Deux retables du XIVe provenant de la collégiale de Vaudémont
Le retable aux douze apôtres et le retable de saint Jean Baptiste
p. 229-241
Texte intégral
1Les trois reliefs formant les éléments de deux retables, consacrés aux douze apôtres1 pour l’un, et à la naissance de saint Jean Baptiste2 pour le second, ne sont connus par aucun témoignage contemporain de leur création, ni aucune description ancienne. C’est grâce à une photographie (fig. 1), et aux témoignages des érudits lorrains de la fin du xixe siècle, qu’il est possible de les attribuer au décor de l’église collégiale de Vaudémont.
Historique de la collégiale
2Henri III comte de Vaudémont (1299-1347) et son épouse Isabelle de Lorraine fondèrent une collégiale dédiée à saint Jean Baptiste en 1326, où ils se feront par la suite inhumer. Les chanoines, au nombre de six puis de dix, assuraient alors le service de la chapelle castrale et contrôlaient l’enseignement dispensé dans l’école de la ville dont ils désignaient le maître. Une sacristie et une salle capitulaire étaient accolées à l’église. La collégiale disposait également d’un cimetière d’abord réservé aux chanoines puis acceptant quelques paroissiens. Le chapitre est supprimé en 1760 et la collégiale est détruite en 1762. L’absence de descriptions ou de plans précis avant la destruction, ne permettent que de conjecturer de la disposition de l’ensemble3. Il semble que l’église collégiale et l’église paroissiale n’aient formé qu’une seule institution, voire un seul et même édifice.
Figure 1 : Photographie du xixe siècle présentant deux reliefs encastrés dans le mur d’une maison à Vaudémont.

Figure 2 : Reconstitution du retable au douze apôtres au Musée du Louvre lors de l’exposition du 10 avril au 6 juillet 2009.

Figure 3 : Partie du retable conservée au Metropolitan Museum of Art de New-York.

Figure 4 : Partie du retable conservée au Musée du Louvre.

3Il existe peu d’éléments sculptés conservés provenant de la collégiale4; les trois éléments dont il est question ici font partie de cet ensemble.
Le retable aux douze apôtres
4Les deux reliefs formant les éléments d’un retable aux douze apôtres ont pu être identifiés et réunis grâce au travail de Françoise Baron qui, la première, proposa de les rapprocher lors de l’exposition des Fastes du Gothique en 19815 et permit ainsi de retrouver leur origine vraisemblable. Ils ont été de nouveau réunis lors de l’exposition sur les premiers retables qui s’est déroulée au musée du Louvre du 10 avril au 6 juillet 20096.
5L’ensemble est composé de dix figures d’apôtres (fig. 2). Il manque actuellement deux apôtres, qui existaient encore en 1866, date à laquelle ce relief est décrit par Olry7 : « Sur la façade d’une maison, on remarque, sous de petites arcatures ogivales, une douzaine de statuettes, qu’on suppose être celles des apôtres… ». Selon cette description il est difficile de connaître la disposition initiale du retable composé soit uniquement des douze figures des apôtres ou comprenant, en position centrale et entouré des apôtres, la figure du Christ. Une photographie de 1883 (fig. 1) ne montre plus qu’un élément composé de six apôtres sur une façade de maison. Ce même relief est décrit en 1900 par Souhesmes8 : « Dans la rue du Pressoir, on trouve, enchâssés au-dessus de la porte de la maison Daubacourt deux motifs de sculptures qui doivent provenir de la collégiale. L’un présente une suite de six statuettes, probablement des apôtres, abritées sous des charmantes niches du xive siècle… ». Le retable a donc été démembré entre 1866 et 1883, chacun des éléments ayant eu entretemps et par la suite un historique distinct.
Figure 5 : Apôtres de la façade de la cathédrale de Sens.

6Le relief visible sur la photographie (fig. 1) et composé de six apôtres entre dans la collection Hoentschel avant 1908 et passe ensuite dans la collection Pierpont Morgan qui en fait don au Metropolitan Museum of Art de New York9 en 1916 (fig. 3). Après un apôtre non identifiable, on reconnaît de gauche à droite, saint Barthélemy, saint André (ou saint Philippe), saint Jacques le Mineur, saint Jean l’Evangéliste et saint Pierre.
7Le second élément séparé du précédent entre 1866 et 1883, n’est plus connu à partir de cette date. Il sera retrouvé sur le territoire du IIIe Reich après la Deuxième Guerre mondiale et transmis à la commission de récupération artistique. Il est attribué à l’Office des biens et intérêts privés en 1951 et au musée du Louvre. Après avoir été déposé et exposé entre 1955 et 1983 au musée du Limoges10, il est de nouveau présenté au département des sculptures du musée du Louvre11 (fig. 4). L’identité des apôtres est difficile à établir sauf pour l’apôtre tenant une croix qui pourrait être saint Philippe ou saint André.
8Dû sans doute à leur longue exposition à l’extérieur, l’état de conservation des œuvres est imparfait et il est difficile de juger de la qualité de certaines des figures. Il est toutefois probable que la création de cette œuvre soit contemporaine de la fondation de la collégiale. Le décor architectural assez évolué et le style des apôtres et particulièrement la manière de présenter les personnages dans des postures variées permettent de le dater du second quart du xive siècle. Le style de l’œuvre n’est pas lorrain, il peut être rapproché d’œuvres bourguignonnes comme les apôtres de la façade de la cathédrale de Sens (fig. 5). La figure de saint Jean l’Évangéliste (fig. 6) illustre parfaitement le style donné à l’ensemble du retable. Le saint est entièrement tourné vers l’apôtre qui le suit. Il est vu de profil, son long manteau se déployant en de larges plis jusqu’au sol. Il tient de sa main droite le calice contenant le poison, tandis que sa main gauche prolongée par son bras, vient le recouvrir dans un mouvement peu naturel que lui impose la position du reste de son corps. Le rapprochement stylistique avec des œuvres bourguignonnes a été par ailleurs confirmé par une analyse de la pierre faite lors de l’exposition du musée du Louvre sur les premiers retables qui a permis de déterminer l’utilisation d’une pierre venant de Bourgogne12. Il n’est pas étonnant que la famille de Vaudémont ait pu commander des œuvres à un artiste bourguignon car elle a toujours entretenu des rapports étroits avec la Bourgogne. Le commanditaire a pu soit commander ces œuvres à un sculpteur de la région voisine, soit faire appel à un artiste itinérant.
Figure 6 : Saint Jean l’Évangéliste sur le détail de la partie du retable conservée à New-York.

Figure 7 : Retable dédié à saint Jean Baptiste conservé au Musée du Moyen Âge de Paris.

9Ce retable est également intéressant d’un point de vue iconographique car on y voit apparaître pour l’une des premières fois en Lorraine un thème amené à de grands développements, le retable aux douze apôtres. En effet on date souvent le succès de ce thème du xve siècle alors qu’il apparaît dès le xive siècle dans de nombreuses régions françaises13. Le choix de ce thème s’explique facilement par le souhait d’associer à l’église qui vient d’être fondée la représentation des apôtres en tant que fondateurs de l’Église. Plus profondément, le xive siècle est un siècle de conflits et d’incertitude où la papauté s’installe à Avignon, ce qui est vécu comme une cause d’affaiblissement de l’Eglise. En choisissant de représenter les douze apôtres on souhaite insister sur les fondations de la chrétienté et montrer ainsi aux fidèles l’unicité de l’Église.
Figure 8 : Détail d’un des visages du registre inférieur.

Figure 9 : Détail d’un des visages du retable au douze apôtres.

Figure 10 : Zacharie visité par l’archange Gabriel sur le retable de saint Jean Baptiste.

Figure 11 : Fidèles au Temple.

Figure 12 : Naissance de saint Jean.

Le retable dédié à saint Jean Baptiste
10Ce relief se trouvait sur la façade de la maison Daubacourt, rue du Pressoir à Vaudémont, comme en témoigne la description d’Olry en 186014 : « […]. On trouve encore, à une petite distance de là, des groupes de sculpture dont le sujet est tiré de l’Evangile ». Il est également visible sur une photographie de 1883 conservée aux archives photographiques des Monuments historiques (fig. 1), encastré sur le même mur que le relief composé de six apôtres conservé aujourd’hui à New York. Il est également décrit par Souhesmes en 190015 : « Dans la rue du Pressoir, on trouve, enchâssés au-dessus de la porte de la maison Daubacourt deux motifs de sculptures qui doivent provenir de la collégiale. [… .]. L’autre se compose de quatre bas-reliefs de la même époque : le premier représente la naissance de saint Jean, le second Zacharie visité par l’ange, le troisième et le quatrième doivent se rapporter au même sujet ; on y remarque deux personnages, dont l’un porte un enfant enveloppé de bandelette ». Il a sans doute été retiré de la façade de la maison en même temps que le fragment de retable aux douze apôtres. Le relief entre en 1905 au musée national du Moyen Âge de Paris, donné par un certain Guiraud, non connu par ailleurs, sans mention de sa provenance. Depuis son entrée au musée, bien que publiée dans le catalogue du musée en 192216, l’œuvre avait sombré dans l’oubli (fig. 7).
11Elle continue d’ailleurs d’être citée et étudiée dans les corpus sur la sculpture lorraine en s’appuyant uniquement sur la photographie de la fin du xixe siècle comme dans Simonin17 ou Schmoll-Eisenwerth18.
12C’est lors de la préparation de l’exposition des Premiers retables en 2009 qu’il m’a été finalement possible de faire le rapprochement entre la photographie et l’œuvre conservée19. Elle se présente aujourd’hui dans un cadre moderne en bois. L’œuvre est fragilisée : il y a une grande fracture verticale sur toute la hauteur des deux registres, une autre fracture horizontale sur le registre gauche inférieur.
Figure 13 : Zacharie nomme Jean.

13Quatre scènes sont distribuées sur deux registres. Les scènes se présentent sous une arcade décorée de pinacles et de fleurons. Les deux registres sont séparés par un bandeau simple sans décor apparent. Les reliefs sont usés et empoussiérés, actuellement n’est visible aucune trace de polychromie. Les visage sont très usés ou cassés hormis une figure d’homme au registre inférieur qui montre une très belle qualité et une grande finesse d’exécution (fig. 8).
14L’état de l’œuvre, qui a beaucoup souffert lors de son exposition sur une façade de maison et probablement lors de son démontage, rend peu lisible la sculpture. Toutefois il existe une certaine similitude dans le traitement des visages des personnages entre cet élément (fig. 8) et le retable précédent (fig. 9), qui n’exclut pas une création contemporaine de ces deux œuvres dans le même atelier et dans le second quart du xive siècle.
Figure 14 (ci-dessus et ci-contre) : Naissance et martyr de saint Jean Baptiste. Retable conservé au Musée Vauluisant de Troyes.


Figure 15 : Retable dédié à saint Nicolas conservé au Musée de Mesnil-sur-Oger.

Figure 16 : Retable conservé à l’église paroissiale de Rouvres.

15Les sujets représentés sont liés à la naissance de saint Jean Baptiste. Les scènes se lisent de droite à gauche et du registre supérieur au registre inférieur, qui illustre à chaque fois un épisode venant à la suite de la scène représentée dans la partie supérieure du retable. La première scène représente Zacharie visité par l’archange Gabriel (fig. 10) et la seconde, les fidèles présents au Temple lors de l’apparition de l’ange à Zacharie et qui assiste à sa punition, à savoir son mutisme, conséquence de son incrédulité (fig. 11). La troisième scène représente la naissance de saint Jean, scène à laquelle assiste la Vierge Marie, cousine d’Elisabeth, représentée couchée dans son lit (fig. 12). La quatrième, où l’on remarque deux personnages, dont l’un porte un enfant enveloppé de bandelettes, pourrait être la scène durant laquelle Zacharie, encore muet, à qui l’on présente l’enfant, le nomme Jean en écrivant son nom et recouvre alors la parole (fig. 13)20. Le choix de représenter sur un retable les épisodes de la vie du saint patron de l’église n’a rien de surprenant en soi. Il existe des exemples de ce type dès le xiiie siècle où les saints étaient vénérés à travers leurs reliques, leurs autels et leurs retables21. Pour le xive siècle, deux éléments d’un retable conservé au musée de Vauluisant à Troyes présentent également, dans quatre compartiments, les scènes de la naissance et du martyre de saint Jean Baptiste22 (fig. 14). La compartimentation des scènes telle qu’elle se voit sur le relief de Vaudémont se retrouve également dans le retable dédié à saint Nicolas conservé au musée de Mesnil-sur-Oger (Marne)23 (fig. 15). On peut imaginer que le retable de Vaudémont, au complet, avait une disposition identique, avec une composition faite de deux éléments latéraux en compartiments entourant une figure centrale du saint en relief.
16Dans le cas de Vaudémont, la lecture et l’orientation vers la gauche des personnages permet de supposer que ce panneau se situait à senestre de la figure centrale et pouvait se prolonger avec des scènes de la vie et du martyre de saint Jean Baptiste à dextre. Toutefois, il est peu courant que les scènes ne suivent pas un ordre de lecture de gauche à droite. Il est donc aussi possible qu’un autre sujet ait illustré la partie dextre de ce retable, comme la vie d’un autre saint ou des scènes de la vie du Christ ou de la Vierge. Le retable conservé à l’église paroissiale de Rouvres (fig. 16) présente ce type de composition avec une figure centrale de la Vierge et l’Enfant, au centre, entourée de scènes de l’enfance et de la vie du Christ à dextre et des scènes de la vie d’un saint non identifié à senestre24.
Conclusion
17Face à ces deux œuvres, se pose la question de leur emplacement dans une même église, dans le cas présent une collégiale d’assez modeste proportion. Leur création successive pourrait résulter d’une évolution du goût des commanditaires, mais les deux œuvres sont probablement contemporaines. Plus certainement, comme cela se voit encore de nos jours à la basilique de Saint-Denis, selon une disposition qui devait être courante dans les églises, il a pu exister différents retables dans un même édifice dont un au maître-autel et les autres placés sur l’autel de chaque chapelle. Dans le cas des deux retables de Vaudémont, le fait d’avoir choisi d’illustrer la vie du saint patron de l’église dans l’un des retables laisse penser que celui-ci devait probablement occuper la place centrale au maître-autel dans la collégiale, visible par les chanoines. Le retable aux douze apôtres, par le choix même de son iconographie, devait, quant à lui, prendre place au-dessus de l’autel réservé aux paroissiens dans la collégiale, à moins qu’il n’ait été créé pour l’église paroissiale voisine s’il existait deux édifices distincts.
18Par ailleurs il existe un troisième retable aux douze apôtres du xvie siècle25, sans doute créé pour l’église paroissiale et remployé sur la façade de l’église actuelle, ce qui pose la question d’une succession ou d’une cohabitation de ces trois retables ou bien encore, l’existence d’un retable propre à chacun des lieux où était proclamé la messe dans l’ensemble formé à Vaudémont par la collégiale, la chapelle castrale et l’église paroissiale.
19Face à ces trois éléments, on ne peut que regretter qu’ils ne nous soient pas parvenus dans leur intégralité, tant les éléments encore conservés montrent des œuvres d’une très grande qualité.
Notes de bas de page
1 Conservé de nos jours au Metropolitan Museum of Art de NewYork, Inv. 16.32.169, et à Paris au département des sculptures du musée du Louvre, Inv. RFR 15.
2 Conservé à Paris au musée national du Moyen Âge, Inv. Cl 14334.
3 Gérard Giulato, Châteaux et villes fortes du comté de Vaudémont en Lorraine médiévale, Nancy, 2008, p. 205-206 et Catherine Guyon, voir dans cet ouvrage.
4 Sont également conservés les tombeaux des fondateurs actuellement présentés au musée lorrain de Nancy ; voir Béatrice Thouvenot, ici même.
5 Les Fastes du Gothique. Le siècle de Charles V [Paris, Galeries nationales du Grand Palais, 1981-1982], notice 11.
6 Les premiers retables. Une mise en scène du sacré [Paris, musée du Louvre, 2009], notice 35 a, b.
7 Étienne Olry, « Répertoire archéologique des cantons de Haroué et Vézeglize », dans Mémoires de la société d’archéologie lorraine, 2e série, t. 8, 1886, suppl. p. 369 et suiv., mais pagination à part, p. 111-189.
8 Robert de Souhesmes, « Excursion du 5 juillet 1900 [à Sion et Vaudémont] », dans Journal de la société d’archéologie lorraine, t. 49, 1900, p. 162-166.
9 William Wixom, « Medieval sculpture at the Metropolitan - 800 to 1400 », dans The Metropolitan Museum of Art Bulletin, printemps 2005, vol. LXII, n° 4, p. 36.
10 Musée municipal de Limoges, Guide archéologique, 1969, n° 211.
11 Françoise Baron, Musée du Louvre- Sculpture française, t. 1, Moyen Âge, Paris, 1996, p. 122.
12 Analyse faite par Annie Blanc et Philippe Blanc et Lise Leroux.
13 Les premiers retables, op. cit., p. 91-92.
14 Étienne Olry, op. cit., p. 111-189.
15 Souhesmes, op. cit., p. 162-166.
16 Édmond Haraucourt et François de Montrémy, Musée des thermes et de l’hôtel de Cluny – Catalogue général – I – La Pierre, le marbre et l’albâtre, Paris, 1922, n° 257.
17 Pierre Simonin, « Retables sculptés gothiques et de la première Renaissance en Lorraine » dans Lotharingia. Archives lorraines d’archéologie, d’art et d’histoire, t. 2, 1990, n° 4.
18 Josel Adolf Schmoll dit Eisenwerth, Die lothringische Skulptur des 14. Jahrhunderts. Ihre Voraussetzungen in der Süd-champagne und ihre ausserlothringischen Beziehungen, Petersberg, Imhof, 2005, n° 344.
19 Les premiers retables, op. cit., corpus n° 82, p. 233.
20 Seuls sont visibles ici les deux personnages présentant l’enfant à Zacharie
21 Les premiers retables, op. cit., p. 51-59.
22 Les premiers retables, op. cit., n° 45 a, b.
23 Les premiers retables, op. cit., corpus n° 57, p. 222.
24 Les premiers retables, op. cit., corpus n° 95, p. 239.
25 Simonin, ici même.
Auteur
-
Christine Vivet-Peclet
Responsable de la documentation Département des sculptures - Musée du Louvre
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