Le château des Fées, Clairefontaine Plombières-les-Bains
p. 497-504
Texte intégral
Figure 1 : Carte géologique.


1. Présentation du site
1.1. Contexte géographique et géomorphologique
1Le château des Fées se trouve sur le territoire de Clairefontaine (Lambert 2 : 902,250 x 2338,370) aujourd’hui commune de Plombières, dans le bois dit Des Feys, haute futaie de hêtres desquels les vestiges tiennent leur nom. Ils occupent l’extrémité d’un éperon d’interfluve d’orientation nord-est / sud-ouest, qui culmine à environ 485 m d’altitude et domine de près de 80 à 100 m les ruisseaux, dont la Semouze, qui s’écoulent selon le pendage général, au fond des deux vallons adjacents.
2Ce secteur fait partie intégrante de la Vôge, c’est-à-dire de cet ensemble de plateaux gréseux profondément entaillés par les cours d’eau qui s’étend sur 700 km2 et est souligné, au nord-ouest par les Monts Faucilles, saillie en arc de cercle du Muschelkalk, qui détermine la ligne de partage des eaux entre le bassin méditerranéen et celui de la mer du Nord. L’environnement géologique du château des Fées (fig. 1) est donc marqué par la prédominance des grès qui caractérisent cette région. Au-dessus du Conglomérat principal, très mince ici, reposant directement sur le granite, le versant supportant le site est essentiellement constitué des Couches intermédiaires du Buntsandstein supérieur ; le Grès à Voltzia ne formant que la partie supérieure de l’éperon (fig. 1).
1.2. Contexte historique
3Le château des Fées entre dans l’histoire le 20 mai 1859 lors d’une commission présentée devant la Société d’Émulation du département des Vosges par son président, M. Maud’heux. Publié l’année suivante dans les Annales de la société, son exposé, qui pèche d’ailleurs par l’absence de mesure, fait le point sur les datations proposées par les quelques érudits qui y réalisèrent des sondages archéologiques. Enceinte gauloise renfermant un dolmen, poste militaire romain destiné à surveiller la voie entre Plombières et Bains-les-Bains, ou encore construction franque marquant la frontière entre le royaume de Bourgogne et l’Austrasie, sont autant d’hypothèses qui ne résistèrent pas à la critique collégiale. Pour sa part, il propose de voir dans ces vestiges ceux d’un abri communautaire ou d’un château médiéval qui n’aurait jamais été terminé. Compte tenu de sa position sur la frontière occidentale des terres relevant de l’abbaye de Remiremont, cette enceinte fortifiée aurait donc pu trouver sa place dans un projet de contrôle de la seigneurie ecclésiastique par les ducs de Lorraine, lequel avorte au milieu du xiie siècle1.
Figure 2 : Plan du château (relevé Ch. Kraemer).

Figure 3 : Environnement rocheux.

Figure 4 : Auge, abreuvoir.

Figure 5 : Coupe, plan, élévations du mur d’enceinte (relevé Ch. Kraemer).

2. Analyse du site
2.1. Topographie et environnement
4Le site archéologique - château et lieu d’extraction - est situé à mi-pente, soit 200 m environ du sommet et du fond du vallon, sur la couche de grès intermédiaires. L’enceinte maçonnée (fig. 2, n° 1), dont le périmètre épouse à l’est, au sud et à l’ouest les contours de l’éperon, dessine un octogone irrégulier ouvert au nord, d’une quarantaine de mètres de diamètre hors œuvre (42 m est / ouest pour 36 m nord / sud).
Figure 6 : Chaînage d’angle et traces d’outils.

5À 80 m en contrebas, à la côte 452-459, une série de huit terre-pleins subhorizontaux (fig. 2, n° 2), semi-circulaires de 5 à 9 m de diamètre, cerne l’enceinte maçonnée. Six d’entre eux sont reliés par une ligne de quelques centimètres d’épaisseur qui se développe concentriquement sur une longueur de près de 350 m. Bien qu’aucune trace n’ait été observée au nord, cet ensemble pourrait être interprété comme l’empreinte fossile d’une palissade flanquée de tours circulaires espacées les unes des autres de 30 à 80 m. Cette hypothèse ne pourra cependant être validée sans fouille.
6Entre les vestiges en pierre et cette limite, des blocs de grès de taille importante jonchent le sol au voisinage des affleurements plus ou moins chaotiques qui hérissent le sommet (fig. 3 et fig. 2, n° 3). Certains d’entre eux, sur lesquels il est encore possible d’observer des emboîtures, laissent à penser, ainsi que l’évoquent les érudits du xixe siècle, tout en rejetant l’hypothèse, qu’il s’agit d’une carrière abandonnée. La mémoire collective, confortée par un vestige resté sur place entretient l’idée de l’existence, à une période mal définie, mais au cours des xviiie ou xixe siècles d’une carrière d’auges ou d’abreuvoirs (fig. 4 et fig. 2, n° 5) et conserve le souvenir, en d’autres secteurs, notamment entre Clairefontaine et Ruaux, de l’exploitation de carrières de grès à meule jusqu’au milieu du xxe siècle (fig. 1).
Figure 7 : Front de taille et affleurement naturel exploités dans l’enclos.

Figure 8 : Trace d’emboîtures sur un petit chantier dans l’enceinte.

2.2. L’analyse de la structure maçonnée
7L’enceinte maçonnée, dont le mur est lacunaire au nord-est, là où un front taille aurait pu lui servir de socle sur une vingtaine de mètres de longueur, dessine un octogone irrégulier d’une centaine de mètres de circonférence (102 m intérieur et 115 extérieur) dont les côtés - si l’on fait abstraction des deux chicots de murs situés aux extrémités septentrionales - mesurent de 6 à 20 m. Ce mur de 2 m à 2,40 m d’épaisseur, sauf pour son côté tourné vers le sud, où il atteint 3,40 m, est inégalement et irrégulièrement conservé, au plus sur huit assises, soit environ 2 mètres de hauteur. En quelques endroits, on observe, d’une part, que la maçonnerie est posée sur ou contre des affleurements rocheux qui pourraient bien correspondre à des vestiges de fronts de taille, d’autre part que sa face externe est plus profondément fondée que sa face interne (fig. 5). Les parements sont montés en moellons de grès grisâtre à grains fins local ; ils sont à peine équarris, ont une hauteur de 10 à 30 cm - rarement plus - pour une longueur courante de 34 à 74 cm, et sont disposés selon des lits plus ou moins bien réglés. Les angles internes et externes sont chaînés par de longues pierres taillées dans le même matériau selon l’ouverture angulaire que forment deux à deux les côtés de l’octogone. Leur face conserve encore la trace des outils qui ont servi à les façonner, pour l’essentiel des traces de pics, mais aussi (fig. 6 - 2), notamment sur le chaînage externe, des traces de layage autrement dit de fines ciselures probablement réalisées au taillant, voire à la ripe (fig. 6 - 1) et qui sont caractéristiques d’un travail de finition.
2.3. Les traces d’extraction
8L’exploitation des affleurements aériens, si elle est évidente, n’a guère laissé de traces, les blocs étant extraits, par arrachement, au gré de la fracturation de la roche, ce qui se déduit des angles acérés encore bien visibles. De même, il n’est pas aisé de comprendre la stratégie d’exploitation qui semble relever d’une démarche spontanée ou de l’existence de petits chantiers disséminés. Quoi qu’il en soit, on remarque çà et là, au gré du démoussage qui n’a pas été systématique, des signes qui ne trompent pas quant à l’existence d’une carrière. En témoigne la présence de quelques fronts de taille qui se traduisent par la verticalité de certaines parois. Le plus net, au nord de l’enceinte, est conservé sur près d’un mètre de hauteur et une dizaine de mètres de longueur (12,50 m en déroulé, fig. 7). Il ne présente aucune trace tangible de débitage, mais pourrait bien avoir été « préparé » pour recevoir le mur qu’aurait fermé l’enceinte, au nord. À quelques dizaines de mètres, au sud, à l’intérieur de l’enclos, un petit affleurement conserve à sa surface, quoique très érodée, un micro relief qui pourrait être identifié à une trace d’emboîture. D’autres sont néanmoins évidentes sur un bloc abandonné en cours de débitage, situé à proximité de cet affleurement et duquel il pourrait être détaché. Elles sont au nombre de quatre, espacées de 6 à 14 centimètres, avec une ouverture de 12 à 14 cm et une profondeur inférieure à 10 cm (fig. 8). À leurs abords, quelques moellons prêts à l’emploi, d’un module comparable à ceux mis en œuvre dans la maçonnerie voisine, jonchent le sol. Un autre tas de moellons identiques a été repéré dans la pente, immédiatement au sud de la structure, entre quelques affleurements rocheux dont certains ont manifestement été exploités, ainsi que trois blocs plus ou moins parallélépipédiques (L x l x h = 120 x 60 x 26 cm), présentant une face taillée dans laquelle a été aménagée, sur toute la hauteur, respectivement à 30 et 75 cm des angles, une encoche standardisée de 10 cm de profondeur sur 13 de large (fig. 9).
Figure 9 : Blocs taillés à encoche et tas de moellons prêts à l’emploi.

Figure 10 : Bloc préparé, mais non débité.

9Enfin, un dernier atelier abandonné a été reconnu un peu plus en contrebas du site (fig. 2, n° 5). Il s’agit d’un bloc volumineux, prismatique (2,70 x 1,90 x 0,90 m) donc préalablement débité, de près de 3 m3 (soit quelque 8 tonnes, si l’on considère une densité moyenne de 2,68 kg par dm3), qui pourrait provenir de l’un des affleurements situés à quelques dizaines de mètres en amont, ce qui pose la question de son déplacement, peut-être sur une rampe de rondins de bois. Quoi qu’il en soit, ce bloc conserve sur chacune de ses faces une ligne de cinq emboîtures disposée entre 23 et 29 cm du sommet. Elles sont espacées d’une quarantaine de centimètres, ont une longueur de 7 à 9 cm et une largeur, au plus, de 2 à 2,5 cm (fig. 10).
Figure 11 : Traces de fleuret.

10L’ensemble de ces traces n’est pas sans évoquer l’outillage traditionnel que le carrier utilise depuis l’Antiquité, pour l’extraction au moins, jusqu’à l’utilisation de la poudre, avérée en Lorraine au début du xviie siècle2. La roche est alors perforée à l’aide d’un fleuret laissant des traces cylindriques ou semi-cylindriques striées perpendiculaires à l’axe de frappe. Or une pierre de l’arase du parement externe de l’enceinte conserve à sa surface une empreinte de ce type réalisée par une mèche d’environ 4 cm de diamètre (fig. 11). Cette observation qu’il convient d’utiliser avec prudence en raison de son unicité conduit pourtant à soulever la question de la datation de cette construction anhistorique inachevée, dont le plan, octogonal, l’épaisseur de ses murs, la bonne qualité de la maçonnerie, la taille et la facture des pierres l’apparentent à ces petites enceintes sans tour maîtresse qui se sont multipliées à partir du dernier tiers du xiie siècle3.
Auteur
-
Charles Kraemer
Université de Lorraine
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