Chapitre 6
Semences de culture
p. 147-166
Texte intégral
1La recherche d’un facteur culturel fondateur n’est jamais une simple affaire, parce qu’elle nous conduit généralement très loin des considérations utilitaires dominant l’approche technologique. La tâche est plus délicate encore lorsqu’il est question d’une période aussi reculée que le début de la mise en culture au Proche-Orient. Tout d’abord, l’absence de documents écrits rend ces informations nécessairement lacunaires dans leur contenu. Ensuite, il est difficile de désigner un facteur culturel unique parmi la myriade de transformations opérées durant les millénaires séparant le début du Natoufien du PPNB moyen. Dans de telles conditions, un simple inventaire des transformations culturelles ne peut suffire. Il est nécessaire de s’assurer que le ou les critères identifiés ont bien leur expression première dans le foyer de la culture natoufienne, et qu’ils se diffusent en même temps que les semences dans tout le Proche-Orient. C’est seulement à cette condition qu’il sera possible de se pencher sur leur signification et leur incidence sur le processus conduisant à la domestication.
Le tournant natoufien
2Si le Natoufien n’est pas officiellement reconnu comme la phase de mise en culture systématique des plantes de la domestication conjuguée, il n’en reste pas moins une période cruciale. C’est la phase durant laquelle s’effectuent les premières expériences de multiplication intentionnelle des plantes ultérieurement domestiquées1. En parallèle, le Natoufien est également caractérisé par de profondes transformations dans les pratiques religieuses tout comme dans l’organisation sociale2. Or celles-ci apparaissent bien trop tôt, à l’aube du Natoufien (environ 13 000 ans avant notre ère), pour être regardées comme les conséquences d’une mise en culture encore très embryonnaire.
3Par conséquent, le Natoufien est bien plus qu’une phase de transition entre l’ère Paléolithique et le Néolithique, comme on le supposait jadis. Les transformations culturelles opérées durant cette période longue de plus de 3 000 ans pourraient bien révéler les motivations technopoïétiques des premières tentatives de mise en culture. Cette perspective nous invite tout d’abord à examiner avec attention les nouveautés culturelles caractérisant le Natoufien, par rapport au Kébarien géométrique, la période qui lui précéda au sud du Levant.
Les racines du Natoufien
4Pour justifier l’occurrence de transformations culturelles, le plus simple est de supposer un apport étranger, sous la forme d’une influence exogène ou encore d’une migration de population. Cette explication confère un caractère déterministe aux transformations, tout en faisant l’économie de la délicate question de leur origine et de leur motivation. Mais en ce qui concerne le Natoufien, une pareille explication est difficile à soutenir, parce qu’il n’existe aucune trace d’influence extérieure identifiable à cette époque au Sud-Levant3. Par ailleurs, le Natoufien semble par de nombreux aspects constituer l’aboutissement d’une évolution culturelle amorcée près de 10 000 ans auparavant, au début de l’Épipaléolithique (la période qualifiée de Kébarien).
5Le Natoufien se présente en effet comme la phase ultime de conquête de l’habitat en lisière de forêt, amorcée au début de l’Épipaléolithique à la suite d’un réchauffement climatique conduisant au développement de vastes prairies à graminées4. Cette continuité est visible dans l’outillage lithique des Natoufiens, qui s’inscrit dans un parfait prolongement avec celui utilisé au Kébarien. Même la sédentarisation, jadis considérée comme une nouveauté propre au Natoufien, est déjà visible auparavant, comme le montrent les huttes et installations semi-permanentes découvertes sur les rives du lac de Tibériade (Ohalo II). Ce même site a également révélé que les morts étaient inhumés, notamment à proximité des habitations5. D’autres sites datés de cette époque ont montré l’addition d’objets à signification rituelle (comme une corne) dans les tombes du Kébarien. Ces pratiques témoignent de l’existence d’un univers symbolique et de croyances concernant le monde de l’au-delà6.
6Cette continuité indique que la sédentarisation, tout comme les pratiques funéraires et leur dimension religieuse, ne peuvent à elles seules justifier les transformations opérées au Natoufien. Soit la mise en culture est bien liée à ces facteurs, et dans ce cas, il faut faire remonter les origines de la domestication au début de l’Épipaléolithique (22 000 ans avant notre ère). Soit d’autres transformations cruciales propres au Natoufien sont à la source de cette nouveauté.
Les nouveautés
7La recherche des changements introduits au Natoufien est à première vue assez décevante, parce que ces changements sont pour la plupart d’ordre quantitatif. Cependant, derrière ce constat se profilent des nouveautés dans le rapport au monde.
- L’habitat : Si des habitats semi-temporaires étaient déjà visibles auparavant, le Natoufien inaugure une nouvelle ère, celle de l’habitat permanent. Celui-ci se développe à la lisière de la forêt, sous la forme de hameaux dans lesquels l’espace est organisé en aires spécialisées dans le logement, la taille des silex, le débitage des animaux, la transformation des graines et la cuisson. La notion de collectivité se transforme également. Alors que les groupes se réduisaient auparavant à des « familles élargies » comprenant entre 12 et 25 adultes, les communautés du Natoufien comptent désormais plus de membres, et témoignent d’une interaction sociale plus organisée7.
- L’outillage : L’outillage en silex reste pratiquement inchangé au Natoufien, mais l’usage de serpes et faucilles semble revêtir une signification nouvelle et une dimension rituelle. En témoigne le manche en os poli et sculpté d’une faucille, avec représentation d’un cervidé (voir figure 6.1 du cahier hors texte). La sédentarisation s’accompagne de la production d’un nouveau type d’objets en pierre dont le poids (dépassant souvent 100 kg) ne permet pas un transport aisé. Il s’agit essentiellement d’outils de transformation des graines (mortiers, pilons, meules, voir figure 6.2 du cahier hors texte)8. La finition de ces instruments, reflétée par le lissage et la décoration de la surface extérieure des mortiers (voir la figure 6.2B), suggère que leur élaboration outrepasse les considérations purement fonctionnelles, pour en faire des objets à signification hautement symbolique9.
- La fixation des tâches : Certains mortiers de l’époque natoufienne sont creusés à même la roche (voir figure 6.3 du cahier hors texte). Cette pratique témoigne d’une fixation dans l’espace des opérations de broyage des graines en vue de la production de farine et de produits dérivés10. Mais curieusement, certains de ces mortiers intégrés dans la roche sont bien trop étroits pour permettre un usage courant. D’un autre côté, ces mortiers étroits et intégrés dans la roche sont très difficiles à produire, et l’effort reste injustifiable dans une perspective utilitaire11. Là encore, semble se profiler une dimension culturelle, technopoïétique, attachée à l’instrument de la transformation des graines12.
- Les sépultures : L’inhumation des défunts parmi les vivants n’est pas une innovation propre au Natoufien. Par contre, cette pratique se généralise et semble prendre une nouvelle signification à cette période. Non seulement les sépultures sont le plus souvent adjacentes aux demeures, mais de plus, des structures funéraires marquent désormais l’emplacement de l’habitat. Ces nouveautés suggèrent une nouvelle forme d’interaction entre le monde des morts et celui des vivants13.
- La figuration : Dans le prolongement du Kébarien, on retrouve au Natoufien des gravures sur os comprenant des signes abstraits et des figures géométriques. Mais, au-delà de ces représentations traditionnelles, le Natoufien se démarque par une multiplication des expressions artistiques, incluant des décorations sur les outils (mortiers), mais aussi des représentations humaines sous la forme de gravures sur pierre plate (voir figure 6.4 du cahier hors texte) et de statuettes (voir figure 6.5 du cahier hors texte)14. La production plus importante d’ornements (perles, coquillages percés) est une autre caractéristique du Natoufien15.
8Les singularités visibles au Natoufien témoignent de plusieurs changements. Tout d’abord, les échanges sur de longues distances de matériaux et d’objets précieux font état d’une ouverture de l’horizon dépassant largement l’aire de cueillette et de chasse. Ce développement des échanges implique l’extension des interactions humaines au-delà du noyau familial traditionnel, et le sentiment d’appartenance à une communauté humaine bien plus vaste16. Les premières traces de figuration humaine, encore très abstraite, pourraient, elles aussi, refléter la conscience émergente d’une nouvelle forme d’identité.
9Cette extension de l’horizon concerne non seulement l’espace, mais encore le temps, puisque le marquage des sépultures matérialise une mémoire collective se projetant sur plusieurs générations. Elle se manifeste entre autres par une diversité de microcultures régionales visibles au Natoufien, probablement issues d’une multitude de traditions locales conditionnées chacune par une mémoire idiosyncratique du passé17. Cette mémoire conduit également les peuples du Natoufien à reconstruire les maisons sur les sites anciennement occupés, même après plusieurs générations d’abandon18.
L’héritage natoufien du Néolithique
10Si une phase de technopoïèse liée à une mise en culture des plantes prend sa source au Natoufien, alors les facteurs culturels impliqués devraient trouver leur expression durant toute la période de l’en deçà conduisant à leur domestication, ce qui inclut le PPNA et le PPNB ancien. Une pareille continuité était difficilement envisageable il y a encore quelques décennies, lorsqu’une ligne de démarcation séparait le Natoufien (rattaché au Paléolithique) et le PPNA ouvrant l’ère Néolithique et sa « révolution ». La césure radicale s’est estompée, et l’on reconnaît aujourd’hui un fort degré de continuité entre ces deux époques, dans le peuplement comme dans la culture matérielle et les croyances19. Cette position fait écho à la diffusion de la culture natoufienne vers le nord du Proche-Orient, via le corridor Levantin (voir la carte figurant en fin d’ouvrage)20. Ainsi, plutôt qu’une rupture, le PPNA exprime l’évolution de la culture natoufienne, son adaptation à de nouveaux milieux et sa diffusion.
Du Natoufien au PPNA
11Le moyen le plus simple d’évaluer le degré de continuité entre le Natoufien (12500-9700 av. J.-C.) et le PPNA (9700-8700 av. J.-C.) est d’examiner le devenir au Néolithique des critères distinctifs du Natoufien par rapport au Kébarien, à savoir l’habitat, le traitement réservé aux défunts, et l’univers des symboles.
- L’habitat : La taille des villages augmente sensiblement au PPNA. Leur population atteint maintenant jusqu’à 300 habitants, ce qui complexifie l’interaction sociale, l’organisation collective et la distribution des tâches21. Au-delà de ces transformations, l’architecture reste largement inspirée des maisons rondes, souvent semi-enterrée, identifiées au Natoufien22. Les villages comptent désormais de grands édifices publics, dont la construction requiert une mise en commun des efforts. La fameuse tour de Jéricho au Sud-Levant23, tout comme le bâtiment collectif semi-enterré de Jerf el Ahmar, au Moyen-Euphrate24, sont des exemples célèbres de ce genre d’édifices collectifs (voir figure 6.6 du cahier hors texte). Le squelette acéphale étendu dans la pièce centrale à Jerf el Ahmar (voir figure 6.6B du cahier hors texte) reflète encore une fois la dimension symbolique et culturelle de cet édifice où l’on accumulait des graines25.
- Les sépultures : Le traitement des défunts au PPNA reflète une continuité avec les traditions identifiées au Natoufien, tout en accentuant certaines tendances déjà bien visibles auparavant. La diversité des modes d’inhumation rencontrés au Natoufien se réduit, et certaines des pratiques déjà en vigueur à cette époque se généralisent au PPNA. C’est le cas de la relation étroite observée entre les aires d’inhumation et d’habitation (les morts sont souvent enterrés dans les habitations ou à proximité directe) et de la récupération des crânes des défunts plusieurs mois après l’inhumation. Même le dépôt des crânes à l’entrée des habitations, bien attesté au PPNA dans tout le Proche-Orient, était déjà visible au Natoufien tardif au Sud-Levant. Une continuité dans le type de rituel et de croyances relatives à la mort semble s’opérer entre le Natoufien et le PPNA26.
- La figuration : Au PPNA, l’homme devient de plus en plus représenté sous la forme de petites statuettes aux contours plus ou moins détaillées27. Ce symbolisme humain généralise une tendance déjà observée au Natoufien, et qui reflète une transformation mentale profonde de l’homme, de son regard sur le monde, et de ses croyances.
- Au vu de ces comparaisons, les changements opérés au PPNA semblent surtout être d’ordre quantitatif. La dimension culturelle nouvelle propre au Natoufien ainsi que les croyances qui l’accompagnent se propagent dans les nouvelles régions gagnées à la culture des plantes. Si cette observation ne confirme pas encore la réalité de la technopoïèse, elle suggère toutefois un certain degré de cohésion entre la mise en culture des plantes, le mode de vie et les croyances héritées du Natoufien.
Du PPNA au PPNB
12Si le PPNB se définit indépendamment de la transition vers la domestication visible au PPNB moyen, c’est entre autres sur la base de changements dans le mode de vie, l’outillage, les rituels ou les croyances, visibles dès le début de cette période (PPNB ancien : 8700-8200 av. J.-C.). Ce sont eux qu’il nous faut maintenant examiner.
- L’habitat : La taille des villages, et l’importance des édifices communautaires croît encore au PPNB. Mais, au-delà de cette expansion, l’architecture se modifie progressivement : les maisons rondes cèdent désormais la place à des habitations de forme rectangulaire, comportant un patio d’entrée et des cloisons intérieures28. Cette nouvelle architecture est très souvent regardée comme la trace d’un changement profond de croyances et de mentalités29. Elle est couramment interprétée comme le passage depuis un habitat semi-enterré d’essence « matricielle », dans laquelle l’homme recherche avant tout une protection, vers une construction dont la géométrie artificielle serait la marque de son initiative, de sa création et de son emprise sur le monde30.
- Les sépultures : Les pratiques mortuaires visibles au début du PPNB sont largement dans la continuité de la période précédente31. Les sépultures sont fréquemment localisées dans les habitations, et la pratique de détachement des crânes après inhumation se prolonge. Elle est même mise en valeur par le dépôt de crânes à l’entrée des maisons et des édifices communautaires. Le moulage du visage en argile sur certains des crânes détachés est une pratique bien visible au PPNB (voir figure 6.7 du cahier hors texte). Les rituels mortuaires semblent ainsi gagner de l’importance avec le temps, et empiéter progressivement sur le monde des vivants.
- La figuration : La tendance à représenter l’homme s’accentue au PPNB (voir figure 6.8 du cahier hors texte). Cette propension est généralement interprétée non seulement comme l’apothéose d’un recentrage du monde autour de l’homme, mais encore comme une marque de la conscience de l’idiosyncrasie, la personnalisation des individus et la mise en relief de leur unicité32. La taille imposante de certaines statues, la finesse des traits et le réalisme des proportions des figurations (comme l’illustrent les représentations humaines à Nevali Çori, voir figure 6.9 du cahier hors texte) corroborent cette conclusion. Le surmodelage des crânes des défunts subit une même tendance à l’augmentation de la précision des traits (voir par exemple la figure 6.7B du cahier hors texte). Cependant, un pareil réalisme ne signale pas forcément une conscience accrue de l’individualité. En effet, certains auteurs ne manquent pas de souligner l’aspect stéréotypé des figurations, exprimant une référence à l’homme en général (ou bien à une divinité anthropomorphe), bien plus qu’à un individu particulier33.
13Ce bref aperçu révèle que, parmi les plus importantes transformations culturelles décelables dès le début du Natoufien, trois d’entre elles (architecture, sépultures et figurations) montrent une continuité d’expression jusqu’au début du PPNB moyen, soit encore durant toute la phase qualifiée ici de monde de l’en deçà. Au-delà de la généralisation de tendances déjà existantes (comme le surmodelage des crânes), certaines nouveautés sont bien visibles, comme l’émergence d’un habitat de type rectangulaire depuis la fin du PPNA. Mais la raison de cette transformation pourrait bien être pratique. En effet, une forme rectangulaire permet la croissance graduelle des maisons par ajout de nouvelles pièces, et une occupation maximale de l’espace clos. Cette solution est fort utile pour la construction de silos, qui sont précisément les plus anciennes constructions géométriques attestées au Néolithique. Le changement d’architecture pourrait ainsi représenter non pas un changement de mentalité, mais plutôt la transposition à l’habitat de la forme des réservoirs servant à la conservation des graines de plantes cultivées, de plus en plus abondantes34. Dans ce cas, il refléterait surtout l’emprise grandissante de la mise en culture des céréales sur le mode de vie et l’horizon conceptuel.
Le sens des changements
14Si une dimension technopoïétique caractérise bien la mise en culture des plantes dans le monde de l’en deçà, elle implique probablement les facteurs culturels apparus au début de cette période, et se renforçant tout au long de son déroulement. Examinons ce point à la lumière des explications proposées pour en justifier l’expression.
Le moteur social
15Les transformations culturelles observées depuis le Natoufien sont fréquemment regardées comme la conséquence d’un accroissement de la taille des communautés humaines, et de leurs structures sociales. Le moteur de cette évolution et de la mise en culture qui l’accompagne émanerait alors d’un souci de gestion de la mise en culture, du stockage des graines et de la redistribution du surplus en ressources alimentaires35.
16Cette perspective est aujourd’hui populaire, du fait que certains changements observés peuvent facilement s’intégrer dans un pareil schéma explicatif. Par exemple, le surmodelage du crâne de certains défunts pourrait refléter une stratification sociale et les inégalités qui souvent l’accompagnent. Même en l’absence de stratification sociale, cette même pratique peut se trouver justifiée par un désir de renforcer la cohésion du groupe par le biais de la mémoire des ancêtres (personnages illustres, patriarches, fondateurs de clans). Le développement d’une figuration de l’homme intègre lui aussi aisément ces explications, de même que les rituels, y compris ceux comprenant la consommation des plantes cultivées. Ces derniers apparaissent alors comme des agents de cohésion et d’organisation du groupe, ce qui en prolonge l’expression au fil des époques36. Toutes ces explications invitent à appliquer au monde de l’en deçà les théories de la domestication centrées sur une augmentation de la production alimentaire.
17Un problème subsiste, cependant. Dans toutes ces interprétations, la nature du rituel reste secondaire par rapport à sa fonction sociale. Cette approche sociologique rend ces explications très robustes, et elle permet de faire l’épargne de la question de la signification des rituels en question. Mais un examen de détail des données archéologiques en montre toutefois les lacunes. Tout d’abord, il n’existe pas au Natoufien de différence significative entre les sépultures propre à justifier une amorce de concentration des richesses. Il n’y a pas plus de traces de thésaurisation des graines dont un membre du groupe gérerait seul la distribution37. Faire de l’individualité à la fois une conséquence de la complexification sociale et un moteur des transformations culturelles pose tout autant de problèmes. En effet, si les défunts étaient enterrés avec leurs biens (coquillages, parures, outils) jusqu’au Natoufien, cette pratique s’estompe progressivement durant cette période38. Par conséquent, si l’emplacement des sépultures se signale désormais clairement, l’identité des défunts tend paradoxalement à s’effacer39. Cette curieuse conjonction met au jour l’insuffisance des considérations d’ordre social ou encore articulées autour de la mémoire des ancêtres pour justifier les nouveautés propres au monde de l’en deçà40.
La motivation religieuse
18Supposer une évolution religieuse commençant au Natoufien et guidant le processus conduisant à la domestication conduit à approcher la révolution religieuse visible au PPNB moyen comme le fruit d’une longue évolution des croyances durant toute la période de l’en deçà41. Ce complexe « protoreligieux » s’articulerait autour des singularités propres au Natoufien, l’habitat, la consommation ritualisée des graines, un nouveau rapport à la mort42. Cependant, ces explications restent toutefois spéculatives tant que le contenu de cette transformation religieuse reste énigmatique43.
19Le point le plus visible quant au changement religieux opéré au Natoufien concerne la relation entre le monde des morts et celui des vivants. Cette innovation s’accentue au PPNA avec le fait que les défunts sont fréquemment enterrés parmi les vivants. Plus encore, les maisons sont parfois construites sur l’emplacement d’anciennes tombes, comme c’est le cas à Jéricho44. Et comme cette imbrication entre sépultures et habitat se renforce graduellement avec le temps, elle pourrait refléter un élément de la dimension cosmologique associée à la mise en culture, propre à l’horizon technopoïétique. Ces réflexions nous invitent à examiner la nature de pareils liens, qui vont bien au-delà des considérations d’ordre sociologique ou économique relatives à la mise en culture des plantes.
Interférences rituelles
20Il ne reste aucune trace des rituels natoufiens en correspondance avec la mise en culture. Par contre, les semences ou leur transformation sont parfois visibles dans des contextes archéologiques à connotations cérémonielles. Par exemple, la taille importante de certains outils de transformation des céréales identifiés au Natoufien suggère leur usage lors de rassemblements importants45. Cela n’implique certes pas un usage ritualisé des graines et de leurs produits dérivés (pain, bière, gruau), la préparation d’un repas collectif suffisant à en justifier la présence. Par contre, la présence anormale de semences (ou de leurs produits dérivés) dans certaines situations est à même de refléter une dimension technopoïétique propre à la mise en culture. Or justement, les graines sont associées aux trois singularités visibles à partir du Natoufien : l’habitat, les sépultures et les symboles.
Architecture
21Il n’y a rien d’étonnant à retrouver des récipients, des instruments de cuisson, des graines et des traces de consommation de repas dans les édifices à fonction communautaire. Ces bâtiments pourraient en effet avoir servi à la préparation des repas collectifs lors des cérémonies, au cours desquelles les céréales auraient eu une fonction purement alimentaire. Mais certains éléments montrent la faiblesse de cette interprétation. Par exemple, la pièce du bâtiment collectif servant au stockage de graines, sur le site de Jerf el Ahrmar (Moyen-Euphrate, PPNA, voir voir figure 6.6B du cahier hors texte), est riche en éléments symboliques, suggérant que les graines étaient au centre de certains rituels, et qu’elles avaient probablement une connotation sacrée, sinon magique46. Sur un site voisin et contemporain (Tell Abr 3), les fouilleurs ont découvert dans le bâtiment collectif un podium dont la base incluait des crânes d’auroch et qui servait probablement au rituel. Or la promiscuité de ce podium avec la pièce de stockage des graines suggère, là encore, que ces dernières étaient impliquées dans le rituel47. Une situation semblable s’observe au Sud-Levant. À Gilgal, par exemple, l’aire de stockage des graines montre des signes de rituels perceptibles au travers de restes d’os d’animaux et de figurines48.
22Dans tous ces cas, l’édifice semble être bien plus qu’un simple réservoir de graines. La présence de débris de meules et de mortiers dans la base des murs de certaines constructions confirme cette conclusion. Bien plus qu’un recyclage d’ustensiles brisés transformés en matériaux de construction, cette pratique suggère leur nature de dépôts de fondation49. Dans ce cas, les graines et leur transformation deviennent les fondements mêmes des bâtiments communautaires et des rituels qui s’y déroulent.
Rites mortuaires
23La consommation de graines à l’occasion de repas funéraires représente le lien le plus élémentaire entre l’agriculture et les rituels mortuaires. Des traces de ces coutumes sont bien visibles dès le Natoufien, sous la forme de restes de préparations de céréales dans des grottes servant à l’inhumation. Ces découvertes montrent qu’au Levant, le repas funéraire à base de céréales était une partie intégrante du rituel d’inhumation ou de commémoration de la mémoire des défunts50. Le plus simple ici est d’attribuer à ces pratiques un rôle dans la cohésion sociale du groupe. Cette explication nous exonère d’une recherche de liens plus profonds entre ces cérémonies et la mise en culture des graines51. Et pourtant, certains détails révèlent l’existence d’un lien autre qu’alimentaire entre les végétaux et la sphère mortuaire. Par exemple, le dépôt de graines de plantes cultivées mélangées à de la glaise à proximité des défunts (une pratique observée au Néolithique acéramique) s’intègre difficilement dans une perspective purement alimentaire. Cette pratique souligne au contraire l’idée d’un lien essentiel entre les végétaux en culture et les défunts52. Par ailleurs, certains chercheurs ont noté la présence nouvelle, au Natoufien, de perles de malachite dans les sépultures. Si l’on en croit Daniella Bar-Yosef Mayer et Naomi Porat, il n’est pas question ici de considérations esthétiques mais probablement d’une symbolique végétale associée aux défunts typiquement exprimée dès les premières étapes de la mise en culture :
Les minéraux verts apparaissent pour la première fois en quantité dans un contexte archéologique marqué par un changement dans la stratégie de subsistance, le début de la mise en culture53.
Figure 6.10 : Détails d’un mortier au fond percé découvert à Nahal Oren (Natoufien récent). Source : Rosenberg et Nadel (2014, fig. 10).

24L’usage de mortiers en milieu funéraire, une caractéristique de la culture natoufienne, illustre lui aussi l’insuffisance des explications traditionnelles, d’ordre sociologique ou exprimant un souci du bien-être des défunts. Là encore, l’hypothèse la plus simple est de voir en ces mortiers l’équipement nécessaire pour assurer aux défunts leur subsistance dans le monde de l’au-delà54. Mais les mortiers déposés près des défunts sont souvent intentionnellement brisés, ce qui leur ôte toute dimension utilitaire55. Dans d’autres cas, les mortiers restent entiers mais ils sont percés dans leur fond, ce qui les rend inutilisable pour broyer des graines (figure 6.10)56. Or ces mortiers percés présentent souvent des traces de broyage des graines, ce qui prouve leur utilisation préalable57. Soigneusement réalisée, cette percée secondaire met en avant le symbolisme du mortier aux dépens de sa dimension utilitaire.
25Figure 6.10 : Détails d’un mortier au fond percé découvert à Nahal Oren (Natoufien récent). Source : Rosenberg et Nadel (2014, fig. 10).
26L’usage mortuaire des mortiers intégrés dans la roche confirme ces vues. En effet, les aires dans lesquelles ces mortiers sont creusés servent souvent de sites d’inhumation ou de dépôt des ossements des défunts, notamment durant la phase tardive (nomade) de la culture natoufienne. C’est le cas par exemple à El Wad, où l’aire des mortiers intégrés située à proximité de la grotte qui servit de résidence à leurs usagers se transforma au Natoufien récent en une aire mortuaire58. Les fouilleurs y ont reconnu les restes de 14 individus enfouis dans cette aire (voir figure 6.11 du cahier hors texte)59. Certains mortiers contiennent même des os humains intentionnellement déposés, ce qui est difficilement compatible avec la thèse d’un usage alimentaire de ces instruments. Parfois, comme près de la grotte Raqefet, un des trous creusés dans la roche est élargi et sert de sépulture60. Ces observations montrent en quoi l’approche des mortiers comme biens mortuaires accompagnant les défunts est inappropriée en ce qui concerne la culture natoufienne61.
27Une découverte provenant de la grotte de Nahal Oren apporte un éclairage nouveau sur ce fait singulier. Cette grotte recèle les restes de nombreux défunts datant du Natoufien, auxquels sont associés des mortiers entiers, fragmentés ou encore percés. Une de ces sépultures est particulièrement intéressante. Le défunt y est couché sur le flanc, en position repliée. Sa tête est manquante mais le mortier, positionné dans le prolongement de la colonne vertébrale, semble s’y substituer (voir figure 6.12 du cahier hors texte)62. L’homologie symbolique entre le crâne du défunt et le mortier est encore accentuée par le fait que ce dernier est percé dans son fond, exactement comme le crâne est percé à sa base pour assurer la continuité entre le cerveau et la moelle épinière. Cette sépulture exprime une homologie symbolique entre le crâne et le mortier. Plus encore, elle éclaire le sens de la pratique du percement des mortiers à leur base lors de leur transfert en contexte funéraire. Et dans ce cas, le lien via les graines entre l’homme et la mise en culture pourrait largement dépasser le contexte alimentaire, pour trouver sa signification profonde dans le passage depuis la vie vers l’au-delà.
Figuration
28S’il est possible de contester la dimension symbolique de la production de graines, c’est avant tout parce que les fouilles n’ont révélé que très peu d’éléments allant dans ce sens dans les figurations en usage depuis le Natoufien jusqu’au PPNB. Mais une des raisons possibles de cette carence pourrait être la possibilité d’utiliser les graines elles-mêmes, plutôt que leur représentation, en tant que porteuse du sens exprimé. Mais une dimension symbolique émane malgré tout de l’examen de certaines figurines anthropomorphes retrouvées au Sud-Levant et datées du Néolithique acéramique (voir figure 6.13 du cahier hors texte).
29La forme globalement ovoïde de ces statuettes, accentuée par une représentation minimaliste des membres (figure 6.13A) ou leur absence totale (figures 6.13B-D), évoque un grain de céréale. Quant à la ligne horizontale à la base de la statuette (figures 6.13A-B) ou la traversant entièrement (figure 6.13C), elle n’est pas sans rappeler la fente longitudinale caractérisant les graines de céréales. L’apparence de ces petites figurines (d’une taille variant de 2 à 6 centimètres) promeut une homologie entre les hommes et les semences de plantes cultivées au Néolithique acéramique. Le lien symbolique exprimé par ces statuettes d’homme-semence (tout comme de femme-semence) est encore accentué par l’absence de bouche sur le visage, alors que les yeux sont parfois clairement représentés. Ce détail laisse entendre que ce lien entre l’homme et les céréales n’est pas fondé sur la consommation des graines, mais sur une tout autre réalité.
La quête du moteur primordial
30Le lien entre trois des changements majeurs opérés depuis le Natoufien (l’habitat, les pratiques funéraires et les figurations) et les graines semble dépasser la dimension alimentaire de ces dernières. Or c’est justement cet écart par rapport à la dimension utilitaire qui définit le contexte technopoïétique de développement d’une technique. Par conséquent, au moins un des facteurs recensés (habitat, monde des morts, figuration) pourrait bien révéler, de par sa relation aux semences, ce qui stimula une mise en culture des plantes avant même toute motivation alimentaire.
Les transformations du Natoufien récent
31L’évolution depuis le Natoufien vers le PPNB n’est pas totalement continue. L’expansion graduelle de cette culture, durant une période définie comme Natoufien ancien (12500-11000 av. J.-C.) est suivie d’une période qualifiée de Natoufien récent (11000-9700 av. J.-C.) marquée par un abandon relatif des villages et une baisse substantielle de la sédentarisation conduisant à la résurgence d’un mode de vie nomade63. Bien que l’amplitude de ce changement et ses causes fassent encore l’objet d’une controverse64, son occurrence ne semble pas interrompre les premières pratiques de mise en culture des plantes amorcées auparavant. C’est du moins ce que l’on peut déduire de la circulation des graines qui s’opère depuis cette période.
32Par ailleurs, si certains villages ne sont plus habités au Natoufien récent, ils servent encore souvent de sites d’inhumation65. D’autres sites d’inhumation nouvellement établis à cette époque montrent des traces d’activités collectives et de rituels, suggérant que ces pratiques contribuaient à la cohésion identitaire et sociale entre les groupes semi-nomades66. Le plus curieux est que les hameaux fondés au Natoufien récent s’établissent souvent là où se pratiquait auparavant l’inhumation67.
33Le Natoufien récent se caractérise par une disparition des objets personnels et ornements dans les tombes, phénomène attestant une tendance à la perte d’identité des défunts68. Par conséquent, le maintien des pratiques funéraires au Natoufien récent peut difficilement se justifier par une volonté de préserver la mémoire de quelques anciens autour desquels se construirait une nouvelle cohésion du groupe. Mais en même temps, il révèle une importance des pratiques funéraires dans l’identité du groupe et ses valeurs culturelles, qui va bien au-delà de l’importance sociale de l’habitat.
34La transition vers un mode semi-nomade au Natoufien récent n’a aboli ni les premières pratiques de mise en culture, ni les pratiques mortuaires, qui n’ont cessé de se différencier. La persistance de ces deux facteurs pourrait révéler leur interférence. Et dans ce cas, la motivation pour la mise en culture serait à rechercher bien plus du côté des conceptions sur la mort et l’au-delà que de la sédentarisation.
La continuité des pratiques mortuaires
35L’évolution des pratiques mortuaires révèle une continuité entre le Natoufien et le PPNB, durant les millénaires de mise en culture précédant la domestication69. Les changements, quand ils existent, apparaissent surtout comme une extension de rituels déjà existants dans lesquels l’importance des défunts et leur interférence avec le monde des vivants se renforcent70. Cette tendance s’observe clairement au travers du traitement des crânes. Simplement prélevés au Natoufien tardif, ils sont ensuite déposés à l’entrée des maisons au PPNA, puis surmodelés (pour certains d’entre eux) au PPNB.
36Cette continuité des traditions mortuaires est rompue à la fin du PPNB moyen (7500 av. J.-C.), période qui marque l’achèvement de la domestication. L’individualisation des défunts, disparue depuis le Natoufien récent, refait alors son apparition avec l’inhumation des biens du trépassé à ses côtés71. Il s’opère en parallèle une standardisation des pratiques mortuaires, ce qui est souvent le signe de la canonisation d’un rituel bien défini72.
37Ces mutations des pratiques mortuaires coïncident avec le changement d’approche, vis-à-vis des plantes cultivées propre à la transition vers une phase technologique. Par contre, les changements dans l’architecture (la transition vers une maison carrée) s’opèrent, eux, bien avant, dès la fin du PPNA. Ils ne sont donc probablement pas directement liés à cette métamorphose du regard porté sur les plantes cultivées. Même si les divers facteurs culturels propres au monde de l’en deçà sont probablement liés, les pratiques mortuaires, bien plus encore que les changements de l’architecture, pourraient être le facteur clé pour comprendre les motivations des premières étapes de la mise en culture au Natoufien, et de leur développement jusqu’au PPNB moyen.
Notes de bas de page
1 Pour Ofer Bar-Yosef (2011 : S181, traduction N. A.), « Les premières expériences de culture ont pu commencer au Natoufien ancien, mais un pas en avant a été franchi au Natoufien récent. » Les avis sont toutefois partagés quant à la pratique d’une réelle agriculture à cette époque. Par exemple, selon Rosen (2010) ainsi qu’Eitam et Schoenwetter (2020 : 66), le Natoufien se caractérise principalement par une exploitation grandissante des ressources des céréales sauvages, sans réelle mise en culture.
2 Belfer-Cohen et Goring-Morris 2011 : S210.
3 Belfer-Cohen 1991 : 179.
4 Bar-Yosef 1998a : 147.
5 Watkins 2010 : 622 ; Ibanez et al. 2018 : 239.
6 Belfer-Cohen et Goring-Morris 2013 : 546.
7 Belfer-Cohen et Goring-Morris 2011 : S210.
8 Belfer-Cohen 1991 ; Eitam et Schoenwetter 2020. Ces meules sont fréquemment produites en basalte dont l’origine dénote un échange entre communautés natoufiennes géographiquement distantes. Voir Rosenberg 2013 : 186.
9 Rosenberg 2013.
10 Eitam et Schoenwetter 2020 : 66 ; Rosenberg et Nadel 2014 : 789.
11 Nadel et Lengyel 2009 : 45-46.
12 Nadel et al. 2009.
13 Grosman 2003 : 571 ; Verhoeven 2004 : 239 ; Belfer-Cohen et Goring-Morris 2020 : 36.
14 Orrelle 2014.
15 Bar-Yosef 2011 : S180.
16 Byrd 2005 : 258.
17 Belfer-Cohen et Goring-Morris 2011 : S210.
18 Goring-Morris et Belfer-Cohen 2018 : 102.
19 Bar-Yosef 2011 : S181.
20 Byrd 2005 : 262. Certains auteurs considèrent cependant les migrations vers le nord comme le résultat de conditions devenues défavorables dans le Sud-Levant. Voir Belfer-Cohen et Goring-Morris 2011 : S213.
21 Bar-Yosef 2011 : S181.
22 Belfer-Cohen et Goring-Morris 2020 : 41-42.
23 Kenyon 1981.
24 Stordeur et Margueron 1998.
25 La présence de ce squelette est aujourd’hui interprétée comme un acte lié à la cérémonie de destruction du bâtiment. Voir Hadad 2018 : 5-7.
26 Kuijt et Goring Morris 2002 : 376 ; Pearson et al. 2013 : 181.
27 Hershman et Belfer-Cohen 2010 : 207 ; Orrelle 2014 ; Ibanez et al. 2018 : 243.
28 Flannery 2002 ; Stordeur et Abbès 2002.
29 Jacques Cauvin (1994 : 175) identifie dans cette évolution de l’architecture la marque d’un changement dans la relation au monde : « Dans le langage universel des formes simples, le cercle (ou la sphère) désigne donc à la fois ce qui transcende l’homme et reste hors de sa portée (soleil, totalité cosmique, “Dieu”), et ce qui, à son propre niveau sublunaire, se rapporte au germinatif, au matriciel, à l’intime. Au contraire, le rectangle, dont la nature quotidiennement observée ne nous offre guère d’exemple, nécessite davantage l’initiative humaine pour exister : la pierre n’est cubique ou rectangulaire que si on la façonne. Le carré et le rectangle connotent donc le manifesté, le concret, le réalisé. »
30 Jacques Cauvin (1994 : 176) associe l’émergence de la maison rectangulaire aux transformations mentales stimulant selon lui la domestication : « Par elle [la maison rectangulaire] l’homme sédentaire a quitté le trou des origines et l’arrondi matriciel de son premier habitat. Ce fait ne peut qu’être rapproché de l’émergence d’une affirmation de soi consciente et culturellement exprimée dont d’autres documents ont pu témoigner. Nous considérons donc la maison rectangulaire comme un trait “homologue” des précédents, au sens structuraliste du terme. »
31 Kuijt 2001 : 84.
32 Kuijt et Chesson 2007 ; Rollefson 2008 ; Ibanez et al. 2014.
33 Ibanez et al. 2014 : 90.
34 Cauvin (1994 : 63-65) note bien que les toutes premières constructions carrées, attestées au Moyen-Euphrate, sont trop étroites pour servir d’habitation, si bien qu’elles servaient probablement au stockage des graines.
35 Selon Brian Byrd (2005 : 269, traduction N. A.), « La fondation de villages œuvrant à la production alimentaire était une stratégie socialement motivée par la création d’excédents, positionnant explicitement la famille comme l’unité de production principale, et accordant plus de pouvoir et de prestige aux chefs de communauté et de maisonnée. Ce faisant, la façon dont les humains interagissent entre eux tout comme avec leur environnement fut profondément modifiée. »
36 Kuijt 2002 : 140 ; Zeder 2009a : 24 ; Asouti et Fuller 2013 : 329-330. Le traitement spécial réservé à certains défunts, notamment au Néolithique, attesterait alors une cohésion recentrée autour des patriarches de la communauté.
37 Byrd et Monahan 1995 : 252 ; Bar-Yosef 1998b : 168.
38 Byrd et Monahan 1995 : 277 ; Maher et al. 2012 : 75-76.
39 La pratique de réouverture des tombes pour y enterrer de nouveaux défunts, observée sur certains sites, renforce encore cet anonymat. Voir Byrd et Monahan 1995 : 263.
40 Brian Byrd et Christopher Monahan (1995 : 278, traduction N. A.) concluent ainsi : « Nous pensons que les motivations sociales qui poussaient à enterrer les individus avec de nombreux objets ou ornements personnels disparurent, et que les nouvelles pratiques d’enterrement reflètent des changements dans l’interaction sociale et le symbolisme natoufiens. »
41 Ibanez et al. 2018 : 243.
42 Verhoeven 2004 : 256. Ian Kuijt (2002 : 138, traduction N. A.) affirme ainsi : « Je considère la pratique mortuaire comme une forme de comportement humain délibérément choisie par les acteurs, qui reflète des croyances singulières, une vision du monde et des thèmes symboliques bien plus qu’une organisation sociale particulière. »
43 Pour Jacques Cauvin (1994 : 100-101), l’inhumation près des habitations (ou même à l’intérieur) aurait suscité un malaise existentiel d’où seraient nées les toutes premières croyances et divinités néolithiques qui, selon lui, auraient conditionné la domestication. Reste à déterminer pourquoi les défunts étaient enterrés si près des vivants à cette époque, et pourquoi un pareil malaise existentiel n’engendra pas une simple distanciation des lieux de sépulture.
44 Goring-Morris 2002 : 120.
45 Eitam et Schoenwetter 2020.
46 Willcox et Stordeur 2012 : 109 ; Asouti et Fuller 2013 : 318, 321.
47 Asouti et Fuller 2013 : 318.
48 Ibid. : 328.
49 Willcox et Stordeur 2012 : 101 ; Rosenberg 2013 : 185.
50 Eitam et Schoenwetter 2020 : 61-62. Une de ces grottes (Raqefet) a livré des restes de pain ainsi que des traces de la préparation de bière datés du Natoufien, ce qui confirme la dimension festive ou cérémonielle de la consommation de céréales en contexte mortuaire. Voir Liu et al. 2018 : 792.
51 Asouti et Fuller 2013 : 330 ; Liu et al. 2018 : 792. Certains faits semblent appuyer cette position. En effet, les restes de repas mortuaires, sur certains sites du Natoufien (la grotte de Hilazon tachtit par exemple), révèlent une consommation non pas de céréales mais bien d’animaux chassés (Eitam et Schoenwetter 2020 : 62). Cela pourrait certes invalider toute tentative d’identifier un lien entre les graines et le monde des morts. Mais, à l’inverse, cette diversité des pratiques funéraires au Natoufien pourrait aussi faire état de deux types de populations cohabitant à cette époque : des chasseurs-cueilleurs prolongeant la culture du Kébarien et vivant en milieu forestier, et des populations impliquées dans la mise en culture et vivant à la lisière de la forêt.
52 Par exemple, les fouilles du cimetière de Newe Yam (Sud-Levant, PPNB) ont révélé la présence de nombreuses graines de céréales (notamment d’orge), de légumineuses (lentilles, pois, vesce) et de lin intentionnellement mélangées à de la glaise et déposées à proximité des corps (Galili et al. 2009). Un pareil effort est inutile s’il s’agit simplement d’une provision d’aliments.
53 Bar-Yosef et Porat 2008 : 8548 (traduction N. A.). Cette signification symbolique pourrait trouver une expression plus tardive, au Néolithique. Les fouilleurs du site de Çatal Höyük, en Anatolie, décrivent en effet l’usage du pigment vert issu de la malachite en contexte funéraire, notamment son application sur les os et le crâne des défunts. Voir Mellaart 1962 : 56.
54 Goring-Morris et Belfer-Cohen 2018 : 105 ; Eitam et Schoenwetter 2020 : 44.
55 Boyd 2001 : 194 ; Rosenberg et Nadel 2014 : 789-790.
56 Rosenberg et Nadel 2014 : 789.
57 Eitam et Schoenwetter 2020 : 59.
58 Weinstein-Evron et al. 2012 : 820.
59 Boyd 2001.
60 Nadel et Lengyel 2009 : 45.
61 Ibid. : 46 ; Rosenberg et Nadel 2014 : 787.
62 Rosenberg et Nadel 2014.
63 Goring-Morris et Belfer-Cohen 2003 : 71.
64 Il s’agirait, selon Ofer Bar-Yosef (2011 : S180) d’une détérioration des conditions de subsistance.
65 Goring-Morris et Belfer-Cohen 2018 : 106.
66 Ibid.
67 Ibid. : 107.
68 Byrd et Monahan 1995 : 252.
69 Kuijt 2001 : 84 ; Belfer-Cohen et Goring-Morris 2011 : S215.
70 Belfer-Cohen et Goring-Morris 2011 : S214.
71 Kuijt 2001 : 89 ; Kuijt 2008 : 171 ; Kuijt et Goring Morris 2002 : 409.
72 Kuijt 2001 : 94 ; Molist et al. 2009 : 33. Cette montée de l’individuation combinée à une ritualisation des pratiques mortuaires est souvent interprétée comme l’ébauche d’un culte des ancêtres, lui-même à la source des croyances religieuses identifiées au Néolithique tardif. Voir Byrd et Monahan 1995 : 278.
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