1Les palmarès n’ont jamais été aussi nombreux qu’entre Auguste et Gallien. En enlevant les 20 numéros de nature incertaine – qui comptent très certainement des fragments de palmarès, même si on ne peut l’établir en toute certitude – ainsi que les 12 palmarès jugés de date trop peu sûre pour être intégrés dans la première partie du corpus – mais quelques-uns doivent appartenir à l’Empire – et enfin le faux possible, on compte plus de 240 palmarès. La première section qui regroupe les textes assez complets pour qu’on leur attribue une date fiable à dix ou vingt-cinq ans près, en a 174. Parmi la grosse soixantaine restante, il y a quelques inédits et une soixantaine de fragments de taille extrêmement variable, parfois tout à fait notables – pour certains plus longs que des palmarès de la première partie – mais dont le contenu ne permet pas une datation correcte, ni souvent l’identification d’une discipline. Sans avoir réalisé un inventaire complet des palmarès antérieurs à Auguste, on peut affirmer sans risque que c’est plus que pour les époques classique et hellénistique réunies. La période impériale est sans surprise un âge d’or pour les palmarès, à la fois grâce à l’explosion du nombre de textes gravés dans son ensemble et à un monde agonistique marqué par la croissance du nombre de grands concours, l’intérêt marqué des empereurs et une stabilité économique qui ont permis l’extraordinaire vitalité de la vie agonistique, en particulier entre Domitien et Gallien.

2Par ailleurs, moins de trois cents textes constituent, nous en avons bien conscience, très peu de chose face à l’ensemble de la documentation épigraphique, y compris pour la seule vie agonistique de l’Empire. Le chiffre peut aussi être considéré comme assez bas par rapport au nombre de champions vainqueurs dans plusieurs concours de haut rang. Un exemple rendra palpable la modestie de l’échantillon : les Pythia de Delphes, qui comprennent à peu près toutes les disciplines habituelles des concours représentées dans les palmarès, doivent couronner à chaque célébration une trentaine de champions différents, en tenant compte des vainqueurs multiples dans différentes épreuves1. Vainqueurs aux Pythia, ces athlètes, artistes ou propriétaires de chevaux l’ont presque nécessairement emporté ailleurs, et même dans plusieurs concours différents, car on ne devient pas pythionique par hasard, et si on le devient en début de carrière, encore jeune, on a de fortes chances d’accéder à d’autres triomphes par la suite2. Bref, même en écartant les épreuves hippiques, qui n’ont plus leur prestige d’antan et n’occasionnent presque aucun palmarès, on peut estimer qu’une vingtaine de pythioniques pourraient, à chaque célébration du concours, trouver dans ce succès un prétexte pour faire graver leur palmarès dans le sanctuaire d’Apollon ou à proximité. Or c’est peu ou prou le nombre de palmarès que l’on a retrouvé à Delphes pour environ soixante-dix célébrations du concours entre Auguste et Gallien, et la cité des Pythia est l’un des sièges de concours qui en a livré le plus. Et nous ne parlons là que de l’élite des athlètes ou des artistes, à laquelle certains des titulaires de palmarès n’appartiennent pas, car il arrivait, certes rarement mais cela arrivait, qu’on grave un palmarès pour un athlète modeste (cf. e. g. 19, 67, 118, 120). Le nombre de palmarès parvenu jusqu’à nous est faible, même par rapport à celui des plus grands champions de l’époque impériale, qui ne sont qu’une petite minorité parmi les hiéroniques qui avaient un palmarès digne d’être gravé, si l’on estime, comme les textes retrouvés le montrent, que des victoires multiples dans plusieurs concours isélastiques sont parfois suffisantes pour justifier la gravure d’un palmarès.

3Il convient d’analyser cet ensemble, modeste mais significatif, du point de vue des spécialités, de sa distribution géographique et aussi de manière diachronique, sur les presque trois siècles qui séparent le rétablissement des Isthmia des derniers palmarès gravés dans l’Orient grec, peu de temps avant le raid des Hérules en 267.

Évolution générale

4L ’étude quantitative des palmarès passe inévitablement par l’analyse de l’epigraphic habit dans les régions concernées3. Toutefois l’échantillon des palmarès est trop peu important pour qu’on se risque à des statistiques poussées ou même des graphiques qui ne diraient que la pauvreté relative de la documentation par rapport au nombre d’inscriptions retrouvées. On peut toutefois sans peine dégager quelques tendances, dont certaines sont attendues tandis que d’autres posent des problèmes difficiles.

5Comme on l’a déjà signalé, la période augustéenne est celle d’un net accroissement du nombre de palmarès gravés, qui est en grande partie à mettre au compte d’une augmentation générale des gravures. Le règne de Tibère, peut-être encore celui de Claude, maintient la tendance, avant trois décennies nettement plus pauvres, ce qui s’observe de manière générale pour les inscriptions. Le trait majeur de cette période de reprise qui a duré un peu plus d’un demi-siècle est certainement le poids du passé. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de changements, mais même ceux-ci sont marqués par des héritages anciens ; en particulier, bien des palmarès ressemblent aussi bien par leur forme que par leur contenu aux textes de l’époque hellénistique et seule la mention de nouvelles créations permet d’assurer leur appartenance à l’époque impériale. Ce n’est pas pour rien que la rubrique des palmarès de date incertaine contient de nombreux numéros : si un palmarès ne comprend pas de Sebasta ou de Kaisareia, il est très délicat de le situer à l’intérieur du i^er s. av. J.-C. On notera ici, pour y revenir parfois plus en détail ailleurs, que c’est la période pour laquelle on a encore des palmarès d’athlètes à Olympie. Athènes, qui a donné tant d’inscriptions, est absente, mais Cos, également grande productrice d’inscriptions, donne singulièrement de nombreux textes alors que les palmarès étaient jusque-là quasi inconnus dans la cité insulaire et qu’elle n’organise pas de concours majeur à cette date. Les cités qui bénéficient de nouveaux concours sont pratiquement absentes, quel que soit leur epigraphic habit.

6La reprise des deux dernières décennies du i^er s. n’est en rien une surprise, puisqu’elle suit l’epigraphic habit général, mais elle reste remarquable à plusieurs titres. D’abord elle est assez soudaine. Cette soudaineté est naturellement à mettre en relation avec les réformes domitiennes et en particulier avec la première célébration des Kapetôlia de Rome. Plusieurs titulaires de palmarès sont vainqueurs en 86 ou dans les pentétérides suivantes, encore sous le dernier Flavien. Ce n’est pas la première fois que la création d’un concours occasionne la gravure d’inscriptions agonistiques et en particulier de palmarès, mais l’effet des Kapetôlia est assurément sans précédent. De plus ces palmarès changent de style : ils sont longs et détaillés, et à part le palmarès de Tib. Claudius Patrobios, premier palmarès romain et à maints égards précurseur, on n’avait jamais vu dans le demi-siècle qui précède de textes aussi développés.

7De manière assez étonnante, alors que le nombre d’inscriptions gravées est globalement en constante augmentation durant la première moitié du ii^e s., ce n’est pas le cas des palmarès. Certes les textes sous Trajan et Hadrien ne manquent pas, mais ils ne sont pas aussi nombreux que l’élan de l’époque domitienne et surtout le règne du plus hellénophile des empereurs et le plus favorable aux concours grecs pourraient le laisser imaginer. On analysera plus loin les causes possibles et incertaines à la fois de ce nombre modeste de palmarès gravés entre ca 110 et 140, et surtout celles de l’amenuisement du contenu, deux ou trois fois plus court que dans la période qui suit la création des Kapetôlia. Encore le chiffre est-il accru par le développement des palmarès d’artistes, qui restaient rares au i^er s., cf. infra : parmi les palmarès les plus sûrement datables des années 110-130, on trouve un aulète (46), des citharèdes (47, 50), un héraut et acteur-chanteur (51).

8Alors qu’en Asie Mineure et probablement partout ailleurs le nombre d’inscriptions se tasse quelque peu à partir des années 160, c’est le moment où le chiffre des palmarès va atteindre son apogée. Celle-ci se situe globalement entre la fin du règne d’Antonin et celle de Septime Sévère, à cette réserve près qu’ici, selon un phénomène observable par ailleurs, certaines carrières attribuables à cette période sont transcrites en palmarès plus tard, sous Caracalla. Une partie de cette croissance est attribuable à une pratique plus large de l’érection de statues pour les vainqueurs de certains concours, généralement liée à une fondation. C’est ce qui explique les multiples palmarès pour des vainqueurs aux Olympia de Tralles ou aux Ephesèa ; deux palmarès sont ainsi liés à la 62^e célébration des Olympia tralliens, peut-être même trois (111, 112, 113), trois textes au moins sont en rapport avec les Ephesèa, pour les 516^e, 517^e et 518^e Éphéséïdes (91, 92, 93). C’est assurément la période où les riches cités d’Asie gravent le plus de textes pour des vainqueurs à leurs concours, non seulement à Éphèse, Smyrne ou Tralles, mais aussi à Cyzique ou Thyatire, tandis qu’on continue à graver des palmarès à Delphes et que les sarcophages romains s’ornent de palmarès à couronnes. On affiche aussi des palmarès sur la pierre dans des régions du monde grec ou hellénisé où cela ne s’était jamais vu, à Tlos, Patara, Termessos, Adada, Anazarbe, Sidè, et pour des disciplines que les concours venaient à peine d’admettre en leur sein (pantomimes, biologoi). La diversité géographique et disciplinaire s’ajoute donc au nombre et à une variété formelle marquée par quelques innovations (floraison des inscriptions à couronnes végétales, déjà connues antérieurement, palmarès à couronnes monumentales à partir de ca 170).

9Comme pour l’ensemble des inscriptions, le nombre de palmarès chute entre Caracalla et Gallien, mais ni de manière linéaire ni de manière homogène. Si pour les années 150-210 on avait environ 75 textes – en ne tenant compte que de ceux bien datés de la première partie – en une soixantaine d’années, à quoi on peut ajouter de très nombreux fragments appartenant à cette période, il n’y a plus qu’une quarantaine de palmarès pour le demi-siècle qui suit. Les raisons en sont multiples, et sans doute certaines nous échappent-elles. D’abord il y a la quasi-disparition des bases liées à une fondation financière. Ensuite, les palmarès d’artistes se réduisent comme peau de chagrin, comme on le verra infra. Les grandes capitales agonistiques d’Asie fournissent beaucoup moins de textes, sans qu’on en voie complètement les causes. Paradoxalement, l’autre grande capitale agonistique de l’Orient grec, Athènes, se met à livrer plus de palmarès, floraison tardive quelque peu étonnante qui ne compense au demeurant pas la baisse ailleurs. Enfin il y a dans les derniers palmarès, à deux ou trois exceptions près, une tendance à ne plus y avoir que les palmarès des athlètes les plus titrés ; nous y reviendrons plus loin dans l’analyse du nombre de victoires et de concours mentionnés dans les palmarès ainsi que dans la conclusion. La raréfaction n’est pas spectaculaire, beaucoup moins que l’arrêt brutal dans les années 260, mais elle est indubitable ; et encore la documentation s’est-elle récemment enrichie de plusieurs palmarès à placer dans les années 240-260.

Palmarès et spécialité

10Les palmarès d’athlètes sont à peu près trois fois plus nombreux que ceux des artistes ; l’apparition et le développement tardif de ces derniers, leur disparition au iii^e s. et la longue tradition des palmarès gymniques ou hippiques suffisent à expliquer cette proportion. Plus intéressante et inattendue est, à l’intérieur des deux types d’épreuves, la répartition par disciplines.

11Si pour une grande partie des palmarès la spécialité est inconnue, c’est bien sûr en raison du caractère très fragmentaire de nombreux textes ; mais un nombre non négligeable d’inscriptions ne fournissent pas cette information parce que la statue indiquait immédiatement et sans équivoque la spécialité du champion honoré (37, 90, 99, 118, 137). Dans quatre cas, il s’agit de grands champions, périodoniques et même multi-vainqueurs dans les plus grands concours. Plus étonnante est l’absence de la spécialité dans l’inscription funéraire de L. Sept. Thèrônidès (132), même s’il est évident qu’à Patara tout le monde connaissait le champion et ses exploits.

12La popularité et le prestige, deux faces différentes du poids d’une discipline sportive ou artistique dans la société, se mesurent grâce à des indices qui ne souffrent pas du même biais documentaire. On appréciera l’intérêt pour tel ou tel sport à l’écho qui en demeure dans l’ensemble de nos sources. Ainsi, la ferveur, la fièvre même que provoquait la pantomime ne transparaît pas dans les palmarès mais est bien connue par d’autres documents ; à l’inverse, les palmarès sont notre meilleur indicateur de l’enthousiasme qui entourait les pancratiastes, dont la totalité de la littérature d’époque impériale ne fournit, pour cette époque, pas même une poignée de noms. Un étalon du prestige des spécialités dans les concours est le niveau des récompenses pécuniaires dans les concours, qui correspond globalement à l’ordre des épreuves dans les concours : hérauts et pancratiastes sont ainsi aux deux extrémités de l’échelle et du concours. Un autre indice est constitué par les fonctions remplies par les champions au sein de l’association des athlètes : les spécialistes de sport de combat y sont bien plus nombreux que les coureurs.

13De cela il ressort des conclusions déjà connues. Les sports de combat sont préférés aux épreuves légères. Le sport roi est le pancrace, alors que c’était la lutte qui était la discipline la plus pratiquée au gymnase ; la boxe est moins estimée. Le pentathlon, quand bien même il suscite l’admiration, comme aujourd’hui le décathlon, est malgré tout moins bien coté que les courses, au sein desquelles il y a également une hiérarchie, qui avantage la distance la plus courte sur le diaulos, et encore plus sur le dolichos et la course en armes. La situation rappelle donc la hiérarchie des épreuves de l’athlétisme moderne.

14Chez les artistes, la citharôdie, discipline reconnue par tous comme la plus difficile, l’emporte en prestige sur les acteurs-chanteurs, eux-mêmes plus estimés que les aulètes ; ces disciplines musicales sont bien plus appréciées que les deux spécialités d’éloge, qui elles-mêmes paraissent plus prestigieuses que les deux spécialités artistiques les moins rémunérées, les hérauts et les trompettes.

Les palmarès d’athlètes

15Le nombre de palmarès de pancratiastes est en accord avec le prestige et la popularité de la discipline. Pour toutes les autres disciplines, il y a un hiatus avec ce que l’on pourrait attendre, à des degrés variables. Ainsi les lutteurs n’exerçant que cette spécialité ne sont pas si nombreux que cela, alors que c’était une sorte de sport de base, pratiqué par tous les utilisateurs du gymnase, populaire et connu de tous. Il y a plus de palmarès pour des athlètes ayant exercé à la fois la lutte et le pancrace que pour les lutteurs seuls, car la double spécialité est un motif d’éloge. La boxe est clairement en retrait, mais ce n’est pas si surprenant que cela malgré la valeur des prix qui sont donnés aux πύκται ; discipline violente et traumatisante, elle était nettement moins estimée, du moins parmi les élites.

16Le nombre de palmarès pour des coureurs est tout à fait étonnant. Ce qui l’est plus encore, c’est que le dolichos, distance peu valorisée et dont les sources parlent par ailleurs fort peu, est très présent, qu’il s’agisse d’ailleurs des plus grandes stars de la discipline ou d’athlètes beaucoup plus modestes. Comme chez les artistes (cf. infra), il y a un effet inverse de la popularité : les champions de certaines disciplines ont peut-être davantage fait graver leurs palmarès précisément parce que leur sport était moins prisé4.

Les palmarès d’artistes

17On possède de très rares palmarès d’artistes de l’époque hellénistique, pour des disciplines prestigieuses, pour lesquels des concours existent depuis longtemps et qui figurent au programme des premiers agônes pluridisciplinaires, comme la citharôdie et les tragôdoi ; le petit nombre de palmarès est alors à mettre en relation avec la moindre considération pour les artistes et l’apparition plus tardive des compétitions artistiques dans les concours.

18Au début de l’Empire on ne grave pratiquement pas de palmarès d’artistes, et quand on le fait, c’est singulièrement pour des disciplines marginales ou neuves. Mis à part un texte pour un trompette (10), donc pour une ancienne discipline gymnique dont l’un ou l’autre champion avait déjà fait graver l’inventaire de ses victoires à l’époque hellénistique5, les seuls autres palmarès sûrement datables du premier siècle de l’Empire sont pour des auteurs d’éloges (8, 20) ou pour des spécialités jamais mentionnées ailleurs dans les palmarès : de cette période datent le seul palmarès de παῖς κιθαρῳδός (22), le seul de παῖς κωµῳδός (23) ; la poétesse honorée à Cos (18) l’a emporté dans des concours d’éloge ou dans une discipline pour ainsi dire inconnue (elle se désigne vraisemblablement comme ποιήτριαν κω[µῳδίας] ἀρχαίας), que la documentation actuelle ne permet pas, nous semble-t-il, de comprendre. Pour ce qui est d’Onètôr (179), soit il est héraut et s’inscrit dans une tradition ancienne, soit il est auteur d’éloges et serait à ranger aux côtés des deux cas déjà indiqués supra. Même si l’échantillon est faible, le prestige moindre des disciplines concernées est sans doute à relier à l’existence même de ces palmarès : c’est le moyen qui a été utilisé pour pérenniser la mémoire de ces champions très bas dans la hiérarchie des artistes. Dans le palmarès d’Hèdea (21), la citharôdie, où elle l’emporte à Athènes, passe, de manière significative, après les succès athlétiques. Dans deux cas les honneurs émanent d’ailleurs de parents : la statue du παῖς κωµῳδός et celle d’Hèdea ont été érigées par leur père. Les deux palmarès d’artistes retrouvés à Cos émanent certes du Peuple, mais l’un est assurément auteur d’éloges, la seconde peut-être aussi : on sait que l’épreuve était particulièrement en vogue dans l’île et s’il y a une cité où l’on n’est pas surpris de trouver un palmarès d’auteur d’éloges en vers ou en prose, c’est bien à Cos. À Iasos (22), le παῖς κιθαρῳδός reçoit ses honneurs de ἡ βουλὴ καὶ ὁ δῆµος καὶ ἡ γερουσία, mais le palmarès ne se présente pas comme central et le premier motif invoqué est l’éphébarchie assumée par Phanias. Dans le premier siècle de l’Empire, les palmarès d’artistes sont donc le fait de champions modestes dans des disciplines peu prestigieuses.

19Dès que les palmarès se font à nouveau plus nombreux, sous Domitien, les grands artistes s’approprient en quelque sorte complètement le palmarès. Les disciplines mineures deviennent rarissimes, à l’exception des deux spécialités traditionnelles des hérauts et des trompettes, et ce sont désormais les plus estimées qui fournissent le plus de textes : citharèdes, acteurs-chanteurs et aulètes sont tous représentés. Non seulement les autres disciplines s’effacent, mais parmi les spécialités phares, ce sont d’abord les plus grands champions qui paraissent avoir eu leur palmarès dans la pierre. Il y a fort peu de « petits » palmarès pour les artistes dans notre corpus6. La presque totalité des textes sont concentrés entre Domitien et Septime Sévère. Pour des raisons qui nous échappent et qui ne peuvent être entièrement liées au hasard de la conservation et à la baisse du nombre de palmarès gravés, les palmarès d’artistes se raréfient au iii^e s., en particulier ceux pour les disciplines reines, qui avaient été nombreux au ii^e s. Certes, entre Caracalla et Gallien, plusieurs palmarès n’ont pas de discipline identifiable, mais peu d’entre eux pourraient réellement appartenir à un tragôdos ou un citharède, tout au plus à un héraut ou à un trompette, qui constituent toujours un cas à part parmi les artistes. D’ailleurs quatre des derniers palmarès sont ceux d’un même artiste, le héraut invincible Valerius Eklektos. N’appartiennent encore aux années 210-260 que l’inventaire assez modeste d’un cithariste, le premier à qui l’on connaît un palmarès, et plusieurs textes retrouvés à Delphes, donc dans le siège du plus prestigieux concours artistique, en l’occurrence celui d’un aulète et ceux d’un héraut et d’un trompette.

20On en est réduit, pour expliquer cette évolution inattendue, à des hypothèses fragiles, qui ne peuvent être suffisamment étayées à nos yeux. D’une part les concours artistiques pourraient avoir perdu de leur prestige, au profit de simples spectacles et exhibitions. Ces dernières pouvaient certainement être aussi rémunératrices que les agônes ; les compétitions à prix d’argent, visiblement organisées en très grand nombre, attiraient peut-être autant les artistes que les concours isélastiques. Ceux-ci étaient bien plus risqués pour la réputation de leurs concurrents. Bien sûr les artistes ont dû conserver le goût de l’émulation et de la compétition inhérent à la société grecque. Mais quel intérêt avait un tragôdos à se confronter à d’autres artistes aussi talentueux voire plus que lui dans des compétitions à l’issue incertaine, alors que d’innombrables occasions de briller se présentaient à lui, plus confortables, aussi valorisantes et peut-être plus rémunératrices ? D’autre part, la pénétration du goût romain jusque dans les compétitions grecques a pu aussi avoir un impact. Dès le ii^e s., mimes et pantomimes sont aussi voire plus populaires que les citharèdes ou les kômôdoi. On a retrouvé du reste quelques palmarès pour ces spécialités, assez peu toutefois par rapport à la ferveur qui entourait ces nouvelles stars de la scène. Il n’en reste pas moins que l’introduction dans les concours de ces spécialités, qui plaisaient au public, a pu avoir un impact négatif sur le prestige des disciplines grecques traditionnelles, présentes depuis plusieurs siècles dans certains des plus grands concours. De plus, la règle voulant que l’on fût citoyen de naissance pour participer aux concours dits « panhelléniques » ne valait peut-être plus pour ces biologoi ou pantomimes, dont on sait qu’ils étaient souvent issus ou du monde servile ou de celui des affranchis. Tout cela contribue certainement à une forme de dévaluation des concours artistiques majeurs.

21C’est donc la période qui va de Domitien à Septime Sévère qui correspond à l’âge d’or des palmarès d’artistes. Mais ce ne sont pas les citharèdes qui sont les plus nombreux, ce que l’on pourrait a priori penser, mais bien les aulètes ; leur discipline est alors d’autant plus populaire que le développement de la choraulie a donné un nouvel élan à l’aulos dans les concours : cette discipline correspond à la fois au goût romain et au penchant grandissant pour la musique d’ensemble. On retrouve ici certainement le phénomène observé pour les coureurs : si l’on a retrouvé plus de palmarès d’aulètes, c’est qu’ils avaient à cœur d’exposer leurs succès, davantage que l’élite des artistes, à savoir les plus célèbres chanteurs de tragédie et les citharèdes. Les compétitions de cithare sont en revanche quasiment absentes des palmarès ; si Melitôn 163 n’avait pas été admiré pour son jeu par un empereur et honoré pour cela – sans doute autant que pour ses victoires –, nous n’aurions tout simplement pas de palmarès de cithariste.

Les palmarès hippiques

22Ils sont très rares, ce qui n’est pas surprenant. Nul besoin de s’étendre ici sur le déclin des courses hippiques de type grec face à la vitalité du modèle romain7. Les concours grecs y ont perdu en prestige, les élites en intérêt pour ce champ d’expression de leur richesse et de leur rang. Il n’y a donc que trois palmarès hippiques à proprement parler (11, 160, 192). Il nous paraît assez probable que les couronnes des Aktia et des Nemea représentées à Tarragone se réfèrent aussi à des victoires hippiques (263) et l’on est tenté de faire la même hypothèse pour le palmarès mosaïque de Sparte (167), car il appartient nécessairement à un notable, mais c’est moins sûr. On peut y ajouter le palmarès du pentathlonien chypriote qui l’emporta aussi dans la course de char (233) ainsi que les deux vainqueurs à l’apobate, dont l’épreuve mi-course à pied mi-course hippique nécessitait d’être propriétaire de chevaux de course (67, 181).

23Presque tous ces textes sont à divers titres singuliers. Le 11 est à peine un palmarès, dans la mesure où à Samos la cité honore l’un des siens d’abord pour une victoire isthmique dans l’épreuve du quadrige ; mais Hèrakleitos avait à Corinthe fait un doublé Isthmia-Kaisareia, on a donc mentionné les deux concours, ce qui transforme son titulus en palmarès, aussi modeste soit-il. Dans le 67, la victoire dans l’apobate est un ajout ; le succès à Cyzique dans cette épreuve marginale n’est pas si prestigieux, mais revêtait sans doute une importance particulière pour ce notable membre des Antonii de Thyatire. Même le n^o 160, exceptionnel à la fois par sa date – le milieu du iii^e s. – et la mention des quatre concours de la période, est peut-être, pour partie du moins, un ajout. Deux textes viennent de Thessalie, où l’hippisme est depuis longtemps l’objet d’une ferveur particulière (192, 181 qui n’est peut-être pas d’époque impériale).