L’appareil à bossage dans les châteaux forts des Vosges cristallines à la charnière du XIIe et du XIIIe siècle (Alsace)
p. 79-87
Texte intégral
1Dans la construction castrale de l’Alsace médiévale, le bloc à bossage apparaît comme une sorte de matrice architecturale. Il participe de l’imagerie touristique et véhicule spontanément des représentations de constructions qui, tel l’emblématique Haut-Koenigsbourg aux murs bâtis dans cet appareil au relief si particulier, culminent sur un entablement gréseux. Les liens entre ce modèle architectural, donnant la primauté de l’apparence au parement, avec toutes les contraintes qu’il pouvait représenter sur les plans économique et organisationnel, constitue le sujet de la présente contribution. Véritable standard socio-politique à partir du milieu du xiie s., ce type de module était très spécifique au socle gréseux.
2Il fallait identifier la ressource et disposer de cette roche, assez plastique, pour permettre son formatage et sa taille. Son usage ne se limitait cependant pas à la seule moitié septentrionale du massif où cette ressource détient une quasi-exclusivité. Au sud, dans un espace géologiquement plus diversifié, son utilisation impliquait de rechercher un gisement de proximité et de transférer un matériau exogène vers des sites établis sur d’autres substrats, à base de roches sédimentaires ou cristallophylliennes1 (fig. 1). L’usage de la roche endogène se limitait alors au blocage. En disposant de ressources optimales en matériau, les bâtisseurs ont multiplié les expériences et les modèles.
1. Le bloc à bossage et la recherche sur les châteaux alsaciens
3Un bref tour d’horizon des connaissances établies démontre la fascination que ce type d’appareil a exercé sur les chercheurs s’intéressant aux châteaux de la région. L’effet de puissance dégagé par la massivité et la régularité de cette maçonnerie a contribué à une fascination contemporaine, augmentée par la vision du grand public qui y voit un système destiné à réduire l’efficacité de tirs adverses.
Fig.1 : localisation des sites présentés (J. Koch, 2016).

1. Ernolsheim-lès-Saverne-Warthenberg
2. Mollkirch-Guirbaden
3. Andlau - Spesbourg
4. Scherwiller - Ortenbourg
5. Ribeauvillé - Haut-Ribeaupierre
6. Kaysersberg - Schlossberg
7. Riquewihr - Bilstein
8. Wintzenheim - Pflixbourg
9. Eguisheim - Dagsbourg
10. Wasserbourg - Wassenberg
11. Guebwiller-Soultz - Hugsrein
12. Thann - Engelbourg
4Deux axes de synthèses ont germé de ces recherches menées dans les décennies passées.
5Sa production impliquait la connaissance de règles spécifiques équivalentes à celles mises en œuvre dans la construction religieuse. Il supposait donc des moyens suffisants et s’utilisait dans les constructions impériales, comtales ou épiscopales, comme l’ont fait remarquer T. Biller et B. Metz2, à la suite de H. Zumstein. Les formats imposants et la structuration augmentaient les effets de « fermeture » des murs, par leur apparence rocailleuse. Le bossage n’a toutefois aucune fonction défensive, puisque présent en parements extérieur mais également intérieur de tours dans certains cas (Éguisheim nord ou Dagsbourg, Warthenberg pour les plus anciennes). En deçà de ces architectures réservées à l’élite, les auteurs soulignent que l’usage du bossage devenait très aléatoire, comme dans le cas de la ministérialité.
6Pour qui s’interroge sur les savoir-faire, les questions sur la production de cet élément emblématique manquaient parfois de pistes de réflexions. Par l’archéologie expérimentale, les enquêtes auprès des hommes de l’art ou par le biais des sources manuscrites sont restées hasardeuses. C.-L. Salch indiquait en 1995 que le coût de production du bossage était supérieur à celui de l’appareil lisse, sans proposer pour autant un quelconque argument destiné à valider cette assertion3. A contrario, J.-C. Bessac, homme de métier, proposait l’hypothèse4 d’une taille d’économie dans la raison d’être de cet appareil.
7La seconde préoccupation est liée à la question de la chronologie des bossages. Son époque d’apparition est le second quart du xiie s. en Alsace, comme dans d’autres régions du Saint-Empire5. Les études de tels parements, toujours menées par les auteurs cités précédemment, mettaient en évidence le passage progressif de gros modules, dans la seconde moitié du xiie s., vers des formats réduits de moitié autour de 1200, avant un retour en force du grand appareil au cours du xve s. La publication d’un travail statistique, à partir de l’analyse discriminante de données collectées sur une centaine de sites par J.-M. Rudrauf, validait ou infirmait une partie des datations utilisées jusque-là. Cinq ensembles techniques correspondant à cinq périodes historiques ont été proposés dans cette étude. L’auteur replaçait les formats dans un schéma chronologique. Confirmant par son analyse le côté représentatif qui prédominait dans l’usage des blocs à bossage, il a su replacer les formats employés sur le territoire alsacien dans un schéma chronologique bien mieux séquencé.
8La chronologie avait cependant été abordée en 1988 par D. Barz6. Son étude, intégrant la chronologie des formats des blocs et des formes de bossages, s’intéressait plus spécifiquement à la manipulation de ces matériaux, par l’examen des trous de levage présents sur les blocs. Au passage, il cite le cas extrême d’un bloc d’un poids estimé à 2,6 t et placé à 13 m au-dessus du sol dans la tour maîtresse du château de Kisslau en Bade-Wurtemberg. Le négatif des engins de levage se révélait, par les trous de pinces, d’abord simples permettant la mise en place d’une pince s’écartant, puis de trous jumelés, placés sur deux faces parallèles, pour recevoir des pinces auto-serrantes. Pendant quelques années, l’expérience de la manipulation devenait une réalité, toutes proportions gardées au regard des chantiers médiévaux, dans les travaux de consolidation des vestiges du Warthenberg, sous la conduite de B. Haegel et R. Kill7. Ces mêmes chercheurs avaient réalisé, avec beaucoup de succès, la recherche et l’étude de carrières de blocs à bossages autour de ce site comme autour du château de Ringelstein et leurs publications restent des références pour la vallée du Rhin8.
9Au final, ce matériau a été largement abordé pour lui-même, par le biais des savoir-faire et en tant que marqueur chronologique de la construction. Dans la présente contribution, il nous appartient d’essayer d’approfondir la réflexion sur la part ostentatoire de cet appareil et notamment le mode opératoire qui permettait d’obtenir cet effet. En ce sens, les Vosges cristallines constituent un terrain d’étude propice, où se pose une équation que les bâtisseurs, au regard des spécificités intrinsèques du site choisi et des contraintes liées au choix d’un module à bossage exogène, se devaient de résoudre.
2. La conception du bossage
10Vu sous un angle purement technique, le bossage est en filiation directe de l’appareil lisse et n’en diffère pas comme module constructif. Il est taillé sur quatre côtés destinés à l’ajuster avec d’autres modules lors de la construction d’un parement. Les plus anciens exemples connus, sur la tour nord du château de Haut-Éguisheim datée du second quart du xiie s., forment des blocs réguliers posés à joints quasiment secs les uns sur les autres. L’examen des formats utilisés appuie l’idée de monumentalité représenté par cet appareil. Entre le milieu du xiie s. et le milieu du siècle suivant, une modification substantielle a été apportée sur la réduction des gabarits. Au début de cette phase de construction, l’appareil à bossage (Éguisheim-Dagsbourg, Warthenberg) est massif et volumineux puisque les modules pèsent en moyenne 600 kg, les blocs étant hauts (0,45 à 0,55 m) et larges (0,75 m en moyenne). Au tournant du siècle, les dimensions se réduisent, notamment la hauteur moyenne (0,35 m) et le poids se divise par deux.
11Sur un plan purement technique, le bossage serait un bloc à tête inachevée, offrant une surface non lissée en façade. Le côté apparent est détouré par une ciselure périmétrique dont l’épaisseur varie de 15 à 50 mm, selon la qualité du matériau et l’époque, et qui entoure un relief, le bossage, saillant de 1,5 jusqu’à 15 cm pour les modèles les plus prononcés. Ramené à ce seul constat technique, il s’agit d’une taille d’économie puisque cette face, restant visible, n’est pas dressée après la pose. Ce gain explique aussi les quelques exemples de tours présentant de tels blocs dans les parements intérieurs, moins destinés à être vu. Quelques détails visibles à la surface des blocs nuancent toutefois cette seule logique économique. Lorsqu’il est apprêté par le tailleur, le bossage de taille est un relief aux arêtes plus ou moins vives (fig. 2-a). C’est dans un second temps que celles-ci sont émoussées par la frappe latérale au moyen d’un marteau têtu pour dégrossir la bosse, mais sans finition (fig. 2-b). Sur de nombreux exemples, la ciselure périmétrale peut être approfondie et la base du coussin accentuée par une reprise à la broche (fig. 2-c), parfois confondue avec une retaille indiquant une nouvelle phase de construction. Cette retouche existe sur des blocs abandonnés dans des carrières et peut être considérée comme une finition du relief. De tels détails se lisent, par exemple, sur les blocs de parements des trois tours d’Éguisheim (fig. 3). Cette phase du façonnage constitue à elle seule une part de travail « superflue » éloignant cette pratique stylistique d’une taille qui n’aurait de raison qu’économique. Il faut aussi s’interroger sur le travail exigé par ces deux étapes par rapport à un lissage complet de la surface au moyen d’un taillant. À partir du début du xiiie s., l’apparition d’un façonnage permettant le dessin de coussinets soignés constitue probablement l’aboutissement d’un cheminement esthétique. D’ailleurs, cette pratique se limite à des parties bien spécifiques, à l’exemple de l’encadrement de la porte de la tour maîtresse de Kaysersberg (après 1227). À partir de cette période, il apparait que deux formes coexistent, l’une rustique, l’autre soignée. Ces usages sont rarement constatés au sein d’un même site ; la forme la plus travaillée étant clairement moins fréquente au regard de tous les sites étudiés.
Fig.2 : Schéma de préparation du bossage (J. Koch, 2016).

Fig.3 : Vue de détail d’une ciselure périmétrique sur la tour du Dagsbourg à Éguisheim (J. Koch, 2016).

3. Deux exemples d’importations : Bilstein et Haut-Ribeaupierre
12Le château de Bilstein, localisé sur le territoire communal de Riquewihr (fig. 4-c), a été bâti sur une veine de granite syncinématique orientée est-ouest, contiguë à un plateau de conglomérat principal ou poudingue, vestige des hautes buttes témoins triasiques, le Seelbourg-Koenigstuhl, au sud. Ce petit château appartient à la sphère d’influence lorraine après 12179. La morphologie des blocs permet de le dater, au plus tôt, de la fin du siècle précédent. Il est formé par une enceinte polygonale posée sur un éperon barré, entourant une tour-maîtresse de plan quadrangulaire de 8,7 m de côté, tous deux édifiés avec des blocs à bossage en grès. Sur le côté de l’attaque, à l’ouest, le mur d’enceinte formait une chemise plus épaisse. L’origine de la pierre est connue puisque les blocs de parement ont été taillés dans une carrière localisée sur le versant oriental du Koenigsthul, tandis que la fourrure du mur a été faite avec le gneiss substratique. Ce gisement, découvert par la présence de blocs résiduels abandonnés à toutes les étapes du formatage, était extrait d’un éboulis gréseux orienté est-ouest. La carrière était distante de 2 km du chantier et un passage par un col séparait le lieu d’extraction et le chantier de construction. La courte distance du chemin d’approvisionnement ne constituait pas un obstacle puisqu’un charroi d’une capacité de 1,5 t effectuait le trajet en une demi-heure au maximum, le convoyage étant facilité par la configuration du terrain permettant une circulation sur un même niveau altimétrique. L’abandon du site en pleine exploitation confirme que l’extraction était indépendante des besoins du chantier. L’idée d’une exploitation en flux tendu doit être évoquée dans le cas présent, ce qui confirme l’importance accordée à la fourniture de ces modules. Beaucoup de blocs observés sur ce site sont tout à fait utilisables pour la construction et ne présentent pas de défaut qui aurait justifié leur rejet. La zone de carrière la mieux conservée est localisée au point le plus éloigné du chantier, ce qui confirme que l’exploitation avait démarré depuis l’est. Cette présence ne constitue en rien un phénomène exceptionnel puisque plusieurs carrières du même type ont été vues dans la partie gréseuse du massif (Warthenberg, Ringelsberg… )10.
13Le château de Haut-Ribeaupierre, situé dans le même secteur géographique, était désigné par le toponyme d’Altenkastel. Son nom historique est mentionné à plusieurs reprises à partir de 125411, et notamment en 1298 lorsqu’il apparaît dans la comptabilité des possessions d’Henri II de Ribeaupierre12, une famille de « barons » apparue un siècle plus tôt. Le site a été établi sur un sommet de la bande de granite syncinématique, émergée du champ de fracture de Ribeauvillé et orientée est-nord-est. Cette bande a été creusée par le vallon du Strengbach que le site des trois châteaux domine, de près de 350 m en rive nord. Le châtelet supérieur, posé sur le môle sommital, est considéré comme le noyau originel du château de pierre. Le donjon circulaire aurait en effet été construit vers la première moitié du xiiie s. avec des blocs à bossage de grès de format moyen dont un certain nombre présente des marques lapidaires (fig. 4-h). Une prospection sur le versant oriental de la montagne du Taennchel, distante de 1,6 km à l’ouest, a permis de découvrir, sous le sommet oriental de ce massif, une zone d’exploitation dont la configuration est analogue à celle du massif du Koenigstuhl. Mais aucun bloc à bossage n’existe sur place. Seules des traces d’exploitation apparaissent sur les bancs rocheux disséminés dans l’éboulis de sable et de blocs. Depuis ce point, le cheminement descend en direction du col localisé au pied du cône portant le Haut-Ribeaupierre. Cette carrière, source d’approvisionnement potentielle de trois châteaux, servit par conséquent à la fourniture de matière première, durant une période plus longue que sur celle du proche Bilstein.
4. Le bossage dans les Vosges cristallines à partir de 1200 : perpétuation, limitation ou abandon ?
14De 1200 à la fin du siècle, ce type de bloc continue à être présent dans la plupart des sites castraux des Vosges du nord gréseuses et les Vosges du sud. Dans les deux secteurs, il est utilisé sous diverses formes et à différentes échelles. Pour d’évidentes raisons de disponibilité d’une roche à la plasticité adaptée, le bossage de grès est conservé à très large échelle dans la partie septentrionale. Au sud, l’emploi varie en fonction de l’aisance économique des bâtisseurs (fig. 4). Rappelons sa prédominance dans les sites royaux, comtaux ou épiscopaux, tels Bernstein bâti au tournant du siècle par les comtes de Dabo-Éguisheim (fig. 4-d) ou, un demi-siècle plus tard, le château de Spesbourg, édifié par Alexander von der Dicke, avoué de l’abbaye d’Andlau et frère de l’évêque de Strasbourg. Les parements externes de ces deux édifices sont totalement habillés par des blocs à bossage en granite (fig. 4-a). La granulométrie très grossière du granite de Spesbourg implique la taille de ciselures périmétriques très épaisses. Ces deux constructions restaient dans le droit fil de la « tradition » de cet appareil. Quelques rares blocs de grès à bossage témoignent encore d’un tel habillage sur la tour circulaire de Hugstein à Guebwiller datée des environs de 1230 et érigée dans une zone de granite.
15Mais dans les deux parties du massif, l’emploi de ces blocs commençait à se restreindre à certaines parties visibles et symboliques, non pour une cause de difficulté d’accès à la ressource, mais bien plus pour le temps et le coût économique que représentait la réalisation de cet appareil. Tandis que deux tailleurs produisaient au maximum deux blocs par jour au milieu du xiie s., voire trois à trois pièces et demi en 1200, les formats étant réduits de moitié, un carrier équarrissait dix à douze moellons en une journée. Dès les premières années du xiiie s., le souverain construisait des places fortes dont le chantier était alimenté sur le site. C’est ainsi que Pflixbourg, forteresse destinée à une levée de l’ost dans la région de Colmar, était édifié, au cours de la seconde décennie du siècle, avec des blocs dégrossis de granite, sans qu’une seule pièce à bossage n’ait été mise en œuvre (fig. 4-e). Cette place tenait un rôle éminemment militaire, ne servait pas à la représentation d’une quelconque dynastie et n’était donc plus un habitat aristocratique. À l’inverse, Nouveau-Guirbaden, son « petit frère » construit de 1219 à 1226 dans le massif gréseux, était entièrement parementé de blocs à bossages car cette forteresse doublait un somptueux palais construit pour ses séjours dans la région.
16La multiplication des constructions sous le règne de Frédéric II était également conséquente de l’accroissement d’une noblesse de rang inférieure, particulièrement les ministériaux d’Empire ou d’Église. Ces charges sont devenues l’apanage de lignées qui, à leur tour, édifient des châteaux, mais disposant souvent de moyens financiers moins importants que leurs suzerains, au moins à leurs débuts. De fait, la part des pierres à bossages décroissait progressivement, se résumant à son déploiement aux angles ou sur les encadrements de porte, voire disparaissant totalement au profit du moellon dans de nombreux sites. Dans les deux cas, le souverain comme la petite aristocratie cherchait certainement à limiter la dépense. Le tailleur de pierre délaissait progressivement le terrain au profit du maçon. Ce phénomène n’était toutefois pas une nouveauté puisque, comme le soulignait T. Biller, des édifices du milieu du xiie s. (Haut-Éguisheim nord ou la « maison romane » de Rosheim) étaient déjà bâtis sur ce principe13. Plus récemment, un sondage a mis en évidence une tour au château de l’Engelbourg à Thann qui présente de massifs blocs d’angle à bossages de très mauvaise facture et datée entre le xiie et le début du xiiie s. au plus tard14. Cette présence limitée est observée au Wineck, château bâti en calcaire, sur la commune de Katzenthal.
17L’emploi des bossages, plus strictement limité aux angles et encadrements de portes, fournit l’opportunité de passer des reliefs rustiques à des formes plus maniérées, en coussinet, à l’image de la porte de la tour maîtresse de Kaysersberg dont l’encadrement est constitué par des éléments de grès rose importé15. Le petit château de Hagueneck sur la commune de Wettolsheim, daté du début du xiiie s., est emblématique à ce sujet : les bossages, visibles aux angles de la courtine et de la tour, sont pour certains étant plus épais que les assises de parement qu’ils amorcent, formatés en coussinet soignés, et, élément essentiel, taillés dans le granit à deux micas extrait du fossé protégeant le site (fig. 4-f). Ces deux exemples soulèvent la question d’une éventuelle relation entre ce gain qualitatif et la réduction de la production économiquement moins contraignante, mais sans que nous ayons suffisamment d’éléments pour valider une telle hypothèse. Cette manière de tailler existe sur des exemples de tours d’habitations (Wohntürme) urbaine tel qu’un exemple le démontre auprès de l’église de Turckheim.
18L’abandon des blocs à bossages, y compris sur les angles, devient plus systématique dans le second quart du siècle. Pflixbourg est à peine plus ancien que Wassenberg, distant d’une dizaine de kilomètres, édifié vers 1222 par les sires de Girsberg avec la grauwacke et le granite locaux (fig. 4-g), ou Schrankenfels dont la tour maîtresse est chaînée avec des blocs importés des falaises gréseuses dominant Gueberschwihr avant 1241. Autour de 1262, Rodolphe de Habsbourg fait édifier le majestueux Ortenbourg doté de toutes les nouveautés architecturales disponibles (baies à modénature, archères…) sans que soit mis en œuvre un seul bloc de ce type.
Fig.4 : chronologie des parements entre le milieu du xiie et le milieu du xiiie s. (J. Koch, 2016). a – Éguisheim - Dagsbourg (vers 1150) ; b – Riveauvillé - Saint-Ulrich (2e moitié du xiie s.) ; c – Riquewihr – Bilstein (vers 1200) ; d – Dambach-la-Ville - Bernstein (premier quart du xiiie s.) ; e – Wintzenheim - Pflixbourg (1212-1219) ; f – Wettolsheim - Hagueneck (premier quart du xiiie s.) ; g – Wasserbourg -Wassenberg (vers 1222) ; h – Ribeauvillé - Haut-Ribeaupierre (premier tiers du xiiie s.).

Conclusion
19Le bloc à bossage, apparu dans le milieu du xiie s., a été utilisé de manière quasi exclusive avant la fin du siècle, pour finir par se limiter aux chaînages d’angles voire être totalement abandonné sur de nombreux chantiers. Ces blocs à relief de façade, faciles à produire dans le grès des Vosges du Nord, constituaient, en revanche, un défi dans la partie sud où la présence de cette roche est très sporadique. Dans cette zone, les quelques résidus du socle gréseux disponibles, en rebord des champs de fracture, ne suffisaient pas à répondre à une démographie croissante de l’aristocratie et son extension territoriale multipliant le besoin de trouver de nouveaux sites d’implantation. Certains chantiers ont pu être approvisionnés grâce à l’importation depuis un site d’extraction peu éloigné, comme les éboulis couvrant les pentes orientales du Taennchel et du Koenigstuhl fournissant les chantiers des Ribeaupierre ou du Bilstein de Riquewihr. Mais, au-delà de ces faits très localisés, une limitation de l’usage de ces blocs, au sud comme au nord, constitua rapidement la réponse la plus appropriée à cette inadéquation entre besoin, dynamisme et disponibilité pour le chantier. Fruit du travail d’un tailleur de pierres, le bossage représentait une source de dépense considérable, limitant son emploi aux couches les plus aisées de la classe dirigeante ; symbole du maître d’ouvrage, il exprimait l’appartenance à cette partie supérieure de la société. Dans cette approche du château de hauteur des Vosges cristallines, une évidence semble se dessiner dans un laps de temps assez court. Placé à la base et aux angles dans ses débuts, le bossage y est revenu après avoir été prédominant pour une ou deux générations de maîtres d’ouvrage. Ce « monopole » esthétique n’aura finalement duré qu’un demi-siècle. Après 1200, toutes les options étaient ouvertes, même par Frédéric II de Hohenstaufen, et seuls les plus puissants conservaient la possibilité d’un recours massif à cet appareil. Mais l’explication d’un point de vue économique ne vaut pas à elle seule. Le changement d’approche était pragmatique et le temps gagné par une utilisation du matériau extrait du site ouvrait une voie nouvelle pour l’intervention des maçons. Ceux-ci exploitaient des carrières dans la grauwacke et le granite sans se soucier de l’aspect fini de l’appareil, utilisant et appliquant une enduction de mortier dans les joints, voire sur tout le parement. De façon progressive, la réduction de l’emploi de l’appareil à bossage a permis à ce spécialiste de reprendre le pas sur le tailleur de pierre. Cherchant à exister rapidement dans le paysage, la petite noblesse et les ministériels contribuaient à un essor constructif inconnu jusque-là à ces altitudes et, ce faisant, favorisaient les conditions économiques propres à la naissance de prototypes d’entreprises spécialisées dans le domaine.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 KOCH 2015.
2 BILLER, METZ 2007.
3 SALCH 1995, p. 55.
4 BESSAC 1999, p. 12.
5 RUDRAUF, BOUZAMA 2001, p. 5-38.
6 BARZ 1987.
7 Malheureusement, cette expérience fut arrêtée en 1990 après un accident de personne survenu au sein de l’entreprise mandatée pour le chantier de consolidation des vestiges de la tour maîtresse.
8 HAEGEL 1990.
9 KOCH 2015.
10 HAEGEL 1990.
11 Berthold militem de Altenkastele.
12 ALBRECHT 1891, t. I, p. 161.
13 À Gignod, dans le Val d’Aoste, la tour datée de 1100 par dendrochronologie est couronnée par ce type de chaînage aux quatre angles.
14 KOCH 2015b.
15 Insistons sur le fait que ce constat ne se limite pas aux seuls châteaux du secteur qui nous intéresse dans le présent document. Cette caractéristique se retrouve également dans les sites des Vosges gréseuses.
Auteur
-
Jacky Koch
Archéologie Alsace – Sélestat (FR)
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