien qu’il soit impossible de comparer quantitativement les deux lots, on remarque l’absence des gobelets tronconiques (9) et des bols hémisphériques (19) qui ne sont attestés que par un seul bord à Cosa. Sur ce dernier site, les gobelets piriformes (2) sont en revanche plus abondants, alors que le corpus de Musarna n’en compte que deux exemplaires. Dans le cas des gobelets fusiformes (1), la partie fuselée des exemplaires de Musarna est plus allongée, alors qu’à Cosa le resserrement situé juste au-dessus du fond est moins développé. À Musarna, le décor de perles réalisées à la barbotine est presque totalement absent, alors qu’il est mieux attesté à Cosa, qui compte moins de fragments.

30Ces différences techniques et typologiques contrastent avec l’homogénéité des parallèles provenant des cités du territoire de Tarquinia, et mettent en évidence l’existence d’un autre centre de production : l’un d’entre eux alimente le territoire de Tarquinia et le second, la cité de Cosa, située à environ 80 km au N-W de Viterbe et 50 km de Tarquinia. Un exemplaire de gobelet fusiforme (1) provenant apparemment du territoire de Tarquinia a été découvert à Cosa et un gobelet piriforme (2) dont les caractéristiques techniques sont proches de celles des vases de Cosa est attesté à Musarna. Ces deux gobelets témoignent ainsi d’échanges possibles, mais rares, entre ces deux territoires, et laissent transparaître un cloisonnement assez fort de la distribution des ateliers céramiques.

31Les formes anciennes ont par ailleurs été découvertes en Étrurie, le long de la côte tyrhénienne, à Populonia16, Castiglioncello17, Livourne18 et Luni19. Nous ignorons de quel centre de production proviennent ces derniers exemplaires mais la présence des décors de perles réalisées à la barbotine au motif en filet les rapproche du mobilierde Cosa. Il n’est pas exclu qu’un seul grand atelier ait alimenté la zone de Livourne, Vada et Castiglioncello, voire Luni.

32Le corpus de Bolsena est moins important quantitativement mais il s’agit certainement d’une production locale ; la troisième identifiée en Étrurie méridionale. On y retrouve les mêmes formes qu’à Musarna : gobelet fusiformes (1), piriformes (2), ovoïdes (3), bols hémisphériques (19), mais certaines de leurs caractéristiques typologiques tranchent avec celles du lot de Musarna. Les bols hémisphériques sont plus profonds ou plus évasés et peuvent présenter un décor peint ; les gobelets fusiformes (1) ont un fond à peine fuselé et sont décorés comme les gobelets piriformes (2) et ovoïdes (3), de perles réalisées au motif en croix ou mixtes (motif en croix et en filet). Là encore, les affinités avec le répertoire de Musarna sont sensibles sans être identiques.

33Dans la partie la plus au sud de l’Étrurie méridionale, à Véies, seuls quelques fragments de vases anciens sont attestés20. Il est malheureusement impossible de déterminer l’origine de cette production.

34Si l’on se concentre sur les formes de la production « rouge/marron brique à gros dégraissants sableux » et sur ses éventuels parallèles (pl. XXXVII), on remarque en premier lieu le nombre important de vases identiques dans les cités très proches de Musarna et plus spécifiquement à Castel d’Asso et Viterbe, mais aussi à Norchia, Tuscania, Acquarossa et Tarquinia.

35Les parallèles sont encore nombreux dans les centres urbains situés aux abords du territoire de Tarquinia, notamment dans les territoires de Vulci (Cosa, Sovana, Ischia di Castro) et Bolsena (Montefiascone, Bolsena), mais ils sont issus de productions distinctes. Les côtes de l’Étrurie comptent elles aussi plusieurs exemplaires comparables. D’autres parallèles sont encore attestés sur les voies Clodia, Cassia et Amérina mais leur présence diminue vers les régions internes, en direction de la vallée du Tibre.

36En dehors de l’Étrurie, différents exemplaires se concentrent sur le pourtour de l’Étrurie méridionale, vers la vallée du Tibre (pl. XXXVIII). Plusieurs sites y ont restitué des fragments de formes anciennes, notamment à Scoppieto21, Chiusi22, Amélia23 et Cottanello. Il est difficile de savoir à quelles productions appartiennent ces exemplaires, dont certains sont peut-être importés des ateliers du territoire de Tarquinia. D’autres sont issus de productions locales qui imitent les productions côtières, avec des répertoires morphologiques plus pauvres ; c’est notamment le cas des ateliers de Chiusi qui ne produisent que deux formes aux parois particulièrement épaisses.

37Plus au sud, une production débute à Tivoli à la fin du II^e siècle av. J.-C.24. À Rome, où nous disposons de peu de données pour cette période, quelques formes ont néanmoins été découvertes25. Elles semblent importées d’Étrurie méridionale, mais il est impossible de savoir à quelle production elles se rapportent précisément.

38Les attestations des formes anciennes présentes à Musarna mettent en relief une concentration dans le territoire de Tarquinia, à ses environs,, le long de la côte tyrhénienne et des voies consulaires en Étrurie méridionale. Plus on s’éloigne de cette zone en direction de la vallée du Tibre et des Apennins, plus les attestations diminuent et le répertoire morphologique s’appauvrit. Dans la bande tyrrhénienne, entre la via Aurélia et la via Cassia, de Livourne à Rome, on répertorie une dizaine de formes réccurentes dont les fortes affinités techniques et typologiques mettent en évidence une koinè. Ce nouveau répertoire morphologique, qui apparaît simultanément sur plusieurs sites, témoigne de transformations communes intervenues dans les modes de consommation. Au-delà de cette unité très forte, on perçoit cependant l’existence de nombreux ateliers producteurs de céramique à paroi fine. L’un d’eux se situe probablement dans le territoire de Tarquinia et un autre aux alentours de Cosa, peut-être entre Cosa et Populonia. Une production un peu plus tardive est attestée à Bolsena26.

39Dans le reste de la Péninsule italique, on signalera les attestations sur les côtes campaniennes à Cumes27, Pompéi28 et Pontecagnano29, qui mettent en évidence, comme sur les côtes tyrhéniennes, le transport maritime. En Apulie et en Lucanie, deux autres cités situées sur le littoral ont livré des parallèles étroits : Tarente et Héraclée. Pour cette dernière, la production est certainement locale. En revanche, d’après les photos et les dessins publiés, une partie des nombreux témoignages de Tarente30 pourrait provenir d’Étrurie méridionale, voire du territoire de Tarquinia en raison de la présence des bols hémisphériques (19). Ces importations reflèteraient ainsi la place fondamentale de Tarente sur les voies maritimes qui relient Pergame à l’Étrurie côtière, renforcée par la création de la colonie romaine en 125 av. J.-C. Cette présence celle des parallèles dans la région : à Bovino31, Héraclée32, et Otrante33. D’autres exemplaires ont été découverts plus loin, dans les terres, à Monte Irsi34 et Ordona35. Les skyphoi (36) provenant de l’Apulie et de la Lucanie présentent fréquemment des engobes non grésés. Il s’agit très probablement d’un ajustement des ateliers régionaux, qui ont ajouté un engobe pour mieux répondre aux goûts locaux, fortement hellénisés, et encore habitués à utiliser de la vaisselle de table vernie et engobée.

40Toujours par voie maritime, mais aux abords des côtes siciliennes, un parallèle a été découvert dans l’épave de Capo Graziano et d’autres dans des zones plus internes de la Sicile, à Monte Iato36, à Akrai et Lilybée37. Il est assez difficile d’établir comment s'est faite l’introduction des céramiques à paroi fine en Sicile, car des productions locales ou régionales apparaissent très tôt, sans qu’il soit possible d’individualiser d’éventuelles importations d’Étrurie méridionale.

41Au nord de la mer Adriatique, on rencontre une production locale à Adria. Ses nécropoles ont mis au jour des gobelets piriformes (2) et des bols hémisphériques (19), qui proviennent de tombes datées de la seconde moitié du II^e siècle av. J.-C. Elles sont probablement issues d'une production locale ou régionale. Celle-ci ayant peut-être servi de point de départ à une diffusion en Vénétie où d’autres productions de formes anciennes ont été relevées, notamment à Crémone, Calvatone et Valeggiosul Mincio.

42Au-delà de la Péninsule italique, les parallèles semblent beaucoup moins fréquents (pl. XXXIX). Là-encore la diffusion semble essentiellement s’organiser par voie maritime. C’est le cas dans les Baléares, à Ibiza38 où quelques parallèles, directement inspirés des modèles tyrrhéniens sont très tôt produits sur place (fin du II^e siècle av. J.-C.) et s’inspirent directement des modèles tyrrhéniens. Il faut remarquer à ce titre, les bols en cloche (20) décorés de perles réalisées à la barbotine, attestés à Livourne et à Ibiza. L’implantation précoce d’ateliers dans cette région est directement liée à la conquête de l’île voisine de Majorque, en 123 av. J.-C. Les exemplaires comparables attestés à Ampurias sont en revanche d’origine italique. D’autres formes anciennes sont attestées dans la péninsule ibérique : des skyphoi/canthares (33/34/36) dans l’arrière-pays de Tarragone, à Azaila, aux abords de Valence, fondée en 138 av. J.-C., à Belo, et à l’extrémité sud de la péninsule, à AstiaRegia.

43La Gaule a également livré un certain nombre d’attestations : un fragment de vase de cet assemblage est attesté sur les côtes du sud de la France, dans l’épave de la Madrague de Giens. Un gobelet piriforme (2) italique a également été découvert sur l’oppidum d’Entremont, détruit par les Romains en 123 av. J.-C. et définitivement abandonné vers 90 av. J.-C. Mais les voies maritimes ne sont pas les seuls moyens de transport comme en témoignent des fragments de canthares à anse à poucier flanquées de volutes, trouvés en territoire arverne à Le Cendre et dans la vallée du Rhône à Roanne.

44En Méditerranée orientale, des importations sont attestées à Délos et en Macédoine, à Stobi. Un troisième parallèle, mais de production distincte, provient de Pergame.

4. Datation

45À Musarna, les céramiques à paroi fine se généralisent dans le dernier tiers du II^e siècle av. J.-C. Cette proposition se fonde notamment sur l’habitat de carriers (451) qui a livré d’importantes quantités de céramique à vernis noir datée de cette période. Notons que les phases antérieures sont bien représentées dans les différents secteurs de Musarna, et plus particulièrement dans les tombes hellénistiques, où l’absence de vases à paroi fine avant cette période est significative. Cette datation semble se confirmer sur les autres sites du territoire de Tarquinia où aucun fragment, dans l’état actuel de nos connaissances, aucun fragment n’est antérieur à la seconde moitié du II^e siècle av. J.-C. Ici aussi, les périodes plus anciennes sont bien documentées par les découvertes archéologiques, comme c’est le cas dans les nécropoles de Tarquinia. L’absence de céramique à paroi fine et de gobelets piriformes (2) décorés de perles réalisées à la barbotine est donc significative.

46Pour ces premières productions, il faut distinguer celles à pâte « rouge/marron brique à gros dégraissants sableux » de celles à pâte « pulvérulente ». Si cette distinction peut refléter l’existence de deux ateliers, il est assez probable qu’elle corresponde aussi à un léger écart chronologique, comme semble l'indiquer l’affinité technique relevée entre le groupe à pâte « pulvérulente » et les formes qui suivent parle en faveur de cet argument. Une telle ressemblance indique, sinon le travail des mêmes potiers, du moins un passage de connaissance directe qui pourrait difficilement excéder une génération. Alors que les productions à pâte « rouge/marron brique à gros dégraissants sableux» seraient plutôt caractéristiques du dernier tiers du II^e siècle av. J.-C., celles à pâte « pulvérulente » ont du être produites au début du siècle suivant.

47Cette proposition de datation pour les céramiques à paroi fine de Musarna et du territoire de Tarquinia contraste avec celle proposée pour Cosa antérieure d’une quarantaine d’années. Comme nous l’avons déjà vu plus haut39, celle-ci peut être raisonnablement abaissée d’au moins un quart de siècle. Ailleurs, les témoignages stratigraphiques datés de la première moitié du II^e siècle av. J.-C. sont presque inexistants40, et font apparaître les fragments de Cosa comme les plus anciens qui devient donc l’un des premiers foyers producteurs de céramique à paroi fine (gobelets piriformes), voire même le tout. L’ager Cosanus, connaît à cette époque un grand dynamisme commercial, dont témoigne la production d’amphores Dressel 141 fabriquées en parallèle à l’intensification de l’activité viticole de cette région. Il est ainsi possible d’associer la production de vin, celles des amphores pour son exportation et l’apparition d’un nouveau répertoire morphologique de vases à boire.

48L’écart chronologique d’une vingtaine d’années qui subsiste entre les premières productions attestées à Cosa et à Musarna s’explique sans doute par une introduction plus tardive sur ce dernier site. On observe, tout au long de la période républicaine des particularismes typologiques forts entre les deux cités. Malgré leur proximité, il est donc très probable que l’usage des céramiques à paroi fine de Musarna soit légèrement postérieur d’autant plus que les nombreux gobelets ovoïdes (ollette) et les gobelets tronconiques fabriqués en céramique commune grossière pouvaient déjà être dévolus aux mêmes fonctions.

49La production « rouge/marron brique à gros dégraissants sableux » a vraisemblablement été produite dans le territoire de Tarquinia. Mais cette seule production ne regroupe pas tous les vases anciens qui apparaissent issus pour l’essentiel d’un atelier qui lui est fortement lié. Le répertoire morphologique des premières céramiques à paroi fine s’inspire de la céramique commune régionale et des productions en matériaux précieux, notamment l’argenterie. La découverte du Trésor d’Attale a probablement créé une source d’émulation à la recherche morphologique des potiers étrusques. Ils y ont trouvé un nouveau vocabulaire pour créer de nouvelles formes de vases à boire, reflétant de nouvelles habitudes de consommation. Mais cette source d’inspiration demeure néanmoins minoritaire, les potiers continuant de produire des formes de tradition autochtone comme le gobelet tronconique (9), le gobelet piriforme (2) et ovoïde (3) dérivé de l’olla. Des répertoires plus ou moins identiques ont certainement été produits au même moment dans toute l’Étrurie côtière, de Livourne jusqu’à Rome (atelier de Tivoli). Que ce soit en Étrurie, en Campanie, en Apulie, en Vénétie, dans la péninsule ibérique ou en Méditerranée orientale, ces céramiques circulent essentiellement par voie maritime. Leur faible représentation en dehors de l’Étrurie romaine montre qu’il ne s’agit pas d’un produit commercialisé à grande échelle. Il se retrouve en revanche fréquemment là où l’armée romaine est signalée, comme à Tarente, Valence, et Ibiza/Majorque.