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    Plan

    Plan détaillé Texte intégral I. MéthodologieII. Exemples expérimentauxIII. Application au chasséen méridionalConclusions et perspectives Bibliographie Auteur

    Indices et traces : la mémoire des gestes

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Fonction et gestion des outils préhistoriques à l’aide de la tracéologie et de l’archéologie expérimentale : exemple du chasséen méridional (Néolithique moyen)

    Loïc Torchy

    p. 243-256

    Texte intégral I. MéthodologieI. 1. L’approche tracéologiqueI. 2. Reconstitution du fonctionnement des outilsMouvement longitudinal :Mouvement transversal :Mouvements complexes :I. 3. Détermination des matières travailléesDureté de la matièreAbrasivité de la matièreII. Exemples expérimentauxII. 1. Distinction entre la coupe de céréales et le sciage du boisII. 2. Mise en évidence des activités de boucherieII. 3. Le travail des matières minéralesIII. Application au chasséen méridionalIII. 1. Rappel du contexteIII. 2. Quelques exemples de sous-systèmes techniques mis en évidence par l’étude des tracesLa coupe des végétaux tendresLes activités de boucherieLa réparation des céramiquesIII. 3. Gestion des outillagesGestion des différentes productionsDegré d’intégration des sites dans les réseaux de diffusionConclusions et perspectives Bibliographie Auteur

    Texte intégral

    1L’observation à fort grossissement et l’étude des traces d’utilisation sur les outils préhistoriques en silex a donné son nom à une discipline : la tracéologie. Par la suite, le champ d’application de cette méthode a été répandu à d’autres matières premières, comme l’os ou le métal, et pour toutes périodes chronologiques. L’analyse de ces indices (stries, écaillements, émoussements, polis…) permet de reconstituer le mode de fonctionnement des outils, d’avoir des indications sur la matière travaillée et dans certains cas, de proposer des hypothèses sur la finalité du geste. Avant la proposition de cette méthode par S. A. Semenov dans les années 1930, le seul moyen de classer les outils préhistoriques était de les comparer aux outils modernes ou ethnographiques, et de les lister par types. La tracéologie permet d’avoir un regard moins subjectif sur la fonction des outils. Au Néolithique, l’étude de ces traces présente un intérêt particulier puisqu’avec le développement de l’élevage et de l’agriculture, les outils sont de plus en plus diversifiés. De plus, la standardisation des supports sous forme de lames et lamelles limite fortement les classements typologiques. Nous allons voir ici comment la tracéologie peut s’appliquer à un contexte donné et ce que l’on peut en extraire pour la compréhension des modes de vie des sociétés néolithiques et en particulier celles du Chasséen méridional. Pour ce faire, un point historique introduira quelques aspects méthodologiques propres à cette discipline. Ensuite, des cas d’outils expérimentaux aux indices pouvant être ambigus et seront analysés et commentés. Enfin, au travers quelques exemples du Chasséen méridional, considéré comme le plein Néolithique, nous verrons dans quelles mesures la tracéologie permet la mise en évidence des gestions différentes des supports, et plus particulièrement des productions spécialisées sur silex bédoulien chauffé et non chauffé.

    I. Méthodologie

    2Sans revenir de façon exhaustive sur l’historique de la discipline et sur la grande diversité morphologique des traces d’utilisation, j’ai choisi d’en rappeler les grandes lignes et de montrer quelques exemples.

    I. 1. L’approche tracéologique

    3Dès la naissance de la discipline au milieu du XIXe siècle, les préhistoriens ont éprouvé le besoin de donner une fonction aux objets recueillis. Ces interprétations étaient rendu possibles par des comparaisons avec des outils modernes, des exemples empruntés à l’ethnologie, ou encore par des tests expérimentaux qui visaient à montrer les fonctions pour lesquelles les outils étaient le mieux adapté. Dans les années 1930, Sergei A. Semenov est le premier à observer à fort grossissement les traces d’usure sur les outils en silex, pour les comparer à un référentiel expérimental, puis par analogie, d’en restituer leurs modes d’utilisation. Ses travaux ne furent traduits du russe que bien plus tard (Semenov, 1964), et après la prise de conscience de l’importance de cette nouvelle discipline dans les années 1970, les préhistoriens occidentaux s’engagèrent dans des débats méthodologiques dans les années 1980 et 1990 sur l’utilisation des faibles (10x à 80x), forts (100x à 400x), et très forts grossissements (jusqu’à 10000x). Aujourd’hui bon nombre de chercheurs ont choisi de combiner l’utilisation de la loupe binoculaire et du microscope métallographique, qui sont des méthodes peu couteuses et complémentaires, et qui permettent l’observation de micro-écaillements, d’émoussements, de polis et des stries d’utilisation et dans la plupart des cas, l’interprétation du fonctionnement de l’outil et de la matière travaillée.

    I. 2. Reconstitution du fonctionnement des outils

    4Le mode de fonctionnement (fig. 1) nous renseigne sur la cinématique de l’outil pendant le travail.

    Mouvement longitudinal :

    5Les enlèvements ont une tendance à être également répartis sur chaque face, souvent obliques et de morphologie en demi-lune pour les angles aigus. L’émoussement du fil actif est symétrique d’une face à l’autre et souvent discontinu le long du bord. Le poli est également réparti sur les deux faces, et dégressif à partir du bord. Une microtopographie bombée étirée peut indiquer le sens du mouvement. Les stries sont en majorité parallèles au bord.

    Mouvement transversal :

    6Les enlèvements sont transversaux. L’émoussement du fil actif est continu le long du bord et peut être dissymétrique d’une face à l’autre. Des stries ou autres traces linéaires sont perpendiculaires au bord. En coupe négative, les enlèvements sont plus nombreux sur la face en dépouille. Le poli a une trame plus compacte que lors d’une coupe positive. En coupe positive, les enlèvements sont également répartis ou plus nombreux sur la face d’attaque. Le poli a une trame plus ouverte que lors d’une coupe négative.

    Mouvements complexes :

    7L’application des critères précédemment décrits associée à la géométrie dans l’espace permet de déterminer des mouvements plus complexes comme le mouvement de rotation ou le mouvement de rainurage.

    I. 3. Détermination des matières travaillées

    8Les quelques critères d’inférences fonctionnels commentés ci-dessous sont basés sur l’observation d’une centaine d’outils expérimentaux ayant été utilisés quelques heures.

    Dureté de la matière

    9Dans le cas du travail des matières tendres, les micro-écaillements sont plutôt isolés et peu nombreux ou absents. Le poli affecte l’intérieur des enlèvements. L’extension transversale du poli est plutôt envahissante à couvrante. Le travail des végétaux tendres laisse un poli compact avec une extension couvrante. Les négatifs d’enlèvement sont affectés par le poli. Le travail de la viande fraîche laisse un léger émoussement du fil actif et un poli discret à trame ouverte, mais quelques fois, aucune trace n’est visible.

    10Le travail des matières mi-dures laisse des micro-écaillements sont isolés ou alignés, et généralement moyennement nombreux. Le poli peut affecter plus ou moins les négatifs d’enlèvement. Le travail du bois tendre laisse un poli de trame semi-serrée à serrée (fig. 2), une microtopographie bombée étirée et une réticulation large.

    11Le contact avec des matières dures génère des micro-écaillements souvent superposés ou alignés et très nombreux, avec des terminaisons en gradin. Le poli n’affecte pas l’intérieur des enlèvements. L’extension du poli est souvent marginale. La réticulation est plutôt étroite. Le travail de l’os laisse un poli marginal à trame compacte. La disposition est quelques fois chaotique. Le travail du bois dur laisse une réticulation plus étroite que pour le bois tendre, et les enlèvements sont moins affectés par le poli.

    Fig. 1 : Modes de fonctionnement.

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    Fig. 2 : Trames des polis.

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    Abrasivité de la matière

    12Lors du travail des matières très abrasives, de nombreux cristaux de quartz se détachent du silex. Ainsi, le fil actif est rapidement émoussé, l’aspect du poli est grenu et mat, les stries sont souvent nombreuses et larges. A l’inverse, pour les matières peu abrasives, le fil du tranchant est peu émoussé, le poli est brillant, et les stries sont rares et étroites.

    II. Exemples expérimentaux

    II. 1. Distinction entre la coupe de céréales et le sciage du bois

    13Alors que les éléments utilisés pour la moisson peuvent être morphologiquement variés (bords denticulés ou bruts, éléments longs ou courts, éléments fragiles ou robustes), le sciage du bois implique l’utilisation d’un élément robuste avec un tranchant rectiligne, plutôt long et retouché. En effet, par définition, le sciage correspond à un enlèvement de matière grâce à des dents agissant comme des rabots et « donnant de la voie » à la lame (Noël et Bocquet, 1987), et par conséquent ne peut être réalisé avec un bord brut. Dans le cas d’un fonctionnement longitudinal sur du bois dur, un tranchant brut se retrouve rapidement coincé par la rainure en « V » creusée par les premiers mouvements, il ne peut plus progresser et finit par s’écailler ou se casser (Gassin, 1996). Les traces d’utilisation résultant de ces deux activités sont à priori très différentes. Alors que les céréales sont très tendres et laissent un poli brillant à trame compacte, le travail du bois plus ou moins dur n’affecte que les parties les plus élevées de la microtopographie et la trame du poli est semi-serrée.

    14Pourtant, un doute résultant de l’observation de lames archéologiques aux bords bruts est à l’origine d’expérimentations complémentaire. Alors que l’outil semblait être plus adéquat à la coupe de végétaux tendres étant donné sa fragilité et le fait que ses bords étaient bruts et peu écaillés, la trame du poli semi-serrée rappelait plutôt le travail du bois. Il s’avère qu’un rainurage du bois est possible avec ce type d’outil s’il est utilisée de façon délicate, et que la coupe de végétaux tendres pendant une durée inférieure à une heure peut laisser une trame semi-serrée.

    15La distinction peut se faire par l’extension transversale et par le contraste qu’il existe entre les zones polies et non polies. Dans le cas de la coupe de végétaux tendres, l’extension transversale est très rapidement de plus de deux millimètres avec un poli assez homogène peu contrasté (fig. 3). Pour le rainurage du bois, l’extension transversale est souvent inférieure au millimètre une trame de poli dégradée du bord vers le centre et très contrastée (fig. 4).

    II. 2. Mise en évidence des activités de boucherie

    16Les activités de boucherie sont diverses et variées (décharnement, désossage, désarticulation…), tout comme les traces qui en découlent. La découpe de la viande laisse des traces très discrètes (Gassin, 1996) et seul les contacts volontaires ou non avec les os laissent des écaillements bien visibles. Cependant, ces écaillements peuvent se confondre facilement avec des écaillements taphonomiques et par conséquent, la reconnaissance de telles traces sur le matériel archéologique est délicate. Pour essayer de mettre en évidence la présence d’écaillements caractéristiques, nous avons procédé à l’écorchage et la décarnisation d’agneaux à l’aide d’une trentaine de lamelles expérimentales (fig. 5).

    Fig. 3 : Poli présent sur bord de lame après coupe d’engrain (Triticum monococcum) pendant 45 minutes (environ 75 m2).

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    Fig. 4 : Poli résultant d’un rainurage d’une branche de noisetier sèche (Corylus avellana) pendant 15 minutes.

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    Fig. 5 : Utilisation d’une lamelle emmanchée en silex bédoulien chauffé pour la découpe de viande sur une carcasse d’agneau.

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    Fig. 6 : Raclage de sables ocreux cimentés pour l’obtention de pigments (30 minutes).

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    Fig. 7 : Raclage de céramique pendant 20 minutes.

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    17L’analyse des micro-écaillements a montré une variabilité importante de leur quantité et de leur distribution sur l’outil. Pour celles dont les traces sont les plus développées, quelques critères récurrents ont pu être observés. Il s’agit d’une orientation préférentielle d’un bon nombre des micro-écaillements et/ou d’enlèvements burinant à l’extrémité distale de l’outil, causés par leur utilisation à la manière d’un scalpel. Ce type de fonctionnement pour la découpe de matière tendre associé avec des contacts avec des matières dures ne peut être obtenu que lors d’activités de boucherie. Ces critères n’ont pas la prétention de distinguer tous les outils ayant été mis en œuvre pour des activités de boucherie, mais permettent de démontrer la présence de ces activités sur un site.

    II. 3. Le travail des matières minérales

    18Les matières minérales sont très abrasives et dans le cas d’utilisations prolongées, laissent un émoussé très important et de nombreuses et larges stries (fig. 6 et 7). Dans la plupart des cas, la morphologie de l’outil et l’orientation des stries permet de reconstituer son fonctionnement sans trop de difficulté. Cependant, la distinction entre les différentes matières est moins évidente.

    19Des expérimentations (Gassin, 1993 ; Torchy et Gassin, 2010) nous ont montré que l’aspect des traces causées par le travail des matières minérales étaient liés principalement à leur dureté, à la taille des cristaux et à leur cohésion. Cependant, dans la plupart des cas archéologiques, les traces sont très semblables les unes des autres et le doute ne peut être levé. Toutefois, puisque les matières minérales sont souvent et relativement bien conservées, c’est le croisement de données qui va permettre l’interprétation comme nous le verrons plus bas.

    III. Application au chasséen méridional

    III. 1. Rappel du contexte

    20Entre la fin du Ve et le premier tiers du IVe millénaire avant notre ère, les communautés chasséennes du Midi méditerranéen ont recours à l’échange de biens sur de longues distances, et notamment en ce qui de productions en silex bédoulien extrait des affleurements du Crétacé inférieur du nord du Vaucluse (Binder et Perlès, 1990 ; Binder, 1991). L’étude de ces productions a permis d’appréhender l’organisation complexe de ces sociétés, par la mise en évidence de savoir-faire non partagés réalisés uniquement dans la zone des ateliers producteurs vauclusiens, comme le recours au traitement thermique (Binder, 1984 ; Léa, 2004a). La diffusion vers les sites consommateurs se fait sous la forme de produits finis en silex non chauffé (lames et éclats) et sous la forme de nucléus chauffés et préformés en vue d’un débitage de lamelles par pression (Binder, 1984 et 1991 ; Léa et al., 2004 ; Léa et al., 2007).

    III. 2. Quelques exemples de sous-systèmes techniques mis en évidence par l’étude des traces

    La coupe des végétaux tendres

    21La coupe de végétaux tendres au Chasséen, à l’aide de lames en silex bédoulien, est illustrée ici par trois exemples (fig. 8).

    22Le premier concerne une lame du site d’Auriac à Carcassonne. Le poli visible à l’œil nu, d’extension transversale couvrante, de trame compacte avec de nombreuses et fines stries longitudinales. On retrouve du poli dans les micro-creux, et même dans les négatifs d’enlèvements (fig. 9), ce qui confirme que la matière coupée était très tendre. Il s’agit là d’un cas « classique » de coupe de végétaux tendres.

    23Les deux autres exemples sont des lames provenant de Château-Percin à Seilh (fig. 10) et du Pirou à Valros (fig. 11). Ce sont des cas d’utilisations relativement brèves de coupe de végétaux tendres, et par conséquent, aux traces moins développées. A cela s’ajoutent deux difficultés. La lame de Château-Percin est débitée après chauffe et donc luisante ce qui rend difficile la lecture d’un poli luisant lui- aussi. La lame du Pirou est blanchie par une « patine » qui réfléchi la lumière et qui rend difficile les observations au microscope. Dans les deux cas, la trame du poli est homogène, semi-serrée avec quelques stries longitudinales. L’extension est couvrante, le poli est développé de manière régulière, ce qui indique une coupe de végétaux tendres. Il s’agit très probablement d’éléments qui étaient placés en série dans un manche.

    Fig. 8 : Lames ayant coupé des végétaux tendres.

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    Fig. 9 : Site d’Auriac, secteur PIV (Carcassonne, Aude), poli sur bord droit de lame en silex bédoulien chauffé n° 129 I19, caractéristique de la coupe de végétaux tendres.

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    Fig. 10 : Site de Château-Percin (Seilh, Haute-Garonne), poli sur lame en silex bédoulien chauffé.

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    Fig. 11 : Site du Pirou (Valros, Hérault), poli sur lame en silex bédoulien non chauffé.

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    Fig. 12 : Ecaillements sur lamelles ayant probablement été mises en œuvre dans des activités de boucherie.

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    Fig. 13 : Site du Pirou (Valros, Hérault), émoussé et stries sur outil n° 214.

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    24Au Néolithique, la coupe de végétaux tendres peut avoir plusieurs finalités. L’hypothèse de la moisson de céréales est celle qui revient le plus souvent en raison de l’importance économique de celle-ci (Gassin, 1996), mais d’autres activités peuvent être envisagées comme la récolte de végétaux en lien avec la construction d’abris (Perlès et Vaughan, 1983), avec la vannerie (Petrequin, 1974 ; Stordeur, 1989), avec l’artisanat du textile (Boquet et Berretrot, 1989), ou avec la confection de litières pour l’élevage (Brochier, 1991).

    Les activités de boucherie

    25Ces activités sont représentées sur les sites de Saint-Martin à Malaucène et des Moulins à Saint-Paul-Trois-Châteaux, et illustrée par deux lamelles en silex bédoulien chauffé. Aucun poli n’est visible, seuls les micro-écaillements ont permis de diagnostiquer ce type d’activité. L’association d’enlèvements obliques et d’enlèvements burinants aux extrémités distales indique un mouvement longitudinal principalement unidirectionnel, avec pénétration dans la matière par l’extrémité distale et de nombreux contacts avec des éléments durs (fig. 12). Il s’agit ici d’une utilisation à la manière d’un scalpel pour la découpe de matières tendres animales sur une carcasse. Etant donné le module des éléments, le recours à un manche allongé nous paraît évident. D’ailleurs, quelques exemples contemporains du chasséen ont été retrouvé en contexte lacustre (Owen, 1988 ; Gassin, 1996).

    26La gamme des activités liées à la boucherie est variée, c’est pourquoi nous ne pouvons que proposer des hypothèses concernant la finalité exacte. Etant donné la fragilité des lamelles, elles n’ont pu être mises en œuvre que dans des taches assez délicates comme l’écorchage, l’éviscération, la décarnisation ou même la désarticulation soignée. Le sciage d’os et la désarticulation violente nécessitent des outils plus robustes et par conséquent sont exclu de nos hypothèses pour la fonction des deux lamelles présentées précédemment.

    La réparation des céramiques

    27Sur le site du Pirou à Valros, quelques éclats en silex bédoulien non chauffé ont été retouchés afin de façonner des extrémités appointies. Sur les deux exemples présentés ici, d’importants émoussements et de larges stries transversales ont totalement fait disparaître les nervures des extrémités (fig. 13 et 14). Les émoussements sont causés par une matière abrasive, et les stries larges ont été observées sur les pièces expérimentales ayant travaillé une matière minérale. Ces perçoirs auraient donc été utilisés pour percer des matières minérales tendres. L’analyse tracéologique ne nous permet pas d’aller plus loin dans les interprétations et c’est le croisement des données avec les autres études qui va confirmer la fonction de ces outils.

    28Alors que les éléments de parure en matières minérales tendres (talc, calcaire) ont des trous de diamètre trop petit pour correspondre, il existe une corrélation entre les diamètres des trous présents sur les tessons de céramiques et les diamètres des perçoirs (fig. 15).

    29Jusque dans les années 1950, la réparation de la vaisselle brisée était assurée par un artisan spécialisé dans le raccommodage de faïences et de porcelaines. Par analogie, nous pouvons nous demander si, au Néolithique, des artisans étaient spécialisés dans la réparation de céramique. Vu la faible dureté de la poterie néolithique, ce geste technique est à la portée de tous. Aussi, il est peu probable que les potiers réparent leurs ratés de cuisson, alors que dans un contexte d’utilisation, le consommateur à plutôt intérêt à prolonger la durée de vie de ses récipients.

    30La réparation d’un vase atteste une volonté de recyclage, et nous pouvons nous demander si cette pratique est liée à un coût de production plus élevé pour certains vases, ou alors liée à la fonction du vase. Des résidus de colle ont été observés dans les trous de réparation et sur le bord des tessons brisés, l’utilisation de cet adhésif permettrait d’étanchéifier le récipient (Regert, 2007).

    III. 3. Gestion des outillages

    Gestion des différentes productions

    31Les études tracéologiques réalisées sur silex bédoulien ont montré qu’il existait des différences de gestion entre le silex chauffé et non chauffé (Binder et Gassin, 1988 ; Gassin, 1996 ; Torchy et Gassin, 2011), mais aussi entre sites producteurs et sites consommateurs plus ou moins éloignés des sources (Gassin et al, 2006a ; Torchy et Gassin, 2011).

    32En règle générale, les lames en silex bédoulien non chauffé, débitées par percussion indirecte sur les ateliers producteurs du Vaucluse ont été intensément utilisées et retouchées pour le travail de l’os, du bois, pour le raclage de la peau, ou encore pour la coupe de végétaux tendres. En parallèle, les lamelles débitées par pression sur sites consommateurs à partir de blocs chauffés et préformés dans le Vaucluse, ont découpés à l’aide de tranchants bruts, des matières tendres animales (viande, peau fraîche). Ceci n’est pas exclusif comme nous l’avons vu précédemment sur les sites d’Auriac et de Château-Percin, puisque les plus larges de ces lamelles, ou lames, ont coupé des végétaux tendres. Dans quelques cas, le recyclage de ces supports est attesté par la technique du coup de burin pour le raclage de végétaux tendres rigides (Gassin et al, 2006b).

    33Les assemblages lithiques chasséens sont donc constitués de supports issus de plusieurs chaînes opératoires ayant des finalités différentes. Nous devons nous demander dans quelles mesures le traitement thermique, intervenant en amont de la chaîne opératoire, pourrait avoir une incidence lors de l’utilisation de l’outil. Les premiers résultats issus d’une thèse en cours montrent une augmentation significative du pouvoir de coupe des lamelles débitées après chauffe (Torchy dans Léa et al, sous presse).

    Degré d’intégration des sites dans les réseaux de diffusion

    34Au Chasséen, la diffusion du silex bédoulien ne se fait pas de proche en proche, mais semble se faire par l’intermédiaire de sites centraux et redistributeurs (Vaquer, 1991 ; Léa, 2005 ; Vaquer et Remicourt, 2010 ; Torchy et Gassin, 2011).

    35En effet, la proportion de silex bédoulien sur les sites n’est pas seulement fonction de la distance aux sources et fait apparaître des sites privilégiés, comme Auriac (Vaquer, 1991) et Lattes (Léa, 2004b), sur lesquels ont compte plus de 90 % de silex bédoulien alors qu’ils sont éloignés des ateliers producteurs. Sur un même site, des différences de proportion entre silex chauffé et non chauffé indique que les réseaux peuvent être différents pour les différentes productions (Vaquer et Remicourt, 2010). D’ailleurs, chacun des ateliers producteurs du Vaucluse n’est pas spécialisé dans toutes les productions identifiées au Chasséen (Léa, 2004a).

    36L’analyse des traces contribue à la collecte d’informations sur les différents degrés d’intégration, puisque les habitants d’un site étant facilement approvisionné ont tendance à avoir une gestion courte de leurs outils, ainsi dès que le bord de celui-ci est un peu écaillé, il est rejeté et remplacé par un nouveau. C’est effectivement le cas du site d’Auriac, qui présente une faible intensité d’utilisation des lamelles débitées par pression sur préformes chauffées (Torchy et Gassin, 2011). A l’inverse, les communautés les moins bien approvisionnées économisent leurs outils par de nombreux ravivages et recyclage.

    Fig. 14 : Site du Pirou (Valros, Hérault), émoussé et stries sur outil n° 1589.

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    Fig. 15 : Correspondances entre diamètres des perçoirs et des trous, et exemple de réparation d’une céramique brisée.

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    37La multiplication de ces études permet donc de repérer les sites des réseaux principaux et secondaires, et dans une certaine mesure, contribue à reconstituer les territoires ou finages.

    Conclusions et perspectives

    38La recherche et l’analyse des indices tracéologiques sur les productions de silex permet, par analogie avec les traces d’un référentiel expérimental, de reconstituer le mode de fonctionnement des outils et d’avoir des indication sur la nature du matériau travaillé, et quelques fois de proposer des hypothèses sur la finalité du geste. Quelques fois croisée avec les données d’autres disciplines, elle contribue à la compréhension des modes de vie des sociétés préhistoriques. Concernant le Néolithique et en particulier le Chasséen, aborder les fonctions de site et les questions de spécialisation artisanale est essentiel pour la compréhension des réseaux d’échanges et des relations entres les différents sites.

    39Par ailleurs, la gestion des outillages de silex bédoulien montre une corrélation entre traitement thermique et utilisation des bords bruts. La possibilité que la chauffe du silex pourrait avoir une incidence fonctionnelle lors de l’utilisation des lamelles est en cours de vérification dans le cadre d’une thèse de doctorat (Torchy dans Léa et al. sous presse). Les premiers résultats montrent une augmentation significative du pouvoir de coupe des tranchants, mais le fait que les communautés chasséennes ont pu avoir recours au traitement thermique spécifiquement pour avoir des lamelles plus tranchantes est toujours hypothétique.

    Bibliographie

    Binder D. 1984. Systèmes de débitage laminaire par pression : exemples chasséens provençaux. In : Tixier J., Inizan M.-L. Et Roche H. Préhistoire de la Pierre Taillée 2. Economie du débitage laminaire. Paris, Cercle de recherches et d’études préhistoriques : p. 71-84.

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    Auteur

    • Loïc Torchy

      UMR CNRS 5608 TRACES (Travaux et Recherches Archéologiques sur les Cultures, les Espaces et les Sociétés), Université de Toulouse le Mirail, Maison de la Recherche (Toulouse)

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    Torchy, L. (2013). Fonction et gestion des outils préhistoriques à l’aide de la tracéologie et de l’archéologie expérimentale : exemple du chasséen méridional (Néolithique moyen). In F. Janot, G. Giuliato, & D. Morin (éds.), Indices et traces : la mémoire des gestes (1‑). Éditions de l’Université de Lorraine. https://doi.org/10.4000/13n0k
    Torchy, Loïc. « Fonction et gestion des outils préhistoriques à l’aide de la tracéologie et de l’archéologie expérimentale : exemple du chasséen méridional (Néolithique moyen) ». In Indices et traces : la mémoire des gestes, édité par Francis Janot, Gérard Giuliato, et Denis Morin. Nancy: Éditions de l’Université de Lorraine, 2013. https://doi.org/10.4000/13n0k.
    Torchy, Loïc. « Fonction et gestion des outils préhistoriques à l’aide de la tracéologie et de l’archéologie expérimentale : exemple du chasséen méridional (Néolithique moyen) ». Indices et traces : la mémoire des gestes, édité par Francis Janot et al., Éditions de l’Université de Lorraine, 2013, https://doi.org/10.4000/13n0k.

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    Janot, F., Giuliato, G., & Morin, D. (éds.). (2013). Indices et traces : la mémoire des gestes (1‑). Éditions de l’Université de Lorraine. https://doi.org/10.4000/13obz
    Janot, Francis, Gérard Giuliato, et Denis Morin, éd. Indices et traces : la mémoire des gestes. Nancy: Éditions de l’Université de Lorraine, 2013. https://doi.org/10.4000/13obz.
    Janot, Francis, et al., éditeurs. Indices et traces : la mémoire des gestes. Éditions de l’Université de Lorraine, 2013, https://doi.org/10.4000/13obz.
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