Pastiches et parodies
|De plume de journaliste
Dans un tract du père Duchêne1
Texte intégral
2 floréal an 225 LA GRANDE COLÈRE DU PÈRE DUCHÊNE
- 1 Les premiers journaux adoptant la fiction d’un auteur prénommé le « Père Duchêne » datent de la Rév (...)
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1Contre les jean-foutres d’encartés qui sèment le désordre dans Paris.
2Membres du Comité !
3Descendre place de la République,
4Écouter ces bons bougres de citoyens débagouler à qui mieux mieux un torrent d’insanités contre les canailles de ci-devant députés, présidents, policiers, qui saignaient à blanc, du temps de l’ancien calendrier, notre belle et bonne ville de Paris,
5Boire chopine au mastroquet,
6Arracher les pavés en signe de la haute et sublime colère populaire,
7Nom de Dieu !
8C’était le bon temps !
9Depuis les gaillards et hautement respectables rassemblements susdits, le Père Duchêne ne se laisse plus chatouiller le gosier par la dive bouteille. L’heure est grave !
10Sommé par les intérêts de notre bonne Commune dans les quartiers de Paris, attentif à tout, et spectateur des folies comme des belles actions de nos honnêtes Citoyens, j’ai vu passer place de la Nation une manifestation, ainsi intitulée : MANIFESTATIONDESENCARTÉS. J’en ai tremblé d’horreur, de l’orteil à l’occiput inclusivement. Apercevant un birbe qui se pointait là, je l’ai accosté du doux nom d’andouille, ce à quoi il a riposté par cette locution aussi énergique que vicieuse : « Et ta sœur ? », en riant à pleine braguette. Un citoyen peut-il ainsi se faire insulter par un infâme représentant de l’Ancien Ordre ?
11Qu’est-ce que cela signifie ? Pourquoi une manifestation par les Encartés ? N’est-ce pas là le souvenir de ce que nous avons à jamais détruit ? N’est-ce pas le tyran qui veut revenir ? Ne sommes-nous pas la juste et patriotique représentation de la majorité des Parisiens, et la tête du pays ?
12Le père Duchêne voit venir de loin ces foutriquets ! Ils veulent rallier à leur cause les fainéants qui se sont trouvés chassés de notre République.
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13Respectables Membres du Comité, NE FAIBLISSONS PAS !
14De l’énergie, de l’énergie !
15Nom de Dieu.
16Ne sommes-nous pas en pleine révolution ?
17Oui, nous y sommes !
18L’heure du progrès est arrivée ! L’heure de la régénération sociale ! Le char de la décroissance va passer !
19Nous avons toutes les cartes dans la braguette.
20Foutre.
21Ne nous manque plus que d’ouvrir les quinquets devant tout réactionnaire qui voudrait foutre dans la mouise notre belle et bonne Commune qui nous a pris tant de peine et de douleur à recréer. Ces foutriquets en veulent au salut de la République !
22Non, le père Duchêne ne se fera pas couillonner. Vite, une brûlée aux canailles ! Respectables membres du Comité, vous dites qu’il est inadmissible que survivent encore à Paris les traces de l’Ancien Ordre, ces coquins qui ne valaient pas chiquette, et ne pensaient qu’à se foutre de nos bons bougres de citoyens. Vous avez, foutre ! bien raison ! Mais il ne suffit pas de jaboter, il faut des mesures !
23Voici donc ce que je propose :
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24Insérer à l’Officiel le décret suivant :
25Considérant que les partisans de l’Ancien Ordre n’ont amené par le passé que misère et désolation,
26Considérant en outre qu’il est immoral de voir ces mêmes partisans arborer dans Paris leurs étendards délétères,
27Considérant enfin que le peuple de Paris est en grand danger de se voir renverser par la province non encore acquise aux idéaux de notre glorieuse république,
28La Commune décrète :
291° Que tout manifestant contraire aux intérêts de notre belle et bonne république sera identifié loyalement comme traître à son pays.
302° Qu’il sera passible des plus grandes tortures, allant du supplice des dix nuits debout à la lecture pour les récidivistes des gracieux discours d’investiture de nos ci-devant présidents, jean-foutres devant l’Éternel.
313° Qu’au cas où, dans le courant du supplice, le patient viendrait à perdre la vie, une pension ira à sa veuve et à ses enfants.
32Et ça marchera, foutre de foutre !
33Et l’on verra renaître la prospérité et la paix.
34Arrière, tas de jean-foutres ! Vous n’empêcherez pas la Révolution.
35LE PÈRE DUCHÊNE, marchand de carpettes.
36HB
Notes
1 Les premiers journaux adoptant la fiction d’un auteur prénommé le « Père Duchêne » datent de la Révolution française. La formule a notamment été popularisée par Hébert. Ce titre fut par la suite employé par les hommes de presse lors des journées révolutionnaires (de 1848, puis 1871). Ici, le pastiche s’attache au style des « Grandes colères du Père Duchêne », qui couvrent la période communarde. Le « Père Duchêne » est reconnaissable par sa verve intarissable, souvent injurieuse, et par le mélange qu’il opère entre reportage et fiction. (NdE)
© Éditions Rue d’Ulm, 2016