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Pastiches et parodies

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Elsa Courant

De plume de journaliste

Dans un quotidien sportif

La Dépêche sportive escanecrabaise

Texte intégral

Double-page exceptionnelle : Le Derby du Comminges remporté par le RC Cassagnabère-Tournas.

1Héroïques. Magnifiques. Grandioses. Tels ont été les gladiateurs d’Escanecrabe. Malgré leur hargne et leur sens de la gagne, les joueurs n’ont pas su s’imposer face à l’armada ennemie. Le retour de blessure du pilier emblématique Stéphane Poulebajac, le médecin de campagne, dit « l’Anesthésiste », et le renfort du trois-quart centre Patrick Hernandez n’auront rien changé. Ils se sont inclinés dans cette vingtième journée du championnat de 6e division amateur sur le score serré de 30 à 10.

2Le stade municipal résonnera encore longtemps de la ferveur du public. Des applaudissements lors de l’entrée dans l’arène des trente joueurs. Des cris d’encouragement lancés par les supporters venus en masse de la place du village. Des soupirs de déception. Puis des encouragements redoublés.

3Tout pourtant était réuni pour les festivités. Avant même le match on pouvait sentir l’enthousiasme de tout un peuple et de toute une région réunis autour du noble ballon ovale. On voyait les amis se saluer, les habitués du stade enseigner aux « jeunots » les chants de leurs équipes respectives et les curieux assister à cette seconde messe du dimanche. Déjà les supporters des deux équipes se lançaient des mots plus ou moins fleuris. Dans un coin de la tribune, Michel Pelous, 89 ans et supporter de la première heure d’Escanecrabe, sourit. Il est venu avec son chien Gaston. « En hommage à Gaston Pouilladou », nous apprend-il en caressant amoureusement son chien. Gaston Pouilladou. Le seigneur du ballon ovale. Le nom légendaire de celui qui a marqué de son empreinte l’histoire du club à la sortie de la guerre est encore présent dans toutes les têtes. Nul n’a oublié le panache sur le terrain de celui qui a vaincu cinq années de suite l’ennemi héréditaire, l’En Avant Tarascon-sur-Ariège. Gaston jappe joyeusement tandis que son maître relate tous les exploits de Pouilladou. Des étoiles dans les yeux. Son petit-fils, resté en retrait, les accompagne.

4Puis les deux équipes entrent sur le terrain. Silencieuses. Car elles savent ce qui les attend. Elles savent qu’elles ont à jouer un match âpre. Un de ceux qui changent le cours d’une saison. Les joueurs savent aussi que la tâche est dure et éprouvante. Mais ils savent qu’ils vont donner tout ce qu’ils ont contre une équipe adverse qui elle aussi donnera tout ce qu’elle a. Ils savent qu’il ne peut y avoir qu’un seul vainqueur. Et que ce doit être eux.

5Le coup de sifflet retentit. Les premières minutes sont intenses. L’arrière escanecrabais Maxime Choulty, le boulanger de la rue du 14 Juillet, distribue les passes comme des petits pains. Les séquences de jeu se multiplient des deux côtés du terrain. Néanmoins les escanecrabais ont l’avantage, et poussent les adversaires à la faute. Pénalité. Le ballon passe entre les poteaux. C’est l’exaltation dans le stade où l’hôte mène alors 3 à 0. L’ASE multiplie alors les offensives et le jeu au pied sans toutefois faire sauter le verrou de l’en-but.

6Jusqu’à cette terrible vingt-quatrième minute, où le deuxième ligne adverse Escartefigue, maçon à ses heures perdues, se précipite sur Hernandez, sur le point de recevoir une chandelle, et lui inflige une cathédrale. « Il a pas le droit ! » s’écrie Pelous. « Ah c’est une honte… On est des gentlemen au rugby, on est pas là pour s’envoyer des prunes et se faire écraser le citron ! » L’indignation est générale, dans le stade comme sur la pelouse, où une bagarre se déclenche. Les châtaignes volent en tous sens. La situation s’envenime lorsque l’arbitre décide de renvoyer Escartefigue mais met aussi à l’amende l’Anesthésiste, qui a « mis une pastèque » à un de ses adversaires. Carton rouge. On crie au scandale, et l’on raconte même dans les travées du stade que l’on aurait vu à la mi-temps du match l’arbitre sortir l’air satisfait du vestiaire des visiteurs… Un parfum de scandale plane autour de ce derby… Hernandez reste quant à lui dans les pommes et, insensible aux soins de l’éponge magique, est contraint de quitter le terrain sur civière. Marronnier le remplace.

7Privé de son joueur phare, Cassagnabère-Tournas semble aux abois mais n’a pas dit son dernier mot. Relance de Pouillac. Qui passe à Bostareaud. Course de Bostareaud qui fixe la défense avant de servir parfaitement Bertomioud qui n’a plus qu’à aplatir dans l’en-but. 7 à 3 pour les visiteurs.

8C’est la douche froide pour les spectateurs. Du moins seulement pour quelques minutes, car à la trente-huitième minute, c’est l’exploit individuel. Pouillac glisse en réceptionnant le ballon à deux mètres de sa ligne d’en-but. De Castelbajac qui a bien suivi l’action court vers le ballon et n’a plus qu’à l’aplatir. Le stade exulte et célèbre son enfant du pays, qui partira à la fin de cette saison se consacrer à son poney Nénette. Le poney, son autre grande passion avec les plaquages et la troisième mi-temps. Grâce à l’Anesthésiste, Escanecrabe mène 10 à 7 juste avant le retour aux vestiaires.

9Dans les tribunes, le public est plus euphorique que jamais. Michel nous fait part de ses commentaires. « C’est bien, les garçons là, ils nous montrent du beau jeu… Ils mouillent le maillot et ils font honneur à notre club. Ils nous donnent du plaisir mais quand même… ça a bien changé ! De mon temps c’était pas un joueur qui partait à l’infirmerie, c’était presque toute l’équipe ! Ah pour sûr, ça faisait pas dans la dentelle. Maintenant c’est plus pareil, il y a les arbitres », soupire-t-il, tandis que les trente protagonistes font leur retour sur le terrain. Du haut de sa casquette sempiternellement vissée sur son crâne, 89 ans de mémoire escanecrabaise les contemplent.

10La partie reprend alors de plus belle. Les deux équipes se rendent coup pour coup, sans toutefois arriver à marquer. De Castelbajac et Canigou, dit « le Molosse », sont tous deux impériaux dans les réceptions, mais ne peuvent percer la défense cassagnabèroise. Le chien Gaston, lui, erre dans les travées du stade et dérobe des frites aux spectateurs. L’esprit de Pouilladou rode encore et juge d’un mauvais œil ce manque de beau jeu.

11Usés et fatigués par leur première mi-temps exceptionnelle, les joueurs escanecrabais sont poussés à la faute et concèdent une pénalité. Puis les essais s’enchaînent, le coup de sifflet retentit, et c’est l’injuste défaite : 30 à 10. « On s’est fait voler » grogne Célestin Canigou. « Perdre sur l’erreur d’arbitrage de la première mi-temps… C’est rageant. »

12L’entraîneur de l’ASEscanecrabe a la rage au ventre et des regrets à nourrir. Il a néanmoins accepté de nous donner ses impressions à la suite de ce que l’on appelle déjà « le vol du siècle » : « En première mi-temps, ça sentait le pâté pour eux, et à la fin ça sent le boudin pour nous… Qu’est-ce que vous voulez, la routourne doit bien tourner (sic) et on peut pas être les fils de la fortune tous les jours comme dirait l’autre (sic). Mais on aura notre revanche l’année prochaine. Je souhaiterais juste rendre hommage aux guerriers de cette après-midi. Tant sur le plan tactique que technique ils nous ont régalés ; ils ont été percutants, ils ont été cognants, ils ont été frappants, bref ils se sont fait plaisir et malgré le score c’est tout ce qui compte non ? Comme l’a dit un grand penseur, en compétition il y a un premier et un dernier mais le plus important c’est de ne pas être le second de soi-même. » Les paroles d’un homme qui sait prendre la défaite avec philosophie et relever la valeur de son équipe, grandiose même dans la défaite. Il ira dès demain matin porter sa plainte pour corruption devant la commission de la 6e division. Affaire à suivre.

13JC

© Éditions Rue d’Ulm, 2016

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