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Histoire, légende, imaginaire : nouvelles études sur le western

 | 
Jean-Loup Bourget
, 
Anne-Marie Paquet-Deyris
, 
Françoise Zamour

Du rêve de conquête au territoire des conflits : esquisse d’un imaginaire géographique du western

Françoise Zamour

Texte intégral

  • 1 Cité dans Y. Pedrono, Et Dieu créa l’Amérique !, 2010, p. 47.

1La formule d’Howard Hawks, « les mauvais westerns sont ceux où l’on raconte une histoire qui pourrait se passer n’importe où1 », affirme l’importance et la matérialité d’un paysage qui ne constitue pas seulement le décor d’une action, mais occupe une place déterminante dans la construction et le déroulement du film. Dans le cas du western, la géographie est définitoire, la localisation est essentielle. Avant tout, le terme de western désigne un film, souvent hybride, puisqu’il peut se teinter de mélodrame, de comédie, ou rejoindre le film de guerre, dont l’action se situe à l’ouest.

  • 2 T. Thomas, The West that Never Was, 1990.
  • 3 M. Coyne, The Crowded Prairie. American National Identity in the Hollywood Western, 1997.

2Pourtant, c’est lorsque l’épopée de la conquête de l’Ouest, le mythe de la frontière, les affres de la ruée vers l’or, de la construction du chemin de fer ou de l’extension de l’urbanisation sont terminées depuis longtemps, qu’il ne reste de l’Ouest d’autrefois que des romans populaires, des traces musicales ou photographiques, des spectacles de cirque et des parades de folklore que se développe le western. Quand commencent les premiers tournages, le paysage est radicalement transformé, l’urbanisation est achevée et le chemin de fer traverse la prairie depuis belle lurette. Pour reprendre l’expression de Tony Thomas, le western présente au spectateur un « West that never Was2 ». La Crowded Prairie3 de Michael Coyne est surtout peuplée d’ombres, de désirs et de rêves.

3Il s’agit alors pour le cinéma d’entreprendre une démarche de reconstruction, de réinventer un paysage antérieur au sein duquel les aventures humaines ou merveilleuses qu’il popularise puissent trouver place. Cette entreprise permet au passé mythique d’affleurer à partir des espaces saisis par la caméra à l’instant du tournage. Cependant, la géographie qu’elle façonne, si elle s’empare du monde expérimenté par les spectateurs, ne cherche pas à créer le réel d’un Ouest désormais disparu. Dans un genre aussi territorialisé, déterminé par son décor, que le western, on est en effet frappé de voir à quel point la topographie se teinte d’arbitraire, voire parfois de pure fantaisie. Il s’agit, bien plus que d’un monde spatialement plausible, d’inventer une géographie imaginaire de l’Ouest, qui puisse non seulement contenir, mais même générer les récits qui s’y déroulent.

4Toutefois, entre précision de la localisation et fantaisie de la topographie diégétique, la contradiction n’est qu’apparente. Elle révèle surtout à quel point l’espace du western demeure paradoxal, siège de tensions qui engagent la relation au temps, mais qui tiennent également à la fonction particulière et déterminante de la géographie dans les films.

L’espace des rêveurs

5Si l’on examine les films du corpus principal proposé, tous prennent soin de mentionner leur localisation, de donner au spectateur des repères à la fois temporels et spatiaux qui lui permettent de situer l’action.

6Si Le Cheval de fer part de l’Illinois pour atteindre Promontory Summit dans l’Utah (une partie de l’action, toutefois, se situe sur la ligne de la Central Pacific, partie de Sacramento, donc d’ouest en est), l’action de L’Étrange incident est située dans le Nevada. L’homme des vallées perdues sillonne le Wyoming, tandis que Le Brigand bien aimé dépouille les banques du Missouri. Le théâtre de l’action de La Flèche brisée est l’Arizona, alors que Les Cheyennes de Ford entreprennent, depuis l’Oklahoma, la recherche de terres pour leurs tribus ; quant à la vie picaresque de Little Big Man, elle gravite autour du Dakota et des Black Hills (mais le film est tourné dans le Montana). Le relief, la végétation, le climat, tout sépare ces localisations, dont la diversité s’étend encore si l’on prend en considération la localisation des films du corpus secondaire qui, pourtant, constituent, à elles toutes, un paysage cinématographique très cohérent, doté même de caractéristiques assez uniformes. En effet, toutes ces précisions destinées à authentifier l’action, à la singulariser, n’empêchent pas le film de recourir à des images connues, destinées à plonger le spectateur dans un univers plus qu’à le renseigner sur une situation géographique.

7L’ouverture de La Prisonnière du désert affirme la dimension imaginaire de ce territoire de l’Ouest, lieu d’une construction poétique, visuelle, qui infléchit profondément le regard du spectateur. Aussitôt après le carton qui indique « Texas 1868 », un personnage féminin ouvre une porte qui donne sur un paysage caractéristique de Monument Valley bordé, au tout premier plan, par une couverture Navarro qui flotte au vent.

8Cette parataxe audacieuse souligne une dimension qui traverse les paysages fordiens : ils fonctionnent comme le support de la rêverie et tissent une relation entre l’histoire et la géographie, entre le présent du récit, et la nostalgie d’un Ouest que le film évoque plus qu’il ne le décrit.

9On pourrait lire Le Cheval de fer comme le pendant de Naissance d’une nation. Placé, comme le film de Griffith, sous l‘égide d’Abraham Lincoln, le film propose, c’est lisible dès les premiers cartons introductifs, de substituer à la division entre Nord et Sud une opposition entre Est et Ouest. Toutefois, cette nouvelle dichotomie ne relève pas d’une esthétique de l’affrontement, pas plus qu’elle ne se contente de remplacer la verticalité de l’affrontement historique par l’horizontalité d’une perception centrée sur l’espace, elle participe d’une utopie de la réunion. John Ford substitue une téléologie à une autre : au chaos de l’histoire résolu à travers le conflit, il répond par l’unification d’un territoire. Au premier plan de la démarche de Ford, la place accordée au rêveur, à celui qui imagine cet espace. À ce titre, les premières séquences du film sont révélatrices. C’est Brandon, considéré par son voisin Marsh comme un doux rêveur, qui est présenté par le film comme l’homme à l’origine du chemin de fer transcontinental. Par deux fois, le personnage de Brandon apparaît adossé à un arbre, contemplant l’horizon les yeux mi-clos (2’47’’/11’ 18). Des plans qui ne présentent pas vraiment le personnage comme un homme d’action. C’est Marsh, le pragmatique, qui entreprendra, une fois qu’elle aura pris corps, de mettre en œuvre cette idée à laquelle il ne croit pas. D’emblée, il faut le noter, Lincoln se range du côté de l’utopiste, salue comme un pionnier celui qui imagine et conçoit le projet, plus que celui qui l’exécute (8’37). L’accueil réservé par le même Lincoln, devenu président, à l’ingénieur Jensen, est particulièrement révélateur de cette préférence pour l’imaginaire.

Le travail du dispositif

10Les options retenues par Ford, dans la manière de construire l’espace du Cheval de fer sont programmatiques. Elles déterminent l’ensemble du corpus, induisant une manière spécifique au western d’utiliser le dispositif cinématographique, de manière à construire une spatialité dont la cohérence révèle le primat du sentiment poétique sur les logiques topographiques. Cette géographie imaginaire repose sur deux éléments cinématographiques, constitutifs du genre : le panoramique, qui inscrit les personnages dans des étendues vastes et désertes, et un usage du raccord susceptible de réinventer la continuité des territoires et la cohérence des trajectoires.

11Le panoramique, suivi d’un plan large, s’impose universellement comme manière de poser à la fois l’horizon du paysage, et la place des personnages. L’infini, le regard non borné, participe de la construction de l’Ouest américain.

12Le panoramique large associe le regard humain, celui du rêveur, du « conquérant d’un nouveau monde », à l’infini des possibilités offertes par cet espace. Lyrique ou élégiaque, le procédé peut également se teinter d’une cruelle ironie, comme on la trouve dans Little Big Man. Le premier flash-back, constitué d’un long panoramique sur un paysage de prairie un peu rase, sous un soleil idyllique, s’achève en effet sur un léger décadrage qui révèle les vestiges d’un carnage récent tout de cadavres déchiquetés et de charrettes encore fumantes (2’57).

  • 4 J.-L. Leutrat, Le Cinéma en perspective, 1990, p. 10-11.

13Caractéristique du genre, le plan paysage fait plus que planter un décor, il révèle l’historicité du regard. Jean-Louis Leutrat, dans ses remarques sur l’histoire du cinéma4, ne manque pas de souligner à quel point le développement du chemin de fer, l’usage de plus en plus répandu du voyage en train, qui induit un défilement du paysage délimité par le cadre des fenêtres du wagon, a favorisé l’expansion du cinématographe. Lequel s’est d’ailleurs, dans ses premières années, tout au moins en Europe, largement consacré aux trains, transformant l’entrée du train en gare en une sorte de passage obligé de la projection cinématographique. La place du chemin de fer et de son développement dans le corpus de films proposé explique l’usage fréquent du panoramique-paysage qui détermine à la fois la construction de l’Ouest et la construction du regard sur l’Ouest, voire sa mythologie, et l’inscrit dans une perspective historique.

14Le raccord concourt également, dans le western, à produire cet espace imaginaire, continu, orienté, qui abrite les péripéties. On peut s’aventurer à emprunter à Leutrat et Liandrat-Guigues la notion d’« Ouest synthétique » pour décrire ce territoire construit, imposé à l’œil par le travail du montage, qui met en place une imagerie géographique définitoire. On pense ici à la manière dont fonctionnent les raccords dans le mouvement de La Prisonnière du désert (42’20). L’improbable passage du désert à l’étendue glacée, qui recouvre une ellipse temporelle (et spatiale) de plusieurs années est ici produite par l’emploi du fondu enchaîné, avec une légère surimpression qui accentue le caractère poétique, et irréel des plans. Dans Little Big Man, c’est le montage cut qui propulse le protagoniste d’un univers à l’autre, du monde des Indiens à celui de la ville, du désert à la prairie, accentuant paradoxalement l’impression de continuité qui se dégage des aventures du personnage. Parce qu’il est toujours un peu étranger au monde qu’il occupe, parce que son regard se tourne vers le passé en conservant intactes sa colère et son horreur, le spectateur ne s’interroge pas vraiment sur les incohérences d’une géographie fantaisiste. Cet usage redouble, de manière plus appuyée, le choix du raccord cut par William Wyler dans L’Étrange incident pour décrire la course des poursuivants qui passent d’un paysage à l’autre, avant de tomber sur la clairière qui abrite leurs futures victimes (32’56’’).

15Comme le personnage de Brandon, la locomotive du Cheval de fer, qui dynamise les paysages, suggère inlassablement l’aisance du passage d’un lieu à l’autre, et fabrique littéralement un espace continu, à la vastitude insécable. Les séquences de montage alterné qui associent l’attaque des Indiens dans la vallée, le refus des ouvriers d’embarquer dans quelques wagons pour participer aux combats et l’arrivée des troupeaux de bovins appelés pour nourrir les travailleurs reconstruisent une fluidité, voire une cohérence spatiale qui ne peut relever que de la fiction.

16On retrouve le procédé quand on s’attache à l’organisation spatiale de l’attaque du train dans Le Brigand bien-aimé par exemple (18’10’’). La cohérence s’organise sur plusieurs plans à l’horizontalité affirmée : celui de la suite de collines longée par Jessie, celui de sa course à cheval pour rattraper le train, l’avancée de la locomotive et des wagons, puis, une fois que le voleur est sur le toit du train, l’image se trouve découpée horizontalement en deux parties qui laissent percevoir ce qui se joue à l’intérieur et à l’extérieur du train. La juxtaposition de décors s’efface pour produire une continuité poétique associée aux paysages de l’Ouest.

17Dominé par l’horizontalité, le paysage du western apparaît cependant dans toute l’étendue de sa dimension paradoxale : potentiellement infini, et arbitrairement délimité.

18Le panoramique, comme le raccord, renvoient à la fois à l’histoire et à la géographie de l’Ouest. Il convient en effet, en matière de western, de ne pas opposer une vision optimiste (celle de l’avenir, de la conquête des vastes espaces) à une vision nostalgique, où le genre procède de la reconstruction d’une épopée désormais révolue, mais de considérer que les deux régimes temporels s’inscrivent en même temps dans l’image. Dans un film au présent, dont les protagonistes partent à la conquête de la Prairie, le paysage est toujours à la fois donné comme porteur d’avenir, et recomposition d’un passé imaginaire.

19Cet espace, problématique dès son apparition à l’écran, ne fonctionne pas seulement, lorsqu’interviennent les enjeux diégétiques, comme l’écrin, le cadre du récit, mais comme l’élément générateur de tensions.

20Ces tensions sont d’ordres multiples, et ne relèvent pas toutes des mêmes catégories esthétiques ou narratologiques. Dans le corpus proposé, quelques-unes cependant paraissent particulièrement significatives.

Une géographie porteuse des principales tensions dramatiques

  • 5 J.-L. Leutrat et S. Liandrat-Guigues, Les Cartes de l’Ouest, 1990, p. 34.
  • 6 E. Morin, Le Cinéma ou l’homme imaginaire, 1956, p. 56 sq.

21Dans cette géographie sans limites, l’impression dominante, qui saisit le spectateur, est celle d’un espace vide, végétal parfois, minéral souvent, rythmé par les saillies verticales des arbres, des rochers, des montagnes. Comme l’écrivent Jean-Louis Leutrat et Suzanne Liandrat-Guigues « la fonction de l’espace est dramatique, symbolique et lyrique5 ». Il porte en lui ce que l’on pourrait appeler une dialectique du vide et du plein. Lyrique, la nature, l’immensité du ciel, la minéralité, dramatique, la présence cachée, plus ou moins perceptible, d’une menace. Dans le western, la place de l’humain, ou plutôt l’irruption de l’humain dans l’image, fait souvent question. Toutes les nuances de la relation entre vide et plein sont sollicitées par le genre. On pense bien sûr aux défilés déserts qui dissimulent des Indiens dans Le Cheval de fer ou dans La Flèche brisée, les Américains avides de massacrer les Apaches, aux malfaiteurs qui semblent surgir de nulle part dans Shane ou aux rebelles littéralement déguisés en mottes d’herbes sèches dans Les Cheyennes (1h03’15’’). On pense surtout à la manière dont certains personnages, de préférence les héros du film, semblent surgir directement du paysage dans L’Étrange incident (1h14’45’’) ou encore dans Shane (1’38). Cet espace qu’ils traversent, les protagonistes paraissent en émaner, puis s’y dissoudre. Dans Shane, le procédé accentue la dimension merveilleuse du récit, vu à travers les yeux de l’enfant, où apparaît comme par miracle ce cowboy surpuissant et séduisant, capable d’enchanter le réel et de résoudre toutes les tensions. Dans Le Cinéma où l’homme imaginaire6, Edgar Morin appelait « anthropocosmorphisme » la tendance du paysage cinématographique à se teinter des couleurs de l’humeur des protagonistes, à refléter l’atmosphère affective d’une séquence. L’auteur voit dans le paysage une sorte de projection des personnages et de l’action. Dans le cas du western, on pourrait retourner la proposition, et considérer que le personnage, plus que son reflet, est le produit de la géographie, qu’il naît du paysage, auquel il retourne souvent à la fin de la diégèse. L’humain n’est pas étranger à la nature qu’il est censé conquérir, il fonctionne comme un morceau de nature qui parle et marche. Cette opposition rejoint une dichotomie fondamentale du western, qui ne manque pas de s’inscrire dans l’espace, et engage la relation complexe entre le sauvage (la wilderness) et la civilisation. Directement issue de l’Ancien Testament, cette dichotomie innerve la dramaturgie du western, lui donne sa respiration, et son sens. Partir à la conquête d’une terre promise, transformer le désert en jardin, c’est le rêve des pionniers, réinvesti sans cesse par les acteurs de la conquête de l’Ouest, rêve dont l’accomplissement ne peut que révéler l’effectivité de l’élection. Toutefois, si les espaces des films sur l’Ouest sont porteurs de cette opposition, que l’on trouve particulièrement dans The Ox-Bow Incident ou dans Jesse James, ils ne la concrétisent pas toujours sur le mode de la métamorphose radicale, du passage de l’ombre à la lumière. Dans la géographie du western, sauvagerie et civilisation coexistent souvent et semblent même parfois se disputer les lieux. On pense ici au traitement de la ville dans Le Cheval de fer, ville provisoire, centrée autour de son saloon cour de justice, hâtivement déménagée, quelques miles plus à l’ouest, pour y rassembler de nouveau sa population interlope et bigarrée. On ne peut manquer également de considérer que La Flèche brisée, comme Les Cheyennes, abordent cet enjeu à fronts renversés. Dans le film de Delmer Dawes, la civilisation relève de la régulation : maîtrise du désir, de la colère, apaisement des conflits et des passions. Cochise, présenté comme énergique, mystique, exalté parfois, n’en incarne pas moins cette capacité de régulation qui fait largement défaut au monde de la ville, d’où vient James Stewart. Subtilement construit, le film laisse place à l’ironie, lorsque le geste le plus pacifique du chef le conduit à faire entrer la violence et la mort au cœur de son village (1h26’15’’).

22L’impression de sérénité, voire d’éternité qui se dégage des plans de nature est un leurre. La géographie du western exalte un espace de l’instable, de l’intranquille. Ce n’est pas seulement la menace cachée qui le trouble, c’est aussi le paradoxe d’un infini cadré. Autant par la civilisation que par le cinéma lui-même. Si l’on examine en effet les nombreux conflits qui rythment les films, on constatera qu’ils engagent le plus souvent la question de la circonscription de l’espace. Le partage du territoire entre Indiens et colons, ainsi que la délimitation des réserves entrent en jeu dans plusieurs films, mais également le conflit entre éleveurs et agriculteurs à propos de l’open range, l’expropriation des propriétaires lors de l’implantation des voies de chemin de fer engendrent des antagonismes meurtriers. Le genre cependant n’assigne pas à la nature la fonction de soutenir l’une ou l’autre partie. Ainsi les partisans de l’open range se rangent parfois parmi les amoureux de la liberté (L’Homme qui n’a pas d’étoile), parfois parmi les partisans de la pure violence capitaliste (Heaven’s gate, Shane, 50’18’’). Dans ce dernier exemple, l’ouverture même du film révèle l’interpénétration entre le sauvage (le cerf qu’observe attentivement le protagoniste) et le civilisé (les multiples barrières qui circonscrivent les espaces de culture et d’élevage de la ferme). En termes cinématographiques, les enjeux dramaturgiques du western interrogent toujours l’arbitraire du cadrage. Le genre célèbre-t-il la liberté infinie d’espaces teintés d’une sauvagerie originelle ou l’entreprise humaine qui conduisit à les circonscrire, à les définir, voire à les structurer ? Au vu des paysages de Shane, on pourrait considérer que les deux propositions vont vraies, et qu’elles sont vraies en même temps…

  • 7 M. Natali, L’Image-paysage. Iconologie et cinéma, 1996, p. 61.

23La guerre de territoires, l’opposition entre ouverture et clôture, qui redouble une dichotomie intime et sociale aspiration au foyer et itinérance de la conquête diégétise la tension interne au genre cinématographique du western. L’entreprise même qui consiste à cadrer la nature, tout en la donnant comme infinie, produit du récit. Dans ce conflit entre horizon infini et arbitraire du cadre, réinvesti et négocié par chacun des cinéastes du corpus, se joue toute l’ambivalence de la géographie imaginaire du western. C’est à partir du traitement de l’espace que se construit la dramaturgie du genre. Un traitement qui accorde, on l’a vu, une place toute particulière au paysage, inscrit à la fois dans le passé de l’histoire et dans le présent du récit. Comme l’écrit Maurizia Natali « Le plan paysager, fixant l’instant fuyant d’une nature mise en cadre, par ce même geste et comme par un sursaut de mémoire paradoxale, ouvre une contradiction esthétique au sein du cinéma7. » Cette contradiction fonde à la fois l’atmosphère et l’écriture dramatique du western.

Notes

1 Cité dans Y. Pedrono, Et Dieu créa l’Amérique !, 2010, p. 47.

2 T. Thomas, The West that Never Was, 1990.

3 M. Coyne, The Crowded Prairie. American National Identity in the Hollywood Western, 1997.

4 J.-L. Leutrat, Le Cinéma en perspective, 1990, p. 10-11.

5 J.-L. Leutrat et S. Liandrat-Guigues, Les Cartes de l’Ouest, 1990, p. 34.

6 E. Morin, Le Cinéma ou l’homme imaginaire, 1956, p. 56 sq.

7 M. Natali, L’Image-paysage. Iconologie et cinéma, 1996, p. 61.

© Éditions Rue d’Ulm, 2018

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