Introduction

1Nous nous proposons dans ce travail3 d’évaluer la variation moyenne de la valeur des acquisitions d’œuvres belges par l’État français de 1890 à 1940 en fonction de leurs caractéristiques. Nous disposons du corpus exhaustif de ces acquisitions qui comprennent 354 œuvres de 138 artistes. Ce corpus a été constitué à partir de dossiers conservés aux Archives nationales françaises et de différentes bases de données des institutions culturelles françaises.

2Pour une partie de ce corpus (288 œuvres), nous connaissons « les modalités de l’échange » : c’est-à-dire les prix reçus en contrepartie de l’œuvre si l’acquisition s’est faite à titre onéreux, ou bien si l’œuvre a été cédée à titre gracieux, ce qui s’assimile à un prix nul. Ce sont donc ces 288 œuvres qui constituent les « individus » de l’échantillon dont nous cherchons à établir les valeurs en fonction d’une série de caractéristiques des œuvres et des artistes, et de l’échange lui-même (date, modalités…). La technique de régression statistique que nous utilisons tient compte de l’ensemble de l’échantillon, y compris lorsque la modalité de l’échange est le don (74 œuvres). Techniquement, la présence de ces dons peut s’interpréter comme une variable censurée, ce qui signifie que l’on n’exclut pas a priori que pour chacune de ces œuvres, l’artiste aurait pu avoir été prêt à (et empêché de) recevoir un prix « négatif », c’est-à-dire prêt à payer pour voir son œuvre acquise par l’état. Par extension sur l’ensemble des œuvres de l’échantillon envisagé sous cet angle, il devient probable que la valeur de l’acquisition pour l’artiste est plus élevée que son prix, et ce qui apparaît évident lorsque la modalité de l’échange est le don, et peut être généralisé à l’ensemble des acquisitions.

3Cela rejoint un débat plus général sur la spécificité de l’État, représenté essentiellement par les musées publics, en tant qu’agent particulier sur le marché de l’art. Pommerehne and Feld (1997)4, par exemple, ont trouvé qu’à caractéristiques égales, les musées publics avaient tendance à acheter plus cher que les autres agents les œuvres vendues aux enchères sur le marché de l’art. Le nombre important et la répartition des dons dans l’échantillon plaident ici pour le phénomène inverse. Nous connaissons encore très peu de chose sur la logique des dons d’œuvres, qui ne sont d’ailleurs pas réservés à l’État5. Certains collectionneurs, certains marchands, reçoivent régulièrement de la part d’artistes, des dons d’œuvres. Sans être trop réducteur, on peut penser ici à une forme élaborée de « paiement en nature », partiellement transposable au musée. L’explication la plus simple, en ce qui concerne les acquisitions que nous considérons, est alors de supposer que l’État est en mesure de payer les œuvres moins chères. Cette hypothèse est également corroborée par des témoignages ponctuels qui font état d’acquisitions pour lesquelles l’achat d’une œuvre publique s’est fait à un prix inférieur à celui auquel il aurait pu trouver un autre acquéreur sur le marché. Une fois la régression statistique effectuée et les caractéristiques ayant un impact significatif mis en évidence, nous fournissons une calibration de l’ordre de grandeur de la « prime d’acquisition publique » moyenne, c’est-à-dire l’écart entre la valeur de l’acquisition et le prix auquel l’artiste accepte de céder son œuvre à l’État. Pour effectuer cette calibration, nous avons collecté des prix dans des catalogues de vente, et en utilisant les résultats de la régression, nous les avons comparés à la valeur qu’auraient eue ces œuvres considérant leurs caractéristiques, si elles avaient fait partie de l’échantillon.

4Cette étude quantitative se propose donc de donner un nouvel éclairage sur les processus d’acquisition des œuvres par l’État français6. Nous procéderons en trois étapes. Après une présentation de la base de données et de l’ensemble des caractéristiques portant sur les œuvres, les artistes et sur les modalités de l’échange, nous présenterons la méthode et les résultats de la régression. Nous donnerons ensuite des éléments qui corroborent l’interprétation en terme de « prime publique » à l’artiste lors d’acquisition par l’État.

Les œuvres et leurs caractéristiques

5La base de données a été établie par recoupement entre les dossiers « papier » des Archives nationales7, la base informatique du Fonds national d’art contemporain, les dossiers des œuvres concernées conservées aux documentations du musée d’Orsay et du musée national d’Art moderne à Paris, les bases de données informatiques Joconde8 et Arcade9, les catalogues successifs du musée du Luxembourg10 et du musée du Jeu de Paume11 ainsi que l’inventaire rétroactif de ce dernier musée rédigé par André Dezarrois en 195912.

6Les principales qualités de notre base de données sont l’homogénéité et la précision des données sur un laps de temps assez long (une cinquantaine d’années).

Les modalités de l’échange

7Les trois premières caractéristiques des 288 œuvres de notre échantillon portent sur les modalités de l’échange qui permettent de contrôler l’homogénéité des conditions de l’acquisition.

Fig. 1 – Les modalités de l’échange : répartition des caractéristiques des 288 œuvres de l’échantillon permettant de contrôler l’homogénéité des conditions de l’acquisition.

Le mode d’acquisition de l’œuvre

8La forte proportion de dons (74 sur 288 œuvres, soient 25,69 % de l’échantillon) nous a permis de reconsidérer la valeur de l’ensemble des œuvres en tenant compte d’un argument de continuité entre ces œuvres données et d’autres œuvres possédant des caractéristiques proches. Le fait d’entrer dans les collections de l’État français était considéré par beaucoup d’artistes comme un honneur, voir comme une façon d’influencer favorablement le reste de leur carrière13. La valeur réelle de ce gain pour l’artiste est difficile à estimer puisqu’on ne peut pas observer la valeur de l’œuvre par la suite, étant donné l’obligation de non-cession des œuvres acquises par l’État français.

Le prix des œuvres achetées

9Nous connaissons le prix de 214 œuvres en francs français (FF) courants. Cette indication à elle seule n’est pas suffisante pour comparer les valeurs des œuvres puisque deux œuvres achetées au même prix monétaire à deux dates éloignées peuvent avoir des valeurs extrêmement différentes en tenant compte de la variation de la valeur du FF durant la période. Pour donner un ordre d’idée de la distribution de ces prix, nous pouvons considérer un histogramme :

Fig. 2 – Histogramme de la distribution des prix.

10Pour saisir les variations de ces prix, considérons un graphique qui donne l’écart type versus la moyenne de ces prix ordonnés dans l’ordre croissant regroupé en seize classes de quatorze :

Fig.3 – Graphique donnant l’écart type par rapport à la moyenne des prix ordonnés dans l’ordre croissant et regroupés en seize classes de quatorze.

11Un groupe isolé d’œuvres atteint des valeurs extrêmes (supérieur à 10 000 F). En refaisant le même exercice sans cette première classe, nous avons quinze classes réparties de la manière suivante :

Fig.4 – Même graphique que celui de la figure3, sans la seizième classe.

Le fait que l’artiste soit vivant ou non

12Dix-sept des œuvres d’art belge acquises par l’État français durant la période – soit 5,9 % – sont entrées par don ou legs de la famille de l’artiste alors que celui-ci était déjà décédé. C’est évidemment une modalité d’échange très différente de l’acquisition sur le marché, ce qui débouche potentiellement sur une valeur d’acquisition également différente. Techniquement, toutes ces œuvres sont « des dons », que la simple observation du prix ne nous permet pas de distinguer des autres dons. La régression d’ensemble nous permettra de conclure si ces dons particuliers affichent une valeur différente ou pas, c’est-à-dire si la valeur de l’acquisition est plus grande ou moins grande que dans le cas des autres dons.

L’occasion de l’acquisition

13L’œuvre peut provenir d’un achat dans une exposition ponctuelle (exposition monographique de l’artiste, exposition thématique – généralement nationale – dans un musée ou une galerie, etc.). ou bien l’œuvre provient d’un achat dans un salon régulier (type Salon des artistes français, Salon de la Société nationale des beaux-arts ou Salon d’automne). Les œuvres données, répondant à d’autres procédures d’acquisition, ne sont naturellement pas concernées par cette caractéristique. Sur les 214 œuvres achetées, 115 l’ont été dans le cadre de ces expositions ponctuelles et 99 dans des salons dits « réguliers ». Les informations concernant ces données se trouvent généralement dans les dossiers des Archives nationales françaises, où figure même parfois le catalogue de l’exposition ou du salon dans lequel a été achetée l’œuvre. Cette dernière modalité est susceptible de traduire un comportement différent des agents sur le marché (État et artistes). Elle nous permet de vérifier si, parmi les acquisitions onéreuses, celles qui ont été réalisées au cours de ces expositions ont des valeurs différentes ou non de celles qui sont achetées dans des salons réguliers.

La destination de l’œuvre

14Les œuvres peuvent avoir été placées dans les grands musées nationaux parisiens (musée du Luxembourg jusqu’en 1921, musée des écoles étrangères contemporaines du Jeu de Paume après 1921, Bibliothèque nationale), ou bien affectées à un établissement public (mairie, ministère, ambassade) ou à un musée de province. La visibilité de ces deux catégories n’étant pas les mêmes, nous nous demandons si l’État achetait plus cher dans le cas des musées ou si, au contraire, les artistes donnaient plus facilement leurs œuvres pour les musées (et des œuvres de plus de valeur). 151 des 288 œuvres de la base ont été accrochées dans les musées nationaux (52,43 %). L’indication de la destination de l’œuvre se trouve, elle aussi, dans les dossiers.

La localisation temporelle et spatiale des agents

15L’ensemble des acquisitions que nous considérons porte sur une période étendue et concerne des agents échangeant à des dates différentes dans des pays différents. On peut distinguer trois grands types d’agent : l’État français, tout d’abord, dont la localisation géographique est fixée, puis les artistes résidant en Belgique, et enfin les artistes résidant en France. La localisation des artistes peut varier à chaque date d’acquisition. Nous sommes donc devant une série d’échange dont les conditions varient.

La domiciliation de l’artiste au moment de l’acquisition de son œuvre

16Cent trente-huit des acquisitions de cette base sont le fait d’un artiste belge domicilié en France – soit47,91 % –. Le pourcentage d’artistes belges résidant en France à l’époque est assez important, certes, mais pas à un tel point. Ces chiffres nous indiquent donc que, proportionnellement au nombre total des artistes belges de la période, un artiste belge domicilié en France avait beaucoup plus de chance de vendre une œuvre à l’État français qu’un artiste belge domicilié en Belgique (ce qui peut se comprendre). Les informations concernant la domiciliation des artistes figurent dans les contrats de vente des œuvres conservées dans les dossiers des Archives nationales. En cas de besoin, elles peuvent être complétées par des éléments biographiques de l’artiste.

La date d’acquisition de l’œuvre

17Cette donnée est directement issue du ou des dossiers d’archives de l’acquisition. La double différenciation créée par la localisation de l’artiste et la date d’acquisition de son œuvre entraîne que l’unité dans laquelle est exprimé le prix de l’œuvre n’est pas constante d’un type d’agent à l’autre et d’une date à l’autre. Un même prix ne peut donc avoir la même valeur pour les agents considérés à toutes les dates et dans les deux pays. Cette longue période est en effet marquée par des variations importantes de la valeur de la monnaie française sur le territoire français, de la valeur de la monnaie belge sur le territoire belge et, pour la fin de la période, des variations du taux de change entre les deux monnaies. Dans un premier temps, nous devons considérer qu’un même prix payé par l’État pour une œuvre achetée à deux dates éloignées doit être corrigé en fonction des variations de la monnaie pour être considéré comme une charge équivalente pour l’État. La correction que nous avons adoptée exprime tous les prix dans une unité identique : l’euro 2007. Dans un second temps, il faut considérer que le même prix payé à deux artistes résidant dans deux pays différents doit être corrigé différemment car il ne procure pas tout à fait des revenus identiques aux artistes domestiques (ceux qui vivent en France) et aux artistes « importateurs » (ceux qui vivent en Belgique). Pour faire cette correction, nous avons donc appliqué aux artistes belges une correction différente qui prend en compte le taux de change et l’évolution du Franc belge elle aussi rapportée à sa valeur en euro2007. La valeur que nous avons obtenue s’interprète donc comme le revenu procuré par la cession de chaque œuvre à chaque artiste, respectivement sur leur sol, exprimé dans une unité commune. La valeur absolue des œuvres en euro2007 n’a pas un degré de précision suffisant pour qu’on puisse interpréter cette valeur « à la lettre », c’est-à-dire par rapport à la valeur de tableaux vendus aujourd’hui. Par contre les variations entre les œuvres de l’échantillon peuvent être interprétées puisqu’elles sont exprimées dans une unité commune. Et ce sont précisément ces variations que nous cherchons à régresser sur les caractéristiques.

Les caractéristiques de l’œuvre proprement dite

18Il s’agit d’envisager ici les caractéristiques propres à l’œuvre elle-même : technique, genre et dimensions.

La technique de l’œuvre

19Sur 288 œuvres, 179 se révèlent être des peintures,76 des dessins ou des gravures et33 des sculptures. La prédominance du genre peint sur le genre sculpté dans les achats de l’État n’est pas à proprement parler une surprise : nous avons déjà eu l’occasion de montrer en quoi ce type d’acquisition posait des problèmes en termes de prix (souvent plus élevé que celui de la peinture) et de taille (la sculpture, en trois dimensions, n’est pas toujours aisée à placer et déplacer dans les musées ou édifices publics)14. Cette donnée est généralement reprise dans les dossiers. Si ce n’est pas le cas, la vision de l’œuvre permet de la déterminer.

Le genre de l’œuvre

20La hiérarchie des genres régit la production artistique européenne depuis le xvii^e siècle. On sait que cette conception, qui donnait la suprématie au genre historique, se modifie petit à petit au cours du xix^e siècle. Qu’en est-il durant notre période ? 16 des 288 œuvres achetées s’inscrivent dans le genre historique, 80 dans celui de la scène de genre,44 dans celui du portrait, 27 dans celui de la nature morte, et 121 dans le genre du paysage. Le genre historique est donc largement sous-représenté par rapport au paysage, comme le laisse prévoir l’évolution des genres dans la production des artistes eux-mêmes depuis la seconde moitié du xix^e siècle. En est-il de même concernant sa valeur monétaire ? Nous le verrons par la suite. Les genres ont généralement été attribués à partir du titre de l’œuvre et de sa reproduction.

La taille de l’œuvre

21Cette donnée, très précieuse comme nous le verrons par la suite, est généralement disponible dans le dossier de l’œuvre mais pas toujours dans les bases de données qui les recensent. C’est pourtant une donnée primordiale. Dans le cas où nous avions des mesures différentes – soit pour « avec » et « sans cadre » –, nous avons toujours gardé la plus importante, considérant que le travail du cadre faisait partie du prix de l’œuvre et que sa présence devait être prise en compte dans le placement de l’œuvre au sein du musée. Le format général de l’œuvre suit la tendance suivante :

Fig. 5 – Évolution du format général des œuvres (rapport l x h).

22On remarque que deux œuvres, particulièrement grandes, s’éloignent du format moyen. On les considérera donc comme des « valeurs extrêmes » dans la suite du travail. Sans ces valeurs extrêmes, le format suit :

Fig. 6 – Même graphique que celui de la figure 5 sans les deux œuvres particulièrement grandes.

Les caractéristiques de l’artiste

23Ont été considérés comme belges les artistes les artistes présentés comme tels dans les dossiers, inventaires et catalogues d’exposition de l’époque. Lorsque aucune indication de nationalité était donnée, nous avons considéré comme belges les artistes nés en Belgique ou de parents belges, ayant été formés et pouvant être considérés comme participants de la scène artistique belge.

24En ce qui concerne les caractéristiques des 288 œuvres de notre échantillon (soit la sélection des œuvres dont le prix est renseigné parmi les354 œuvres du corpus), nous connaissons les caractéristiques suivantes :

Le sexe de l’artiste

2521 des 288 acquisitions que nous étudions ont été réalisées auprès de femmes. Ces acquisitions d’œuvres d’artistes femmes sont comprises dans une fourchette temporelle très tardive, puisque celles-ci débutent en 1906 et se clôturent en 1938. De nombreuses questions ont été abordées sur la discrimination homme-femme en art. Cowen (1996)15 avance l’idée que la source de discrimination se situe plutôt dans les familles qui découragent davantage les filles qui ont des ambitions artistiques que les garçons. Une fois sur le marché, cet auteur constate que les œuvres des femmes qu’il a considérées ne semblent pas atteindre des prix différents que celles des artistes hommes. En sera-t-il de même dans notre étude ?

L’origine de l’artiste

26Cent trois des artistes concernés par notre échantillon sont nés en Flandre et 54 en Wallonie, ce qui signifie que les 131 acquisitions restantes concernent des artistes d’origine bruxelloise. Cette supériorité en nombre n’annonce pas spécialement une supériorité en prix, nous le verrons ultérieurement. Ces quatre premières données ont été établies par rapport à la biographie de l’artiste dont le nom était mentionné dans les dossiers.

L’âge de l’artiste au moment de l’acquisition

27L’amplitude de cette donnée s’étend de 17 à 81 ans. Les artistes décédés en sont évidemment exclus. Cette donnée est calculée à partir de la date d’acquisition de l’œuvre mentionnée dans le ou les dossiers d’archives et les éléments biographiques de l’artiste.

Traitement des données manquantes et des « données témoins »

28Trois caractéristiques ne sont pas renseignées pour toutes les œuvres : il s’agit 1) de la domiciliation, 2) de l’occasion de l’acquisition et3) de la destination de l’œuvre ; on compte respectivement 53, 34 et4 données manquantes. Nous avons remplacé ces valeurs manquantes par une prévision de ces variables qualitatives en effectuant trois régressions Probit successives sur l’ensemble de toutes les autres caractéristiques renseignées, dans l’ordre du nombre de données manquantes décroissant 1), 2) puis3). Cette méthode permet de garder un maximum d’entrées dans la base, en accentuant, il est vrai, les tendances déjà présentes mais sans les déséquilibrer en moyenne.

29La première a donc été réalisée sur 288-53-34-4 = 201 œuvres. Les coefficients affectant chaque caractéristique obtenue dans cette première régression ont ensuite été appliqués aux caractéristiques des 53 œuvres dont la domiciliation est manquante en considérant qu’elles suivent en moyenne l’équation du Probit.

30La seconde et la troisième régression Probit, respectivement effectuée sur 254, puis sur 284 œuvres, permettent successivement de prédire les34, puis les4 données manquantes, à savoir celles de l’occasion de l’acquisition puis celles de la destination.

31Signalons également que4 œuvres « témoins » ont été acquises en dehors de la période que nous étudions : soit en 1850, 1863, 1865 et 1868. Ces premiers achats sont donc isolés, ce qui peut paraître important car à ces dates-là, il n’existait pas encore une politique consciente d’acquisitions d’œuvres d’art étranger mise en place par Léonce Bénédite, nommé conservateur du musée du Luxembourg en 1891. Nous avons donc contrôlé si ces4 œuvres affichaient ou non des écarts extrêmes aux valeurs moyennes et si elles changeaient ou non les résultats sur la significativité des coefficients dans les régressions statistiques effectuées. Nous avons conclu qu’on ne pouvait pas considérer que ces quatre œuvres « se distinguaient » du reste de l’échantillon et nous les avons donc maintenues.

La valeur des œuvres

32La valeur des œuvres lors de leur acquisition par l’État français se fixe à toutes les dates dans un échange entre trois types d’agents : 1) l’État, qui dépense un budget d’acquisition, 2) les artistes « domestiques », qui utilisent la partie de ce budget qu’ils captent sur le sol français, et3) les artistes « importateurs » domiciliés en Belgique, qui utilisent la leur sur le sol belge. Un même budget en terme réel payé par l’État ne correspond donc pas au même revenu en terme réel pour ces deux groupes d’artistes. La variable PP exprime la valeur de chaque œuvre en terme réel (exprimée en euros2007) du point de vue de la dépense de l’État. La variable PPP, quant à elle, exprime cette valeur du point de vue du revenu des artistes « sur leur sol ». Pour les artistes domestiques, ces deux valeurs coïncident, mais pour les importateurs, elles peuvent être assez différentes.

33Nous avons vérifié si les termes de l’échange, c’est-à-dire le rapport des indices des prix corrigé du taux de change, avaient eu une influence sur l’appel aux importateurs en effectuant un probit de la domiciliation sur ce rapport. Ils n’en ont pas. Les variables monétaires n’ont donc pas influencé significativement la part à l’équilibre de ces deux groupes.

Dépense de l’État, revenus des artistes

34On comprend mieux la nécessité de prendre en compte cette distinction si on compare l’effet de la domiciliation sur ces deux variables PP et PPP. En effet, en effectuant un Tobit PP vs toutes les caractéristiques en considérant le coefficient de la domiciliation, on s’aperçoit que les artistes domestiques sont payés significativement plus cher par l’État français (+4 146 €2007). En effectuant la même régression sur PPP, l’écart s’amenuise (+3 118). Nous pouvons donc déduire de la première régression, qu’à caractéristiques de l’œuvre égales, l’État accorde plus de valeur aux artistes domiciliés en France mais que cette différence de traitement ne se traduit pas intégralement par une différence de revenu pour les artistes car les artistes belges bénéficient de conditions monétaires qui leur sont favorables. On peut penser que cette différence de traitement a deux origines. Tout d’abord, le simple fait de résider en France peut procurer un « avantage commercial » aux artistes qui sont plus proches des réseaux d’influence, possèdent sans doute une meilleure information et sont affranchis des coûts de transport, de l’œuvre ou de l’artiste, par rapport aux « importateurs ». Ensuite, l’État a sans doute pu prendre en compte l’opportunité de payer partiellement moins cher les artistes résidant sur le sol belge, puisque ceux-ci ont visiblement bénéficié d’un revenu plus important que la dépense de l’État donnée. Il y aurait donc ici l’indice de la prise en compte par l’État de la différenciation de l’offre en fonction de la domiciliation. Cette prise en compte n’est possible que lorsqu’un acheteur occupe une position de monopsone. Cela corrobore donc l’idée, dont témoigne déjà l’importance quantitative des dons d’œuvres par les artistes dans notre échantillon, que la commande publique constitue un segment particulier du marché de l’art.

Fig.7 – Comparaison des variables PP et PPP en fonction de la domiciliation de l’artiste.

35Une œuvre atteint une valeur très importante pour la variable PPP. Pour cette œuvre, PP est égal à37278 € et PPP à 66186 €. Nous l’avons donc considérée comme une valeur extrême, et retirée de l’échantillon. Il s’agit du fameux triptyque de Léon Frédéric, Les Âges de l’ouvrier, aujourd’hui conservé au musée d’Orsay et qui a été acheté 10 000 francs en 1898.

36Après avoir fait cela, nous avons regroupé ces deux valeurs, PP et PPP, par classes de seize œuvres dont les moyennes et l’écart-type sont.

37Pour PP :

Fig. 8 – Écart-type moyen en fonction de la moyenne de la valeur par groupe.

38Et pour PPP :

Fig. 9 – Écart-type moyen en fonction de la moyenne de la valeur par groupe.

39À ces variations dues en partie au taux de change, il faut ajouter qu’en vertu de loi française du 25 juin 1920 et du décret, français lui aussi, du7 septembre 1923, les artistes belges étaient taxés à hauteur de 12 % à la douane française sur le prix de leurs œuvres vendues en France, alors que les Français, eux, ne l’étaient pas. De nombreuses voix, aussi bien belges que françaises, se sont élevées à l’époque pour dénoncer ce qui était perçu par certains comme une « injustice16 ».

La régression Tobit expliquant le revenu des artistes PPP

40Un autre tableau est atypique. Il est très grand, d’un format très différent (cf. supra.). Il s’agit de La France et la Belgique élèvent leurs enfants à la source du Droit et de la Justice, de Constant Montald, acquis en 1925. Nous l’avons donc également retiré de l’échantillon pour effectuer la régression. Sans ces valeurs extrêmes, il nous reste donc 286 individus.

41Voici le résultat de notre estimation Tobit sur 286 estimations (variable dépendante PPP) :

Modèle 8 : estimation en Tobit avec 286 observations 1-286. Variable dépendante : PPP

Les coefficients significativement différents de zéro

42Le coefficient de la première colonne indique l’effet de la caractéristique sur le revenu réel de l’artiste (variable PPP). Sont donc significatives les caractéristiques suivantes :

L’origine de l’artiste

43L’origine flamande a un effet (faiblement) significatif sur le revenu moyen procuré par l’œuvre qui rapporte à l’artiste + 2282 €, que l’origine bruxelloise. Est-ce dû à l’aura des artistes flamands au regard de l’histoire de l’art ? Nous pouvons le penser, les articles de presse mentionnant souvent les qualités ancestrales de l’art « flamand17 ». L’effet observé ne permet pas, cependant, d’affirmer que tout artiste flamand était nécessairement mieux payé qu’un artiste bruxellois ou wallon. Nous ne pouvons que le suggérer.

L’année d’acquisition de l’œuvre

44Il existe un trend très significatif à la baisse du revenu procuré par les œuvres de – 258 €/an. On constate en effet, de 1900 à 1940, une constante diminution du prix des œuvres. À tel point que l’on ne trouve plus d’œuvre acquise pour plus de 10000 euros 2007 après 1910 (année de l’achat du groupe sculpté Les Baigneuses, par Yvonne Serruys, justement placé, aujourd’hui, dans les jardins de l’École normale supérieure), et pratiquement plus les 5 000 euros2007 pendant toute la période 1920-1940 (sauf à trois reprises : dans le cas d’Yvonne Serruys encore, en 1922, avec son buste La Tourangelle, non récolé par le Fonds national d’art contemporain mais censé se trouver à la préfecture du Tarn à Albi depuis le 19 décembre 1922 ; dans le cas de Victor Gilsoul, lui aussi en 1922, avec son tableau, Quai à Bruges au jour tombant, aujourd’hui déposé au musée des Beaux-Arts et de la Dentelle à Calais ; et de nouveau dans le cas d’Yvonne Serruys, en 1928, avec son Ève d’aujourd’hui, buste en marbre blanc aujourd’hui déposé à la mairie de Louveciennes). Voici ce que donne la vision du trend à la baisse sur les graphiques :

Figure 11 – Répartition des variables PPP et PPP* par rapport à l’année d’acquisition.

45Ce premier graphique indique les prévisions PPP* par le modèle (croix bleues) et les valeurs observées PPP (croix rouges). Certaines valeurs PPP* sont négatives. Elles correspondent à certains dons. Un groupe d’œuvres affiche des valeurs très négatives sur la droite : il s’agit du groupe des décédés, mais ces valeurs négatives n’ont pas de sens statistique. Nous devons les retirer.

46Le graphique qui suit reprend donc uniquement les valeurs PPP* pour les œuvres acquises du vivant de l’artiste :

Fig. 12 – Répartition de la variable PPP* par rapport à l’année d’acquisition (uniquement pour les artistes vivants).

47Enfin, ce graphique indique la valeur PP*, c’est-à-dire la « valeur nette » dépensée par l’État. Lorsque l’œuvre est donnée, on peut interpréter cette valeur comme le gain net que fait le musée en acquérant une œuvre à titre gracieux :

Fig. 13 – Répartition de la variable PP* par rapport à l’année d’acquisition (uniquement pour les artistes vivants).

48La dépense par œuvre effective est, bien entendu, la variable PP elle-même représentée ici par décade. L’ajustement MCO donne la valeur moyenne par décade et par œuvre. On constate qu’elle décroît fortement :

Fig. 14 – Répartition de la variable PP par décade d’acquisition (avec ajustement des moindres carrés).

49Comment expliquer cette baisse du prix d’achat des œuvres d’art belges ? Tout d’abord par le fait que le nombre d’œuvres achetées s’est accru, lui : on en compte 11 dans la décennie 1890-1899 ;40 dans la décennie 1900-1909 ; 56 dans la décennie 1910-1919 (dont 36 durant la Première Guerre mondiale) ;46 dans la décennie 1920- 1929 ; et47 dans la décennie 1930-1940.

Fig. 15 – Répartition du nombre d’œuvres achetées par décade d’acquisition.

50Mais la récurrence des achats ne suffit pas à expliquer la baisse du prix de ceux-ci. Si l’on compare le volume d’achat effectué chaque année pour des œuvres d’art belges, là encore on constate une très nette baisse après 1917. Pourtant, il ne semble pas y avoir de corrélation entre cette déclinaison et le budget général des Beaux-arts en France durant la période : si l’on se fie à l’étude que donne Marie-Claude Genet-Delacroix de celui-ci dans son ouvrage Art et État sous la III^e République18, le budget affecté aux « Travaux d’art, commandes, achats, secours et action artistique », diminue de 1911 à 1927 mais augmente de 2,3 % en 1927 et de 87 % en 1932. Par la suite, il diminue encore à deux reprises, en 1933 et en 1936 (où il perd39,6 %) et augmente à nouveau, de 185 %, en 1937. Cette très nette rupture entre l’avant et l’après Première Guerre mondiale questionne à plusieurs niveaux : les artistes étaient-ils nombreux au point de devoir « casser » leurs prix pour vendre quelque chose ? Ou, au contraire, le prestige d’appartenir à la collection étatique française était-il devenu tel que les artistes eux-mêmes étaient prêts à vendre leurs œuvres à des prix de plus en plus bas pour y figurer ? La question mérite d’être posée, et les deux réponses sont probablement corrélées.

La technique de l’œuvre

51La peinture et les dessins/gravures ont entraîné des revenus moyens moins importants que la sculpture, respectivement –4 290 € et –4 424 €. Comme nous avions déjà eu l’occasion de le montrer dans un précédent article19, le coût très élevé de la sculpture est, probablement, lié au problème de l’exposition, une des raisons pour laquelle la sculpture est tellement peu achetée par l’État français. C’est ce qui est corroboré ici.

Le genre de l’œuvre

52Le portrait rapporte moins (–3 020 €) en moyenne que le paysage. Ce résultat n’est pas surprenant, dans la mesure où le portrait est avant tout une œuvre d’ordre privé. On constate aussi que la peinture d’histoire – généralement considérée comme le genre le plus onéreux –, lorsqu’elle est corrélée à la taille de l’œuvre, ne vaut pas nécessairement plus cher que les autres genres.

La taille de l’œuvre

53Il existe un effet de la taille, à savoir que la valeur augmente de 47,12 € par centimètre de hauteur. L’effet de cette variable est très important, car il nous permet d’expliquer comment la prise en compte de la censure PPP>020 dans le modèle statistique utilisé permet d’améliorer la valeur de la prédiction.

54En effet, la prévision PPP* et la vraie valeur PPP figurent dans le graphique suivant en fonction de H :

Fig. 16 – Répartition des variables PPP et PPP* en fonction de la hauteur des œuvres (H).

55Le fait de prendre en compte la censure statistique corrige la prévision pour les valeurs des petites œuvres qui ont tendance à être moins chères, comme on le voit sur ce graphique qui indique la différence DIFTOBMCO entre la prévision PPP* du Tobit et celle qu’aurait donnée la méthode des moindres carrés ordinaires :

Fig. 17 – Différence DIFTOBMCO entre la prévision PPP* du Tobit et celle qu’aurait donnée la méthode des moindres carrés ordinaires dans le cas des œuvres achetées.

56Évidemment, c’est aussi pour les œuvres données que cette différence est la plus importante :

Fig. 18 – Différence DIFTOBMCO entre la prévision PPP* du Tobit et celle qu’aurait donnée la méthode des moindres carrés ordinaires dans le cas des œuvres données

57La méthode permet donc de ne pas sous-estimer la « prime à l’acquisition publique » dans un échantillon où la proportion de dons, qui concernent des œuvres en moyenne plus petites et de moindre valeur, est importante.

L’occasion de l’acquisition

58Les expositions ponctuelles (exposition monographique de l’artiste, exposition thématique dans un musée ou une galerie, etc.) rapportent +4 126 € en plus que les salons réguliers (type Salon des artistes français, Salon de la Société nationale des Beaux-arts ou Salon d’Automne). L’impact de cette variable s’explique très bien par la différence de contexte concurrentiel entre les deux situations. La première est surtout un acte de faveur fait envers une institution ou un artiste (d’ailleurs bien plus souvent en faveur d’une institution – la diplomatie belge dans le cas des expositions internationales, le galeriste dans le cas des expositions en galerie, etc.), tandis que, dans la seconde, les artistes sont en concurrence sur un marché plus « ouvert » et l’offre d’œuvres est pléthorique. C’est un effet similaire qui se surajoute à l’effet de la domiciliation : 47,61 % des artistes domiciliés en France accèdent à ces expositions ponctuelles contre seulement 38,46 % de ceux qui sont domiciliés en Belgique.

La domiciliation de l’artiste

59C’est donc probablement bien « la proximité » de l’artiste au réseau propre à l’acquisition publique d’état qui procure aussi cette moyenne de +3118 € de plus (payée +4146 €) aux artistes domiciliés en France.

Les coefficients non significativement différents de zéro

60On constate, par contre, que les autres variables n’ont pas d’effets significativement éloigné de zéro.

Le sexe de l’artiste

61L’observation croisée du petit nombre de femmes et de l’absence de différence de valeur entre leurs œuvres et les œuvres des hommes, une fois sur le marché, corrobore l’hypothèse de Tyler Cowen21.

L’âge de l’artiste

62Il peut paraître surprenant que cette variable n’ait pas un impact sur le revenu des artistes, y compris en envisageant un effet plus compliqué (comme le carré de l’âge) qui prenne en compte le fait que la valeur pourrait être plus élevée pour des âges médians.

Fig. 19 – Répartition de la variable PPP en fonction de la décennie de l’artiste lors de l’acquisition de l’œuvre.

63Cette forme « en arête de poisson », qui est aussi repérable sur le graphique qui donne la valeur du budget public PP avec sa moyenne donnée par la droite des MCO, nous indique qu’il existe une forte hétéroscédasticité le long de cette caractéristique, c’est-à-dire que sa variance n’est pas constante. Si l’on introduit le carré, ces variables sont « presque » significatives (|T-student|= 1,2).

64Il est à signaler qu’un Tobit du LogPPP donne ces deux variables (l’âge et son carré) comme très significatifs :

Fig. 20 – Résultats de la régression Tobit de LogPPP.

La destination de l’œuvre

65Les œuvres achetées pour être exposées au musée du Luxembourg, au musée du Jeu de Paume ou à la Bibliothèque nationale à Paris, ne sont pas achetées plus cher que celles qui sont destinées aux diverses administrations publiques ou aux musées de province. Nous savons, pourtant, qu’elles devaient être de meilleure qualité, mais peut-être les artistes acceptaient-ils d’autant plus de baisser leur prix qu’ils savaient que leur œuvre était destinée à un musée prestigieux ? C’est à méditer ! L’observation des textes d’archives a tendance à corroborer l’idée que la « prime à l’acquisition publique » n’est pas constante et qu’elle croît avec la valeur des œuvres. Ici, nous avons régressé la valeur de cette prime en fonction de la valeur « déclarée » de neuf œuvres qui ont été acquises par les musées à titre onéreux. Les déclarations qui les concernent sont à considérer avec prudence mais elles peuvent néanmoins s’avérer indicatives22.

Fig. 21 – Régression de la valeur de la prime en fonction de la valeur « déclarée » de neuf œuvres acquises par les musées à titre onéreux. Les déclarations qui les concernent sont à considérer avec prudence mais elles peuvent néanmoins s’avérer indicatives.

66L’équation à retenir pour expliquer les différences significatives de la valeur des acquisitions est donc :

PPP*=493305+ 2282.41 [flandresOr] -258.306 [anacquis] -4290.66 [peinture]

-4424.4 [dessingrav] -3020.54 [portrait] +4712.98 [Hauteur en mètres]

+4126.38 [expoponctuel] +3118.62 [DomFr] (1)

La prime à l’acquisition publique

67Cette dernière partie est largement prospective. Elle se propose de donner une méthode pour une calibration de la prime et un exemple sur un échantillon indicatif de six œuvres d’artistes de notre échantillon dont les prix figurent sur un catalogue de vente en 193123 (année de faible conjoncture sur le marché de l’art) et pour lesquels nous avons toutes les caractéristiques, en particulier celles qui ont un impact significativement différent de zéro.

68Il nous suffit maintenant d’appliquer l’équation (1) dégagée du Tobit pour évaluer la valeur PPP* correspondante et la retrancher au revenu observé procuré par chacune de ces œuvres en appliquant au prix du catalogue les corrections monétaires que nous avons appliquées aux prix des œuvres présentes dans l’échantillon. Leur prix de vente moyen en FF de l’époque s ’établit en moyenne à 1412 FF soit 830 €2007.

69On remarque tout d’abord que ces six œuvres sont de petites tailles et que le PPP* qui en découle est négatif. Cela signifie que le Tobit prévoit qu’elles seraient toutes cédées à titre gracieux. Leur valeur moyenne s’établit à –4 328 €, et la prime d’acquisition publique moyenne à 5 159 €. En prenant une autre régression, où sont intégrées les variables peu significatives dont les coefficients sont faibles (comme le sexe, l’âge ou la destination de l’œuvre par exemple), on tombe sur une valeur moyenne un peu différente de – 2 999 € ce qui correspond à une prime moyenne de3 829 €. Cette estimation, bien que prospective, ouvre un champ de recherche inédit.

Conclusion

70Nous avons vu, au fil de cette étude, que la valeur des œuvres d’art belges acquises de 1890 à 1940 dépend de plusieurs variables : l’origine de l’artiste, l’année d’acquisition de l’œuvre, la technique de l’œuvre, son genre, sa taille, l’occasion de son acquisition et la domiciliation de l’artiste au moment de l’acquisition. Le sexe de l’artiste et la destination de l’œuvre, ne sont pas, en revanche, des variables caractéristiques qui influencent la valeur en moyenne. La domiciliation de son auteur influence la dépense moyenne de l’État, qui dépense plus pour les artistes français, mais le différentiel de revenu effectif des artistes est plus faible, une fois prises en compte les corrections des variations monétaires entre les deux pays. L’âge semble avoir une influence dans certaines formes de régression, mais pas dans d’autres.

71Cet ensemble de données, combiné à des documents d’archives et à des prix collectés dans un catalogue de vente, nous a par ailleurs permis de confirmer ce qui était sous-entendu par la grande proportion de dons au sein de notre corpus, à savoir que l’État français semble acquérir, durant cette période, les œuvres moins cher que ce qu’elles valent sur le marché privé. De manière très prospective, nous avons estimé un ordre de grandeur de cette « prime à l’acquisition publique » qui fournirait aux artistes un ordre de grandeur de3 000 et 5 000 euros2007 de revenu réel supplémentaire par œuvre en équivalent non monétaire (honneur, prestige, publicité…).

72Nous espérons donc avoir pu contribuer à éclairer la problématique des acquisitions publiques en matière d’art, notamment en soulignant l’importance des dons. De nombreuses questions restent posées sur les mécanismes incitatifs qui sont en jeu dans ces comportements. Une meilleure connaissance de leur fonctionnement et des montants qu’ils mobilisent reste possible en collectant des données complémentaires dans certaines directions.