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Préface
p. 11-13
Texte intégral
1Internet et la cartographie ont une histoire déjà ancienne qui remonte à près d’un quart de siècle. Le navigateur NCSA Mosaic, logiciel du National Center for Supercomputing Applications, lancé en 1993, fut le premier à prendre en charge les images, et la première carte fut sans doute transmise sur le réseau au cours de cette même année. Aujourd’hui, la carte est partout sur le web et ce n’est pas le regard biaisé du spécialiste qui conduit à le constater. De nombreuses études ont souligné la présence envahissante de l’information spatiale et des cartes sur la toile. Cette inflation tient en particulier à une production réalisée par des non-spécialistes. On sait en effet que le web, et particulièrement le web 2.0, a mis fin au quasi-monopole des cartographes professionnels. Les « amateurs » produisent des cartes de façon massive en agrégeant leurs propres données, parfois selon un mode collaboratif, et en utilisant des outils simples disponibles en ligne, tels que les interfaces de programmation applicatives (API, pour Application Programming Interfaces), dont Google Maps est l’exemple le plus représentatif. Les analyses relatives à cette néogéographie, vaste champ de pratiques nouvelles, restent rares en français. Ce n’est pas le moindre mérite du livre de Matthieu Noucher que de nous fournir, dans un premier temps, un panorama de cette constellation de cartes nouvelles. Il choisit pour les désigner le qualificatif de « petites cartes », pour les opposer aux cartes officielles et institutionnelles, considérées comme les éléments d’un grand récit de la représentation du monde. Au grand récit succéderait donc une myriade de petits récits, construisant une vision kaléidoscopique de la surface terrestre. On trouve là les cartes servant d’interfaces de recherche, les cartes issues des traces numériques laissées par les systèmes de géolocalisation, les cartes égocentrées, créées à partir de données personnelles et d’outils en ligne, voire les vastes entreprises de cartographie libre, du type d’OpenStreetMap. Le panorama qui est esquissé par l’auteur ne vise pas à l’exhaustivité : ce qui importe, pour lui, c’est bien de s’interroger sur « les nouveaux rapports à l’espace induits par cette complexification du processus cartographique » et la façon dont celle-ci révèle « des changements contemporains des modalités de mise en ordre du monde ». Que les cartes soient « petites », voire anecdotiques, ne les rend pas insignifiantes : elles sont des images alternatives, susceptibles d’analyses politiques, sociales et culturelles. Elles témoignent de grilles de lecture originales, du renouvellement des points de vue sur le monde.
2La grande originalité de l’ouvrage proposé ici tient par ailleurs à l’ambition affichée d’introduire une approche critique de la production des petites cartes du web. La pensée critique en cartographie se réfère principalement aux travaux du Britannique John Brian Harley, au tournant de la décennie 1990. Il est devenu une référence obligée, une sorte de figure tutélaire, systématiquement invoquée par des études recherchant un vernis critique tout en conservant un propos souvent très classique et convenu. Harley, géographe et historien de la cartographie, a principalement appliqué son appareil théorique à une cartographie de l’époque moderne. Il s’est peu aventuré dans les différentes formes de la cartographie thématique, voire de la cartographie numérique et des systèmes d’information géographique (SIG), sinon pour relever l’esprit positiviste et les « œillères technologiques » des cartographes professionnels. Il est donc particulièrement précieux de trouver ici la tentative de dépassement d’une approche purement descriptive ou technique de ces « petites cartes ». Matthieu Noucher pointe à juste titre les obstacles auxquels se heurte l’approche critique de la cartographie du web, en particulier le caractère hybride des données et leur hétérogénéité, qui rendent malaisée l’identification d’intentionnalités sociales. Il dépasse ces constats pour aboutir à des propositions méthodologiques fortes, suggérant d’entrer dans ces cartes du web par leurs usages multiples, cette « grande variété de réappropriations et de mobilisations différenciées ». L’approche critique réclame alors une analyse fine des contextes, une attention soutenue à l’égard des processus, du map-making, que l’auteur résume sous l’expression de « fabrique cartographique ».
3La fabrique, nous la voyons à l’œuvre au troisième chapitre avec le cas de la cartographie minière en Guyane, dans un contexte que l’auteur connaît bien. Il nous montre comment, à partir d’une carte institutionnelle, le schéma départemental d’orientation minière, se construisent et s’entremêlent d’autres discours, des contre-cartographies avancées par divers acteurs : les opérateurs miniers, les associations de défense de l’environnement, les représentants des intérêts des peuples autochtones. L’usage d’Internet, pour construire ou diffuser ces contre-cartes, témoigne des processus d’hybridation et de la malléabilité de l’information évoqués au deuxième chapitre. Cette étude s’achève par une analyse du rôle politique que jouent les « petites cartes », entre émancipation et domination. Le « demain, tous cartographes » n’est pas forcément un lendemain qui chante. La promesse implicite d’un empowerment des non-experts qui mobilisent la carte n’est que partiellement réalisée. Matthieu Noucher démêle pour nous les usages et les enjeux de ces cartes minières guyanaises, en évitant toute naïveté et tout irénisme. Au final, il tient le pari d’offrir une nouvelle perspective critique face à ces petites cartes du web. Celle-ci ne se limite pas à la posture, mais s’ancre concrètement dans une analyse fouillée, à la fois de l’infrastructure technique qui permet de construire les cartes, et des acteurs qui les mettent en œuvre.
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Les Petites Cartes du web
Ce livre est cité par
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Les Petites Cartes du web
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