Musarna 4
|Troisième partie
Chapitre 8
Analyse statistique de la répartition des céramiques à paroi fine dans les différents contextes
Texte intégral
1Bien que les contextes archéologiques de Musarna ne forment pas des ensembles totalement clos, il est apparu clairement au cours de l’inventaire que certaines formes étaient régulièrement associées. Afin de valider et d’affiner ces observations, il a semblé nécessaire de soumettre les données à une analyse statistique mettant en évidence ces associations et dessiner ainsi leur évolution chronologique.
- 1 Hempel 2001.
2Notre choix de modèle statistique s’est porté sur celui de la sériation, mise en place au début du siècle dernier par Flinders Petrie1. En identifiant des associations de formes, ce système organise en séquence les céramiques provenant de plus de deux mille tombes égyptiennes pour lesquelles il propose une chronologie relative. Cette méthode a par la suite été développée par de nombreux auteurs pour des périodes chronologiques et des aires culturelles variées.
- 2 Périn 1980.
- 3 Ibid., p. 240.
- 4 Ces méthodes présentent de nombreux champs d’application : https://abp.hypotheses.org/le-programme (...)
- 5 https://abp.hypotheses.org/le-programme-bassin-parisien/les-projets/les-projets-associes-au-progra (...)
- 6 Ibid., eo loco.
- 7 Nous avons également tenté des représentations à partir du sériographe EPPM, mais les résultats n’ (...)
3En 1980, dans le cadre d’une étude portant sur le matériel de tombes mérovingiennes2, P. Périn amplifie la méthode de sériation en s’appuyant sur les principes de sémiologie graphique mise au point par J. Bertin3. Appelée « permutation matricielle » ; la méthode consiste à classer visuellement les données d’un tableau à double entrée (matrice) en permutant les colonnes et les lignes. L’objectif est de former des associations ordonnées qui deviennent, en archéologie4, une chronologie relative. Le travail de J. Bertin permet ainsi de substituer au travail de découpage et de permutation manuelle un traitement informatique. Aujourd’hui, l’accès à cet outil est facilité par la mise à disposition d’un fichier automatisé de tableur développé par B. Desachy5. Dans le cadre du projet AchéoFab qu’il dirige, les recherches ont continué de multiplier les approches statistiques et le traitement de données réalisé à partir de tableaux de comptage6. À partir de ces travaux, nous avons choisi d’utiliser le tableur de sériation de matrice en présence/absence7, qui est apparue comme le plus adapté à l’étude des céramiques à paroi fine de Musarna.
4Il s’agit donc de croiser les données de terrain avec celles de la typologie céramique. Afin d’établir ces associations, nous avons placé dans un tableau, en ordonnée, les formes identifiées, en abscisse, les contextes. Dans un second temps, l’ordre des formes et des contextes a été modulé afin d’obtenir une diagonale de points.
- 8 La chronologie de ces strates a été établie sur la base de leurs relations stratigraphiques, des p (...)
- 9 Infra, chap. 4, 1.c. Îlot F : le « marché ».
5Les valeurs informatives des nombreuses US étant très variable, le choix s’est porté sur celles qui étaient suffisamment représentatives quantitativement, et susceptibles d’apporter des éléments de datation. Nous avons ainsi isolé un contexte de référence8 présentant une stratigraphie articulée et une grande quantité de matériel. Il s’agit de la citerne 635 (NR 3877, NMI 431), remblayée au cours de plusieurs opérations9. Les strates du fond (635013 et 635012) ne comportaient que de la céramique à vernis noir et à paroi fine, celles de la partie intermédiaire basse (635011, 635010, 635009, 635008) beaucoup de céramique à paroi fine et à vernis noir et, à l’exception de la strate la plus basse, 635011, quelques fragments de céramique sigillée italique. Les strates de la partie intermédiaire haute (635007, 635006) contenaient peu de céramique à vernis noir, moins de céramique à paroi fine et beaucoup plus de céramique sigillée italique, ainsi que quelques fragments de sigillée africaine A. La strate supérieure (635005) se composait essentiellement de céramique sigillée africaine A, de sigillée italique et de quelques fragments de céramique à paroi fine et à vernis noir. Ce remplissage, qui a livré de nombreuses formes complètes, fait figure de contexte « étalon » à la suite duquel nous avons ajouté d’autres US et remblaiements.
6La première élaboration de cette sériation s’est faite manuellement au cours du travail de thèse. L’objectif était d’obtenir un faisceau graphique homogène, orienté en diagonale ; ce premier tableau faisait état d'un certain nombre de « trous », parfois corrigés par les informations stratigraphiques ou typologiques. Quatre groupes d’associations de formes avait ainsi émergé : les lots stratigraphiques.
7Plus récemment, nous avons inséré ces mêmes données dans le fichier automatisé de « sériation matrice présence absence » (pl. LIV). Les divergences avec le premier tableau sont peu nombreuses, et les quatre lots stratigraphiques réapparaissent. On y observe là aussi les « trous » qui sont autant d’interruptions d’associations de formes. Ces derniers sont plus nombreux vers le point bas de la diagonale, où les exemplaires les plus récents sont les moins nombreux et les plus isolés. On remarque l’inverse dans la partie haute de la diagonale, celle des vases les plus anciens, où les associations sont plus homogènes.
8Les lots stratigraphiques, qui forment des macro-groupes chronologiques, sont reportés en quatre couleurs différentes. Certaines formes sont isolées dans la couleur d’un autre groupe. Il s’agit d’une correction a posteriori réalisée à partir des données typologiques et comparatives qui démontrent que la position attribuée par le tableur est erronée. Ces erreurs sont liées à la sous-représentation de certaines formes et à leur présence dans des contextes où le matériel résiduel domine. C’est notamment le cas pour la tasse à panse trapue basse (24b), les aryballes (45a et 45b) et les formes grises, isolées.
Lot stratigraphique 1 (pl. LIV, groupe orange)
1 - Gobelet fusiforme / 2 - Gobelet piriforme / 3 - Gobelet ovoïde / 5 - Gobelet à panse cintrée / 9 - Gobelet tronconique/ 18 - Bol hellénistique à relief / 19 - Bol hémisphérique / 20 - Bol en cloche / 33 - Canthare à paroi rentrante/ 34 - Canthare en cloche/ 36 -Skyphos.
9Composé de 11 formes, le lot stratigraphie 1 met en évidence les associations des gobelets fusiformes (1), ovoïdes (3) et tronconiques (9) et des bols hémisphériques (19). Les formes de tradition hellénistique (skyphos, canthares et bol hellénistique à relief) font également partie de ce groupe. Ces associations sont parfaitement cohérentes avec les types de production très homogènes (argile non calcaire, groupe technique 1, paroi épaisse) de cette époque.
10Il faut en revanche isoler la tasse à panse trapue basse (24b), intrusive dans ce groupe. L’algorithme l’y a placé parce qu’elle est associée stratigraphiquement à un gobelet tronconique (9). Ces deux formes ne sont évidemment pas contemporaines.
11Les formes de ce lot peuvent être datées entre le dernier tiers du IIe siècle et le début du Ier siècle av. J.-C.
Lot stratigraphique 2 (pl. LIV, groupe bleu)
4 - Gobelet à panse sphérique/ 6 - Gobelet cylindrique/ 7 - Gobelet en tonneau/ 8 - Gobelet en pseudo-tonneau/ 11 - Gobelet en tulipe/ 12 - Gobelet à col vertical/ 13 - Gobelet en calice/ 15 - Gobelet en entonnoir haut/ 21a - Bol à panse convexe/ 22a - Bol à panse verticale/ 23a - Bol à panse évasée/ 24a - Tasse à panse trapue basse/ 27 - Tasse carénée basse / 35 - Canthare en calice/ 37 - Rhyton/ 38 - Cruche à col resserré/ 41 - Pichet/ 44 - Pot.
12Ce lot compte 18 formes. Il n’est pas uniforme graphiquement et se répartit en trois sous-séquences. On le distingue nettement du lot précédent ; la coupure avec le lot suivant (après les bols à paroi verticale – 22a) est elle aussi bien visible et se justifie en parallèle avec les transformations techniques (passage croissant des argiles non calcaires aux argiles calcaires). Trois anomalies sont en revanche manifestes, dont la première concerne la présence des aryballes dans ce groupe. Comme nous l’avons vu plus haut, elles proviennent de contextes où le matériel résiduel est majoritaire, et ont donc été placées avec des formes antérieures. Deux autres formes sont également postérieures : les tasses à panse arrondies (29) et la tasse en calice (26), fabriquées dans des groupes de pâtes caractéristiques de la période suivante mais peu représentatives quantitativement et donc plus facilement sujettes à un positionnement erroné.
13La première sous-séquence souligne l’association récurrente des gobelets à col vertical (12), des gobelets cylindriques (6) et des gobelets à panse sphérique (4), ce qui est ici aussi très cohérent avec les groupes techniques. Le deuxième sous-groupe est beaucoup plus parsemé et ne met pas en évidence d’associations spécifiques. Il se distingue en revanche parfaitement de la sous-séquence suivante (à partir des pichets - 41), où apparaît sans équivoque l’association presque systématique des gobelets en calice (13) et des bols à panse verticale (23a).
14Le lot stratigraphique 2 regroupe des formes encore majoritairement fabriquées avec une argile non calcaire. Contrairement au lot stratigraphique 1, qui apparaît comme un bloc, celui-ci est plus hétérogène, et des associations de quelques formes se succèdent, introduites de manière continue. Ce lot est daté entre le début du Ier siècle av. J.-C.et du début de l’époque augustéenne.
Lot stratigraphique 3 (pl. LIV, groupe rose)
10 - Gobelet à panse verticale/ 25a - Tasse à panse trapue haute/ 26 - Tasse en calice/ 29 - Tasse à panse arrondie/ 30a - Tasse tronconique/ 30a - Tasse tronconique/ 31 - Tasse cylindrique/ 40 - Cruche trilobée/ 42 –Lagynos/ 50 - Couvercle à panse concave.
15Toujours plus dispersé, le lot stratigraphique 3 ne met aucune association en évidence. Il souligne en revanche la forte présence des tasses tronconiques (30a) et se justifie par une cohérence technique dominé par le groupe 7. Il est daté de l’époque augustéenne et du début de l’époque tibérienne.
Lot stratigraphique 4 (pl. LIV, groupe vert)
16 - Gobelet en entonnoir ondulé/ 17 - Gobelet à panse trapue/ 21b - Bol à paroi convexe/ 22b - Bol à panse verticale/ 23b - Bol à panse évasée/ 32b - Tasse carénée haute/ 32b - Tasse carénée haute/ 43 - Bouteille à panse sphérique/ 45a - Aryballe (argile non calcaire)/ 45b - Aryballe (argile calcaire)/ 48 - Couvercle à panse convexe/ 49 - Couvercle à panse évasée.
16La grille très ajourée du lot stratigraphique 4 met clairement en évidence son manque de cohésion. Là encore, il se justifie par sa cohérence technique où les argiles calcaires dominent et où les parois sont fréquemment couvertes par un engobe.
17Ce lot est daté à partir de l’époque tibérienne.
Formes sans associations stratigraphiques (pl. LIV, groupe gris)
14 - Gobelet à panse cylindrique/ 24b - Tasse à panse trapue basse/ 28 - Tasse à panse évasée/ 32a - Tasse carénée haute/ 32b - Tasse carénée haute/ 39a - Cruche fusiforme/ 39b - Cruche fusiforme/ 46 - Trulla/ 47 - Askos
18Ce groupe réunit des formes de céramique à paroi fine isolées, qui ne peuvent donc être associées à aucune autre.
Notes
1 Hempel 2001.
2 Périn 1980.
3 Ibid., p. 240.
4 Ces méthodes présentent de nombreux champs d’application : https://abp.hypotheses.org/le-programme-bassin-parisien/les-projets/lesprojets- associes-au-programme/outils-danalyse-graphique-des-donnees.
5 https://abp.hypotheses.org/le-programme-bassin-parisien/les-projets/les-projets-associes-au-programme/outils-danalyse-graphique-des-donnees
6 Ibid., eo loco.
7 Nous avons également tenté des représentations à partir du sériographe EPPM, mais les résultats n’ont pas été concluants car les strates sont trop hétérogènes et de nombreuses formes ne sont pas suffisamment représentées quantitativement.
8 La chronologie de ces strates a été établie sur la base de leurs relations stratigraphiques, des premières études du matériel céramique et des présentes associations de céramique à paroi fine.
9 Infra, chap. 4, 1.c. Îlot F : le « marché ».
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.