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Au grand jour

 | 
Jules Colmart
, 
Katia Sowels

Troisième partie. 1925-1929

12. Rupture(s)

Full text

  • 128 A. Breton, lettre à Simone Kahn du 8 octobre 1928 - le mot « divorce » étant prononcé dans la lettr (...)
  • 129 S. Breton, lettre à Denise Lévy du 13 mars 1923, p. 121.

1Sa liaison avec Suzanne Muzard ayant atteint un stade critique, Breton demande à Simone, le 8 octobre 1928, qu’ils se séparent, ce qu’elle va accepter : « Simone, mon cher petit, mon cher petit, pardon ou plutôt non ne me pardonne pas, je n’habiterai plus rue Fontaine. Je ne peux plus. Je ne dois plus. Si tragique, qui sait, si inattendu que cela puisse te paraître, après toutes ces choses dites, entendues, sous-entendues qui viennent de passer, je te demande de me laisser partir128. » La relation d’André Breton et Simone Kahn était placée sous le signe de la transparence absolue. Il écrit dans la même lettre : « Je veux la vérité absolue dans la vie. Et pas de complaisances de moi pour moi. » Cette transparence s’exprime du côté de Breton par l’aveu de ses amours successives. Du côté de son épouse, c’est Denise Lévy qui joue le rôle de la confidente. Simone lui relate ses quelques aventures, comme son flirt avec Jacques-André Boiffard au moment de la Centrale ou bien, en 1925, sa passion pour Roland Tual qui reste indifférent… Comme l’écrit Simone Kahn à sa cousine le 13 mars 1923 : « La seule chose qui me fasse plaisir est de penser qu’on puisse être amoureux de moi. Aussi Noll m’en a-t-il fait. Et j’aimerais qu’il soit tout à fait amoureux de moi, et trois ou quatre autres encore. Quoi, être pour tous la femme de Breton ! Autant dire un sachet à mouchoirs129. » Ces sentiments ne sont toutefois jamais placés sur le même plan que l’amour qu’elle éprouve pour Breton.

  • 130 Cf.S. Breton, lettre à Denise Lévy du 11 janvier 1923 : « Ces derniers temps pourtant une joie m’es (...)
  • 131 S. Breton, lettre à Denise Lévy du 16 juillet 1923, p. 139.
  • 132 A. Breton, lettre à Simone Kahn du 23 février 1925.

2À partir de 1923, la figure de Max Morise, l’un des membres du groupe surréaliste, se détache pourtant du cortège des soupirants (fig. 86 et 88) : « J’aime André. Est-ce une raison pour désespérer Max ? Il y a des degrés dans l’amour. Ce que je baptisais il y a huit jours du nom d’amitié m’apparaît aujourd’hui autrement130. Est-ce une raison pour changer de sentiment ? Il me semble qu’il y a une cruauté bien vaine à se consacrer systématiquement à un seul être, même en l’aimant passionnément. Pourquoi se fermer à d’autres émotions131. » Néanmoins, elle ne s’en confesse pas auprès de Breton, qui de son côté ignore tout de cette liaison. En témoigne une photographie prise en 1925 à Chamonix, où le couple fait du patin à glace : « J’ai admiré la virtuosité dont Morise et toi vous faites preuve sur cette image. Mais ce doit être truqué. Cela n’est pas possible132. » (fig. 87)

  • 133 A. Breton, lettre à Simone Kahn du 15 novembre 1928.

3Finalement, après la demande de divorce de Breton, Simone lui avoue sa liaison avec Morise. Il vit cela comme une immense trahison faite à son principe de vie au grand jour, dans la maison de verre : « Je me flatte d’avoir toujours vécu au grand jour. Je ne t’ai rien caché, puis j’ai toujours infiniment respecté ce que je croyais savoir de toi (stupidement). Le miracle de cet amour que tu disais avoir pour moi. J’y ai cru, j’y ai longtemps tout sacrifié […] Ne t’ai-je pas laissé toute liberté ? Tu menais adroitement ces deux jeux. Tu disais m’aimer !133 » (fig. 89)

  • 134 A. Breton, lettre à Simone Kahn du 15 mars 1929.

4Le sentiment de trahison et d’abandon exprimé dans les lettres confirme cette rupture définitive. Et l’histoire intime se fond dans l’histoire collective du surréalisme, alors en pleine transformation. Le 11 mars 1929, Simone accompagne Max Morise à la réunion houleuse du bar du Château, provoquant la fureur de Breton, alors que le groupe est en train de se recomposer : « Aujourd’hui encore, tu prends visiblement plaisir à entretenir les meilleures relations avec ceux dont je pense qu’ils se sont, en telle ou telle circonstance, le plus parfaitement déconsidérés134. » Le 15 janvier 1930, la signature de certains proches de Simone apparaît au bas du pamphlet dirigé contre Breton, Un cadavre, dont Bataille est l’instigateur : ce sont celles de Jacques-André Boiffard, Max Morise, Raymond Queneau, son beau-frère, ou Roger Vitrac (fig. 85). Le divorce est prononcé en mars 1931. Il faudra attendre 1937 pour trouver de nouvelles lettres d’André Breton, apaisées et amicales, dans les archives de Simone Kahn.

86. Max Morise, juillet 1923. Album de Simone Kahn, deux épreuves photographiques et un découpage, papier, encre noire.

86. Max Morise, juillet 1923. Album de Simone Kahn, deux épreuves photographiques et un découpage, papier, encre noire.

photographies © Collection particulière

87. Simone Kahn et Max Morise à Chamonix, février 1925.

87. Simone Kahn et Max Morise à Chamonix, février 1925.

photographie © Collection particulière

88. Simone Kahn et Max Morise dans l’atelier du 42, rue Fontaine, vers 1924 ou 1925.

88. Simone Kahn et Max Morise dans l’atelier du 42, rue Fontaine, vers 1924 ou 1925.

photographie © association Atelier André Breton

89. André Breton, lettre autographe du 15 novembre 1928 à Simone Kahn. « Je me flatte d’avoir toujours vécu au grand jour. »

89. André Breton, lettre autographe du 15 novembre 1928 à Simone Kahn. « Je me flatte d’avoir toujours vécu au grand jour. »

photographie © Collection particulière

Notes

128 A. Breton, lettre à Simone Kahn du 8 octobre 1928 - le mot « divorce » étant prononcé dans la lettre du 11 octobre : « Je te supplie de te prêter au divorce d’avec moi. »

129 S. Breton, lettre à Denise Lévy du 13 mars 1923, p. 121.

130 Cf.S. Breton, lettre à Denise Lévy du 11 janvier 1923 : « Ces derniers temps pourtant une joie m’est venue à voir se former une véritable amitié entre Max Morise et moi à la lueur de quoi je sens renaître en moi ce sens qu’André me reprochait véhémentement […] d’avoir perdu. Sens qui m’était si essentiel en effet que je ne me sens plus moi-même depuis que mariée, mes amis lâchés ou lâcheurs, toi au loin, et absorbée de divers soucis vitaux, je n’ai plus près de moi d’attachement en dehors de tout lien social qui soit purement psychique et même supra-sexuel. Il me faut cela. J’ai toujours été convaincue que là était ma personnalité, cette espèce de lutte ou de résultat de lutte que comporte une sentimentalité libre même vis-à-vis d’elle même. »

131 S. Breton, lettre à Denise Lévy du 16 juillet 1923, p. 139.

132 A. Breton, lettre à Simone Kahn du 23 février 1925.

133 A. Breton, lettre à Simone Kahn du 15 novembre 1928.

134 A. Breton, lettre à Simone Kahn du 15 mars 1929.

List of illustrations

Title 86. Max Morise, juillet 1923. Album de Simone Kahn, deux épreuves photographiques et un découpage, papier, encre noire.
Credits photographies © Collection particulière
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Title 87. Simone Kahn et Max Morise à Chamonix, février 1925.
Credits photographie © Collection particulière
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Title 88. Simone Kahn et Max Morise dans l’atelier du 42, rue Fontaine, vers 1924 ou 1925.
Credits photographie © association Atelier André Breton
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Title 89. André Breton, lettre autographe du 15 novembre 1928 à Simone Kahn. « Je me flatte d’avoir toujours vécu au grand jour. »
Credits photographie © Collection particulière
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