Sciences de l’homme et conquête coloniale
| ,Première partie. À la recherche de modèles d’interprétation
L’impérialisme et l’Afrique du Nord : le modèle romain
Texte intégral
1Mon intervention présentera au moins deux singularités : d’une part, elle est la seule qui traite ici d’histoire ancienne ; d’autre part, son sujet semble ne se rattacher que partiellement aux préoccupations générales des présents. Certes, elle ouvre une séance consacrée à « la projection sur l’Afrique de modèles extra-africains ». Mais il est difficile de ranger le « modèle » dont je veux parler parmi les modèles extra-africains. Il va s’agir au contraire de montrer comment l’histoire de l’Afrique romaine a été constituée, par l’historiographie européenne du xixe et du xxe siècle, pour servir de référent, de modèle, à l’entreprise coloniale de l’époque moderne. Ainsi, si « modèle romain » il y a, c’est un singulier modèle, puisqu’il est étroitement contemporain de l’entreprise à laquelle il est censé servir de caution et qu’en outre, loin de pouvoir être projeté comme schéma explicatif, il est lui-même le fruit d’une projection rétrospective.
Pourquoi une histoire de l’Afrique romaine ?
- 1 Deux étapes dans l’histoire de cette « prise de possession » : la première est celle où la charge d (...)
2Chacun sait que l’entreprise coloniale française en Afrique du Nord a très tôt et très vite senti la nécessité de s’appuyer sur une « science » et une idéologie conformes à ses desseins : « Après la prise de possession par l’épée et la charrue doit venir la prise de possession par la parole et par la plume », écrit Augustin Bernard (préface à la deuxième édition de Souvenirs et visions d’Afrique, 1914). Cette « prise de possession par la parole et par la plume » – c’est-à-dire cette confiscation, au bénéfice du conquérant, des moyens du langage et de l’écriture – on va la voir à l’œuvre dans tous les champs de l’activité intellectuelle, et donc bien entendu dans ce champ privilégié qu’est l’histoire1. Car l’histoire, dit S. Gsell « n’est pas, en Afrique, la plus inutile des sciences »…
3L’appel à l’histoire sert à répondre à deux demandes de la société coloniale : la quête de légitimité, la quête d’efficacité.
- 2 C’est le thème de l’éternel conquis qui s’élabore alors, avec son cortège de justifications géograp (...)
4Légitimité : le premier souci de celui qui veut établir la légitimité de sa domination est de contester la légitimité antérieure. Il suffira donc de montrer que, dans une Afrique vouée par nature à une domination étrangère, la légitimité arabe n’est que le résultat d’une conquête parmi d’autres2. Il est facile ensuite de remonter, comme à une source, à la période où l’Afrique du Nord faisait déjà partie d’un monde où règne la civilisation européenne, c’est-à-dire à l’époque romaine. « Entre Carthage et l’Islam, Rome a montré ce que pouvait être un Maghreb tourné vers l’Europe et s’assimilant à elle. Nous ne tentons pas autre chose depuis plus d’un siècle » écrit L. Balout (Préhistoire de l’Afrique du Nord).
- 3 On trouvera quelques exemples de cette démarche dans L. Homo, Expériences africaines d’autrefois et (...)
- 4 G. Boissière, Esquisse d’une histoire de la conquête et de l’administration romaine dans le nord de (...)
5Efficacité : une fois établie la filiation directe entre la conquête romaine et la conquête moderne, une fois marqué le parallélisme des deux entreprises, on est naturellement amené à faire appel, pour orienter le présent, aux leçons du passé. L’obsession analogique peut alors se donner libre cours et l’on cherchera à lier, avec optimisme ou angoisse selon les périodes, le destin de l’Afrique française au destin de l’Afrique romaine. Le postulat de la continuité coloniale va même permettre de lire ces deux destins à la lumière l’un de l’autre3. Dispositif militaire, organisation administrative, structures économiques, tout le réel africain va se trouver pris dans cette lecture superposée4.
6Ainsi va se constituer, pour l’Afrique romaine, une véritable histoire fonctionnelle, pourvoyeuse de légitimité et maîtresse d’efficacité. Mais au prix de quelles distorsions, tant dans le choix des objets étudiés que dans celui des concepts utilisés et des hypothèses retenues pour rendre compte des faits observés ! Le « modèle romain » est précisément le fruit de ces distorsions, qui ne sont évidemment pas de hasard.
7Le recours même au modèle n’est pas sans signification : il peut être un moyen de nier l’histoire. La répétition peut en effet n’être qu’un moyen pour abolir le temps, pour évacuer l’évolution. Elle permet de laisser entendre que ce qui se passe aujourd’hui n’est que l’illustration, l’actualisation d’un déjà donné.
8L’on insistera donc, par exemple, sur ce qu’on appelle la permanence berbère qui devient peu à peu l’un des thèmes obligés de l’historiographie et de l’ethnographie coloniales. Elle permet commodément, ainsi qu’on le verra, de faire l’économie d’une étude sérieuse des formes d’organisation sociale des Africains avant et pendant la conquête romaine ; elle permet aussi d’éviter de s’interroger sur la nature des tribus berbères ou sur les développements internes de la religion dite libyque. S. Gsell lui-même n’hésite pas à donner, aux tomes V et VI de son Histoire ancienne de l’Afrique du Nord, un tableau des « royaumes indigènes » dont la plupart des traits sont puisés dans l’observation de réalités postérieures de plusieurs siècles à l’époque romaine. Mieux encore, on va jusqu’à faire appel à l’archéologie préhistorique pour tenter de démontrer la permanence de certains traits : on voit naître et se développer, dans l’opposition tranchée qui est faite entre Capsien, exogène et riche d’une part, Ibéro-Maurusien, indigène et pauvre d’autre part, un premier modèle de société coloniale…
9Mais c’est surtout au niveau des interprétations de certains faits et plus généralement au niveau des orientations de la recherche, que la référence à un modèle est génératrice d’erreurs ; nous allons le constater grâce à quelques exemples.
Les illusions sur la romanisation
- 5 Cet évolutionnisme social, qui veut que toute société en cours de « civilisation » passe obligatoir (...)
- 6 À propos des difficultés que l’on éprouve à réduire l’histoire africaine à un schéma linéaire, je m (...)
10La romanisation de l’Afrique est le plus souvent conçue et présentée comme le résultat d’un développement linéaire, continu et cumulatif. On ne s’interrogera donc pas, par définition, sur ses éventuels reculs, sur ses probables ratés. L’évolution est présentée comme sans faille, même si l’on doit reconnaître ensuite le naufrage de l’entreprise. Mais on voit bien qu’il ne s’agit là que d’une projection arbitraire, dans le cadre de l’Afrique antique, de l’idée de progrès, familière à la société européenne du xixe siècle. Idée qui n’est elle-même, comme l’on sait, que le reflet d’une croyance complaisamment entretenue par la bourgeoisie européenne dans sa phase ascendante5. Or il m’a semblé au contraire que, tant au plan militaire qu’au plan culturel, ce que l’on appelle la romanisation s’est fait selon un rythme brisé, avec des flux et reflux que j’ai essayé de dégager. C’est même peut-être ce rythme spécifique, issu de la rencontre d’une romanisation aux lenteurs calculées et d’une résistance multiforme et sélective, qui donne à l’histoire de l’Afrique romaine son tracé original6.
- 7 L’idée que l’entrée des peuples non européens dans l’orbite européenne est le résultat normal d’une (...)
11Par ailleurs, la romanisation est constamment perçue comme un progrès – analogue au progrès que constitue la conquête française – par rapport à une situation antérieure de stagnation7. Ce qui a détourné la réflexion savante d’une véritable interrogation sur ce point. Or on peut tout au moins faire des hypothèses sur ce qu’a détruit la romanisation. Y. Lacoste en donne un exemple à propos de phénomènes de mobilisation collective : « Il est possible que les conditions d’une mobilisation de la main-d’œuvre pour la réalisation de grands ouvrages aient été en partie réunies avant la colonisation romaine (cf. Medracen, Tombeau de la chrétienne)… écrit-il dans Ibn Khaldoun (p. 38). La domination romaine, détruisant la puissance des rois berbères et introduisant le mode de production esclavagiste, a peut-être provoqué la disparition de ces formes de mobilisation collective qui commençaient à se développer. »
12Bien d’autres questions pourraient être posées dans cette perspective, et permettraient d’élaborer une autre image de la société africaine. Il suffirait que les critères retenus pour juger du développement de cette société ne soient pas systématiquement les critères coloniaux promus au rang de valeurs universelles. On pourrait utilement rappeler ici une observation de Claude Lévi-Strauss :
- 8 C. Lévi-Strauss, Races et Histoires, Paris, Plon, 1955, p. 260.
Chaque fois que nous sommes portés à qualifier une culture humaine d’inerte ou de stationnaire, nous devons nous demander si cet immobilisme apparent ne résulte pas de l’ignorance où nous sommes de ses intérêts véritables, conscients ou inconscients8.
L’obsession des couples antinomiques
13Au cours des années, l’histoire de l’Afrique romaine a fait l’objet d’un certain nombre d’explications qui, dans leur diversité, présentent au moins un point commun. Elles reposent toutes sur la distinction entre deux éléments opposés dont la contradiction est posée comme fondamentale. Ce sera suivant le cas :
- l’opposition entre l’est et l’ouest (théorie du triangle allongé)9 complétée parfois par une contradiction entre le nord et le sud ;
- l’opposition entre montagne et plaine (théorie chère à plusieurs et sur laquelle on reviendra)10 ;
- l’opposition entre l’Afrique urbaine et l’Afrique rurale11 ;
- l’opposition entre sédentaires et nomades (théorie du chameau)12 ;
- l’opposition entre riches et pauvres (parfois réduite à une opposition entre propriétaires terriens et ouvriers agricoles).
14Mais tous ces couples, toutes ces contradictions ne sont présentées que comme l’incarnation d’une contradiction plus fondamentale, celle qui oppose Romains et Africains.
- 13 Il faut rappeler ici l’interminable débat mené en France sur la possibilité et l’opportunité d’une (...)
- 14 Sur ce problème, voir en dernier lieu le débat sur la romanisation publié dans Annales : Économies, (...)
- 15 La participation de l’Afrique pré-romaine aux courants commerciaux et culturels du monde hellénisti (...)
15Il est clair que cette lecture des rapports romano-africains est calquée sur le modèle des rapports entre Européens et indigènes dans l’Afrique du Nord du xixe et du xxe siècles. Elle suppose, entre colonisateurs et colonisés, une distance énorme, voire infranchissable13. Lecture qui manque à tout le moins de pertinence. Car Rome n’a pas le même goût des oppositions tranchées que la France coloniale. Elle accepte, favorise et même impose à l’occasion une certaine assimilation des élites indigènes14. C’est que la distance qui sépare Romains et Africains, dans une Afrique qui n’était pas si étrangère qu’on le prétend aux grands courants de la civilisation méditerranéenne15, n’est pas telle qu’elle puisse susciter des oppositions inconciliables. Si oppositions il y a, elles sont issues de la société africaine elle-même, de son histoire propre, non d’un choc brutal des populations.
16Aucun des couples antinomiques proposés ne peut donc être considéré comme pleinement pertinent ; mieux vaut les congédier – du moins comme explication globale et unique – et faire effort pour découvrir entre les faits une autre cohérence, susceptible d’unifier les divers niveaux du réel africain.
Un exemple : l’opposition plaine-montagne
- 16 On doit aux importants travaux de Leveau sur Cherchell et sa région d’avoir jeté ce nouvel éclairag (...)
- 17 Encore faut-il se garder de tomber dans l’excès inverse. L’opposition plaine-montagne n’en demeure (...)
- 18 M. Janon, « Recherches à Lambèse », Antiquités africaines, VII, 1973, p. 193-254 (en particulier p. (...)
17Il faut revenir plus longuement sur cette opposition classique, car elle a fait l’objet d’éclairages récents : l’opposition entre plaine romanisée et montagne indigène, qui a eu longtemps pour beaucoup valeur de dogme, doit désormais être considérablement nuancée. Si l’on a souvent cru que les montagnes en général étaient vides d’influence romaine, et qu’à ce titre elles étaient le sanctuaire d’une « authenticité » africaine, c’est parce que ces zones n’avaient pas fait l’objet d’une exploration archéologique sérieuse. Tout simplement parce que la colonisation française s’en est désintéressée, pour des raisons technologiques, comme l’a montré Leveau : la supériorité de la charrue européenne sur l’araire indigène n’est manifeste qu’en plaine ; or c’était là le critère utilisé pour distinguer les terres de première classe, à coloniser, des terres de seconde classe, à laisser aux indigènes16. À partir de cette réalité, a été construit le schéma de l’opposition plaine-montagne, et ce schéma a été projeté à l’époque romaine comme une réalité de base de l’Afrique17. On voit sur ce cas précis que la connaissance de l’Afrique romaine a été fonction de la densité de la présence française, laquelle a été elle-même déterminée par des considérations politiques ou économiques propres à la situation du xixe siècle. C’est le cas de l’arrière-pays de Caesarea comme l’amontré Leveau, mais c’est aussi le cas de l’Aurès, comme le montre Janon18.
18À propos de l’Aurès, il est important de relever une remarque de M. Janon sur la différence de cheminement entre l’occupation française, qui, venant du littoral s’est heurtée aux sommets les plus élevés et a considéré la montagne comme imprenable, et l’occupation romaine, qui s’est faite à partir de l’Est et a donc pu profiter des voies de pénétration que constituent les trois vallées orientées nord-est – sud-ouest.
19On le voit, même le déterminisme géographique doit être parfois relativisé.
Quelques observations complémentaires
20On sait aujourd’hui combien l’histoire de l’Afrique romaine a souffert de l’ignorance délibérée de l’évolution intérieure des populations provinciales. Ignorance née de l’incuriosité, et entretenue par l’insistance constante sur le jeu des influences extérieures. Seuls les faits relevant du contact avec Rome étaient considérés comme dignes d’être retenus et analysés. De même, seules les réalités sociales romaines offrant quelques analogies avec des réalités de l’époque coloniale ont bénéficié d’études sérieuses. Ainsi, l’on a vu se multiplier les travaux sur les cités romaines d’Afrique, sur la politique municipale de Rome, mais on a dédaigné longtemps les formes d’habitat propres à l’Afrique : aucune étude sur le village africain, déplorait déjà C Courtois. Dans ce cas comme dans bien d’autres, ce sont les concepts de l’époque coloniale qui ont orienté la problématique.
21Il ne faudrait cependant pas croire que l’époque coloniale soit un bloc, et qu’elle ait réussi à mettre au point, à propos de l’Afrique romaine, une idéologie compacte, cohérente et permanente. La société coloniale, au contact des réalités quotidiennes, a connu ses phases d’optimisme et de doute, de triomphalisme et de dépression. Ce dont l’historiographie de l’Afrique romaine ne pouvait manquer d’être affectée. Ainsi en va-t-il, par exemple, de l’utilisation du mythe berbère et de sa projection dans l’Antiquité : l’on voit alterner les périodes où l’on exalte l’aptitude des Berbères à la civilisation, où l’on découvre que la tribu descend du municipe romain, que les villages kabyles ont conservé intacte l’organisation municipale romaine, et les périodes au contraire où l’on dénonce le caractère profondément réfractaire de ces mêmes Berbères, où l’on insiste sur le refus obtus qu’ils opposèrent à la civilisation romaine. Le modèle romain a donc pu fluctuer au gré des circonstances, en fonction des espérances, des déceptions.
Modèle et répétition
22Au terme de ces remarques, l’on ne peut s’empêcher de faire une comparaison : l’histoire de l’Afrique romaine semble avoir connu le même destin que bien des restes de bâtiments romains d’Afrique, qui ont servi de carrière où l’on a puisé pour la construction d’édifices nouveaux. L’Afrique romaine aussi semble parfois n’avoir été qu’une carrière, où les historiens sont venus prendre tel ou tel bloc de pierre pour l’intégrer dans une construction nouvelle.
23Mais peut-être faut-il ici y regarder de plus près. Ce n’est pas la seule évidence des faits, ni le simple goût de l’analogie, qui ont mené à la patiente et parfois contradictoire élaboration du modèle romain. Cette élaboration n’a-t-elle pas été en réalité une condition de l’action historique elle-même ? Car, on le sait, tout se passe comme si à certaines époques, dans certaines circonstances, les agents de l’histoire ne pouvaient assurer leur tâche qu’à condition de s’identifier à des figures du passé. Démarche sur laquelle Marx a porté une vive lumière ; dans la très célèbre ouverture du Dix-huit Brumaire de Louis Bonaparte il démonte en quelques formules le processus :
- 19 À propos de ce texte de Marx, et plus généralement à propos de la répétition en histoire, voir les (...)
Les héros, de même que les partis et la masse de la première Révolution française accomplirent dans le costume romain, et en se servant d’une phraséologie romaine, la tâche de leur époque, à savoir l’éclosion et l’instauration de la société bourgeoise moderne […] Les gladiateurs [de la société bourgeoise] trouvèrent, dans les traditions strictement classiques de la République romaine, les idéaux et les formes d’art, les illusions dont ils avaient besoin pour se dissimuler à eux-mêmes le contenu étroitement bourgeois de leurs luttes. […] La résurrection des morts, dans ces révolutions, servit par conséquent à magnifier les nouvelles luttes, non à parodier les anciennes19.
24En se référant constamment à un imaginaire modèle romain, la société coloniale semble donc avoir retrouvé la démarche même qui avait été celle de la bourgeoisie française un siècle auparavant.
Notes
1 Deux étapes dans l’histoire de cette « prise de possession » : la première est celle où la charge de la science coloniale nouvelle est entre les mains de militaires, d’érudits ou d’universitaires métropolitains ; la création en 1909 d’une université à Alger marque le début de la deuxième étape.
2 C’est le thème de l’éternel conquis qui s’élabore alors, avec son cortège de justifications géographiques, sociologiques ou raciales. Pour une dénonciation vigoureuse de ce thème et de ses prétendues justifications, voir M.-C. Sahli, Décoloniser l’histoire. Introduction à l’histoire du Maghreb, Paris, Maspéro, 1965.
3 On trouvera quelques exemples de cette démarche dans L. Homo, Expériences africaines d’autrefois et d’aujourd’hui, Paris, Vuibert, 1914. J’ai eu l’occasion d’évoquer cette obsession analogique dans La Résistance africaine à la romanisation, Paris, Maspéro, 1976, p. 10-12.
4 G. Boissière, Esquisse d’une histoire de la conquête et de l’administration romaine dans le nord de l’Afrique, Paris, Hachette, 1878 : « Il ne serait pas inopportun sans doute de revoir ces Romains que nous nous proposons volontiers pour modèles […] en face de ces graves questions de politique coloniale, de ces difficiles problèmes de rapprochement des races, d’assimilation progressive, de réconciliation des vaincus […]. Il serait bien intéressant d’éclairer ainsi et d’animer le passé des lumières et des impressions du présent, surtout de rassurer le présent et d’encourager l’avenir par les souvenirs du passé. » (p. 10-11)
5 Cet évolutionnisme social, qui veut que toute société en cours de « civilisation » passe obligatoirement par une série ascendante de stades successifs, est analysée et critiquée dans R. Preiswerk et D. Perrot, Ethnocentrisme et histoire. L’Afrique, l’Amérique indienne et l’Asie dans les manuels occidentaux, Paris, Anthropos, 1975, p. 123-147.
6 À propos des difficultés que l’on éprouve à réduire l’histoire africaine à un schéma linéaire, je me permets de renvoyer à La Résistance africaine, p. 579-587.
7 L’idée que l’entrée des peuples non européens dans l’orbite européenne est le résultat normal d’une évolution favorable, est aussi l’un des fondements de l’histoire ethnocentrique : cf. R. Preiswerk et D. Perrot, Ethnocentrisme et histoire, p. 177-183.
8 C. Lévi-Strauss, Races et Histoires, Paris, Plon, 1955, p. 260.
9 Par exemple, G. Ch. Picard, La Civilisation de l’Afrique romaine, Paris, Plon, 1959.
10 Cette théorie a surtout été soutenue par C. Courtois, Les Vandales et l’Afrique, Paris, 1955.
11 M. Rostovtzeff, The Social and Economic History of the Roman Empire, Oxford, Clarendon Press, 2e éd., 1957 ; Ph. Leveau, « Paysans maures et villes romaines en Maurétanie Césarienne centrale (la résistance des populations indigènes à la romanisation dans l’arrière-pays de Caesarea de Maurétanie) », Mélanges de I’École française de Rome, Antiquité, 87, 1975, p. 857-871. Mais les positions de Ph. Leveau sont très nuancées (cf. p. 870).
12 E.-F. Gautier, Le Passé de l’Afrique du Nord, Paris, Payot, 1937.
13 Il faut rappeler ici l’interminable débat mené en France sur la possibilité et l’opportunité d’une véritable assimilation des indigènes d’Algérie. Un bon exposé des thèses en présence est fourni par Léopold de Saussure, Psychologie de la colonisation française dans ses rapports avec les sociétés indigènes, Paris, Félix Alcan, 1899 (il s’agit en fait d’un plaidoyer contre l’assimilation).
14 Sur ce problème, voir en dernier lieu le débat sur la romanisation publié dans Annales : Économies, Sociétés, Civilisations, 33, janv.-févr. 1978.
15 La participation de l’Afrique pré-romaine aux courants commerciaux et culturels du monde hellénistique est désormais établie par nombre de travaux. À propos des origines de l’histoire urbaine en Afrique, on trouvera une bibliographie dans La Résistance africaine, p. 397-408.
16 On doit aux importants travaux de Leveau sur Cherchell et sa région d’avoir jeté ce nouvel éclairage sur le problème. Voir notamment l’article déjà cité dans MEFRA, 87, p. 869, et surtout : « L’opposition de la montagne et de la plaine dans l’historiographie de l’Afrique du Nord antique », Annales de géographie, 1977, p. 201-205.
17 Encore faut-il se garder de tomber dans l’excès inverse. L’opposition plaine-montagne n’en demeure pas moins une réalité incontestable de l’histoire de l’Afrique romaine, comme le montre notamment l’examen de la résistance militaire au iie et au iiie siècle.
18 M. Janon, « Recherches à Lambèse », Antiquités africaines, VII, 1973, p. 193-254 (en particulier p. 197).
19 À propos de ce texte de Marx, et plus généralement à propos de la répétition en histoire, voir les remarques de G. Deleuze, Différence et Répétition, Paris, PUF, 1968, p. 123.
© Éditions Rue d’Ulm, 2017