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Introduction à la lecture de Karl Popper

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Alain Boyer

A. méthodologie générale

3. D’où viennent les idées justes ?

Herbert Simon, Karl Popper et l’heuristique1

Texte intégral

  • 1 Tiré de : Sciences de l’intelligence, Sciences de l’artificiel, sous la direction de Jean-Louis Lem (...)
  • 2 H. Simon, Models of Discovery (abrégé en MD), chap. 14 ; ce livre est dédié à Carnap, dont Simon fu (...)
  • 3 Ibid., chap. 66 et 67 ; et British Journal for the Philosophy in Science, 1982.

1La richesse encyclopédique de l’œuvre de H. Simon rend délicat tout essai de caractérisation. Une intuition paraît néanmoins centrale : l’intelligence est une méthode de résolution de problèmes par des sujets aux capacités de calcul limitées, dans des situations complexes, au moyen d’heuristiques. Ce dernier concept me semble être au moins aussi important chez H. Simon que ceux de complexité et de rationalité limitée. D’autre part, une confrontation des pensées de H. Simon et de K. Popper doit assurément passer par cette question. Du point de vue méthodologique, H. Simon, bien qu’il soit plus sensible que Popper aux différentes explications que l’on puisse donner à la notion de simplicité2, et à « l’inférence à partir des données », se situe franchement dans le camp « falsificationniste ». Il a proposé une analyse de la falsifiabilité en termes de théorie des modèles3 qui constitue désormais une base de discussion difficile à contourner.

  • 4 Dont les objections sont éliminées par H. Simon grâce à son analyse de la « FITness » : une théorie (...)
  • 5 Sur ce point encore, Simon et Popper sont proches : le « rationalisme critique » de ce dernier repo (...)

2La différence la plus notable qui le sépare de Popper à ce propos paraît être la fidélité partielle de H. Simon au programme empiriste carnapien eu égard à l’élimination des termes théoriques (Ramsey, Craig, etc.) que Popper juge, sinon impossible (comme Sneed)4, du moins futile. En ces domaines, H. Simon se révèle comme ce qu’il est peut-être avant tout, et au sens plein du terme, un philosophe de la connaissance, un théoricien de la rationalité5, un épistémologue.

  • 6 En termes anachroniques : aurait pu être « simulée » ; en revanche il serait vain du point de vue k (...)

3Au paragraphe 47 de la Critique de la faculté de juger, Kant oppose Newton et Homère : le premier « pouvait rendre clair et déterminé non seulement pour lui-même mais aussi pour tout autre et pour ses successeurs tous les moments de la démarche qu’il dut accomplir », alors que le second « ne (savait) pas lui-même et donc ne (pouvait) enseigner à personne comment ses idées riches de poésie et en même temps grosses de pensées (surgirent) et (s’assemblèrent) dans son cerveau ». Il fallut à Newton un « cerveau puissant » pour écrire son « oeuvre immortelle », mais elle « aurait pu » être apprise par imitation et application de règles6. L’artiste, « favori de la Nature », seul peut avoir du « génie », « don inné », qu’il est impossible de réduire à des concepts. Sa manière n’est pas une méthode (§ 60).

4Il est vrai que « quelque chose de scolaire constitue la condition essentielle de l’art », si ses produits, soumis à des fins, doivent être distingués de ceux du hasard. Mais il existe une différence de nature entre la découverte scientifique et la production artistique. En conséquence, la transmission du savoir scientifique ne pose guère de problèmes, alors que l’enseignement des arts doit combiner l’apprentissage mimétique de règles avec la nécessité de pousser l’élève à ne pas imiter servilement les exemples (paradigme !) qui lui sont proposés (§ 60).

  • 7 Nous soulignons les termes qui font penser à Popper, qui appliquerait ces thèses kantiennes à la tr (...)

5Le maître doit « éveiller l’imagination de l’élève […] par une critique sévère » de ses tentatives, en référence à une Idée régulatrice de l’imagination7.

  • 8 Sur le « paradoxe » du « Ménon » (i. e. de Gorgias, à propos de l’impossibilité de découvrir ce que (...)
  • 9 Cf. Unended Quest, chap. 37.

6 Les problèmes de la croissance du savoir (l’induction), de l’heuristique (Idées régulatrices) et de la formation sont donc étroitement liés. On pourrait du reste les voir naître chez Platon, dans le Ménon en particulier8. Pour Simon comme pour Popper l’opposition kantienne n’est pas tenable : mais on pourrait dire que selon Simon, Mozart n’est après tout qu’un « cerveau puissant », alors que, selon Popper, Einstein a lui aussi du « génie ». Les deux auteurs se rejoignent sur le concept fondamental de problem-solving, plus général que celui de rapports fins/moyens. Popper le considère comme distinctif de la vie9, Simon comme étant le propre de certaines machines, dont l’animal. La querelle appellerait un approfondissement de l’ontologie du problème.

  • 10 Models of Discovery, chap. 5.4.
  • 11 Hanson se réfère lui-même constamment à « Peirce et Aristote » ; à propos du Stagirite, il s’agit d (...)

7Dans sa critique de La Logique de la découverte scientifique10, H. Simon soutient que ce titre est paradoxal : il est rare de voir un auteur nier dans un ouvrage la possibilité même de l’objet désigné par son titre. Voit-on Kant intituler la première partie de la Troisième Critique « Science du Beau » ? Or Popper nie explicitement qu’il puisse exister une « logique de la découverte », contrairement à Hanson, auquel se réfère Simon11. Rappelons toutefois que le titre original du livre de Popper (1934) était Logik der Forschung. Forschung (recherche) signifie que le problème est plus celui de la dynamique du progrès et ses conditions de possibilité, que celui de l’analyse statique de la structure des théories constituées. Le terme « discovery » renvoie la plupart du temps non pas à la découverte des hypothèses (heuristique), mais à la découverte de la réalité (l’inconnu) grâce aux hypothèses (au sens où l’on parle d’une « nouvelle découverte scientifique »). Selon Kant, Newton ne fait que « découvrir ». Selon Popper, il invente des hypothèses qui permettent de découvrir une partie du réel, fût-ce approximativement. Comment cette « découverte » est-elle possible ?

8Cette perspective implique que la science n’est pas seulement un instrument de prédiction, mais un procès indéfini de compréhension de la structure du cosmos.

  • 12 Apparue au moins avec Herschell (1830), sinon avec Descartes (ordre analytique), voire Archimède ; (...)
  • 13 Que Popper appellerait plutôt : contexte de critique objective, puisqu’il refuse le « justification (...)
  • 14 K. Popper, Logique de la découverte scientifique, i, chap. i, § 2.
  • 15 Sur cette question cruciale, cf. le remarquable chap. 3.1 de Models of Discovery.

9 Il est vrai toutefois que Popper accepte la distinction12 de Reichenbach entre « contexte de découverte » et « contexte de justification13 », et le fait que le processus réel de découverte des hypothèses ne puisse être normé par une « logique » ou un calcul. Le texte que Simon critique comme « mystique » s’intitule : « élimination du psychologisme14 ». La méthodologie étant une discipline normative, elle pose des questions de droit (quid juris, au sens de Kant, cité par Popper) ; or il est impossible de dériver le droit du fait15. Les théories prétendent à la vérité et la valeur de vérité d’un énoncé en est une propriété objective, indépendante de son processus de production.

10La thèse objective stipule qu’il y a autonomie des problèmes de structure par rapport aux problèmes d’origine. Comme le dit Popper, dans une phrase que Simon omet de citer : « Les arguments de mon livre sont tout à fait indépendants de la question du processus réel de l’invention subjective ». Par ailleurs, Popper estime, après Einstein, que toute découverte comprend un « élément irrationnel », une « intuition créatrice au sens de Bergson ». On aurait tort de considérer l’empathie (Einfühlung) comme un trait propre aux Geisteswissenschaften. Cette thèse est évidemment antipositiviste, mais aussi « unitariste ». L’intuition, l’imagination, l’enthousiasme, l’analogie, comme l’observation et les « idées préconçues » (Claude Bernard), sont nécessaires mais faillibles, et doivent donner lieu à des hypothèses explicites, susceptibles d’analyse logique et soumises à la critique intersubjective. Alors apparaissent les contraintes méthodologiques ; mais le chercheur lui-même, plus ou moins consciemment, élimine spontanément de nombreuses candidates, si elles ne sont pas méthodologiquement satisfaisantes. Et cette élimination même (métahypothèse) est faillible : Kepler a d’abord refusé sa propre hypothèse concernant les orbites elliptiques.

  • 16 Cf. MD, p. 151.
  • 17 Toute la question se ramène à celle de la nature et de l’étendue de cette liberté.

11Il n’y a pas d’algorithme pour découvrir de « bonnes » hypothèses. Il n’existe pas de « Méthode » qui permette de décider mécaniquement en un nombre fini d’étapes quelle hypothèse serait susceptible de résoudre un problème tant soit peu complexe. En particulier – et sur ce point Carnap rejoindra Popper et Einstein – il est vain de chercher une « machine inductive » susceptible d’induire des hypothèses universelles à partir des « données ». La confusion du fait et du droit favorise ce projet selon Popper : on suppose qu’une logique est nécessaire pour passer du donné singulier au légal théorique. Or ce ne peut être la logique déductive, puisqu’une prémisse singulière implique au plus une conclusion singulière. Donc il faut une « logique inductive ». Après Whewell, Duhem, Einstein, Popper rejette la vision inductiviste de la découverte des hypothèses : par conséquent l’hypothèse n’est ni déduite16 ni induite, mais « inventée librement17 », puis soumise déductivement à des tests.

12Ceci n’entraîne pas l’impossibilité d’une analyse à postériori du processus de production de l’hypothèse. La découverte est au moins partiellement rationnelle, mais on ne saurait exclure l’intervention de facteurs idiosyncrasiques : l’individu est nécessaire à la production de l’universel.

  • 18 Cf. le célèbre Essai sur la psychologie de l’invention dans le domaine mathématique de J. Hadamard (...)
  • 19 K. Popper, Realism and the Aim of Science, Introduction.
  • 20 Feyerabend étend à ce jeu la négation poppérienne de la Méthode : « Anything goes », à tous les niv (...)
  • 21 Le Rationalisme appliqué, p. 51.

13Au contraire, légiférer à priori sur la découverte peut s’avérer contreproductif, car l’imagination et la diversité, le polymorphisme, sont des conditions nécessaires du pluralisme critique. À l’intérieur du sujet lui-même, pourquoi ne pas laisser sa part à ces pensées qui « viennent quand elles veulent, non quand “je” veux » (Nietzsche) ?18 Il n’y a pas de Méthode19, il n’y a qu’un jeu intersubjectif et critique, muni de règles20. Faut-il en conclure que l’heuristique est ineffable ? Comme on le verra, cela n’est pas si clair : il se pourrait par ailleurs que le « coup de génie » (Watson, Turing, etc.) ne soit pas dû seulement à la possession (consciente ?) d’heuristiques, mais à des phénomènes cérébraux que seule la neurophysiologie pourrait éclairer. Popper est plus sceptique que Simon ou Zahar sur les capacités de l’analyse méthodologique à éclairer l’origine même de « l’hypothèse géniale », quoique l’on puisse intégrer cette étape dans un procès rationnel plus général, mais très souple (essais/erreurs). Normativement, comme Bachelard, Popper semble faire confiance à la vitalité et à la « pulsion de connaître » des chercheurs. La meilleure heuristique, c’est la vigilance critique ; cette dialectique négative est encore proche de Bachelard, qui disait, dans un contexte plus « psychologique », voire éthique : « Le moi rationnel est conscience de rectification21 ».

  • 22 Cf. Quantum Mechanics and the Schism in Physics, Metaphysical Epilogue ; ce texte de 1956 a beaucou (...)

14 De la part de Popper, se référer à Bergson – de manière assez lâche – a une valeur provocatrice : Carnap ne prend-il pas ses thèses sur l’intuition comme exemple de discours métaphysique dénué de sens ? Plus tard, la métaphysique ne sera plus pour Popper seulement de cet ordre, doué de sens mais irrationnel ; elle acquerra une valeur régulatrice et un statut rationnel grâce au concept clé de « Programme métaphysique de recherche22 ». L’aspect « mystique » dénoncé par Simon en diminue d’autant. Les programmes ont un aspect négatif (éliminer des « pseudo-explications ») et positif (suggérer la nature d’une réduction idéale), et ils évoluent sous la pression de la critique. Mais Popper n’en vient jamais à considérer que cette présentation élimine totalement l’aspect idiosyncrasique et difficilement explicable du surgissement de l’idée.

15Il distingue déjà dans la Logik le déclenchement (release) de l’inspiration, analysable par la psychologie, du jugement critique du chercheur sur cette intuition, que l’on peut non pas décrire par la seule méthodologie, mais « reconstruire rationnellement en produisant un squelette logique de la procédure critique qu’a pu utiliser le scientifique ».

16Comme le remarque Simon, la question est de savoir si une heuristique normative, une « prescription des normes de comportement valide » est possible. Popper n’y est pas nécessairement défavorable, puisqu’une réponse négative priverait de sens toute méthodologie, ou « praxéologie de la recherche ». Mais une métarègle s’impose : les règles ne doivent pas, par leur rigueur, nuire au progrès. En particulier aucune d’entre elles ne saurait être appliquée indépendamment du contexte, de la « situation de problèmes ». Aucune méthodologie ne doit suggérer que l’on puisse se passer :

  • de l’analyse détaillée du contexte problématique singulier ;
  • de l’irréductible diversité individuelle ;
  • de la délibération publique, intersubjective et critique.
  • 23 Cf. Misère de I’historicisme, chap. 32 ; curieusement, H. Simon, remarquable sociologue des organis (...)
  • 24 Cf. encore Models of Discovery, chap. 3-1.
  • 25 Jusque dans sa fameuse théorie du « Monde 3 ». On a plus besoin de connaître la structure des œuvre (...)
  • 26 Critiqué dans The Open Society and Its Enemies, chap. 24 ; le choix entre psychologie et sociologie (...)
  • 27 K. Popper, Objective Knowledge, p. 6, où ce principe est présenté comme « une conjecture quelque pe (...)

17D’où l’insistance de Popper23 sur les conditions institutionnelles et sociales du progrès, et donc aussi bien sur ses « obstacles » du même ordre. La méthodologie normative énonce des règles susceptibles de favoriser le progrès. Mais l’« effectuabilité » de ces règles peut dépendre de conditions factuelles24, nécessaires ou quasi nécessaires, quoique jamais suffisantes. Le rejet du psychologisme par Popper, disciple en cela de Frege25, ne doit pas plus conduire à rejeter l’analyse des conditions psychologiques favorisant le progrès que l’analyse des conditions sociales et politiques de ce même progrès ne doit conduire au sociologisme26. H. Simon a en ce sens montré de manière convaincante qu’une théorie des processus psychologiques favorisant la découverte pourrait ne pas conduire au psychologisme, si l’on construit la psychologie autour du concept d’heuristique. Popper ne peut à mon avis refuser à une telle psychologie le droit de cité, puisqu’elle n’est autre qu’une théorie des processus de solutions de problèmes. Son principle of transference : ce qui est vrai en logique est vrai en psychologie27, pourrait être complété par une quasi-réciproque simonienne : ce qui est impossible en psychologie est irrecevable dans une théorie normative des processus cognitifs. Toute « analyse de la situation » (normative ou descriptive) doit comprendre une description des limites des capacités du problem-solver, car un problème n’existe qu’en rapport à ce dernier. L’objectivité ontologique du problème dépend autant du sujet que de son milieu, sans qu’il soit possible de distinguer les deux aspects : un problem-solver n’est sujet que dans un certain environnement, lequel n’est un ensemble d’objets et de contraintes que pour un sujet donné.

  • 28 Objective Knowledge, chap. 4.
  • 29 Cf. J. Agassi, Towards an Historiography of Sciences, History and Theory ; cf. Logic of Scientific (...)

18L’« analyse situationnelle » considère des individus tentant de résoudre des problèmes à l’intérieur de situations physiques, idéologiques, institutionnelles et stratégiques. On ne peut comprendre le sens d’une théorie qu’au sein de ce contexte global, dont l’historien tâche de construire un modèle idéalisé (idéal-type). Le principe de rationalité – lui-même règle heuristique – permet de chercher des explications rationnelles à la production d’une hypothèse particulière, lorsque l’on en saisit le contexte. Popper tente de donner rapidement un exemple d’une telle stratégie de « compréhension objective » par l’analyse de la (fausse) théorie des marées de Galilée28. Ce n’est pas la méthodologie (normative) qui doit analyser le processus de découverte subjectif, mais elle peut aider l’historien des sciences, car elle lui suggère des pistes de recherche29.

  • 30 Cf. É. Zahar, « Meyerson and the role of mathematics in the scientific discovery ; Zahar propose de (...)
  • 31 Cf. J. Hadamard, Essai sur la psychologie de l’invention dans le domaine mathématique ; et K. Poppe (...)

19Les travaux de H. Simon amènent à douter de la validité de l’apparent rejet poppérien de l’heuristique hors du champ de la méthodologie. Mais en examinant de près les deux œuvres, il me semble plus juste de conclure d’une part que Popper, malgré qu’il en ait, propose bel et bien des outils heuristiques : sa propre théorie du progrès implique l’existence de principes régulateurs faillibles ; et d’autre part que Simon n’a peut-être pas assez offert d’analyses poussées de cas de découvertes importantes, propres à faire apparaître des règles heuristiques spécifiques et nouvelles. L’approche par « essais et erreurs » ou « conjectures et réfutations », commune aux deux auteurs, n’est en ce sens que le cadre (heuristique !) d’une théorie des heuristiques qui ne pourra guère se passer d’une étude historique non seulement des cas triviaux mais aussi des cas plus complexes : comment Kepler, Pascal, Galois, Cantor, Poincaré, Watson, en sont-ils arrivés à leurs découvertes ? Si Popper a raison, on trouvera dans chaque cas la conjonction de principes méthodologiques et métaphysiques, de génie individuel difficilement prédictible, d’obstination, de familiarité et de chance. Mais on découvrira peut-être également l’importance de principes heuristiques autonomes, par exemple : si une opération est impossible dans certains cas, cherchez un cadre dans lequel elle soit toujours possible (x2 = – 1) ; ou bien : si un objet mathématique intervient fréquemment dans votre théorie, cherchez-lui un sens physique30 ; si une méthode de résolution a été efficace dans un certain domaine, appliquez-la à d’autres domaines, etc. Ces règles ne sont pas toutefois uniquement choisies à cause de leur fécondité, mais peut-être aussi parce qu’elles correspondent à des exigences méthodologiques : chercher la généralité, l’unité, la testabilité. On ne saurait enfin oublier la valeur des rencontres fécondes (Watson et Crick), ni le rôle des images ou « diagrammes31 ».

  • 32 « Scientific discovery and the psychology of problem-solving », in Models of Discovery.
  • 33 Cf. Realism and the Aim of Science, chap. i, 3.
  • 34 Models of Discovery, p. 287.

20Dans un article32 plus convaincant que celui qu’il a consacré à Popper, H. Simon soutient que la résolution des problèmes scientifiques « est un fastidieux et pénible processus sélectif d’essais et erreurs ». Même l’illumination et l’« incubation » inconsciente peuvent, en principe, être intégrées à ce modèle général. Popper approuverait sans doute, qui tient que l’imitation et les découvertes « accidentelles » sont du genre « essais et erreurs33 ». L’imagination permet d’anticiper et de simuler, sans réaliser de tests, la mémoire de ne pas répéter ses erreurs. Le problème de l’induction, et plus généralement celui de l’apprentissage, revient à se demander d’où viennent les « essais » et comment ils sont sélectionnés. Popper ne pourrait qu’approuver le texte où Simon rejette les logiques inductives comme étant fort éloignées de la pratique, et ayant « peut-être moins de valeur normative qu’on ne le suppose34 ». Par ailleurs, les découvertes révolutionnaires sont rares : « Nous ne devons pas postuler des processus si puissants qu’ils prédisent la survenue quotidienne d’une découverte de première importance », ce qui n’empêche pas que pour Simon comme pour Popper, le processus créatif de la « science normale » n’est pas qualitativement différent de celui de la « science révolutionnaire » (au sens de T. Kuhn).

  • 35 « The Popper-Lakatos controversy ».
  • 36 MD, p. 289.

21Pour Simon, le processus par essais et erreurs peut constituer le noyau d’une théorie de l’heuristique, contrairement à ce que soutient Élie Zahar35, dans sa critique de Popper : Zahar ne prend peut-être pas assez en compte le fait que le procès en question peut être rationnel et guidé par des principes régulateurs, sans être déterminé par eux. Simon maintient, contre les Gestaltistes, que des processus par essais et erreurs sont au cœur de la découverte : « Einstein fit beaucoup de tentatives de solution qui échouèrent, et un processus sélectif d’essais et erreurs occupa une place fondamentale pendant la décade où il se débattit avec le problème de la vitesse et de la lumière36 ».

  • 37 Ce principe, énoncé par Bohr, est un principe méthodologique et heuristique essentiel pour Popper c (...)

22Le lien entre algorithme de découverte et heuristique est analogue au rapport de correspondance37 qui pourrait exister entre théorie de la rationalité absolue et « substantielle » d’une part, et théorie de la rationalité limitée et procédurale de l’autre ; la première ne sera un bon modèle que des situations :

  • où la réponse rationnelle est « évidente sur l’instant », unique et aisément calculable ;
  • totalement contraignantes, i. e. dans lesquelles il existe un mécanisme de rétroaction négative puissant à l’encontre des comportements non optimisateurs38.
  • 39 MD, chap. 5-2.

23De même, Simon considère qu’« excepté les situations où un algorithme est disponible, une certaine dose d’essais et erreurs est essentielle […] Mais sans heuristique puissante, ou principe de sélectivité, la recherche ne pourrait que rarement atteindre son objet39 ». Autrement dit, ou bien l’on devrait trouver plus d’essais et erreurs tâtonnants dans le cas des découvertes créatives que dans celui des découvertes routinières, ou bien les heuristiques des individus créatifs sont plus puissantes que celles des autres. Les découvertes sont dues selon Simon à un mixte de :

  • chance ;
  • ardeur et obstination dans la recherche ;
  • heuristiques particulièrement puissantes.

24La pédagogie peut au moins favoriser les habitus de type (2) et, sinon inculquer des heuristiques, du moins engager l’élève à se donner ses propres règles, parfois communes, parfois idiosyncrasiques : il y a du style individuel, même dans les sciences. Si l’heuristique est plus puissante, on ne trouvera pas plus de tâtonnements que dans les cas routiniers. Pour l’historien, la leçon de Simon me semble être la suivante : si la recherche n’apparaît pas plus erratique dans un cas extraordinaire que dans un cas routinier, chercher l’heuristique originale. Si celle-ci paraît manquer, en dernier ressort, attribuer la découverte à la chance et, s’il y a lieu, à l’obstination (cf. les Curie ?). Simon ne propose ici qu’un exemple : la possession d’une technique d’observation ou de représentation supérieure. Popper et Zahar, moins positivistes, proposent l’idée de principes méthodologiques et métaphysiques régulateurs, eux-mêmes issus d’une réflexion critique parfois surdéterminée (religion, etc.), mais irréfutables par l’expérience. Pour Zahar, ces principes logico-métaphysiques permettent de reconstruire rationnellement I’intégralité du processus : Newton n’est qu’un « cerveau puissant » comme le soutenait Kant. Popper laisse une part à l’irrationnel, à la chance et au « génie » au sens kantien. Tout physicien obstiné et mû par les principes régulateurs d’Einstein aurait-il pu inventer la relativité générale ?

25Les « découvertes simultanées » appuient cette thèse, au détriment du « génie ». Mais les principes qui guidèrent Leibniz et Newton n’étaient pas les mêmes ; or ils inventèrent simultanément le calcul différentiel. Et l’on peut bien attribuer du génie aux deux.

  • 40 Conjectures and Refutations, p. 47.

26On pourrait demander, poursuit Simon, d’où vient la possession de techniques supérieures : « La réponse serait en termes de chance, persistance, et heuristiques supérieures. La réponse n’est pas réellement circulaire, car il est tout à fait légitime, dans les systèmes dynamiques, d’expliquer les poules par l’éclosion des œufs, et les œufs par le processus de ponte des poules. » (id.) De même, « la question : qu’est-ce qui vient en premier, l’hypothèse ou l’observation » ? est soluble, comme le problème : « qu’est-ce qui vient en premier : l’œuf ou la poule ? ». Réponse au second problème : « une précédente sorte d’œuf », au premier : « une précédente sorte d’hypothèse40 ».

  • 41 « Creative self-critism in science and in art », Encounter, 1979.

27Popper attribue du « génie » aux auteurs qui semblent ne pas travailler par élimination de l’erreur, et atteindre la perfection immédiatement (Russell, Mozart)41, mais on peut supposer que leur processus de pensée est seulement très rapide. L’appel au concept de génie ne doit pas être considéré comme le signe d’une conception élitiste : la science moderne est d’abord une entreprise d’émulation collective (« friendly hostile cooperation »). Il permet de signifier I’irréductibilité des différences individuelles « naturelles ». Les analyses simoniennes des processus de recherche réduisent, mais n’éliminent pas cette part d’individuel ; Simon donne à penser que ce « mystérieux don des dieux » pourrait bien être analysable en termes de « capacités délibératives ». Cette analyse est le fait d’une psychologie cognitive scientifique. Popper pourrait répondre qu’elle ne permet de critiquer une méthodologie que si cette dernière comporte des impératifs « psychologiquement irréalisables » : on introduira donc la psychologie dans les contraintes (environnement interne). Rien n’interdit d’attribuer des limites différentes aux individus. La différence entre l’art et la science réside peut-être plutôt dans la nature des œuvres : celles de l’art, au sens moderne, possèdent une individualité irréductible.

  • 42 H. Simon, MD, chap. 1-3.

28É. Zahar a construit une notion heuristique de la corroboration qui mérite d’être signalée. La théorie poppérienne, fidèle à une tradition qui remonte à Leibniz, Whewell, Duhem, et qui est également reprise par Simon42 et les néobayésiens, stipule qu’un évènement e corrobore d’autant mieux T que p (e | T) – p(e) est proche de 1. Mais un évènement connu avant T ne pourrait alors la confirmer. Zahar propose de considérer que e (Michelson) peut corroborer T si e n’a pas été utilisé dans la construction de T. Un évènement ne peut pas à la fois servir à la construction et à la confirmation d’une théorie. L’étude de l’heuristique effectivement utilisée devient un élément pertinent dans l’assignation d’un « degré de corroboration ». Ce concept n’est pas sans poser de problèmes, car on pourrait supposer qu’il conduit à « désobjectiviser » la question de la corroboration.

29Il correspond néanmoins à une intuition fréquente des chercheurs : l’explication élégante d’un phénomène connu, mais mal compris, corrobore la théorie qui l’a permise. En toute rigueur, il me semble qu’un évènement ne saurait « corroborer » quoi que ce soit : c’est seulement son explication non ad hoc par une théorie qui peut corroborer cette dernière. Plus le succès est inattendu, plus la communauté scientifique sera portée à y voir un élément à mettre à l’actif de la théorie.

  • 43 Cf. MD, p. 277 : « Les termes “hautement sélectifs” et “essais et erreurs” peuvent sembler contradi (...)

30É. Zahar reproche à Popper son épistémologie « néodarwinienne » : contre le modèle d’apprentissage par instruction, de type lamarckien-inductiviste, Popper met en avant l’isomorphisme entre sa conception et le processus mutations/sélection. Mais il faut souligner que Popper, comme Simon, insiste sur la différence entre essais aveugles et aléatoires, selon les termes du psychologue Campbell43. Le processus de recherche est actif, ni complément déterminé, ni aléatoire. Il est le fruit d’un « contrôle souple » (plastic), où les idées régulatrices, les problèmes, la structure objective des théories et les exigences « pratiques » jouent le rôle de « niche » (non totalement) contraignante.

31On ne peut à priori décider qu’un certain type d’essais sera à jamais stérile, mais les essais appartiennent toujours à des classes limitées – quoique potentiellement infinies – à l’intérieur desquelles les hypothèses légitimes devront être trouvées. Les principes de limitation, dont certains renvoient à des anticipations codées génétiquement, retenues pour leur valeur adaptative, sont eux-mêmes des (méta) conjectures. Je considère qu’en ce sens les conceptions de Popper, Zahar et Simon sont loin d’être contradictoires et qu’elles pourraient fournir le cadre d’une réponse pragmatique au fameux « paradoxe de Goodman », qui amène à penser qu’un même ensemble de données « confirme » toutes les hypothèses qui sont compatibles avec lui, y compris les plus saugrenues.

  • 44 « L’architecture de la complexité », in La Science de l’artificiel, EPI, p. 118 ; cet article fonda (...)

32De la même manière, Simon considère que « le raisonnement, processus de sélection naturelle, l’aptitude à la résolution des problèmes, de la plus maladroite à la plus perspicace, ne met rien d’autre en œuvre que des mélanges variés d’essais et d’échecs ou de sélectivité. La sélectivité découle elle-même de diverses règles empiriques, ou heuristiques, qui suggèrent les itinéraires à essayer d’abord et ceux qui peuvent être prometteurs44 ».

  • 45 Cf. Models of Discovery, chap. 2.4 ; et Objective Knowledge, chap. 8.
  • 46 Cf. son texte dans Individuale-Collettivo, A. Petroni (éd.), Milan, Cortina, 1985 ; I’« interaction (...)
  • 47 Cf. in P. A. Schilpp (éd.), the Philosophy of Karl Popper, la réponse de Popper à Feigl et Meelh à (...)

33L’un des points d’appui essentiels d’un rapprochement plus poussé entre les pensées de H. Simon et de K. Popper serait à mon sens leur commune confiance en la logique déductive classique45 et leur commune approche « sélective » et « problématique » de la rationalité. Leur opposition quant à la notion d’heuristique ne semble pas principielle, mais seulement quantitative : Simon semble plus optimiste que Popper sur les capacités de la psychologie à permettre de reconstruire le processus rationnel effectif. Cette différence a sans doute pour origine la complète opposition, pour le cas, des deux auteurs quant au problème du corps et de l’âme : Popper, non sans une certaine audace, refuse le défi de Turing46 et reste sceptique sur le programme de l’I. A. initié par H. Simon47.

34En dernière instance, le débat Simon/Popper reposerait donc sur la question métaphysique (et non méthodologique) du matérialisme et celle de la possibilité de simuler la créativité par l’application de règles. Plus généralement, pour Popper, le problème central est celui des conditions de possibilité cosmologiques de la créativité : ex nihilo aliquid. La solution innéiste radicale (de Platon à Chomsky) élimine le problème par un coup de force : tout est, en un sens, déjà là ; il n’y a qu’à choisir.

  • 48 Il conviendrait de situer également les positions empiristes (de Locke à Quine) et « constructivist (...)

35Simon et Popper48 s’accordent sur une vision évolutionniste et réellement créativiste de l’esprit. Mais pour le second cette vision impose une limite à la science : l’impossibilité de connaître scientifiquement les limites de l’esprit humain.

  • 49 The Open Universe, p. 107. L’argument est d’autant plus fort qu’il vaut pour toute machine prédicti (...)

36Le « connais-toi toi-même » est un idéal logiquement inacessible49. Pour le premier, il est possible de connaître en principe le fonctionnement de l’esprit créateur en le simulant à l’aide de programmes « intelligents ». Toute la question est de savoir ce que prouve effectivement une telle simulation. Peut-elle permettre, par exemple, de prédire une découverte d’importance (c’est-à-dire de la faire) ?

  • 50 Kant, CFJ, § 49, p. 147 ; le terme allemand est « anachfolge Beispiel » (exemple à suivre) que Kant (...)

37Le point fort de la position de Simon est son rationalisme optimiste, qui fait apparaître son contradicteur comme quelque peu obscurantiste. Gageons que même si la science devait admettre des limites qu’il ne reconnaît pas, son œuvre resterait un « héritage exemplaire50 », témoignage de l’audace de l’intelligence humaine. Et peut-être pas seulement celle d’un « cerveau puissant ».

Bibliographie

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Notes

1 Tiré de : Sciences de l’intelligence, Sciences de l’artificiel, sous la direction de Jean-Louis Lemoigne et André Demailly, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1986.

2 H. Simon, Models of Discovery (abrégé en MD), chap. 14 ; ce livre est dédié à Carnap, dont Simon fut l’élève.

3 Ibid., chap. 66 et 67 ; et British Journal for the Philosophy in Science, 1982.

4 Dont les objections sont éliminées par H. Simon grâce à son analyse de la « FITness » : une théorie est FIT si elle est finiment et irrévocablement falsifiable. Popper ne distingue pas ces deux aspects, clairement opposables seulement sur des cas assez artificiels, comme le reconnaît Simon, Models of Discovery, p. 409.

5 Sur ce point encore, Simon et Popper sont proches : le « rationalisme critique » de ce dernier repose évidemment sur une conception non critériologique (non algorithmique) de la rationalité, processus délibératif et critique d’essais et erreurs. H. Simon avoue son intérêt précoce pour « la structure logique des énoncés dans I’Éthique d’Aristote ». L’analyse de l’action délibérée dans l’Éthique à Nicomaque (iii, 1-7) demeure inégalée ; elle a peut-être influencé Simon ; cf. en particulier la notion d’euboulia (id., vi, 1142 b). Ni Dieu ni l’animal ne délibèrent ; cf. l’admirable La Prudence chez Aristote de P. Aubenque.

6 En termes anachroniques : aurait pu être « simulée » ; en revanche il serait vain du point de vue kantien de chercher à constituer un « système expert » en interrogeant un artiste, comme il serait absurde d’espérer constituer l’embryologie en interrogeant des mères : la Nature, c’est ce qui se fait en moi, sans moi, « en dépit de moi », selon un mot de Borgès. Les métaphores de la maternité abondent à propos de la création poétique, y compris dans ce texte de Kant ; sur le génie, cf. Hegel, Introduction à l’Esthétique, iii, C ; à propos de Ion de Platon, cf. K. Popper, Unended Quest, chap. 13. Une interprétation rationaliste de la créativité est compatible avec l’idée de « dépossession » du sujet, « comme si quelqu’un se servait de ma machine à vivre », P. Valéry, Variété v, p. 139.

7 Nous soulignons les termes qui font penser à Popper, qui appliquerait ces thèses kantiennes à la transmission du savoir scientifique aussi bien ; cf. sa polémique avec Kuhn, in L. Lakatos (éd.), Criticism and the Growth of Knowledge : la philosophie poppérienne, comme peut-être toute philosophie depuis Socrate, est de manière essentielle une « réflexion sur l’éducation » (cf. Kant) ; sur l’imitation non du réel mais d’un idéal, cf. D. Diderot, p. 137.

8 Sur le « paradoxe » du « Ménon » (i. e. de Gorgias, à propos de l’impossibilité de découvrir ce que l’on ne connaît pas), et sa solution simonienne, cf. Models of Discovery, p. 338, où Simon critique M. Polanyi ; comme l’a répété Popper, avant Fodor, problème de l’induction = problème de l’apprentissage.

9 Cf. Unended Quest, chap. 37.

10 Models of Discovery, chap. 5.4.

11 Hanson se réfère lui-même constamment à « Peirce et Aristote » ; à propos du Stagirite, il s’agit d’une méprise sur la définition du « syllogisme abductif » ; à propos de Peirce, duquel Popper est moins éloigné qu’on ne le croit, cf. C. Chauviré, « Peirce, Popper et l’abduction ».

12 Apparue au moins avec Herschell (1830), sinon avec Descartes (ordre analytique), voire Archimède ; contre Popper, Simon réhabilite non pas le psychologisme, mais la psychologie, qui doit avoir une place déterminante dans l’analyse situationnelle : la forme de la recherche dépend des capacités (limitées) du sujet cherchant.

13 Que Popper appellerait plutôt : contexte de critique objective, puisqu’il refuse le « justificationnisme ».

14 K. Popper, Logique de la découverte scientifique, i, chap. i, § 2.

15 Sur cette question cruciale, cf. le remarquable chap. 3.1 de Models of Discovery.

16 Cf. MD, p. 151.

17 Toute la question se ramène à celle de la nature et de l’étendue de cette liberté.

18 Cf. le célèbre Essai sur la psychologie de l’invention dans le domaine mathématique de J. Hadamard et H. Poincaré, Science et Méthode, chap. iii : « L’invention mathématique ».

19 K. Popper, Realism and the Aim of Science, Introduction.

20 Feyerabend étend à ce jeu la négation poppérienne de la Méthode : « Anything goes », à tous les niveaux… Libéral, Popper n’est que partiellement « anarchiste » !

21 Le Rationalisme appliqué, p. 51.

22 Cf. Quantum Mechanics and the Schism in Physics, Metaphysical Epilogue ; ce texte de 1956 a beaucoup influencé Lakatos, qui, dans Proofs and Refutations, commente longuement le terme « logique de la découverte », et conclut que Popper, refusant la Méthode de Descartes ou Bacon, a inventé une nouvelle approche, ni logique ni psychologique, « une logique faillibiliste de la découverte, ou heuristique » (p. 142-143, n. 2).

23 Cf. Misère de I’historicisme, chap. 32 ; curieusement, H. Simon, remarquable sociologue des organisations, n’aborde jamais cet aspect de la question. Fidélité à la division du travail carnapienne ? II rompt pourtant avec celle-ci en « réhabilitant » la psychologie (cognitive).

24 Cf. encore Models of Discovery, chap. 3-1.

25 Jusque dans sa fameuse théorie du « Monde 3 ». On a plus besoin de connaître la structure des œuvres pour comprendre leur auteur que l’inverse. II y a chez Popper une réelle « critique du sujet », comme on disait naguère.

26 Critiqué dans The Open Society and Its Enemies, chap. 24 ; le choix entre psychologie et sociologie se retrouve dans le débat sur les « énoncés de base ». La différence entre Kuhn et Popper repose en partie sur le statut de l’acceptation intersubjective de ces énoncés d’observation. Popper est paradoxalement plus « sociologisant » en cette matière que Kuhn. Mais l’acceptation d’un énoncé de base par une communauté est avant tout normée par la recherche de la vérité et la discipline critique. Par la recherche du vrai, les scientifiques transcendent leur origine en faisant dépendre leurs choix de résultats qu’ils ne peuvent avoir eux-mêmes produits de toute pièce. La science empirique est une ruse (de la raison…) grâce à laquelle la Nature est invitée à la table des délibérations, où elle a en quelque sorte « son mot à dire ».

27 K. Popper, Objective Knowledge, p. 6, où ce principe est présenté comme « une conjecture quelque peu audacieuse en psychologie de la cognition ou des processus de pensée ». On peut à ce titre lui accorder au plus une valeur heuristique.

28 Objective Knowledge, chap. 4.

29 Cf. J. Agassi, Towards an Historiography of Sciences, History and Theory ; cf. Logic of Scientific Discovery, § 39, p. 131, à propos de Kepler ; Appendice *iii : On the Heuristic use of the Classical Definition of Probability ; Appendice *xi, sur les différents usages (critique, heuristique et apologétique) des « expériences de pensée » ; sur la valeur heuristique des « Programmes métaphysiques de recherche », cf. J. Watkins, « Historical explanation in the social sciences », in J. O’Neill (éd.), Modes of Individualism and Collectivism, p. 167 ; le concept d’heuristique utilisé plus tard par Lakatos me semble moins clairement « heuristique » qu’il n’y paraît.

30 Cf. É. Zahar, « Meyerson and the role of mathematics in the scientific discovery ; Zahar propose de convaincantes « reconstructions rationnelles ». Comme tout historien rationaliste, il ne manque pas d’être critique pour ses « rationalisations après-coup ».

31 Cf. J. Hadamard, Essai sur la psychologie de l’invention dans le domaine mathématique ; et K. Popper et J. C. Eccles, The Self and its Brain, p. 465.

32 « Scientific discovery and the psychology of problem-solving », in Models of Discovery.

33 Cf. Realism and the Aim of Science, chap. i, 3.

34 Models of Discovery, p. 287.

35 « The Popper-Lakatos controversy ».

36 MD, p. 289.

37 Ce principe, énoncé par Bohr, est un principe méthodologique et heuristique essentiel pour Popper comme pour Zahar. Une théorie T’ assigne des valeurs à tout paramètre Pi auquel T assigne des valeurs, mais elles n’assignent pas partout les mêmes valeurs : les valeurs assignées alors par T’ approchent les valeurs assignées par T asymptotiquement. En général, T traite un Pi comme un invariant alors que T’ le traite comme une variable dont la valeur tend vers la valeur assignée par T lorsqu’un autre paramètre Pj tend vers une valeur limite (0 ou l’infini) ; cf. J. Watkins, in G. Radnitzky (éd.), Progress and Rationality in Science, p. 376 ; ce principe exprime, mais dans les termes de la logique classique, une sorte d’Aufhebung hégélien.

38 Situations à « une seule sortie », selon le mot de J. Watkins : cf. S. Latsis, Methods and Appraisal in Economics ; on pourrait parler d’un cas de « lutte pour la correspondance » entre les deux théories. Mais Ph. Mongin fait remarquer qu’elles sont au moins partiellement incommensurables (in Revue économique, janvier 1984). On peut regretter que Simon n’explicite pas assez la nature des « falsificateurs potentiels » de sa théorie.

39 MD, chap. 5-2.

40 Conjectures and Refutations, p. 47.

41 « Creative self-critism in science and in art », Encounter, 1979.

42 H. Simon, MD, chap. 1-3.

43 Cf. MD, p. 277 : « Les termes “hautement sélectifs” et “essais et erreurs” peuvent sembler contradictoires. Ils ne le sont pas » ; cf. D. Campbell, « Blind variarions and selective retention », in F. José Ayala et T. Dobzhansky (éd.), Studies in the Philosophy of Biology.

44 « L’architecture de la complexité », in La Science de l’artificiel, EPI, p. 118 ; cet article fondamental permet au linguiste poppérien Sampson (G. Sampson, Making Sense of Language) de tenter un « dépassement » de l’antinomie désormais classique Chomsky/Piaget en théorie de l’apprentissage. Le concept de « structure hiérarchique » constitue l’un des apports les plus importants de Simon, y compris pour la théorie de l’évolution.

45 Cf. Models of Discovery, chap. 2.4 ; et Objective Knowledge, chap. 8.

46 Cf. son texte dans Individuale-Collettivo, A. Petroni (éd.), Milan, Cortina, 1985 ; I’« interactionnisme » de Popper et Eccles ne paraît cependant convaincant qu’aux yeux d’une petite minorité.

47 Cf. in P. A. Schilpp (éd.), the Philosophy of Karl Popper, la réponse de Popper à Feigl et Meelh à propos du fameux Logical Theorist de Newell et Simon.

48 Il conviendrait de situer également les positions empiristes (de Locke à Quine) et « constructivistes » (Piaget). Ces remarques sont à l’évidence purement indicatrices ; sur N. Chomsky, cf. La Science de l’artificiel, p. 64.

49 The Open Universe, p. 107. L’argument est d’autant plus fort qu’il vaut pour toute machine prédictive.

50 Kant, CFJ, § 49, p. 147 ; le terme allemand est « anachfolge Beispiel » (exemple à suivre) que Kant oppose au « nachahmung Beispiel », « exemple à imiter » (servilement).

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