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Carl Einstein

Textes esthétiques de Carl Einstein

Biographie de Carl Einstein1

Texte intégral

  • 1 Des biographies détaillées ont été publiées par S. Penkert, Beiträge zu einer Monographie, 1969 ; L (...)
  • 2 S. Penkert, Carl Einstein. Beiträge zu einer Monographie, p. 26-30.

1 Karl Einstein (qui transformera l’orthographe de son prénom en « Carl » à partir de 1907) naît le 26 avril 1885 à Neuwied (R hénanie-Palatinat), dans une famille de confession juive : son père est un temps responsable du séminaire israélite de Karlsruhe, bien qu’il ne soit pas rabbin. Il passe son enfance dans cette « ville de l’ennui », comme il l’appellera plus tard. D’après Sibylle Penkert, son père Daniel Einstein aurait été interné avant de se donner la mort, alors qu’Einstein était âgé de 14 ans2. Ce dernier fréquente le lycée classique mais fait une fugue peu avant le baccalauréat et n’est autorisé à passer l’examen qu’un an plus tard, en 1904.

  • 3 U. Fleckner, Carl Einstein und sein Jahrhundert, p. 16.
  • 4 C. Einstein, Werke. Band 2, p. 16.
  • 5 L. Meffre, in Carl Einstein / Daniel Henry Kahnweiler, Correspondance 1921-1939.

2Après un bref apprentissage dans une banque, il s’installe à Berlin où il s’inscrit à l’université. Entre 1904 et 1908, il suit « quelques semestres de philosophie et philologie classique, d’histoire et d’histoire de l’art, notamment auprès d’Ernst Cassirer, Eduard Norden, Georg Simmel, Ulrich von Wilamowitz-Möllendorff et Heinrich Wölfflin3 ». Bien qu’il ait reçu là des impulsions intellectuelles décisives, il ne termine pas ses études et déclare que « les universités sont des casernes4 ». Au cours de cette période, il se marie avec Maria Schaefer, qui devient la mère de sa fille unique. En 1907, il fait ses débuts littéraires en publiant les premiers chapitres de son roman Bébuquin et les dilettantes du miracle, qui paraît en 1912. Il se lie d’amitié avec l’écrivain Franz Blei, traducteur d’André Gide et de Paul Claudel en allemand, et collabore à la revue expressionniste Die Aktion ainsi qu’à d’autres revues littéraires allemandes puis françaises. Il devient critique d’art et commence à publier des articles et des textes pour des catalogues d’exposition. Il rencontre à Berlin l’égyptologue Hedwig Fechheimer, qui l’initie aux arts antiques et orientaux. « Einstein qui, pour des raisons économiques, pratique volontiers le courtage d’art, joue également souvent le rôle d’intermédiaire, s’occupe d’organiser des ventes ou des expositions de tableaux, conseille les collectionneurs5 ». Il devient également l’ami proche du poète Gottfried Benn.

3En 1914, il est engagé volontaire dans l’armée allemande et devient sous-officier. En 1915, il publie Negerplastik [La Plastique nègre], son texte pionnier sur la sculpture africaine et sa première œuvre « primitiviste ». Affecté à Bruxelles dans un poste de l’administration civile, il travaille à la bibliothèque du musée du Congo de Tervuren, où il approfondit sa connaissance des études ethnologiques sur l’Afrique. Il publiera quelques années plus tard, en 1921, son second texte sur la statuaire africaine, La Plastique africaine. En 1917, il quitte son poste de Bruxelles et s’enthousiasme pour la révolution russe puis, au cours des années suivantes, pour la révolution spartakiste et les républiques des conseils de Berlin et de Bavière. Il fréquente la comtesse Aga von Hagen et s’installe avec elle à Berlin. Il rencontre à Paris Pablo Picasso et Georges Braque, André et Clara Malraux ; cette dernière entreprend une traduction française de Bébuquin, qui a été perdue. En 1920, Einstein souhaite organiser à Berlin une exposition d’œuvres de son ami le peintre Moïse Kissling, auquel il consacre un petit livre éponyme (1922). Il initie également une correspondance avec Daniel Henry Kahnweiler, qui demeurera tout au long de sa vie l’un de ses plus proches amis. En 1921 paraît le drame Die schlimme Botschaft [La mauvaise nouvelle], dont les exemplaires sont confisqués l’année suivante sur ordre du tribunal de Berlin ; Einstein et son éditeur Ernst Rowohlt sont accusés de blasphème et condamnés. En 1923, Einstein divorce de sa première épouse et envisage d’épouser Tony Simon-Wolfskehl, dont il se sépare quelques mois plus tard. Il s’intéresse à des créations pour la scène et noue des contacts avec Darius Milhaud puis le groupe des Six.

4En janvier 1926, Einstein donne à Paris un cours à la Sorbonne intitulé « L’art comme moyen de transformation de l’espace ». Cette année-là paraît L’Art du xxe siècle. Einstein publie également son introduction au catalogue de l’exposition de sculptures océaniennes présentée par la galerie Flechtheim. En 1927, il fait paraître la deuxième édition de L’Art du xxe siècle, dans laquelle il propose une nouvelle version du chapitre sur Picasso. En 1928, il émigre à Paris et commence à collaborer aux Cahiers d’Art de Christian Zervos. En 1929, il crée avec Georges Bataille la revue Documents. Doctrines, Archéologie, Beaux-arts, Ethnographie, financée par l’historien et marchand d’art Georges Wildenstein ; la revue paraît jusqu’en 1930. Les articles ethnographiques d’Einstein sont parfois simultanément publiés en Allemagne dans la revue Die Kunstauktion, éditée par Eckart von Sydow. En 1931, il publie la troisième édition de L’Art du xxe siècle, qui comprend un chapitre sur André Masson et Juan Miró. En 1932, il épouse Lyda Guevrekian. En 1934, il publie en français Georges Braque et collabore au scénario d’un film de Jean Renoir, Toni. Il travaille à La Fabrication des fictions, un manuscrit qui ne sera édité qu’après sa mort.

  • 6 C. Einstein, « La colonne Durruti », p. 252-259.
  • 7 C. Einstein, lettre à Daniel-Henry Kahnweiler, in Correspondance 1921-1939, p. 97-98.
  • 8 Lettre du 6 janvier 1939, ibid., p. 106-108.
  • 9 Voir le récit du père Buzy, supérieur général des Prêtres du Sacré-Cœur de Lestelle-Bétharram, repr (...)

5 En 1936, Einstein quitte brusquement Paris sans avertir ses amis et s’engage avec son épouse aux côtés des républicains espagnols. Il devient membre du courant anarcho-syndicaliste de la CNT-FAI. Il participe à la colonne Durutti ; après la mort de Buenaventura Durruti le 21 novembre 1936, il lui consacre un éloge funèbre radiophonique6. Au cours de l’été 1938, il reprend contact avec Kahnweiler et lui écrit de Barcelone : « Probablement que cette lettre vous trouve à la campagne, la guerre terminée, je vivrai en pleine campagne, quelques livres, du tabac, un chien ou un chat et travailler, une vie silencieuse, sans tam-tam ; couvrir du papier blanc avec de l’ancre [sic], une vie très modeste, mais indépendante tant que c’est possible, quelques amis, mais pas les embêtements des cliques. […] Le seul service que je peux rendre après cette guerre, c’est d’essayer d’écrire de la bonne prose. Maintenant je peux me souvenir un peu que j’étais jadis écrivain, quelquefois je pense d’aller en Chine, réflexions d’un vieux militaire, mais que voulez-vous, Cervantès, Descartes, ils ont fait la guerre7. » En janvier 1939, il écrit au même Kahnweiler : « Quand j’ai quitté Paris sans dire un mot, je savais très bien pourquoi. Je comprenais à un moment où les autres ne voyaient pas très clair quelle partie se joue ici. Je laissais mes contrats, une maison d’édition que l’on était en train de monter et pas mal des choses, et je suis content d’avoir fait cela. […] Jamais je n’étais un rond-de-cuir poétique et jamais je [ne] le serai. Quand je rentrerai je ferai des bouquins solides. […] Ça fait tant du bien de mener une vie cachée, anonyme, tant que c’est possible, d’ailleurs dans les temps qui courent le fusil est nécessaire pour compenser la lâcheté du stylo. […] Voyez, Heini, je trouve ma petite vérité dans les vieux chinois, en Héraclite ou dans le sacrifice fou de Hoelderlin. Je ne change pas, je mûris, mais plus je deviens vieux, plus je deviens inquiet8. » En 1939, Einstein revient en France où il est interné au camp d’Argelès ; il retourne à Paris où il retrouve sa fille, Michel et Louise Leiris, et Kahnweiler à la mi-février. En 1940, fuyant de nouveau Paris pour échapper à l’occupant, il est interné dans un camp proche de Bordeaux, puis fait une tentative de suicide près de Mont-de-Marsan. Il trouve refuge dans l’abbaye de Lestelle-Bétharram avant de se donner la mort en se jetant le 3 juillet 1940 dans le gave de Pau, à l’âge de 55 ans. Il est enterré au cimetière de Boeil-Bézing (Pyrénées-Atlantiques)9.

Notes

1 Des biographies détaillées ont été publiées par S. Penkert, Beiträge zu einer Monographie, 1969 ; L. Meffre, Carl Einstein 1885-1940. Itinéraires d’une pensée moderne, 2002 ; U. Fleckner, Carl Einstein und sein Jahrhundert. Fragmente einer intellektuellen Biographie, 2006 ; voir aussi la biographie détaillée présentée sur le site de la Carl-Einstein-Gesellschaft (carleinstein. org), qui nous a fourni ici une aide précieuse.

2 S. Penkert, Carl Einstein. Beiträge zu einer Monographie, p. 26-30.

3 U. Fleckner, Carl Einstein und sein Jahrhundert, p. 16.

4 C. Einstein, Werke. Band 2, p. 16.

5 L. Meffre, in Carl Einstein / Daniel Henry Kahnweiler, Correspondance 1921-1939.

6 C. Einstein, « La colonne Durruti », p. 252-259.

7 C. Einstein, lettre à Daniel-Henry Kahnweiler, in Correspondance 1921-1939, p. 97-98.

8 Lettre du 6 janvier 1939, ibid., p. 106-108.

9 Voir le récit du père Buzy, supérieur général des Prêtres du Sacré-Cœur de Lestelle-Bétharram, reproduit in S. Penkert, Beiträge zu einer Monographie, p. 127-130.

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