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Pastiches et parodies

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Elsa Courant

Paroles de philosophes

Dans un ouvrage d’Alain

Texte intégral

À la manière des Propos sur le bonheur

L’assiette

1Il est une expression française selon laquelle une place doit se mériter. « On n’a rien sans rien », dit-on. Notre nation si friande en compétitions, classements et mesures en tous genres, se laisse aisément persuader que l’on n’obtient jamais ce sentiment d’être chez soi qu’à coups de crocs et de griffes, et au prix d’une sorte de peur, et de la culpabilité de n’y parvenir. Je ne connais rien de plus faux au monde, sauf en ce qu’effectivement, penser de cette sorte transforme la vie en une lutte permanente et sans fin.

2Mais c’est un sentiment bien pénible que celui de n’être pas à sa place, ou de ne se croire pas mériter les honneurs et affections que l’on reçoit. Il est alors facile d’accuser les autres de ne pas nous faire cette place assez grande pour nous contenir nous-mêmes, ainsi que nos angoisses, qui sans doute la grossissent démesurément. Ainsi de l’enfant qui pleure de n’avoir pas été servi assez, quand son estomac lui refusera la troisième bouchée.

3Si un cavalier, prenant place sur le dos de son cheval, s’avisait de se demander quel droit il peut avoir de faire subir ce poids, cette entrave à un animal sans parole, son corps malaisé sur ce promontoire usurpé à son propriétaire s’en accommodera mal, et gênera bientôt la monture autant que lui-même. Il aura tôt fait d’en descendre, contrarié par sa conscience. Ou bien sera-t-il éjecté par le cheval lui-même qui, balloté et entravé dans son galop par un dos trop raide ou des jambes crispées, s’en sera convaincu à son tour.

4Soyez à votre place comme bon cavalier en selle. Il faut y poser son corps et son esprit comme si l’on n’eut jamais douté de son droit à y être. Bientôt les muscles s’y détendent, et avec eux, les manières. Puis vous voilà trottant, galopant, passageant avec grâce. Et croyez bien que de toutes façons, si cette place vous refuse, vous serez bientôt nez en terre ; possiblement n’aurez-vous même jamais l’occasion d’y monter, car cheval rétif ne se laisse approcher comme un amant timide.

5Il faut se laisser prendre par la facilité d’un mouvement harmonieux, lorsqu’il nous est accordé. Et c’est à bon droit que l’on appelle cette qualité, d’être à sa place sur sa monture en toutes circonstances, l’assiette : car de cette souplesse, le galop d’un repas de famille n’en sera que plus agréable.

6EC

© Éditions Rue d’Ulm, 2016

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