Conclusions
Un instantané qui invite à poursuivre, approfondir et confronter les approches
p. 289-291
Texte intégral
1Depuis la table-ronde, quasi fondatrice de l’archéologie du bâti, de Pont-à-Mousson en 1994, les regards se sont diversifiés et donc faits multiples sur l’histoire des constructions, débordant largement la simple analyse architecturale des élévations et de leur état sanitaire, pour entreprendre un ensemble toujours plus varié de champs d’enquêtes. De fait, on s’intéresse aujourd’hui, autant à l’origine et la nature des matériaux de construction, à l’économie de leur extraction comme de leur transport, à leur mise en œuvre, à l’organisation du chantier même de construction, comme à la structure des édifices et leur évolution. Dans ce mouvement, on a vu émerger et se construire l’archéologie du bâti, devenue une spécialité scientifique par l’adoption de méthodes archéologiques d’études et analyses aboutissant à un ensemble de connaissances approfondies. Par ailleurs, et pour paraphraser J. Burnouf qui notait que « le bâti est un produit social dynamique » (nous pourrions aussi souvent rajouter « et économique ») ou F. Blanc-Garidel pour qui l’archéologie du bâti est bien un outil de connaissance de l’histoire, les études ont aussi poussé leur feu au-delà de l’enveloppe matérielle. Elles rendent compte des relations entre l’Homme et la société, et des contextes politiques ou encore socio-économiques influant sur la genèse comme l’évolution des constructions. Ces dernières ne sont plus traitées comme des isolats mais comme appartenant à un paysage urbain ou rural, interagissant fortement avec celles-ci. Une grande partie de ces derniers domaines d’étude n’est pas fondamentalement nouvelle si ce n’est que dorénavant, on place la construction au croisement de regards multiples, de plus en plus souvent soutenus par un dialogue entre architectes, archéologues, historiens, historiens de l’art, restaurateurs et bien évidemment maîtres d’ouvrage. L’évolution est bien en marche après de fortes résistances à l’origine (les propos tenus par P.-ALablaude lors des Entretiens du Patrimoine de 1994 allaient déjà à l’encontre de premières concertations entre architectes, archéologues, historiens de l’art et restaurateurs). Et on peut se réjouir, par exemple, que de récents numéros de Monumental les aient associés au sein de thématiques incitant à la collégialité des travaux ; ainsi « Archéologie et monuments historiques » – (semestriel 1 – 2014) ou « la Pierre dans la construction : conservation, restauration, création » (semestriel 1 – 2019). Il est vrai toutefois qu’il y a encore du travail sur la planche pour dépasser les derniers antagonismes !
2Le colloque ArCoGE qui s’est donc tenu à Nancy en septembre 2019 s’inscrit pleinement dans ce mouvement, en offrant ici comme le souhaitait C. Moulis un instantané de celui-ci. Du reste, en voulant poursuivre un ensemble de réflexions et de travaux menés depuis 1988 en Grand Est sur l’archéologie de la construction (et pas seulement l’archéologie du bâti qui n’en serait qu’un aspect), ArCoGE aura démontré que l’on se situe bien dans une dynamique de recherches en continuelle progression. Les contributions réunies concernent une région, dont l’Alsace et surtout La Lorraine, qui fut, peu après l’axe « divin » tellement incubateur de Lyon-Genève-Aix-en-Provence, l’une des régions « fondatrices » au sein desquelles l’archéologie des constructions s’est développée à partir de la fin des années 80. Le colloque se proposait de débattre de « questions de l’archéologie du bâti, les chantiers et la mise en œuvre des matériaux » et le pari a été tenu avec ces quelques 15 contributions, souvent bien différentes les unes des autres, mais abordant ce même et vaste sujet d’étude qu’est la construction et ces cadres administratifs, réglementaires, scientifiques et techniques.
3Une première impression est que ces recherches sont diverses et riches, abordant un ensemble toujours plus élargi d’édifices et non plus simplement le couple habituel château-église, même s’il constitue encore et de loin le terrain de recherche le plus parcouru. Car les archéologues savent aussi frapper à la porte des maisons des villes comme de celles des champs et questionner le contexte dans lequel elles s’insèrent ; l’exemple de la maison du Quai Saint-Nicolas à Strasbourg l’illustre bien, comme auparavant le furent les études menées sur les strates historiques de la ville de Metz et le quartier saint Nicolas. Et ces travaux savent aussi se porter sur les logis d’ensembles laïcs ou religieux comme celui de la commanderie templière et hospitalière d’Avalleur. Enfin, même si elle n’aura abordé ici que le front de Seille et l’étude d’un moineau, la contribution consacrée à l’enceinte urbaine (xiiie-xvie siècle) de Metz rappelle l’intérêt toujours porté aux fortifications urbaines, ici de Lorraine, après l’important et fécond travail mené sur les enceintes urbaines et leurs abords en Lorraine et Alsace (Henigfeld & Masquillier, RAE, suppl 26, dir. 2008). À leur sujet, ce programme collectif de recherche concluait ses travaux en appelant une poursuite des recherches, lesquelles avaient porté sur à peine 10 % du corpus, le plus souvent des enceintes de villes de dimension moyenne à petite. Il restait ainsi à multiplier les occurrences, préciser les datations, enrichir le corpus pour dresser une typo-chronologie des enceintes. Ce colloque nous invite aussi à de mêmes développements.
4Les résultats ici exposés appellent en premier à soutenir l’étude la plus globale possible de ces ensembles organiques que constituent les constructions, dont les pulsations expriment bien l’évolution de méthodes et de pratiques constructives autant que leur rôle dans la genèse et l’évolution d’une société, qu’elle soit urbaine ou rurale, laïque ou religieuse. On ne peut ainsi qu’encourager les travaux sur les bâtis urbains, inciter aussi à poursuivre les études sur les ensembles élitaires fortifiés ou non, comme sur les enveloppes urbaines ou mêmes villageoises que constituèrent les fortifications, sur une voie par ailleurs tracée par A. Masquillier et G. Giuliato pour la Lorraine. À propos des sites fortifiés, un programme privilégiant leur compréhension en relation avec leur paysage immédiat, permettrait de relancer des études qui semblent depuis quelques années trop peu nombreuses voire même en déshérence, alors que le potentiel castral est important dans le Grand Est et typologiquement varié pour le Moyen Âge et la période moderne.
5Depuis plusieurs années, les recherches mènent les pas des archéologues comme des architectes et historiens de l’art sur l’analyse distinctive, bien plus fine, des pièces constituant le puzzle. On saluera ici l’incitation manifeste à l’égard de l’étude des matériaux de construction. L’analyse est poussée sur leur caractéristique (fer, pierre, bois, terre cuite) comme nature et provenance et leur mise en œuvre, jusqu’à la préparation et l’organisation du chantier de construction, dont l’intérêt est manifesté au travers de plusieurs études récentes comme celle de J. Koch pour les sites castraux alsaciens.
6Le regard, qui dans ce colloque a poussé ses feux sur le grès puis le granite, s’est en premier et d’emblée porté sur le bois, qui constitue la seconde thématique de la manifestation, la pierre en formant la troisième. Pour le bois, on soulignera tout autant l’intérêt des recherches sur les charpentes médiévales du couvent des Dominicaines d’Unterlinden de Colmar, et celle de la nef de l’église de Lagery que l’enquête menée par C. Moulis. Ce dernier incite à renouveler les regards sur l’emploi du bois (charpente, échafaudage, armatures chaînantes, etc, ) dans la construction romane, autant que les travaux menés par P. Hoffsummer sur la constitution du corpus tectorum des régions du Nord-Est (après celles du Nord-Ouest de la France). Avec déjà 381 charpentes recensées et documentées, la progression des connaissances est impressionnante et elle ne peut que nous conforter à soutenir plus avant ces travaux qui intéressent aussi l’analyse du chantier des couvertures et de la mise en œuvre des matériaux de toiture. Quant à C. Moulis, il montre l’intérêt de poursuivre une enquête certes longue et minutieuse mais qui devrait renouveler nos connaissances sur ce matériau longtemps sous-estimé dans son emploi, en dehors de celui pour les charpentes. Notons la nécessité pour ces travaux de faire appel à la pluridisciplinarité et aux archéo-sciences, et entre autres à la dendrochronologie. On rappellera du reste que celle-ci ne sert pas seulement à dater un bois ! Notons aussi que les études pourraient également aborder la morphologie des fenêtres, portes et placards trop souvent délaissés. Sur cette question des matériaux, on ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec le fer dans la construction, une contribution portant ici sur son usage dans la construction gothique, ici dans la cathédrale de Metz. Elle est bienvenue, alors que le sujet est de plus en plus souvent abordé depuis le milieu des années 1980 si on songe à l’ouvrage coordonné par O. Chapelot et P. Benoit en 1985 sur « Pierre et métal dans le bâtiment au Moyen Âge », questionnant par ailleurs sa présence, origine et mise en œuvre dans nombre d’édifices, le plus souvent des cathédrales et églises comme à Rouen ou Chartres, à Troyes, mais aussi dans des édifices castraux comme au sein du donjon de Vincennes où même dans le Palais des Papes à Avignon. Il serait à ce sujet intéressant de pousser l’enquête au sein des petites églises rurales qui auraient pu ou non profiter de leur proximité avec des filières de production. Même si le fer est souvent associé à la pierre, et on pense ici au titre presque malicieux d’une contribution de S. Aumard dans Monumental 2019 « Du métal dans la pierre sculptée », on soulignera aussi son emploi dans les charpentes comme dans l’élévation de pans de bois. Il est certain enfin que dans une telle dynamique, d’autres thématiques pourraient être relevées comme celles concernant l’emploi de la terre cuite dans la construction mais aussi du verre.
7Ce colloque est un instantané d’une recherche qui apparaît bien foisonnante, construisant aujourd’hui ses bases de données pour mieux appréhender ses acquis et sérier les projets et priorités à venir. Il n’est ainsi pas anodin que la manifestation ait permis la présentation de deux programmes ambitieux, la base de données « image », qui recensera à terme toutes les études archéologiques du bâti conduites dans le Grand Est et le Corpus Tectorum de P. Hoffsummer. Nous nous situons dans ce même mouvement, auquel appartient par exemple la plateforme collaborative sur l’usage de la pierre en Bourgogne, le Corpus lapidum Burgundiae coordonné par S. Büttner et L. Leroux (Monumental 2019). Elle pourrait s’étendre sur le Grand Est, assurant ainsi une juste et meilleure place à chacun des matériaux employés (grès, granite, schiste, calcaire, etc.)
8Cette dynamique ne peut toutefois cacher ses difficultés et actuelles limites, dont la composition du colloque nous aura fait part indirectement. Comme C. Moulis, on regrettera que les autres acteurs (architectes, historiens de l’art, restaurateurs, géologues, etc....) aient si peu répondu présent et qu’ils ne s’y soient donc guère associés. Sans doute par sa définition « archéologie du bâti » ou plus globalement « archéologie de la construction », la démarche donne l’impression d’un cloisonnement scientifique, et d’une recherche n’intéressant que des archéologues et refermée sur ses intérêts, indépendamment du projet d’intervention sur la construction. Il n’en est rien, et confronter ses travaux, montrer à quel point ils sont complémentaires et nullement concurrents, demeure un enjeu, tant l’étude architecturale est par exemple une composante essentielle dans la compréhension d’un édifice et sa conservation ou sa valorisation. En débutant par deux contributions, chacune émanant successivement d’un agent du service régional de l’archéologie, puis de la conservation régionale des Monuments Historiques, la manifestation n’a guère hésité à montrer ce qui rassemblait comme ce qui éloignait encore des services pourtant chargés d’une quasi même mission : protéger, étudier, conserver. Révélant, dès les premiers pas, que l’archéologie de la construction connaît une vraie dynamique en Lorraine, et que ses acteurs institutionnels y sont sensibles, est significatif d’une évolution des mentalités. Il reste néanmoins un bout de chemin à parcourir pour parvenir à une parfaite collégialité entre acteurs du traitement puis du suivi des projets de travaux sur les monuments. Sans doute, de la pratique de terrain pourra émerger une clarification réglementaire inscrivant enfin l’étude archéologique des constructions dans le processus de connaissance puis de définition des interventions sur les monuments. Plus qu’un souhait, cela doit être une exigence.
Auteur
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François Fichet de Clairfontaine
Inspecteur général de l’archéologie
Délégation à l’inspection, la recherche et l’innovation/DGPA
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