Regards sur Faucogney et les enceintes collectives des Vosges comtoises
p. 239-256
Texte intégral
1La ligne de crêtes des Vosges, du sud-sud-ouest vers le nord-nord-est, a largement orienté les recherches sur ce massif au profit, pour la question des petites villes médiévales au moins, des versants lorrains et alsaciens. Au sud, ce relief déborde pourtant en Franche-Comté sur plus de 600 km2 et il constitue une démarcation ancienne entre les diocèses métropolitains de Besançon et de Trèves plus ou moins reprise par les découpages politiques ultérieurs. Pour autant, la perception de la montagne comme obstacle infranchissable est aujourd’hui largement remise en cause ; c’est un espace complexe qui est autant interface et zone d’échange de biens, de personnes et d’idées qu’une limite1.
2L’ethnographie s’est, de longue date, intéressée à la relation des hommes à leur habitat en montrant des constantes mais également de fortes disparités régionales dans la manière de bâtir sa maison ou de vivre avec les autres. Les géographes ont également contribué à structurer cette question par un ensemble de définitions tendant à schématiser l’occupation du sol, de l’habitat isolé aux maisons groupées. Cette question est particulièrement sensible pour les médiévistes qui ont abondamment débattu sur la question de la naissance du village et la mise en place du second réseau urbain, largement persistant aujourd’hui. Les définitions actuelles de ville et de village ne reflétant que très imparfaitement les peuplements médiévaux, le terme de bourg remporte un vif succès, largement repris par les spécialistes du château qui, à la suite d’André Debord2, ont mis en évidence son rôle de catalyseur de l’habitat. Parmi les critères de définition de ses bourgs, la présence d’une enceinte est reprise unanimement, considérée pour son importance symbolique et juridique autant que pour sa fonction militaire.
3Les résultats d’un Programme collectif de recherche publié sous le titre « Archéologie des enceintes urbaines et de leurs abords en Lorraine et en Alsace » a mis en évidence des constantes mais également des caractères spécifiques ou privilégiés à l’est et à l’ouest des Vosges. Bernhard Metz souligne dans sa contribution la très forte densité des enceintes urbaines sur le piémont alsacien (24 soit 35 % des sites)3 ; en Lorraine, elle est bien moindre avec cinq enceintes seulement (soit 4 % des sites) sur les contreforts montagneux4 et guère plus dans la zone bordant le piémont5. Fort de ce constat, le regard se porte naturellement sur les Vosges comtoises en quête d’analogies ou de différences avec les corpus lorrains et alsaciens. Cette entreprise n’en est qu’à ses débuts et cet article propose un état de la recherche et une étude de cas de l’enceinte de Faucogney-et-la-Mer.
Les enceintes des Vosges comtoises
4En Franche-Comté, la première moitié du xixe siècle voit l’émergence de travaux historiques et archéologiques qui mettent à l’honneur les fortifications médiévales quoiqu’une part importante soit attribuée à l’époque romaine. Cet engouement porte principalement sur les châteaux et, si la question des enceintes urbaines n’est pas tout à fait absente des dictionnaires des communes et notices monographiques, il faut attendre 1866 pour que soit publiée la première étude spécifique à ce sujet6. Édouard Clerc y développe le cas de Lure qui a attiré son attention et suscité sa curiosité : « Ce que j’avais obtenu pour Lure, pourquoi ne pas le tenter ailleurs ? Pourquoi ne pas reconstituer de même toutes les vieilles enceintes murées de nos villes et de nos bourgades ? »7. Cette déclaration d’intention qui insiste sur la nécessité d’une approche de terrain est suivie de remarques générales sur la date d’apparition et de destruction des enceintes, ainsi que sur leur mode de construction. Il mobilise les données historiques pour ébaucher une réponse à ses questions en puisant dans les observations réalisées sur vingt-six enceintes. Dès l’année suivante, il poursuit son enquête en proposant quatre notices consacrées à Saint-Amour, Arbois, Baume et Belvoir, toutes accompagnées d’un plan8. Une quinzaine d’années plus tard, à sa mort, l’entreprise n’est pas aboutie. Elle fut complétée par quelques études, comme celle de Dole, en 1891, à l’occasion d’un Congrès archéologique de France9. Pour l’essentiel, l’étude des fortifications de villes se résume à quelques pages au sein de monographies urbaines10. Après une longue période de discrétion, ce thème est remis à l’honneur en 1980 à l’occasion d’une exposition consacrée aux « Aménagements défensifs : camps et enceintes en Franche-Comté avant la conquête française », accompagnée d’un guide spécifique sur « les enceintes fortifiées médiévales des villes et bourg de Franche-Comté » rédigé par Yves Jeannin. Ce document d’une centaine de pages propose à la fois des éléments de synthèse sur la soixantaine de sites relevés et des monographies succinctes souvent accompagnées d’un plan. Cette préoccupation des données de terrain est reprise dans les travaux menés à la charnière des années 1980 et 1990 par Éric Affolter, André Bouvard et Jean-Claude Voisin qui traitent de la question des enceintes médiévales dans le nord de la Franche-Comté11.
5À l’exception notable de Faucogney et Fougerolles, le secteur du Massif vosgien paraît déserté, les villes les plus proches, Luxeuil, Conflans, Amance, Lure, sont déjà dans un environnement de plaine. La définition du corpus d’enceintes d’agglomération du massif des Vosges comtoises n’est pas sans poser quelques difficultés liées à la faiblesse ou l’imprécision des travaux consacrés à certaines agglomérations de ce secteur. Rappelons en préambule que dans le comté de Bourgogne, le vocabulaire n’est pas d’un grand secours pour déterminer l’existence d’une enceinte. Le terme de castrum peut aussi bien désigner une enceinte collective qu’un château et le terme de « ville » est utilisé autant pour de petites agglomérations rurales que des bourgs abbatiaux. Le terme de « bourg » est plus intéressant puisqu’il se rapporte presque exclusivement à des bourgs castraux et il « devient synonyme de localité fortifiée » à partir de la fin du xive siècle12. Encore faut-il nuancer ce constat puisque dans trois cas, au moins, il n’existe aucune trace historique ou archéologique de l’enceinte, situation qui s’observe dans le Doubs de manière plus nette encore, avec une dizaine de cas13. Pour la Lorraine, Jean-Luc Fray fait part des difficultés qu’il a rencontrées dans l’exploitation du vocabulaire médiéval et insiste sur le fait que le lien entre bourg et enceinte, qu’on observe en bien des régions, est peut-être à rejeter pour la zone germanophone en raison d’une contamination du terme germanique burg (château)14. La distinction avec le vocabulaire alsacien est, quant à elle, très nette si l’on en juge par les observations de Bernhard Metz qui relève, dans cette région, une corrélation systématique du terme « ville avec l’existence d’une enceinte15.
6Laissons de côté les bourgs abbatiaux de la région tels que Luxeuil, Lure et Faverney, situés hors de notre périmètre d’étude, pour nous concentrer sur les bourgs d’origine castrale et d’éventuelles enceintes villageoises. Les travaux cités auparavant permettent de ne retenir que deux bourgs castraux pour la zone montagneuse du département de la Haute-Saône : Fougerolles, à l’entrée du Val d’Ajol qui relie le comté de Bourgogne à la Lorraine via Remiremont, et Faucogney qui constitue un verrou vers la porte d’Alsace. Dans le territoire de Belfort, il faut y ajouter la ville éponyme, dans la zone de piémont, et celle de Rougemont-le-Château qui relevaient toutes deux de l’Alsace médiévale et non du comté de Bourgogne16. Six cantons des Vosges saônoises contiennent dans leur territoire une zone montagneuse17. Parmi ces 98 communes, onze du département de la Haute-Saône et trois ou quatre du territoire de Belfort18 disposaient, selon les inventaires régionaux19, d’une forteresse. Les dictionnaires des communes ont ensuite fourni un premier outil pour déterminer l’existence d’une enceinte20. Cette approche mériterait cependant d’être complétée par une lecture des parcellaires anciens, notamment à partir des cadastres du début du xixe siècle, mais aussi par une reprise des sources originales et des prospections systématiques. Cette démarche gagnerait beaucoup d’une analyse des données LiDAR qui permettent de cartographier des éléments méconnus. Au final, ces recherches permettent d’établir l’existence d’une enceinte dans quatre communes déjà citées de la zone montagneuse, à Faucogney, Fougerolles, Rougemont et Belfort21. Sur un plan quantitatif, on peut donc convenir d’une analogie forte entre les versants lorrain et comtois. Les raisons de cette moindre densité par rapport à l’Alsace sont sans doute complexes, mêlant à la fois des critères économiques, politiques et démographiques. La série de châteaux qui couvre les passages de ce secteur n’a pas réussi à générer une économie suffisante pour voir émerger de véritables bourgs. La parcellisation du pouvoir entre différents seigneurs a également été invoquée comme raison de ce manque de dynamisme. Il faut ajouter que les établissements monastiques de Lure et Luxeuil et les seigneurs de Faucogney n’ont pas nécessairement favorisé l’émergence de pôles concurrents. Dans son travail sur le département du Doubs où les contreforts jurassiens présentent des reliefs similaires, André Bouvard recense également beaucoup d’agglomérations de petite taille voire des peuplements avortés. Certes, les bourgs castraux y jouent un rôle dans la conquête de sols nouveaux, au cours des trois derniers siècles du Moyen Âge, jusqu’à 1000 m d’altitude, mais ces zones de hauteurs concentrent le plus fort taux de bourgs dépourvus d’enceintes, même lorsque les chartes de franchises prévoyaient leur construction, comme à Châtelblanc ou Rochejean22. Dans le piémont, le nombre d’enceinte augmente mais leur réussite n’atteint toutefois pas celle de l’Alsace où les établissements monastiques et l’économie de la vigne ont été de puissants facteurs d’urbanisation23.
Figure 1. Plan cadastral de Faucogney (1825) avec mention des tronçons d’enceinte conservés.

Étude de cas : l’enceinte de Faucogney
7Faucogney est une petite agglomération située au débouché du val de Breuchin, sur le tracé d’une route reliant le comté de Bourgogne à la Lorraine et l’Alsace. Installé au pied de la montagne et à proximité de la rivière, à 361 m d’altitude, l’habitat est dominé par des sommets culminants à 540 m. Ces hauteurs accueillent la chapelle Saint-Martin, premier lieu de culte du secteur situé à environ 1,5 km au sud, et le château, mentionné au milieu du xiie siècle24, qui domine l’agglomération en exploitant un petit relief détaché du reste du coteau.
8Ce château est le centre d’une vaste seigneurie aux mains des seigneurs de Faucogney, vicomtes de Vesoul, famille influente dont les possessions s’étendent jusqu’à Port-sur-Saône, à 45 km à l’est25. De cet important verrou au nord-est du comté de Bourgogne, détruit par les troupes françaises à la fin du xviie siècle, ne subsistent que deux plateformes, quelques perturbations topographiques et des bourrelets de pierres. La chapelle Saint-Georges apparaîtrait dans les textes à la fin du xiie siècle. Cet édifice, devenu par la suite l’église paroissiale, est situé au pied du château et constitue un pôle d’attraction pour l’habitat. Le développement de l’agglomération est conditionné par la topographie environnante et les rues adoptent un plan curviligne qui suit le pied des reliefs montagneux (Fig. 1). La chronologie de l’apparition de l’enceinte n’est pas connue précisément. La mention « in castro […] et in burgo […] », en 1225, est trop précoce pour suffire à démontrer l’existence d’une enceinte26. Un demi-siècle plus tard, en 1275, Aymon de Faucogney octroie aux habitants du bourg une charte « selon la franchise de Conflans » qui ne fait aucune allusion à une éventuelle enceinte27. À la fin du xive siècle, en 1374, le lignage de Faucogney s’éteint et la châtellenie entre dans le domaine du duc de Bourgogne, Philippe le Hardi. Des travaux d’extension sont menés au château au cours de la décennie 1380 alors que Philippe entre en possession du comté de Bourgogne. L’enceinte de la ville existe sans doute depuis plusieurs décennies mais ce n’est qu’en 1385 que l’on en a une mention explicite : les « molins qui sont devant la porte dessus ». La comptabilité comtale, qui ne conserve que de rares mentions de cette fortification collective, principalement à la charge des habitants, n’est guère plus loquace28. Une ordonnance prise par Jean sans Peur, en 1411, signale toutefois son importance stratégique en évoquant Faucogney comme « clé dudit pais à l’encontre des pais d’Alemaigne et de Lorrainne, marche et joint a eulx et que par ledit bourc se il estoit en etat seroit capable de repousser tous ennemys et envahisseurs »29 et en soulignant que « Par ainsi se n’estoit le ledit bourc, y cellui chastel seroit perduz »30. Cette idée est reprise, en 1412, dans une enquête sur la rébellion des habitants de Faucogney. Il y est précisé que « lequel chastel ja coit qu’il soit bon et fort toute foyes est il qu’il ne peut rien valoir senz le bourg pour la deffense du pays […] ». En ce début de xve siècle, les fortifications sont en mauvais état, ce qui motive l’octroi d’une nouvelle charte de franchise par Jean sans Peur « en raison de la grant diminution et petit nombre de peuple estants de présent es dict bourg et ville qui anciennement souloient estre bien peuplez et aussy la grant desolation et ruyne en quoy est la cloison et fermeté dudit bourg ». Des travaux sont entrepris, financés par des prélèvements importants sur la population. En dépit de l’intérêt manifeste pour cette place-forte, le château ne dispose, en 1457, que d’un faible équipement en artillerie avec un canon et un veuglaire. Cette situation est toutefois comparable à celle des autres places du bailliage d’Amont31.
9Au milieu du xve siècle, l’agglomération s’est étendue vers le sud avec le faubourg du Magny protégé par un fossé mentionné en 144632. Lors de la première conquête française de la Franche-Comté, en 1479, Faucogney subit le passage des troupes. Deux ans plus tard, la comptabilité ne mentionne aucune recette et précise « Le chastel et la ville sont détruiz par les guerres et le chasteal est inhabitable et brulé »33. Le site échappe à la destruction totale pourtant ordonnée par Louis XI pour de nombreuses forteresses comtales. Dès les années 1510, une campagne de réparation est entreprise à l’initiative de l’archiduchesse Marguerite de Habsbourg, régente des Pays-Bas et de la Franche-Comté. Les données sur l’enceinte sont pauvres pour le xvie siècle. En 1623, un acte évoque le « guet de l’église »34 dû par les hommes de Faucogney qui suggère l’utilisation du clocher comme poste de surveillance. L’enceinte est alors en mauvais état en dépit des exonérations fiscales accordées aux habitants en 1609 et 1624 pour sa remise en état35. En 1630, quelques réparations sont attestées sur la porte d’Amont36. La guerre de Dix Ans (1634-1644) ne semble pas apporter de destruction particulière mais l’état de l’enceinte est encore piteux au milieu de la décennie suivante. Pour « réparer promptement les ruynes des murailles de ladite ville », Les habitants en appellent, en 1654, au baron de Scey, lequel se tourne vers le pouvoir souverain37. En 1668, lors de la seconde conquête de la Franche-Comté, les troupes françaises n’auraient pas causé de gros dégâts à la ville mais elles ont laissé deux documents, un plan et une vue cavalière, précieux pour la connaissance de l’enceinte et du château38. Six années plus tard, la troisième conquête de la Franche-Comté a causé de plus grands dommages à la ville en raison de la très vive résistance de la population qui refuse de se rendre ; le bourg est incendié en grande partie, église comprise. Après l’assaut et la prise de la ville, Louvois ordonne le démantèlement du château et des fortifications. La tradition historique a parfois considéré que ce démantèlement signifiait la destruction totale de l’enceinte et que plus rien n’en subsistait à l’exception d’un petit tronçon au nord39, les vestiges sont en fait beaucoup plus nombreux. Documentation et prospections permettent ainsi d’en établir certaines dispositions. Le plan de l’Atlas 103 (Fig. 2) permet de suivre le tracé de l’enceinte. Elle se connecte, au nord, sur la courtine du château et se poursuit vers l’ouest sur une centaine de mètres, à flanc de montagne où elle est munie de deux tours semi-circulaires. Elle adopte un tracé curviligne à l’angle nord-ouest jusqu’à la porte haute, dont le pont-levis permet de franchir les fossés, puis se développe vers le sud sur 320 m en formant quatre inflexions fossilisées dans l’actuelle rue des fossés. L’angle sud-ouest est flanqué d’une tour carrée, bien conservée et protégée au titre de l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques40. La porte basse se situe à une vingtaine de mètres au nord-est de cette tour. De cet endroit, l’enceinte se prolonge, en droite ligne vers le château, sur une centaine de mètres environ. Cette portion n’est dotée que d’une seule tour de flanquement, semi-circulaire, qui se situe presque à sa jonction avec l’enceinte castrale. Au total, cette enceinte, d’un périmètre de 700 m, clôt un bourg de 2,5 ha environ.
Figure 2. Plan de l’atlas 103 (Service historique de la Défense, bibliothèque centrale du génie).

Figure 3. Vue cavalière de l’atlas 103 (Service historique de la Défense, bibliothèque centrale du génie).

10La vue cavalière (Fig. 3) offre quelques précisions. Elle ne représente que furtivement les tours semi-circulaires des coteaux, évoquant des édifices d’assez faible puissance ou endommagés lors de l’élaboration de ce document. La porte d’Amont, au nord, apparaît sous la forme d’un édifice d’assez faible hauteur pas plus élevé que les bâtiments alentours. De nombreuses maisons semblent accolées à l’enceinte. Au sud, la tour carrée est représentée avec une élévation importante. La toiture laisse apparaître plusieurs arêtes évoquant soit un toit à quatre pans sur plan rectangulaire soit deux toits en pavillon ; cette seconde interprétation est à privilégier comme nous le verrons. La quatrième tour de l’enceinte, à la jonction avec le château, n’apparaît pas clairement. Dans la ville, non représentée sur le plan, trois bâtiments élancés peuvent être identifiés à des tours : la première, de plan quadrangulaire est assez massive ; elle se situe approximativement à l’emplacement de l’église actuelle et pourrait correspondre à un clocher. La seconde, plus basse, se situe au sud de la ville, et, à l’autre extrémité de la ville, la dernière est coiffée d’une toiture à 4 pans sur plan rectangulaire.
11Trois tours sont évoquées dans la bibliographie mais ne correspondent que partiellement aux éléments décrits ci-dessus. Il s’agit du clocher, de la « tour Guillot-Pontin » et de la « tour du Guetteur » dont l’origine de leur nom n’est pas explicitée. Citons, pour mémoire, la mention d’une poterne et d’une tour en poivrière dite « du Magny » livrée par Emmanuel Parisot sans aucun justificatif41 ; elles sont également évoquées par l’abbé Passard puis par Pierre Bertin qui a repris ses travaux et sont signalées par des études postérieures qui ne s’y attardent pas. Le clocher, dont on suppose qu’il fut reconstruit sur des bases anciennes, ne pose pas de problème particulier. Les deux autres tours sont représentées par l’abbé Passard en plan et en élévation dans une restitution. Au nord, la tour Guillot-Pontin se situe à un peu moins de 40 m au sud du clocher soit aux environs des parcelles AB 171 et AB 172. Il en dresse un plan rectangulaire et une élévation sur trois niveaux au moins avec une toiture à 4 pans et une cheminée. Cette représentation se rapproche de celle de la tour la plus septentrionale sur la vue cavalière, que l’on aurait plutôt tendance à localiser dans le secteur de l’église en l’identifiant par conséquent au clocher. L’auteur signale enfin que des vestiges de cet édifice subsistent dans une vieille maison42. Le cadastre ancien montre, dans ce secteur (parcelle 395), une petite construction carrée dont les dimensions (6 x 4,5 m) pourraient convenir pour une tour modeste.
Figure 4. Carte postale expédiée en 1903. La tour circulaire correspond à la « tour du guetteur » évoquée par les autres auteurs (collection personnelle).

12Il situe la « tour du Guetteur » au sud, dans le secteur des parcelles AB183 et AB186, à égale distance, soit une soixantaine de mètres, de la fontaine et de la porte-basse. L’auteur lui attribue une forme circulaire sur le plan et ne la représente pas sur sa restitution en élévation. Pierre Bertin précise que cette tour a été démontée vers 1960. La tradition orale rapporte qu’elle aurait été remontée dans une demeure privée d’un village du secteur de Faucogney. Une carte postale qui a circulé en 1903 offre un aperçu d’une tour circulaire située à l’ouest de l’Hôtel de la Poste43, à l’emplacement supposé de la « tour du Guetteur » (Fig. 4). Cette « vieille tour », pour reprendre le titre de la carte postale, est visiblement accolée au mur pignon d’un bâtiment dont elle doit assurer la distribution verticale. Elle semble bâtie en moellons irréguliers d’assez grandes dimensions et ne présente aucune ouverture visible côté sud. S’il s’agit bien de l’édifice identifié, par les auteurs, à la « tour du guetteur », cette dernière s’apparenterait donc à une tourelle d’escalier, courante dans l’habitat civil de l’Époque moderne, plutôt qu’à un élément de défense.
Figure 5. Façade sud-ouest de la tour sud-ouest ou tour MXV (photographie redressée).

13Un plan géométrique de la ville, réalisé vers 178744, n’apporte guère de renseignements supplémentaires. Il ne livre aucun parcellaire circulaire qui pourrait correspondre à la « tour du guetteur » ou à l’une des tours semi-circulaires de l’enceinte. Ce document ne représente pas non plus la petite construction carrée figurant sur le cadastre ancien et que l’on a mentionnée comme emplacement possible de la tour « Guillot-Pontin ». La légende des parcelles n’en dit pas plus sur ces deux tours. Ce plan confirme toutefois l’emplacement de la porte basse, à l’extrémité sud de la « grande rue », et précise l’usage de la tour sud-ouest, qualifiée de « Geole et prison » sur le plan et en légende.
Figure 6. Plan schématique de la tour sud-ouest au 2e niveau.

14Cette tour sud-ouest, appelée tour MXV, tire son nom des trois lettres de la girouette qui la surmonte. La plupart des auteurs les interprètent comme un millésime en chiffres romains tout en rejetant le plus souvent la possibilité d’une datation aussi haute. Jules Finot, propose, quant à lui, de voir dans ces trois lettres une erreur de datation due à l’ignorance de l’artisan qui a réalisé l’ouvrage ; on peut aussi émettre l’hypothèse d’initiales évoquant un individu ou une maxime latine. Cette tour carrée, de 7,20 m de côté et 12 m de hauteur hors-comble, présente un parement en pierre de taille en grès soigneusement assisée (Fig. 5). Les murs sont épais de 2 m environ avec une épaisseur qui semble plus importante au sud-est qu’au nord-ouest. L’espace intérieur mesure 3,10 m sur 3,25 m45 (Fig. 6). La tour présente un léger fruit à sa base, sur 1,00 m de hauteur pour 0,10 m de profondeur. Juste au-dessus de ce fruit, se trouve une assise en pierre à bossage rustique. Ce type de pierre, qui ne se retrouve nulle part ailleurs dans l’édifice, a été employé pour la confection d’un seul bandeau (Fig. 7). L’accès à l’intérieur de la tour se fait au nord-ouest par une porte dont l’embrasure forme un escalier de sept marches qui assure la transition entre le seuil extérieur, à 3,50 m environ du niveau de sol, et le seuil intérieur situé près d’1,50 m au-dessus (Fig. 8 et 9). La tour comporte 3 niveaux présentant à l’intérieur une maçonnerie en grand appareil réglé composé de blocs en grès taillés à la broche. Les hauteurs d’assise ne sont pas toujours identiques d’un mur à l’autre, mais elles sont régulièrement réglées entre murs voisins, ce qui témoigne du soin apporté à la construction. Le niveau inférieur a une hauteur intérieure de 3,50 m ce qui laisse supposer que la partie talutée de la tour est un massif plein de maçonnerie. Le deuxième niveau, desservi par la porte extérieure, mesure 4 m de hauteur environ ; son plancher repose sur deux encorbellements, constitués de grands blocs de grès rose taillés à la broche, situés le long des murs nord-est et sud-ouest. On observe au milieu du mur sud-est un aménagement en creux taillé dans un bloc de grès pour y loger peut-être une pièce de bois. Sa faible profondeur conduit à rejeter l’hypothèse d’un support de plancher, fort inutile d’ailleurs au vu de la faible portée des solives ; il pourrait donc s’agir d’un support relatif à l’aménagement du niveau inférieur (cloison, système de suspension, etc.…). Sur chaque mur de ce niveau, une embrasure de 1,35 m à 1,45 m de largeur environ, couverte par un arc en pierre de taille et encadrée par des blocs en grès de grand module, également taillés à la broche, desservait une archère. À l’exception de l’embrasure nord-ouest, elles sont aujourd’hui obstruées par un comblement maçonné en grand appareil (Fig. 10). Il est particulièrement soigné au sud-ouest, avec des assises de hauteur identique et l’absence de coup de sabre net au niveau des piédroits ce qui signifie qu’ils ont été partiellement démontés afin d’ancrer la nouvelle maçonnerie. À la base de cette baie, se trouve l’unique signe lapidaire repéré sur cette tour, gravé sur un bloc peut-être en remploi au vu de sa position, à l’aplomb de l’ouverture de tir dont le parement extérieur montre qu’elle a largement été reprise lors de son comblement. En parement extérieur, ces archères forment de simples fentes de 1,40 m à 1,50 m de hauteur pour 0,10 m de largeur environ avec un léger chanfrein sur l’ensemble de l’encadrement (Fig. 11). Le troisième niveau, auquel on ne peut accéder, mesure 3,50 m de hauteur environ. Son plancher repose sur deux retraits dans la maçonnerie, sur les murs nord-ouest et sud-est (Fig. 12). Les solives sont ici des pièces de bois équarries de taille variable, disposées de manière rapprochée et entre lesquelles sont maçonnés des moellons mêlés à des fragments de tuiles46. Aucune observation n’a pu être effectuée au troisième niveau, mais le parement extérieur permet de déterminer l’existence d’une archère sur le côté nord-est. La distribution verticale entre les niveaux n’est pas connue mais, compte-tenu de la position des embrasures du deuxième niveau, elle devait se faire par des escaliers assez raides ou par une échelle.
Figure 7. Détail du soubassement de la tour avec talus et une assise de pierres à bossage.

Figures 8 et 9. Coupe schématique nord-sud de la tour sud-ouest Figure 9. Coupe schématique est-ouest de la tour sud-ouest.

Figure 10. Parement intérieur sud-ouest et sud-est du 2e niveau de la tour sud-ouest (assemblage photographique).

Figure 11. Détail de l’archère du 2e niveau de la façade sud-ouest de la tour sud-ouest.

15L’angle nord de la tour est marqué par un arrachement, comblé en moellons, qui témoigne de l’ancrage de la courtine dans la maçonnerie jusqu’à 5,75 m du sol environ (Fig. 13). La présence de deux pierres en encorbellement et l’arête adoucie de l’angle suggère l’existence d’un chemin de ronde au-dessus de ce niveau. Cela est cohérent avec la trace d’une porte dont le linteau apparaît nettement mais dont les piédroits ne forment pas de coups de sabre, probablement en raison d’un comblement soigné comme à l’intérieur de la tour. La forme en L des deux pierres soutenant le linteau est la solution adoptée par les bâtisseurs pour créer un linteau suffisamment épais tout en conservant une régularité dans la hauteur des assises de pierre. Le parement extérieur montre également des traces de bâtiments accolés sur les façades nord-ouest, nord-est et sud-est. Signalons simplement que le plan de 1787 représente un bâtiment mitoyen au nord-ouest, servant de geôle, et des écuries au nord-est. Le premier est visible sur des cartes postales du début du xxe siècle qui montrent un bâtiment avec une fenêtre à croisillon aux linteaux en accolade caractéristiques des xve-xvie siècles ; elle ne permet pas nécessairement de dater l’édifice avec certitude car il pourrait s’agir d’un remploi (Fig. 14)47. Pour la façade nord-est, on dispose de deux documents iconographiques de la seconde moitié du xviie siècle qui représentent la porte basse, une portion de courtine et cette tour, aisément identifiable à son talus et son assise de pierres à bossage (Fig. 15 et 16)48. Ces documents, à la perspective assez maladroite, montrent que la tour, la courtine et la porte, sont maçonnées en grand appareil. L’archère supérieure orientale y est représentée et, au-dessous d’elle, une porte desservant le chemin de ronde dont on a déjà signalé le linteau ; dans les faits, cette baie est plus au nord que sur le dessin (Fig.13). Le second document, présentant le déroulé intérieur de ce tronçon de rempart, indique également une archère au sommet de la façade nord-ouest. Rien ne permet de distinguer une telle ouverture de tir et il s’agit soit d’une imprécision qui place l’archère du deuxième niveau trop haut, soit – mais cela paraît peu probable – cette ouverture a fait l’objet d’un bouchage particulièrement soigné avant le début du xxe siècle, date à laquelle les cartes postales montrent un appareil identique à l’état actuel. À défaut d’une étude plus approfondie, seule la typologie des archères permet de dater cette tour entre la seconde moitié du xiiie et la fin du xive siècle. Les statistiques sur la morphologie du bossage, comparées au référentiel développé en Alsace, ne contredisent pas cette datation mais ne donnent pas plus de précision compte tenu du faible nombre de blocs et de leur usage assez singulier49.
Figure 12. Détail du plancher du 3e niveau de la tour sud-ouest.

Figure 13. Angle nord de la tour sud-ouest. À noter les traces de bâtiments accolés, l’arrachement de l’enceinte, et la porte obstruée de la façade est (comblement tracé en rouge).

Figure 14. Carte postale montrant la tour sud-ouest et le bâtiment mitoyen vers 1900 (collection personnelle).

16Aucun vestige ne subsistant de la porte d’aval, nos connaissances sont tributaires des deux documents iconographiques évoqués ci-dessus. Il s’agit d’une tour-porte quadrangulaire, coiffée d’une toiture en pavillon identique à celle de la tour sud. Bâtie en gros appareil, elle est en saillie par rapport à la courtine. Deux canonnières ovales, à la française, se situent en partie basse, face à l’entrée. Deux fenêtres, qui étaient à priori munies de barreaux, percent le sommet de la maçonnerie, au sud et à l’est ; elles permettaient le guet et peut-être aussi le tir. L’unique passage, charretier, est couvert par un arc à clef pendante et passante. Au-dessus, entre les deux rainures d’encastrement des flèches du pont-levis, l’appareil présente un décor sculpté de la fin du xvie ou du xviie siècle. À l’intérieur de l’enceinte, un escalier situé au nord du passage permet l’accès au chemin de ronde et à la partie supérieure de la porte, pourvue d’un ou deux étages. La salle haute disposait d’une cheminée dont la souche est représentée vers l’angle nord-est ; ceci explique que le mur nord, contre lequel elle était probablement adossée, soit aveugle. Une fenêtre quadrangulaire, surmontée d’un jour se trouvait à l’angle sud-ouest. Les sources historiques apportent quelques éléments complémentaires. En 1514, le compte du receveur signale le paiement d’un charpentier pour la réfection de « la charpente des quatre pentz de la porte d’aval » et du pont-levis50. Cette toiture correspond sans doute à la toiture en pavillon que l’on discerne sur le document de 1668 derrière le toit de la tour sud-ouest.

Figure 15. Tour sud-ouest, enceinte et porte d’aval, vues depuis l’extérieur du bourg (AD 70, 227 E dépôt DD 5, fin xviie siècle).
17On ne dispose pas d’une telle iconographie pour la porte haute ou porte d’Amont, mais l’on sait que les réparations effectuées à sont pont-levis, en 1630, sont à la charge de la ville. Emmanuel Parisot signale également deux acensements. Le premier, en 1686, évoque la reconstruction du corps de garde jouxtant cette porte, sur les fondations de l’ancien, avec la chambre basse réservée au guet et à la garde. Le second, en 1691, signale l’existence d’une « petite boustique etant au-dessus de ladite porte ». La vue cavalière de l’Atlas 103 représente de ce côté une porte de faible hauteur dont l’étage devait être aménagé sous combles. Seul un pilier coiffé d’un pot à feu subsiste encore du côté sud, son pendant au nord est attesté sur une carte postale du début du xxe siècle. L’étude d’André Bouvard sur les entrées fortifiées en Franche-Comté montre que Faucogney ne présente pas de grande originalité en la matière. La mauvaise conservation est un premier trait commun à la région puisque les bourgs représentent moins du quart de son corpus51. Les deux portes de Faucogney relèvent des deux types dominants, la tour-porte (40,5 % des vestiges) et la porte intégrée dans un corps de bâtiments (25,8 % des vestiges)52.
Figure 16. Tour sud-ouest, enceinte et porte d’aval, vues depuis l’intérieur du bourg : AD 70, 227 E dépôt DD 5, fin xviie siècle.

18Il convient de conclure cette étude succincte de l’enceinte par quelques mots sur les portions de courtine conservées. L’abbé Passard, repris par Pierre Bertin, signalait déjà un tronçon situé tout à fait au nord (parcelle AB127), dans le soubassement d’un bâtiment de stockage (Fig. 17). Sur 11 m de longueur environ, et 8 assises de hauteur, on retrouve effectivement une portion de l’enceinte constituée de pierres de taille en grès, de moyen à grand module, taillées à la broche avec une ciselure périphérique. Beaucoup de ces blocs comportent un signe lapidaire que l’on peut interpréter comme une marque de tâcheron, c’est-à-dire un signe servant à la rémunération à la tâche des artisans lors du chantier de construction. Les autres tronçons de l’enceinte, situés en partie basse des maisons, du côté oriental de la rue des fossés, totalisent 120 m de longueur cumulée et 50 m de longueur potentielle (édifice crépis sur toute la hauteur), avec une hauteur conservée variant généralement entre 2 m et 6 m (Fig. 18 et 19)53. Les signes lapidaires y sont très nombreux avec 600 occurrences d’une vingtaine de marques relevées sur 35 % du tracé environ. Ce n’est pas le lieu d’entreprendre ici leur analyse détaillée54, mais il faut néanmoins faire état de ce qu’ils nous apprennent sur l’enceinte. Premièrement, les zones avec des marques de tâcheron presque systématiques en parement, au centre des blocs, témoignent de tronçons en place ; en effet, la reconstruction à partir de blocs de remploi aurait vraisemblablement conduit à une répartition plus aléatoire des marques entre la face de parement et les cinq autres faces du bloc. Ce constat permet de remettre en cause l’idée communément admise que presque rien ne subsiste de l’enceinte. Ces marques permettent aussi des comparaisons avec d’autres édifices. Ainsi, il est frappant que la tour sud, également appareillée en blocs de grand module, ne comporte aucune marque à l’exception d’un bloc, potentiellement en remploi. Cela amène à formuler à titre d’hypothèse que ces éléments ont été édifiés en deux phases distinctes. Une construction concomitante reste toutefois possible en envisageant que la tour sud-ouest est l’oeuvre d’une équipe payée au forfait ou à la journée. Des marques de tâcherons sont également visibles sur les contreforts et soubassements de l’église Saint-Georges et sur la chapelle Saint-Martin mais il faudrait approfondir l’analyse de ces édifices et l’étude détaillée de leurs marques (partiellement différentes de celles de l’enceinte) pour proposer des hypothèses solides55. Stylistiquement, ces marques de tâcherons offrent une fourchette de datation large, entre la fin du xiie et le xve siècle.
Figure 17. Tronçon d’enceinte en partie basse d’un bâtiment de stockage (parcelle AB127, nord-ouest).

19La partie sommitale de la courtine n’est jamais conservée mais les documents représentant la porte d’Aval semblent montrer qu’elle disposait, au xviie siècle au moins, d’un chemin de ronde avec parapet et fentes de tir. Dans ce secteur, la courtine était ancrée dans la tour sud, et l’arrachement visible en partie basse permet d’en connaître l’épaisseur égale à 2,30 m environ. Rien n’autorise à dire qu’elle était constante. Signalons enfin qu’un petit dessin à la plume conservé dans un manuscrit de la bibliothèque de Montbéliard56 représente deux échauguettes en partie haute du mur, situées à priori entre la porte d’aval et la tour sud-ouest. Inclus dans le récit du siège de 1674, ce dessin diverge de la représentation évoquée ci-dessus (Fig. 3) qui ne signale pas ces éléments.
Figure 18. Tronçon de l’enceinte partiellement conservé dans la façade d’habitation (parcelle AB106).

20Dans le secteur nord-est de l’enceinte, un vestige de mur d’1,50 m de hauteur et 0,50 m de largeur, a été repéré lors de prospections. Son interprétation et une lecture fine de ce secteur ne pourront cependant se faire sans qu’il soit débarrassé de la végétation qui le recouvre. En l’état, compte tenu de sa mise en oeuvre en moellons de grès (Fig. 20) et de sa position, un peu trop au nord, il semble qu’il n’appartienne pas à l’enceinte, contrairement à notre hypothèse initiale.
Figure 19. Autre tronçon de l’enceinte partiellement conservé dans la façade d’habitation (parcelles AB105, partie sud).

Conclusion
21Cette présentation succincte de l’enceinte de Faucogney appelle un certain nombre de remarques, notamment en comparaison de l’étude menée sur les enceintes d’agglomération en Lorraine et en Alsace.
22En ce qui concerne le flanquement des enceintes, les études montrent qu’il est insuffisant dans la majorité des cas et, qu’en Alsace, la plupart des enceintes ne comptent que quelques tours57. On retrouve ici cette caractéristique assez étonnante de prime abord puisque l’enceinte présente sur le côté occidental quatre brisures au moins dont aucune n’est pourvue d’une tour de flanquement. Les raisons de cette faible défense peuvent être diverses : manque de moyens, défense sommitale jugée suffisante, disparition de tours plus anciennes (rappelons que la plupart des éléments dont on dispose reflète surtout la situation de la fin du xviie siècle). L’hétérogénéité des types de tours, semi-circulaire et quadrangulaire à Faucogney, est également un trait commun avec l’espace alsacien. En effet, même si « le tracé rectiligne flanqué de tours demi-circulaires est une norme en Lorraine »58, le recours à d’autres types de tours n’est pas rare. La présence d’une tour quadrangulaire dans un angle de l’enceinte est peu fréquente bien qu’attestée à Mirecourt et Rambervillers alors que cette forme de tour est assez répandue en Alsace.
Figure 20. Tronçon de l’enceinte située dans le coteau nord entre le bourg et le château (localisation sur la Fig. 1).

23L’élément de différenciation régionale le plus marqué entre Lorraine et Alsace est le type de porterie. Si en Lorraine, les tours-portes cohabitent avec des portes encadrées de deux tours, ce second modèle est presque totalement absent en Alsace59. À Faucogney, l’iconographie permet de rejeter le modèle d’une porterie encadrée de deux tours pour chacune des deux portes de la ville. La porte d’Aval est une tour-porte munie d’un ou deux niveaux au-dessus du passage charretier. En réalité, d’après l’étude d’André Bouvard qui ne relève que 10 % de portes encadrées de deux tours, la situation comtoise se rapproche davantage de l’Alsace que de la Lorraine60.
24L’étude menée sur ces deux régions souligne aussi l’étroite relation entre l’église et l’enceinte d’une part et la fréquence de moulins situés hors les murs dont le bief assure l’alimentation en eau des fossés61. On retrouve ces deux éléments à Faucogney. Ici, c’est d’ailleurs par la mention des moulins, à proximité de la porte dessus, que l’enceinte est attestée pour la première fois. La chapelle Saint-Georges, qui ne devient église paroissiale que tardivement, se situe à proximité de l’enceinte urbaine et un document de 1623 évoque le guet de l’église, ce qui suggère que le clocher a pu servir de point de surveillance. Si le chevet de l’édifice actuel est à moins de 10 m du tracé de l’enceinte, il faut reconnaître que l’on ignore tout de la disposition du bâtiment antérieur qui n’est pas nettement représenté sur les documents iconographiques.
25Nous avons évoqué au début de cette étude les similitudes entre les versants lorrains et comtois des Vosges au sujet de la faible densité d’enceintes. L’étude de cas de Faucogney met quant à elle en avant quelques traits communs avec l’Alsace, tels que l’absence de porte encadrée de deux tours, la plus grande fréquence des tours quadrangulaires et surtout la forte densité de signes lapidaires. Ces derniers, sans être absents de Lorraine, y sont toutefois moins répandus que sur le versant oriental des Vosges et figurent rarement sur des enceintes collectives. La présence d’une rangée de pierre à bossage sur la tour sud peut également évoquer l’Alsace où l’on connaît le succès de ce type d’appareil, notamment dans les chaînes d’angle, les soubassements62, voir les encadrements d’ouverture de tir ; il faut néanmoins admettre que cette disposition en un unique cordon semble singulière. Cette première approche sur le thème des enceintes d’agglomération des Vosges comtoises doit être approfondie en poussant plus loin l’approche archéologique de cette étude de cas et en reprenant les sources historiques et archéologiques des autres enceintes recensées. Il ne s’agit pas tant de rechercher un modèle dont on peinerait d’ailleurs à définir les caractéristiques et la chronologie précise mais plutôt de s’interroger sur les effets produits régionalement par un environnement en apparence similaire.
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Notes de bas de page
1 BOUCHERON (dir.) 2004.
2 DEBORD 1980, p. 57-73.
3 HENIGFELD & MASQUILIER (dir.), 2008, p. 40 : Ammerschwihr, Andlau, Bergheim, Boersch, Dambach, Guebwiller, Jungholtz, Kaysersberg, Kientzheim, Masevaux, Munster, Ribeauvillé, Riquewihr, Rouffach, Saint-Amarin, Saint-Hippolyte, Schirmeck, Soultzbach, Thann, Turckheim, Wattwiller, Wihr-au-Val, Zellenberg.
4 Arches, Bruyères, Raon-l’Étape, Remiremont, et Saint-Dié.
5 Dans une zone de 15 km environ au-delà du piémont il faut ajouter six localités supplémentaires (Baccarat, Badonviller, Deneuvre, Fontenoy, Épinal et Rambervillers) auxquelles on peut ajouter Sarrebourg.
6 CLERC 1866, p. 91-120.
7 Ibidem, p. 95.
8 CLERC 1867, p. 141-164.
9 FEUVRIER, GAUTHIER1891, p. 189-212.
10 Par exemple, voir pour Amance, DAVID 1926, p. 150-158 ; pour Gray, GATIN, BESSON 1851, p. 78-83 ; ou encore pour Pesmes, PERCHET 1896, p. 6-11.
11 AFFOLTER, BOUVARD, VOISIN 1992 ; Les mêmes dans BUR dir., 1993, p. 15-37.
12 AFFOLTER, BOUVARD, VOISIN 1992, p. 35.
13 Ibidem, p. 48 ; voir aussi BOUVARD 2006, p. 126-128.
14 FRAY 2007, p. 237-239.
15 HENIGFELD, MASQUILIER dir., op. cit., p. 45 ; AFFOLTER, BOUVARD, VOISIN 1992 p. 16-18.
16 WALTER dir. 1993, p. 22-24 ; HIMLY 1970.
17 Ce sont les cantons de Vauvillers, Saint-Loup-sur-Semouse, Faucogney, Melisey, Champagney et Giromagny.
18 En Haute-Saône : Anjeux, Belonchamp, Conflans-sur-Lanterne, Faucogney, Fougerolles, Jasney, Melincourt, Montdoré, Ronchamp, Saint-Barthélémy et Saint-Loup-sur-Semouse ; dans le territoire de Belfort : Auxelles-Haut, Riervescemont, Rougemont, et peut-être Saint-Germain-le-Châtelet.
19 Les inventaires utilisés sont : DORGET 1994 et JEANNIN 1999, p. 15-161.
20 La Haute-Saône 1969-1974 ; BAQUOL 1849.
21 Les communes de Conflans-sur-Lanterne et Saint-Loup-sur-Semouse disposaient d’une enceinte mais se situent hors de la zone de Piémont.
22 BOUVARD 2006, p. 101-102, 126-128.
23 BOUVARD 2006, p. 48-49.
24 AD 70, H 224 cité dans FINOT 1886, preuve n° v, p. 212-214 : « […] omnem terram castri Falconii […] », datée entre 1134 et 1160.
25 Ibidem, p. 184-206.
26 AFFOLTER, BOUVARD, VOISIN, 1992, p. 35.
27 Publiée dans CHEVALIER, 1769, pièce justificative n° xxiv, p. 585-587.
28 Voir sur cette question, les travaux universitaires de LEROY 1988 et PARISOT 2004.
29 Ordonnance de Jean sans Peur de 1411, citée dans La Haute-Saône 1966-1974, t. III, Article « Faucogney », p. 6-21, (citation p. 8).
30 Ibidem, p. 9.
31 FINOT 1906, p. 77-88 (Faucogney p. 80 et 88).
32 AFFOLTER, BOUVARD, VOISIN 1992, p. 95.
33 La Haute-Saône 1966-1974, t. III, Article « Faucogney », p. 11.
34 PARISOT 2004, p. 233.
35 Ibidem, p. 111-112.
36 AD 70, 227 E dépôt CC4, cité dans PARISOT Ibidem, p. 114.
37 PARISOT op.cit., p. 112.
38 Service historique de la Défense, Bibliothèque centrale du Génie, Ms Atlas 103, fol. 14-15. Sur la datation de ce document, à partir d’éléments liés aux vues de Dole présents dans le même recueil, se reporter à BERTIN 1977, p. 1-6.
39 BERTIN 1979, p. 11-14.
40 Arrêté du 27 juin 1983.
41 PARISOT op. cit., p. 113. La tour dite du Magny correspond peut-être à la tour semi-circulaire située sur au sud-est sur le plan daté de 1668.
42 BERTIN 1979, p. 14.
43 Actuelle parcelle AB 370.
44 AM Faucogney, copié dans AD 70, Ph 3114 et publié dans AFFOLTER, BOUVARD, VOISIN 1992, p. 95.
45 Ces mesures ont été effectuées au mètre ruban. La plupart des autres mesures sont prises sur un cliché photographique redressé. Le plan et la coupe proposés sont donc schématiques.
46 Un cliché du dossier du service régional de l’Inventaire montre que ce plancher était à peine en meilleur état en 1979.
47 Ce bâtiment est représenté sur quatre cartes postales au moins dont l’exemplaire le plus ancien a circulé en 1910.
48 AD 70, 227 E dépôt DD5, reproduits dans PARISOT op. cit., p. 114 et datés p. 237.
49 RUDRAUF, BOUZAMA 2001, p. 5-38.
50 PARISOT op. cit., p. 113.
51 BOUVARD 1984, p. 123-196, (ici p. 125).
52 Ibidem, p. 141, 143.
53 Parcelles AB105 à AB108 et AB 291 à AB 67.
54 Ils ont fait l’objet d’une présentation lors du colloque international de glyptographie de Colmar en 2014 et d’un rapport remis au Service régional de l’archéologie de Franche-Comté.
55 JEANNIN op. cit., p. 18-19, propose une construction de l’enceinte de Faucogney au xiie siècle en se basant sur la similitude entre les marques de la chapelle Saint-Martin et celles de l’enceinte.
56 B.M. Montbéliard, ms 1075, p. 207-224 ; pour le dessin, p. 207-209, d’après le dossier du Service Régional de l’Inventaire.
57 HENIGFELD, MASQUILIER, op. cit., p. 424.
58 Ibidem, p. 404.
59 Ibidem, carte p. 407 et p. 429.
60 BOUVARD 1984, p. 143.
61 HENIGFELD, MASQUILIER, op. cit., p. 442, 446.
62 Ibidem, p. 418-419.
Auteur
-
Vianney Muller
Université de Lorraine, EA 1132 – HSICANT-MA
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