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    Plan détaillé Texte intégral Les germes du conflitLe conflit (1431-1441)Vers l’épilogueUne conclusion inattendue Notes de bas de page Auteur

    Autour des comtes de Vaudémont

    Ce livre est recensé par

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    Antoine de Vaudémont et René Ier

    Gérard Giuliato

    p. 287-297

    Texte intégral Les germes du conflitLe conflit (1431-1441)Vers l’épilogueUne conclusion inattendue Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1En 1473, Yolande d’Anjou héritait sans difficulté du duché de Lorraine à la mort de son neveu Nicolas et partagea son pouvoir jusqu’à sa mort en 1484 avec son fils René II, comte de Vaudémont et sire de Joinville. En 1543, le duc Antoine récupéra les derniers droits qui lui manquaient encore sur la châtellenie de Châtel-sur-Moselle et achevait de réunifier les différentes parties de ce qui fut le comté de Vaudémont, petite principauté crée en 1070. Ainsi se refermait une longue parenthèse de près de cinq siècles, durant laquelle de longues périodes de paix alternèrent avec quelques phases de ruptures dont l’une, au xve siècle plongea la région dans le chaos, ruina une partie des ambitions politiques du jeune René Ier et marqua profondément la psychologie du prince.

    2Cette communication se penchera successivement sur les liens qui unirent la Lorraine, le Barrois et le comté de Vaudémont jusqu’en 1430 puis le violent conflit qui les opposa entre 1431 et 1441, suivis d’une réconciliation en plusieurs étapes qui aboutit à une complète réunification des domaines.

    3Cet épisode offre un éclairage privilégié sur les pratiques successorales au Moyen Âge et sur les solidarités entre lignages nobles mais aussi sur les rivalités implacables entre Angevins et Bourguignons sur fonds de conflit à l’échelle européenne. Cette querelle de succession, loin d’être un épisode anecdotique, laissa des traces profondes dans l’organisation politique de l’espace lorrain pendant plus d’un siècle1.

    Les germes du conflit

    4Ils sont liés à l’organisation territoriale complexe de la région. Le duché de Lorraine, créé en 959 par l’empereur Otton Ier se fragmenta une première fois en 1033 avec la naissance du comté de Bar2 puis une seconde fois avec la création du comté de Vaudémont en 10703

    5Ce dernier se composait de quatre blocs territoriaux organisés en châtellenies : Chaligny, Pont-Saint-Vincent, Vaudémont / Vézelise, Châtel-sur-Moselle et Deuilly (fig. 1). Les comtes assurèrent leur protection en construisant des châteaux et des enceintes urbaines4 sur lesquels ils gardèrent un contrôle jaloux (fig. 2).

    6En 1200, l’hommage dû aux ducs de Lorraine fut transféré aux comtes de Bar qui en firent un « fief de danger », formule fort contraignante qui obligeait le vassal à prêter hommage sans tarder et à mettre ses forteresses à la disposition de son seigneur. En cas de non respect de ses obligations, le vassal perdait son fief.

    7La première maison de Vaudémont s’éteignit en 1347 et le comté passa à Marguerite selon la coutume générale. De son union avec Anseau de Joinville, naquit un fils, Henri V qui sut habilement tirer parti de son statut de vassal du roi de France et du comte de Bar5. À sa mort en 1365, le patrimoine familial connut un second partage entre les deux héritières (fig. 3). La cadette reçut Chaligny et Châtel-sur-Moselle et les apporta à son époux, Thiébaut VIII sire de Neufchâtel en Franche-Comté. Marguerite, l’aînée acquit Joinville en Champagne et Vaudémont et épousa Ferri de Lorraine, frère du duc Charles II qui était en possession des seigneuries de Rumigny dans les Ardennes et de Boves dans la Somme. Tous étaient attachés à l’alliance avec la Bourgogne et s’unirent pour faire échec au duc Philippe d’Orléans, champion du parti armagnac et qui tenta de s’implanter à Metz et au Luxembourg en 1407. La bataille d’Azincourt6 en 1415 bouleversa l’équilibre politique de la région en provoquant la disparition brutale de Ferri de Lorraine et duc de Bar, Edouard III, tous deux combattants dans les rangs du roi de France.

    8Le comté de Vaudémont passa sans difficulté au seul héritier, Antoine qui devint majeur en 1416. Le duché de Bar revint au cardinal Louis qui céda rapidement ses droits à son neveu, René d’Anjou le 13 août 1419. Le prélat engagea des négociations avec Charles II qui aboutirent au traité de Foug signé le 20 mars 1419. Il fut décidé de marier René et Isabelle de Lorraine7. Le mariage se déroula à Nancy le 24 octobre 1420 et le jeune couple fut placé sous la tutelle du duc de Lorraine8. Le souci de réunifier les deux duchés amena Charles II à s’éloigner de sa politique habituelle d’alliance avec la Bourgogne et à se rapprocher du parti angevin ou armagnac au moment où la haine entre les deux factions atteignait son paroxysme avec l’assassinat de Jean sans Peur au pont de Montereau par les hommes du dauphin en 14199. Dans les années qui suivirent, l’alliance des maisons d’Anjou et de Lorraine alla en se renforçant, ce que traduisit en 1422, le mariage de Marie d’Anjou, sœur de René avec le dauphin Charles qui atteignit sa majorité en 1424.

    9À ce moment là, Antoine de Vaudémont commença à exprimer des critiques contre le duc et à affirmer ses droits à la succession à la couronne ducale comme mâle le proche de son oncle Charles II. En effet, par un nouveau testament en date du 13 janvier 1425, le duc précisait qu’à sa mort, le duché reviendrait à sa fille Isabelle, à son mari René et à leurs enfants. Si le couple décédait sans enfant, le duché reviendrait à sa seconde fille Catherine mariée au margrave de Bade. Toutefois ces dispositions n’avaient rien de surprenant et elles correspondaient à la pratique en vigueur dans toutes les principautés d’Europe. La véritable surprise vint des revendications sans fondement légal d’Antoine qui firent naître un climat de méfiance. Charles II adressa à son neveu une mise en garde en avril 1425 puis lui demanda par lettre de renoncer à ses prétentions. Ce dernier répondit qu’il allait prendre « conseil de ses parents et amis ». Le duc chercha alors à le priver de tout soutien dans la noblesse lorraine. Pour cela, il réunit en décembre 1425 à Nancy tous ses vassaux soit près de 140 personnes qui confirmèrent le droit de succession par les femmes et reconnurent Isabelle comme légitime héritière.

    Figure 1 : Carte du comté de Vaudémont vers 1100.

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    Figure 2 : Châteaux et villes fortes du comté de Vaudémont (xie-xive siècles).

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    10Personne n’accordait réellement d’intérêt à l’argumentaire d’Antoine qui allait à contre courant des usages que les Vaudémont eux-mêmes n’avaient jamais mis en application dans le passé. En août 1426, la naissance de Jean puis celle de Louis d’Anjou en 1428 assuraient la succession de la maison ducale et on pouvait penser que la querelle était devenue sans objet. C’était compter sans l’entêtement d’Antoine qui sut mettre à profit le contexte de guerre civile qui régnait alors et se rapprocha du parti anglo-bourguignon qui dirigeait une partie du royaume depuis 1420. Il reçut en récompense de ces services les seigneuries de Demuin et de Mézières-en-Sancerre10 (Somme) en 1425 et celles de Vaux et de Vauchelles-en-Ponthieu dans le Nord en 1427. Il continua à rechercher des appuis auprès de seigneurs français, tâche facilitée par son statut de sire de Joinville et se garda de paraître à Reims lors du sacre de Charles VII le 17 mai 1429.

    Le conflit (1431-1441)

    11Le décès de Charles II de Lorraine le 25 janvier 1431 raviva la querelle et lui donna une autre dimension. Isabelle et René prirent possession du duché en mars et Antoine les défia ouvertement en osant se rendre à Nancy en arborant les armoiries de Lorraine (d’or à la bande de gueules chargé de trois aiglettes d’argent) et en déclarant « que bientôt il serait duc ». René ne disposait d’aucun moyen juridique pour empêcher Antoine de se plaindre mais il fut rapidement excédé par ces propos et ces manœuvres souterraines qui s’apparentaient à du harcèlement savamment distillé au point d’en exagérer l’importance et de leur donner une dimension hors de proportion avec la réalité. Porté par son impétuosité et sûr de son bon droit, René opta pour l’épreuve de force au lieu de s’en tenir à une diplomatie d’étouffement. Restait à trouver un prétexte juridiquement acceptable pour recourir à la force ; on le trouva sur un autre terrain.

    12Antoine tenait son comté de Vaudémont en fief de danger11 du duché de Bar et à ce titre il aurait du prêter hommage à René qui avait hérité de cette principauté en 1430 mais il s’était abstenu d’accomplir cette obligation. René envoya une lettre de mise en demeure le 11 avril et une seconde le 13 avril 1431 mais le capitaine de Vaudémont refusa de les prendre sous prétexte qu’Antoine était absent et les courriers restèrent posés sur la barrière devant la porte de la ville forte. Au vu de cette attitude dilatoire, le Conseil ducal de Bar déclara qu’Antoine violait ses obligations vassaliques et appliqua la sentence habituelle en ces circonstances c’est à dire qu’il le déclara félon, lui confisqua son fief (la commise) et lui déclara la guerre le 14 avril. Tout avait été très vite parce que René s’était préparé à cette éventualité depuis un certain temps.

    13Comme toutes les armées princières de l’époque, celle du duc se composait de différents contingents. Elle comptait des vassaux de Lorraine et de Bar venus combattre en vertu du devoir d’ost, gratuit pendant 40 jours mais aussi les vassaux de princes alliés comme le comte de Salm et l’évêque de Metz. Il recruta aussi Robert de Commercy-Sarrebruck à la tête d’une troupe de soudoyers composée de 40 cavaliers et 20 archers12. Le roi Charles VII lui promit l’appui des troupes cantonnées en Champagne et dirigées par un capitaine expérimenté, Arnaud Guilhem sire de Barbazan qui s’était illustré dans la reconquête de plusieurs places fortes contre les anglais. L’addition de ces contingents s’élevait à un potentiel de 6 000 cavaliers et 1 500 piétons dont une partie entra dans le comté à la mi-mai sans rencontrer de réelle résistance13. L’armée se dirigea vers Vaudémont et y mis le siège rendu difficile par les caractéristiques des lieux, perché à l’extrémité d’un éperon à 495 m d’altitude (fig. 4).

    14Les défenses se composaient de quatre unités imbriquées l’une contre l’autre du nord-ouest au sud-est, édifiées en plusieurs étapes entre le xie et le xive siècle. À la pointe de l’éperon, en refuge, se dressait l’enceinte castrale appuyée sur son puissant donjon, la tour Brunehaut. Côté sud, elle se prolongeait par l’enceinte du bourg longue de 380 m. Un fossé séparait cet ensemble de l’extension de la ville qui avait pris la forme d’un faubourg lui-même pourvu d’une enceinte longue de 680 m. Pour donner plus de cohésion à la défense, on avait rejoint ces deux enceintes par des murs qui barraient les deux extrémités du fossé et on avait édifié une grande barbacane pour protéger les deux entrées situées au nord-est. Ces puissantes murailles posées en haut d’une pente très raide empêchaient l’emploi de machines de jet du type trébuchet ou mangonneau sauf sur le côté sud, vers le plateau mais sur une largeur qui ne dépassait pas 200 m. Au bout de quinze jours, le gros de l’armée leva le camp et se contenta de ravager le plat pays. Sur place, les assiégeants se contentèrent d’édifier deux forteresses14 en bois certainement à proximité des portes pour empêcher les habitants de tenter des contre-attaques et surtout pour leur interdire l’accès aux fontaines qui se trouvaient hors les murs. La ville ne pouvait compter sur aucun appui local même pas celui de Thiébaut de Neufchâtel, seigneur de Châtel-sur-Moselle et de Chaligny, apparenté à Antoine mais qui avait prêté hommage à René le 26 juin 143115.

    15Pendant ce temps, Antoine recrutait en Picardie quelques hommes d’armes et des archers. Sa situation semblait bien compromise quand, subitement, il fut reçu par le duc de Bourgogne Philippe le Bon, dans son château de Hesdin. Celui-ci lui promit son soutien et ordonna la levée d’une armée sous la direction d’Antoine de Toulongeon, maréchal de Bourgogne. Cette décision se comprend si on la replace dans son contexte politique. Depuis un an, les bourguignons s’inquiétaient de l’évolution de la diplomatie lorraine. Ils redoutaient que René, en s’alliant aux troupes royales cantonnées en Champagne ne menace les lignes de communication reliant la Bourgogne à la Flandre. En mars 1431, une rencontre à Luxeuil destinée à obtenir des garanties sur ce point avait échoué et depuis le 30 août 1430, René refusait de prêter hommage pour le Barrois mouvant au jeune roi de France et d’Angleterre Henri VI soutenu par la Bourgogne16. Dans ces circonstances, le duc se préparait à une guerre préventive et les Etats de Bourgogne avaient accepté à sa demande, en juillet 1431, de lever un impôt de 25 000 francs. L’affaire de Vaudémont venait à point nommé et fournissait un prétexte idéal : venir à l’aide d’un allié.

    16Accompagnées par Antoine, les troupes de Flandre furent inspectées (la montre) le 21 mai à Solesmes près de Cambrai par les maréchaux puis descendirent vers Rethel et Sainte-Menehould pour ravager le Barrois avant de gagner la haute vallée de la Marne. Dans la région de Langres, elles rejoignirent les troupes qui remontaient de Bourgogne. Au total, l’armée comptait 8000 cavaliers et 3000 archers accompagnés d’une vingtaine de chariots et de quelques pièces d’artillerie. Antoine insista pour que les troupes se portent au secours de Vaudémont mais l’état-major refusa de s’engager aussi loin en région ennemie. On opta pour une expédition brève et dévastatrice, une chevauchée, dans le Bassigny, c’est-à-dire aux limites méridionales du Barrois afin de ne pas rencontrer le gros l’armée lorraine et de pouvoir se replier facilement en Bourgogne en cas de difficulté ou de menace grave. Cette stratégie adoptée par les anglais depuis 1346 avait donné des résultats appréciables. Le plan fut mis à exécution à partir du 23 juin et les ravages et pillages semèrent la désolation dans les campagnes au sud de Neufchâteau.

    17L’armée lorraine décida de se porter à la rencontre des envahisseurs. Le 1er juillet, avertis de cette arrivée, les bourguignons appliquèrent une autre tactique anglaise17, la défensive. Ils prirent position sur une petite colline près de village de Bulgnéville. Au premier plan, on planta des rangées de pieux acérés et on disposa quelques pièces d’artillerie derrière lesquelles s’installèrent les 3000 archers. Au second plan, les cavaliers à pied et à l’arrière plan, les chariots et les chevaux eux-mêmes protégés par un ruisseau bordé d’arbres et de haies qui rendait impossible une manœuvre d’encerclement.

    Figure 3 : Généalogie des Vaudémont-Lorraine.

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    Figure 4 : Le château et la ville forte de Vaudémont.

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    18Les lorrains arrivèrent vers 9 h et René s’avança à 250 m des lignes ennemies accompagné de Barbazan. Celui-ci, bon connaisseur de la tactique anglo-bourguignonne préconisa de ne pas attaquer dans ces conditions mais de contraindre l’adversaire à la retraite par défaut de ravitaillement avant de profiter d’un contexte plus favorable. René, sûr de sa supériorité décida au contraire qu’il fallait employer l’offensive et il envoya son défi au maréchal de Bourgogne selon les règles de la guerre.

    19Dans le camp bourguignon, on laissa Antoine déployer les armoiries de Lorraine puis haranguer les troupes en les exaltant à défendre sa cause qui était juste, lui l’allié fidèle de la Bourgogne.

    20Les lorrains mirent deux heures pour disposer leurs troupes selon un dispositif très différent. L’aile droite, commandée par Barbazan précédait le centre dirigé par René où se trouvait le gros des effectifs. Tous ces combattants, fantassins comme chevaliers étaient à pied. L’aile gauche, en retrait était formée de cavaliers dont Robert de Commercy-Sarrebruck18. Vers 11h, les deux premiers corps passèrent à l’attaque mais l’assaut fut brisé par une pluie de flèches et par les pieux. Barbazan périt. Puis les bourguignons contre-attaquèrent les lorrains désorganisés, ce qui provoqua la fuite des troupes les moins aguerries c’est-à-dire les milices fournies par les villes. La cavalerie lorraine renonça à charger contre les positions défensives bourguignonnes et laissa le centre sans appui. Celui-ci céda à son tour et c’est là que René, blessé, fut contraint de se rendre à un homme d’arme nommé Martin Frinart qui le conduisit aussitôt vers Antoine de Vaudémont. Le maréchal de Bourgogne, vite averti de cette nouvelle exigea que le prisonnier lui soit remis contre une promesse de 10 000 francs comptant et une rente à vie de 500 francs. Pendant ce temps, ses troupes pourchassaient les lorrains en fuite, massacrant les uns, capturant les autres. On compta 2000 à 2500 morts soit un tiers des effectifs, chiffre énorme qui décima la noblesse19.Tout combat cessa vers 13 h.

    21Antoine ne put convaincre les vainqueurs de profiter de leur avantage et de marcher sur Nancy pour s’emparer du pouvoir et le lui remettre. Il dut se contenter de rassembler une petite troupe avec laquelle il se dirigea vers Vaudémont et il y arriva sans difficulté car les assiégeants lorrains, apprenant la défaite avaient précipitamment levé le camp en abandonnant sur place tout leur matériel de guerre20. Il accepta de signer une trêve le 1er août avec la duchesse Isabelle qui avait aussitôt pris en charge le gouvernement, trêve qui fut reconduite jusqu’en janvier 1432.

    Vers l’épilogue

    22Pendant ce temps, René était emmené en Bourgogne. Emprisonné à Dijon, le jeune duc, très affecté par la défaite et la mort de ses hommes accepta de garantir aux bourguignons la sécurité de leurs lignes de communication, de livrer ses deux fils en otage et de remettre en gage les villes fortes de Bourmont et Châtillon-sur-Saône dans le Bassigny, Charmes sur la Moselle proche de Châtel-sur-Moselle et de Vaudémont et Clermont-en-Argonne dans le nord du Barrois. Moyennant ces concessions, il retrouva provisoirement la liberté le 30 avril.

    23Philippe le Bon se décida alors d’arbitrer le conflit juridique entre René et Antoine qui acceptèrent de s’en remettre à son jugement par un accord en date du 10 octobre. Les négociations aboutirent le 13 février 1433 au traité de Bruxelles qui jetait les bases d’une réconciliation. René acceptait de verser à Antoine des indemnités de guerre de 3000 florins d’or. Il promettait de donner une dot de 18 000 florins à sa fille Yolande âgée de 4 ans qui serait mariée à Ferri de Vaudémont fils d’Antoine et accordait à son futur gendre une rente de 1200 florins. Les fiançailles furent célébrées le 1er juillet 1433 mais rien n’était tranché sur le fonds du problème à savoir le droit de succession.

    24Parallèlement à ces tractations, Isabelle avait porté l’affaire devant le tribunal impérial puisque le duché était fief d’Empire. L’empereur Sigismond de Luxembourg finit par réunir le tribunal dans la cathédrale de Bâle le 24 avril 1434. Après avoir entendu les plaidoyers des parties, il confirma la validité de l’héritage par les femmes et donc le bon droit de René. Celui-ci prêta à nouveau hommage à l’empereur qui lui donna l’investiture du duché. Antoine, furieux, fit savoir qu’il refusait le verdict. De même, le duc de Bourgogne, très mécontent d’avoir été pris de cours, obligea René à regagner sa prison le 1er mars 1435 où il resta pendant deux longues années.

    Figure 5 : Gisant d’Antoine de Vaudémont.

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    25De nouvelles négociations s’engagèrent qui aboutirent au traité de Lille le 28 janvier 1437. Les clauses étaient particulièrement draconiennes pour René devenu entre temps duc d’Anjou, comte de Provence et roi de Naples mais aucune ne se rapportait à la querelle lorraine. Dés sa libération, René partit prendre possession de son royaume italien et confia les duchés de Lorraine et de Bar à un conseil assisté de gouverneurs choisis par ses vassaux et alliés dont Antoine et son fils Ferry furent tenus à l’écart.

    26Sur le terrain lorrain, les gouverneurs fermèrent les yeux sur les pillages que certains chevaliers comme Vautrin de Thuillières et Guillaume de Dommartin multipliaient sur les terres du comté de Vaudémont. On s’acheminait une nouvelle fois vers l’affrontement. Antoine recruta des soudoyers en Picardie et à Liège ainsi que des routiers gascons comme Jean d’Espailly dit « Fort-Epice » qui se lancèrent à l’assaut de forteresses lorraines comme Mirecourt ou contre des maisons fortes comme Haroué. Commencée en 1438, cette guérilla se prolongea jusqu’en 1441 sans résultat décisif. Sans aide extérieure, les deux camps s’équilibraient et épuisaient le pays car le contexte politique général avait beaucoup évolué.

    27En effet, depuis le traité d’Arras en 1435, la Bourgogne avait abandonné l’alliance anglaise et rejoint le parti de Charles VII et de ce fait ne soutenait plus Antoine. Par ailleurs, le redressement de la puissance royale permettait aux troupes françaises de chasser les dernières garnisons anglaises de Champagne en 1439 et 1440. C’est dans ces circonstances que le roi se décida à intervenir à nouveau dans la querelle lorraine. Il convoqua les protagonistes à Reims et son arbitrage tomba le 27 mars 1441.

    28Antoine recevait une rente annuelle de 2200 livres et les revenus du grenier à sel royal de Joinville, seigneurie qu’il tenait en fief du roi et acceptait de libérer ses prisonniers contre 5 000 florins. Il autorisait son fils Ferri à prêter hommage à René pour le comté de Vaudémont et renonçait à revendiquer la couronne ducale tant qu’Isabelle et ses descendants seraient en vie. Cet accord permettait à Antoine de conserver quelque espoir. Il partagea les dernières années de sa vie entre son château de Joinville et Vaudémont où il décida de se faire inhumer dans la collégiale Saint-Jean-Baptiste en 1458. Son gisant et celui de son épouse, Marie d’Harcourt y restérent jusqu’à la destruction de l’édifice en 1762. Aujourd’hui il se trouve dans l’ancienne église des Cordeliers à Nancy à côté du palais ducal. Le comte est revêtu de son harnois avec les armoiries de la Maison de Lorraine et le hasard a fait que son tombeau se trouve là où il rêvait de régner21 (fig. 5).

    29Son fils Ferri épousa en 1445 Yolande d’Anjou comme le prévoyait l’accord. Il se montra très dévoué envers son beau-père qui n’hésita pas à lui confier de hautes responsabilités comme lieutenant du duché de Bar en 1456 puis la lieutenance générale du royaume de Naples en 1459. Ferri se montra tout aussi fidèle envers Jean de Calabre devenu duc en 1453. À ses côtés, il participa à une expédition militaire en Catalogne en 1467 dont il revint malade. Il décéda en 1470 et choisit de se faire inhumer dans la collégiale Saint-Laurent à Joinville en laissant un fils prénommé René.

    Une conclusion inattendue

    30Le duc Jean mourut la même année et la couronne revint sans contestation à son fils Nicolas qui disparut brutalement après seulement trois ans de règne en juillet 1473, ne laissant aucun héritier direct. Selon la coutume de Lorraine, la noblesse décida de remettre le pouvoir à Yolande d’Anjou, fille d’Isabelle et de René. Le 2 août, lors d’une cérémonie tenue à Vézelise près de Vaudémont, il céda ses droits à son fils qui devint René II. Toutefois, elle se réserva l’usufruit du duché et exerça réellement le pouvoir avec son fils jusqu’à sa mort en 1484. En 1480, René II hérita du duché de Bar par testament de son grand-père le roi René, c’est alors seulement qu’il put se proclamer « duc de Lorraine, de Bar… . et comte de Vaudémont ».

    31Ainsi, le rêve d’Antoine finissait par se réaliser mais par succession féminine, système qu’il avait si longuement combattu contre tout bon sens.

    Notes de bas de page

    1  Gérard Giuliato, « René Ier et le comte de Vaudémont », Mémoires de l’Académie d’Angers, t. XXIV, p. 335-342. Cet article ayant été publié partiellement car amputé d’une grande partie de ses illustrations, il convenait de l’éditer dans son intégralité.

    2  Georges Poull, La Maison souveraine et ducale de Bar, Nancy, 1994.

    3  Georges Poull, La Maison ducale de Lorraine, Nancy, 1991. Michel François, Histoire des comtes et du comté de Vaudémont, Nancy, 1935.

    4  Gérard Giuliato, Châteaux et villes fortes du comté de Vaudémont en Lorraine médiévale, Nancy, 2009.

    5  Ce prince attira les routiers venus de France avec lesquels il combattit ses adversaires locaux. Geoffrey Grill, « Les Grandes Compagnies en Lorraine et en Alsace. De la paix de Brétigny à la mort de Charles V (1360-1380) », Bulletin de la société académique du Bas-Rhin pour le progrès des sciences, des lettres, 2006, t. 125, p. 1-207.

    6  Philippe Contamine, Azincourt, Paris, 1964.

    7  Dom Augustin Calmet, Histoire de la Lorraine, t. III, 1748, p. 494-619 pour le règne de Charles II et t. V, 1745, p. 2-307 pour les règnes de René, Jean et Nicolas. Albert Lecoy de La Marche, Le Roi René, sa vie, son administration, ses travaux artistiques et littéraires, 2 vol., Paris, 1875. Victor Servais, Annales historiques du Barrois de 1412 à 1431, manuscrit inédit, Nancy, édition partielle dans les Mémoires de la Société des Lettres de Bar-le-Duc en 1871, 1872, 1873 et 1876. Alain Girardot, « Les Angevins, ducs de Lorraine et de Bar », Le Pays Lorrain, 59, 1978, p. 1-18. Jean Favier, Le Roi René, Paris, 2008. Alain Girardot, « René d’Anjou », dans Jean-Michel Matz et Elisabeth Verry (sd.), Le Roi René dans tous ses Etats, Paris, 2009, p. 15-51.

    8  Alain Girardot, « René d’Anjou sous tutelle : sa Maison (1420-1424) », Lotharingia XV, 2009, p. 97-118.

    9  Bertrand Schnerb, Armagnacs et Bourguignons, Paris, 1988. Jean Favier, La Guerre de Cent Ans, Paris, 1980.

    10  AN JJ 173, n° 231. Pièce publiée par Bertrand Schnerb, Bulgnéville (1431). L’Etat bourguignon prend pied en Lorraine, Paris, 1993, p. 128-129.

    11  Antoine Astaing et François Normant (sd), Jean Coudert, Droit, Coutumes et Juristes dans la Lorraine médiévale et moderne, « Le fief de danger en Lorraine jusqu’à la rédaction des coutumes », Nancy, 2010 p. 20-58 et « Le poids du fief de danger lors des rédactions des coutumes lorraines », p. 94-104.

    12  BNF, Collection Lorraine, vol. 8, n° 2, publié dans Bertrand Schnerb, op. cit., p. 134-135.

    13  Bertrand Schnerb, Bulgnéville (1431). L’Etat bourguignon prend pied en Lorraine, Paris, 1993.

    14  Chronique du Doyen de Saint-Thiébaud, éd. Dom Augustin Calmet, Histoire de Lorraine, 2e édit., t. V, Preuves, col. LV-LVI.

    15  AD Meurthe-et-Moselle, B 608 n° 22. Voir aussi Pierre Marot, « Notes sur l’intrusion bourguignonne en Lorraine. Les Neufchâtel et la Maison d’Anjou », Annales de l’Est, 44, 1930, p. 21-33.

    16  Albert Lecoy de La Marche, Le Roi René, II, p. 219-220.

    17  Bertrand Schnerb, « La bataille rangée dans la tactique des armées bourguignonnes au début du xve siècle : essai de synthèse », Annales de Bourgogne, LXVI, 1989, p. 5-32.

    18  Simone François-Vives, Les seigneurs de Commercy au Moyen Âge, Nancy, 1938.

    19  Georges Poull, « La bataille de Bulgnéville, 2 juillet 1431. Ses prisonniers et ses morts », dans Les cahiers d’histoire, de biographie et de généalogie, I, 1965, p. 10-43.

    20  Enguerrand de Monstrelet, Chroniques, éd. Louis-Claude Douët d’Arcq, Paris, 1860, t. V, p. 7-8.

    21  Voir l’article de Béatrice Thouvenot dans cet ouvrage.

    Auteur

    • Gérard Giuliato

      Professeur d’Histoire et d’Archéologie médiévale HISCANT-MA Université Nancy 2

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    1  Gérard Giuliato, « René Ier et le comte de Vaudémont », Mémoires de l’Académie d’Angers, t. XXIV, p. 335-342. Cet article ayant été publié partiellement car amputé d’une grande partie de ses illustrations, il convenait de l’éditer dans son intégralité.

    2  Georges Poull, La Maison souveraine et ducale de Bar, Nancy, 1994.

    3  Georges Poull, La Maison ducale de Lorraine, Nancy, 1991. Michel François, Histoire des comtes et du comté de Vaudémont, Nancy, 1935.

    4  Gérard Giuliato, Châteaux et villes fortes du comté de Vaudémont en Lorraine médiévale, Nancy, 2009.

    5  Ce prince attira les routiers venus de France avec lesquels il combattit ses adversaires locaux. Geoffrey Grill, « Les Grandes Compagnies en Lorraine et en Alsace. De la paix de Brétigny à la mort de Charles V (1360-1380) », Bulletin de la société académique du Bas-Rhin pour le progrès des sciences, des lettres, 2006, t. 125, p. 1-207.

    6  Philippe Contamine, Azincourt, Paris, 1964.

    7  Dom Augustin Calmet, Histoire de la Lorraine, t. III, 1748, p. 494-619 pour le règne de Charles II et t. V, 1745, p. 2-307 pour les règnes de René, Jean et Nicolas. Albert Lecoy de La Marche, Le Roi René, sa vie, son administration, ses travaux artistiques et littéraires, 2 vol., Paris, 1875. Victor Servais, Annales historiques du Barrois de 1412 à 1431, manuscrit inédit, Nancy, édition partielle dans les Mémoires de la Société des Lettres de Bar-le-Duc en 1871, 1872, 1873 et 1876. Alain Girardot, « Les Angevins, ducs de Lorraine et de Bar », Le Pays Lorrain, 59, 1978, p. 1-18. Jean Favier, Le Roi René, Paris, 2008. Alain Girardot, « René d’Anjou », dans Jean-Michel Matz et Elisabeth Verry (sd.), Le Roi René dans tous ses Etats, Paris, 2009, p. 15-51.

    8  Alain Girardot, « René d’Anjou sous tutelle : sa Maison (1420-1424) », Lotharingia XV, 2009, p. 97-118.

    9  Bertrand Schnerb, Armagnacs et Bourguignons, Paris, 1988. Jean Favier, La Guerre de Cent Ans, Paris, 1980.

    10  AN JJ 173, n° 231. Pièce publiée par Bertrand Schnerb, Bulgnéville (1431). L’Etat bourguignon prend pied en Lorraine, Paris, 1993, p. 128-129.

    11  Antoine Astaing et François Normant (sd), Jean Coudert, Droit, Coutumes et Juristes dans la Lorraine médiévale et moderne, « Le fief de danger en Lorraine jusqu’à la rédaction des coutumes », Nancy, 2010 p. 20-58 et « Le poids du fief de danger lors des rédactions des coutumes lorraines », p. 94-104.

    12  BNF, Collection Lorraine, vol. 8, n° 2, publié dans Bertrand Schnerb, op. cit., p. 134-135.

    13  Bertrand Schnerb, Bulgnéville (1431). L’Etat bourguignon prend pied en Lorraine, Paris, 1993.

    14  Chronique du Doyen de Saint-Thiébaud, éd. Dom Augustin Calmet, Histoire de Lorraine, 2e édit., t. V, Preuves, col. LV-LVI.

    15  AD Meurthe-et-Moselle, B 608 n° 22. Voir aussi Pierre Marot, « Notes sur l’intrusion bourguignonne en Lorraine. Les Neufchâtel et la Maison d’Anjou », Annales de l’Est, 44, 1930, p. 21-33.

    16  Albert Lecoy de La Marche, Le Roi René, II, p. 219-220.

    17  Bertrand Schnerb, « La bataille rangée dans la tactique des armées bourguignonnes au début du xve siècle : essai de synthèse », Annales de Bourgogne, LXVI, 1989, p. 5-32.

    18  Simone François-Vives, Les seigneurs de Commercy au Moyen Âge, Nancy, 1938.

    19  Georges Poull, « La bataille de Bulgnéville, 2 juillet 1431. Ses prisonniers et ses morts », dans Les cahiers d’histoire, de biographie et de généalogie, I, 1965, p. 10-43.

    20  Enguerrand de Monstrelet, Chroniques, éd. Louis-Claude Douët d’Arcq, Paris, 1860, t. V, p. 7-8.

    21  Voir l’article de Béatrice Thouvenot dans cet ouvrage.

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    Giuliato, G. (2011). Antoine de Vaudémont et René Ier. In G. Giuliato (éd.), Autour des comtes de Vaudémont (1‑). Éditions de l’Université de Lorraine. https://doi.org/10.4000/13o87
    Giuliato, Gérard. « Antoine de Vaudémont et René Ier ». In Autour des comtes de Vaudémont, édité par Gérard Giuliato. Nancy: Éditions de l’Université de Lorraine, 2011. https://doi.org/10.4000/13o87.
    Giuliato, Gérard. « Antoine de Vaudémont et René Ier ». Autour des comtes de Vaudémont, édité par Gérard Giuliato, Éditions de l’Université de Lorraine, 2011, https://doi.org/10.4000/13o87.

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