État et Église durant le long xix^e siècle grec (1828-1930)

1Il est question dans ce travail des aspects sociohistoriques de l’Église de Grèce en relation avec l’État grec. De ce fait, un élément majeur à prendre en compte consiste en la croissance territoriale et démographique de l’État grec durant cette période. Son territoire s’est progressivement étendu durant un siècle avant de prendre sa forme actuelle. Le noyau initial que le comte Capo d’Istria – fraîchement élu gouverneur de Grèce – découvrit en 1828 ne comportait en réalité que le Péloponnèse et les Cyclades. Le territoire qui, selon le traité du 25 avril [7 mai] 18321, constitua le nouveau royaume de Grèce, ne représentait qu’un peu plus d’un tiers de la superficie de l’État grec de 1928, après toutes les annexions. De même, entre 1910 et 1928, la population de l’État a plus que doublé du fait notamment de l’annexion des « nouveaux territoires ». Cette situation posait des problèmes évidents d’intégration sociale. Le tableau 1 témoigne de l’ampleur des évolutions territoriales et démographiques.

2Il montre que les grands écarts démographiques sont enregistrés au lendemain des extensions territoriales. Ainsi, l’augmentation démographique observée en 1870 doit-elle être principalement attribuée à la cession des îles Ioniennes à la Grèce par le Royaume-Uni suite au traité du 17 (29) mars 1864. De même, celle de 1889 est liée à l’annexion de la Thessalie et d’une partie de l’Épire par le traité du 12 (24) mai 1881.

3L’évolution majeure survint, toutefois, au lendemain de la décennie guerrière de 1912-1922. Dans un premier temps, la Grèce sort victorieuse des deux guerres balkaniques (1912-1913). Puis son engagement, même tardif (1917), en faveur de l’Entente lors de la Première Guerre mondiale, lui garantit des gains territoriaux, inespérés quelques années auparavant, par le biais des traités de Neuilly du 14 (27) novembre 1919 et de Sèvres du 28 juillet [10 août] 1920. La défaite lors de la guerre gréco-turque en 1922 établit l’État grec dans des frontières demeurées quasi inchangées depuis (mis à part l’annexion du Dodécanèse en 1947). Cela n’empêcha cependant pas la Grèce de connaître une nouvelle et forte augmentation démographique, car la défaite de 1922 et l’échange des populations inscrit dans le cadre du traité de Lausanne du 24 juillet 1923 provoquèrent l’arrivée de plus d’un million de réfugiés provenant du territoire turc.

4D’une certaine manière, la période 1912-1923 peut être considérée comme un nouveau moment fondateur de l’État grec, tout aussi important que la guerre d’Indépendance de 1821-1828. L’intégration de populations hétéroclites dans une société nationale fut la tâche primordiale à laquelle furent confrontés aussi bien les gouvernements que les dirigeants ecclésiastiques de cette période. Les changements survenus entre les recensements de 1907 et de 1928 sont particulièrement intéressants car ils permettent d’identifier les régions les plus concernées par ce bouleversement sociodémographique.

5Le tableau 2 démontre bien que les régions ayant subi les plus importantes modifications démographiques, à la fois qualitatives et quantitatives, furent celles de la Grèce centrale (en réalité cela touchait surtout le département de l’Attique avec les villes d’Athènes et du Pirée) et les nouveaux territoires de Macédoine et de Thrace. Les modifications apparaissent d’autant plus conséquentes pour ces derniers si l’on considère que le tableau ne rend pas compte en détail de l’échange des populations. Compte tenu des départs, le nombre des arrivées est en fait plus important que ce qui apparaît en faisant la simple soustraction entre 1928 et 1920. Le véritable impact de l’afflux des réfugiés dans ces régions est donc minoré par cette statistique globale. En tout cas, les trois régions (l’Attique, la Macédoine, la Thrace) où l’action sociale de l’Église se fait le plus sentir durant la période concernée figurent de façon éminente.

6L’organisation de l’Église orthodoxe en Grèce est elle-même marquée par l’évolution accidentée de l’État grec. Les extensions successives du territoire étatique, survenues dans des contextes politiques différents, ont finalement provoqué une kyrielle de statuts ecclésiastiques.

7L’Église autocéphale de Grèce fut fondée par décret royal le 23 juillet 1833 et comportait les évêchés du patriarcat œcuménique se trouvant dans le territoire du nouveau royaume grec2. À la suite de l’annexion des îles Ioniennes en 1864, les trois métropoles, les deux archevêchés et les deux évêchés qui s’y trouvaient furent incorporés à l’Église de Grèce par l’acte n^o 3446 du 7 juillet 1866 du patriarcat promulgué en Grèce par décret royal3. La même procédure fut suivie lors de l’annexion de la Thessalie et d’une partie de l’Épire. Les quatre métropoles et les cinq évêchés qui s’y trouvaient furent également attribués à l’Église de Grèce par le patriarcat. L’acte patriarcal 2262 de mai 1882, promulgué en Grèce par décret royal, finalisa ce transfert4. Cette procédure ne devrait plus servir lors des agrandissements étatiques suivants.

Carte 1 — Extensions territoriales de l’État grec de 1833 à 1881.

8En effet, à la suite des guerres balkaniques, le statut ecclésiastique des nouveaux territoires acquis par la Grèce resta bancal jusqu’en 1928. En cette année, le patriarcat, le gouvernement grec et l’Église de Grèce parvinrent à un compromis sur les diocèses des territoires d’Épire, de Macédoine et de Thrace. Certes, la loi 3615 du 10 juillet 1928, intégrant l’acte patriarcal relatif, organisait l’incorporation des diocèses des « nouveaux territoires » au sein de l’Église de Grèce. Cependant, le patriarcat se réservait cette fois-ci le droit de supervision spirituelle et même d’ingérence dans les élections des titulaires de ces diocèses5.

9En 1928, le territoire grec ne comportait donc pas moins de quatre statuts ecclésiastiques orthodoxes différents :

• les diocèses des vieux territoires de l’Église autocéphale de Grèce ;
• les diocèses des « nouveaux territoires » de la même Église ;
• l’Église semi-autonome de Crète dirigée par un archevêque et dépendant du patriarcat ;
• la communauté monastique autonome du mont Athos dépendant du patriarcat.

10Pour avoir le panorama complet de la situation actuelle il faudrait ajouter le statut des diocèses du Dodécanèse – incorporé à la Grèce en 1947 – qui eux dépendent toujours directement du patriarcat.

11Il appartient à ce travail de présenter des hypothèses sur les raisons et les conditions de cette prolifération des statuts dans l’entre-deux-guerres. Celle-ci fit suite à une période plus frugale en innovations organisationnelles, où l’on se contentait de transférer la souveraineté des diocèses du patriarcat vers l’Église de Grèce au fur et à mesure que des territoires étaient annexés. Pour l’instant, il suffit de dresser ce constat afin d’avertir le lecteur non avisé de la complexité de la situation. Complexité d’autant plus subtile que l’Église autocéphale de Grèce – la seule institution ecclésiastique dont traite ce livre – a connu nombre de réformes organisationnelles.

12Lors de la proclamation du royaume grec, vingt-trois métropoles, deux archevêchés et vingt-six évêchés se trouvaient sur son territoire (tableau 3).

13Le décret royal du 20 novembre 1833 fit fi de l’organisation ecclésiastique précédente et organisa l’Église selon le système administratif retenu par la nouvelle monarchie. Dix diocèses correspondant aux dix nomes (départements) furent mis en place. Le siège de chaque diocèse se trouvait dans la capitale de chaque nome. Toutefois, étant donné le nombre de prélats se trouvant sur le territoire grec à cette époque et compte tenu de la situation de détresse du clergé après la guerre d’Indépendance, pas moins de trente diocèses provisoires ou personnels furent mis en place (tableau 4). Lors du décès de leur titulaire, ceux-ci étaient automatiquement incorporés au diocèse de la capitale du nome où ils se trouvaient6.

14Cette volonté de diminuer le nombre de diocèses fut renversée par la loi S (200) du 9 juillet 1852 qui était censée transposer dans le droit grec l’acte patriarcal de déclaration de l’autocéphalie de l’Église de Grèce datant du 29 juin 1850. Le nombre de diocèses fut porté à vingt-quatre : la métropole d’Athènes, dix archevêchés correspondant aux neuf autres capitales de département, plus la ville de Corinthe, du fait de son passé apostolique, et treize évêchés7 (tableau 5).

15Le nouveau découpage administratif du royaume intervenu en 1899 pour prendre en compte les territoires acquis depuis 1833 induisit le même phénomène au sein de l’Église.

16Par son encyclique 4162/1286 du 15 décembre 1899, le synode de l’Église de Grèce donna son assentiment à l’organisation de l’Église en trente-deux diocèses dont une métropole (Athènes) et trente et un évêchés8 (tableau 7). Cette organisation fut mise en application par le décret royal du 22 janvier 1900. Enfin, la loi n^o 2891 du 29 juillet 1922 transforma tous les évêchés en métropoles et créa un trente-troisième diocèse (celui de Halkis fut divisé et Karystia redevint un diocèse à part)9. Ainsi se terminait la première période de réformes administratives de l’Église.

17La deuxième période s’ouvrit avec la promulgation de la charte réglementaire de l’Église de Grèce de 1923. Entre autres, le titulaire du diocèse d’Athènes s’intitulait désormais « Archevêque d’Athènes et de toute la Grèce »10 et tous les diocèses étaient devenus des métropoles11. Malgré les tergiversations dues à la fluidité politique durant les années 1920, ce système fut consacré par les lois 5187 et 5438 de 1931. Entre-temps, la susmentionnée loi 3615 du 10 juillet 1928 incorporant les diocèses des « nouveaux territoires » fixa le nombre de diocèses à soixante-cinq. Chacune des deux parties de l’Église (« vieille Grèce » et « nouveaux territoires ») en disposerait de trente-deux (32), le tout étant coiffé par l’archevêché d’Athènes. Les prélats des « nouveaux territoires » dont les diocèses étaient amenés à fusionner restaient en place soit jusqu’à leur décès soit jusqu’à une dispense d’exercice. La fusion des diocèses intervenait par la suite. En réalité, donc, le tableau de la hiérarchie de l’Église de Grèce par ordre d’ancienneté faisait paraître, en 1931, soixante-quinze (75) prélats dont quarante-deux (42) provenaient des régions de Macédoine, Thrace, Épire et des îles de la mer Égée12 (tableau 8).

Carte 2 — Organisation administrative de l’État grec en 1881 (départements et comtés).

1. Akarnania et Étolie : 1a. Valtos ; 1b. Vonitsa et Xeromeri ; 1c. Evrytania ; 1d. Missolonghi ; 1e. Nafpakktos ; 1f. Trichonia.

2. Argolis et Corinthe : 2a. Argos ; 2b. Spetses et Ermionis ; 2c. Corinthe ; 2d. Cythère ; 2e. Nafplio (Nauplie) ; 2f. Hydra et Troizina.

3. Arcadie : 3a. Gortys ; 3b. Kynouria ; 3c. Mantineia ; 3d. Megalopolis.

4. Arta : 4a. Arta ; 4b. Tzoumerka.

5. Attique et Béotie : 5a. Égine ; 5b. Attique ; 5c. Thèbes ; 5d. Livadeia ; 5e. Megaris.

6. Achaïe et Ilia : 6a Aigialia ; 6b. Ilia ; 6c. Kalavryta ; 6d. Patras.

7. Eubée : 7a. Karystia ; 7b. Xerohori ; 7c. Skopelos ; 7d. Halkis.

8. Zakynthos (Zante) : 8a. Zakynthos (Zante).

9. Kerkyra (Corfou) et Paxoi : 9a. Kerkyra (Corfou) ; 9b. Lefkas ; 9c. Messi ; 9d. Oros ; 9e. Paxoi.

10. Kephalonia (Céphalonie) : 10a. Ithaque ; 10b. Kranaia ; 10c. Palli ; 10d. Sami.

11. Cyclades : 11a. Andros ; 11b. Thira (Santorin) ; 11c. Kea ; 11d. Milos ; 11e. Naxos ; 11f. Syros ; 11g. Tinos.

12. Lakonia (Laconie) : 12a. Gytheio ; 12b. Epidavros Limiras ; 12c. Lakedaimonias ; 12d. Oitylos.

13. Larissa : 13a. Agya ; 13b. Almyros ; 13c. Volos ; 13d. Domokos et Farsala ; 13e. Larissa ; 13f. Tyrnavos.

14. Messinia : 14a. Kalamai ; 14b. Messini ; 14c. Olympia ; 14d. Pylia ; 14e. Trifylia.

15. Trikkala : 15a. Kalambaka ; 15b. Karditsa ; 15c. Trikkala.

16. Fthiotis et Fokis : 16a. Doris ; 16b. Lokris ; 16c. Parnassos ; 16d. Fthiotis.

Carte 3 — Organisation administrative de l’État grec pendant la période     1899-1909.

1. Akarnania et Étolie : 1a. Valtos ; 1b. Vonitsa et Xeromeri ; 1c. Missolonghi ; 1d. Nafpaktos ; 1e. Trichonia.

2. Argolis : 2a. Argos ; 2b. Spetses et Ermioni ; 2c. Nafplio (Nauplie) ; 2d. Troizina ; 2e. Hydra.

3. Arcadie : 3a. Gortys ; 3b. Kynouria ; 3c. Mantineia ; 3d. Megalopolis.

4. Arta : 4a. Arta.

5. Attique : 5a. Égine ; 5b. Attique ; 5c. Megaris.

6. Achaïe et Ilia : 6a. Aigialia ; 6b. Kalavryta ; 6c. Patras.

7. Béotie : 7a. Thèbes ; 7b. Livadeia.

8. Eubée : 8a. Karystia ; 8b. Xerohori (Istiaia) ; 8c. Halkis.

9. Evrytania : 9a. Evrytania.

10. Zakynthos (Zante) : 10a. Zakynthos (Zante).

11. Ilia : 11a. Ilia.

12. Karditsa : 12a. Karditsa.

13. Kerkyra (Corfou) : 13a. Kerkyra (Corfou) ; 13b. Paxoi.

14. Kephalonia (Céphalonie) : 14a. Kranaia ; 14b. Palli ; 14c. Sami.

15. Corinthe : 15a. Corinthe.

16. Cyclades : 16a. Andros ; 16b. Thira (Santorin) ; 16c. Kea ; 16d. Milos ; 16e. Naxos ; 16f. Syros ; 16g. Tinos.

17. Lakedaimonia : 17a. Epidavros Limiras ; 17b. Lakedaimonia.

18. Lakonia (Laconie) : 18a. Gytheio ; 18b. Cythère ; 18c. Oitylos.

19. Larissa : 19a. Agya ; 19b. Larissa ; 19c. Tyrnavos ; 19d. Farsala.

20. Lefkas : 20a. Ithaque ; 20b. Lefkas.

21. Magnissia : 21a. Almyros ; 21b. Volos ; 21c. Skopelos.

22. Messinia : 22a. Kalamai ; 22b. Messini ; 22c. Pylia.

23. Trikkala : 23a. Kalambaka ; 23b. Trikkala.

24. Trifylia : 24a. Olympia ; 24b. Trifylia.

25. Fthiotis : 25a. Domokos ; 25b. Lokris ; 25c. Fthiotis.

26. Fokis : 26a. Doris ; 26b. Parnassos.