Chapitre 2 – Géographie des palmarès

1À de notables exceptions près, la géographie des palmarès est le résultat sans surprise du croisement entre deux caractéristiques : l’abondance de la gravure – ou des trouvailles1 – d’une part, le prestige du siège des concours dans le monde agonistique de l’autre (voir la carte des provenances pl. I). Cela définit un petit groupe auquel il faut ajouter les patries dispersées de quelques champions qui ne sont pas originaires de ces mêmes centres. De manière générale, les palmarès ont surtout été trouvés dans les sièges des concours où l’ont emporté les champions, beaucoup plus que là où ils sont nés.

2Près de la moitié des documents proviennent de la province d’Asie, un quart environ de l’Achaïe ; les dix cités les plus riches en document (en rouge sur la carte) cumulent un petit peu plus de la moitié du total. Les cités grandes productrices d’inscriptions et dont les fouilles ont permis et permettent parfois encore aujourd’hui une large récolte ont livré le plus grand nombre de palmarès, comme elles arriveraient en tête pour d’autres catégories de textes : Éphèse précède Delphes et Athènes ; sans même rassembler toute la documentation il aurait été possible de dégager ce trio de tête. Le principal intérêt de l’analyse des provenances est dans le fait que des cités ont donné plus de palmarès qu’attendu, ainsi que dans l’existence de zones qui n’ont livré pratiquement aucun palmarès, malgré une épigraphie abondante ou en tout cas non négligeable.

3Éphèse cumule absolument tous les critères qui expliquent l’abondance des palmarès dans une cité : elle organise à partir de la fin du i^er s. plusieurs concours ; certains d’entre eux offrent, grâce à des fondations, des statues pour leurs vainqueurs ; la cité a elle-même donné des champions et on y a gravé abondamment toutes sortes de textes, y compris agonistiques. À première vue on pourrait croire que la gravure des palmarès à Éphèse prend son envol dès que Domitien favorise la cité et qu’elle possède dès lors plusieurs agônes du plus haut rang ; mais le plus ancien palmarès, s’il est bien de cette époque, est pour un athlète de la cité (39), un champion local qui n’est pas même extraordinairement brillant à la date du texte, puisque son plus haut fait est une victoire aux Isthmia. Ce n’est que dans la seconde moitié du ii^e s. que les palmarès se font abondants dans la capitale de l’Asie, notamment grâce aux statues érigées pour les vainqueurs aux Ephesèa (au moins cinq textes)3, qui n’est pas même le plus prestigieux des concours de la cité mais qui bénéficiait de la générosité de son agonothète éternel Tib. Iulius Rheginus. Il n’y a en revanche aucun palmarès en lien explicite avec le plus illustre concours de la cité à cette époque, les Hadrianeia. Pour les Olympia locaux, on sait par les lettres d’Hadrien aux technites dionysiaques qu’une fondation assurait l’érection de statues pour les vainqueurs, et l’on a retrouvé quelques bases érigées sur les fonds laissés par Tib. Cl. Nysios4 ; mais curieusement aucune ne porte de palmarès et il en va de même pour les bases en l’honneur de vainqueurs aux Artemisia5 ; pour les Mariana Isthmia on a en revanche un palmarès (152), qui s’explique par le prestige acquis immédiatement après sa victoire éphésienne par l’athlète vainqueur, devenu olympionique ; peut-être peut-on ajouter un texte en relation avec les Pythia (266). On s’explique mal ces usages différents pour les bases liées à ces concours, car pourquoi se priver de l’aura des grands champions, quand il suffit, pour accroître le prestige du concours concerné, de dérouler les titres ou les victoires d’un périodonique ou d’un kapetôlionique ?

4On sait que Cos a fourni des inscriptions en abondance. Il reste que le nombre de palmarès gravés retrouvés est d’autant plus notable que la cité n’avait aucune tradition de gravure des palmarès6 et ne possédait plus à l’époque impériale de grand concours. Les Asklèpieia ont perdu leur lustre d’antan et disparaissent des inventaires des champions étrangers7 ; le dernier concours coéen à apparaître est un agôn nouveau, des Klaudieia à la renommée très faible, nommés uniquement dans le seul palmarès de παῖς κιθαρῳδός (22), dans la proche Iasos. Ce sont donc des palmarès d’autochtones que l’on a retrouvés dans l’île, dans des disciplines sinon marginales du moins pas toujours bien représentées dans les palmarès. Aux côtés de deux spécialistes de la course et du pentathlon, qui sont de manière tout à fait remarquable quasi contemporains (6, 7), on trouve en effet un auteur d’éloges (8)8, le seul palmarès de poétesse (18) – peut-être encore auteure d’éloges –, le plus ancien palmarès d’un musicien périodonique (244), le plus ancien palmarès de citharède adulte9 (26) et le seul palmarès qui privilégie les participations de l’athlète sur ses victoires (19). On aimerait connaître la spécialité du champion honoré par Septime Sévère et Caracalla (128) et celle du 195, car ce sont les seuls textes coéens postérieurs au i^er s. Ce nombre significatif de textes prouve l’attachement de la cité à une tradition agonistique qui jusque-là ne s’affichait pas de manière aussi spectaculaire. Pourtant la cité comptait déjà des olympioniques aux époques classique et hellénistique10, à des moments où l’on gravait un nombre considérable de textes de toutes sortes sur l’île.

5Si Athènes figure dans le trio de tête, la quantité de palmarès retrouvés n’est pas tout à fait à la hauteur du prestige des concours célébrés à partir d’Hadrien et du foisonnement épigraphique, notamment sous les Antonins. De nombreux textes sont tardifs : est-ce lié au prestige croissant des concours anciens et des sièges de concours antiques11 ? Et fait notable, il n’y a à ce jour que très peu de palmarès pour un Athénien à Athènes. On ne peut trouver que la double exception de 160, qui est l’un des très rares palmarès hippiques et qui se présente d’abord comme un monument en l’honneur d’un anticosmète ; la forme est adaptée à cet objectif puisqu’il s’agit d’un hermès, pilier offert par ses enfants : le palmarès vient après l’inscription principale et est quasiment secondaire. Par ailleurs deux athlètes athéniens ont leur palmarès dans leur patrie (54 et 187), mais le second est si modeste qu’on s’étonne des honneurs qui lui ont été accordés. On sait certes par les prosopographies des vainqueurs dans les grands concours qu’Athènes ne fournit plus guère de grands champions, mais il est aussi peu probable que, notamment dans le domaine des arts, elle n’ait possédé absolument aucun hiéronique digne d’avoir son palmarès affiché sur l’agora ou ailleurs. La cité elle-même n’honore pas les vainqueurs dans ses Hadrianeia, Olympieia, Panathénées ou Panhellènia. Ce sont les vainqueurs eux-mêmes qui prennent parfois l’initiative de faire ériger leur statue dans l’une des plus grandes capitales agonistiques de l’Empire. Peu de textes sont alors explicitement liés à une victoire dans la cité ; ce n’est vraiment le cas que du coureur alexandrin qui, plutôt que de faire l’inventaire de toutes ses victoires, ne mentionne, dans le texte initial de sa base, que ses succès athéniens (130).

6Tralles a d’assez nombreux palmarès et est presque surreprésentée par rapport à la quantité d’inscriptions retrouvées dans la cité carienne et le prestige des concours qui y étaient célébrés. Cela s’explique simplement par l’érection de statues, dans la seconde moitié du ii^e s., pour des vainqueurs aux Olympia, grâce à une fondation. Le phénomène n’a semble-t-il pas duré mais il a suffi pour qu’on ait retrouvé davantage de palmarès là qu’à Smyrne ou Olympie.

7À un degré moindre, Philadelphie connaît une situation comparable à celle de Tralles ; ses concours ne sont pas des plus prestigieux, mais des vainqueurs aux Deia Haleia y ont leur statue, et dans ce cas on gravait visiblement volontiers le palmarès entier.

8Si l’on songe au prestige des concours de Smyrne, au nombre des inscriptions retrouvées et au fait que l’ethnique est un des mieux attestés chez les champions, le total des palmarès retrouvés dans la vieille cité ionienne n’est pas considérable. De plus, les textes sont assez tardifs, comme à Éphèse ; le plus ancien n’est pas antérieur à la deuxième moitié du ii^e s. Les premiers ne concernent que de très grands champions (74, 96), dont un enfant de la cité (77). Par rapport à ce profil, on est surpris que la cité elle-même ait honoré d’une statue le titulaire de 118, vainqueur à Smyrne des seuls Hadriana Olympia, et dont le palmarès ne cite, à côté de ce concours qui n’est pas même le plus prestigieux de la cité, que deux agônes de second rang à Thyatire ; les motivations de la cité nous échappent et le contraste est saisissant avec les autres palmarès, qui appartiennent à des champions d’exception ou du moins très titrés.

9Delphes reste un lieu important d’affichage des palmarès, surtout pour les artistes qui considéraient les Pythia comme le plus important des concours de la période. Le seul palmarès retrouvé pour le premier siècle de l’Empire est aussi le plus singulier, puisqu’il s’agit de celui des filles d’Hermèsianax (21) ; le fait que les Pythia aient été, d’après la documentation actuelle, l’un des rares concours à proposer des épreuves féminines explique bien sûr en partie la chose. Delphes suit ensuite le mouvement général, avec une reprise sous les Flaviens puis une croissance du nombre de palmarès sous les Antonins. Dans les décennies 80-150, les palmarès concernent des artistes, dont trois aulètes, et on trouve encore trois autres spécialistes de l’aulos entre le milieu du ii^e s. et Gallien. Pour les pythaules et les choraules, moins estimés que leurs confrères acteurs et citharèdes, il était visiblement important d’afficher leurs accomplissements au siège des Pythia. À ce jour, les seuls palmarès delphiques dont on puisse affirmativement dire qu’ils sont ceux d’un athlète (masculin) sont les textes de Dèmostratos Damas (86, 87). Ce sont des bilans complets et détaillés de ses victoires, et si le pancratiaste de Sardes l’a emporté trois fois à Delphes, dont une fois à la boxe, il ne semble pourtant pas entretenir de rapports particuliers avec la cité ou le sanctuaire ; notamment il n’est pas xystarque des Pythia12. Malgré cela il n’y a pas un mais deux palmarès de lui dans le sanctuaire, gravés après sa carrière. Que la superstar du pancrace sous Marc Aurèle soit présente à Delphes se comprend évidemment, mais il n’y a pas d’autre athlète masculin attesté par les palmarès. Il faut toutefois nuancer ce constat qui pourrait faire croire que désormais les Pythia seraient moins prestigieux pour les athlètes : à la même époque, on n’a pas plus de palmarès pour des athlètes à Olympie.

10Nous avons commenté ailleurs le nombre limité de palmarès à Olympie13, surtout passée l’époque julio-claudienne : les explications, qui ne sont pas aisées à trouver, sont sans doute multiples, et il n’est pas même exclu que la rareté relative des trouvailles soit pour une part due à un changement de support, un passage, partiel, de la pierre au bronze. Il n’en reste pas moins que le sanctuaire de Zeus et siège du plus prestigieux de tous les concours a, dans l’affichage des palmarès, une importance bien moindre que par le passé.

11Les deux autres sièges de concours de la période sont sans surprise moins riches en documents. Argos a livré deux palmarès seulement mais curieusement quasiment contemporains, puisque l’un est datable de la fin du règne de Trajan, l’autre du début de celui d’Hadrien. Ils sont qui plus est extrêmement proches dans leur structure et dans leurs formulations, et tous deux sont introduits par une formule indiquant qu’Argos a autorisé l’érection du monument, offert à chaque fois par la patrie de l’honorandus. Est-ce un hasard ou ces deux textes sont-ils les témoignages d’une courte période où la cité des Hèraia et des Nemeia aura favorisé l’érection de statues pour les plus remarquables vainqueurs dans ces concours ? Cela correspond-il plus simplement à une période brillante pour ces concours, pour des raisons économiques ?

12Quant au siège des concours de la nouvelle période, seules Rome et Naples ont livré des palmarès, illustrant l’expansion des agônes vers l’Occident romain. Mais pour ce qui est de Rome, les textes, souvent très fragmentaires, sont pour la plupart liés non pas tant aux Kapetôlia qu’au fait que Rome est devenue le siège des associations d’athlètes et d’artistes. On y trouve donc d’une part des monuments funéraires de champions qui, après s’être retirés de la compétition14, ont exercé à Rome les plus hautes fonctions au sein de ces associations, d’autre part des bases élevées au siège même de l’association des athlètes, dont l’une porte un palmarès (107). Quant aux cinq palmarès découverts à Naples, outre deux funéraires (79, 115), on y trouve, de manière peut-être symptomatique, deux palmarès de vainqueurs lors des premières célébrations des Kapetôlia (35, 40), de véritables stars de leur discipline. C’est à partir de la fondation du concours romain que les Sebasta ont pleinement pris leur place dans le circuit des plus grands concours15 et l’on ne s’étonnera peut-être pas que ce soit aussi à ce moment-là que les champions ont fait graver leurs exploits dans la cité de Campanie. Le dernier document napolitain (60) illustre à la fois ce que nous venons dire de Rome – Antigenidas est ἀρχιερεὺς ἱερᾶς συνόδου θυµελικῆς – et du circuit occidental – l’aulète est vainqueur aussi bien à Rome qu’en Campanie.

13Parmi les cités qui ont livré un nombre notable de palmarès, il faut encore citer Milet et Aphrodisias. Cette dernière est un cas singulier, car la riche et puissante cité de Carie, « île » au milieu de la province16, n’a donné que des palmarès pour des champions d’Aphrodisias ; elle est restée longtemps en marge des circuits et n’a pas eu de concours majeur avant le milieu du iii^e s., quand elle devient peut-être la capitale de la nouvelle province de Phrygie-Carie, donc peu avant que les palmarès ne cessent d’être gravés. Si les palmarès n’avaient pas brutalement cessé d’être transcrits sur la pierre, peut-être aurait-on retrouvé des palmarès d’étrangers vainqueurs aux Pythia ou aux Kapetôlia d’Aphrodisias17, agônes cités dans des palmarès trouvés ailleurs. Mais dans cette cité à l’épigraphie abondante, on n’a retrouvé que des palmarès pour les plus grands champions de la cité, tous selon un modèle de plus en plus rare au ii^e et iii^e s., commençant avec les instances publiques ayant décerné les honneurs et des traces marquées du décret à l’origine de la statue, vantant les origines familiales et le comportement du champion. Aphrodisias se singularise donc même dans la façon de rédiger les palmarès.

14Milet, et c’est plus étonnant dans ce cas, semble aussi n’avoir livré que des palmarès de Milésiens, mais l’état très détérioré de nombreux textes ne permet pas d’être affirmatif. Pourtant, contrairement à Aphrodisias, Milet avait dès le début de l’Empire ses Didymeia, qui, s’ils connaissent une longue éclipse, deviennent isélastiques sous Marc Aurèle. Mais les bases pour les vainqueurs aux Didymeia, bien qu’elles aient été érigées exclusivement ou quasi exclusivement pour des Milésiens et très majoritairement pour des athlètes paides18, ne portent jamais de palmarès, sauf celle pour le fils de C. Iulius Bassus (102) ; et encore n’a-t-on alors inséré, selon une pratique connue ailleurs19, que les concours remportés entre la victoire au concours de sa patrie et l’érection du monument.

15De vieilles cités grecques à l’épigraphie riche – du moins pour cette époque – continuent de donner des palmarès (Sparte, Rhodes, Thespies, Larisa, Gortyne). Mytilène en a même livré bien plus qu’on n’en attendrait d’une cité qui a certes organisé des concours mais qui n’est citée que trois fois dans les palmarès. Sauf – en partie du moins – pour Sparte, où il y a eu des bases de statues avec palmarès pour des vainqueurs aux Ourania, les textes sont, comme à Cos et Aphrodisias, pour des natifs de la cité, bien que l’on ne connaisse pratiquement plus de très grands champions pour l’île à l’époque impériale20. À Mytilène, on gravait probablement les palmarès de champions modestes21.

16Les zones vides ou pauvres les plus surprenantes sont assurément la Bithynie et la Macédoine.

17Pour la première région, le nombre parfois faible de trouvailles dans des villes où la continuité de l’occupation a enseveli les inscriptions (Nicomédie, Nicée), y est certainement pour quelque chose. Or les deux principales cités, riches et rivales, étaient aussi celles qui organisaient les concours majeurs de la province. D’autres concours bithyniens sont certes attestés, mais il s’agit de compétitions de second rang dans des cités à l’epigraphic habit plutôt malthusien. Ne subsiste donc que le palmarès de Caesarea Germanica, celui du grand champion local (cf. infra).

18Le seul palmarès de Macédoine (29) l’a été qui plus est dans un endroit plutôt reculé, à l’écart des grands centres agonistiques et constitue en soi déjà une exception dans la géographique des palmarès22. Malgré un nombre non négligeable de textes, malgré l’existence de concours cités dans les palmarès (Béroia, Thessalonique) et de grands champions (47) – en très petit nombre il est vrai23 –, aucune des grandes cités de la province n’a à ce jour livré de palmarès. Le caractère à la fois synthétique et insolite du n^o 29 peut d’ailleurs être mis en rapport, partiellement au moins, avec l’isolement géographique. Plus au Nord, la Thrace a, elle, donné davantage de textes, mais seulement quand au iii^e s. elle a enfin organisé des concours isélastiques dans ses principales cités.

19Un cas assez singulier est celui de Sardes. Certes l’épigraphie de la cité n’est pas très riche, mais que le palmarès de Dèmostratos Damas (85) soit l’unique palmarès parvenu jusqu’à nous reste étonnant, dans une région d’hellénisme ancien et surtout dans une cité qui a organisé un puis plusieurs concours isélastiques : Sardes est citée 42 fois dans les palmarès comme siège d’un concours et son ethnique est arboré par plusieurs champions. On n’a pourtant retrouvé aucune base élevée par la cité pour un vainqueur aux Chrysanthina24 ou aux Koina Asias sur laquelle aurait été gravé un palmarès, pas même pour l’enfant du pays, Dèmostratos Damas, dont la base a été érigée par ses fils. En dehors des sièges de concours à l’épigraphie rare ou disparue (Nicopolis, Antioche, Alexandrie), Sardes est le siège le plus souvent mentionné qui a le moins de palmarès.

20Pergame n’est pas un cas très différent. Le siège du plus ancien concours majeur d’Asie, fondé par Octave-Auguste lui-même, l’un des premiers voire le premier à avoir deux concours isélastiques, n’a peut-être donné aucun palmarès pour un étranger25. Trois des cinq palmarès sont du tout début de l’Empire, le suivant est postérieur d’un siècle ou plus. Tous les grands champions ou presque l’ont pourtant emporté à Pergame, qui est le quatrième siège le plus cité, et la polis honorait régulièrement les plus grands athlètes et artistes de la citoyenneté. Mais jamais semble-t-il on n’a pris l’habitude de leur ériger une statue avec leur palmarès.

21Les cités où ont été retrouvés plusieurs palmarès sont à peine plus nombreuses que celles qui n’ont donné à ce jour qu’un exemplaire (en bleu sur la carte des provenances). Les palmarès isolés correspondent à des situations probablement diverses. En premier, il y a bien sûr les champions locaux qui ne sont pas nés dans une des grandes capitales agonistiques. Hermogenès était ainsi le champion par excellence de Xanthos (34) : il n’a pas moins de quatre palmarès alignés les uns à côté des autres au Létôon, mais on n’a retrouvé aucun autre palmarès dans la grande cité lycienne, ni dans la ville ni dans le sanctuaire, alors que la Lycie de manière générale n’est pas pauvre en inscriptions agonistiques. Pareillement à Tlos, l’unique palmarès est pour un multiple vainqueur dans tous les plus grands concours (99). À Oinoanda, on a ajouté les palmarès de Flavius Flavillianus (149-150) et de Toalis (156) quand ils ont eu à leur actif quelques-uns des principaux concours du circuit, et même parmi les plus grands dans le cas de Toalis. Mais on n’a pas à ce jour de palmarès gravé comme tel pour eux, malgré la relative abondance des tituli agonistici retrouvés dans la cité lycienne. L ’impression globale est que dans l’Anatolie du Sud seules les immenses stars avaient droit à un inventaire de leurs victoires. À Séleucie du Calycadnos, c’est le premier périodonique complet (64) ainsi qu’un vainqueur aux Pythia, Eusebeia, Sebasta et Bouclier d’Argos (79), à Adada un coureur capable de remporter à la suite les Kapetôlia, les Eusebeia, les Sebasta et le Bouclier (106). À Selgè, selon que le fragment 232 appartient ou non au sarcophage 238, soit c’était le palmarès d’un olympionique aux multiples victoires (232 + 238), soit la cité avait non seulement un olympionique (232) mais aussi un autre champion aux très nombreux succès (238). À Pergè aussi, même si aucun concours de la période n’apparaît dans les misérables vestiges du palmarès 186, les multiples victoires dans plusieurs courses, dans trois catégories d’âge différentes, donnent l’impression d’avoir affaire à un coureur polyvalent brillant, et Patara avait en Thèrônidès un olympionique, pythionique et kapetôlionique, alors que jusqu’à la publication de ce texte, on n’avait aucun témoignage de vainqueur dans les concours majeurs venant de cette cité (132). Peut-être même Philoxenos (131) était-il, à l’échelle de Sidè, pour laquelle nous ne connaissons par ailleurs comme champions que deux olympioniques dans le stadion au début du ii^e s., une star à l’échelle locale. Seule Termessos fournit un contre-exemple (119), et à certains égards le modèle même de ce qu’on pourrait s’attendre à voir dans ces régions riches en petits concours locaux, formant un réseau dense de compétitions, avec des athlètes qui vont vaincre dans les cités voisines. C’est en effet dans cette zone sud-anatolienne qu’on n’aurait pas été surpris de trouver des inventaires non de victoires dans les grands concours isélastiques mais dans des compétitions plus modestes : le n^o 119 est pourtant le seul palmarès de ce genre, et encore dans un contexte particulier (c’est au départ une base pour une victoire particulière), selon une formule synthétique rare (bilan pour chaque cité où Konôn a vaincu) et une énonciation sans équivalent (siège désigné par l’ethnique au génitif pluriel).

22Le phénomène qui consiste à n’honorer d’une statue et d’un palmarès que le champion majeur de la cité n’est évidemment pas propre à cette région du monde grec. À Stratonicée (Aristeas, vainqueur de la période dans la période dans la lutte et le pancrace, 12), à Kéramos (Politès, triple olympionique en 69, le seul connu pour la cité, 25), à Sinope (Marcianus Rufus, 52, vainqueur de concours πρῶτος καὶ µόνος Σινωπέων), à Magnésie du Sipyle (le 58, πρῶτο[ν] καὶ µόνον τῶν ἀπ’ αἰῶνος Μαγνήτων vainqueur de la lutte à Olympie), à Sardes (Dèmostratos Damas, 85-87, cf. supra), à Nysa (Eutychiôn, olympionique et kapetôlionique, 164) et probablement à Mégare (169, un vainqueur dans tous les plus grands concours), le seul palmarès retrouvé à ce jour est pour la star, le champion parmi les champions de la cité. C’est certainement aussi vrai du titulaire du seul palmarès Macédonien 29, bien plus modeste que tous ces champions mais sans doute remarquable dans le Derriope, ainsi que de Tatianus à Caesarea Germanica (72).

23Parmi les provenances isolées, on trouve également des inscriptions funéraires, qui représentent un cas à part puisque l’inscription n’a pas été gravée spécifiquement pour fournir le palmarès (Séleucie de Piérie 234, Hiérapolis de Phrygie 122, Eumeneia de Phrygie 166, peut-être l’un des palmarès de Kition 276).

24Enfin, quelques palmarès témoignent, par leur isolement même et leur implantation périphérique, du rayonnement de l’agonistique grecque dans tout l’Empire, jusqu’en Espagne (Tarragone 263) et en Afrique (Utique 176, peut-être Césarée de Maurétanie 264). Ostie avec ses deux palmarès (133, 219) surprend moins pour la géographie (la proximité de Rome suffirait à expliquer les palmarès) que par la langue utilisée dans les deux cas, le latin.

25La répartition actuelle des palmarès recèle donc quelques surprises. Nous manquons cependant de points de comparaisons, puisque seuls les palmarès donnent pour l’époque impériale une idée de l’origine des grands champions. La Macédoine ne fournit pas de palmarès, mais avait-elle les champions à même de nous laisser de tels textes ? La découverte récente de plusieurs listes de vainqueurs aux Sebasta de Naples va assurément nous permettre de mieux connaître l’origine des grands champions de l’époque flavienne, ce qui sera déjà un progrès notable. Quand la prosopographie générale des athlètes aura progressé de manière significative, peut-être pourra-t-on aussi confronter de manière plus fructueuse la géographie des palmarès et celle des champions susceptibles d’en avoir laissé.

26Il n’y a nous semble-t-il qu’un cas où l’on peut confronter, au moins approximativement, le nombre de bases retrouvées pour un champion avec celui des cités qui l’ont honoré. Apolaustus (108) a été honoré d’une statue dans 18 cités différentes, outre Delphes où l’on lit le texte qui nous le dit26 ; parfois on lui a élevé plusieurs statues dans la même ville, ce qui porte le total des bases qu’il recense à 24. Or on n’a retrouvé que trois bases, l’une à Éphèse, l’autre à Delphes et la dernière à Corinthe ; il y a pourtant des cités mentionnées qui ont été fouillées de manière extensive et où l’on a retrouvé une multitude de textes, comme Milet, Magnésie du Méandre, Messène. Cela dit assez, pour les palmarès comme pour tous les types d’inscriptions, l’étendue du naufrage épigraphique.

27Somme toute assez peu nombreux, les palmarès ont toutefois été retrouvés dans presque toutes les parties du monde romain touché par les concours27 et dans des quantités conformes à l’epigraphic habit général du lieu et à l’importance des sièges de concours. Les distorsions sont dues avant tout soit à la création de concours majeurs, soit à des fondations qui assuraient l’érection de statues pour les vainqueurs. Certains quasi-vides (ainsi la Macédoine) ou un nombre anormalement faible au regard des critères précédemment indiqués restent tout de même difficiles à saisir. Pourquoi faut-il attendre le iii^e s. pour que les palmarès se multiplient à Athènes ? Olympie n’a-t-elle réellement reçu pratiquement aucune statue portant palmarès au ii^e et iii^e s. ? Ou ne les a-t-on pas retrouvées ? Seule l’étude de la vie agonistique de chaque site, terrain encore trop peu défriché, permettra dans certains cas de répondre aux questions en suspens.