Territoires
|Remarques et commentaires
Territorialité et migrations
Texte intégral
1Marcel Roncayolo recommande de ne pas négliger le sens du territoire des civilisations nomades, ceci sous un double aspect, me semble-t-il : d’une part, le territoire des nomades est un espace parcouru, en opposition à la terre d’enracinement des sédentaires (métaphore que marque encore le conflit classique entre pasteurs nomades et agriculteurs aussi « enracinés » que leurs produits) ; mais leur pouvoir, leur contrôle sur leurs itinéraires, leur connaissance des « chemins », ne sont pas moins forts que les liens qui attachent une communauté sédentaire à son terroir. D’autre part, les nomades transportent dans leurs déplacements et leurs campements provisoires des principes d’organisation de l’espace aussi stables que ceux qui président à l’installation de longue durée d’un établissement sédentaire, mais qui doivent être réactivés à chaque instant.
2Si l’on analyse sous ce double aspect le cas de populations non plus nomades mais migrantes, on retrouve bien un principe d’organisation du territoire (comme espace et comme rapports sociaux) transporté dans la migration ; mais on trouve aussi, inconnue des nomades, la nostalgie du « pays », sentiment d’enracinement exacerbé par la perte du territoire, et qui s’exprime par son corollaire : le sentiment de déracinement et d’impuissance sur l’espace d’accueil comme sur l’itinéraire de migration.
3On comprend ainsi que la formule populaire « On emporte la patrie à la semelle de ses souliers » signifie en même temps la rigidité des schèmes organisateurs de la vie sociale dans la migration (archaïsme des émigrés qui refusent les transformations intervenues dans la communauté d’origine) et le sentiment d’appartenance exaspéré par l’éloignement. Par exemple, un villageois résidant dans une ville à quelques kilomètres de son village se sentira citoyen de sa ville de résidence ; son frère, au contraire, parti à l’autre bout de la France, se sentira citoyen de son village d’origine.
4 C’est à partir de ces interrogations sur nomades et migrants que l’on peut se demander ce que signifie, du point de vue de la territorialité, la dissociation croissante entre lieu de travail et lieu de résidence. À quelle(s) communauté(s) territoriale(s) appartiennent des villageois travaillant en usine à des dizaines de kilomètres de chez eux ?
© Éditions Rue d’Ulm, 2016