Chapitre 12. Le temps de l’engagement (2). Les mobilisations politiques
Texte intégral
1Après 1945, la libéralisation progressive de l’espace politique ouest-africain offre des opportunités inédites à l’élite instruite. D’importantes positions sont ouvertes à la compétition électorale dans les différentes assemblées métropolitaines, fédérales et territoriales. Les instituteurs diplômés de Ponty y trouvent un exutoire au sentiment d’insatisfaction qui les anime depuis l’entre-deux-guerres et qui, après 1945, s’accentue avec le déclin relatif de la profession enseignante. L’après-guerre représente un temps de l’engagement politique par lequel les Pontins s’imposent au cœur des élites qui président aux indépendances ouest-africaines. La réussite des instituteurs en politique n’a pourtant rien d’évident : dans l’entre-deux-guerres, les Pontins étaient plutôt des figures secondaires sinon marginales d’un jeu politique fragmenté et très localisé. Après 1945, les nouvelles règles du jeu politique, qui se déroule de plus en plus à l’échelle des territoires, de la fédération et en métropole, favorisent l’ascension des « pèlerins-fonctionnaires » et, au premier chef, des instituteurs.
Les voies de l’engagement partisan… ou comment les instituteurs sont entrés en politique
2Plus de 90 % des enseignants interrogés pendant les enquêtes ont fréquenté activement un parti politique après 1945. Près de deux tiers ont occupé des fonctions électives1. Seule une petite minorité, appartenant aux générations les plus anciennes, s’est abstenue de tout engagement politique2. Dans l’entre-deux-guerres, les réseaux enseignants ne témoignaient pourtant pas d’une grande vitalité et souffraient du relâchement des solidarités nouées à l’école normale. Après 1945, la libéralisation de l’espace politique, matérialisée par l’octroi progressif du droit de vote, suscite une nouvelle dynamique par laquelle le réseau des instruits se remobilise.
3En milieu urbain, les associations culturelles, professionnelles et syndicales constituent le creuset de la mobilisation politique pour une strate de fonctionnaires et de petits salariés du privé. C’est le cas des associations qui se réunissent à la Maison du peuple de Bamako. Instituteur diplômé de Ponty en 1936, licencié pour activités anti-françaises vers 1942, S. Tall a retrouvé un emploi dans une pharmacie de Bamako et fréquente pendant la guerre le milieu des lettrés et jeunes fonctionnaires bamakois qui se réunissent à la Maison du peuple. En 1946, il assiste au congrès constitutif du Rassemblement démocratique africain (RDA) qui se tient dans la capitale du Soudan français. Enthousiasmé par les débats entre Mamadou Konaté et Fily Dabo Sissoko, il s’engage, avec d’autres jeunes fonctionnaires, auprès de l’Union soudanaise (US), branche locale du RDA.
4À Conakry, l’Amicale Gilbert-Vieillard a joué pour plusieurs Pontins un rôle similaire de passerelle vers l’engagement politique3. Créée en 1943, elle rassemble les intellectuels peuls en poste à Conakry, dont des Pontins comme l’instituteur Yacine Diallo et Diawando Barry, tous deux diplômés de Ponty respectivement en 1917 et 1939 : Yacine Diallo est élu député de la Guinée en 1946 alors que Diawando Barry devient vice-président du conseil général de Guinée la même année4. En Côte d’Ivoire, plusieurs travaux soulignent le rôle de l’Étoile de Treichville, un espace récréatif, mais aussi lieu de débats et d’échanges fréquenté par l’élite instruite ivoirienne.
5Les associations urbaines jouent ainsi un rôle important dans la mobilisation des premiers militants et des premiers cadres politiques. Mais l’engagement partisan n’est pas circonscrit aux seuls espaces urbains : après 1945, il gagne les postes administratifs des zones rurales, notamment par la mobilisation du réseau des instruits. Ainsi, à l’issue de la création du RDA lors du congrès de Bamako, les délégués regagnent leur territoire d’origine en tenant des meetings d’information dans toutes les circonscriptions qu’ils traversent et pour convaincre les « fonctionnaires de brousse » d’adhérer au mouvement. En août 1946, des conférenciers ivoiriens passent à Korhogo (nord de la Côte d’Ivoire) où B. Boly se trouve en poste comme enseignant.
Au moment du congrès de Bamako, j’étais à Korhogo. Mais au retour des congressistes, pendant les vacances d’août 1946, moi, j’étais en vacances chez moi à Yabo [dans l’est de l’actuel Burkina Faso]. Au retour, on m’a appris que l’on m’avait mis dans le bureau de la section de Korhogo… Il y a mes collègues enseignants qui m’ont dit qu’ils avaient formé un bureau qui était une section RDA… Je ne comprenais rien de cela. J’ai attendu les événements. Je n’ai pas réagi car ce sont des collègues enseignants. Ils ont cru que je pouvais travailler avec eux. Je n’ai pas réagi négativement. Je n’ai pas réagi. C’est par les réunions que j’ai vu ce que cela veut dire… J’ai vu que les aînés étaient toujours en… mal de coexistence avec l’administration. En février 1947, brusquement, nous avons tous été dispersés5.
6Les réseaux de fonctionnaires lettrés et en particulier ceux constitués autour des enseignants servent ainsi de relais à la création de cellules du RDA dans les postes de l’intérieur. À Korhogo, six des neuf enseignants du secteur scolaire adhèrent au RDA après le passage des conférenciers à l’école. Comme le suggère le témoignage de Boly, l’adhésion au RDA ne repose pas encore sur des convictions politiques bien affirmées, mais résulte de la mobilisation d’un petit réseau d’enseignants et de fonctionnaires à Korhogo. Ils prennent cependant vite goût au militantisme. Leur dispersion par mesure disciplinaire ne coupe pas leur élan : dans les postes où ils sont affectés, ils s’attachent à convaincre de nouveaux collègues d’adhérer au parti6. Cet exemple n’est pas exceptionnel : affecté près de Rharous, dans l’une des premières écoles nomades du nord du Soudan, Bocar Cissé (Ponty 1941) ne participe pas au congrès de Bamako. Pourtant, il se retrouve, presque par hasard, militant du Parti progressiste soudanais (dit PSP), la formation créée par Fily Dabo Sissoko (Ponty 1913) :
Jean-Hervé Jézéquel : En 1946 s’est tenu le congrès de Bamako. Vous en avez entendu parler à Rharous ?
Bocar Cissé : Je n’ai pas pu y assister car j’étais en brousse. Par contre, mes camarades de Bamako m’ont fait adhérer au parti.
J.-H. J. : Vous étiez en correspondance avec eux ?
B. C. : J’étais en correspondance avec mes camarades de Bamako, surtout avec les gens du syndicat, c’étaient tous des collègues de l’enseignement. On se connaît. Quand j’ai quitté l’armée, j’ai vécu près de vingt jours au milieu d’eux avant d’aller en brousse. Donc on se connaît très bien. Alors, le premier parti qui a été créé, c’est le parti de Fily Dabo, le PSP, et mes camarades m’ont inscrit et ils m’ont envoyé la carte. Maintenant, quand il y a eu le nouveau parti, le RDA, ils ont adhéré à ce nouveau parti-là, mais ils ont oublié de me prévenir. Si bien que j’étais toujours sur la liste du premier parti pendant que j’étais à Rharous. Là, ce n’est pas grave. Même les gens du PSP nous considéraient comme des indésirables, nous les enseignants. Ce n’est qu’après, quand je serai à Tombouctou, que je vais prendre la carte du RDA. De 1945-1946 à 1949, j’étais officiellement membre du PSP, du premier parti créé, mais je n’avais mené aucune activité politique à Rharous7.
7Avant d’être un engagement au service d’une cause, l’entrée en politique d’enseignants comme Boly ou Cissé est d’abord le fruit de la mobilisation d’un réseau de fonctionnaires au moment où la territorialisation du jeu politique encourage les partis à créer des sections dans toutes les circonscriptions8. La dispersion des instituteurs sur l’ensemble des territoires était jusque-là un handicap dans un espace politique composé d’une multitude d’arènes locales relativement déconnectées les unes des autres. Elle fragilisait la position des instituteurs qui pouvaient être déplacés d’un coin à l’autre de la colonie à tout moment. Après 1945, ce handicap devient un avantage déterminant : la dispersion des enseignants leur permet de relier les arènes locales entre elles et à la capitale, de créer des sections sur l’ensemble du territoire. Le parcours de Boly l’atteste : il souligne avec malice qu’en déplaçant de force les premiers militants, l’administration coloniale voulait les punir, mais a favorisé bien involontairement la diffusion des sections locales du RDA.
8La mobilisation du réseau des instruits n’explique certes pas toutes les formes d’entrée en politique. Des solidarités communautaires, régionales et familiales favorisent l’engagement partisan :
Moi, mes parents m’ont appelé pour les représenter. Mon prédécesseur aussi était instituteur, seulement, il ne s’était pas entendu avec la population. C’était un Peul… et moi qui suis quand même mossi typique, qui connais quand même les coutumes, on m’a dit que « toi là, il faut que tu remplaces le Peul9 ».
[Mon père] était sympathisant de Fily Dabo. Ma mère est plus ou moins alliée à la famille de Fily Dabo10.
Politiquement, mon père fut adhérent du PSP à cause de ses liens avec les chefs traditionnels et à cause du chef de Homboré [Balogo Maïga, responsable politique et élu PSP], co-promotionnaire à l’école des fils de chefs, qui l’a fait entrer au PSP11.
9Les portes d’entrée dans la politique sont donc multiples : connexions familiales et régionales, liens à la chefferie, et bien sûr mobilisation du réseau des instruits. Cette diversité des voies d’accès est elle-même liée à l’éclatement des trajectoires personnelles des instituteurs mis en évidence dans les parties précédentes.
L’engagement des instituteurs : les raisons d’un succès
10La territorialisation et la progressive démocratisation de l’espace politique engendrent de rapides changements. Pour réussir en politique, il faut désormais se montrer capable d’animer un parti ou, du moins, sa section locale, faire des discours devant des électeurs, concevoir et présenter un programme d’action, écrire des tracts et publier des articles dans une presse politique en plein développement. Le capital scripturaire, déjà utile dans les relations avec l’administration avant-guerre, devient indispensable pour réussir en politique après 1945. La maîtrise du français est nécessaire pour participer aux débats des assemblées locales, fédérales ou métropolitaines. L’action politique ne se manifeste plus seulement sur le plan local, autour de la résidence du commandant comme au temps de Wangrin. Elle s’élabore dans la capitale, autour de l’assemblée territoriale et dans la presse d’opinion, et nécessite donc la mobilisation de réseaux étendus.
11La hiérarchie des acteurs qui réussissent en politique est également bouleversée après 194512. Les chefs de canton, les interprètes et les gardes de cercle, qui étaient les hommes forts des arènes locales, sont éclipsés par les fonctionnaires africains diplômés des écoles françaises. Sur les 587 élus des assemblées territoriales dont nous connaissons la profession13, on ne rencontre que 7 interprètes ou anciens interprètes (à peine plus de 1 %) et aucun garde de cercle. Les chefs de canton ou de province s’adaptent un peu mieux : ils sont 50 dans les assemblées territoriales de 1945 à 1960, soit 8,5 % des élus. Encore faut-il noter qu’un tiers d’entre eux sont d’ailleurs des anciens fonctionnaires passés par les écoles françaises14. De nombreux chefs se retrouvent exclus parce qu’ils ne maîtrisent pas le français ou sont incapables de s’adapter à une compétition politique qui ne se joue plus essentiellement dans les arènes locales15. Après 1945, une nouvelle figure de la réussite s’impose dans l’espace politique ouest-africain : celle du fonctionnaire diplômé et plus encore celle de l’instituteur. Sur les 587 élus répertoriés, on dénombre 141 instituteurs et anciens instituteurs, soit presque le quart des élus.
12La maîtrise du français est un atout important pour les instituteurs, mais elle n’est pas leur seul avantage. Véritables « pèlerins-fonctionnaires » affectés aux quatre coins des territoires, les instituteurs sont capables de s’insérer dans des réseaux larges, beaucoup plus que les auxiliaires subalternes ancrés dans les arènes locales ou que d’autres catégories de fonctionnaires moins mobiles. Les instituteurs ne constituent pas une bourgeoisie urbaine coupée des espaces ruraux. Tout au contraire, après des carrières effectuées pour la plupart dans des zones rurales, ils sont capables de faire le lien entre les périphéries rurales et les centres politiques urbains16. Les travaux de Benedict Anderson sur le nationalisme montrent bien qu’au sein des espaces coloniaux, les fonctionnaires vont donner sens à l’idée de territoire et, plus tard, à celle de nation. En effet, le cheminement professionnel suivi par les fonctionnaires aux quatre coins des colonies, leur « pèlerinage » pour reprendre les termes d’Anderson, leur permet de saisir mieux que tout autre les enjeux de la territorialisation du politique17.
13Pour autant, l’après-Seconde Guerre mondiale ne marque pas une rupture absolue. On assiste à une série de recompositions et d’ajustements plus qu’à un brusque aggiornamento politique. Des mécanismes de transmission générationnelle permettent ainsi à d’influentes familles de conserver le pouvoir politique alors même que les figures de la réussite individuelle changent18. Tel est le cas de la prestigieuse famille Barry, originaire de Dabola en Guinée. En 1947, Almamy Aguibou, chef de Dabola et leader de l’association des chefs de canton peuls de Guinée, ne se présente pas au conseil général. Lettré musulman reconnu, Almamy Aguibou maîtrise mal le français ; cela le retient probablement de siéger dans une assemblée où l’ensemble des interventions se fait dans la langue du colonisateur. Il présente à sa place son propre fils, le Pontin Barry Diawando (Ponty 1939), qui emporte le siège en bénéficiant sans doute de l’influence de son père19. Ainsi, le pouvoir passe des chefs aux fonctionnaires, des érudits arabisants aux lettrés francophones, mais il demeure aux mains de la même famille.
14Par ailleurs, les anciennes positions de pouvoir restent utiles même si elles ne sont pas le tremplin idéal vers des carrières politiques réussies. Les instituteurs Sory Konaké (Ponty 1940) et Kolado Sidibé (Ponty 1919), tous les deux élus à l’assemblée territoriale du Soudan sur la liste du PSP, se font nommer en 1955 membres du conseil des notables de Mopti et Djenné. Ils sont battus aux élections de 1957 par les instituteurs Robert Cissé (Ponty 1924) et Bakary Ba (Ponty 1938), tous deux élus sur les listes du RDA. La même année, Cissé et Ba sont à leur tour nommés au conseil des notables de Mopti et Djenné alors que l’arrêté de 1955, qui avait nommé leurs prédécesseurs à ce poste, est annulé20.
Des engagements pluriels. L’exemple du Soudan français
15Les instituteurs sont donc les grands bénéficiaires des transformations de l’espace politique ouest-africain après 1945. Cependant, si l’engagement des fonctionnaires en politique est souvent interprété comme le point d’émergence d’un « parti des instruits » ou des « hommes nouveaux »21, la réalité est plus complexe. L’exemple du Soudan français suggère que si les fonctionnaires et plus encore les instituteurs de Ponty sont au cœur des nouvelles élites politiques, leur engagement partisan prend par contre des formes plurielles et concurrentes.
La structuration bipartisane de l’espace politique : l’Union soudanaise-RDA (USRDA) face au Parti progressiste soudanais (PSP)
16L’histoire politique du Soudan français de l’après-guerre à l’indépendance a fait l’objet de plusieurs études22. Ces travaux soulignent l’importance de l’opposition bipartisane qui caractérise la vie politique soudanaise : l’Union soudanaise, branche locale du Rassemblement démocratique africain (USRDA) fondé en 1946 lors du congrès de Bamako, s’oppose au Parti progressiste soudanais (PSP) du député Fily Dabo Sissoko. Ces deux formations dominent presque exclusivement les élections de 1945 à 196023.
17Cette structuration bipartisane est souvent interprétée comme l’affrontement entre un parti nationaliste (USRDA) et un parti allié à l’administration (PSP). Selon Ruth Morgenthau, les deux partis sont animés par deux élites distinctes qui se disputent le pouvoir. Le RDA regroupe les élites lettrées et généralement urbanisées dont les leaders se recrutent essentiellement en milieu enseignant tels Mamadou Konaté, Modibo Keïta ou Jean-Marie Koné : c’est le « parti des instituteurs ». À l’inverse, le PSP recrute essentiellement parmi les chefs de canton (Fily Dabo Sissoko, Almamy Koreissy, Balobo Maïga, Simbo Keïta, Djigui Diallo, etc.), les notables et plus largement tous les petits intermédiaires dont l’ascension sociale est liée à la présence française : c’est le « parti des chefs ». De la même manière, Pierre Campmas analyse l’opposition USRDA/PSP comme un affrontement entre « hommes nouveaux », qui exercent un quasi-monopole sur le projet nationaliste, et chefs locaux dont l’autorité est liée à l’administration coloniale24. En résumé, l’opposition entre le RDA et le PSP refléterait une lutte d’influence entre deux groupes sociaux, chacun dominé par une élite distincte : les instituteurs et les chefs de canton.
Une analyse prosopographique des cadres de l’USRDA et du PSP
18Une analyse plus fine du personnel politique montre qu’en réalité, les oppositions ne sont pas aussi tranchées. Ainsi, les instituteurs originaires du Soudan sont nombreux parmi les cadres dirigeants de l’USRDA… mais aussi du PSP. Au Soudan français, les enseignants ont fourni une large part du personnel politique élu après-guerre. Des élections territoriales de 1946 à celles de 1957, la part des instituteurs dans les assemblées locales oscille entre 21 % et 36 % (soit entre un cinquième et plus du tiers des élus)25. Sur les cent trente-six élus soudanais dont nous connaissons la profession, trente-six (soit 26 %) sont des enseignants ou anciens enseignants diplômés de Ponty ou de l’ENR de Katibougou. Sur cette même période, la quasi-totalité des députés africains envoyés par le Soudan à l’Assemblée nationale française sont également instituteurs (Mamadou Konaté, Hamadoun Dicko, Modibo Keïta) ou anciens instituteurs (Fily Dabo Sissoko). Baréma Bocoum (élu en 1956) est la seule exception, mais il est tout de même Pontin, diplômé de la section administrative.
19Les Pontins en général et les enseignants en particulier sont nombreux à entrer en politique, mais ils ne rejoignent pas forcément le même parti. Ainsi, selon Ruth Morgenthau, le bureau politique du PSP comprend six Pontins sur douze membres quand l’USRDA en comprend sept sur quinze membres, soit deux proportions semblables26. La différence entre les deux bureaux politiques réside moins dans la profession de ses membres que dans leur statut social : la moitié des dirigeants du PSP sont issus de « familles de chefs » (six sur douze contre deux sur quinze pour l’USRDA), la grande majorité des dirigeants de l’USRDA sont des « roturiers », des gens du commun (onze sur quinze contre cinq sur douze pour le PSP)27.
20Le fichier prosopographique du personnel politique conforte ces premières données. Le tableau ci-dessous fournit les informations recueillies sur les élus de la première assemblée territoriale de 1952 en distinguant les élus du RDA et ceux du PSP :
Tableau n° 2. Profession des élus USRDA et PSP à l’assemblée territoriale de 1952.
| USRDA | PSP | |||
| En nombre | En % | En nombre | En % | |
| Nombre total d’élus | 17 | 100 % | 25 | 100 % |
| Instituteurs | 6 | 35,3 % | 7 | 28 % |
| Chefs de canton | 0 | 0 % | 6 | 24 % |
| Médecins et vétérinaires | 2 | 11,8 % | 4 | 16 % |
| Commerçants, employés de commerce, profession libérale | 4 | 23,5 % | 3 | 12 % |
| Commis et autres fonctionnaires | 4 | 23,5 % | 5 | 20 % |
| Divers (élu européen) | 1 | 5,9 % | 0 | 0 % |
| Dont : | ||||
| Instituteurs et anciens instituteurs | 7 | 41,2 % | 9 | 36 % |
| Anciens Pontins | 9 | 52,9 % | 14 | 56 % |
Source : prosopographie du personnel politique.
21Seul le PSP compte des élus issus de la chefferie de canton. Quatre de ces six chefs sont d’anciens fonctionnaires : deux sont anciens instituteurs diplômés de Ponty (Fily Dabo Sissoko et Almamy Koreissy), deux autres sont d’anciens commis interprètes diplômés de l’école des fils de chefs de Kayes (Tahirou Cissé et Balobo Maïga). Les instituteurs et plus largement les Pontins se partagent entre le PSP et l’USRDA : 41,2 % des élus USRDA en 1952 sont des instituteurs ou anciens instituteurs contre 36 % pour le PSP. Si l’on se réfère au nombre total d’anciens Pontins (toutes sections confondues), le PSP dépasse l’USRDA en nombre (quatorze élus contre neuf) comme en proportion (56 % des élus contre 52,9 %). Si l’on s’intéresse aux candidats et non pas aux seuls élus, on s’aperçoit également que le PSP présente plus d’instituteurs que l’USRDA. L’Essor, le journal de l’USRDA, donne ainsi la liste des candidats des deux partis en 1952 : sur les trente candidats des listes de l’USRDA, neuf sont instituteurs ou anciens instituteurs (soit près de 30 %) alors qu’ils sont seize sur les quarante candidats du PSP (soit 40 %)28.
22Interpréter la vie politique au Soudan français comme une lutte opposant « instituteurs » et « chefs » n’est pas dénué de tout fondement, mais cela ne permet pas de rendre compte de la complexité des affiliations partisanes. Si les chefs rejoignent plutôt le PSP, les instituteurs se partagent entre les deux partis. L’appartenance à l’élite instruite ne détermine pas une affiliation partisane homogène.
Les dynamiques de l’affiliation partisane
23Comment expliquer que les instituteurs et plus largement les Pontins constituent l’ossature des cadres de l’USRDA et du PSP, qu’ils militent aussi bien au sein du parti des « hommes nouveaux » que dans celui des « vieilles chefferies » ? La reconstitution des itinéraires politiques de deux instituteurs diplômés de Ponty, l’un ayant rejoint le RDA et l’autre le PSP, permet de saisir quelques-unes des dynamiques qui déterminent ces engagements pluriels.
24Né vers 1903, O. B. Maïga est originaire de Homboré, un bourg situé entre les cercles de Bandiagara et de Douentza29. Il appartient à une famille de nobles songhaï30, aisée, qui jouit d’une bonne considération locale. Elle est liée aux premiers chefs de canton nommés par les Français lors de leur arrivée. Un des parents d’O. Maïga, Balobo Maïga, est ainsi envoyé à l’école des fils de chefs de Kayes dès la fin du xixe siècle. Il en sort interprète et retourne exercer dans sa région d’origine. Il a par la suite encouragé ses proches parents à l’imiter en envoyant leurs enfants à l’école. C’est ainsi que O. Maïga est envoyé à l’école de Homboré au début des années 1910. Brillant élève, il est diplômé de la section enseignement de l’école normale William-Ponty en 1923. Il mène toute sa carrière dans le nord du Soudan, en pays songhaï, une région qui attire alors peu les fonctionnaires originaires du sud du territoire31. Maïga reste d’autant plus lié à sa région d’origine qu’il a épousé plusieurs femmes issues comme lui de la noblesse songhaï de la région de Homboré.
25Après-guerre, Maïga s’engage dans la politique, comme beaucoup d’autres instituteurs. Son parent, Balobo Maïga, conseiller territorial du PSP, le sollicite pour animer des sections du PSP dans les postes où il est affecté. Sans être lui-même candidat, il se montre un militant actif du PSP dans les cercles de Douentza et de Bandiagara. Il anime des réunions politiques et rédige des rapports pour le parti32. L’engagement de Maïga au sein du PSP est lié aux réseaux de sociabilité auxquels il appartient. Son style de vie et son statut de notable local le rapprochent probablement du PSP, parti qui défend les intérêts des notabilités locales et de la chefferie33, de même que ses relations familiales. Balobo Maïga recrute ses proches collaborateurs parmi ses parents : O. Maïga lui sert de secrétaire politique ; son fils, Abdoulaye Maïga (Ponty 1937), commis des greffes, est son adjoint puis son colistier.
26Le parcours politique de D. Diallo, autre instituteur diplômé de Ponty (1934), est bien différent du précédent34. Diallo est né vers 1915 dans un petit village du cercle de Kita. Ses parents sont de petits cultivateurs peuls non musulmans. Après leur décès, il est confié à sa grande sœur qui vit dans la bourgade voisine de Toukoto où elle tient un petit commerce ambulant. Situé entre Kita et Bamako, Toukoto est un petit poste colonial en expansion traversé par la voie ferrée reliant Dakar à Bamako. Diallo est scolarisé à Toukoto apparemment sur décision de sa grande sœur. Tout comme Maïga, il est diplômé de la section enseignement de l’école Ponty en 1934. À partir de là, les trajectoires professionnelles de Diallo et de Maïga diffèrent radicalement. Diallo n’a jamais cherché à exercer dans sa région d’origine, ni à Toukoto ni même au chef-lieu de cercle, Kita. Sa carrière l’amène à exercer dans les grandes villes du Soudan et même à Dakar et Saint-Louis au Sénégal35. De plus, à l’inverse de Maïga qui a épousé des femmes nobles et originaires de son village, Diallo épouse deux femmes lettrées et originaires de familles de petits auxiliaires coloniaux ayant eux-mêmes migré à Bamako dans l’entre-deux-guerres36. Ces alliances matrimoniales contribuent à l’éloigner un peu plus de son milieu d’origine et à l’intégrer dans une société urbaine dont les fonctionnaires instruits constituent l’élite. En 1945, Diallo choisit d’adhérer à l’USRDA dont il connaît personnellement plusieurs membres et sympathisants. Il les a fréquentés au Foyer du Soudan de Bamako où il était alors en poste. D’origine modeste et ayant largement rompu avec sa région d’origine, Diallo est sans doute moins sensible au discours du PSP sur la défense des « élites traditionnelles ». À l’inverse, son réseau de sociabilité le relie plus fortement aux couches lettrées et urbanisées qui forment l’ossature des cadres de l’USRDA.
27Différents par leurs origines, les instituteurs le sont aussi dans leur choix d’affiliation partisane. L’origine sociale, les pratiques matrimoniales, les réseaux d’appartenance ou encore les choix de carrière constituent autant de variables qui déterminent des affiliations partisanes différenciées en milieu enseignant. Pour autant, aucune de ces variables ne suffit à expliquer à elle seule les formes de l’engagement. Ainsi, les frères Tall de Bandiagara, Karamoko (Ponty 1916) et Sékou (Ponty 1936) sont issus de l’une des familles les plus prestigieuses de l’ancien Soudan français, celle d’El Hadj Omar (branche de Bandiagara), mais ils choisissent de rejoindre l’USRDA plutôt que le PSP37. Cela s’explique en grande partie par les dynamiques microlocales : les Tall de Bandiagara ont soutenu le RDA alors que leurs rivaux se rangeaient plutôt du côté du PSP (Schachter-Morgenthau 1998)38.
Les instituteurs comme entrepreneurs politiques39
28Les travaux d’Edward Thompson sur la classe ouvrière anglaise ou ceux de Luc Boltanski sur les cadres français montrent que l’espace syndical et politique constitue le lieu privilégié du travail de mobilisation et de définition des catégories collectives40. Ces approches sont transposables à l’Afrique de l’Ouest après 1945. Dans un contexte colonial marqué par des recompositions et des processus d’hybridation à l’issue incertaine, l’espace politique ne doit pas tant être conçu comme le lieu d’expression de groupes déjà constitués. Il apparaît plutôt comme une matrice dans laquelle des appartenances collectives se cristallisent à travers les discours, les acteurs, les structures partisanes qui les mobilisent. Les instituteurs sont des acteurs essentiels de ces jeux de mobilisation.
29Au sein du PSP, ce sont des instituteurs, étroitement liés aux anciennes notabilités, qui produisent les discours sur une « élite traditionnelle » soudanaise largement réinventée. Les leaders du PSP tentent en effet de mobiliser une élite « en puissance », celle issue de la chefferie, dans le but de négocier un nouveau partage du pouvoir avec l’administration française. Cette mobilisation passe d’abord par la revalorisation, sinon la réinvention d’une tradition « aristocratique ». Fily Dabo Sissoko, fondateur du parti, premier député du Soudan, chef du canton de Niambia et ancien élève de l’école normale William-Ponty, défend ainsi l’idée qu’au Soudan, la chefferie est une institution prestigieuse et millénaire puisant ses racines dans un pays qu’elle a toujours dirigé. Devant le président de la République en visite à Bamako, il déclare que le Soudan doit entrer sur la voie de la démocratie en respectant les traditions dont les « aristocraties » sont les dépositaires et les gardiennes : « Nous pouvons dire que le Soudan va entrer dans l’ère des démocraties, mais conformément à ses traditions ancestrales vénérables dont il entend ne se dessaisir jamais. Les descendants de Soundiata ou d’El Hadj Omar, de Tiéba ou de Samori, de Cheikhou Amadou ou de Dâ-Monson, de Hava Demba ou de Niakalé Gara, de Naba Kango ou des Askia, et de tous les peuples qui les suivent tendent à conserver ces traditions41. » Et pour cela, il en appelle à « la restauration du prestige des chefs et, en conséquence, [à] l’accroissement de leurs responsabilités42 ».
30Proche de Sissoko et ancien Pontin comme lui, Ya Doumbia développe des positions similaires au conseil de l’Union française où il a été élu sous l’étiquette du PSP : « L’histoire de nos grands empires nous apprend que depuis très longtemps nos hommes d’État avaient ce sens inné de l’intérêt national quand, dès 1841, ils envoyaient des ambassadeurs en Europe ou en recevaient [...] Et les historiens sont d’accord pour dire que ces empires noirs étaient dotés d’une organisation administrative qui subsiste encore de nos jours 43. » Concrètement, les dirigeants du PSP veulent renforcer le pouvoir des « aristocraties locales » en négociant avec l’administration coloniale l’extension de leurs prérogatives. Au conseil général du Soudan, Almamy Koreissy et Sory Konaké, deux instituteurs issus de Ponty et leaders du PSP, encouragent la création de budgets locaux dont la gestion serait confiée aux commandants de cercle assistés des conseils de notables44. Pour Koreissy, il s’agit d’un « début de décentralisation. Cela permettra de mettre entre les mains des commandants de cercle les crédits nécessaires pour les besoins urgents du cercle et pour faire face aux problèmes immédiats qui se posent. Il nous appartient à nous d’apporter aux articles proposés les modifications nécessaires afin que l’élite qui se trouve dans les différentes circonscriptions puisse intervenir dans la gestion de ce budget et non [de] nous opposer à la création de cette taxe45 ». Le PSP soutient plus largement une politique de renforcement et de restructuration de la chefferie. Pour réorganiser un « commandement indigène » jugé pléthorique (chefs de quartier, de village, de canton, de province), ils recommandent de favoriser l’émergence d’une élite, constituée de chefs de canton mieux rémunérés et portés à la tête de circonscriptions agrandies. En 1950, les élus PSP votent un nouveau système de rémunération qui favorise les chefs de canton par rapport aux chefs de village. En 1959, Koreissy propose « à l’administration d’envisager la fusion de cantons, pour que nous n’ayons pas à grever notre budget avec des poussières de canton46 ».
31Ces projets n’expriment pas tant les intérêts d’un groupe déjà constitué, mais tentent plutôt de mobiliser un groupe en puissance, « l’aristocratie soudanaise ». Or, qui sont ces entrepreneurs, principaux bénéficiaires d’une politique de décentralisation encouragée par le PSP ? Pour la plupart, les caciques du parti progressiste sont des chefs instruits à l’école française ou des fonctionnaires étroitement liés à la chefferie. Beaucoup parmi eux sont diplômés de l’école Ponty : Almamy Koreissy, Fily Dabo Sissoko, qui sont aussi chefs de canton ; le second député du PSP, Hamadoun Dicko, est instituteur et fils d’un chef de canton du Macina ; le sénateur Amadou Doucouré, comptable, est devenu ensuite chef de canton du Ouagadou (1954).
32Leurs projets n’aboutiront pas : au milieu des années 1950, le PSP, enfermé dans une collaboration de plus en plus étroite avec le pouvoir colonial et tiraillé par les luttes intestines, est en perte de vitesse. Il ne parvient pas non plus à surmonter les clivages qui traversent la chefferie47. À l’inverse, l’USRDA est en plein essor auprès des masses rurales qui acquièrent le droit de vote. Aux élections de 1957, l’USRDA remporte la quasi-totalité des sièges à l’assemblée territoriale. Les cadres du PSP font défection et rejoignent progressivement les rangs de l’USRDA.
*
33L’après-guerre ouvre le temps du politique pour les instituteurs issus de Ponty. Acteurs secondaires sinon marginaux dans l’entre-deux-guerres, ils saisissent pleinement les nouvelles opportunités offertes par la réforme des systèmes politiques en AOF après 1945. Ils le font d’autant plus volontiers qu’ils y trouvent un exutoire au sentiment d’insatisfaction qui les caractérise dans l’entre-deux-guerres et au déclin relatif qui frappe leur profession après 1945. Les instituteurs disposent d’atouts importants pour réussir en politique : leur dispersion à travers les territoires, leur capacité à mobiliser un réseau étendu, leur maîtrise de la langue française, leur aptitude à se transformer en courtiers politiques entre le monde rural et le monde urbain. Leur succès collectif est, à bien des égards, stupéfiant. Au moment des indépendances, la profession enseignante est probablement la mieux représentée au sein des gouvernements comme des Assemblées nationales d’Afrique de l’Ouest. Ils incarnent désormais le modèle même de la réussite en politique.
34Alors que cette élite scolaire se trouvait soumise à des logiques de dispersion dans les années précédentes, le moment politique débouche-t-il sur la remobilisation des solidarités entre « instruits » et sur la réactivation d’un sentiment d’appartenance collective ? La réponse doit être nuancée. L’engagement des instituteurs sur l’espace politique se fait en ordre relativement dispersé – l’étude du cas soudanais a permis de le souligner. Selon leurs origines sociales, leurs réseaux d’appartenance et leurs parcours professionnels, les enseignants diplômés de Ponty jouent les entrepreneurs politiques et se mettent au service de projets différents, parfois concurrents. Plus largement, l’espace politique ouest-africain n’est pas un lieu où s’expriment l’intérêt et l’ambition de groupes déjà constitués et figés. Il représente plutôt un milieu dans lequel s’affrontent des définitions concurrentes de l’élite dirigeante appelée à remplacer l’autorité coloniale. La remobilisation des instruits est ainsi contrariée par la diversité des projets politiques que les Pontins soutiennent. Ces luttes n’opposent cependant pas des blocs statiques. Elles engendrent de multiples recompositions et ralliements dont nous ne pouvons pas refaire ici l’histoire précise.
35En 1956, l’adoption de la loi-cadre Defferre ouvre les portes des responsabilités gouvernementales à l’élite politique africaine. Elle annonce l’ultime étape d’une transformation ayant conduit les Pontins du statut de « mangeurs de craies » dans l’entre-deux-guerres à celui d’« hommes du pouvoir » et même de « Pères des indépendances ».
Notes de bas de page
1Parmi ces fonctions électives, on a retenu les sept catégories suivantes : conseiller municipal, maire, député de l’Assemblée territoriale, député, sénateur, conseiller de l’Union française, grand conseiller de l’AOF.
2À peine cinq cas sur soixante-quatorze instituteurs qui appartiennent d’ailleurs tous à une génération assez ancienne de Pontins. L’âge ne constitue pas nécessairement un obstacle à l’engagement. Au Soudan français, Fily Dabo Sissoko (né en 1898) et Mamadou Konaté (né en 1897) sont déjà des « aînés » quand ils prennent la tête du Parti progressiste pour l’un et de l’Union soudanaise pour l’autre.
3Du nom d’un administrateur français affecté en Guinée et auteur de travaux ethnographiques.
4Loucou 1976 ; Kipré 1985.
5Entretien avec B. Boly, 31 décembre 1997, Ouagadougou (Burkina Faso).
6Idem.
7Entretien avec B. Cissé, 3 février 1997, Bamako (Mali).
8Par territorialisation, on entend le fait que le jeu politique ne se structure plus autour des seules arènes locales, mais s’organise de plus en plus fortement autour d’une scène nationale en gestation. Celle-ci est matérialisée par la création d’un conseil général – devenu assemblée territoriale en 1952 – dans chaque colonie de l’AOF.
9Entretien avec M. Sorgho, à propos de sa candidature comme député à l’assemblée territoriale de la Haute-Volta, 8 janvier 1998, Ouagadougou (Burkina Faso).
10Entretien avec B. S. Diallo à propos de son père, l’instituteur S. Diallo, 18 décembre 1998, Bobo-Dioulasso (Burkina Faso).
11Entretien avec Almamy Niantao à propos de son père, l’instituteur S. Niantao, 28 mars 1998, Sévaré (Mali).
12Voir par exemple Atlan 2001 pour le cas du Sénégal.
13Voir introduction pour la base de données prosopographiques du personnel politique ouest-africain.
14Seize cas sur cinquante. Au moins 32 % des chefs élus sont d’anciens fonctionnaires (sept anciens commis, cinq anciens instituteurs, un ancien interprète, un ancien infirmier, un ancien médecin).
15Voir notamment Lombard 1967. Il y a cependant quelques contre-exemples isolés, tel celui d’Abdou Salam Kane, puissant chef de canton du Damga, qui a été associé très tôt au conseil général du Sénégal par les autorités coloniales (Atlan 2001).
16Nous devons cette idée à des discussions avec Vincent Foucher, chercheur au CNRS, qui montre dans son propre travail sur la Casamance que des instituteurs ruraux comme Émile Badiane (Ponty 1935) font le lien entre les zones rurales et l’espace politique urbain (Foucher 2002).
17Anderson 1991 : 114-115.
18En Casamance, l’instituteur Doudou Kane (Ponty 1933) est élu au conseil général du Sénégal en 1947 dans la circonscription de Ziguinchor (cf. fichiers prosopographiques des Pontins et du personnel politique en AOF). Il est le fils de Seydou Kane, un commerçant ayant joué un rôle politique important dans la municipalité de Ziguinchor dans l’entre-deux-guerres (voir Trincaz 1984). Comme le montre Vincent Foucher, à Ziguinchor après 1945, le pouvoir politique glisse des élites commerçantes vers les fonctionnaires lettrés, mais reste souvent dans les mêmes familles (Foucher 2002).
19Morgenthau 1964 : 221-222 et fichier prosopographique.
20Arrêté du 1er novembre 1957, Journal officiel du Soudan français, et base de données prosopographique.
21L’expression est de Jacques Lombard (Lombard 1967).
22Voir entre autres : Schachter-Morgenthau 1998 ; Campmas 1978 ; Danioko 1984.
23Il existe des formations politiques à base régionale comme l’Union dogon dont les quelques élus siègent après 1957 aux côtés de l’USRDA, largement majoritaire.
24Campmas 1978.
25Source : prosopographie du personnel politique local.
26Schachter-Morgenthau 1998 : 304.
27Ibid.
28Sources : listes publiées dans L’Essor en mars 1952 (nos 707, 710 et 711). La différence entre le nombre de candidats du PSP et de l’USRDA est liée au fait que l’USRDA ne présente pas de candidats dans les circonscriptions de Bandiagara, Goundam, Niafunké et Koutiala.
29Entretien avec M. Maïga, fils d’O. B. Maïga, avril 1998, Bamako (Mali) et fichier prosopographie du personnel politique.
30Groupe ethnique du nord du pays.
31Dans son autobiographie, le médecin Mamadou Gologo, ancien de Ponty, décrit l’ennui profond de sa vie au poste de Douentza, un chef-lieu de cercle pourtant plus important que Homboré et situé dans la même région du Soudan. Gologo, à l’inverse de Maïga, est originaire de Koulikoro dans le sud du pays (Gologo 1963).
32Entretien avec M. Maïga, fils d’O. B. Maïga, avril 1998, Bamako (Mali).
33D’après son fils, O. B. Maïga a délaissé le mode de vie occidentalisé inculqué à Ponty pour revenir aux pratiques propres à son groupe d’origine (abandon du costume européen pour les vêtements songhaï, maison en banco, repas pris en commun sur une natte contrairement aux usages en vigueur à Ponty, etc.).
34Entretien avec D. Diallo, février 1997, Bamako (Mali).
35Il travaille en effet dans les services de l’inspection générale de l’enseignement de l’AOF.
36Sa seconde épouse est Aoua Keïta, sage-femme et première députée du Soudan. Comme elle en témoigne dans son autobiographie, son père est un ancien tirailleur originaire de Guinée. Il s’est établi à Bamako comme agent d’hygiène (Keïta 1975).
37Entretien avec S. Tall, janvier 1998, Ouagadougou (Burkina Faso).
38Les affiliations partisanes sont également dépendantes de dynamiques historiques locales comme l’a montré Nicolas Hopkins dans le cas de Kita (Hopkins 1972).
39Par entrepreneurs politiques, nous entendons les acteurs qui, par leur discours et leurs actions, sont capables de se faire les représentants de groupes sociaux sur l’espace politique.
40Boltanski 1982 ; Thompson 2017.
41Discours rapporté dans un article du Soudan Niger, n° 18, juin-juillet 1948.
42Idem.
43Propos rapporté dans un article du Soudan Niger, n° 21, mars 1948.
44À travers la création en 1949 d’une taxe spéciale des cercles à la suite d’une proposition de l’administration.
45Comptes rendus des débats du conseil général du Soudan, 2e session ordinaire de 1949, séance du 31/10/49, ANS, Dakar.
46Comptes rendus des débats du conseil général du Soudan, session de 1950, séance du 30/11/50, ANS, Dakar.
47Pour en donner un exemple, Almamy Koreissy soutient en 1950 le projet de Balobo Maïga, chef de Homboré, qui cherche à élever son canton au rang de subdivision administrative malgré l’opposition des chefs des cantons voisins. Les députés RDA saisissent l’occasion de semer le désordre parmi ceux qui devraient constituer la base du PSP : ils soutiennent le projet de revalorisation des « pauvres chefs de canton », mais s’élèvent contre la « situation scandaleuse » des fonctionnaires détachés dans des postes de chefferie, visant clairement des caciques du PSP comme Koreissy ou Fily Dabo Sissoko. Comptes rendus des débats du conseil général du Soudan, session de 1950, séances du 29/11/50 et du 30/11/50, ANS, Dakar.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Corps rituels
La fabrique du religieux en pays mandingue (Mali, Guinée, Côte d'Ivoire)
Agnieszka Kedzierska Manzon
2023
Les mangeurs de craies
Une histoire des instituteurs ouest-africains en situation coloniale
Jean-Hervé Jézéquel
2024
Corps rituels
La fabrique du religieux en pays mandingue (Mali, Guinée, Côte d'Ivoire)
Agnieszka Kedzierska Manzon
2023
Les mangeurs de craies
Une histoire des instituteurs ouest-africains en situation coloniale
Jean-Hervé Jézéquel
2024
