1Terminer un palmarès, ou même une inscription pour une victoire particulière, par une formule résumant les autres victoires n’est pas à proprement parler une nouveauté de l’époque impériale22. C’est toutefois dans les deux premiers siècles de notre ère que le phénomène a non seulement été le plus courant mais qu’il a connu une succession de transformations à la fois bien identifiables et bien circonscrites dans le temps, au point que la présence de telle ou telle formule constitue un indice de poids pour dater un palmarès.

2Dès l’époque hellénistique, un champion qui compte ne serait-ce qu’une grande victoire dans les plus grands concours, ou plus couramment quelques succès dans ceux-ci, renonce régulièrement au détail de ses victoires dans les agônes de second rang. Soit il les tait purement et simplement ; soit il insère in fine une expression qui donne une idée de l’étendue de ses triomphes. Probablement au ii^e s. av. J.-C.23, Xenothemis de Milet indique ses succès aux Didymeia de sa patrie et dans les quatre concours de la période, puis conclut avec un laconique καὶ τοὺς λοιποὺς ἀγῶνας24. À Olympie, le palmarès d’un champion de Céphalonie25, déjà synthétique en soi (νικήσας πυγµὴν δὶς τὴν π[ερίοδον]), s’achève sur un vague [καὶ ἄλ]λους ἀγῶνας26 ou [καὶ πολλοὺς ἄλ]λους ἀγῶνας27. Ces exemples hellénistiques restent toutefois rares, alors que dès le début de l’Empire la formule finale devient banale. Paradoxalement, elle s’impose à l’époque julio-claudienne alors que les palmarès ont souvent été à cette date des inventaires détaillés, plus longs et plus diserts que ceux de l’époque hellénistique : dans ce cas, une formule finale pouvait pourtant apparaître moins utile que, par exemple, pour le très sélectif palmarès du périodonique Xenothemis.

Aperçu historique des formules finales

3Sous les julio-claudiens, les expressions utilisées sont du même style que celles qui existaient déjà. On peut distinguer deux archétypes :

• L’un utilise λοιπός. Dès le début du règne d’Auguste, Glykôn de Pergame (2) a remporté, outre les plus grands concours, [τοὺς λοι]ποὺς ἱερ̣οὺς [ἀγῶνας πάντας ? ἐν Ἑλλάδι καὶ Ἀ]σ̣ίαι καὶ Ἰ[ταλίαι], le dernier terme étant ici le plus important, puisqu’à cette date une victoire en Italie était une nouveauté et un élargissement de la géographie habituelle des concours auxquels concouraient les plus grands champions. Plus tard on trouve τοὺς λοιποὺς ἱεροὺς καὶ στεφανείτας ἀγῶνας π΄ (10), καὶ τ[οὺ]ς [λ]οιποὺς ἀγῶ[νας - - - - - - - Ἰτα]λ̣ία̣ς̣ [- -] (14). Λοιπός apparaît encore à l’époque flavienne, mais il est alors intégré dans des expressions qui changent radicalement la portée de la formule finale (26, 34).
• Les autres formules sont construites avec ἄλλος (deux ou trois fois ἑτέρους). C’est très rapidement le style de formule qui devient le plus courant. L ’état actuel de la documentation donne le sentiment que λοιπός devient de plus en rare et disparaît à la fin du ii^e s. Les formules finales avec ἄλλος durent un petit peu plus longtemps.

4Jusqu’au milieu du i^er s. au moins, la formule finale n’ajoute que deux types de précisions : sur la nature des concours envisagés d’une part, et dans ce cas on trouve soit ἱερός seul (2, augmenté peut-être de πᾶς, 18, 22), soit ἱερὸς καὶ στεφανείτης (10) ; sur l’extension géographique des succès d’autre part (2 ; 14).

5Dans les années 80, la formule finale, même quand elle reste fidèle aux modèles anciens, change profondément. Elle devient plus courante, plus stéréotypée, tout en s’adaptant probablement à des mutations dans l’organisation et notamment la classification des concours qui nous restent sinon inconnues du moins difficiles à appréhender, et dont on soupçonne à vrai dire l’existence en grande partie grâce aux formules finales.

6Si pour des champions des années 80-90 on trouve encore deux exemples de formules anciennes (καὶ τοὺς λοιποὺς ἀγῶνας dans 34, τοὺς ἄλλους ἀγῶνας πάντας dans 32), entre, grosso modo, la fondation des Kapetôlia et la fin du règne d’Hadrien, la formule finale se réfère à la périodicité des concours. On sait par le palmarès de Patrobios (24) que l’attention à la périodicité des concours mentionnés dans les palmarès n’est pas neuve sous les Flaviens : le grand lutteur d’Antioche insiste sur la nature pentétérique des concours qu’il énumère dans la seconde partie de son palmarès, des concours célébrés par le koinon d’Asie ou d’ailleurs28. La rareté d’un concours fait depuis longtemps partie du prestige auquel il peut prétendre : les Olympia et les Pythia, qui sont pentétériques, sont plus prestigieux que les Isthmia et les Nemea, organisés tous les deux ans ; des concours annuels ne peuvent rivaliser avec les compétitions quadriennales ou biennales. On trouve donc dans les formules conclusives soit seulement mention des concours πενταετηρικοί (ἑτέρους ἀγῶνας πεν[τετηρι]κούς dans 51), soit la junctura πενταετηρικοὶ καὶ τριετηρικοί, la formulation restant fidèle aux modèles anciens, soit avec λοιπός (τ̣ο̣ὺς λοιποὺς ἀγῶνας πενταετηρικ̣[οὺς καὶ τρ]ιετηρικούς dans le 26 ; τοὺς λοιποὺς ἀγῶνας πενταετηρικούς τε καὶ τ̣ριετηρικούς dans 44), soit avec ἄλλος (ἄλλους ἀγῶνας πενταετηρικοὺς καὶ τριετηρικούς dans 31 ; ἄλλους πλείστους πενταετηρικ[οὺς καὶ τριετηρικούς ?] dans 40 ; variante avec ἑτέρους dans le 51).

7Ce prestige de la rareté29 n’éclaire pas tout à fait cette insistance sur la périodicité : sauf rarissime exception30, les champions ne mentionnaient de toute manière pas à l’époque hellénistique ou sous l’Empire des compétitions annuelles ; inversement, si les champions n’avaient pas indiqué la périodicité des concours dans la formule finale, qui pourrait croire qu’ils y incluraient des concours annuels ou même uniques ? Alors que l’indication, non systématique mais récurrente, de la nature sacrée des « autres concours » dans les formules du début de l’Empire ne laissait aucun doute sur le type de concours envisagé, la nouvelle mode qui consiste à se référer à la périodicité laisse planer le doute – au moins pour nous lecteurs modernes – sur le rang et la nature des concours concernés : si un concours à prix d’argent, généralement considéré comme non sacré, est pentétérique ou triétérique, ce qui devait être fréquent, peut-il dès lors être inclus dans le calcul des ἀγῶνες πενταετηρικοὶ καὶ τριετηρικοί ? Compte tenu des évolutions ultérieures, nous serions tenté de répondre par l’affirmative. La formule πενταετηρικοὶ καὶ τριετηρικοί apparaissant au moment où probablement se formalise la catégorie des concours isélastiques, la formule finale semble bien concerner tous les concours qui ne sont pas ou plus isélastiques.

8Cette nouvelle formule ne s’impose que pendant un peu plus d’une quarantaine d’années. Encore est-elle concurrencée sous Trajan par des expressions originales et peu claires. Chez Tib. Scandilianus Zôsimos (46), la formule finale est non seulement fragmentaire mais introduit une expression nouvelle, obscure : καὶ ἄλλου̣ς [. . | - ca 6 -]α̣ς σπζ΄, [κ]α̣τὰ ἐπαρχείαν θε̣µ̣α̣τ[ικο]ὺς [chiffre ?] ; on ne sait même pas comment différencier les catégories : l’expression κατὰ ἐπαρχείαν doit-elle être distinguée des concours θεµατικοί ? Ou l’ensemble désigne-t-il une catégorie particulière de concours ? Si oui, s’agit-il d’un type de concours qui n’est pas inclus dans le total des victoires qui précède, dont la nature ne se laisse pas restituer ? Ou le chiffre était-il exceptionnellement indiqué avant la nature des concours ? Le parallèle offert par le 47, mentionnant τοὺς κατ’ ἐπαρχείαν ἀγῶνας, n’aide pas à répondre à ces questions.

9Dès le règne d’Hadrien et jusqu’à la fin de l’usage des formules finales, celles-ci font désormais référence tantôt à la nature des récompenses tantôt au « montant » de celles-ci. On peut, pour rendre compte des expressions possibles, considérer que toutes résultent de l’usage combiné ou non de trois termes :

• ταλαντιαῖος ; nous traduisons concours « doté d’un talent » ; en réalité on ne sait pas à quoi renvoie ce montant. Pourtant on connaît les rétributions d’un concours talantiaios à Aphrodisias31 ; rien ne permet d’y voir ni un minimum ni un maximum, une dotation pour une épreuve seule ou pour l’ensemble du concours. Au fond, c’est peut-être moins le montant qui importe que la catégorie que le terme recouvre : une catégorie d’agônes aux récompenses fortes. Dans le tennis actuel, des compétitions qui appartiennent à la même catégorie, par exemple les Masters 1000 ou les ATP500, ont des dotations qui vont quasiment du simple au double.
• ἡµιταλαντιαῖος : pas plus que pour le précédent terme, nous ne savons ce que recouvre exactement un concours « doté d’un demi-talent ».
• θεµατικός : si littéralement un concours θεµατίτης (107, 125) ou thématique est celui où l’on reçoit un thema, qui peut être une somme d’argent, il est délicat de faire la distinction avec les deux catégories précédentes. Est-ce un terme plus général qui englobe les concours talantiaioi et hèmitalantiaioi ? Les n^os 92 et 100, qui juxtaposent ταλαντιαίους et θεµατικούς, semblent s’y opposer. Ou les catégories ἡµιταλαντιαῖοι et θεµατικοί seraient-elles plus ou moins équivalentes ?

10De l’usage d’un seul de ces termes ou de la combinaison de deux d’entre eux – jamais les trois et jamais ἡµιταλαντιαῖος avec θεµατικός32 – découlent les différentes formules finales connues entre le règne d’Hadrien et les derniers Sévères.

11Une exception remarquable est le 131, où il y a encore davantage de types de concours détaillés, dont la combinaison ταλαντιαῖος + ἡµιταλαντιαῖος, mais aussi les κοινοὺς Ἀ[σίας], d’après notre restitution, et des concours dotés de (mille ? ou plusieurs milliers de ?) drachmes, [κ(αὶ) *χιλιοδ ?]ραχµιαίους. Il convient aussi de noter que les épigrammes également comportent parfois, en toute fin de poème, un ou deux vers qui remplissent le même rôle que les formules finales des palmarès en prose33 ; et le palmarès atypique et recherché dans ses formulations d’Apion (20) en a aussi une, anormale comme tout le reste du texte : ἄλλ[ο]υς πολλοὺ̣ς λαβόντ(α) σ̣τεφά̣ν̣[ου]ς̣.

12Alors qu’on trouve ταλαντιαῖος et ἡµιταλαντιαῖος dans certaines des plus anciennes formules de ce type sous Hadrien (52) ou au tout début du règne d’Antonin (53, 59), ensuite, grosso modo dans le troisième quart du siècle, c’est θεµατικός qui est plus courant, avant que ταλαντιαῖος et ἡµιταλαντιαῖος ne réapparaissent et deviennent à leur tour légèrement plus fréquents. Là aussi ce sont des changements dont on ne voit pas le sens. C’est d’autant plus déconcertant qu’on ne saisit pas la hiérarchie qu’il pourrait y avoir entre les concours thematikoi et les talantiaioi, puisque quand les deux termes sont associés, c’est tantôt thematikoi (116, 100) tantôt talantiaioi (92) qui est en premier. Quand talantiaioi et hèmitalantiaioi sont unis, le premier devance toujours le second.

13La formule finale est loin d’être généralisée, même s’il faut tenir compte du biais documentaire – la fin d’un certain nombre de palmarès est perdue – et du fait que certains palmarès ne s’y prêtaient pas, essentiellement les palmarès à couronnes. On cesse semble-t-il de l’utiliser sous Sévère Alexandre ; encore le dernier témoignage à ce jour est-il le palmarès archaïsant d’Alkandridas (155), ou peut-être le 153, dont la date exacte reste cependant difficile à établir.

L ’enrichissement des formules finales

14Durant toute la période où la formule finale a été utilisée, elle a pu être accompagnée de précisions autres que la seule nature ou périodicité des concours remportés.

Les performances exceptionnelles

15Certains champions se vantent d’avoir vaincu dans tous les concours à prix d’argent auxquels ils ont participé : l’aulète d’Aphrodisias Kallimorphos (53), ταλαντιαίους δὲ καὶ ἡµιταλαντια<ί>ους ἐνίκα ἅπαντας οὓς ἠγωνίσατο, l’athlète Dèmostratos Damas (85 et 87), ὅ[σους πάντας θεµατικοὺς ἠγωνίσατο πανκράτιο]ν̣ ὁµοῦ παίδων καὶ [ἀνδρῶν], ce dernier fournissant aussi le seul cas avec le 40 d’indication des catégories d’âge dans les formules finales34 ; le citharède Septimius Publius (116), θεµατικοὺς δὲ καὶ ταλαντιαίους πάντας ὅσους ἠγωνίσατο ; l’athlète de 129, καὶ θεµατικοὺς πάντας οὓς ἀντ̣η̣γωνίσατο ; dans ce dernier cas, l’affirmation a quelque chose d’étonnant, car contrairement aux trois premiers, qui sont de très grands champions qui ont dominé leur discipline, le titulaire de 129 n’a qu’un palmarès modeste dans les concours majeurs : s’il a bien remporté plus de 50 agônes thematikoi (chiffre supérieur, par exemple, à celui de Dèmostratos Damas ou de Marôn, cf. infra) sans avoir été défait, c’est ou qu’il choisissait des concours peu prestigieux, sans trop de concurrence, ou, hypothèse qui peut être complémentaire de la première, qu’il était plus à l’aise dans ces concours où la pression et l’enjeu étaient moindres qu’aux Olympia ou aux Kapetôlia.

Les bilans chiffrés

16Si certaines formules restent vagues, d’autres indiquent le nombre de victoires, exact ou approximatif, obtenues dans les concours non mentionnés dans l’inventaire détaillé, qu’il s’agisse de concours sacrés (au i^er s.) ou à prix d’argent.

17Nous possédons par ailleurs, hors formules finales, quelques autres indications du total des victoires dans les concours à prix d’argent. Hermagoras (79) a remporté 127 concours thematikoi, indication qui, de manière originale, peut-être même unique35, n’apparaît pas dans une véritable formule finale mais plutôt dans un bilan global, bilan qui précède un palmarès détaillé sous forme de couronnes. Menandros (61-62), dont on a perdu le début du catalogue des victoires dans les concours à prix d’argent, avait au moins trente succès à son actif, énumérés en détail. Asklèpiadès (107) affirme avoir remporté plus de concours thematikoi que de concours isélastiques, où il compte 34 succès. Eirènaios (141), qui est un des rares champions à fournir une liste de ses victoires dans les concours talantiaioi, compte 41 succès dans ceux-ci.

18Ces chiffres, peu nombreux au regard du nombre de palmarès qui nous sont parvenus, montrent ce que le bon sens et la connaissance de la vie agonistique de l’époque impériale pouvaient déjà nous faire dire. D’une part, les athlètes ont des chiffres très inférieurs à ceux des artistes ; dans une carrière de boxeur ou de lutteur, quelques dizaines de succès sont déjà un total remarquable, car il est compliqué pour ces sportifs professionnels de multiplier les compétitions dans une année sans prendre le risque d’y laisser des forces, sans compter les possibilités de blessure ; choisir de participer à des concours à prix d’argent, c’était aussi dans certains cas se priver de la possibilité de participer ou de vaincre dans un concours sacré. Il y a certes des exceptions chez les athlètes, avec des chiffres spectaculaires, mais elles sont peut-être apparentes : Artemidôros (35), avec ses 107 succès, n’est pas seulement pancratiaste et a probablement multiplié les victoires dans plusieurs spécialités (lutte et boxe) dans les concours mineurs ; de plus il a commencé à briller dès les paides. Quant à Mètrobios (31), nous serions enclin à penser que dans les agônes à prix d’argent, où il compte 120 succès, il ne faisait pas que le dolichos, mais s’alignait aussi sur le diaulos et/ou sur la course en armes. Toujours chez un coureur (113), nous n’avons qu’un chiffre approximatif pour un champion assurément bien plus modeste que Mètrobios, mais qui a tout de même vaincu dans trois spécialités différentes d’après son très court palmarès dans les concours sacrés : pour ce qui est des ταλαντιαίους καὶ ἡµιταλαντιαίους, il peut se vanter d’en avoir remporté ὑπὲρ τοὺς ἑκατόν. Le total d’un Hermogenès (34), d’un Hèras de Chios (66) ou d’un Agathopous d’Égine (96), capables de l’emporter sur presque toutes les distances, devait être extraordinairement élevé, d’autant que les courses, surtout les courtes distances, restent moins traumatisantes que les sports de combat et permettent donc de s’aligner plus fréquemment dans les compétitions.

19Les musiciens, pour qui la dimension physique est moindre, peuvent plus encore facilement multiplier les concours, et leur carrière peut être beaucoup plus longue que celle des athlètes. Visiblement, les agônes musicaux, beaucoup sans doute très modestes, pullulaient. La combinaison de ces facteurs permet à certains d’atteindre des totaux fabuleux, même si un chiffre comme 500 (222) n’est qu’une approximation.

20Parmi les chiffres, d’autres que l’impressionnant φ΄ sont des arrondis ou peut-être des formules de style. Sans surprise, une majorité ou presque sont des chiffres ronds (110 ; 120 ; 240 ; 250 ; 260 ; 320), surtout chez les artistes aux totaux dépassant la centaine. À cinq reprises on trouve aussi une formule générale d’approximation, avec trois chiffres différents, ὑπὲρ τοὺς ἑβδοµήκοντα, ὑπὲρ τοὺς ἑκατόν, ὑπὲρ τοὺς πεντήκοντα. Si nous ne connaissions depuis peu le palmarès de Cos 26 (ὑπὲρ [τ]οὺς ἑβδοµήκ̣ο̣[ντα]), on pourrait croire que ce sont des seuils très symboliques (50, 100), dont la valeur ne serait pas très grande, d’autant qu’il y a parmi les « plus de cent » un pancratiaste, pour qui cela relevait de l’exploit.

21Une formule comme ὑπὲρ τοὺς ἑκατόν participe malgré tout aussi au caractère hyperbolique qui émerge de temps à autre dans ces bilans finaux. Parmi les manifestations de ce phénomène, on remarquera le passage de πόλλους à πλείστους. Le premier se raréfie sans disparaître, mais quand il est utilisé par Alkandridas au iii^e s., ἄλλους πολλο̣ὺς θεµατικοὺς ἀγῶνας (155), il est désuet et l’expression dans son ensemble est insolite ; au ii^e s. on ne le trouve que dans 109. La locution τοὺς λοιπούς a en elle-même déjà une valeur exagérée, en ce qu’aucun champion n’a probablement remporté « le reste » des concours, i. e. tous les concours. Mais on n’hésite pas à ajouter πάντας : τοὺς ἄλλους ἀγῶνας πάντας (32) ; on peut peut-être le restituer dans le 46 ; après avoir cité la période et les Olympia de Pise en particulier, le coureur du 89 affirme haut et fort qu’il a vaincu καὶ τοὺς ἑτέρους ἀγῶνας πάντας.

La géographie des succès

22Parmi les précisions ajoutées dans les formules finales, on a déjà vu que Dèmostratos Damas indiquait qu’il l’avait emporté aussi bien chez les paides que les andres, bien que le reste de son palmarès montrât déjà qu’il avait vaincu dans les deux catégories d’âge. Trois champions complètent leur bilan final avec des indications géographiques. Les premiers appartiennent encore à la période où la formule finale concernait les concours sacrés et seulement eux, puisque Glykôn de Pergame (2), au début de l’époque augustéenne, ajoute à son palmarès qu’il a aussi à son actif [τοὺς λοι]ποὺς ἱερ̣οὺς [ἀγῶνας πάντας ? ἐν Ἑλλάδι καὶ Ἀ]σ̣ίαι καὶ Ἰ[ταλίαι], et Dèmokratès a une expression comparable (14) ; nous avons déjà commenté supra la nouveauté que Glykôn introduisait ainsi36. Les deux autres cas appartiennent à des champions bien postérieurs, quand la formule finale ne concerne plus que les concours à prix d’argent. La palme de l’originalité revient à Dèmètrios de Salamine, dont le palmarès présente par ailleurs bien des singularités, puisque ses 47 succès dans les concours talantiaioi ont été remportés dans des concours παντὸς κλίµατος τῆς οἰκουµένης ; plus classique est la conclusion du palmarès du poète-auteur d’éloges en vers Ptolemaios (109), vainqueur ταλαντιαίους π̣ολλοὺς ἐν τῇ Ἀσίᾳ καὶ τῇ Ἑλλάδι, dans une expression très voisine de celle que l’on trouve chez d’autres pour parler de leurs victoires dans les concours sacrés. Il ne faut pas se leurrer : ce n’est pas l’extension géographique aux dimensions de l’Empire romain (οἰκουµένη = orbis) chez Dèmètrios qui est plus glorieuse que les deux seules régions (Ἀσία, Ἑλλάς) chez Ptolemaios ; au contraire, le pentathlonien de Salamine a, pour arracher ses 47 succès, glané les bourses non seulement en vieille Grèce et dans les cités d’Asie mais aussi certainement en Syrie, peut-être en Égypte et en Occident. Les concours de ces dernières régions étaient dans la plupart des cas considérés comme moins prestigieux et plus accessibles que ceux des plus anciens foyers de l’hellénisme, qui attiraient les plus grands champions et étaient plus difficiles à conquérir, en particulier, très certainement, les plus dotés des concours d’Asie. N’avoir que des concours ἐν τῇ Ἀσίᾳ καὶ τῇ Ἑλλάδι à son palmarès des concours à prix d’argent, c’est montrer qu’on n’a pas cédé à la facilité des succès glanés dans les compétitions de second ordre – mais parfois grassement rétribuées – aux quatre coins de l’Empire.

23Enfin l’athlète titulaire du 228 ajoute un détail tout personnel : s’il a remporté des concours talantiaioi, soit [εἴκ]ω̣σ̣[ι] soit, beaucoup moins probablement, 120, c’était οὐκ ἀναγκαίο[υς ou -ως], sans nécessité de participer à ces concours pour l’argent qui permettait ensuite de financer une carrière professionnelle et de prendre part aux compétitions majeures.

Type de concours ou précision « géographique » ? Le cas des Koina Asias

24Reste un point à introduire ici, puisqu’il n’est documenté que par les formules finales, qui mentionnent parfois des catégories de concours (Koina ou κατὰ ἐπαρχείαν) qui restent énigmatiques. Nous n’avons pas de réponse solide à proposer : les palmarès sont trop allusifs et les autres textes sont muets sur ce point. On ne peut toutefois qu’être frappé par la similitude entre quelques palmarès qui mettent, à la même place et toujours à la fin, mais sous des expressions différentes, des concours dont on doit dès lors se demander s’ils n’appartenaient pas à la même catégorie, ou du moins à des catégories semblables :

• Le n^o 112 est un palmarès de Tralles forgé sur le modèle de ceux qui, dans la même cité, mentionnent systématiquement in fine le total des victoires dans les concours talantiaioi et hèmitalantiaioi. Mais à la place qu’occupe généralement cette formule, on a Κοινὰ Ἀσίας ια΄.
• Dans le palmarès hyper-hiérarchisé du héraut et kômôdos Philoxenos (131), nous avons proposé de restituer au début de la longue séquence finale, sans équivalent, καὶ Κοινοὺς Ἀ[σίας] suivi d’un chiffre. Ces Koinous se trouvent juste avant deux catégories habituelles, [καὶ ταλαν]-τιαίους δεκάπεντε, καὶ ἡµιταλα[ντιαίους] puis un hapax, quel qu’il soit, [κ(αὶ) χιλιοδ ?]ραχ-µιαίους πε΄. Le supplément adopté jusque-là, à savoir κοινοὺς ἄ[λλους], amènerait tout autant à s’interroger sur la typologie de ces concours « communs », car il faudrait également y voir des concours organisés par des koina provinciaux, y compris éventuellement en Asie.
• Dans deux palmarès pratiquement contemporains, on trouve la formule, que nous évoquions déjà supra, κατὰ ἐπαρχείαν (46, 47) ; or la notion d’ἐπαρχείαν, si bien évidemment elle ne se confond pas avec celle de koinon, s’en rapproche aussi beaucoup dès que l’on est en contexte agonistique à l’époque d’Hadrien.
• Dans le palmarès de Marcianus (52), une des plus anciennes attestations des formules finales avec mention d’une catégorie explicitement en relation avec l’argent, on a curieusement le seul cas de mention de ἡµιταλαντιαῖος seul ; mais les concours qui précèdent sont précisément des Koina des différentes provinces d’Anatolie et des Balkans (Asie surtout mais aussi Pont, Galatie, Macédoine, Bithynie et Cappadoce). On sait que tous sont isélastiques à cette date, mais le sont-ils toujours quand plus tard apparaît la junctura ταλαντιαίους καὶ ἡµιταλαντιαίους ?

25Peut-être faut-il songer sérieusement à voir dans certains Koina des agônes talantiaioi, même s’il arrivait que l’on extraie les Koina pour les citer nommément dans l’inventaire, parce qu’ils étaient tout de même plus prestigieux, même s’ils n’étaient pas ou plus, ou dans bien des cas pas encore isélastiques.