Conclusion
p. 117-119
Texte intégral
1Les monnaies locales complémentaires sont des initiatives citoyennes qui se sont multipliées dans le paysage français depuis quelques années grâce au contexte légal favorable de la Loi sur l’économie sociale et solidaire de 2014. Ces initiatives monétaires se présentent comme de véritables vecteurs d’une transformation profonde des territoires et de réappropriation par les citoyens du sens de la monnaie. Elles permettent en effet à la fois de donner une « couleur » à l’argent en restreignant sa circulation dans un circuit économique géographiquement limité et responsable, et de relocaliser la création de valeur sur les territoires grâce à l’augmentation de la vitesse de circulation de la monnaie dans le circuit économique local. En remettant l’échange au cœur de leur dispositif, en questionnant ce qui fait la richesse et en sensibilisant les acteurs territoriaux aux enjeux des ressources naturelles, les monnaies locales complémentaires ont le pouvoir de dynamiser les économies locales et d’en renforcer la résilience aux défis écologiques et sociaux.
2Malgré leur essor récent, les monnaies locales complémentaires demeurent cependant marginales en termes de volume et de circulation, comme en témoigne le montant médian de la masse monétaire en circulation (35 000 euros en France par MLCC).
3Nous avons identifié ici différents leviers de changement d’échelle et de pérennisation de ces initiatives monétaires citoyennes.
4Une évolution de l’architecture des monnaies locales complémentaires vers un modèle hybride, dans lequel les unités monétaires reposent sur des processus d’émission monétaire (nantissement en euros) et de création monétaire (crédit mutuel), constitue un premier levier potentiel. L’ensemble des acteurs du territoire – producteurs, consommateurs, pouvoirs publics – peuvent ainsi intégrer ces initiatives monétaires décentralisées et participer de façon collective au développement territorial. Puis, en devenant hybrides, les monnaies locales complémentaires augmentent leur potentiel de dynamisation des économies locales et de création de richesses locales, environnementales et/ou sociales.
5Le rattachement des monnaies locales complémentaires à des circuits de financement est une deuxième étape de montée en puissance. Deux mécanismes peuvent être alors envisagés grâce au fonctionnement d’une monnaie hybride. Tout d’abord, des crédits en monnaie locale complémentaire à taux zéro peuvent être cédés par la structure émettrice de la monnaie locale complémentaire grâce au mécanisme du crédit mutuel. Ensuite, le fonds de garantie en euros créé via le nantissement en euros peut être utilisé par le partenaire financier du réseau afin de financer des projets éthiques non risqués.
6Plus innovant, des unités monétaires de monnaie locale complémentaire pourraient être émises en contrepartie de services sociaux et/ou environnementaux réalisés dans le cadre de projets de transition territoriale écologique et social. Les critères d’émission de monnaie locale complémentaire peuvent ainsi devenir le reflet d’une stratégie de transition des territoires vers un développement économique plus résilient aux défis écologiques et sociaux. En pratique, la mise en place de ce canal de financement repose :
sur l’engagement d’une collectivité territoriale à se porter garante de ces nouvelles unités monétaires injectées dans le réseau ;
sur la technologie de la blockchain pour sécuriser les émissions monétaires induites.
7Un dernier levier concerne le mode de gouvernance de la monnaie. La question de la confiance dans la monnaie étant cruciale pour sa bonne utilisation, il apparaît qu’un mode de gouvernance décentralisé et participatif est une condition nécessaire à la pérennisation de ces initiatives. Le modèle de la SCIC possède de nombreux atouts à la fois pour associer des acteurs multiples et disposer d’un capital financier. L’implication des pouvoirs publics, qui est l’une des conditions nécessaires du développement des monnaies locales complémentaires, est facilitée au sein d’une SCIC. Les collectivités territoriales ont un rôle clé à jouer pour dynamiser le circuit économique en monnaie locale complémentaire en proposant de nouveaux débouchés (taxes, paiement de services publics, commande publique). Pour finir, la SCIC permet également de réunir citoyens et scientifiques afin que ceux-ci puissent prendre des décisions collectives à propos des services sociaux et environnementaux qu’il convient de favoriser sur le territoire. Cette dimension rejoint parfaitement la théorie de la gouvernance des biens communs défendue par Elinor Ostrom1.
8Car la gestion des biens communs devient tout à fait critique à l’heure de l’anthropocène marquée par une situation de dissipation accélérée des ressources. Pour faire face aux soubresauts de la biosphère dont hérite le xxie siècle, un changement de paradigme – notamment économique – apparaît nécessaire. Comme le soulignait André Gorz, « la “crise” écologique suppose pour être surmontée une autre économie, un autre style de vie, une autre civilisation, d’autres rapports sociaux2 ». Si ce changement de paradigme à l’échelle de la régulation monétaire et financière mondiale prendra du temps, la nature décentralisée et citoyenne des monnaies locales offre une possibilité d’expérimentation et d’accélération d’un tel changement à l’échelle des territoires. Des pionniers ont ouvert le chemin – telles les villes en transition, qui ont mis, et ce n’est pas un hasard, les monnaies locales et complémentaires au cœur de leur dispositif.
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