Introduction
p. 13-14
Texte intégral
1L’article de Philippe Truttman, « Petite histoire d’une grande place de guerre, Metz », publié en 1975 dans la revue Archéologia, révélait au monde savant tout autant qu’au grand public l’extraordinaire héritage militaire de la cité de Metz. Des premières fortifications de la fin de la période protohistorique à la nouvelle série de forts édifiés à la fin du xixe siècle un riche patrimoine témoigne de cette histoire. À la confluence de deux rivières, la Moselle et la Seille, dominées par la colline Sainte-Croix (188 m) au nord et celle dite « de la Citadelle » (187 m) au sud, l’enceinte antique constitua l’embryon d’une ville fortifiée qui, au début du xiiie siècle, s’étendit sur un espace de 160 hectares, avec une enceinte d’un développement de 5575 mètres. À la même date, celle de Paris, si elle enfermait une superficie plus importante, ne dépassait pas 5300 mètres. Œuvre considérable donc réalisée en un quart de siècle – même si bien des améliorations seront par la suite apportées – qui reflète assez la prospérité économique et le dynamisme de la cité messine.
2Si son tracé pouvait être dans un premier temps réalisé assez rapidement, sa construction en dur était une entreprise de longue haleine qui devait s’étendre sur des décennies et être constamment adaptée aux progrès réalisés par la poliorcétique et l’artillerie à feu, « cet épouvantable tonnerre », pour reprendre l’expression du chroniqueur Jean Molinet. Atteste de cette adaptation la création en particulier de boulevards d’artillerie, dont celui de la porte des Allemands constitue un témoin des plus intéressants, et le percement dans les ouvrages anciens ou plus récents de canonnières. Ces dernières, prévues pour l’utilisation d’armes portatives, les couleuvrines, puis les arquebuses à partir du début du xvie siècle, allaient offrir à la défense l’avantage dans la défense des fossés.
3Au quotidien la maintenance d’un tel appareil militaire appelait un entretien constant, les murailles s’effondrant souvent au sortir de l’hiver ou étant sujettes aux sapes exercées par la violence des eaux ou les intempéries. Il fallait donc pour assurer sa conservation créer une administration en charge de la perception de l’argent de l’impôt que souvent les ecclésiastiques refusaient d’acquitter. Des collèges composés de membres élus en formeront l’ossature, chacun ayant ses propres responsabilités sur la fortification, l’artillerie, ou les autres aspects défensifs, tenant les comptabilités ou rédigeant des rapports écrits ou « visitations » sur l’état des fortifications et des armements.
4Au-delà de l’encadrement administratif du chantier, les maîtres d’ouvrage eurent aussi une réelle culture militaire et technique comme Philippe Desch, qui dirigea la construction de plusieurs édifices des fortifications messines au xvie siècle, dont le moineau Desch (1527), au somptueux décor sculpté. Ces élus et ces responsables de la ville eurent la responsabilité de la programmation et de l’orientation des projets militaires, alors qu’au siècle suivant des gouverneurs et des ingénieurs militaires seront nommés à ces postes de responsabilité par le pouvoir central.
5Mais c’est aussi une histoire de l’économie de la construction qui nous est présentée, de l’arrivée des matériaux sur les chantiers à leur mise en œuvre dans le bâtiment, puis à leur stockage prévisionnel pour certains d’entre eux dans les granges de la ville. La richesse des sources exploitées nous permet d’apercevoir le quotidien des hommes du bâtiment, des simples manœuvres aux artisans plus qualifiés, maîtres maçons ou charpentiers, dont certains comme Henri de Ranconval, semblent avoir été des spécialistes reconnus de l’architecture militaire.
6Vers 1500, Metz était une ville puissante et forte dont l’enceinte était doublée par des ouvrages défensifs adaptés à l’artillerie, des boulevards renforcés de fausses braies ; on prévoyait encore des lignes de défense avancées constituées de fossés (les « tranchys ») et des levées de terre pour repousser les premiers positionnements d’artillerie de l’assaillant, anticipant un principe du xvie siècle. À l’instar de cités comme Rhodes, Douai ou Nuremberg, Metz s’était donné les moyens de devenir une grande place forte de la Renaissance. L’efficacité des travaux conduits par les bourgeois de Metz tout au long du Moyen Âge se mesure à l’aune du fameux siège de 1552 : Charles Quint qui avait réuni la plus formidable des armées du temps, forte de plus de 60000 combattants contre 6000 défenseurs, et un parc d’artillerie d’une ampleur exceptionnelle, ne réussit pas à s’emparer d’une ville encore défendue, à l’exception d’un retranchement terrassé construit par François de Guise, de murailles médiévales.
7C’est une étude complète sur les fortifications messines que nous livrent, sous la direction de Julien Trapp, Mylène Didiot et différents auteurs : soutenue par des relevés topographiques ou archéologiques des éléments préservés de l’enceinte et éclairés par des textes d’archives et une riche iconographie, l’analyse architecturale, étayée de reconstitutions en 3D, fait revivre à nos yeux l’ampleur du patrimoine bâti pour sa défense par une cité qui était une République.
Auteur
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Alain Salamagne
Professeur d’histoire de l’art et de l’architecture (Université François-Rabelais de Tours)
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