La fouille de l’abbaye Saint-Arnoul de Metz (1905-1906)
La redécouverte d’une nécropole carolingienne pendant l’annexion allemande
p. 135-146
Texte intégral
1Alors que Metz devient allemande à la suite de la défaite de la France en 1870, les liens entre les Carolingiens et la ville Metz attirent à nouveau l’attention des savants germaniques à la fin du xixe siècle, notamment par le biais de l’archéologie et la (re)découverte de l’abbaye Saint-Arnoul, détruite en 1552. L’archéologie mosellane connaît un renouveau à la fin du xixe siècle, au cours de la première Annexion allemande. Depuis 1871 et la signature du traité de Francfort, Metz et la Moselle sont annexées au Deuxième Reich allemand. Vingt années sont nécessaires pour que cette nouvelle situation soit acceptée par les Lorrains et que l’ancienne génération de savants français soit renouvelée par leurs homologues allemands. Les années 1880-1890 marquent un tournant, notamment avec la création de la Geselleschaft für lothringische Geschichte und Altertumskunde (Société d’Histoire et d’Archéologie de la Lorraine) en 1888.
2C’est à cette période que Metz connaît d’importants travaux d’urbanisme, favorisant les découvertes archéologiques. Depuis la fin du Moyen Âge, la ville est enserrée dans ses fortifications médiévales, modifiées et élargies par Vauban et Cormontaigne aux xviie et xviiie siècles. La population de ville augmentant, elle peine à s’installer sur un territoire d’environ 160 hectares resté plus ou moins inchangé depuis le xiiie siècle. Suivant l’exemple d’autres villes allemandes, d’importants travaux d’urbanisme sont projetés à la fin du xixe siècle. Après Trèves et Strasbourg, le génie militaire allemand déclasse les anciennes fortifications médiévales et modernes en 1891, rendant disponible une soixantaine d’hectares, notamment au sud de la ville. En 1899, le Kaiser Guillaume II approuve l’agrandissement de la ville.
3Les premiers travaux débutent en février 1902 dans le secteur de l’ancienne porte Saint-Thiébault. La Neue-Stadt - la Nouvelle Ville - s’étendant vers le sud, la destruction des fortifications devient nécessaire. C’est à cette occasion que l’amphithéâtre gallo-romain est mis au jour, lors de la destruction de la lunette du Pâté. Les fossés sont comblés et les ouvrages avancés sont détruits. Parmi eux, la lunette d’Arçon, une demi-lune construite au début du xixe siècle, dont la destruction commence en novembre 1903.
4Ces travaux permettent la découverte de vestiges inattendus, identifiés en février 1905 comme les ruines de l’ancienne abbaye Saint-Arnoul, lieu de sépulture des Carolingiens à Metz. Depuis le milieu du xixe siècle, des objets funéraires d’origine antique y sont régulièrement découverts. Mais l’apparition de ces murs dès avril 1904 suscite un intérêt particulier, sans qu’ils puissent être identifiés. Les membres de la Geselleschaft sont consultés pour interpréter ces vestiges. Cette société savante regroupe aussi bien des immigrés allemands que des Lorrains indigènes. Parmi eux, Johann Baptist Keune (1858-1937), directeur des Musées de Metz, recueille presque quotidiennement des objets découverts pour alimenter les réserves de son établissement, et Roch Stephan Bour (1870-1947), chanoine et professeur au Petit-Séminaire de Montigny-lès-Metz, qui est chargé d’étudier les vestiges mis au jour.
1. Entre fouille et surveillance de travaux
5La destruction de la lunette d’Arçon n’est pas le premier chantier à livrer des vestiges archéologiques. Les travaux qui y sont menés oscillent entre fouille archéologique menées par des ouvriers non qualifiés et surveillance de chantier assurée par le chanoine Bour et Johann Baptist Keune qui récolte le mobilier archéologique. Ce ne sont pas les premiers, puisque la découverte d’éléments funéraires gallo-romains lors des travaux menés à la lunette d’Arçon est fréquente depuis le début de l’annexion. À partir du milieu du xixe siècle, de nombreux objets funéraires, comme des sarcophages, sont découverts dans ce secteur du Sablon et laissent présager l’existence d’une nécropole au sud de la ville romaine. En juillet-août 1880, la 4e Compagnie du 15e Bataillon de Pionniers, sous le commandement du capitaine Naumann, fait creuser à ses hommes des tranchées en huit endroits autour de la lunette d’Arçon (appelée aussi lunette de Montigny). Dans le glacis, ils découvrent des tombes pourvues de matériel daté des iiie et ive siècles1. Ainsi, lors du démantèlement de l’ouvrage militaire qui débute en juillet 1900, il est certain que les découvertes allaient se multiplier. La lunette d’Arçon et les bâtiments attenants sont détruits et le sol est excavé sur plusieurs mètres2.
6C’est pourquoi Keune se rend régulièrement sur le chantier de démolition jusqu’au début de la fouille menée en 1905 et 1906. Il prélève le mobilier archéologique qui vient alimenter les réserves des Musées de Metz. Entre juillet 1900 et mars 1905, près d’une dizaine de découvertes d’objets gallo-romains sont faites, surtout à partir de novembre 19013. Cependant, entre mai et décembre 1902, qui correspond à la période de la fouille de l’amphithéâtre gallo-romain de Metz, Keune semble avoir moins le temps de se préoccuper des découvertes à la lunette d’Arçon4. Mais cela ne signifie pas que les découvertes aient été interrompues, bien au contraire. Toutefois, à voir le contenu des carnets des entrées d’œuvres aux Musées, il est probable que les ouvriers n’aient pas signalé les mises au jour réalisées entre mai et décembre 1902. Les mentions de découvertes reprennent par la suite : urnes cinéraires, sarcophages en pierre, céramique, monnaies, stèles funéraires constituent la majorité des découvertes faites à la lunette d’Arçon entre mars 1904 et mars 19055.
7Mais à partir de cette période, les découvertes deviennent d’une autre nature. À la fin du mois de février 1905, les ouvriers de la société Hase et Schott dégagent des murs de facture médiévale identifiés rapidement comme ceux de l’ancienne abbaye Saint-Arnoul. L’arrêt de la destruction est immédiatement ordonné. Le matériel mis au jour est alors datable de la période tardo-médiévale et moderne (première moitié du xvie siècle au xviiie siècle), telles des monnaies espagnoles contemporaines du siège de 1552 et de Louis XV ou encore des carreaux de poêle6. Dès le mois de février, comme il l’écrit dans ses carnets7, Keune est conscient que les ouvriers s’approchent des restes de l’édifice religieux à l’est-nord-est de la lunette d’Arçon. Les premiers sarcophages de la crypte sont dégagés dès la fin du mois de février et c’est ainsi que la nécropole impériale carolingienne de la famille de Charlemagne est mise au jour. Dès le 8 mars 1905, la Gesellschaft organise une visite des vestiges8. Mais ce n’est qu’à la mi-septembre que la crypte de l’église abbatiale est complètement dégagée9 (fig. H-1). De nombreux blocs d’architecture, comme des chapiteaux de colonnes et des fragments de chancel, sont retrouvés. Keune relate des découvertes dans ses journaux jusqu’en octobre 190610, date à laquelle la destruction des vestiges de l’abbaye Saint-Arnould reprend11. On le voit sur certains clichés, les murs mis au jour restent intacts bien après la destruction des murs de la lunette. Peu avant Noël 1906, les derniers restes de l’édifice sont presque totalement détruits12 (fig. H-2). Les matériaux, notamment les moellons composant les murs, sont récupérés et stockés en vue de la construction de la nouvelle chaussée (actuelle avenue du XXe-Corps-américain). L’ouvrage militaire est démoli jusqu’à l’été 1912 et des objets gallo-romains sont encore découverts à ce moment13.
Fig. H-1 : Vue générale de la crypte de Saint-Arnoul dégagée en septembre 1905. Les fosses accueillaient au Moyen Âge les sépultures carolingiennes (

© Musée de La Cour d’Or – Metz Métropole).
Fig. H-2 : Les vestiges de Saint-Arnoul (au premier plan) et la lunette d’Arçon (en arrière-plan) peu avant leur destruction (fin 1905) (

© Musée de La Cour d’Or – Metz Métropole).
2. Une nouvelle génération de savants
8Le suivi des découvertes est assuré par deux hommes : johann baptist keune et roch stephan bour qui se côtoient depuis près de dix ans au petit séminaire de montigny en tant qu’enseignants et dans le cadre de la geselleschaft für lothringische geschichte und altertumskunde.
2.1. Johann Baptist Keune (1858-1937)
9Né le 27 novembre 1858 à Trèves, Keune est le fils d’un chef d’entreprise de confession catholique qui part s’installer l’année suivante avec sa famille à coblence. à l’âge de 19 ans, il intègre la königlich preussische rheinische friedrich-wilhelms-universität de bonn (allemagne, rhénanie-westphalie) en 1877. Inscrit en philologie, il y étudie jusqu’en 1880. durant les cinq semestres passés à l’université de bonn, keune suit des cours de littérature grecque, de grammaire latine, d’histoire ancienne et de philologie, au sein desquels il étudie Platon, Horace, Juvénal, Démosthène, Aristobule, Thucydide, Ovide, Cicéron, ainsi que les cours d’histoire de la mythologie grecque du Pr Reinhard Kekulé (1839-1911), à qui l’on doit en 1882 un article à propos de la Victoire découverte au Sablon14. Peu de temps après, durant l’été 1880, il quitte Bonn pour poursuivre ses études de philologie à la Philipps-Universität de Marbourg, et ce, jusqu’au semestre d’été de 188415. Par la suite, après un séjour de quelques mois à Berlin en tant que stagiaire, il devient l’assistant à Vienne de l’éminent archéologue Otto Benndorf (1838-1907). Keune se familiarise alors pendant dix-huit mois avec le Corpus inscriptionum latinarum, tout en occupant, durant le semestre d’hiver 1884-1885, un poste d’aide-bibliothécaire à la bibliothèque royale de Vienne16. Ayant obtenu son doctorat en philologie, il revient dans sa ville natale pour devenir professeur au lycée Friedrich-Wilhelm de Trèves en tant que professeur non titulaire entre 1889 et 1892, tout en œuvrant au Landesmuseum au côté de Felix Hettner17.
10Keune arrive à Metz en octobre 1892 pour occuper un poste d’enseignant au Petit-Séminaire de Montigny, et ce, jusqu’en 1918. Il y côtoie des personnalités comme le chanoine Bour, également intéressé par l’histoire et l’archéologie messines. Il intègre les rangs de la Gesellschaft le 19 octobre 1893 à l’âge de 34 ans18. Quatre ans plus tard, suite à la démission de F. von Fisenne et du Professeur H. von Besler, Keune est élu en compagnie de Timothée Welter au sein du Bureau le 11 novembre 189719, puis réélu lors de chaque assemblée générale que tient la Gesellschaft tous les trois ans. Il accède même au poste de Secrétaire en 1905, succédant à G. Wolfram.
11Le 10 mars 1896, sur proposition de l’administrateur de la ville, le baron Sigismond von Kramer (1895-1901), J. B. Keune est nommé conservateur des Musées20. Trois années plus tard, par décision du conseil municipal, J. B. Keune reçoit le titre de « Directeur des Musées de la Ville » le 12 décembre 189921.
2.2. Roch Stephan Bour (1870-1947)
12Historien né à Réding près de Sarrebourg en Moselle le 4 décembre 1870, Bour est le fils d’André-Paul Bour, mécanicien et de son épouse Catherine Froment. Il fait des études secondaires au Petit Séminaire Saint-Louis-de-Gonzague de Montigny de 1883 à 1889 et des études de philosophie et de théologie au Grand Séminaire de Metz de 1890 à 1895. Il est ordonné prêtre le 14 juillet 1895 à Metz et envoyé à Rome par Mgr Fleck où il poursuit des études de théologie couronnées par un doctorat. Il obtient par ailleurs un diplôme d’archiviste paléographe de l’École vaticane. Il côtoie durant ses études des personnes proches du milieu archéologique, comme Jean-Baptiste de Rossi (1822-1894), épigraphiste et archéologue italien, Mgr Duchesne (1843-1922)22 qui dirige à cette époque l’École française du Palais Farnèse et il est un condisciple d’Eugenio Pacelli, le futur Pie XII.
13Le 19 septembre 1898, il revient en Lorraine et il est nommé professeur d’histoire, d’archéologie et de patrologie au Grand séminaire de Metz. Il est le premier à introduire des cours réguliers d’architecture religieuse obligatoire pour les deux premières années d’études. Il souhaite étudier les monuments lorrains pour les comparer entre eux, les dater et en déceler les auteurs. Il devient membre de la Gesellschaft en 1900.
14Il fait également partie de la commission de rédaction de l’annuaire et de la commission historique pour la publication des sources de l’histoire lorraine. Pendant plusieurs années, il collabore à la Revue ecclésiastique de Metz. Il est l’auteur dans cette revue de nombreux comptes rendus bibliographiques. Ses compétences sont reconnues au sein du clergé de Metz. Son parcours universitaire le désigne ainsi naturellement pour étudier les vestiges de l’abbaye Saint-Arnoul. Cette découverte permet à l’abbé Bour de se consacrer à une de ses passions, l’archéologie.
3. Un intérêt balbutiant pour l’archéologie médiévale et une méthode scientifique plus rigoureuse
15Les méthodes scientifiques sont radicalement différentes de celles connues avant l’annexion. Les découvertes sont régulièrement suivies par Keune et par le chanoine Bour, tous deux membres de la Gesellschaft. Durant la première Annexion, celle-ci acquiert une légitimité dans le domaine de l’archéologie, participant à certaines décisions en matière de fouilles ou concernant les Musées. Elle demeure, de sa création en 1888 à la fin de la première Annexion, un des seuls vecteurs de diffusion de l’information archéologique en Lorraine annexée. Elle a constitué un réseau dense de correspondants issus du département de la Moselle annexée. La nouvelle génération de savants, nés dans les années 1850-1860, qui la compose, va littéralement changer la manière d’analyser les vestiges archéologiques. Pour la fouille de Saint-Arnoul, Keune s’intéresse, d’un côté, aux découvertes de mobilier qui viennent alimenter les réserves du Musée archéologique, tandis que Bour se charge d’étudier le plan et donc la configuration, la liturgie de l’abbaye.
16Avec l’arrivée de Keune à la tête des Musées de Metz, les méthodes archéologiques sont bouleversées, en comparaison de celles mises en œuvre par ses prédécesseurs français. Il s’entoure de spécialistes allemands et locaux, dont fait partie Bour. Un véritable travail d’inventaire est mené par Keune sur le terrain, comme le montrent les différents carnets d’inventaire, mais aussi ses journaux personnels qu’il tenait quotidiennement à jour. L’étude du mobilier et des vestiges est essentiellement fondée sur la comparaison avec d’autres objets, d’autres édifices, d’autres sites archéologiques. Keune et Bour n’hésitent pas à utiliser les outils techniques à leur disposition, comme la photographie qui permet de documenter les découvertes. Les clichés des vestiges de l’abbaye Saint-Arnoul ou du mobilier mis au jour sont très nombreux. Il faut ajouter à cela le dynamisme de Keune. À travers ses carnets, il est facilement observable qu’il se rend quasiment quotidiennement sur le chantier de la lunette d’Arçon. Il prend alors des notes sur les objets et les structures mises en évidence, sur leur nature, leur localisation, et les dessine. C’est ainsi un véritable travail d’inventaire et de recherche scientifique qui est mené par les deux hommes.
4. Le souvenir de l’abbaye Saint-Arnoul dans la recherche régionale
4.1. L’étude historique de Bour
17Alors que Keune s’occupe de rapatrier le mobilier archéologique aux musées, Bour se charge d’interpréter et d’identifier les vestiges mis au jour. Il publie dans les volumes de 1907 et 1908 du Jahrbuch der Gesellschaft für lothringische Geschichte und Altertumskunde une analyse très complète sur l’abbaye, longue de plus de deux-cents pages.
18Tout d’abord, il déduit qu’il s’agit de l’abbaye Saint-Arnoul par rapport à la situation. Le Sablon étant au Moyen Âge un « quartier des basiliques », seules les abbayes Saint-Clément, Saint-Symphorien et Saint-Arnoul pouvaient correspondre. Il joint d’ailleurs à son étude un plan détaillé du Sablon à la fin du Moyen Âge. Cette localisation est corroborée par un plan du xviiie siècle23 (fig. H-3). Les vestiges de l’église abbatiale y sont encore visibles. Le clos Saint-Arnould appartenait encore à l’abbaye, alors installée rue aux Ours, et abritait des vignes. On peut d’ailleurs y voir la végétation qui a poussé sur des murs qui semblent former un édifice en forme de croix latine. Il s’agit probablement de la représentation des vestiges de l’église abbatiale, toute symbolique, puisque ses dimensions sont démesurées (225 m de long sur 150 de larges, soit plus grand que la cathédrale Saint-Étienne et aussi imposant que la basilique Saint-Pierre de Rome !). À moins qu’il ne s’agisse d’un ancien mur d’enceinte ?
Fig. H-3 : Les vignes de St Arnould au XVIIIe siècle, au sud de l’ouvrage à corne de la citadelle. On distingue la végétation ayant poussé sur un édifice au plan à croix latine, peut-être les vestiges de l’ancienne église abbatiale (

© Archives départementales de la Moselle. C853).
19L’étude de Bour se fonde également sur les observations des historiens antérieurs. Comme le rapporte Baltus, les derniers vestiges disparaissent en 1728 pour la construction de nouvelles fortifications. En effet, le 7 juin, on « arase la crête du Champ-à-Pannes, près de la porte Saint-Thiébault. On arrache les vignes, dont celles de l’enclos Saint-Arnould, protégé par de “vieilles murailles” de l’ancienne abbaye »24. Seule une croix en pierre de taille, probablement celle du maître autel de l’ancienne église abbatiale reste visible25.
20Bour s’appuie également sur les données archéologiques, les inscriptions, les restes de peintures, les chartes, des livres liturgiques, du Cérémonial du xiiie siècle de l’abbaye de Saint-Arnoul… pour aboutir à une reconstitution du monastère rasé en 1552 par le duc de Guise en prévision du siège de Charles Quint. Il étend ses recherches archéologiques aux environs des bâtiments claustraux et à toute la banlieue sud du Sablon. Des travaux avaient déjà été publiés sur Saint-Arnoul lors de la parution de cet article, notamment par Müsebeck. Mais Bour insiste plus sur le point de vue archéologique. Dans une première partie, il traite de la topographie extérieure de l’abbaye. La deuxième contient les données historiques de la construction. Il commence son propos en évoquant l’installation au début du christianisme, puis les différentes transformations aux époques mérovingiennes et franques, à l’époque de Drogon (825-857), l’église construite sous l’abbé Warnius. Il évoque le cloître avant sa destruction en 1552. Dans la troisième partie, Bour indique la disposition générale du cloître, l’ordre des bâtiments. Il fournit une description détaillée de l’église, des bâtiments du cloître et des annexes. La quatrième partie est consacrée à la crypte de l’abbaye détruite, mais redécouverte peu avant les fouilles.
4.2. La localisation de l’abbaye Saint-Arnoul
21En mars 1905, un plan très précis de la fouille est réalisé (fig. H-4). D’après un autre relevé, il est possible de replacer l’abbaye sur le cadastre actuel grâce au projet des nouveaux îlots du début du xxe siècle. Bour ne s’est pas contenté d’une étude descriptive. Mêlant les éléments archéologiques aux éléments archivistiques, il propose dans son article la configuration probable de l’abbaye, mais aussi de la localisation des différents établissements ecclésiastiques (ou non) du Sablon. À ce propos, Bour se fera un des spécialistes de la topographie urbaine messine à travers ses différentes publications, comme celle de 1929 sur les églises de Metz (avec Klauser) et celle sur la topographie de la partie orientale de la ville en 1932.
Fig. H-4 : Relevé en élévation (en haut), relevé en plan (au milieu) et localisation parcellaire de la fouille de la crypte de Saint-Arnoul (1905-1906) (

© Musée de La Cour d’Or – Metz Métropole).
Fig. H-5 : Localisation de la lunette d’Arçon et de l’abbaye Saint-Arnoul sur le parcellaire de 2015 (DAO et cartographie : J. Trapp, d’après R. S. Bour).

22Si le relevé de Bour est repositionné sur le cadastre actuel, il est possible de localiser plus ou moins précisément le chantier de fouille et, de ce fait, le chœur de l’ancienne église abbatiale Saint-Arnoul (fig. H-5). L’emprise de la fouille englobe principalement l’immeuble du n° 30 de l’actuelle rue de Verdun, faisant l’angle avec la rue Antoine-Louis. D’après la restitution de Bour et de la configuration probable de l’abbaye, il est vraisemblable que l’essentiel de l’abbaye, à savoir la nef et ses bas-côtés, était situé sous la rue de Verdun, tandis que le cloître se trouvait autrefois sous les îlots compris entre les rues de Verdun, Paul-Michaux et Clovis.
4.3. La fouille de l’abbaye : un outil de la propagande impériale ?
23L’archéologie est souvent vue par les historiens comme un outil de la propagande impériale afin de légitimer les annexions territoriales, notamment en Moselle et au cours de la seconde Annexion. Certaines fouilles, comme celle de l’amphithéâtre (1902-1903), attirent la curiosité du Kaiser Guillaume II, passionné d’archéologie, qui se déplace sur le chantier, laissant penser qu’il pourrait s’agir d’une utilisation de l’archéologie à des fins de propagande. Il faut toutefois nuancer ce procédé au cours de la première Annexion.
24Certes, les liens entre la ville et le Kaiser sont étroits. Le souverain se déplace en effet à seize reprises entre 1889 et 1914. Pour lui, Metz symbolise le passé germanique et l’avenir d’une Allemagne conquérante26. Celui-ci cherche à légitimer l’annexion de l’Alsace-Lorraine, ce qui lui permettrait de reconstituer un peu plus l’ancien Saint-Empire romain germanique, dont il se considère comme le successeur. L’art est un bon moyen pour montrer que les Mosellans étaient depuis le début du Moyen Âge sous l’influence des courants germaniques. Cependant, son déplacement sur le chantier de l’amphithéâtre semble être la visite d’un homme curieux et féru d’archéologie. En effet, le premier motif de son déplacement est l’inauguration en grande pompe du portail néo-gothique de la cathédrale en mai 1903. Aucune récupération politique n’est visible dans la presse ou les publications scientifiques de l’époque.
25Il en est de même pour les autres fouilles en Lorraine annexée qui ne semblent pas attirer l’attention du Kaiser. L’exemple de Saint-Arnoul est le plus flagrant. En effet, Guillaume II aurait pu utiliser cette fouille à des fins politiques. L’abbaye Saint-Arnoul est l’ancien lieu de sépulture des Carolingiens, descendants directs de Charlemagne, dont il cherche à prouver qu’il est le successeur. C’était une belle opportunité pour l’empereur d’instrumentaliser l’archéologie et de montrer que la Moselle est une ancienne terre allemande, légitimement annexée à l’Allemagne.
26Il n’en fut rien. Pourtant, Guillaume II était bel et bien à Metz au cours de la fouille, puisqu’il s’y rend en 1903, 1904, 1905 et 1906, soit pendant le dégagement des vestiges. Il fait manœuvrer le 16e corps et vient inaugurer le Temple-neuf le 14 mai 1904. Mais il ne se déplace pas sur le chantier. Il faut donc rester prudent avec l’instrumentalisation de l’archéologie par le pouvoir impérial. Qui plus est, une trentaine d’années s’est écoulée depuis l’annexion de la Moselle et ce rattachement est à cette époque bien ancrée dans les mentalités. Le Kaiser n’a nul besoin de la légitimer.
27Par ailleurs, la découverte de Saint-Arnoul présente plus un intérêt scientifique que symbolique. Même s’il s’agit de la mise au jour de la crypte qui renfermait au Moyen Âge les tombeaux de la dynastie carolingienne, ceux-ci sont vides depuis 1552. En effet, en raison des préparatifs du siège de la ville par Charles Quint, le duc de Guise décide de faire détruire tous les faubourgs de la ville pour éviter que l’ennemi ne s’en serve comme point d’appui. L’abbaye Saint-Arnoul est ainsi rasée et les moines s’installent à l’intérieur des murs, dans le couvent des Frères prêcheurs (actuellement cercle des Officiers). Les sépultures sont également déplacées à cette époque, dont celle de Louis le Pieux pour lequel un monument funéraire est construit autour du sarcophage. Lors des pillages de la Révolution française, il est le seul à échapper à la destruction et est vendu aux enchères à un marbrier. Quelques fragments sont retrouvés en 1867 à la vente de la collection de Philippe-Antoine Paguet, ancien boulanger messin, de l’hôtel Drouot. Il faut ainsi relativiser le caractère exceptionnel de cette découverte, du moins sur un plan symbolique. L’histoire de l’abbaye et son emplacement étaient connus au début du xxe siècle et il n’était pas nécessaire à Guillaume II d’utiliser cette découverte à des fins politiques.
Conclusion
28La fouille de l’abbaye Saint-Arnoul, nécropole carolingienne, tient une place importante au sein de la recherche régionale au début du xxe siècle. Toutefois, elle ne semble pas avoir eu un retentissement fort au cours de la première Annexion, contrairement à d’autres chantiers comme celui de l’amphithéâtre de Metz en 1902-1903. L’archéologie s’intéresse alors surtout aux vestiges antiques et l’archéologie médiévale ne se développera que plusieurs décennies plus tard.
29Il demeure toutefois la synthèse de Bour, publiée en 1905 et 1906 au sein du Jahrbuch der Geselleschaft für lothringische Geschichte und Altertumskunde, qui retrace l’histoire de l’abbaye et son fonctionnement sur près d’un millénaire. En compagnie de Keune, il a contribué à prélever une grande quantité de données sur le terrain et à sauvegarder le mobilier archéologique mis au jour, puis conservé aux Musées de Metz. Cette documentation a permis de localiser précisément l’abbaye, dont les vestiges ont totalement disparu aujourd’hui. La présente étude laisse entendre qu’il faut rester prudent lorsqu’il est question de l’utilisation de l’archéologie par le pouvoir impérial comme outil de propagande au cours de la première Annexion.
Bibliographie
Sources
Archives départementales de la Moselle (ADM) C853 : plan du clos Saint-Arnould (xviiie siècle)
7AL354 : Fouilles et découvertes archéologiques (Ville de Metz 1892-1906, dessin)
Archives municipales de Metz (AMM)
1D/c123 : Délibération du conseil municipal (1896)
1D/c126 : Délibération du conseil municipal (1899)
Trier Statdtarchiv (TSA)
Ka22 : Correspondance de J.B. Keune (1887-1919)
Musée de La Cour d’Or – Metz Métropole (MCO)
12 570 : Tagebuch I (5 novembre 1905 au 26 octobre 1906)
12 596 : Eingänge V (1901-1902)
12 600 : Eingänge IX (14 janvier 1904 - mai 1904)
12 601 : Eingänge X (juin au 20 septembre 1904)
12 602 : Eingänge XI (21 septembre 1904 - janvier 1905)
12 603 : Eingänge XII (19 janvier 1905 - 27 octobre 1905)
12 607 : Eingänge XVII (mai 1911 - octobre 1912)
Bibliographie
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BALTUS (Jacques) - Histoire de Metz. Tome VII. Annales de Baltus. 1724-1756, Paris, Palais Royal, 1974, 456 p.
BOUR 1907 :
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BOUR 1908 :
BOUR (Roch Stephan) - « Die Benediktiner-Abtei St. Arnulf vor den Metzer Stadtmauern. Eine archäologische Untersuchung », in : Jahrbuch der Gesellschaft für lothringische Geschichte und Altertumskunde, vol. 20, 1908, p. 20-120.
BRASME 2012 :
BRASME (Pierre) - « Le Kaiser Guillaume II à Metz », in : Metz, l’annexion en héritage (1871-1918), Metz, G. Klopp, 2012.
HEINEN 1977/1978 :
HEINEN (Heinz) - « Johann Baptist Keune (1858-1937) », in : Trierer Zeitschrift, n° 40/41, 1977/78, p. 303-307.
KEKULÉ 1882 :
KEKULÉ (Reinhard) - « Victoria aus Sablon bei Metz », in : Westdeutsche Zeitschrift, vol. 1, 1882, p. 291-296.
LUDWIG 2008 :
LUDWIG (Virginie) - Un historien lorrain : Roch-Etienne (R.-S.) Bour. Vie et œuvres, Mémoire de Master 1, sous la direction de Gaillard (Michèle), Université de Metz, 2008.
MÖLLER 1880 :
MÖLLER (Fritz) - « Ein Fund römischer Altertümer an der Lünette d’Arçon bei Metz », in : Jahresbericht des Vereins für Erkunde zu Metz, vol. 3, 1880, p. 114-136.
SCHAAFFHAUSEN 1880 :
SCHAAFFHAUSEN (Hermann) - « Drei Schädel aus Römergrabern bei Metz », in : Jahresbericht des Vereins für Erkunde zu Metz, vol. 3, 1880, p. 136-160.
TRAPP, MERTEN 2012 :
TRAPP (Julien), Merten (Jürgen) - « Johann Baptist Keune (1858-1937) - ein moselländischer Archäologe in Metz und Trier », in : Funde und Ausgrabungen im Bezirk Trier, 44, 2012, p. 80-98.
TRAPP, MERTEN 2014 :
TRAPP (Julien), MERTEN (Jürgen) - « Johann Baptist Keune (1858-1937) entre France et Allemagne. Un archéologue mosellan victime de la Grande Guerre », in : Revue historique, 671, 2014, p. 527-546.
TRAPP, 2015 :
TRAPP (Julien) - L’archéologie à Metz. Des antiquaires à l’archéologie préventive (1750-2008), Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2015, 178 p.
Notes de bas de page
1 Möller 1880, p. 114-136 ; Schaaffhausen 1880, p. 136-160.
2 Bour 1908.
3 MCO, 12 596.
4 MCO, 12 596, 12597.
5 MCO, 12 600, 12601, 12602, 12603.
6 MCO, 12 603.
7 Ibid.
8 Bour 1908.
9 Ibid.
10 MCO, 12 570.
11 ADM 7AL354.
12 Bour 1908.
13 MCO, 12 607.
14 Kekulé 1882.
15 Il en est de même dans les archives de la Philipps-Universität de Marburg (UniA Marburg Best. 305 m 1 Sommersemester 1880 ; UniA Marburg 305 m 3 Sommersemester 1884).
16 TSA, Ka22.
17 Heinen 1977/78, p. 303-307.
18 Jahrbuch der Geselleschaft für lothringische Geschichte und Altertumskunde 1893, p. 245.
19 Jahrbuch der Geselleschaft für lothringische Geschichte und Altertumskunde 1897, p. 371.
20 AMM, 1D/c123.
21 AMM, 1D/c126.
22 Duchesne L. (1843-1922). Né à Saint-Sevran en 1843. Issu d’une famille bretonne modeste. Il est ordonné prêtre en 1867. Il enseigne quelque temps puis il vient à Paris pour suivre des cours à l’École des Carmes et à l’École des hautes études. De 1873 à 1876, il est élève à l’École française de Rome. Passionné d’archéologie, il effectue plusieurs missions au mont Athos, en Syrie et en Asie mineure. En 1877, il obtient la nouvelle chaire d’histoire ecclésiastique de l’Institut catholique. Il quitte la faculté en 1883, car le contenu de son enseignement est vivement critiqué. En 1895, il est nommé directeur de l’École française de Rome. Il est le principal fondateur du Bulletin critique de littérature, d’histoire et de théologie. Il accumule les titres et récompenses : chanoine honoraire de Paris, commandeur de la Légion d’honneur… Il est membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-lettres en 1888. Il est élu à l’Académie française en 1910. Il laisse une œuvre abondante.
23 ADM, C853.
24 Baltus 1974, p. 12.
25 Ibid., p. 13.
26 Brasme 2012, p. 48.
Auteur
-
Julien Trapp
Docteur en Histoire romaine de l’université de Lorraine (Metz)
Musée de La Cour d’Or – Metz Métropole
Vice-président de la Société d’Histoire et d’Archéologie de la Lorraine
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