Pastiches et parodies
|La poésie à l’âge classique
Dans un recueil de Marbeuf*
Texte intégral
À la manière du « Miracle d’amour »
Les Amours, les changements et les désespoirs d’Éléos
- * Poète du premier xviie siècle, Marbeuf n’est aujourd’hui retenu, au détour d’un paragraphe d’histoi (...)
1Éléos ne trouve dans les plus agréables objets nul attrait susceptible d’égaler Éris en beautés. Et la cruelle, de Troie le tombeau, jà le savait.
SONNET
Ravi par Désespoir qui me bat et me blesse,
De l’amour le tourment, par lequel je péris,
Et m’enchante et m’afflige et pour nom a Éris :
Ô dive mélodie de telle enchanteresse !
Connaissant de l’amant l’éternelle faiblesse,
De Médée ou Circé imitant le courroux,
Ses beaux yeux qui allient et l’amer et le doux
Sont pour moi tour à tour folle joie et détresse.
Abattu par Souci et par l’heur inconstant,
Et je vis et je meurs mille fois dans l’instant
Où le froid à ma flamme associe son alarme.
Las ! épris des pensers dont Éris est l’enjeu,
Amant désespéré (pour Amour c’est un jeu),
Me voilà prisonnier par les forces du charme.
2Telle fut mon impatience que ma passion exaspérée par Discors et Fortune s’exprima de la sorte.
SONNET
Ô Nuit, longue en douleurs, en malheurs si profonde,
Pourquoi se dérober ? insensible à mes vœux,
De mes ennuis la mère, et le lit de mes feux,
(Car Éris est ta fille, en souffrances féconde).
Ô père de la mort et prince de ce monde,
Ô Sommeil, doux secours face aux flots de l’amour,
Pourquoi me refuser un bienheureux séjour ?
Toi qui sais de mon cœur l’amoureuse façonde.
Les charmes de la nuit sont peines de mes jours,
Et l’aurore à venir est souffrance toujours,
Car le jour et la nuit à l’envi se pourchassent.
Mes pensers malheureux me laissent sans repos,
Car les feux et les maux sans arrêt s’entrelassent,
Et l’amour et la mort ne sont point sans échos.
3À Éris.
4Ma rêverie entretenant ma solitude et ma mélancolie me donna la pensée de ces vers.
SONNET
Et le rêve et la veille ont mensonge pour lit,
Et le rêve est merveille, et la veille émerveille,
L’on s’enfonce en un rêve aussi bien qu’en la veille,
Car le songe et la vie content même récit.
Vacation et sommeil sont douleurs nonpareilles :
Celui qui craint l’ennui, qu’il cherche le labeur,
Celui qui craint la vie, de Morphée la douceur,
Car l’esprit sans répit va par monts et merveilles.
La veille suit le songe, et celui-ci la fuit,
Ainsi que font sans fin et le jour et la nuit,
Et l’un engendre l’autre et l’entre-suit de peines.
Éternité d’amour, éternité de bien,
Et mille et un détours, et toujours vainc le rien :
Folie et vanité en ce monde sont reines.
5VA
Notes de fin
* Poète du premier xviie siècle, Marbeuf n’est aujourd’hui retenu, au détour d’un paragraphe d’histoire littéraire, que pour un sonnet (« Et la mer et l’amour ont l’amer pour partage ») emblématique d’un certain maniérisme, caractérisé par la virtuosité sonore et la pureté de la langue. Si l’on peut détacher tel ou tel poème de ce recueil, celui-ci s’organise néanmoins en un parcours, en une « fiction » poétique, qui retrace la solitude, le lien à la nature (il fut maître des eaux et forêts), les amours et la colère contre « les sottises du monde » d’un Silvandre-Marbeuf qui interroge les rapports entre « la plume et le vers », « la nature et l’artifice ». (NdE)
© Éditions Rue d’Ulm, 2016