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Pastiches et parodies

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Elsa Courant

De plume de journaliste

Dans une chronique mondaine du Figaro

Texte intégral

Le Figaro, 14 avril 1916 Le Monde et la Ville

1Matinée poétique, avant-hier, mardi, des plus littéraires et des plus élégantes chez Mme Alphonse-Daudet. Ovation pour Mlle Courant de l’Opéra, venue en ses gazes très ajourées chanter l’air d’ouverture de l’Ève aux yeux pâles, le fameux Mystère en trois actes du maître Saint-Saëns qui a triomphé cette saison au Châtelet :

Ô femme unique, péché, désir
Pour un serpent de bible a brisé son empire
Bleu de l’enfer, couleur amour
Dessine sur la pierre les mots du premier jour…

2Et c’est avec un art infini que Mlle Courant a fait goûter à l’assemblée les rythmes enchanteurs de cette poésie magnifique. Quel magique rêve d’Orient en effet que de la voir accompagner son dire de contorsions ventrales dignes de la plus voluptueuse des mousmées. Madame Ida Rubinstein en sa danse des sept voiles n’était pas parvenue à provoquer ce frisson d’art. Pour parler comme Racine :

3Elle flotte, elle hésite : en un mot elle est femme.

4Mais voici que paraît déjà Mlle Tiphaine Rolland, la Mme Dacier des temps modernes, qui associe avec tant de grâce son talent de diseuse à celui de bas-bleu – on se rappelle le succès considérable que sa traduction de l’Iliade en alexandrins eut, il y a quelques années, alors qu’elle était tout juste âgée de quatorze ans. On lui fait fête, car elle récite mieux que la grande Sarah elle-même les vers immortels de cette Hérodiade que M. Lugné-Poe interpréta jadis en travesti au théâtre de l’Œuvre :

Je ne crois, du tout, rêver. Le jour électrique
Jette cru, sur les cistes, maint or fatidique.
Tout alentour dégage, sein, rideaux ou vase,
Cet air fauve où ondule éparse mon extase…

5Nouvel enchantement. De toute sa délicate personne se dégage un feu inusité, et c’est sans crainte d’exagération aucune que l’on peut dire que ce drame de l’amour est non seulement dit, mais encore vécu par Mlle Rolland, dont les yeux brillants d’ardeur attestent l’émotion. L’assistance est parcourue d’un frémissement d’admiration. La baronne Paillet dans sa blouse pompadour manque de se trouver mal ; entraînée sur une ottomane de taffetas gris perle signée Fortuny, elle est heureusement ranimée par les efforts vigoureux et répétés des domestiques. M. de Montesquiou, dans un costume fort ajusté, réclame alors le silence. M. Colmart du Conservatoire se met au piano et exécute avec un talent consommé le cinquième mouvement de La Philosophie dans le boudoir, mise en musique par le grand Massenet.

6Après le brunch, un cotillon tout entier placé sous le thème du Grand Siècle a été enlevé par la maîtresse de maison et son jeune fils Lucien. Reconnus, parmi les invités : Baronne de Pierrebourg en Louis XIV, perruque blonde et rubans roses ; comte de Fréry en Blaise Pascal, haire moirée, cilice serti de grenats ; comtesse de Pourtalès (douairière) en duc de Berry enfant ; baron Aumérégie-Adams en Montespan, robe battante semée de jonquilles fraîchement cueillies, chapeau fleuri de coquelicots ; comtesse de Chevigné ; marquise de Boons, venue en voiture à vapeur de sa Flandre native ; vicomtesse de Trédern ; princesse de Chatvernis ; marquis de Beauséant ; M. et Mme de Régnier ; Mme Judith Gautier ; M. et Mme de Heredia ; M. Anatole France.

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© Éditions Rue d’Ulm, 2016

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