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Éléments biographiques
p. 121-123
Texte intégral
Né à Hamelin en 1756, aux environs de Hanovre, Karl Philipp Moritz évolue dans un contexte familial piétiste, pauvre et rigide. Son enfance tourne au cauchemar : il tombe malade, frôle la mort à maintes reprises, subit de plein fouet les querelles quotidiennes de ses parents. Son père est un adepte des écrits quiétistes de Madame Guyon qu’il lui donne à lire dès son plus jeune âge. Il l’emmène avec lui faire des séjours chez Fleischbein, le traducteur en allemand des textes sur le « pur amour » de Madame Guyon. Les souffrances de l’enfance seront relatées dans son plus célèbre ouvrage : Anton Reiser – roman psychologique, roman reconnu comme pionnier du genre autobiographique en Allemagne. Après un séjour très douloureux en apprentissage chez un chapelier d’inspiration également piétiste mais calviniste, ami de son père, il suit une troupe de théâtre itinérante et devient acteur à Leipzig en 1776. Il a lu le Werther de Goethe avec passion, et comme de nombreux autres jeunes gens de sa génération, il est tout imprégné du Sturm und Drang. Très vite, son projet de devenir comédien tourne court, Moritz part étudier la théologie à Erfurt, puis à Wittenberg, pour se rendre dès 1778 à Berlin où il sera habilité à enseigner dans un Gymnasium (le « Lycée du cloître gris », considéré comme l’une des citadelles du rationalisme berlinois). Il rencontre Moses Mendelssohn, dont il deviendra proche, ainsi que Markus Herz et Salomon Maïmon. Ses premiers travaux portent sur la grammaire, la pédagogie et la psychologie (De la différence de l’accusatif et du datif, Conversations avec mes élèves, deux textes de 1780, puis Perspectives en vue d’une psychologie expérimentale et une Grammaire allemande pour les dames en 1782). Il publie également des poèmes, des pièces de théâtre (Blunt ou l’invité) et des textes biographiques (Contributions à la philosophie de la vie, tirées du journal d’un franc-maçon en 1780, Fragment tiré de l’histoire de la vie d’Anton Reiser en 1783). En 1782, il part en Angleterre sur les traces de Shakespeare, Shaftesbury et Milton, pour sillonner l’île à pied. Son récit de voyage sera édité. À son retour, il crée la première revue de psychologie expérimentale (Gnothi Sauton – magazine de psychologie expérimentale, destiné aux initiés et aux non-initiés), périodique à la fois savant et vulgarisateur, c’est-à-dire fidèle aux objectifs que s’est fixés la philosophie populaire, et dans lequel les plumes de spécialistes croisent celles d’anonymes. La première partie d’Anton Reiser est d’ailleurs publiée en 1785 dans Gnothi Sauton alors que Moritz commence la rédaction de la première partie d’un deuxième roman autobiographique, Andreas Hartknopf – une allégorie. Ce dernier se révèle l’exact contrepoint d’Anton Reiser, entreprise dans laquelle il défait peu à peu les possibilités d’une description du moi qu’il a déjà expérimentées dans le premier roman. Il publie la même année un essai d’esthétique : Essai de réunion de tous les arts et les sciences du beau sous le concept de l’achevé en soi, où il développe l’idée d’une œuvre d’art comprise comme un tout organisé, clos sur lui-même, et animé d’une finalité intrinsèque. En 1786, il fera le voyage en Italie, l’ultime formation à la culture classique du xviiie siècle, une tradition se perpétuant notamment depuis Winckelmann dans les milieux savants allemands. Il quitte Berlin pour Rome sans autorisation de la part des autorités, sans un sou non plus. Sur la route, il fait une halte à Brunswick pour signer un contrat chez l’éditeur Joachim Heinrich Campe avec lequel il avait déjà discuté de l’hypothétique projet d’un ouvrage sur les Romains que Moritz devait concevoir et rédiger sur place. Ce contrat était surtout le moyen de rassembler un peu d’argent et permettre le financement de son voyage. Là-bas, il rencontre Goethe avec qui il se lie rapidement d’amitié. De leurs discussions et des expériences qu’il aura faites sous le ciel italien, naît un second texte d’esthétique qui lui vaudra une forte reconnaissance en la matière : L’Imitation formatrice du Beau. Moritz élabore un Essai de prosodie allemande questionnant les liens entre Gedanke et Empfindung au sein de la langue poétique allemande, dans son rapport au vers antique. Cet ouvrage retient l’attention de Goethe en train d’écrire son Iphigénie en Tauride (influence que relève Goethe lui-même le 10 janvier 1787 dans son Voyage en Italie). Au cours du voyage, Moritz tient également un important journal rassemblant diverses notes en vue d’ouvrages futurs ainsi que des indications autobiographiques. Les Concepts préliminaires en vue d’une théorie des ornements sont en grande partie bâtis sur du matériel recueilli en Italie. Moritz rentre en Allemagne en 1788 et sera nommé professeur à l’Académie des beaux-arts de Berlin en 1789 pour y proférer, entre autres, ses Vorlesungen über den Styl, assidûment suivies par les jeunes Tieck et Wackenroder. La seconde partie d’Andreas Hartknopf voit le jour en 1790 : intitulée « les années de prédications », elle est librement inspirée de la correspondance de son père (mort en 1788) avec Fleischbein. En 1791, il devient membre de l’Académie royale des sciences de Prusse. Il est reconnu comme spécialiste du monde antique avec la publication d’Anthousa ou les Antiquités de Rome, un livre pour l’humanité : les rites sacrés des Romains, une étude de leurs pratiques religieuses présentée selon la chronologie du calendrier des festivités, et la Doctrine des dieux ou les poèmes mythologiques des Anciens, une manière d’anthologie qui envisage la mythologie comme le « langage de l’imagination » révélant l’esprit d’un peuple. Ces deux ouvrages allient considérations historiques, anthropologiques et esthétiques et influenceront la génération suivante des Friedrich Schlegel et Schelling dans l’élaboration de leur philosophie de l’art. La Doctrine des dieux, dont la fonction est ouvertement éducative, aura un succès notable et fera l’objet de nombreuses rééditions jusqu’à aujourd’hui. Moritz meurt en 1793 des suites d’une maladie pulmonaire chronique, il a trente-six ans.

Friedrich Bury, Goethe et son cercle d’amis à Rome.
Dessin à la plume (1786-1788), 16,3 x 21 cm, Leipzig, collection Kippenberg. Ce dessin de Bury présente Goethe et ses amis artistes en pleine nature. Le peintre assis à gauche, sur le point de faire le portrait de Goethe – le troisième à partir de la droite – est Bury lui-même ; derrière Goethe se tient Moritz, qui se penche pour lui murmurer quelque chose ; le personnage sur la gauche, qui dessine appuyé sur une colonne, est Tischbein.
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