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Pastiches et parodies

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Elsa Courant

De plume de journaliste

Dans un texte de Charles Reznikoff*

Texte intégral

À la manière de Testimony

  • * L’objectivisme poétique a pour but de se dégager de tout jugement subjectif imputable au poète qui (...)

1Sambre est une exploitation laitière.

2Les élèves de Maubeuge y font une visite.

3Ainsi que chaque année.

4Les silos sont gris.

5À l’intérieur il y a du maïs.

6Vert.

7Les grains ne sont pas mûrs.

8Plusieurs étapes divisent l’opération, dont le broyage des grains par l’ensileuse.

9Puis la pulpe est tassée par un tracteur, afin de chasser l’air.

10Cela donne une matière dense, humide et lourde.

11explique l’accompagnateur.

12Les silos sont grands.

13Ils bougent.

14Un peu.

15Il y a du vent.

16C’est bientôt l’heure de rentrer.

17a dit le professeur.

18On a juste le droit de toucher.

19Du bout des doigts ; – les grains... la pulpe... Dense. Lourde. Humide.

20Soudain le monticule

21bascule

22– et se renverse

23sur les écoliers.

***

24Constance Louvel habite à Rennes. Son père est fabricant de chandelles. Elle est allée à l’Immaculée, qui est une école privée.

25Albert Leclair est un fils unique qui tient un garage automobile.

26Albert et elle se sont mariés.

27Il est plus riche mais ça ne fait rien.

28Ils sont heureux.

29Une ablation de l’utérus et des ovaires est nécessaire. dit le médecin.

30Albert et Constance

31n’ont pas d’enfants.

32Il paraîtrait que

33Monsieur Albert aime une bonne de café qui se prénomme

34Jeanne Obitz.

35rapporte une voisine.

36Constance ne dit rien.

37Elle est folle de jalousie.

38L’été arrive.

39Albert doit partir.

40Une affaire l’appelle à Paris.

41À son arrivée, il écrit une lettre

42où il l’appelle « petite maman chérie ».

43Elle songe au suicide, préfère le divorce

44puis se ravise.

45Elle aurait pourtant gardé le picotin et le poney.

46juge l’avocat.

47Elle passe, un jour, devant l’immeuble 21.

48Il est huit heures. C’est le matin.

49Jeanne vaque à ses affaires.

50On a entendu

51un grand froufrou d’étoffe.

52dit la voisine.

53Jeanne est allongée,

54un chausson grenat au pied, et l’autre

55un peu plus loin.

56Sur son peignoir blanc, il y a, parmi les fleurs, un peu de sang.

***

57Le Morvan est une terre

58dont le point culminant a pour nom Haut-Folin.

59C’est un désert médical

60dont la moyenne d’âge est de soixante ans.

61Nicole s’y est installée en même temps que Jacob

62son cabinet.

63Elle est allée le voir

64pour un mal de dent.

65Au début de la visite on lui administre une petite piqûre.

66Jacob a horreur de la douleur

67qui

68lui rappelle sa mère.

69Pour détartrer il utilise une roulette : c’est la martingale

70à dents de scie explique-t-il.

71Nicole pense que sa

72tête va

73finir

74par

75sauter

76si ça continue car

77Jacob a une poigne de fer et un bistouri d’acier.

78Elle se dit que c’est presque fini.

79Puis elle est partie.

80C’est ensuite qu’elle a vu.

81Jacob lui a limé les dents.

82Et creusé le sillon

83avec

84une fraise à turbine abrasive.

85Sa bouche est un grand trou qui regorge de sang.

86VA

Notes de fin

* L’objectivisme poétique a pour but de se dégager de tout jugement subjectif imputable au poète qui biaiserait l’accès au réel : c’est, dès lors, la question du traitement du matériau poétique qui devient prépondérante. Charles Reznikoff, poète américain du xxe siècle et fils d’émigrants juifs, suivit des études de journalisme et de droit. Son ouvrage Testimony explore les conséquences de la révolution industrielle sur la société américaine de la fin du xixe siècle et l’entrée de celle-ci dans l’ère moderne, à partir d’un travail d’archives sur des faits divers, conflits de voisinage, accidents du travail, etc. (NdE)

© Éditions Rue d’Ulm, 2016

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