Étudier l’enceinte urbaine médiévale de Metz : méthode, résultats et enjeux
p. 276-288
Texte intégral
1Alors que la cathédrale Saint-Étienne de Metz fête ses 800 ans en 2020, les vestiges de l’enceinte urbaine messine traversent les siècles avec beaucoup plus de discrétion. Loin de l’accueil des fidèles, mais liés à la dévotion religieuse, notamment à l’occasion des pèlerinages et des fêtes comme le rappelle le chroniqueur Philippe de Vigneulles à de nombreuses reprises, il n’en subsiste aujourd’hui que des vestiges et la magnifique porte des Allemands, symbole de cette gigantesque construction. Si la cathédrale veille toujours sur les âmes, l’enceinte urbaine a longtemps protégé les corps grâce à ses 5 575 m de muraille, percés de sept portes principales et de douze poternes, flanqués par soixante-seize tours, mais aussi équipés de quatre ponts fortifiés qui enjambaient la Seille et la Moselle. Au milieu du xiiie siècle, cette gigantesque enceinte englobait 160 ha faisant de Metz l’une des villes fortifiées les plus importantes de l’Empire1 (fig. 1).
Figure 1 : L’enceinte de Metz (XIIIe-XVIe siècle).

DAO J. Trapp, 2017.
2Ville libre située à la frontière avec le royaume de France et constamment convoitée par les princes voisins dont le roi lui-même, Metz a dû très tôt se doter d’infrastructures défensives, mais aussi d’une administration compétente en matière d’armement et de mise en défense grâce à l’entretien et à la réalisation de travaux sur la muraille jusqu’en 1552, date à laquelle l’échec du siège de la ville par Charles Quint fait basculer le destin des Messins vers la France. Toutefois, la ville ne sera officiellement rattachée au royaume de Louis XIV qu’en 1648.
3Depuis 2008, grâce aux travaux de l’association Historia Metensis, mais aussi aux recherches menées dans le cadre d’une thèse2, l’enceinte médiévale messine est aujourd’hui mieux connue. Nous proposons ici de revenir sur l’histoire de ces études et de leurs aboutissements.

1. 2010-2011 : L’état des lieux de la recherche et la conservation des vestiges
1. 1. Une brève historiographie de la recherche
4Dès le premier quart du xixe siècle, Lucien Klippfel réalise des relevés du tronçon de la Seille, avec notamment une vue en coupe du pont fortifié des Grilles de la Basse-Seille3 (fig. 2).
Figure 2 : Coupe du pont des Grilles de la Basse-Seille, par Lucien Klipffel (1819).

© BM de Metz Département Patrimoine, fonds L. Klipffel.
5Toutefois, le premier travail de recherche consacré aux fortifications messines est celui du colonel Parnajon4.
6Ce commandant du corps du Génie en charge de la restauration de la porte des Allemands, ainsi que de celle des fortifications du front de Seille présente, à l’occasion du Congrès archéologique de France de 1846, une communication qui retrace l’histoire de la muraille, depuis l’époque gauloise jusqu’au siège de 1552. Son travail s’appuie largement sur des documents d’archives présents dans l’Histoire de Metz par les Bénédictins5 et sur les chroniques messines. S’il fait office de précurseur, le colonel Parnajon présente néanmoins un travail qui comporte des incohérences et des erreurs de chronologie et de cartographie. Au début du xxe siècle, des études ponctuelles sont menées à l’image de celle réalisée par Élie Fleur et portant sur la Porte Saint-Thiebault6. En 1932, le chanoine Roch-Stéphane Bour est le premier à proposer une étude complète de la topographie orientale de la ville7. La même année, le front de Seille est classé au titre des Monuments historiques. En 1950, la thèse de Jean Schneider, « La ville de Metz aux xiiie et xive siècles », apporte un nouvel éclairage sur l’histoire médiévale messine8. Les informations concernant la construction et l’entretien de la nouvelle muraille dès le xiie siècle permettent de comprendre l’incorporation progressive des faubourgs et la mise en place d’impositions dédiées à l’enceinte pour financer ces travaux. Jusqu’à cette thèse, l’aspect économique avait été largement négligé. Après les travaux de Jean Schneider, il faut attendre les années 1970 et une publication de Jean Thiriot pour donner un nouveau souffle à l’histoire de la muraille et susciter à nouveau de l’intérêt pour les vestiges9. Toutefois, ce travail reste limité, car les notices concernant les ouvrages remarquables sont courtes, peu détaillées et les sources n’y sont pas présentées. Néanmoins, les cartes de la fortification urbaine, réalisées à l’échelle du cadastre actuel, sont précises et apportent un réel complément.
7Au début des années 2000, Pierre-Édouard Wagner propose une rapide étude de l’évolution de la fortification messine à l’occasion d’un colloque consacré à l’étude de la fortification en Lorraine10. Il analyse alors efficacement chacun des éléments de la muraille, leur évolution et l’adaptation de l’enceinte face aux avancées de l’artillerie. Plus récemment, la thèse soutenue par Laurent Litzenburger sur le climat de la ville de Metz à la fin du Moyen Âge11 et celle de Frédéric Ferber portant sur Metz et ses deux rivières, ont apporté de riches éléments sur l’entretien de la muraille, mais aussi des ponts et des digues12. Notre thèse soutenue en 2017 a quant à elle permis d’étudier la comptabilité de la muraille et de répondre à de nombreuses interrogations, telles que la provenance des matériaux, les coûts de constructions, la nature des travaux effectués ou encore leurs localisations13. Enfin, si tous ces travaux ont fourni une base pour effectuer des recherches sur l’enceinte, il a été nécessaire de les compléter avec les informations acquises sur le terrain grâce aux fouilles, sondages et relevés archéologiques effectués depuis le xixe siècle afin de réaliser une monographie la plus complète possible14.
1. 2. Les fouilles et les relevés archéologiques
8Dès la première Annexion, à l’occasion des grands travaux réalisés au début du xxe siècle, l’archéologie messine progresse sous l’impulsion de plusieurs savants allemands, parmi lesquels le directeur du musée de La Cour d’Or, Johann Baptist Keune15. Dès 1875, la campagne de fouille rapportée par Auguste Prost met au jour une partie du tracé de la muraille à la lumière des découvertes archéologiques16, mais les travaux d’aménagement réalisés par les Allemands causent la destruction d’une part importante des fortifications. La création du « Ring », c’est-à-dire le quartier impérial avec en particulier le percement de l’avenue Foch, entraîne le comblement des fossés et la destruction de la muraille. Seule la tour Camoufle est conservée. Le bras intérieur de la Seille est également comblé, ce qui entraîne la destruction d’un tronçon des fortifications et d’une partie du pont fortifié des Grilles de la Basse-Seille. Ces campagnes de destruction sont connues par des photographies et des relevés conservés au musée de La Cour d’Or et à la Bibliothèque-Médiathèque de Metz (BMM) (fig. 3 et 4).
Figure 3 : Le comblement du fossé aux abords de la tour Camoufle en 1902.

© BMM.
Figure 4 : La destruction de la porte Sainte-Barbe en 1904.

© Musée de La Cour d’Or.
9En 1989, des campagnes de restauration sont menées sur les fortifications du front de Seille et à cette occasion, des relevés d’architectes sont effectués. Il n’y a d’ailleurs pas de véritables relevés du bâti avant cette date, seuls des relevés topographiques avaient été effectués. En 1995, Christian Corvisier rédige la première étude détaillée de la porte des Allemands17. L’archéologie renouvèle les connaissances sur cet ouvrage remarquable, unique vestige des portes monumentales de l’enceinte urbaine. La porte est à nouveau étudiée par Philippe Kuchler18 et plus récemment par Gaël Brkojewitsch dans le cadre de sa restauration19. Quelques années plus tôt, ce dernier a également mené une campagne de fouille à proximité immédiate de la place Mazelle en 2012 mettant au jour des vestiges de la porte éponyme20. La dernière campagne de fouille a été réalisée en 2013 dans la Manufacture des Tabacs par l’équipe d’archéologues de Christian Dreier et Marianne Escoffier21. Elle a permis de dégager une partie du mur d’escarpe du fossé entre les portes du Pont-des-Morts et du Pontiffroy qui devait servir à retenir la terre pour éviter que celle-ci ne retombe dans le fossé. Contre les fondations de ce mur, un coffrage en bois a été retrouvé (fig. 5). Il a été daté par analyses dendrochronologiques du premier quart du xive siècle, ce qui correspond bien à la date des travaux de creusement du fossé en 1324 tel que l’évènement a été rapporté dans les chroniques et les archives.
Figure 5 : Partie du coffrage en bois retrouvé lors de la fouille de la Manufacture des Tabacs.

© Pôle Archéologie Préventive de Metz Métropole.
1. 3. Les archives, les chroniques et les plans : des sources incontournables
10Si l’article proposé par PierreÉdouard Wagner en 2003 est minutieux, l’historien ne fait pourtant qu’effleurer un vaste sujet et il reconnaît que « l’analyse des Comptes de la Cité, des Comptes des Gouverneurs des Murs ou de ceux des Sept de la Guerre devraient permettre de connaitre avec grande précision, l’évolution de la fortification messine tout au long du xve siècle et jusqu’à la fin de la République en 1553 »22. De nombreuses études proposées sur les fortifications étaient en effet souvent basées sur les découvertes archéologiques, les chroniques messines et certains fonds d’archives, mais il existait, comme le faisait remarquer PierreÉdouard Wagner, des archives comptables qui n’avaient pas encore été étudiées et qui permettaient d’apporter un nouvel éclairage à l’histoire de l’enceinte urbaine. Conservées aux archives municipales de la ville de Metz (AMM) et aux archives départementales de la Moselle (ADM), la comptabilité des Gouverneurs des Murs en charge des travaux sur la muraille23 , les « visitations » effectuées par les Sept des Murs24 mais également les livres de comptes du receveur de la ville conservés de 1407 à 155225 et les Comptes des Sept de la Guerre26 , constituent un ensemble d’archives jusqu’alors peu étudié dans le cadre de recherches sur les fortifications médiévales de Metz. Ces différentes comptabilités ont été analysées dans le cadre de notre thèse et ont en effet livré de précieuses informations sur la muraille et les hommes qui l’ont construite et entretenue jusqu’à la fin du Moyen Âge27.
11Ainsi, l’analyse des comptes du receveur a permis de connaître le coût représenté par l’entretien de la muraille entre 1407 et 1552 et de mettre en évidence que ces dépenses dépassaient rarement plus d’un tiers des recettes urbaines. En moyenne, elles ne dépassaient pas 10 % du budget annuel de la ville28. L’étude des comptes des Gouverneurs des Murs montre également toute la complexité de l’administration de l’enceinte urbaine, avec notamment, la découverte d’une comptabilité de chantier, dont seuls deux exemplaires ont été en partie conservés29. Les autres comptes se présentent sous la forme d’une comptabilité classique indiquant des recettes, des dépenses et le bilan financier. Les dépenses sont représentées par plusieurs dizaines de paiements où les informations relatives à l’achat de matériaux et aux versements de salaires des différents artisans sont mélangées. Jusqu’à la redécouverte des deux comptes de chantier, il était impossible d’établir des coûts et de connaître la rémunération des différents maîtres et artisans. Cette comptabilité de « terrain » était rédigée par un clerc directement sur le chantier. Il y indiquait chaque semaine les versements des salaires, l’achat de matériaux, l’absence de travailleurs, etc. La somme des informations contenues dans ces deux comptes détaillés est considérable et permet de connaître l’identité des hommes qui ont travaillé sur les chantiers de la muraille, ainsi que leurs salaires, leurs origines etc.
12L’absence de données relatives à la topographie de la ville, au contexte politique, militaire, économique ou climatologique dans la comptabilité des Gouverneurs des Murs a été comblée grâce aux informations contenues dans les chroniques messines. Pour la période étudiée, la chronique de Philippe de Vigneulles est évidemment incontournable30, tout comme celles de Jean Aubrion31, de Jacomin Husson32, de Jean le Châtelain33, ou de Jacques Desch34. Moins étudiées, la Chronique des Maîtres Échevins35, celle du Doyen de Saint-Thiebault36, celle des Célestins37, ou encore la Chronique rimée38 ont également apporté de précieuses informations, parfois même inédites tant sur le contexte que sur des étapes de construction de l’enceinte jusqu’alors méconnues39. La compilation des chroniques, proposée par JeanFrançois Huguenin en 1838, a également été utilisée, notamment pour la Chronique de Praillon qui n’a pas été éditée. Cependant, en ce qui concerne les autres chroniques présentes dans cet ouvrage, les transcriptions originales ont toujours été préférées40. Les illustrations présentes dans les chroniques et mettant en scène des travaux de construction et d’entretien de l’enceinte ont également été d’une aide précieuse pour identifier les artisans et les outils utilisés (fig. 6).
Figure 6 : La ville de Metz d’après les Chroniques messines.

© Bibliothèque Multimédia d’Épinal (BMI), ms. 46 PR, Chroniques de Metz, Mélanges, f° 78.
13Vues, profils et plans, puis photographies viennent compléter cette documentation déjà abondante. Elle permet notamment de connaître avec plus ou moins de précision le tracé et la configuration de l’enceinte au Moyen Âge. Une démarche régressive a ainsi été adoptée afin de replacer sur le cadastre actuel les ouvrages de cette fortification, en partant des plans les plus récents, puis en utilisant les plans de l’Époque moderne. Peu de tronçons ne sont pas renseignés. Les premières vues de la ville des xvie-xviie siècles ne sont cependant pas utilisables en l’état, car trop imprécises. Entre la fin du xvie et le début du xviiie siècle, plusieurs vues en perspective et profils, plus précis, représentent la ville et son enceinte, comme celle d’A. Fabert (1610)41 (fig. 7). Mais les documents les plus intéressants demeurent les profils de la ville par S. Le Clerc42 (fin du xviie siècle) et celui d’I. Silvestre43 (1667) (fig. 8) qui présentent les premières vues en élévation de certains éléments de la fortification. Toutefois, ils ne représentent que les parties méridionales et orientales de la ville. Les sources les plus précieuses sont les premiers plans cadastraux du xviiie siècle.
Figure 7 : Le plan Fabert de 1610.

© Musée de La Cour d’Or.
Figure 8 : Profil de la ville de Metz par Israël Silverstre.

© Musée de La Cour d’Or.
14Grâce aux améliorations techniques apportées aux relevés topographiques, ceux-ci renseignent avec une précision métrique la position des éléments de l’enceinte. Le plus important est le plan de 1738, dit de « Belle-Isle »44, présentant les fortifications avant les grandes modifications de la seconde moitié du xviiie siècle. Enfin, la centaine de photographies sur plaques de verre conservées au musée de La Cour d’Or témoignant des destructions d’une partie du front de Seille, à l’est, entre 1904 et 1907, ce qui permet de connaître la configuration de certains éléments aujourd’hui disparus.
2. Terrain et archives : quelle méthodologie employée ?
2. 1. L’équipe d’Historia Metensis et les différents relevés effectués sur le front de Seille
15Depuis 2008, une petite équipe composée d’étudiants, de professeurs et de chercheurs réunis au sein de l’association Historia Metensis, présidée par Julien Trapp, s’intéresse à l’enceinte urbaine médiévale de Metz et en particulier aux 20 % des fortifications médiévales qui subsistent au niveau du front de Seille. L’association est soutenue par la DRAC de Lorraine, Metz Métropole, la Ville de Metz, et le Musée de La Cour d’Or. Elle a alors pour objectif des réaliser des relevés des vestiges à l’aide de la photographie redressée, mais aussi des sondages. Cinq campagnes ont été menées entre 2011 et 201545 et avaient pour objectif de proposer des rapports basés sur les relevés effectués mais aussi des recherches effectuées en archives. La première campagne a été menée sur le tronçon de la Tour des Esprits en 2011, puis à la porte des Allemands l’année suivante. En 2012 et 2013, nous avons poursuivi l’étude du tronçon de la Tour des Esprits jusqu’à la porte Sainte Barbe. En 2016, nous avons réalisé un sondage archéologique et un relevé du moineau Desch et de la frise sur le mur de fausse-braie (fig. 9).
Figure 9 : Le sondage archéologique réalisé au niveau de la frise du moineau Desch.

© Historia Metensis, 2016.
2. 2. Les objectifs poursuivis
16En réalisant des relevés sur le front de Seille et à la porte des Allemands, les chercheurs de l’association s’étaient fixés plusieurs objectifs. Il s’agissait de reconnaître les étapes de construction de l’enceinte, mais aussi d’identifier les phases d’amélioration (artillerie, progrès dans la façon de bâtir…). Nous cherchions également à comprendre les éléments défensifs en identifiant leur fonction, mais aussi leurs évolutions et les matériaux utilisés. Riches de ces informations, il nous a alors été possible de réaliser des cartographies du front de Seille (fig. 10).
Figure 10 : Le front de Seille.

DAO Julien Trapp.
17Afin de compléter ces données issues des relevés, il a été nécessaire de mettre en lien les éléments archéologiques et les informations issues des archives et des chroniques. Les archives mentionnées précédemment avaient jusqu’à présent été peu étudiées dans le cadre de la fortification urbaine et certaines restaient inédites. Afin d’avoir une vision la plus complète possible de la muraille, il a fallu analyser ces comptabilités. L’étude de ces archives revêt en effet un aspect humain qui jusqu’à présent n’avait pas été pris en compte. Ainsi, dans le cadre de notre thèse, nous avons pu identifier les commanditaires des chantiers et les différentes administrations en charge de la fortification, mais aussi les nombreux artisans présents, leur spécialité, leur rémunération, la hiérarchie. Il a également été possible de les dénombrer pour certains chantiers et certaines années, mais aussi de localiser les chantiers et la nature des travaux réalisés, tout comme la nature des matériaux employés, leurs provenances et leurs coûts. Enfin, l’objectif était de mettre en lien ces informations et le relevé effectué sur le front de Seille afin de connaître au mieux l’histoire de la fortification.
18L’ensemble des données recueillies en archives et sur le terrain a été complété avec les informations prélevées dans les chroniques. Celles-ci ont apporté un éclairage particulier à certains chantiers et à certains travaux, mettant en lumière des dégâts occasionnés par le climat comme le montre Laurent Litzenburger, par des sièges ou encore à cause de matériaux ou de travaux précédents de mauvaise qualité46. Enfin, pour donner davantage de profondeur à nos travaux, nous avons également cherché à confronter nos données à l’iconographie, notamment aux plans de la ville conservés du xviiie au xxe siècle mais aussi certaines représentations présentes dans les chroniques47 ou encore des photographies, notamment celles issues du fond Keune et conservées au Musée de La Cour d’Or48. Certaines de cette photographies prises sur plaques de verre étaient mal connues et ont été redécouvertes par Julien Trapp. La photographie montrant l’inscription à l’intérieur du moineau Desch a été essentielle dans la poursuite des recherches sur l’enceinte et a permis, par la suite, comme nous allons le détailler dans une dernière partie, d’avoir une meilleure compréhension du système défensif urbain, notamment d’un point de vue humain.
2. 3. Les résultats obtenus : l’exemple du décor du moineau Desch et de sa frise
19L’association Historia Metensis a effectué le relevé de la fausse braie entre la porte des Allemands et la tour d’angle en aval de la Seille en 2013. À cette occasion, nous avons pu, grâce à la photographie redressée, produire les plans de cette portion de l’enceinte, et notamment d’un élément remarquable, un moineau, c’est-à-dire une tour basse destinée à défendre le fossé. Cette structure défensive a en effet été construite en 1527 en contrebas de la porte des Allemands. Cette portion de l’enceinte avait déjà été étudiée en 1855-1856, par Georges Boulangé49 et FrançoisMichel Chabert qui a écrit un article sur les basreliefs de la porte accompagné de restitutions des décors proposées par Adolphe Bellevoye50. Aujourd’hui encore, ces reproductions constituent un complément indispensable aux décors perdus, même si les relevés effectués au xixe siècle sont approximatifs (fig. 11).
Figure 11 : Les décors du moineau et de la fausse braie.

© A. Bellevoye 1856 et Historia Metensis 2016.
20À l’occasion de la rénovation du moineau en 2014, nous avons été autorisés à pénétrer à l’intérieur de cette structure en passant par le toit. Nous avons alors identifié avec certitude l’inscription51 (fig. 12 à 14).
Figure 12 : L’inscription dans le moineau Desch.

© J. Trapp 2014.
Figure 13 : Le moineau Desch vu depuis le belvédère sur la rive droite de la Seille.

© Historia Metensis 2015.
Figure 14 : Le moineau Desch vu depuis la porte des Allemands et la porte d’Henri de Renconval

© Historia Metensis 2013.
21Celle-ci a été le point de départ d’une véritable enquête. Le texte rappelle le rôle de Philippe III Desch, alors gouverneur, c’est-à-dire responsable de cette portion de la muraille, mais aussi celui du clerc des Gouverneurs des Murs, Piéron Pèltre, qui collectait les fonds nécessaires aux travaux, du maître maçon, qui était sans doute également maître d’œuvre, et du sergent chargé d’encadrer les manœuvres et les corvéables sur ce chantier. C’est toute la hiérarchie administrative de ce chantier qui apparaît à travers ces quelques lignes. Ces données ont en effet été corroborées par les informations prélevées dans les archives dépouillées dans le cadre de notre thèse, notamment dans les comptes du receveur de la ville qui mentionnent les versements effectués à Piéron Pèltre au nom de Philippe III Desch52.
22La fausse braie de la porte des Allemands et le moineau Desch ont la particularité de présenter un décor sculpté. Ainsi, de part et d’autre du moineau, une frise longe la fausse braie et présente une alternance de grelots et de boulets avec des visages ou des motifs floraux. Sur le moineau, trois hommes sont représentés, dont deux sculptés de part et d’autre du moineau qui semblent se lancer des boulets. Deux autres personnages sont visibles sur le bas-relief et encadrent une inscription rappelant les dates de construction de la fausse braie (1526-1527)53(fig. 12). En excluant la représentation grotesque de Philippe III Desch au centre du moineau, il y a donc quatre hommes mentionnés sur l’inscription et quatre personnages représentés sur le moineau et la frise. La coïncidence nous est apparue plutôt troublante, car comme nous l’avons dit précédemment, l’inscription dans le moineau renvoie au rôle de Philippe III Desch, mais elle présente aussi le clerc, Piéron Pèltre, le maître d’œuvre et maçon, Thiédrich et le sergent du chantier, Falquenel. L’homme sculpté au sud de l’ouvrage a un visage démesuré et une guimbarde orne son couvre-chef. Il pourrait s’agir de Philippe III Desch dont l’emblème était la guimbarde. Une représentation aussi grossière correspond bien à celle du centre du moineau car les deux personnages se moquent de Philippe III Desch, mais aussi de ceux qui les regardent, c’est-à-dire les ennemis. De l’autre côté, au nord du moineau, un autre homme tient également un boulet. Il pourrait s’agir du clerc des Gouverneurs des Murs, Piéron Pèltre dont les initiales figurent au-dessus du bas-relief. C’est cette gravure, toujours visible aujourd’hui, qui a permis de mettre en lien l’inscription et le décor et de soumettre cette hypothèse. Deux autres individus encadrent l’inscription qui évoque la date des travaux. Au sud, un de ces hommes regarde vers la tour d’angle. Il tient ce qui ressemble à un compas et à une pige. Ce personnage pourrait être le maître maçon Thiédrich mentionné par l’inscription dans le moineau. Au nord de l’inscription, un dernier personnage regarde dans la direction du maçon. Il tient dans sa main droite un long bâton tel qu’en portait le sergent du chantier. Il pourrait donc s’agir du sergent qui conduisait la main-d’œuvre, assurait la surveillance et la sécurité du chantier avec les bannerots. L’analyse et la compréhension du programme iconographique du moineau Desch sont révélatrices de la nécessité de mettre en lien les études menées en archives et les informations relevées sur le terrain. Ainsi, en recoupant les informations, il nous est aujourd’hui possible d’expliquer un décor vieux de près de 500 ans et dont la plupart des Messins ignorent l’existence. L’enjeu a été alors de mettre à la portée du plus grand nombre, nos travaux et nos découvertes.
3. Conclusion
23La publication des articles de l’association Historia Metensis54, nos participations aux Journées Européennes du Patrimoine et la réalisation d’un film en 3D sur la fortification du front de Seille55 ont suscité à nouveau l’intérêt pour la fortification urbaine auprès du grand public. La rénovation de la porte des Allemands en 2014 a largement contribué à attirer les visiteurs sur les chemins des fortifications. En parallèle, les membres de l’association ont cherché à communiquer au maximum en donnant plusieurs conférences et en effectuant des visites sur le terrain avec le public. Après neuf années de recherches, nous avons publié nos travaux56. Nous avons donné, sur le terrain comme en archives, un nouveau souffle aux connaissances sur le système défensif de la ville. L’étude de la comptabilité des Gouverneurs des Murs, confrontée aux données recueillies sur le terrain, a permis de porter un nouveau regard sur la construction, l’entretien et l’adaptation de la muraille face aux progrès de l’artillerie, mais elle a surtout révélé de nombreuses informations sur les chantiers et la main d’œuvre qui y travaillait. Aujourd’hui, si l’étude de l’enceinte semble achevée, il reste toutefois des documents à analyser, notamment la redécouverte d’un compte des Gouverneurs des Murs pour l’année 1444, le plus vieux connu à ce jour, qui a refait surface après la publication de la monographie. Il y a aussi l’objectif de changer d’échelle dans cette étude et de s’intéresser à la mise en défense du pays messin à travers son réseau de châteaux et de maisons fortes. Enfin, il y a la volonté de poursuivre les échanges avec le grand public en participant à une meilleure compréhension des vestiges du front de Seille. En cela, l’aménagement de panneaux explicatifs reste à faire, même s’il faut le souligner, un travail remarquable a été fait à la porte des Allemands qui est redevenue depuis sa rénovation, l’un des symboles de la ville de Metz dans le cœur des Messins.
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MAROT Marthe, La chronique dite de Saint-Thiebaut : histoire de Metz véritable (1231-1445). Édition précédée d’une introduction critique, thèse de l’École Nationale des Chartes, Paris, 1926, 2 tomes manuscrits/tapuscrits (tome 1 : feuillets 1 à 81 tapuscrits ; tome 2 : table d’index tapuscrite). (Thèse consultable à la Bibliothèque médiathèque de Metz, cote : 2 O BR IN-8 364).
Parnajon 1847 :
PARNAJON Firmin-Claude, « Mémoire historique sur la place de Metz », in : Congrès archéologique de France en 1846, Paris, éd. Derache, 1847, p. 212-238 (réédité in : l’Austrasie, 1908-1909, p. 97-128).
Prost 1876 :
PROST Auguste, « Les fouilles de Metz en 1875 », Mémoires de l’Académie Nationale de Metz, 1876, p. 373-396.
Schneider 1950 :
SCHNEIDER Jean, La ville de Metz aux xiiie et xive siècles, Nancy, éd. G. Thomas, 1950, 606 p.
Thiriot 1970 :
THIRIOT Jean, Portes, tours et murailles de la cité de Metz, Metz, éd. Est Imprimerie, 1970, 133 p.
Trapp et alii. 2011 :
TRAPP Julien et alii, Metz, « Allée de la Tour des Esprits », Tranche 1, Rapport de relevé topographique, Historia Metensis, 2011, 88 p
Trapp et alii. 2012a :
TRAPP Julien et alii, Metz, « Allée de la Tour des Esprits », Tranche 2, Rapport de relevé topographique, Historia Metensis, 2012, 82 p.
Trapp et alii. 2012b :
TRAPP Julien et alii, Metz, « Porte des Allemands », Rapport de relevé topographique, Historia Metensis, 2012, 72 p.
Trapp et alii. 2013a :
TRAPP Julien et alii, Metz, « Allée de la Tour des Esprits », Tranche 4, Rapport de relevé topographique, Historia Metensis, 2013, 127 p.
Trapp et alii. 2013b :
TRAPP Julien et alii, « Défendre Metz au Moyen Âge (xiiie-xvie siècles) : Étude archéologique et historique de l’enceinte médiévale (1ère partie) », Cahiers Lorrains, 1/2, 2013, p. 28-37.
Trapp et alii. 2013c :
TRAPP Julien et alii, « Défendre Metz au Moyen Âge (xiiie-xvie siècles) : Étude archéologique et historique de l’enceinte médiévale (2e partie) », Cahiers Lorrains, 3/4, 2013, p. 66-71.
Trapp 2015a :
TRAPP Julien, L’archéologie à Metz, Des antiquaires à l’archéologie préventive (1750-2008), Rennes, PUR, 2015, 184 p.
Trapp 2015b :
TRAPP Julien, « Défendre Metz au Moyen Âge (xiiie-xvie siècles) : Étude archéologique et historique de l’enceinte médiévale (3e partie) », Cahiers Lorrains, 3/4, 2015, p. 54-63.
Trapp et alii. 2016a :
TRAPP Julien et alii, Metz, « Allée de la Tour des Esprits – Caponnière Dex », Rapport de sondage archéologique, Historia Metensis, 2016, 47 p.
Trapp et alii. 2016b :
TRAPP Julien et alii, « Défendre Metz au Moyen Âge (xiiie-xvie siècles) : Étude archéologique et historique de l’enceinte médiévale (4e partie) », Cahiers Lorrains, 1/2, 2016, p. 14-19.
Trapp et alii. 2016c :
TRAPP Julien et alii, « Le pont des Grilles de la Basse-Seille (fin xive siècle), ancienne porte d’eau de l’enceinte urbaine de Metz », Revue Archéologique de l’Est., t. 65, 2016, p. 413-429.
Trapp, Didiot 2017 :
TRAPP Julien, DIDIOT Mylène, Défendre Metz à la fin du Moyen Âge, étude de l’enceinte urbaine, Nancy, PUN, 2017, 560 p.
Vigneulles 1927-1933 :
VIGNEULLES Philippe de, La Chronique de Philippe de Vigneulles, éditée par Bruneau, Charles, Metz : A.S.H.A.L., 1927-1933, 4 tomes.
Wagner 2003 :
WAGNER Pierre-Édouard, « L’enceinte de Metz au Moyen Âge », Annales de l’Est, 2003, n° 2, p. 35-54.
Wolfram 1906 :
WOLFRAM Georg, Die Metze Chronik des Jaique Dex (Jacques Desch) über die Kaiser und Könige aus dem Luxemburg Hause, Leipzig : Verlag von Quelle & Meyer, 1906, 631 p.
Notes de bas de page
1 Trapp, Didiot 2017, p. 46-47.
2 Didiot 2017.
3 Bibliothèque médiathèque de Metz (BMM), fonds Klipffel.
4 Parnajon 1847.
5 H.M.B. 1974.
6 Fleur 1909.
7 Bour 1932.
8 Schneider 1950.
9 Thiriot 1970.
10 Wagner 2003, 35-54.
11 Litzenburger 2015.
12 Ferber 2012.
13 Didiot 2017.
14 Trapp, Didiot 2017.
15 Trapp 2015.
16 Prost 1876.
17 Corvisier 1995.
18 Kuchler 1999.
19 Brkojewitsch 2012.
20 Brkojewitsch 2009.
21 Dreier, Escoffier 2014.
22 Wagner 2003, p. 51.
23 Archives municipales de Metz (AMM) EE 26-36, CC 612 et CC 616.
24 AD 55, 7 F59.
25 AMM, CC 1-30.
26 AMM, EE 37.
27 Didiot 2017.
28 Didiot 2017, p. 585-589.
29 Didiot 2017, p. 484-488 ; AMM, CC 612 et CC 616.
30 Vigneulles 1927-1933.
31 Aubrion 1857.
32 Husson 1870.
33 Le Châtelain 1855.
34 Wolfram 1906.
35 BMM, ms. 855.
36 Marot 1926.
37 BMI, ms. 57 P/R, f° 84-114.
38 BMM, ms. 848.
39 La Chronique des Maîtres Échevins est par exemple la seule à évoquer et à dater la construction des ouvrages avancés de la porte du Pontiffroy et du Pont-Rengmont.
40 Huguenin 1838.
41 Musée de La Cour d’Or – Metz Métropole. Inv. 12021
42 BMM, FIE LEC 881.
43 AMM, 9Fi488 bis.
44 BMM, Fonds patrimoniaux Réserve Précieuse RES CAR Rol 002.
45 Trapp et alii, 2011 ; 2012a ; 2012b ; 2013a ; 2016a.
46 Litzenburger 2015.
47 BMI, ms. 57 P/R, f° 84-114.
48 Trapp 2015.
49 Boulangé 1856, p. 1-17.
50 Chabert 1855, p. 251-259.
51 L’inscription à l’intérieur du moineau Desch : « L’an Mil Cincq cent vingt et septembre / Seigneur Philippe Dech estoit maistre échevin de Mets / Chief et gouverneur de ceste ouvraige / Pieron Peltre, clerc soliciteur des gaige / Thiedrich dudy ouvraige, maistre masson / Faquenel, conducteur des manouvre bon compaignon ».
52 AMM, CC 26.
53 « LA FIN DE LA LAYE DU FONDEMENT. LE COMMENCEMENT DE PILLOTEZ LAN 1527 ». Il y a également deux dates : « F. 1526 » et « C. 1527 ». La première indique que la première partie de la fausse braie a été achevée en 1526 (F = finie / fin), et que la seconde a débuté en 1527 (C = commencée). La première partie de la fausse braie a été fondée sur « laye », ce qui renvoie à l’emploi d’un coffrage en bois, tandis que la seconde section a été fondée sur pilotis.
54 Trapp et alii, 2013b, p. 28-37 ; 2013c, p. 66-71 ; 2015b, p. 54-63 ; 2016b, p. 14-19 ; 2016c, p. 413-429.
55 Gasseau, Henault, Trapp 2014.
56 Trapp, Didiot 2017.
Auteurs
UR 3945 CRULH – Université de Lorraine
UR 3945 CRULH – Université de Lorraine
Historia Metensis
Musée de La Cour d’Or-Metz Métropole
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