1L ’exploit entretient avec les palmarès une relation étroite, essentielle : il est régulièrement à l’origine même du palmarès et à l’époque impériale, contrairement à ce qui se passait jusque-là, le palmarès est souvent l’occasion de rappeler, à l’intérieur du bilan d’une carrière ou d’une partie de carrière, un accomplissement remarquable. Sans les palmarès, nous ne connaîtrions souvent aucune de ces performances sportives qui frappaient les Anciens comme elles font le sel des commentaires journalistiques aujourd’hui, de plus en plus avides de records et de statistiques.

2Il est assez simple de dégager des critères typologiques de ces exploits, puisqu’ils sont liés, dans un système qui ne connaît pas, sauf exception, l’enregistrement chiffré des performances athlétiques, aux divers éléments structurants des compétitions : les disciplines, l’âge, la succession des concours et les conditions de la victoire. Le triomphe dans différentes spécialités, une victoire précoce, des succès consécutifs, un triomphe écrasant, tout cela appartient à la sphère de l’exploit. Parfois ces éléments se combinent : un tel peut remporter à un âge particulièrement bas deux sports de combat différents, un autre accomplira une performance inédite, sans combattre par exemple, lors d’une énième victoire consécutive. Globalement les palmarès se sont faits de plus en plus éloquents sur les exploits, depuis l’époque augustéenne, qui voit les premiers détails apparaître, jusqu’à la fin de l’époque antonine : un sommet est en quelque sorte atteint par le palmarès de M. Aur. Asklèpiadès (107), dont la carrière se déroule sous Commode, mais dont le palmarès est plus tardif, au début du iii^e s. À certains égards, la carrière d’Asklèpiadès peut être vue comme un exploit en soi, l’accomplissement presque ultime d’une carrière invaincue et marquée à presque chaque victoire par l’exceptionnel, en allant quasiment crescendo jusqu’à la fin prématurée de l’activité professionnelle du pancratiaste d’Alexandrie et son come-back éphémère et victorieux treize ans après. Au iii^e s. les palmarès sont moins riches en mentions d’actions d’éclat, sans qu’elles disparaissent jamais.

Victoires multiples dans une même célébration

3Comme aujourd’hui en athlétisme ou en ski, la combinaison de plusieurs victoires dans des épreuves différentes lors d’un même concours est l’exploit le plus courant, sans qu’il soit pour autant galvaudé : il est sinon banal du moins régulier que les sprinters doublent aujourd’hui sur 100 et 200 m, il n’en reste pas moins que le prestige de la vitesse fait que ceux qui réussissent le doublé appartiennent au panthéon des athlètes, davantage parfois qu’un sprinter spécialisé dans une seule des distances, quand bien même il la domine par son palmarès et ses performances chronométriques.

4Les palmarès ne sont pas les seuls documents à nous renseigner sur ce type d’exploits, puisque ceux-ci peuvent être rapportés par des tituli honorarii spécifiquement dédiés au rappel de cette performance, mais aussi par les catalogues de vainqueurs ou encore les auteurs – Pausanias en tête – qui sont particulièrement intéressés par ces actions d’éclat1. Les palmarès peuvent simplement être plus prolixes sur les faits, donner des détails sur des exploits accomplis dans des concours pour lesquels les sources sont moins abondantes voire inexistantes par ailleurs et ils rapportent parfois des doublés ou triplés insolites qu’aucun autre document ne pourrait nous livrer.

La combinaison de plusieurs disciplines

5C’est l’exploit le plus ordinaire. Cela tient à la nature des disciplines admises dans les concours, qui permettent à certains athlètes mais aussi à des artistes de briller dans plusieurs spécialités.

6Il y a ainsi trois épreuves de sprint, le stadion, le diaulos et la course en armes, qui est courue sur un diaulos ; ce sont assurément les spécialités les plus proches les unes des autres, et si comme aujourd’hui il y a des spécialistes du 200 m et d’autres du 400 m, ce ne sont pas des distances inconciliables. Il n’y avait pas dans l’Antiquité grecque de distance plus courte, qui aurait entraîné comme aujourd’hui une tendance à combiner les deux sprints les plus courts plutôt que les deux plus longs. La combinaison stadion-diaulos est donc la plus simple, la plus naturelle. Un spécialiste de la course longue, le dolichos, s’illustrera bien évidemment très rarement dans les trois épreuves de sprint. En revanche, un sprinter peut parfois briller dans le pentathlon et inversement, tout comme aujourd’hui les meilleurs décathloniens et les meilleures heptathloniennes sont fréquemment d’excellents sprinters et sauteurs en longueur, car les disciplines concernées réclament les mêmes qualités de vitesse et d’explosivité, qui sont d’ailleurs des atouts aussi pour les autres composantes de l’épreuve combinée.

7Dans les sports de combat il existe des combinaisons privilégiées. La lutte et le pancrace sont assez proches pour permettre à un παλαίστης de briller comme παγκρατιαστής et inversement ; la boxe est plus spécifique même si elle partage des points communs avec le pancrace, qui est aussi une discipline où les coups sont portés par les mains. Mais comme on sait, la difficulté pour combiner la boxe avec une autre discipline tient d’abord aux traumatismes qu’elle inflige ; placée traditionnellement dans les concours grecs entre la lutte et le pancrace, la boxe laissait ses participants fréquemment à bout de forces voire blessés ; il était très difficile, même au vainqueur voire surtout à lui2, d’enchaîner avec le pancrace, dont la brutalité était à peine moindre.

8Dans les disciplines artistiques, la frontière est nette entre les disciplines scéniques et les disciplines musicales. La pratique de certains instruments était pour ainsi dire exclusive de toute autre spécialité3 : on ne connaît aucun cithariste, aucun trompette, aucun aulète qui ait exercé une autre discipline dans les concours grecs. Simplement le développement des épreuves de chœur à l’époque impériale a vu la distinction des pythaules et des choraules, et parfois la spécialisation des aulètes dans l’une ou l’autre branche de l’aulétique ; les cas assez fréquents de double spécialité aulètes solistes/choraux montrent cependant que c’est plus le résultat d’une nécessaire spécialisation pour atteindre l’excellence et conquérir les victoires dans les plus grands concours que le fruit d’obstacles techniques. En revanche les spécialités vocales étaient beaucoup plus ouvertes et il n’y avait pas de frontière technique infranchissable, même au plus haut niveau : les hérauts, les tragôdoi, les kômôdoi doivent avoir peu ou prou les mêmes qualités vocales. On voit donc toutes sortes de combinaisons, même s’il y a une spécialisation de fait de certains artistes. Enfin les citharèdes combinaient le chant et le jeu d’un instrument difficile à maîtriser ; la technicité et l’excellence exigées pour participer aux Pythia ou à tout autre concours majeur aboutissent donc normalement à une spécialisation extrêmement poussée.

9Les inventaires de victoires ne sont pas les seules sources à permettre d’évaluer la spécialisation ou non des champions, loin de là. La question ne peut être traitée globalement ici. L ’apport spécifique des palmarès est quadruple :

• Certains palmarès classés chronologiquement permettent d’observer des évolutions chez certains athlètes, qui changent de spécialité principale ou se diversifient.
• Alors que les sources littéraires ne s’intéressent guère qu’aux combinaisons remarquables accomplies dans les plus grands concours et que les sources épigraphiques autres que les palmarès ne révèlent souvent de telles prouesses que pour des concours mineurs, en particulier en Anatolie, les palmarès autorisent parfois d’analyser les pratiques sportives dans les grands concours isélastiques hors ceux des périodes : on y voit des champions, dont le seul palmarès dans les concours de la période aurait pu nous faire croire à une hyperspécialisation, briller dans d’autres disciplines que leur sport de prédilection. Un changement d’échelle nous fait aussi voir des athlètes modestes, qui ne sont vainqueurs dans les agônes isélastiques que dans une discipline, obtenir des victoires dans d’autres spécialités dans des concours très mineurs.
• Les palmarès sont pratiquement les seuls documents qui autorisent à estimer la fréquence – et plutôt la rareté d’ailleurs – de l’exploit qui consiste à remporter plusieurs disciplines lors d’une même compétition.
• Sans les palmarès nous ne connaîtrions pas certaines combinaisons de disciplines réussies par des champions hors du commun.

Disciplines différentes dans une même célébration

10Les palmarès sont des documents précieux pour repérer les victoires dans plusieurs disciplines différentes lors d’une même célébration d’un concours, mais ce ne sont pas les seuls. Les catalogues de vainqueurs fournissent le même type d’informations, de façon assez différente toutefois ; car les catalogues conservés concernent souvent des concours de second rang ; pour les huit concours de l’ancienne et de la nouvelle période, on n’a de listes de vainqueurs que pour les Isthmia4 et maintenant les Sebasta5. Or dans les compétitions modestes, la combinaison de plusieurs disciplines est bien sûr beaucoup plus courante que dans les plus grands agônes, où la concurrence est si relevée que ce type d’exploit est rare. D’un autre côté, les palmarès appartiennent souvent à de grands champions, dont l’une des qualités est d’être précisément plus aptes, s’ils le veulent, à combiner différentes disciplines ; et quand les palmarès sont ceux de champions plus modestes, leur gravure s’explique parfois par des exploits particuliers, au nombre desquels on trouve la victoire dans plusieurs disciplines lors d’un même concours. On n’étudiera ici que l’apport des palmarès, mais la polyvalence des athlètes et des artistes doit aussi s’étudier avec d’autres documents, à commencer donc par les catalogues de vainqueurs.

11Les différentes combinaisons attestées par les palmarès sont les suivantes6 :

12Combinaisons chez les athlètes :

13Combinaisons chez les artistes :

14Dans la plupart des cas, il n’y a là rien que de banal : les sprinters sont capables de combiner stadion, diaulos et course en armes ; plus rarement les spécialistes de dolichos l’emportent sur la plus longue distance de sprint (diaulos et/ou course en armes), mais seulement dans des concours de second rang. Dans les sports de combat, il n’y a rien d’étonnant à ce que de grands champions l’emportent dans la lutte et le pancrace. Boxe et pancrace sont bien plus rarement associés, lutte et boxe jamais. C’est toutefois la seule combinaison jamais attestée dans les palmarès, avec l’impossible exploit de remporter les quatre courses. Les combinaisons les plus remarquables ne sont pas connues par les palmarès, mais par la littérature ; il est vrai que le palmarès de Politès (25), s’il était conservé plus largement, nous apprendrait probablement ce que Pausanias nous dit de lui, à savoir qu’il l’avait emporté dans le dolichos, le stadion et le diaulos lors de la même olympiade ; c’est sans doute la performance d’un jour la plus extraordinaire, car accomplie dans le contexte concurrentiel le plus relevé et en combinant des spécialités non seulement réputées incompatibles mais dans un ordre (course longue avant sprint) qui paraît rendre la chose impossible.

15Dans les disciplines artistiques, on retrouve les mêmes associations par proximité disciplinaire : hérauts, tragôdoi et kômôdoi partagent les mêmes qualités vocales ; choraules et pythaules sont suffisamment proches pour qu’au moins à partir du milieu du ii^e s. les plus grands champions soient couronnés dans les deux spécialités. De manière assez étonnante, on n’a qu’un seul exemple de palmarès attestant de victoire dans la même célébration chez les hérauts et dans l’une des deux spécialités scéniques d’art lyrique ; et encore le déduit-on de la carrière du personnage, ce n’est pas explicite.

16Les palmarès mentionnent quelques situations exceptionnelles mais ne sont pas nos plus riches sources sur ce point. En revanche ils fournissent des cas inconnus par ailleurs. L ’un des plus singulier est bien sûr celui d’Hèdea, qui, si notre interprétation est exacte, l’a emporté dans la course en armes des jeunes femmes et dans la course de quadrige. On voit aussi des spécialistes du dolichos l’emporter dans des courses de sprint, ou, selon un modèle célèbre9, un boxeur finir premier d’une course, sans doute une course longue. Chez les artistes, il n’y a pas de combinaison particulièrement insolite ; il est vrai que trois des palmarès qui pourraient nous en fournir sont pour les uns lacunaires (103, 104), pour l’autre seulement partiel, ne recensant que les derniers succès du fils de C. Iulius Bassus (102) ; on sait que celui-ci a la particularité peut-être unique dans toute notre documentation, sauf si 104 ne lui appartient pas, d’unir aux spécialités vocales classiquement associées, tragôdos et kômôdos, également la citharôdie. Mais le palmarès de Didymes et celui de Delphes montrent certes qu’il excellait dans chacune de ces disciplines mais ne permettent pas de savoir s’il les remportait lors d’un même concours, ni même s’il se présentait dans toutes ces spécialités lors d’une même célébration.

Des disciplines différentes le long d’une carrière

17Nous envisageons ici un cas de figure qu’il faut différencier des situations précédemment décrites ; ce sont des diversifications ou des reconversions. Toutes ne sont d’ailleurs pas à ranger parmi les exploits. Les palmarès, et ils sont les seuls à nous fournir cette information, permettent ainsi de voir des athlètes se spécialiser dans une nouvelle discipline ou dans une discipline particulière parmi celles dans lesquelles il l’emportait au début de leur carrière. Cela ne concerne pratiquement que des athlètes dans les disciplines dites légères (course, pentathlon). Drakontomenès d’Halicarnasse (247, date très incertaine) a commencé comme sprinter puis s’est spécialisé dans les courses de demi-fond (hippios) et fond (dolichos). Un coureur honoré à Éphèse (83), qui n’avait remporté que le stadion, vainc tardivement au pentathlon à Anazarbe ; comme son palmarès s’arrête là, on ne sait même pas si c’est vraiment une reconversion ou une simple opportunité ; un autre (138) passe du stadion au diaulos quand il entre dans la catégorie des andres, et Polykratès de Kibyra (143), qui avait brillé dans le pentathlon chez les plus jeunes, semble plutôt se spécialiser dans le sprint chez les adultes. Chez des athlètes polyvalents, on voit que dans leur carrière ils n’ont parfois qu’une phase, plus ou moins longue, où ils combinent plusieurs disciplines10 : le dolichodromos rhodien de 36 l’emporte non seulement dans le dolichos mais aussi dans le diaulos ou la course en armes un temps, sans doute au sommet de sa domination, mais il paraît se recentrer sur le dolichos ensuite ; Archibios (40) ajoute la lutte et/ou la boxe au pancrace lorsqu’il est ageneios ou débute chez les andres, c’est-à-dire quand il est au sommet de sa vigueur physique et de sa faculté de récupération, mais plus par la suite.

18On a au moins un cas remarquable de diversification tardive, celui de Dèmostratos Damas (85-87). Celui-ci a non seulement été le plus grand pancratiaste de son temps, mais vers la fin de sa carrière, alors qu’il avait tout gagné et n’avait strictement plus rien à prouver dans les stades, il a pris le risque de concourir dans la boxe. C’était d’autant plus audacieux que, comme on l’a expliqué, la boxe et le pancrace sont une combinaison moins facile que la lutte et le pancrace, et très compliquée dans un même concours, car la boxe précède le pancrace. Pourtant Dèmostratos Damas devient un boxeur de premier ordre, invaincu, vainqueur de trois des quatre concours de la période, et même vainqueur du pancrace le même jour à Némée ; seuls les Olympia lui échappent, ou plus exactement il a visiblement renoncé devant l’adversité dans le concours le plus relevé et le plus convoité ; même dans ses dernières victoires à Alexandrie, lors de son éphémère come-back, il l’emporte encore à la boxe.

19Presque aussi remarquable serait le cas de Marôn si on était sûr de pouvoir l’identifier à l’« Halter » de Philostrate (64). Car si tel était le cas, Marôn aurait été non seulement le premier périodonique complet dans la lutte, sous Antonin le Pieux, mais encore il serait devenu un pancratiaste de premier plan, assez remarquable pour être donné en exemple plusieurs décennies plus tard ; cependant il n’y a pas trace de cette discipline dans son palmarès retrouvé à Séleucie du Calycadnos, gravé dans les années 150.

Différentes catégories d’âge dans une même célébration

20Exploit attesté non seulement par les palmarès mais aussi par les catalogues de vainqueurs et des tituli honorarii décernés pour cette prouesse précise, la victoire dans deux catégories d’âge différentes dans la même célébration d’un concours est certes bien attestée mais elle n’est pas si courante qu’on pourrait l’imaginer : cela restait une performance exceptionnelle, aussi difficile hier qu’aujourd’hui dans certaines disciplines, où la différence de capacités physiques entre un jeune adolescent et un jeune homme de l’âge d’un ageneios, ou entre un « imberbe » et un adulte au sommet de ses capacités physiques constitue un obstacle quasi insurmontable.

21L ’analyse des cas recensés se heurte par ailleurs aux incertitudes sur les catégories d’âge elles-mêmes. Les conclusions fermes sur celles-ci ne sont pas nombreuses et la plus grande prudence reste de mise. Les palmarès sont au demeurant l’une de nos meilleures sources sur cette question déjà maintes fois débattues, mais ils n’apportent pas de réponses claires.

22Pour en rester aux généralités, rappelons que les concours athlétiques de type « panhellénique » distinguaient deux ou trois catégories d’âge : les paides, les ageneioi (« imberbes ») et les andres. Nous avons renoncé à traduire ces divisions. Les paides ne sont nullement des enfants, mais des adolescents parfois très près de l’âge adulte. Les ageneioi étaient de jeunes hommes et il serait vain de spéculer sur leur degré de pilosité. Quant aux andres, traduire par « hommes » fournit certes la moins mauvaise interprétation parmi les trois catégories d’âge, mais n’est pas très utile et renvoie à une opposition hommes/femmes qui dans le sport antique n’a strictement rien à voir avec celle du sport moderne. Bien sûr ces appellations ont une dimension anthropologique que nous ne méconnaissons pas ; mais elle n’a aucune importance dans l’analyse des palmarès d’époque impériale.

23La catégorie des paides pouvait elle-même être subdivisée en sous-catégories qui équilibraient les chances de succès, comme aujourd’hui nos compétitions distinguent des benjamins, des minimes, des cadets ou des juniors. La mieux attestée de ces distinctions est celle qui sépare les paides pythikoi des paides isthmikoi, puisque plusieurs catalogues de vainqueurs nous montrent que les premiers étaient plus jeunes que les seconds. Ces subdivisions étaient loin d’être généralisées et sont avant tout bien connues dans des concours de second rang. Si les paides pythikoi tirent leur nom des Pythia de Delphes, ils n’y formaient d’ailleurs dans ce concours pas une sous-catégorie des plus jeunes : pour autant qu’on sache, il n’y avait à Delphes qu’un groupe de paides. Mais ce qui en faisait la spécificité, c’était la limite d’âge d’admission plus basse qu’ailleurs. Aux Isthmia de Corinthe il fallait visiblement être plus âgé pour concourir parmi les paides isthmikoi, qui formaient la seule catégorie de paides du concours corinthien. Là où les deux sous-catégories des pythikoi et des isthmikoi étaient présentes, la limite inférieure des Isthmia a constitué la limite supérieure des paides pythikoi, alors même que dans les compétitions où seule l’une des deux englobait tous les paides, la limite supérieure de l’une et l’autre (l’âge d’entrée chez les ageneioi ou les andres) était sinon identique – cela reste à prouver – du moins très proche. Il y avait d’autres qualificatifs des paides : des paides olympikoi, des paides aktiakoi ; comme la limite d’admission aux Olympia de Pise était visiblement plus élevée qu’ailleurs, il semble bien que ce soit là leur caractéristique essentielle et jamais les olympikoi n’apparaissent comme une sous-catégorie des paides. Pour les aktiakoi, toute analyse reste périlleuse. Le palmarès d’Archibios (40), qui est notre seule source sur cette κρίσις dans les palmarès, pourrait être l’indice qu’à Antioche et à Alexandrie les aktiakoi constituaient – au moins dans ces concours-là – une sous-catégorie de paides qui cohabitait avec une autre subdivision, car sa mention ne prend de sens que dans ce cas-là, sans quoi il suffisait de parler de paides, comme au demeurant c’est le cas dans tout le reste du texte, qui enregistre de multiples victoires dans toutes les catégories d’âge. À Alexandrie, où Archibios l’a emporté dans le concours pentétérique chez les aktiakoi, il récidiva la pentétéride suivante chez les andres, alors que, si nous interprétons correctement la formule µετὰ µίαν πενταετηρίδα, on aurait attendu qu’il soit encore chez les ageneioi, catégorie à laquelle il appartenait d’ailleurs quelques mois plus tôt à Antioche. D’après la reconstitution de la carrière que nous proposons, Archibios a lutté comme aktiakos pais en Syrie et en Égypte, peut-être deux ans avant de l’emporter à Rome chez les ageneioi ; s’il était remarquable qu’il soit anèr quatre ans plus tard, c’est qu’il y avait peut-être une limite d’âge supérieure pour les aktiakoi qui faisait que, mathématiquement, ils devaient être ageneioi quatre ans après, alors qu’une autre sous-catégorie passait à quatre ans d’intervalle chez les andres11. Nous serions plutôt enclin, avec la plus grande prudence, à voir dans les aktiakoi une catégorie proche des pythikoi, disons l’équivalent de nos benjamins et minimes.

24Les victoires dans deux catégories différentes lors d’un même concours sont évidemment d’abord le fait de grands champions, physiquement dominants et précoces.

25D’après l’interprétation que nous faisons de son palmarès, le périodonique Leôn de Rhodes (1) a ainsi vaincu dans la lutte et le pancrace des Nemea successivement chez les paides et les ageneioi lors de la même Néméade, Νέµεα παῖδας καὶ ἀγενείους̣ πάλαν καὶ παγκράτιον, exploit fameux mais qu’il n’était pas le premier à accomplir ; en revanche il ajouta le même doublé chez les andres la fois suivante, série qu’il réalisa πρᾶτος τῶν Ἑλλάνω[ν].

26Le double périodonique Apollinarius de Rhodes (36) a lui aussi vaincu dans deux catégories différentes, les paides et les andres. Sa prouesse est plus délicate à estimer. Contrairement à Leôn, il l’a accomplie dans un concours de second rang, presque inconnu par ailleurs, les Aphrodiseia de Cnide ; de plus la formule π̣αῖδας δόλιχον καὶ κατὰ σύνβληµα τᾷ α̣[ὐτᾷ ἁµέ]-ρᾳ ἄνδρας δόλιχον est loin d’être claire ; nous renvoyons à notre commentaire ad hoc. Les lignes qui précèdent dans le palmarès d’Apollinarius posent de plus le problème d’un possible surclassement ponctuel, car il paraît tentant de restituer là aussi une double victoire dans le dolichos, le même jour, chez les paides puis les andres. Dans ce cas, Apollinarius ne serait pas passé dans la catégorie d’âge supérieure de manière définitive à Cnide mais seulement le temps de participer à l’épreuve des andres et d’y vaincre ; il demeurait ou pouvait demeurer ensuite pais, eu égard à son âge. On comprend qu’une telle performance ne pouvait guère être accomplie que dans un concours ou la concurrence était peu relevée ; dans un concours majeur, un pais coureur de dolichos n’avait guère de chance contre ses aînés de plusieurs années et contre les meilleurs coureurs de son temps.

27Tib. Claudius Patrobios (24), périodonique comme les deux précédents, a vaincu ἐν Ἀντιοχείᾳ τῇ π̣[ατρίδι] Πυθικῶν πάλην καὶ τῷ ἐχοµένῳ [πενταετη]ρικῷ ἀγενείων καὶ ἀνδρῶν πάλ[ην καὶ πάλι ?] τρίς. La victoire chez les ageneioi et les andres dans la même célébration a été acquise dans un concours certes plus prestigieux que les Aphrodiseia de Cnide, mais loin de la renommée des Nemea. L ’exploit est pourtant rehaussé par la mention qui précède de la victoire chez les pythikoi quatre ans avant ; car si cette précision est apportée au lieu d’un simple παίδων, c’est que Patrobios était tout jeune lors de sa première victoire. Même s’il n’était pas nécessairement anormal qu’il soit ageneios lors de la pentétéride suivante, il était alors un tout jeune ageneios, disons deux ou trois années avant d’atteindre la limite qui le faisait passer automatiquement parmi les andres ; c’est cette précocité particulière qui fait l’éclat de ce doublé dans deux catégories différentes.

28Marcianus Rufus de Sinope, kapetôlionique et périodonique (52), a réussi dans la boxe l’exploit accompli par Patrobios dans la lutte, et, hasard ou pas, au même endroit, à Antioche. Comme boxeur il est le premier à l’emporter, Ἀντιόχειαν γ΄ πρῶτος καὶ µόνος τῶν ἀπὸ αἰῶνος ἀγενείων καὶ ἀνδρῶν ἡµέρᾳ µιᾷ12. Par ailleurs le palmarès n’accorde pas d’importance aux catégories d’âge et la presque totalité des victoires sont données sans distinguer les catégories, sauf dans ce cas et dans une autre performance record : à Nicomédie, Rufus l’a emporté dans les trois catégories d’âge, ce que personne n’avait fait. L ’un et l’autre exploits sont mis en évidence, mais comme pour Patrobios ou Apollinarius, ils sont réalisés dans des compétitions certes prestigieuses mais pas tout en haut de la hiérarchie. D’ailleurs pour Nicomédie comme pour Antioche le concours reste anonyme, même s’il est probable que les lecteurs de l’époque identifiaient la compétition dont il était question.

29On peut penser la même chose pour le palmarès à couronnes 56, dont le titulaire, olympionique et kapetôlionique, a vaincu ἐν Ἐφέσῳ ἀγενείων καὶ ἀνδρῶν ἡµέρᾳ α΄. Cette fois l’on est non plus en Syrie ou en Bithynie, mais dans l’une des capitales de l’agonistique grecque et il est probable que l’exploit y a été accompli dans l’un des concours isélastiques de la cité, aux Hadrianeia, Balbilleia, Olympia ou encore aux Ephesèa, mais le nom n’importait pas, seule la performance compte. Autre similitude avec le palmarès de Marcianus Rufus, le titulaire de 56 insiste aussi sur une autre prouesse liée aux catégories d’âge, cette fois une double victoire, dans la même cité, parmi les paides pythikoi. Cette division n’était pas répandue ; on sait que les Balbilleia d’Éphèse disposaient d’une telle sous-catégorie et il était sans doute clair pour la plupart des lecteurs de quel(s) concours il pouvait s’agir.

30Toujours parmi les plus grands champions, le lutteur de 94, à tout le moins kapetôlionique s’il ne s’agit pas du double périodonique de 95, a, lui, réussi le doublé ageneioi-andres aux Augousteia de Pergame, l’un des concours majeurs hors période. Dans son cas c’est de manière explicite un changement de catégorie, une πρόσβασις. À la différence des deux exemples précédents, ce ne fut pas un doublé ἡµέρᾳ µιᾷ, car le programme des Augousteia séparait visiblement les catégories selon les jours et le lutteur l’a emporté chez les andres seulement le lendemain de sa victoire chez les ageneioi.

31C’est la même organisation qui prévalait dans le concours de Cyzique que l’athlète du 77 remporte ἀ[γε]νείων καὶ εἰς τὸ αὔριον προσβὰς ἀνδρῶ[ν]. C’est aussi un des plus grands champions de son époque, puisque, outre les victoires multiples dans les plus grands concours conservées dans le haut de la base retrouvée, il devait avoir à son actif au moins une victoire romaine.

32Ce type de performance n’est pas l’apanage des plus grands champions. Des athlètes plus modestes y parviennent, dans des concours aussi plus modestes. Le spécialiste du dolichos 142 est passé des paides aux andres dans le même concours de Chalcédoine et l’a emporté κατὰ τὸ ἑξῆς. À Smyrne dans le concours des Nemeseia et Balbilleia brièvement célébré à la fin du i^er s. de notre ère, un athlète a vaincu µιᾷ ἡµέρᾳ chez les ageneioi et les andres (38), tandis que peu ou prou à la même époque sans doute, Nikophanès de Thespies (28) réussissait à Thessalonique, dans un concours dont il tait le nom, à l’emporter le même jour πυθικοὺς καὶ ἰσθµικούς. C’est le seul cas connu par les palmarès de victoires dans ces deux sous-catégories des paides. Le palmarès de ce champion assez modeste, qui n’a remporté qu’une fois les Isthmia et les Nemea et aucun autre des concours majeurs du circuit, mentionne cet exploit dans son palmarès aux côtés encore des quatre victoires aux Kaisareia de Corinthe et aux Eleutheria de Platées ; comme cette partie de son palmarès est sans doute issue de la décision même du Conseil et du Peuple de Thespies13, c’est que ceux-ci jugeaient que la prouesse justifiait des honneurs décernés. Les nombreuses autres victoires dans des concours de second rang ne sont que sur le côté de la base, peut-être ajoutées à l’initiative de Nikophanès lui-même, et n’avaient visiblement pas le même prestige que cette prouesse ponctuelle, pourtant accomplie chez les paides.

33Ce type d’exploit suscitait donc l’admiration sous l’Empire. La plupart des cas conservés dans les palmarès concernent des victoires chez les ageneioi et les andres, et l’on peut imaginer que les cas de doublé paides-andres ont été réalisés dans des concours qui n’avaient pas de catégorie d’ageneioi. Aucun cas de victoires paides-ageneioi n’est connu. Ce n’est pas étonnant, puisqu’une telle performance est en grande partie liée à la maturité physique de l’athlète et à son expérience du haut niveau : il y a souvent de ce point de vue moins d’écart entre un champion de 20 ans et ses aînés qu’entre un adolescent de 17 ans et un ageneios, qui peut avoir trois ou quatre ans de plus que lui. Cela variait assurément selon les disciplines. La fréquence beaucoup plus grande de ce type d’exploit dans les sports de combat n’étonne pas et l’absence à ce jour de spécialistes du sprint est assez significative ; même le champion du dolichos Apollinarius (36), aussi dominant fût-il à son époque, n’a réussi l’exploit que dans des concours mineurs.

Victoires consécutives dans différentes célébrations d’un concours

34Dans ce cas, bien davantage que dans celui des victoires multiples dans une même célébration, les palmarès sont notre principale source d’information. Il est rarissime qu’une inscription soit spécifiquement dédiée à l’expression d’un tel exploit, et les catalogues de vainqueurs conservés sont trop rarement ceux de célébrations successives pour permettre d’y repérer les succès répétés d’un même athlète ou artiste14. Mais alors que le genre même du palmarès se prête idéalement à l’évocation de victoires consécutives, celle-ci est loin d’être systématique : bien des palmarès qui rapportent des victoires nécessairement consécutives n’en disent rien, ce qui reste étonnant, même si le lecteur de l’époque pouvait lui-même tirer les conclusions à partir de l’inventaire. Il n’y a qu’entre 25 et 30 palmarès qui explicitent le caractère consécutif de victoires. C’est une nouveauté de l’époque impériale. Ce n’est pas simplement une mode passagère : on rencontre régulièrement des cas depuis l’époque augustéenne jusqu’au iii^e s. ; c’est d’ailleurs dans le second tiers de ce siècle que se situe l’un des textes qui insiste le plus sur ce point (159). Mais à la même époque, de longs palmarès dans lesquels on devine des victoires consécutives ne disent rien de celles-ci (169, 171 à 174).

35Il n’est pas utile de revenir sur tous les cas ici, qu’on retrouvera sans peine grâce à l’index (s. v. ἑξῆς). Nous n’analysons que quelques exploits, parmi les plus remarquables, qui mettent en évidence les formules utilisées et les mécanismes en jeu.

36Le moyen le plus commun pour indiquer les victoires dans plusieurs célébrations successives d’un même concours est tout simplement d’en donner le chiffre assorti soit de κατὰ τὸ ἑξῆς, de loin le plus banal, soit de καθεξῆς, quoique pour ce dernier terme, dans le seul cas où l’on puisse analyser la séquence en question, il ne s’agit pas exactement de victoires dans un même concours mais d’une série de victoires dans un ensemble de compétitions (116). Dans tous les cas, le caractère consécutif peut s’appliquer non à toutes les célébrations successives du concours, mais seulement à celles auxquelles le champion a pris part. C’est vrai dans le 116, mais aussi par exemple dans le 77 : si cet athlète a remporté les [Ἴ]σθµια παίδων, ἀγενείων, ἀνδρῶν κ̣α̣τ̣ὰ̣ τ[ὸ ἑξῆς], cela ne signifie pas de manière certaine qu’il l’a emporté dans ce concours triétérique chez les paides, puis deux ans plus tard chez les ageneioi puis encore deux ans plus tard chez les andres ; c’est possible et, par rapport à ce qui subsiste de son palmarès, c’est une hypothèse défendable, séduisante même, mais on pourrait aussi, comme on le voit ailleurs, penser qu’il n’allait à l’Isthme que les années olympiques, et pas (ou pas toujours) les années pythiques, quand les Isthmia avaient lieu très tard dans l’année ; dans ce cas, les trois victoires s’étaleraient sur huit ans, tout en étant, du point de vue de l’athlète, consécutives.

37Le champion des victoires consécutives est le titulaire du 159, qui a aussi la particularité d’abréger l’expression κατὰ τὸ ἑξῆς en ἑξῆς. Non seulement il a, pour l’époque impériale, les plus grands chiffres de victoires consécutives dans les concours pentétériques (4) et triétériques (8), mais il a réédité ce type de performance dans un très grand nombre de concours. De manière singulière, c’est, en dehors de sa patrie, dans les plus grands concours qu’il a atteint les chiffres les plus impressionnants.

38Un siècle et demi auparavant, un autre très grand champion a mis en avant le caractère consécutif de ses victoires dans un concours, T. Flavius Archibios (40). L ’originalité de son texte est de varier les présentations, parfois avec des nuances qui, loin d’être seulement quelque recherche stylistique pour éviter les répétitions, donnent une signification particulière aux victoires consécutives. Pour ses deux succès aux Olympia de Pise, Archibios indique à chaque fois l’olympiade, et c’est seulement grâce à cela que l’on sait qu’elles appartiennent à deux célébrations successives. Suivent les couronnes des Kapetôlia ; alors que toutes ont été acquises dans le pancrace et trois d’entre elles chez les andres, après une première chez les ageneioi, Archibios est rentré dans des détails qui paraissent inutiles et qui participent d’abord d’une mise en scène de ses quatre succès romains. Là où il aurait pu écrire ἐν Ῥώµηι τὰ µεγάλα Καπετώλεια ἀγενείων παγκράτιον καὶ τρὶς κατὰ τὸ ἑξῆς ἀνδρῶν παγκράτιον15, soit grosso modo l’équivalent d’une ligne et demie, il n’a pas pris moins de cinq lignes pour décrire ses triomphes romains. Non seulement il précise le numéro de chaque Kapetôliade – un quasi-hapax qui n’est attesté autrement que dans l’épigramme 66B –, mais il répète à chaque fois la catégorie d’âge et ajoute encore différents verbes de la victoire (νικήσαντα, στεφανωθέντα), sans qu’on en voie la portée (cf. p. 646). Après plusieurs formulations plus classiques (avec κατὰ τὸ ἑξῆς ou τῆι ἑξῆς) il change d’expression pour le concours pentétérique d’Alexandrie : µετὰ µίαν πενταετηρίδα souligne la brièveté de l’intervalle (seulement quatre ans), tout en indiquant qu’il s’agit bien de la célébration suivante.

Victoires dans plusieurs concours consécutifs

39Seuls les palmarès peuvent nous conserver la mémoire de telles séries de succès, marquant l’invincibilité d’un champion pendant plusieurs mois voire plusieurs années. Les cas sûrs sont une quinzaine, ce qui n’est pas négligeable. Car n’oublions pas que même les plus grands champions – hier comme aujourd’hui – peuvent échouer à conserver leur invincibilité sur plusieurs compétitions consécutives : le fait même qu’à chaque fois ils vont jusqu’au bout de la compétition et, dans le cas de certaines disciplines, participent donc à un plus grand nombre d’affrontements à chaque occasion, rend plus difficile l’enchaînement des concours ; le succès même finit par fragiliser l’invincibilité du champion, qui est l’homme à battre, sur les épaules duquel l’attente de sa chute finit par faire peser une pression de plus en plus dure à supporter. Pour rester invaincu, il faut gérer soigneusement ses participations pour ne pas compromettre ses chances. C’est probablement la clef de la carrière de M. Aur. Asklèpiadès (107), qui est resté invaincu pendant six années : toutes ses victoires sont donc consécutives, mais il n’a pas besoin de l’expliciter et ne le fait pas. C’est d’ailleurs la limite à cette analyse : d’autres champions ont eu des périodes plus ou moins longues d’invincibilité, mais peu d’entre eux les notent. Les mentions de victoires dans plusieurs concours consécutifs ne peuvent guère apparaître que dans les palmarès classés chronologiquement, qui ne constituent qu’une minorité de l’ensemble. Et dans certains cas la succession même des concours remportés, si elle correspondait à celle du calendrier agonistique, suffisait à signaler au lecteur que le titulaire du texte avait vaincu successivement à tous ces concours. Le cas le plus frappant est le n^o 114. Ce coureur a enchaîné victorieusement les Kapetôlia, les Eusebeia, les Sebasta de Naples, les Aktia et les Nemea, donc tous les concours isélastiques majeurs de l’année 2, de la fin du printemps à la fin de l’automne ; il y avait certes l’un ou l’autre concours organisé en même temps ou entre deux agônes, mais ce concurrent s’est certainement contenté des compétitions majeures ; il aurait pu se vanter d’avoir vaincu à la suite dans ces concours, puisqu’il n’a pas connu la défaite, et il n’a pas manqué de souligner la chose dans le cas des cinq victoires consécutives à Tarse mentionnées plus haut, mais à moins que cette mention figurât dans la fin perdue du texte, ce n’était pas le cas ici : tout le monde le comprenait.

40Le plus ancien exemple de victoires κατὰ τὸ ἑξῆς explicitées apparaît chez le coureur milésien 4-5, qui présente au demeurant d’autres éléments de nouveauté, comme la mention de la citoyenneté athénienne qui lui a été octroyée. Encore est-ce un cas particulier, car rien ne dit qu’il a été invaincu durant toute la période qui va des Pythia de l’année 3 aux Nemea de l’année 4 ; simplement, il a réussi une combinaison inédite : il a été triastès à Delphes et à Argos ἐν τῶι αὐτῶι [ἐ]ν̣ιαυτῶι. Si notre interprétation de ce passage est exacte, cela en dit long sur la mémoire des exploits sportifs. Que les Anciens aient enregistré les triastai dans les concours de la période n’a en soi rien de surprenant ; que l’on ait pu se réclamer d’une primauté (πρῶτον πάντων) en accomplissant le même triplé (stadion, diaulos, course en armes) dans deux concours séparés par plusieurs mois est beaucoup plus exceptionnel, tout à fait extraordinaire même. C’est d’autant plus remarquable que l’on est à l’époque augustéenne ; car plus tard les victoires consécutives, qu’elles servent à se réclamer d’une primauté quelconque ou simplement à souligner une invincibilité momentanée, ont pu d’autant plus se banaliser que les concours étaient plus nombreux et plus rapprochés, même si d’un autre côté cet alourdissement du calendrier pouvait aussi fragiliser les athlètes. Qu’au début de l’Empire on se vante de deux exploits consécutifs aux Pythia et aux Nemea à plusieurs mois d’intervalle, montre que les Grecs enregistraient certaines performances avec une finesse qu’on ne pourrait pas soupçonner sans les palmarès.

41Le second exemple le plus ancien est tout aussi notable et partage une singularité avec les palmarès de Didymes et Milet, car il s’agit d’un des palmarès pour les filles d’Hermèsianax (21B), qui est probablement avec les n^os 4-5 l’autre plus ancien cas de mention d’une citoyenneté honorifique dans un palmarès. L ’interprétation du κατὰ τὸ ἑξῆς est ici aussi délicate et nous renvoyons à notre commentaire ad hoc. Toutefois la ressemblance avec le cas milésien doit être signalée, puisque comme le coureur a accompli à la suite le même exploit « dans la même année », Tryphôsa aurait pu utiliser les mêmes termes, puisque, si nous comprenons bien, ses triomphes dans le stadion à Delphes et à Corinthe, séparés de quelques semaines ou quelques mois, ont eu lieu la même année.

42À chaque fois, ces victoires sont l’occasion d’une primauté, qui est bien sûr ce qui est recherché dans ces enchaînements de victoires (46, 48-49, 100, 116, 215). Quelques cas peuvent être analysés de plus près.

43Pour P. Aelius Aristomachos de Magnésie du Méandre (48-49) et le boxeur M. Tullius [---] d’Apamée de Bithynie (100), les victoires consécutives constituent leur plus grand exploit. Dans le cas du Magnète, le palmarès est tout entier constitué de cette série de triomphes sans défaite pendant quatre ans dans les plus grands concours du moment. Les autres victoires sont simplement passées sous silence, juste sous-entendues pour certaines par le titre de périodonique du pancratiaste. Certes ces 11 victoires n’ont été acquises que chez les paides et, pour l’une d’elles, chez les ageneioi : la performance était moindre que si elle avait été accomplie chez les andres. Mais bien après la fin de sa carrière, Aristomachos y voyait toujours son plus grand fait de gloire, le seul qui demandât à être explicité ; s’y ajoutait il est vrai le très jeune âge auquel il avait remporté ses premiers succès, en particulier ceux à Olympie ou à Rome, alors qu’il n’était qu’un adolescent de 14 ou 15 ans. Le boxeur Bithynien est lui aussi olympionique. Qu’un concours majeur appartienne à la série des victoires consécutives est évidemment important : dans ces palmarès de grands champions, on ne s’attarde pas sur les victoires consécutives dans des épreuves moins illustres ; comme toujours, c’est le rang des concours et le caractère rapproché des victoires qui compte. Dans 100 (πρῶτος τῶν ἀπ’ αἰῶνος πυκτῶν νεικήσας κατὰ τὸ ἑξῆς Πανελλήνια, Ὀλύµπια, Ἴσθµια, Ἁδριάνεια, Ῥώµη[ν]), les quatre premiers agônes ont lieu en l’espace de quelques mois, en été et en automne de l’année 1 ; le dernier succès est beaucoup plus tardif, autour de six mois plus tard ; mais il n’y avait pas à cette époque de concours majeur entre les Hadrianeia d’Athènes et les Kapetôlia de Rome, sauf en Asie, et encore ces concours n’appartenaient-ils pas aux plus prestigieux ; on comprend que le boxeur n’ait pas mis son invincibilité en jeu entre Athènes et Rome, d’autant qu’il pratiquait une discipline dangereuse, où un mauvais coup pouvait empêcher de participer au concours suivant. Il aura donc mis toutes les chances de son côté en ne prenant aucun risque après ses triomphes en vieille Grèce pour préparer le point culminant suivant, le concours de Rome. La stratégie fut doublement payante, puisque non seulement il ajoutait à son palmarès le plus prestigieux des concours athlétiques avec les Olympia, mais il accomplissait une série de victoires qu’aucun boxeur – des champions d’autres disciplines l’avaient déjà fait avant lui – n’avait acquise jusque-là. On comprend dès lors que les auteurs de son monument funéraire aient détaché cet exploit du palmarès proprement dit, qui reprend en dessous, sur des couronnes agonistiques monumentales, les victoires de ladite série. Une nouvelle fois la richesse et l’incroyable niveau de détails de la mémoire sportive des Grecs sont révélés par la stèle funéraire de Tullius ; certes deux des concours remportés ne sont pas anciens, les Panhellènia et les Hadrianeia d’Athènes, ce qui rend la primauté plus aisée, mais qui saurait aujourd’hui dire, en dehors d’un cercle très étroit d’initiés, quel tennisman a enchaîné l’Open d’Australie et les Masters 1000 d’Indian Wells et Miami, ou quel cycliste a réussi la même année le doublé Paris-Roubaix - Flèche wallonne ?

44Le même degré de finesse dans l’analyse des records transparaît dans la base de Scandilianus Zôsimos (46), qui rappelle qu’il fut le premier à remporter τῇ αὐτῇ πενταετηρί[δ]ι, Ῥώµην πυθαύλας, Ἄκτια χοραύλας, Ἴσθµια β΄, Νέµεια. Ce ne sont pas en soi des victoires consécutives ; il a fallu pour remporter ces succès un peu plus de deux années, au cours desquelles l’aulète a certainement connu la défaite, d’autant qu’il était à la fois soliste et aulète de chœur et qu’il ne l’emportait que rarement dans les deux disciplines à la fois dans une même célébration ; mais il n’échappait à aucun lecteur de son palmarès que Zôsimos avait remporté l’année 2 les Kapetôlia puis les Aktia et très certainement les Nemea ; il manque donc les Sebasta et l’on ne sait si ces victoires peuvent être caractérisées comme consécutives. Il reste qu’on pouvait alors déterminer qui, en l’espace d’une pentétéride, avait remporté chez les aulètes ces quatre concours, et que Scandilianus Zôsimos a pu se vanter d’être le premier.

45D’autres fois les victoires successives dans des concours différents sont mises en avant à cause de leur succession rapprochée. Quand Antonius Septimius Publius (116), Zôsimos (46) ou Aristomachos (48-49) mentionnent leurs triomphes dans les plus grands concours du circuit, il s’agit de panégyries qui durent alors trente ou quarante jours, séparées au moins par les délais de transfert d’une cité à l’autre : chaque finale est séparée de la précédente par grosso modo entre trente-cinq et quarante-cinq jours, quand le calendrier est serré. Les onze victoires consécutives d’Aristomachos s’étalent sur quatre ans, les quatre de Tullius sur une année. Mais il arrivait qu’un athlète – c’est pour eux que le problème est aigu, surtout dans les sports de combat – remporte deux victoires en très peu de temps, car quand une même cité organisait deux ou trois concours à la suite, les compétitions étaient bien plus rapprochées ; on sait par exemple qu’Éphèse avait 52 jours seulement pour ses Olympia suivis de ses Balbilleia : un boxeur ou un pancratiaste qui se présente aux deux agônes est susceptible de faire deux compétitions finales en l’espace d’une vingtaine de jours sans doute.

46C’est pourquoi l’athlète de 82 précise bien que ses victoires à Smyrne ont été remportées Ζµύρναν κατὰ τὸ ἑξῆς Ὀλύµπια τῆς συνόδου, Ἁδριανὰ Ολύµπια ἀνδρῶν πυγµήν. Tout le monde savait que les deux concours smyrniotes se succédaient, il était à peine besoin de le signaler. Mais ici, surtout pour un sport aussi violent et traumatisant que la boxe, les victoires successives en l’espace de deux ou trois semaines seulement avaient un lustre particulier. En revanche le premier κατὰ τὸ ἑξῆς du n^o 82, qui commence la partie conservée du texte, après une lacune de longueur incertaine, reste pour nous définitivement ambigu dans ses implications (cf. le commentaire ad hoc). D’autres victoires remportées par cet athlète ont certes dû être consécutives, probablement celles à Tralles et aux Halieia de Rhodes, d’abord chez les paides puis chez les andres. Faut-il croire que le κατὰ τὸ ἑξῆς porte sur tout le palmarès et donc que toutes les victoires du palmarès ont été remportées à la suite ? Cela paraît difficile, et si c’était le cas, ce serait un exploit majeur. Peut-être faut-il retrouver des circonstances comparables à celles des victoires smyrniotes de notre champion chez le coureur de 125 (cf. infra) ; dans ce cas le κατὰ τὸ ἑξῆς porterait sur un petit nombre de concours mentionnés juste avant, même si la position de l’expression serait alors quelque peu inattendue.

47Des victoires rapprochées sont certaines pour les trois exemples suivants. Dèmètrios de Salamine de Chypre (123), pentathlonien, a vaincu à Antioche κατὰ τὸ ἑξῆς τὸν Ἁδριάνειον καὶ τὸν Κοµόδειον καὶ τὸν Εὐκράτους ; l’ordre réel des concours n’est pas sûr, puisqu’il est différent ailleurs, mais du moins ce texte assure-t-il que ces trois concours étaient organisés à peu d’intervalle de temps : dans la Syrie éloignée des circuits agonistiques majeurs et où les artistes et les athlètes ne se rendaient qu’une fois tous les quatre ans, les grands concours étaient rassemblés, ce qui permettait à ceux qui avaient fait le long déplacement de participer à tous ; certes cela avait comme conséquence qu’Antioche devait se résigner à ne pas voir les grands champions pendant plus de trois ans, entre chacun de leur passage, mais il valait mieux cela qu’une dispersion des compétitions.

48Il en allait de même dans la Cilicie voisine. Le coureur honoré à Tralles dans le n^o 114 a dû remporter à Tarse tous ou presque tous les concours qui y étaient organisés en l’espace de quelques semaines ou quelques mois : ce n’est donc pas moins de cinq victoires qu’il remporte κατὰ τὸ ἑξῆς. Un autre coureur (125) accroche à son palmarès dans la même cité au moins deux concours, [νε]ικήσαντα ἐν Ταρσῷ κατὰ τὸ ἑξῆς Ἁδριάνια Ὀλύµπια, [Κοµόδει]ο̣ν. Ailleurs, à Thyatire, un champion a remporté deux des concours célébrés par la cité, et cette fois l’expression utilisée insiste sur le caractère directement consécutif des deux agônes, Ἁ̣δριάνεια καὶ τ̣ὸ̣[ν ἑ]ξ̣ῆ̣ς̣ ἀγῶνα Αὐγούστ[ει]ον. Enfin à Rome, M. Aurelius Koros (78), pancratiaste, a vaincu non seulement aux Kapetôlia mais aussi tout de suite après dans les Épinicies qui cette année-là avaient été ajoutées pour célébrer le triomphe militaire de Lucius Verus (Ῥώµην Καπετώλεια ἀγενείων πανκράτιον· καὶ κατὰ τὸ ἑξῆς Ῥώµην Ἐπινείκια).

49Mentionnons encore le n^o 152, qui rappelle les succès d’un lutteur éphésien obtenus après un premier triomphe local dans la patrie : καὶ µετὰ τοῦτο νεικήσαν[τα] Ὀλύµπια ἐµ Πείσῃ τὸν πρῶτο[ν] τῆς περιόδου κριθέντα, Ἁδριάνει[α] ἐν Ἀθήναις, Ἐλευσείνια ἐν Ἀθήν[αις]. C’est un cas particulier, en ce sens que si nous n’avions pas le calendrier d’Hadrien pour nous donner la date exacte des Hadrianeia d’Athènes et des Eleusinia, on pourrait certes supposer qu’il s’agit de victoires rapprochées, mais on hésiterait assurément à parler de victoires consécutives. Or cela ne fait guère de doute, même s’il manque au palmarès du lutteur d’Éphèse les Isthmia, qui s’intercalaient entre les Olympia et les Hadrianeia : on ne sait si Asklèpiadès n’y a pas participé ou y a été défait. Dans tous les cas demeure l’idée que la victoire aux Olympia suit sans délai le succès aux Mariana Isthmia d’Éphèse, et chacun savait que les Hadrianeia et les Eleusinia athéniens se succédaient immédiatement. Ici ce n’est pas l’ordre chronologique qui a été choisi, puisque les Eleusinia ont lieu avant les Hadrianeia ; c’est la hiérarchie qui a prévalu dans la présentation.

50Il arrive que les victoires consécutives ne soient pas mises en évidence. Les lecteurs antiques le devinaient en lisant la succession des noms de concours, qu’ils savaient être célébrés les uns après les autres. La suite Kapetôlia-Eusebeia-Sebasta, dans le 106, est si canonique que le rédacteur n’a pas jugé bon de préciser que ces succès avaient été remportés à la suite, ce qui ne fait pas de doute à notre avis ; quand bien même le palmarès n’est pas classé dans l’ordre chronologique, l’on peut sans doute ajouter à cette série le Bouclier d’Argos, qui suit dans le palmarès et qui est organisé environ deux mois après les Sebasta.

Disciplines différentes sur une carrière

51On a pour l’Antiquité peu d’exemples sûrs de ce type de performances, qui restent extraordinairement rares de nos jours tant il est difficile d’exceller dans deux domaines parfois même voisins ou nécessitant les mêmes qualités physiques. Et l’on ne peut considérer comme des changements de disciplines le passage, par exemple, d’un sprinter du stadion au diaulos (138). Ce qui s’en rapproche le plus serait le cas de Marôn (64), si l’on admet, ce qui est loin d’être certain, qu’il doit être identifié avec l’athlète surnommé Halter, « le Sauteur » ; car après avoir été victorieux seulement comme lutteur et avoir été périodonique complet dans cette discipline, il serait alors devenu pancratiaste. Encore est-ce un changement qui se comprend, et le nombre d’athlètes à la fois lutteurs et pancratiastes est assez grand. Marôn a-t-il d’ailleurs abandonné la lutte ? Nous n’en savons rien.

Une performance exceptionnelle

Les victoires « absolues »

52Nous entendons par là les succès obtenus avec une domination totale dans l’affrontement avec l’adversaire. Ce n’est pas comme on le verra le degré le plus achevé de la victoire, puisque celui-ci est atteint quand il n’y a pas même d’affrontement sur la piste (ou, en théorie, sur la scène16). La plupart du temps les victoires s’obtiennent dans de véritables compétitions, lors desquelles il arrive qu’un concurrent surclasse ses adversaires. Dans un monde qui ne quantifie pas la performance, cette domination s’exprimait autrement qu’aujourd’hui, où les analystes sportifs s’extasient devant le plus grand nombre de points obtenus lors d’un championnat, le plus grand nombre de matches consécutifs sans défaite dans le championnat espagnol, la victoire sans perdre un set dans tel tournoi de tennis ou l’équipe de basket qui encaisse le moins de paniers. Le sport grec n’était pas dénué, loin de là, d’instruments pour évaluer la domination d’un champion dans une compétition. Les palmarès ne sont pas les seuls documents à nous renseigner sur ces exploits ; pour certains types, les tituli honorarii rédigés pour une victoire particulière sont même plus riches, puisque ce genre de performance est souvent ponctuel. Avant l’époque impériale, les palmarès évoquent rarement ces prouesses ; leur évocation ne devient jamais courante, à peine un peu plus fréquente entre 150 et 250 apr. J.-C.

53Dans le palmarès éblouissant de Leôn de Rhodes (1), on ne sait exactement sur quoi faire porter l’expression qui occupe à la l. 2 toute la partie centrale de la pierre, νικάσας πάλαν ἀπτώς ; faut-il seulement l’appliquer à la colonne centrale, ou aussi aux deux colonnes de part et d’autre, ce qui voudrait dire que l’athlète rhodien aurait fait toute sa carrière – à cette date du moins – en l’emportant ἀπτώς ? En analysant les documents relatifs au lutteur, nous avons souligné et la difficulté de l’exploit et l’impossibilité qu’il y a à en nier la possibilité. Cela dit, même chez les plus grands lutteurs des i^er-iii^e s. apr. J.-C., aucun ne s’est dit ἀπτώς ne serait-ce que sur une partie de sa carrière ; c’est de fait un exploit qui n’est enregistré, à plusieurs reprises, que pour une victoire dans un concours particulier, et l’immense majorité des attestations ne concerne que des concours locaux, où une telle performance paraît de fait bien plus facile à accomplir. Un doute subsiste nécessairement sur la portée de cet ἀπτώς.

54Dans le pentathlon, il fallait, pour l’emporter, compter plus de premières places dans les cinq épreuves constitutives de l’épreuve que ses adversaires ; cela revenait parfois à battre les adversaires encore en course à la cinquième épreuve, la lutte17. Le moyen le plus rapide de vaincre est donc de cumuler trois premières places, et en particulier dans les trois premières épreuves : c’est ce que les textes appellent une victoire πρώτῃ τριάδι, exploit visiblement rare. Le pentathlonien du n^o 81 l’a réussi, d’après notre restitution, une ou plutôt deux fois, dont une fois aux Koina Asias de Smyrne. Celui du 143 a réalisé la performance à deux reprises dans deux concours différents, mais seulement chez les paides, où c’est plus aisé, et une fois aux très modestes Sevèreia de Nicée. C’est encore dans un agôn de second rang qu’un athlète polyvalent chypriote a remporté plusieurs fois le pentathlon lors des trois premières épreuves, τριάδας π[ρώτας] (233). Le même pentathlonien qui a vaincu πρώτῃ τριάδι à Smyrne (81) a réussi une autre performance du même genre : ce ne sont pas les trois premières épreuves du pentathlon qu’il a remportées pour vaincre au final, mais dans les concours de Macédoine – c’est-à-dire tous ceux auxquels il a participé dans le circuit macédonien des concours qui suivait les Olympieia d’Athènes – il est resté invaincu dans le disque, le javelot et, selon le sens que l’on donnera ici à ἄλειπτος, soit à la course, soit à la lutte, µετὰ τὰ Ὀλυµπεῖα νεικήσαντα τοὺς ἐν Μακεδονίᾳ ἀγῶνας ἀπαραδίσκευτον ἀπαρακόντιστον ἄλειπτον. En d’autres termes il a remporté tous les pentathlons auxquels il a pris part cette année-là en Macédoine en étant premier dans trois épreuves. Cette constance est remarquable, et le serait encore aujourd’hui dans le décathlon moderne. Car sur des épreuves qui s’enchaînent rapidement et s’accumulent, même un athlète dominant n’est pas assuré d’être toujours le premier, y compris dans ses points forts.

55On rangera ici, un peu faute de mieux, la curieuse indication faite par Dèmètrios de Salamine (123). Son palmarès est modeste, ou plus exactement contrasté : dans l’ensemble il a surtout brillé dans des concours d’un prestige moyen, mais il a aussi vaincu à Delphes, Pouzzoles ou Naples. Là, ἐν Νεαπόλει τῆς Ἰταλίας Σεβαστά, il l’a emporté, précise-t-il, contre 87 inscrits. Comme on ignore à peu près tout du nombre habituel d’inscrits à une compétition de ce rang, le chiffre reste délicat à commenter18. S’il ne fait pas de doute qu’il était très élevé, ce qui justifie sa mention, on ne peut mesurer à quel point. En tout cas Dèmètrios, qui visiblement cherchait à mettre en valeur tous ses hauts faits dans son palmarès, le signale comme un mérite particulier. C’est un peu artificiel, puisqu’il n’y avait pas de mérite particulier à s’inscrire à un concours et qu’avant la compétition à proprement parler, les éliminatoires avaient dû réduire drastiquement ce chiffre de 87 concurrents, dont beaucoup n’avaient certainement aucune chance et n’étaient pas au niveau d’un Dèmètrios, qui lui-même n’avait pas la dimension d’un olympionique ou d’un kapetôlionique : dans le stade de Naples, le jour de la finale du pentathlon, Dèmètrios n’avait véritablement lutté que contre un nombre limité de concurrents, sans doute pas plus que ne pouvait en comprendre une unique course du stadion. Et la quantité ne faisait pas la qualité. Mais pour frapper les esprits, pour donner de l’ampleur à sa victoire napolitaine et l’ériger au rang d’exploit, il donne cette indication, unique dans toute l’Antiquité, du nombre d’inscrits.

56Ce type de « victoire absolue » est avant tout affaire d’athlètes. Mais on trouve dans les palmarès d’artistes deux ou trois performances semblables. Un citharède de Cos a vaincu à Rhodes à l’unanimité des votes du jury, Κλαύδεια ἐν Ῥόδωι [πρά]τ[ο]υ παµψηφεί (26). Le pythaule Korinthos avait fait preuve, lors des Hèraia d’Argos, d’une telle virtuosité lors de l’exécution du premier des deux nomes qu’il avait le droit de présenter, il était à ce point sûr de l’emporter qu’il n’a pas joué sa seconde partition, au contraire de tous ses adversaires : il l’emporta, ἑνὶ νόµῳ, τῶν ἀνταγωνιστῶν δυσὶ νόµοις εὐληκότων (27). Un autre aulète, Theodotos (65), semble avoir été si dominant jeune qu’il a été encouragé à affronter τοὺς ἄνδρας ; le contexte et les modalités de l’exploit nous échappent trop pour le comprendre : on ignore même s’il faut réellement le classer dans les performances accomplies lors d’un concours.

Les dominations durables

57Plus haut nous avons évoqué le cas du pentathlonien ἄλειπτος (81), dans le cadre des victoires « absolues » ; c’est en fait plus que cela, puisque le fait qu’il a été invaincu dans le disque, le javelot et dans une troisième épreuve signifie qu’il fut vainqueur dans le pentathlon dans plusieurs concours à la suite. Ἄλειπτος a ici un sens particulier, restreint à une des épreuves particulières du pentathlon. Mais d’autres athlètes se réclament ἄλειπτος pour une partie et même la totalité de leur carrière. Dans deux cas, l’inscription est trop lacunaire pour permettre de mesurer la portée de cette invincibilité (211, 224).

58Dans son palmarès en vers (49), Aristomachos se dit ἐν σταδίοις πᾶσιν ἄλειπτος ; en soi l’affirmation laisse sceptique. En effet, ce pancratiaste particulièrement brillant chez les jeunes l’a emporté κατὰ τὸ ἑξῆς dans onze concours, dont certains des plus importants, y compris les Olympia, les Kapetôlia. Mais s’il était réellement resté invaincu durant toute sa carrière, cela voudrait dire que sa série d’invincibilité détaillée dans ses palmarès ne s’était pas arrêtée aux Isthmia chez les ageneioi, mais s’était poursuivie chez les ageneioi d’abord puis chez les andres. Si cela avait réellement le cas, il est évident que le palmarès n’aurait pas manqué de détailler cette formidable série. On a donc affaire à une hyperbole comme les épigrammes pour les athlètes n’en manquent pas.

59Bien qu’il fût avant tout pancratiaste, et le plus grand de son époque, Dèmostratos Damas (85-87) fut aussi πύκτης ἄλειπτος. Il y a un léger paradoxe à ce que cette star du pancrace ait été invaincue dans la boxe alors qu’il ne l’était pas dans sa spécialité propre, mais Damas avait visiblement choisi soigneusement ses objectifs dans la boxe, avec pour objectif final le titre de périodonique ; à part en une occasion, tout à la fin de sa carrière, quand il a vaincu πυγµήν à Alexandrie, il n’a participé à la boxe que dans les concours de la période, hors les Olympia où il n’a pas même pris part visiblement : avait-il considéré que la concurrence y était de toute manière trop forte pour l’emporter ? Son successeur comme star absolue du pancrace, Asklèpiadès d’Alexandrie (107) a lui été πανκρατιαστὴς περιοδονείκης ἄλειπτος : jamais il n’a été battu, et l’athlète d’Égypte multiplie les qualificatifs et les expressions pour préciser que son invincibilité s’est accompagnée d’une domination totale, puisqu’il n’a jamais fait match nul et n’a jamais remporté une couronne dans des circonstances qui terniraient quelque peu sa victoire. On retrouve un cas parallèle à celui de Dèmostratos Damas dans un texte de Tralles : le pancratiaste Licinnius Inuentus (265) est πύκτης ἄλειπτος. Mais on n’est pas du tout au même niveau que celui de Damas ; Inuentus n’est que πλειστονείκης παράδοξος, et s’il est invaincu à la boxe, c’est sans doute qu’il a participé occasionnellement à un concours modeste où la faible opposition lui permettait de l’emporter, rien de plus.

60Bien que le terme soit d’origine athlétique, ἄλειπτος est passé dans le monde des artistes. Lors de sa très singulière carrière agonistique, P. Aelius Antigenidas n’a jamais perdu, remportant ἀγῶνας οὕσπερ καὶ µόνους ἠγωνίσατο ἄλειπτος ; il est vrai qu’il n’a que quatre concours différents à son palmarès, mais trois des plus prestigieux, les Kapetôlia, les Sebasta de Naples et les Eusebeia. En seulement huit participations, il a été couronné huit fois. Quant à Eklektos, il est resté invaincu dans toute sa carrière – ou dans les concours de la période ? –, au moins jusqu’aux Olympia de 261 ; il a varié les termes pour marquer son invincibilité : ἄλειπτος dans son palmarès olympique, mais ἀνίκητος dans celui de Delphes.

Faire renoncer ses adversaires

61Dans le sport antique, seule compte la victoire. Reconnaître la supériorité de l’adversaire et lui laisser la victoire n’a rien de honteux ni d’inhabituel. Renoncer n’est pas déshonorant. Ce n’est pas même blessant pour le vainqueur, au contraire d’aujourd’hui où un abandon, en particulier en finale, peut donner l’impression de priver l’adversaire d’une véritable victoire, ou, à tout le moins, réduit le mérite qu’offre un véritable affrontement. Dans l’Antiquité grecque, c’est tout l’inverse : pousser ses adversaires à abandonner et rester seul en lice est la reconnaissance ultime de sa supériorité, la marque indépassable de sa suprématie. Seuls quelques très grands champions parviennent à ce point de domination, et en tout cas fort peu l’ont noté dans leur palmarès. Même un Dèmostratos Damas (85-87), sorte de champion des champions, ne dit rien d’une pareille performance19.

62Le grec a un terme bien connu et fort anciennement utilisé pour désigner les disciplines où un concurrent a vaincu sans combattre, ἀκονιτί. Il est rare dans les palmarès d’époque impériale. La seule attestation indubitable est dans le 106, pour le coureur Abas d’Adada. Son cas est une parfaite illustration de la façon dont une telle situation, qui privait les spectateurs du spectacle de l’épreuve20, pouvait survenir. Abas avait en effet remporté à la suite les Kapetôlia de Rome, les Eusebeia de Pouzzoles et les Aktia de Nicopolis. Durant la tournée italienne sa domination a été totale ; ses adversaires ont pu voir pendant la période d’entraînement du Bouclier d’Argos, organisé après les Aktia, que le coureur d’Adada était toujours dans sa forme de l’été : au moment de l’épreuve elle-même, ils ont renoncé. Le n^o 242 a le même terme appliqué à notre avis à une série de victoires aux Halieia, aux Olympia de Pise, aux Pythia de Delphes et aux Isthmia, mais la date du texte est particulièrement incertaine. On serait tenté de proposer le même mot dans le n^o 40, pour une des couronnes d’Archibios aux Olympie de Pise (τὴν σκα΄ ὀλυµπιάδα ἀνδρῶν παγκράτ[ιον - ca 8 -]), où il manque certainement un qualificatif de la victoire. C’est aussi la restitution la plus probable pour une victoire de Leôn de Rhodes aux Hèraia d’Argos (1), dans la lutte des andres, dont la mention était suivie d’une précision commençant par un alpha ; mais le vocabulaire de la lutte offre assurément d’autres possibilités. Dans la lacune au début du palmarès 6 la place manque probablement pour ἀκονιτί, qui serait pourtant excellent pour le sens.

63Plutôt que ce vieil adverbe sans doute déjà attesté au vi^e s. av. J.-C., les champions des premiers siècles de notre ère ont utilisé pour des victoires sans combattre des formules plus longues et plus précises. Car ἀκονιτί pouvait aussi s’appliquer à des situations assez peu glorieuses : si l’on était seul à s’inscrire dans une compétition ou que l’on était le seul concurrent jugé digne de concourir à l’issue de la période de qualification, on l’emportait certes éventuellement ἀκονιτί, mais le mérite était assez peu élevé. Aussi le coureur d’époque flavienne Apollinarius (36) souligne-t-il que ses adversaires n’ont pas voulu concourir aux Isthmia, µόνος ἀπολαβὼν ἀπ’ αἰῶνος δ̣ιὰ τὸ µηδένα θελῆσαι τῶν ἀνταγωνιστᾶν ἀγωνίσασθαι ; il est remarquable que dans ce cas ce soit lors de la première victoire isthmique que ce renoncement de tous les adversaires d’Apollinarius est survenu, car le coureur rhodien n’en était alors qu’au début de son incroyable série de succès qui firent de lui un double vainqueur dans la période, invaincu dans tous les concours auxquels il a participé pour parvenir à cet accomplissement ; dans les célébrations suivantes des plus grands concours, la situation ne se reproduira apparemment pas, alors que la domination d’Apollinarius était alors encore plus éclatante.

64Les autres cas mentionnés dans les palmarès sont nettement plus tardifs, de la seconde moitié du ii^e s., lorsque les textes se font de plus en plus détaillés. Il n’y a pas à en conclure donc que le phénomène a été alors plus fréquent, ce sont seulement nos sources qui sont meilleures et la plus grande sobriété des palmarès du iii^e s. en cette matière fait que l’on n’a aucun exemple pour cette époque.

65Le pentathlonien de 81 a vaincu sans combattre aux Olympieia d’Athènes µόνον παροδεύσαν̣[τα] : il est entré seul sur le stade. Peut-être ses adversaires avaient-ils abdiqué avant le jour de l’épreuve, mais la formulation laisse plutôt entendre que c’est au dernier moment qu’ils ont renoncé. À Athènes comme ailleurs, le vestiaire qui jouxtait le stade était relié à la piste par un tunnel d’où, comme aujourd’hui les équipes de football, les participants jaillissaient sous les regards et les acclamations du public21 : notre champion en est sorti seul, µόνον παροδεύσας, abandonnant ses rivaux, qui ont préféré ne pas s’exposer à une inévitable défaite.

66Sans doute à peu près à la même époque, Antonius Lucius (77), spécialiste d’un sport de combat, a stoppé ses adversaires après le second tour de la finale des Koina Asia de Smyrne, στήσας τοὺς ἀνταγωνιστὰς µετὰ β΄ κλῆρον. Un coureur couronné de multiples fois dans les concours de la période est lui aussi parvenu à stopper ses adversaires avant même la compétition proprement dite (224) : il y est parvenu dès son inscription, µετὰ τὴν ἀπογραφήν. Quand les autres concurrents du stadion et du diaulos ont vu son nom sur la liste des inscrits, ils ont renoncé à s’inscrire eux-mêmes. Le plus remarquable est que cela eut lieu non dans quelque concours de second ordre, où face au champion multi-titré la concurrence n’était guère à la hauteur, mais dans un concours de la période, les Isthmia.

67Le champion toutes catégories de ce type de victoires est évidemment M. Aur. Asklèpiadès d’Alexandrie (107). Il use de la même formule qu’Antonius Lucius et que le coureur honoré à Éphèse. Celle-ci révèle par son tour à l’actif la façon qu’ont les Grecs de considérer cette situation ; c’est le champion qui stoppe ses adversaires, non eux qui lui cèdent la victoire. Alors qu’Antonius, dans la seule partie conservée de son palmarès, n’a qu’un exploit de ce type à signaler, Asklèpiadès a réédité la performance à de multiples reprises, neuf fois en tout d’après son inventaire, tantôt µετὰ πρῶτον κλῆρον, tantôt µετὰ δεύτερον κλῆρον, une fois « dès le début », ἐξ ἀρχῆς, enfin sans précision sur le moment. Déterminer à quels moments précis de l’épreuve correspondent ces différentes expressions n’est pas aisé. Faut-il faire une différence entre la victoire ἐξ ἀρχῆς d’Asklèpiadès et l’exploit réalisé par le coureur qui a stoppé ses adversaires µετὰ τὴν ἀπογραφήν ? Nous serions personnellement enclin à y voir la même performance, puisque l’inscription des concurrents avait lieu précisément au début du concours. Les neuf fois où Asklèpiadès a réussi cet exploit datent certainement des trois dernières années de sa carrière (sur six) et cinq sont très certainement consécutives, aux Kapetôlia de Rome, aux Eusebeia de Pouzzoles, aux Sebasta de Naples puis aux Aktia de Nicopolis et enfin aux Nemea. Il a remporté tous les concours majeurs de l’année italienne de la même façon, en ayant à peine combattu. À cette date, en 186, la concurrence avait abandonné tout espoir et ne tentait même plus sa chance. L ’année suivante, le scénario se répète au moins aux Augousteia de Pergame ( ?) et aux Koina Asias de Smyrne.

Un début de carrière spectaculaire

68Il arrive qu’un champion fasse une entrée remarquée sur le circuit professionnel. Un début spectaculaire n’est pourtant pas gage d’une carrière remplie : l’exploit est parfois isolé. Il peut être même la cause d’une carrière ratée car il n’est pas toujours facile au jeune de 15 à 18 ans de trouver les ressources psychologiques, l’équilibre, pour confirmer par la suite les immenses attentes placées en lui après un exploit initial. Dans les palmarès antiques, il n’y a qu’une fois où une prouesse de ce type est explicitée. Dans le n^o 152, le lutteur éphésien M. Aur. Asklèpiadès « a été vainqueur aux Olympia de Pise, premier concours de la période auquel il a été qualifié », assurément parmi les paides. Il a même enchaîné avec d’autres victoires dans des concours prestigieux, alors que quelques mois plus tôt il était encore à concourir dans les Mariana Isthmia de sa patrie, concours mineur inconnu hors d’Éphèse. Sa victoire lui avait certes valu une statue, mais c’est bien la première victoire lors de sa première participation dans un concours de la période, et dans le plus prestigieux de tous, qui est son action d’éclat au moment de l’érection de la statue, quelques mois après sa victoire aux Mariana Isthmia ; on ne sait pas ce que fut sa carrière postérieure, qui a pu être aussi bien brillante qu’anonyme.

69Ailleurs on ne peut que deviner ce type de performances, essentiellement dans des palmarès classés chronologiquement. Bien sûr un palmarès n’est dans bien des cas qu’un choix de victoires, et la première de la liste n’est pas nécessairement la toute première, même dans la catégorie des concours isélastiques. Il y avait de toute manière eu, pour ces athlètes désormais « professionnels », des victoires antérieures dans des concours ou plus modestes ou à prix d’argent. Mais chez les champions, surtout chez les athlètes et en particulier chez ceux qui ont brillé chez les paides, il y en a qui peuvent mettre tout en haut de leur inventaire chronologique un des plus grands concours de l’époque.

70Ainsi le premier succès majeur – il tait tous les autres – du coureur milésien de 4-5 est-il dans les Pythia de Delphes et il enchaîne avec une succession inédite de victoires aux Nemea. P. Aelius Aristomachos a accompli son plus haut fait chez les paides, et surtout, il a sinon commencé du moins s’est illustré particulièrement par une victoire très précoce, vers 14 ans sans doute, aux Olympia de Pise (48). Le spécialiste du dolichos Tatianus (72) cite en premier, dans son palmarès classé chronologiquement, les Sebasta de Naples ; il n’y a pas de raison de croire qu’il l’a emporté dans un autre concours isélastique avant, et à la date du texte cela reste sa victoire la plus prestigieuse. Dèmostratos Damas (85) a remporté sa première couronne dans les concours isélastiques soit aux Pythia de Delphes soit aux Panathénées. Le coureur honoré à Éphèse pour sa victoire aux Olympia locaux (138) cite en tête de ses trophées celui conquis chez les paides à Olympie ; la suite de sa carrière est moins brillante, puisqu’il n’a ajouté aucun autre concours de l’ancienne ou de la nouvelle période, mais il avait fait des débuts spectaculaires.

Les séries de victoires

71C’est une déclinaison particulière des victoires consécutives. Parfois un champion connaît certes des défaites, mais dans un type particulier d’agônes – et on pense d’abord à la période – ou dans un groupe qui a une identité, une cohérence, géographique ou chronologique, il compte un certain nombre de victoires consécutives.

72La série la plus remarquable est bien sûr le fait de remporter la période dans la période. Comme on vient de le faire remarquer sur un plan strictement théorique, cela ne signifie pas que tel champion a été vainqueur de tous les concours de la période en l’espace de quatre ans, mais qu’il a remporté au moins une fois les quatre agônes constitutifs du « circuit » ; comme les Isthmia et les Nemea sont triétériques et organisés deux fois en l’espace d’un quadriennat, il est possible de remporter la période dans la période tout en ayant été défait une fois à l’Isthme ou à Argos. La domination des champions qui remportent la période dans la période est telle au moment de leur exploit que cela devait être rare, mais c’est bien sûr possible ; au demeurant, on voit aussi que les plus grands champions ne participaient pas nécessairement aux deux célébrations des concours triétériques de la période.

73L ’époque impériale est particulièrement riche en exploits de ce type. La prouesse n’apparaît pas dans nos sources avant le début de notre ère ; cela ne signifie pas qu’on n’y voyait pas auparavant un exploit digne de mémoire ou qu’il n’était pas recherché par les champions. Simplement il faut se souvenir que le concept de période n’est pas si ancien dans les textes, et que peu de temps après son apparition dans les inscriptions, les Isthmia qui en constituent l’un des quatre éléments ont été sinon supprimés du moins transférés à Sicyone, et sans doute interrompus un temps. Pour que l’idée même de remporter la période dans la période puisse à nouveau avoir tout son sens, il fallait certainement que les Isthmia soient revenus à Corinthe.

74Dès les premières décennies de notre ère on trouve à plusieurs reprises la performance. Et la plus ancienne est l’une des plus remarquables, puisque Aristeas (12) remporte la période dans la période22 non pas dans une mais dans deux disciplines, la lutte et le pancrace, exploit qu’il est le premier à accomplir τῶν ἀπὸ τῆς οἰκουµένης. Un peu plus tard Hermas d’Antioche (13) se contente lui du pancrace ; nous avons expliqué ailleurs que la formule τὴν λοιπὴν περίοδον ἐν τῇ περιόδῳ σὺν δὶς Νεµείοις καὶ Ἀκτίοις καὶ Ἡραίοις signifiait qu’il avait non seulement remporté dans l’intervalle de quatre ans les Olympia, les Pythia, les Isthmia et les Nemea, mais aussi une seconde fois les Nemea, les Aktia qu’Auguste avait pratiquement hissés au niveau des concours de la période, et enfin les Hèraia qui faisaient partie de la période artistique ; bien avant que la « période complète » n’existe, Hermas avait réussi une sorte de super Grand Chelem23.

75Vers la fin du i^er s., le pythaule L. Cornelius Korinthos (27) a certainement accompli le même exploit même si ce n’est pas explicite. Il n’était assurément pas le premier à le réaliser, sans doute pas même le premier pythaule, exerçant une discipline ancienne présente dans les concours de la période des artistes certainement avant même que cette dernière ait été définie. Mais Korinthos est non seulement fier de cet accomplissement, qui est plus que le simple titre de périodonique qu’il arbore aussi, mais il avait besoin de préciser les choses, car il a agrémenté son exploit d’une prouesse supplémentaire : après avoir remporté la période, il est retourné à Argos au Bouclier et cette fois il l’a emporté avec un seul nome, quand ses adversaires usaient de leur droit habituel à présenter deux morceaux, νεικήσας δὲ τὴν ἐξ Ἄργους ἀσπίδα ἑνὶ νόµῳ, τῶν ἀνταγωνιστῶν δυσὶ νόµοις εὐληκότων.

76Tous les records sont destinés à être battus. Être vainqueur de la période dans la période a dû au fil du temps constituer un exploit certes ardu, mais qui ne donnait plus droit à aucune primauté : on le trouve encore comme titre de gloire chez un M. Aur. Hieroklès (90), mais des champions ultra-dominants, dont on peut parfois établir avec sûreté qu’ils ont dû à un moment donné ou à un autre de leur carrière accomplir ce haut fait, n’en font pas étalage : ils mettent d’autres exploits en évidence. Il n’a sans doute pas dû se dérouler longtemps avant que dans toutes les disciplines des concours quelqu’un ait accompli la prouesse, y compris dans des spécialités nouvelles : si nous avons correctement interprété le papyrus qui nous révèle son cursus agonistique, Apion (20) avait remporté la période dans la période chez les auteurs d’éloges en vers, et il était même deux fois périodonique en moins de quatre ans. Lui n’en dit rien, mais on trouve à partir de la fin du i^er s. des champions qui se vantent d’avoir remporté plusieurs fois la période dans la période. Ce n’est pas la même chose qu’Apion, deux fois périodonique mais qui a remporté toutes ses victoires en l’espace de trois ou quatre ans – donc une période – car il pouvait accrocher à son palmarès plusieurs épreuves lors d’une même célébration. Cette fois, ce sont des champions qui rééditent la performance lors des quatre années qui suivent leur première « période dans la période ».

77Le plus ancien à s’en vanter est Apollinarius de Rhodes dans le dolichos, vainqueur deux fois de suite de la période dans la période (36) ; de plus il a réussi l’exploit ἀνήσσατος : comme il ne compte que trois victoires dans les concours triétériques des Isthmia et des Nemea, soit il n’a pas participé à l’une des quatre célébrations qui ont lieu en huit ans, soit il n’a eu besoin que de six ans pour les deux périodes dans la période et il a remporté toutes les célébrations des concours de la période dans cet intervalle. Comme l’une des victoires néméennes a été acquise chez les paides, il nous semble que c’est la première hypothèse qui doit être privilégiée24 et qu’Apollinarius n’a donc pas pris part à toutes les célébrations des Isthmia et des Nemea. Peu après, Theodotos (37), probablement un artiste, a aussi deux séries de ce type à son actif, mais l’inscription delphique en son honneur ne précise pas si elles sont consécutives, et dans le cas présent le silence sur ce point pourrait bien signifier que ce n’est pas le cas. Un siècle plus tard c’est le trompette P. Aelius Serapiôn qui remet l’expression au goût du jour, pour deux performances exceptionnelles : il remporte d’abord la période dans la période à un âge exceptionnellement bas (135), puis il réédite la même prouesse (136). Un peu plus tard, un aulète est encore vainqueur de la période dans la période (157).

78Ces « périodes dans la période » ne sont pas en soi, comme on l’a vu, synonymes d’invincibilité, puisque les concours qui les composent forment un ensemble discontinu. On trouve par ailleurs des séries continues de victoires. C’est le cas chez le citharède Antonius Septimius Publius (116) ; toutefois là aussi, les trois lignes qui enregistrent des victoires πάντας κα̣θ̣εξῆς ne signifient pas que pendant toute la période nécessaire à l’obtention de ces nombreux succès l’artiste est resté invaincu : c’est seulement dans les concours concernés. Ῥώ̣µ̣ην β΄, Ποτιόλους β΄, Ν̣έαν Πόλ̣ι̣ν̣ γ΄, Ἄκτια β΄, τὴν ἐξ Ἄργο̣υ̣ς̣ ἀσπίδα, Νέµε̣α γ΄ πάντας κα̣θ̣εξῆς signifie que dans chacun des concours mentionnés il a remporté deux ou trois victoires consécutives. Plutôt que d’écrire Ῥώ̣µ̣ην β΄ καθεξῆς, Ποτιόλους β΄ καθεξῆς, Ν̣έαν Πόλ̣ι̣ν̣ γ΄ καθεξῆς, etc. le rédacteur a mis l’adverbe en commun, car dans ces concours-là il n’avait pas connu de défaite dans toutes ses participations pendant le temps qu’il faut pour acquérir un tel palmarès, soit un peu plus de huit ans, entre la première victoire à Naples et la dernière victoire aux Nemea. Toutes ces couronnes ont été obtenues lors de l’année 2, lors de trois années juliennes différentes, à quatre et huit ans d’intervalle. L ’exploit est de taille, la formulation elliptique lui donne des proportions encore plus grandes.

79La déclinaison extrême de la série est l’invincibilité pendant toute une carrière, en tout cas telle que nous la connaissons. On n’en a que deux exemples sûrs, l’un chez les athlètes, l’autre chez les artistes, tandis qu’un troisième cas est assorti d’une restriction qui en diminue considérablement la portée.

80M. Aur. Asklèpiadès (107) est resté invaincu durant les six années de sa carrière, entre 20 et 25 ans. Il décline d’ailleurs son invincibilité sous différentes formes. C’est d’abord le qualificatif d’ἄλειπτος dans ses titres, adjectif qu’il ne faut pas seulement associer à περιοδονείκης qui le précède, mais qu’il faut assurément entendre absolument. Car un peu plus loin il précise : ὅσους ποτὲ ἀγῶνας ἀπεγραψάµην πάντας νεικήσας, puis trois lignes plus bas, après avoir donné des détails sur ses victoires, il renchérit : πάντας οὕς ποτε ἀπεγραψάµην ἐν αὐτοῖς τοῖς σκάµµασιν στεφανωθείς25.

81Le héraut Valerius Eklektos de Sinope a réussi peut-être le même type de performance, sur une période beaucoup plus longue, puisque la carrière telle que nous la connaissons s’est étendue sur au moins vingt ans, si du moins ἄλειπτος doit être appliqué à l’ensemble de ses succès et pas seulement aux concours de la période auxquels il a participé. Il insiste beaucoup moins sur cette invincibilité que ne le fait Asklèpiadès : il est simplement dit dans ses titres ἀνίκητος (170) ou ἄλειπτος (171, 173). Il omet même de rappeler son invincibilité, quelle qu’en fût la portée, dans le palmarès athénien détaillé (172), long pourtant de 37 lignes.

82Le pentathlonien spartiate Kleôn (180) a lui remporté tous les concours sacrés et stéphanites auxquels il a participé. Mais c’est seulement dans la catégorie des paides qu’il a accompli ce tour de force. Le laconisme de la formule ne permet évidemment pas de savoir combien de concours il a remporté ni quel était le niveau de ces compétitions. Le seul titre qu’il porte26, ἱερονίκης, laisserait plutôt entendre qu’il a accompli cet exploit non pas dans les plus grands concours mais dans des compétitions modestes.

Les exploits singuliers

83Certaines performances sont rares et atypiques. Elles demandent alors à être explicitées et forment une parenthèse dans l’énumération linéaire des victoires.

84Un exploit répété au moins deux fois et sans doute trois fois consiste en une victoire remportée plusieurs années après la retraite sportive. Ce n’est pas tout à fait ce que nous appellerions aujourd’hui un come-back, car à chaque fois il semble que ce retour à la compétition ait été le fruit de circonstances exceptionnelles, et même dans un cas un retour non souhaité. Aucun ne dura et la reprise ne fut que pour un concours ou quelques-uns. Si nous en connaissons l’existence, c’est évidemment parce qu’il s’agit de retours victorieux et qu’ils concernent les plus grandes stars de leur discipline.

85Tib. Claudius Patrobios (24), qui doit probablement être identifié avec l’aleiptès de Néron, mentionne brièvement dans son palmarès, au beau milieu de ses victoires, un fait qui est postérieur à sa retraite, ἀπὸ καταλύσεως. Dans le commentaire du palmarès, nous plaidons pour un couronnement – [στεφθείς] est entièrement restitué – par Néron à Rome ; nous savons que l’empereur organisa à deux reprises des concours grecs dans l’Urbs ; ce doit être à cette occasion, et plutôt lors des premiers Neronia que lors de la seconde célébration27, que Patrobios fut vainqueur à la lutte des hommes.

86Une prouesse encore plus spectaculaire, parce que l’intervalle avec la fin de la carrière est certainement plus important et l’âge auquel elle fut accomplie déjà avancé, est le fait d’Asklèpiadès (107). Il cesse sa carrière à 25 ans, παυσάµενος τῆς ἀθλήσεως ἐτῶν ὢν κε΄, puis après cet arrêt prématuré, µετὰ τὸ παύσασθαι, il revint à la compétition des années après, µετὰ πλείονα χρόνον, pour un seul concours. Pour nous, c’est treize années après sa retraite, alors qu’il avait 38 ans, âge avancé même pour un pancratiaste. Il remporta malgré tout les sixièmes Olympia d’Alexandrie. Ce come-back ponctuel et sans suite n’était ni une envie de l’athlète de renouer avec la compétition ni un besoin particulier : Asklèpiadès nous dit au contraire que ce fut contraint, ἀνανκασθείς : seuls les empereurs, en l’occurrence Septime Sévère et Caracalla qui visitaient l’Égypte en 200, nous paraissent avoir été en position d’obliger cette superstar, qui occupe sans doute déjà à cette date les plus hauts postes au sein de l’association des athlètes, à redescendre dans le stade dans sa propre patrie – ἐν τῇ πατρίδι Ἀλεξανδρείᾳ dit le texte –, et à risquer la défaite qu’il n’avait jamais connue jusque-là.

87Dèmostratos Damas (85) n’énonce pas clairement ce qui nous semble être son exploit final, très semblable à celui de Patrobios et Asklèpiadès. C’est la reconstitution de sa carrière qui incite à situer en 176 de multiples victoires à Alexandrie, en présence là aussi de l’empereur, Marc Aurèle, et du César Commode. Dans le palmarès 87, les victoires qui précèdent, du moins celles sûrement restituables, sont toutes dans des concours de l’année italienne, les Kapetôlia, les Sebasta et les Nemea. Est perdu ensuite dans une lacune assez longue un concours qui a toutes les chances de se terminer par un nu : comme nous connaissons peu ou prou tous les concours auxquels Dèmostratos Damas a vaincu, il est extrêmement tentant de retrouver ici le principal concours de la patrie du pancratiaste de Sardes, le Chrysanthinos, [Χρυσάνθινο]ν à l’accusatif attendu. Dans ce cas il y a un trou assez important entre les Nemea de l’année 2 et le concours de Sardes, sans doute organisé l’année 4 ou au plus tard au début de l’année 1, en tout cas à une certaine distance des Nemea de l’année italienne. Or Damas, dans une carrière qui selon nous n’a pas été alors excessivement longue chez les andres, était habitué à remporter plusieurs concours isélastiques chaque année, parfois jusqu’à six ou sept certainement. Et dans la dernière année italienne où il a participé et vaincu durant sa carrière, il remporte encore quatre succès dans trois concours différents, dont un doublé boxe-pancrace aux Nemea, l’un des concours de la période : il est peu envisageable qu’il ait concouru entre ce dernier succès argien connu et sa victoire sardienne et subi autant de défaites. Pour nous, il s’est arrêté après les Nemea. Puis il a repris pour ce qui devait peut-être être un ultime « tour d’honneur » dans sa patrie ; il est encore vainqueur. Et puis les circonstances font qu’il sort de sa retraite : peut-être plusieurs années après, il participe aux concours alexandrins que la présence impériale avait pour une fois rendus moins marginaux, plus attractifs, voire leur avait donné exceptionnellement et peut-être même pour cette unique fois le rang de concours isélastique. Damas en profite pour ajouter une série exceptionnelle de nouveaux succès, puisqu’il aligne les victoires dans trois concours qui ont dû être organisés les uns après les autres. Nous n’excluons pas que Damas appartînt alors déjà à l’entourage du prince. En tout cas, on ne peut qu’être frappé du fait qu’il est à Alexandrie quand Marc Aurèle et sa famille y sont. Puis il est à Rome quand est célébré, en 176 encore ou plutôt en 178, le concours grec des Epinikia pour la victoire contre les Germains : c’est assurément son ultime victoire, même si elle n’apparaît pas à la fin de son palmarès (87) rangé chronologiquement, parce que l’agôn n’était pas isélastique.

88Le plus singulier de tous les exploits rapportés par les palmarès est très certainement celui dont se vante le coureur et pentathlonien Dèmètrios de Salamine de Chypre (123), déjà mentionné plus haut pour une autre performance, ou plus exactement une façon singulière de mettre en avant sa victoire aux Sebasta de Naples. Après la liste de ses victoires dans les concours isélastiques, il ajoute : κοινὸν Ἀσίας νεικήσας πέµπτῳ ἁπλῷ Ὀπτᾶτον, ποιήσας αὐτῷ τετράκις σύνδροµον. Les multiples interprétations qui ont été données de ce passage montrent assez l’incertitude qui pèse sur la nature exacte de l’exploit. Peu importe ici : pour Dèmètrios, champion méritant sans être exceptionnel, sans doute star à Salamine, avoir rivalisé avec Optatos, qui lui était visiblement un superchampion que son idionyme suffit à identifier même en Cilicie, était suffisamment important pour mériter deux lignes de texte sur les 17 que compte le palmarès.

89Tout aussi unique est la mention de l’adversaire d’Eutychiôn de Nysa lors d’un match nul (164), Ὀλύµπια Ἁδριανὰ ἐν [Ζβύρνῃ σὺν] Ῥούφῳ περιόδῳ. Le champion de Nysa est un grand boxeur, double kapetôlionique, mais dans les plus grands agônes de son temps, il n’a souvent qu’une ou deux victoires à son actif, il ne peut pas même mettre en tête les Olympia, les Pythia, les Isthmia et les Nemea, puisqu’il n’est assurément pas périodonique et le seul concours de l’ancienne période qu’il a incontestablement remporté, ce sont les Olympia ; dans les parties perdues, on peinera à restituer un autre des quatre concours les plus prestigieux. On comprend mieux dès lors qu’il ait tenu à souligner son match ex aequo en finale des Olympia Hadriana de Smyrne avec Claudius Rufus surnommé Apollônios, car ce dernier a, lui, remporté deux fois la période ; cette rencontre terminée ἱερά le met un peu sur un pied d’égalité avec un périodonique, ce qu’il a échoué à être, très certainement précisément parce qu’il a été privé des succès nécessaires par Rufus, le plus grand boxeur de son époque28.

90Les exploits sont donc plutôt abondants dans les palmarès, et encore est-il probable que nous n’apprécions pas aujourd’hui certains passages à leur juste valeur. Certaines performances doivent nous échapper purement et simplement. Et hier comme aujourd’hui, l’exploit a une valeur relative, qui se mesure à des échelles de temps et d’espace différentes ; ce qui sera vu à tel moment et telle place comme un exploit digne de mention ne sera même pas relevé dans un autre contexte. Il n’en reste pas moins que les palmarès demeurent notre meilleure source pour recueillir le souvenir des performances dont la mémoire appartenait très certainement d’abord à l’oralité dans les premiers siècles de notre ère.