Conclusion et remerciements

1Lire et analyser le monde de Tolkien, c’est donc bien faire métier d’archéologue autant que de philologue : explorer un univers en évolution, reconstituer les strates d’écriture, comprendre les dynamiques qui meuvent, presque de façon indépendante de la volonté de son auteur, ce monde qui, même après ce volume de contributions, ne peut que nous échapper encore et toujours. L’univers de Tolkien ne pourra jamais s’éclairer complètement et telle est aussi la force de cet imaginaire que chaque éclairage n’apporte qu’une lumière ténue qui révèle une architecture complexe que nous découvrons au même rythme que Tuor lors de son franchissement des portes au cours de sa longue arrivée à Gondolin. Monde créé pour l’imaginaire, sa matérialité même constitue finalement, pour les personnages eux-mêmes, l’objet d’une quête ininterrompue, relayée de conte en conte. Comme les lecteurs, les héros de ces récits sont à la recherche de leur propre terre, de leur histoire qui s’y imbrique et disparaît avec elle, de leur passé perdu dans les bouleversements d’Arda : des Elfes nostalgiques de Valinor aux Nains en quête de leur royaume sous la montagne et des Hommes égarés de Númenor aux Ents héritiers de bien plus grandes forêts. La poétique de ce monde tolkienien consiste précisément à créer dans le lecteur le même sentiment d’un manque territorial, d’un déficit de terre, d’une béance que l’abondance des cartes, des récits, des descriptions ne parvient jamais vraiment à combler. Nous suivons les personnages dans un monde qui ne leur suffit pas, qui n’est là que comme un témoignage d’un autre monde, plus heureux et complet, et ce dès la musique des Ainur dont Arda n’est qu’un reflet. Cet amoindrissement du monde et ce rapport toujours nostalgique à la terre nourrissent les quêtes et les récits. Vivre en Terre du Milieu, c’est toujours réfléchir sur la terre disparue, la terre d’ailleurs et la terre détruite, ces pays qui s’échappent sous les yeux des personnages. En ce sens, la phrase de Julien Gracq, « la forme d’une ville change plus vite, hélas, que le cœur d’un mortel », s’applique à toute la Terre du Milieu qu’on n’appréhende toujours que comme héritage d’autre chose. On pourrait d’ailleurs ajouter que ce qui vaut pour le cœur d’un mortel vaut plus encore pour le cœur des nombreux immortels de ce monde.

2C’est cette quête des personnages qui forme et nourrit la notion de palimpseste, puisque la structure même de ce monde se nourrit de sa propre destruction et de sa transformation progressive en conte, en récit, en souvenance d’un autre âge, par des disparitions progressives, de Valinor, à Beleriand et à Númenor. Les contes forment alors autant de lumières elfiques qui éclairent un temps les frontières d’un univers toujours déjà perdu à ceux qui l’explorent. À l’heure où notre planète change de forme bien plus vite que nos habitudes, où tant d’îles sont sous la menace d’un engloutissement semblable à celui de Númenor, et où tant de forêts risquent de connaître le sort des demeures de Ents, l’écriture de Tolkien et son monde semblent constituer un espace de réflexion qui n’a jamais été autant adapté à notre monde et à ses tensions. Tolkien n’a certes pas prophétisé le devenir de l’homme à l’âge de l’anthropocène, mais rien n’interdit d’employer ses contes comme un espace où l’homme envisage ses propres destinées à la lumière des grands récits mythologiques, ce qui est la fonction même du mythe. Le monde de Tolkien n’en continuera pas moins de voguer librement, indépendant de tout arraisonnement interprétatif et de toute analogie excessive, mais il permettra à ceux restés au port d’en raconter les aventures et d’y trouver la clef de leurs interrogations.

3Au terme de cette aventure éditoriale, nous tenons ici à rappeler les étapes qui ont amené cette publication et à remercier les nombreuses personnes qui l’ont rendue possible. C’est par l’organisation d’un séminaire d’élèves à l’École normale supérieure de Paris qu’a débuté ce cycle de réflexions sur l’univers tolkienien. Sous le titre et l’objectif que je m’étais proposé de « Phénoménologie de la Terre du Milieu », il s’agissait d’abord de mener une réflexion d’une année sur les modes de création et de réception de l’imaginaire de Tolkien, la manière dont naît un monde entièrement conçu par et pour la pensée, tout en parvenant à créer la sensation de monde, pour définir, autant qu’il est possible, le sentiment qui saisit tout lecteur des œuvres de Tolkien de croire sentir et toucher les paysages décrits pourtant sans aucun contact avec le réel. En parallèle de cette réflexion que je me proposais de mener, diverses interventions ont marqué cette première année de séminaire. Je tiens ici à remercier particulièrement l’ENS-PSL d’avoir offert cette chance rare d’organiser soi-même un séminaire lorsqu’on est encore élève, le département de Littératures et Langages (LILA) et son directeur, M. Marc Porée, ainsi que M^me Isabelle Pantin, qui a supervisé et aidé la création du séminaire, et tous les membres du personnel de l’ENS-PSL qui ont aidé à un moment ou à un autre. L’association Tolkiendil a ici toute ma gratitude pour avoir joué un rôle essentiel dans la promotion et la diffusion des évènements organisés. Enfin, à titre personnel, je remercie ici Quentin Feltgen qui a su prendre la suite du séminaire pendant un an, a donné à cette initiative une dimension nouvelle, et a immédiatement accepté d’être codirecteur pour cette publication dont il a rendu possible le succès, lorsque l’idée m’est venue de publier les actes du séminaire, après un an d’interruption, et sur la suggestion de nombreux participants.

4Ce projet n’aurait par ailleurs pu se réaliser sans l’appui, l’assistance et le conseil de nos nombreux interlocuteurs et contributeurs, et c’est pourquoi nous remercions ici tout particulièrement :

• L’ensemble des contributeurs de cette édition, et notamment M^me Isabelle Pantin, qui a su donner à ce travail sa confiance et son estime si précieuses pour de jeunes chercheurs, et a accepté d’y ajouter sa contribution.
• Les éditions Rue d’Ulm, et en particulier M^me Lucie Marignac, qui, en dépit des nombreuses difficultés d’une telle entreprise, ont d’emblée témoigné leur confiance en ce projet et ont su nous épauler et nous porter dans ce travail pour obtenir le volume que nous présentons aujourd’hui.
• Le département LILA de l’ENS-PSL et son directeur, M. Marc Porée, qui ont accepté de participer au financement de cette publication, assurant ainsi un soutien dans la continuité à ce séminaire ;
• L’association Tolkiendil qui a continué de parrainer et aider toute initiative utile aux études sur Tolkien et forme véritablement un acteur engagé de la promotion de cet auteur en France. En particulier, nous remercions Audrey Morelle, présidente de l’association, pour son implication personnelle dans le projet, depuis le lancement du séminaire jusqu’à la publication du présent ouvrage, ainsi que Vivien Stocker, pour ses conseils et son expertise, et Dimitri Maillard, pour ses relectures et ses suggestions sur le plan scientifique.
• L’ensemble des participants au séminaire Tolkien, et en particulier Anne Besson, Leo Carruthers et Vincent Ferré qui, quoiqu’ils n’aient pas directement contribué à ce recueil, nous ont tous trois assisté de leurs conseils et de leur amabilité lors de ce processus éditorial.