1Nous réunissons trois textes qui sont assurément des palmarès, autant que d’autres textes du corpus, mais les victoires qui y sont enregistrées ont été acquises dans des concours dont la nature exacte nous échappe. Nous serions d’avis aujourd’hui que la plupart sont des concours du gymnase ; toutefois, les Didymeia dans 254 sont plus probablement une compétition qui n’est pas du gymnase milésien, mais qui rassemble quand même pour l’essentiel des enfants qui s’y entraînaient. Quant à savoir si ces compétitions étaient ouvertes à d’autres qu’aux enfants de citoyens, la documentation est bien trop maigre pour trancher. Ces trois textes sont des témoignages rares de la vie agonistique des cités en dehors des concours majeurs ; il y avait comme aujourd’hui d’innombrables compétitions de différents niveaux, pour différents âges. Elles ne sont normalement pas documentées par les inscriptions qui nous sont parvenues, et dans le cas des textes de Tralles, nous ne doutons guère que l’asiarque T. Flavius Kleitosthenès Iulianus a joué un rôle décisif dans le fait que, lors de la neuvième célébration du concours des Spartiates, on a érigé des statues pour des vainqueurs et jamais, d’après la documentation actuelle, ni avant ni après lui.

252. Un vainqueur au concours des Spartiates

2Tralles, près du théâtre. Perdue. Base. Motif floral sous l’inscription. – Non revue.

3J. R. S. Sterrett, MDAI(A) 8 (1883), p. 330-332, n^o 11, fac-sim. et Papers of the American School of Classical Studies at Athens 1 (1882/1883) [1885], p. 110-112, n^o 11.
M. Pappakonstantinou, Αἱ Τράλλεις ἤτοι συλλογὴ Τραλλιανῶν ἐπιγραφῶν (1895), p. 27-28, n^o 25, dessin pl. 4. (F. B. Poljakov, I.Tralleis 141).

4Cf. E. Groag, JÖAI 10 (1907), p. 284 (Flavii de Tralles). M. D. Campanile, Sacerdoti, n^o 68b (T. Flavius Kleitosthenès Iulianus, asiarque à la fin du ii^e ou au début du iii^e s., PIR  ² F 245). Chr. Settipani, Continuité gentilice et continuité familiale dans les familles sénatoriales romaines à l’époque impériale : mythe et réalité (2000), p. 377-380 (stemma de la famille de Kleitosthenès) ; B. Puech, Orateurs, p. 255-259 (stemma de la famille de Kleitosthenès). N. G. Kennell, The Gymnasium of Virtue (1995), p. 85 (l’agôn des Spartiates comme concours de Sparte). É. Le Quéré, Topoi 19 (2014), p. 473 (stemma de la famille de Kleitosthenès).

5Marcus Aurelius - - - membre du Conseil et ami de l’Auguste, (a fait ériger la statue de) son fils Marcus Aurelius Sôtèr – frère de Marcus Aurelius Ammianos, membre du Conseil, ami de l’Auguste et secrétaire du Peuple – vainqueur du concours sacré des Spartiates et du concours sacré des Hèrakleia dans le pancrace des paides, eisagogeus des Olympia, sous le prêtre de Zeus Larasios Flavius Kleitosthenès, uir clarissimus, deux fois asiarque, premier d’Asie, père d’un consul et grand-père de sénateurs, lors de la même 9  ^e pentétéride.

6L ’inscription cite seulement deux victoires, mais qui sont le cœur de l’inscription : même si le reste est à la fois un éloge de la famille et se présente comme la célébration d’une victoire particulière dans le concours des Spartiates, la statue a été l’occasion de faire le bilan, mince, des succès de ce pancratiaste encore pais. Les deux concours restent pour nous énigmatiques. Le concours des Spartiates est aussi attesté par le texte suivant, cette fois sous le nom, original, de τὸν Σπαρτιάτην ἀγῶνα. Pour Kennell, il s’agit d’un concours à Sparte, parce que le nom serait inexplicable à Tralles à ses yeux, bien qu’une partie de la population se réclame d’ancêtres spartiates ; il y voit les Olympeia Kommodeia lacédémoniens, le choix du nom étant un archaïsme évoquant les liens de la cité avec Sparte. Cela nous paraît peu probable et absolument sans parallèle, car la mention du prêtre de Zeus Larasios dans les deux textes relatifs au concours des Spartiates ne s’explique que s’il y a un lien entre le concours et la cité, et plus précisément entre le culte principal de Tralles et le concours. La datation par la 9^e pentétéride ne se comprend elle aussi que s’il s’agit d’un concours de Tralles, car il n’y a aucune raison de dater une inscription de Tralles par un cycle de Sparte, qui ne conviendrait au demeurant pas à la date probable du texte1.

7Reste que nous connaissons par ailleurs les concours sacrés isélastiques de Tralles. Le concours des Spartiates n’en fait pas partie et les deux seuls vainqueurs connus sont originaires de la cité. Est-ce véritablement un concours ouvert à tous les Grecs, ou ne s’agirait-il pas, dans ce cas comme dans celui des Hèrakleia, d’un agôn du gymnase ? Mais alors comment comprendre l’adjectif ἱερός ? Les noms des deux concours conviendraient en tout cas bien à des compétitions gymnasiales2.

8Comme le vainqueur appartient à la bonne société de Tralles, sa citoyenneté romaine et ses praenomen et nomen ne le placent pas nécessairement après 212. Le stemma de la famille du grand-prêtre de Zeus Larasios T. Flavius Kleitosthenès Iulianus I va également dans ce sens, puisque d’après la dernière reconstitution de la famille proposée, il est déjà le père d’un Claudianus en 1493 ; c’est le même Kleitosthenès Iulianus qui est à l’initiative des honneurs votés pour un pantomime dont le palmarès a été conservé, sous le règne de Commode (108). Ce dernier texte doit être antérieur au nôtre puisque Kleitosthenès n’y est désigné que comme asiarque et non pas comme δὶς ἀσιάρχου. La première pentétéride doit se placer sous Antonin ou sous Marc Aurèle.

9Date : fin du ii^e s. (prosopographie des Flavii Kleitosthenai de Théra).

253. Autre vainqueur au concours des Spartiates

10Tralles. Base de calcaire, coupée en h. et brisée en b. : 32 × 48 × ? cm. – Non revue.

11J. R. S. Sterrett, MDAI(A) 8 (1883), p. 332, n^o 12, fac-sim. et Papers of the American School of Classical Studies at Athens 1 (1882/1883) [1885], p. 112, n^o 12.
M. Pappakonstantinou, Αἱ Τράλλεις ἤτοι συλλογὴ Τραλλιανῶν ἐπιγραφῶν (1895), p. 22, n^o 12, dessin pl. 2.
F. B. Poljakov, I.Tralleis 142.

12Cf. la bibliographie du numéro précédent.

13- - - son fils, vainqueur - - - du concours Spartiate, dans la lutte des paides, vainqueur également du concours sacré des Halieia, sous le prêtre de Zeus Larasios Flavius Kleitosthenès uir clarissimus - - -

14L. 1-2 : τ̣[ὸν] | ἱ̣ερὸν τὸν Poljakov. Le redoublement de l’article est incompréhensible : est-ce une erreur de gravure ? Ou faut-il restituer le texte autrement ? J. R. S. Sterrett comme Pappakonstantinou lisaient au début de la ligne ΤΕΡΟΝ, en toute certitude selon l’un et l’autre. Sans vraiment s’en expliquer, Poljakov se contente, visiblement à partir des deux dessins, de pointer l’iota. Même si le dessin de Pappakonstantinou n’est pas très fiable et que celui de J. R. S. Sterrett est un fac-similé en lettres d’imprimerie qui rend mal compte de la disposition du texte, l’angle supérieur droit du fragment manque visiblement, nous privant de plusieurs lettres à la fin de la première ligne conservée. La l. 1 a, jusqu’à l’alpha final de νικήσαντα, 13 lettres, là où les suivantes en ont entre 16 et 23, dont trois autour de vingt. Ne faudrait-il pas comprendre τ̣[ὸ δεύ]|τερον (cf. 4-5) ? Ce lutteur l’aurait emporté deux fois dans la lutte des paides dans le même concours pentétérique ; dans un concours du « circuit professionnel », l’exploit est quasiment impossible, mais dans ce concours visiblement local, est-ce exclu ? Ou pourrait-on retrouver une autre idée, présente peut-être ailleurs (cf. p. 37), à savoir qu’il a été vainqueur en étant le plus jeune, τ̣[ὸν νεώ]|τερον ?

15C’est encore un palmarès né du simple ajout d’une victoire à celle pour laquelle la base a été érigée, à la suite de la victoire au concours des Spartiates. Pour cet agôn, voir le numéro précédent. L ’inscription fait une distinction assez marquée (νικήσαντα δὲ καί) entre le premier concours et le second, mais l’un et l’autre sont affublés de la même épithète. Les Halieia sont des concours de Tralles4, où le culte du Soleil est attesté5.

16Date : fin du ii^e s. (prosopographie, cf. 252).

254. Philadelphos, Cheironomos

17Didymes, au Nord du temple d’Apollon. Base ronde moulurée : 122 × 46 (diam.) cm. Champ épigraphique délimité par une moulure. En dessous, relief (couronne de feuillage à lemnisques, traversée par une palme). L. 1 sur la moulure. – Non revue.

18A. Rehm, I.Didyma 179 (H. W. Pleket, Epigraphica II [1969], n^o 45).

19Cf. L. Moretti, RFIC 87 (1959), p. 203-204 (ἀπὸ τετραετοῦς ἡλικίας). L. Robert, Hellenica XI-XII, p. 441-446 (origine). J. et L. Robert, BE 1961, 586. L. Robert, CRAI 1968, p. 574 (OMS V, p. 590) (date). P. Frisch, Pap.Agon., p. 65 (Paneia à Panopolis) W. J. Slater, Phoenix 47 (1993), p. 205 (χειρονόµος comme « athletic pyrrichist »). M. W. Dickie, Nikephoros 6 (1993), p. 116-117 (χειρονόµος). F. García Romero, dans Χάρις διδασκαλίας. Studia in honorem Ludovici Aegidii (1994), p. 117-121 (χειρονόµος). J. F. Wilson, Caesarea Philippi: Banias, the Lost City of Pan (2004), p. 63-64 (Paneia comme concours de Césarée Panéas). A. Busine, ARG 8 (2006), p. 292-293 (les prophètes). F. García Romero, dans Antike Lebenswelten. Konstanz – Wandel – Wirkungsmacht. Festschrift für Ingomar Weiler zum 70. Geburtstag (2008), p. 113-119 (χειρονοµία comme méthode d’entraînement). J. Aliquot, IGLS 11 : Mont Hermon (Liban et Syrie) (2008), p. 111, T/4 (Césarée Panéas). W. J. Slater, dans Epigraphical Approaches to the Post-classical Polis (2012), p. 159-160 (Paneia à Milet). Günther, Prosopographie, p. 129 (vainqueur de Césarée Panias, dans la cheironomia). S. Douglas Olson, Glotta 94 (2018), p. 259-263 (χειρονοµία).

20→ P. 647 (verbes de la victoire).

21À la Bonne Fortune ! Aurelius Philadelphos, fils de Phoibos, le Cheironomos, couronné dans le concours des Didymeia dès l’âge de quatre ans dans la boxe, (vainqueur) à la suite dans les catégories premier, deuxième et troisième âge, (en tout) à six reprises, vainqueur également aux Paneia (organisés) dans la patrie, dans la boxe, le Conseil et le Peuple (l’a honoré). Se sont chargés de l’érection de sa statue les prophètes d’une famille de prophètes Ulpianus Hègèsandros et Ulpianus Andreas ainsi qu’Aelianus Poplas.

22L. 5 : il ne fait pas de doute que ἀπὸ τετραετοῦς ἡλικίας signifie « à partir de quatre ans » ; mais l’expression n’est pas banale et ce tour ne se trouve que dans les écrits médicaux.

23Il s’agit certes d’un palmarès, par l’inventaire qui est fait des victoires de Philadelphos, mais il n’y a que deux concours mentionnés et pour l’un, les Didymeia, il ne s’agit pas des épreuves du concours sacré isélastique, cf. infra. Philadelphos serait d’après L. Robert originaire de Césarée Panéas, cité qui organisait des Paneia. Mais l’absence d’ethnique nous paraît indiquer que ce champion était milésien6. Parmi les bases pour les vainqueurs aux Didymeia retrouvées dans le sanctuaire, on n’a du reste retrouvé que des inscriptions pour des citoyens de Milet, et en particulier pour des paides. La présente inscription a d’ailleurs l’une des deux formes classiques sur ces bases, toutes pour des enfants de la cité. Le ἐν τῆι πατρίδι des l. 8-9 doit donc, comme toutes les autres attestations comparables de πατρίς dans les inscriptions de Didymes, s’entendre de la ville de Milet même, par opposition au sanctuaire extra-urbain de Didymes.

24W. J. Slater a donc certainement raison en considérant les Paneia non comme un concours « sacré » de Césarée Panias mais comme des compétitions de Milet ; à dire vrai, l’argument avancé, celui d’un culte de Pan qui serait attesté par une épigramme de Didymes, est en soi fragile : il était téméraire d’en conclure l’existence d’un concours dans la ville, alors que le dieu de l’épigramme est associé au sanctuaire d’Apollon, [Φ]οίβου ἐν ἄλσει. Mais l’existence d’un culte de Pan peut être étayée. À l’épigramme, on doit ajouter le relief de Pan et des Nymphes retrouvé à Didymes7. Pan était associé aux Nymphes, dont le culte est mieux attesté à Milet, notamment par le sanctuaire qui se trouvait sur la voie sacrée entre la ville et le Didymeion8. Un relief des Muses retrouvé dans le même sanctuaire représentait aussi Pan avec une chèvre9.

25On peut imaginer soit que Pan était honoré aussi bien dans le sanctuaire que dans la ville, soit, hypothèse au demeurant non contradictoire avec la première, que les épreuves étaient partagées entre le sanctuaire et le stade urbain. On sait que les Didymeia avaient des épreuves, aussi bien athlétiques qu’artistiques, ἐν τῷ ἱερῷ et d’autres ἐν Μιλήτῳ10. Peut-être en allait-il de même pour les Paneia, même si l’on ne comprend pas très bien dès lors pourquoi avoir précisé, pour les Paneia, ἐν τῆι πατρίδι, et n’avoir rien dit de l’emplacement des Didymeia cités quatre lignes plus haut ; cette célébration « dans la patrie » avait-elle été exceptionnelle ?

26Le palmarès est presque secondaire dans ce texte. Le terme χειρονόµος, qui a fait couler beaucoup d’encre, n’est d’ailleurs pas la spécialité du champion ; il n’y a pas d’épreuve de χειρονοµία attestée par ailleurs et dans les palmarès la discipline athlétique n’est jamais précédée de l’article11. D’ailleurs la spécialité du champion dans les concours est précisée dans l’inventaire des victoires, à l’emplacement attendu et sous une forme habituelle, πυγµήν12. Mais c’est d’abord Philadelphos « le » χειρονόµος que l’on honore, en précisant ensuite, dans une formule pas si banale qu’il n’y paraît13, ses victoires passées dans les concours locaux. Mais il n’a à citer aucun succès dans les concours isélastiques majeurs. Le palmarès n’éclaire pas à notre avis le sens précis de cheironomos ici. Peut-être l’interprétation la moins problématique serait-elle de voir dans Χειρονόµος un surnom, selon une formule connue pour les surnoms, mais inusuelle chez les athlètes et rare de manière générale dans l’épigraphie14. Dès lors son sobriquet lui viendra de la pratique pugilistique dite χειρονοµία, quel qu’en soit le sens exact, peut-être bien une manière de s’entraîner proche de la σκιαµαχία15.

27Les six victoires consécutives aux Didymeia ont été remportées dans des catégories qui aujourd’hui seraient l’équivalent de nos (mini-)poussins et benjamins. Le chiffre exclut qu’il s’agisse des Didymeia pentétériques ; c’était ici un concours annuel ou biennal ; dans un cas six années étaient nécessaires, dans l’autre dix. Comme pour nos catégories d’âge actuelles, chaque niveau englobait au minimum des enfants d’âge proche mais inégal : si le concours était annuel, chaque ἡλικία devait couvrir deux années, puisque Philadelphos l’a emporté consécutivement six fois dans trois catégories successives. Le parallèle le plus proche est le système des Thèseia athéniens à l’époque hellénistique16 : les compétitions y distinguent comme ici trois âges pour les plus jeunes, auxquels s’ajoutent les catégories plus habituelles des paides et des andres. Comme nous ne connaissons pas la limite inférieure d’admission des paides, aussi bien à Didymes qu’à Athènes, toute autre considération sur l’âge habituel de ces enfants-athlètes est hautement spéculative, tant ici nous avons affaire à un cas exceptionnel.

28La datation peut être précisée grâce à la mention d’Aelianus Poplas, notable milésien bien connu dont l’activité s’étale de Commode jusqu’au règne d’Élagabal17, et celle de son parent Ulpianus Hègèsandros, connu comme archiprytane à l’époque de Julia Domna18. L ’inscription est plutôt postérieure à 212, d’après la formule onomastique de Philadelphos.

29Date : 180-220, plutôt vers 212-220.