Conclusion
p. 299-338
Texte intégral
Nous sommes très précisément dans une phase active de déconstruction « saine » de la « mission » de l’intellectuel : cette déconstruction peut prendre la forme d’un retrait, mais aussi d’un brouillage, d’une série d’affirmations décentrées […] jouissance de substituer un savoir irénique […] à un combat d’idées.Mais la société et le politique ont seulement la charge de régler les affaires de tous pour que chacun ait le loisir, et la liberté, de cette commune recherche.
Citation tirée d’un cours de Roland Barthes sur le Neutre, dans Éric Marty, « Avant-propos », dans Roland Barthes, Comment vivre ensemble. Cours et séminaires au Collège de France (1976-1977), Paris, Seuil IMEC, « Traces écrites », 2002, p. 9-10Albert Camus, L’homme révolté, Paris, Gallimard, nrf, 1951
Privilégier l’analyse de l’effet de système entre régimes de connaissance et conceptions de l’ordre politique
1À l’issue de cette étude critique de la relation entre des domaines de savoirs, que j’ai appelé « des façons de penser », et des modèles généraux de normativité des sociétés, les « matrices juridico-politiques » qui les ordonnent, il apparaît que la mise en perspective des façons de penser le droit avec celles de la société et celles de la nature permet de dévoiler un exceptionnel parallélisme de leurs transformations (du point de vue de leurs formes, étant considéré que la question de leurs temporalités respectives resterait à étudier). Cet exceptionnel parallélisme ne peut se comprendre que si on renvoie ces dernières aux grands traits de ce que sont et de ce que deviennent les sociétés, aux façons dont elles se régulent socialement et politiquement. Se pencher ainsi sur les savoirs, ce n’est alors pas seulement se livrer à une sociologie de la connaissance. Comme le montrent éloquemment les analyses qui recherchent le sens des régimes de savoir des sciences et techniques et de leurs transformations dans l’œuvre des auteurs majeurs de sociologie générale ou, plus globalement, de sciences sociales, ce que nous suggèrent la recherche de sens des savoirs et leurs transformations que j’ai choisi d’étudier en parallèle n’est pas l’existence d’un en-soi de la connaissance. Elles contribuent plus largement à une théorie du changement social. Quel que soit le degré de spécificité de ces savoirs, le sens de ce qu’ils sont et de ce qu’ils deviennent ne réside pas dans l’étude du seul univers de connaissance qu’ils constituent mais, suivant le principe d’une « stratégie du détour », dans une référence approfondie à la société dans laquelle ils évoluent en même temps qu’elle les fait évoluer.
2Si, comme nous l’avons vu, Niklas Luhmann est l’auteur d’une théorie expliquant et justifiant l’autoréférentialité du droit – son « autodescription » –, il est aussi celui qui, fidèle à sa posture théorique impliquant également une autonomisation de la science (« la science traite de la vérité, le droit de la légalité »1) ou du politique (« le droit et le politique comme des systèmes sociaux parfaitement distincts2), admet que c’est « par la comparaison entre les systèmes sociaux qu’on peut dégager leurs spécificités respectives. C’est par la comparaison entre le droit et la science, entre le droit et la religion, etc., qu’il est loisible d’analyser la fonction sociale du droit »3, ceci dans le cadre d’une perspective plus générale encore, laquelle, pour Niklas Luhmann, n’est pas celle d’une théorie du droit mais celle d’une théorie de la société. La comparaison entreprise dans cet ouvrage se veut être en quelque sorte une contribution spécifique à une théorie du changement social et à une théorie de la société dans le temps de l’incertitude.
3La théorie de la société chez cet auteur suggère qu’elle pouvait être inspirée par l’avènement de la « modernité ». Le temps de l’incertitude (de la « postmodernité ») est celui du dépassement de cette « modernité ». La crise de la régulation par le haut, celle de la démocratie représentative, celle du droit comme « Raison » sont autant de faits qui remettent en question l’autonomie des systèmes politiques, juridiques, scientifiques, dont Niklas Luhmann prétendait faire le constat. La fonction de « re-stabilisation de la société », dont l’auteur attribuait la mission au droit, ne peut plus s’exercer en suivant le principe d’un système strictement autonome. Comme considéré par des auteurs de philosophie et sociologie des sciences, on observe une « dissolution d’un système de modernité hautement spécialisé et différencié, structuré en sous-systèmes plus ou moins rigoureusement cloisonnés, dont chacun était investi d’une rationalité spécifique, d’une éthique et d’un ensemble de normes (ou, comme l’a soutenu Luhmann, d’un « ‘‘code’’ spécifique constituant le socle des spécificités qui caractérisent ses performances […] Les frontières entre différents segments de la société sont devenues fluides et poreuses. Il est donc devenu plus difficile de considérer la science comme un sous-système distinct de la société, clairement séparé des autres sous-systèmes […] L’autonomie de la science […] paraît la plus directement menacée par la contextualisation »4. De même que le politique ou le scientifique, le droit ne peut plus être autonome par rapport aux effervescences, aux exigences, aux aspirations, aux recompositions du social. L’analyse des transformations des régimes de connaissance dans les trois domaines de savoirs observés le démontre et cette convergence des transformations renvoie à une même interrogation : une interrogation sur un modèle politique dans lequel l’exercice de la démocratie reste fondé sur une régulation par le haut, malgré de nombreuses évolutions et propositions d’évolutions pour redonner voix au chapitre à celles et ceux qui constituent le demos, et dont le nombre et les attributs ne cessent d’évoluer comme l’illustrent, par exemple, les débats sur le « Parlement des invisibles »5 ou encore les évolutions tendant à confier une personnalité juridique aux animaux, voire à certaines entités naturelles (fleurs, etc.) en droit de l’environnement.
4La confrontation des référentiels pour ce qui concerne les façons de penser la nature, au centre de ma démonstration (avec les chapitres III et IV de l’ouvrage), a le mérite de mettre en valeur un véritable basculement. Dans le temps des certitudes, « la ‘‘ Science’’ parle d’au-dessus de la mêlée […] elle est ventriloque et parle comme Dieu »6. Dans le temps des incertitudes, elle apparaît indissociable des contextes dans lesquels elle est produite, en fait « coproduite » avec ce qui vient de la société. C’est ce même basculement qu’on a observé pour les façons de penser la société. On y observe un passage des méta-récits, des macro-théories surplombantes qui prétendent réduire le sens de l’évolution du monde à des approches prenant de plus en plus en compte une complexité des logiques à l’œuvre, ceci de façon d’autant plus évidente que les individus peuvent prétendre à être non seulement sujets, mais acteurs des processus. C’est bien de cette mutation dont parle l’historien des sciences Christophe Bonneuil :
Culturellement, ces passages multiples, de l’analyse à la synthèse, du réductionnisme au systémisme, de l’équilibre aux turbulences, des certitudes aux incertitudes, de l’ordre au désordre, des commandements hiérarchiques aux processus d’autopoïèse à causalité circulaire, des programmes aux réseaux, etc., traversent les sciences dans leur diversité et relèvent également d’un nouvel âge, post-1968, des sciences. S’y exprime un rejet des ordres centralisés, des imaginaires planistes, des hiérarchies fixes et des divisions du travail7.
Tout en adhérant à cette caractérisation générale des transformations des régimes de connaissance, l’évocation par cet auteur de l’avènement d’« un nouvel âge » pour l’ensemble des savoirs fait surgir une interrogation comme un prolongement possible de l’analyse, interrogation déjà présente à plusieurs reprises dans l’ouvrage : celle, suite à la comparaison de nos trois régimes de savoir, de la réalité d’une temporalité qui serait la même pour les trois. La réponse à cette interrogation supposerait des investigations complémentaires. Je me contenterai de noter ici le fait que, pour ce qui concerne les savoirs sur la nature, l’émergence du courant du S&TS, auquel je me suis beaucoup référé, est située dans les années 1960-1970, que pour les savoirs sur la société les transformations évoquées dans la seconde partie de l’ouvrage se manifestent particulièrement à partir des années 1970-1980 et que celles concernant les savoirs sur le droit sont rendus plus certainement visibles à partir des années 2000. Un tel constat, s’il est juste, conduit, sous réserve de vérification, à nous en tenir à poser plusieurs questions parmi lesquelles : Existe-t-il une interdépendance entre ces temporalités qui seraient éventuellement distinctes ? Cette interdépendance suggère-t-elle des processus d’influence de chacune de ces temporalités les unes par rapport aux autres ? Chacune des temporalités supposées dépend-elle du degré d’autoréférentialité du domaine de savoir concerné, par exemple : les transformations plus tardives du domaine de savoir sur le droit résultent-elles d’un degré d’autoréférentialité particulièrement fort ? Dans ces éventuels processus d’influence, existe-t-il, pour chacun des domaines de savoir, des flux dominants, par exemple, des États-Unis vers la France, la réponse à une telle question supposant des investigations approfondies comme celle, exemplaire, faite dans le domaine des savoirs sur le droit sur l’importation en France d’un courant américain : le « legal consciousness »8 ?
5Dans ce contexte de bouleversement des régimes de connaissance, comme nous l’avons vu, les façons de penser le droit ne font pas exception. La tendance qui les relie plus spécifiquement à l’autoréférentialité (et qui expliquerait la temporalité plus tardive évoquée supra), à un certain particularisme subtilement entretenu auxquels de surcroît les autres domaines de savoir les assignent volontiers, est fortement mise à mal. Les façons de penser le droit s’inscrivent bien dans un mouvement commun de transformations des régimes de connaissance. Les vérités imposées par le haut, le souci de se situer au-dessus du social9 sont battus en brèche précisément par ce dernier qui devient de plus en plus incontournable, dans la réalité de l’activité juridique comme dans les façons de l’observer.
6Mais, à partir de cette inscription dans un régime commun de la connaissance, les façons de penser le droit sont susceptibles d’assumer un rôle particulier dans l’analyse de l’effet de système observé entre ce que j’ai appelé les façons de penser et les contours d’un régime général de normativité, d’une « matrice juridico-politique ». En effet, par nature, le droit et les savoirs qui lui sont consacrés font système avec la question du pouvoir, de la régulation sociale et politique des sociétés. Le fait qu’apparaisse dans les façons de penser le droit, comme nous l’avons vu, une remise en cause du monopole d’une régulation par le haut, que la question soit posée désormais de la prise en compte de ce qui vient de la société elle-même, de ses effervescences, des aspirations et des exigences d’implication des individus qui la composent, confère à ces façons de penser le droit une fonction heuristique spécifique dans la recherche de sens de la relation entre les transformations des régimes de connaissance observées conjointement dans le domaine du droit, de la société et de la nature et les transformations et les incertitudes actuelles de la régulation politique des sociétés contemporaines.
7L’homologie constatée dans les transformations des régimes de connaissance concernés vient renforcer ce que l’analyse des transformations des façons de penser le droit dit des transformations du régime général de normativité, de la « matrice juridico-politique » et de ce qui s’y annonce comme son renouvellement incertain. L’enjeu qui s’impose à l’issue de cette mise en perspective des façons de penser le droit, c’est celui autour de l’établissement d’une nouvelle « matrice juridico-politique » où seraient mieux pris en compte ce qui se passe dans la société, ce que sont les aspirations et les attentes d’implications citoyennes, en un mot ce que sont une exigence et une volonté de renouvellement des procédures de réalisation de la démocratie passant également par un bouleversement des rapports des citoyens aux savoirs.
8Ce que rend plus visible l’analyse des transformations des façons de penser le droit, c’est ainsi l’importance, de façon générale, de la relation entre savoirs et politique, de ce qui se joue entre des régimes de connaissance dans les différents domaines de savoir et des conceptions de l’ordre politique. En effet, à un exceptionnel parallélisme des évolutions s’ajoutent leurs concordances respectives dans les trois domaines de savoirs concernés avec des conceptions du gouvernement des sociétés, de ce que doit être leur modèle de régulation politique. Comme nous l’avons laissé supposer dans l’introduction, et comme cela se voit confirmé par le constat de cette concordance établie tout au long de l’ouvrage, ces trois façons de faire science et leurs évolutions parallèles suggèrent l’existence d’un régime général de normativité au fondement d’une conception de ce que doit être l’ordre du monde, propre à chacun des temps historiques considérés et avec lequel les façons de penser la nature, la société, le droit sont dans une relation systémique lorsqu’elles sont influencées ou déterminées par ce régime général de normativité, ou lorsqu’elles contribuent à l’établir.
9Quel que soit le domaine de savoirs, du plus éloigné en apparence comme les façons de penser la nature, au plus proche comme les façons de penser le droit, ainsi que l’avons souligné à plusieurs reprises : les dominantes d’un modèle de production de connaissance ne sont jamais indépendantes d’un contexte historique. C’est dans ce cadre que se déterminent des états culturels, des valeurs qui inspirent des façons de produire la connaissance, de la donner à voir. Ces états culturels et ces valeurs génèrent des représentations des savoirs portées par ceux qui en sont les acteurs. Ils sont en phase avec des types dominants de gouvernement des sociétés. Les expressions des régimes de connaissance, les façons dont ils sont pensés ne renvoient pas seulement aux conceptions concernant les règles internes, les principes de fonctionnement au fondement de la production de la connaissance qu’ils se donnent. Ces règles, ces principes de fonctionnement sont, de plus, inspirés par des valeurs, relèvent d’un registre culturel qui est totalement en phase avec un régime de régulation politique donné. Une certaine vision culturelle du monde sur laquelle s’impriment les savoirs n’est pas indépendante d’une conception de l’ordre politique, jusqu’à établir ces derniers comme parties prenantes, jusqu’à ce qu’ils fassent système avec lui.
10Comme nous l’avons mentionné en introduction, Michel Foucault avait magistralement considéré ce qu’il appelait les « matrices juridico-politiques » génératrices de la connaissance10. Il s’agissait bien pour cet auteur de donner toute sa place aux savoirs dans ce régime général de normativité qui va déterminer « le type de société auquel les individus appartiennent comme sujets »11 et qui va les faire « vivre, et vivre en société, sous des normes »12 (ou avec des normes dirai-je pour être fidèle à ma thèse). Bien loin de relever d’univers de la connaissance en autarcie ou en état d’apesanteur par rapport au social et au politique, les façons de penser la nature, la société et le droit participent bien d’une « action pédagogique », telle que je l’ai mentionnée dans l’introduction. Les représentations sociales que donnent à voir les savoirs de ce qu’ils prétendent être, de leur mode de fonctionnement, de leur utilité, de leur finalité, pour construire leur statut, démontreraient non seulement que ces savoirs dépendent des « matrices juridico-politiques » mais qu’ils contribuent également à leur constitution.
Ne plus traiter le social comme une variable dépendante
11L’analyse des façons de penser le droit apparaît ici d’autant plus illustrative que, comme nous l’avons vu, le changement du statut du social y est particulièrement prononcé : de volontairement ignoré ou rejeté, il devient de plus en plus indissociable, constitutif de ces façons de penser le droit. Celles-ci rendent ainsi plus visible encore ce qui s’observe également dans les façons de penser la société et celles de penser la nature. L’importance de l’influence des contextes que j’ai rapportés à ce que j’ai appelé le temps historique des certitudes d’une part, le temps historique des incertitudes d’autre part, se mesure à la place qui est accordée, respectivement dans l’un et dans l’autre de ces temps historiques, à ce qui se joue à l’intérieur des sociétés, à l’importance qu’on accorde à ce que j’ai appelé le social.
12Dans le temps historique des certitudes, le social est une variable dépendante. Dans les façons de penser la société, dans celles de penser la nature, comme dans celles de penser le droit13, le social y est, soit ignoré, soit considéré comme menaçant, soit son état de soumission à la domination est déploré (bien entendu, les savoirs sur la société n’assument pas une ignorance ou un rejet du social puisque c’est leur vocation même de l’observer et de l’analyser, mais ils le font suivant un positionnement en surplomb). Le social n’est perçu que comme une résultante par les savoirs concernés. Cette perception est conforme aux principes qui sont au fondement du régime général de normativité, de la « matrice juridico-politique » et qui visent à imposer un modèle de régulation politique du social, c’est-à-dire où ce dernier est un univers sur lequel on agit, sur lequel on intervient, auquel on impose. Le social est un univers traité comme simple récepteur des volontés de l’émetteur ou qui n’a comme statut dans les observations qu’on en fait que d’être un objet d’analyse majoritairement passif parce qu’irrémédiablement contraint.
13Ce à quoi nous sommes désormais confrontés dans le temps historique des incertitudes, c’est le changement de ce statut du social, un changement qu’on peut considérer comme de l’ordre du culturel, d’une révolution culturelle. Le social n’est plus une variable dépendante. Il n’est plus une résultante. L’agent n’est plus passif face à des modes de production de la connaissance où cette dernière résulterait de sa propre logique et de sa propre nécessité. Il est désormais de plus en plus impliqué dans l’observation du fonctionnement des trois univers de savoirs concernés. Parce qu’il est actif, il devient constitutif de ces univers de savoirs, il en est partie prenante.
14Pour illustrer cette filiation avec un religieux « indicible », j’ai pris l’exemple du statut qui a été longtemps assigné à la famille. Celle-ci était en effet illustrative de cette filiation entretenue entre la part la plus intime du social et l’autorité politique, avec en surplomb la référence à Dieu. Il y a là un schéma qui est l’expression la plus achevée de ce que peut être une variable dépendante dans ce domaine particulier du social, portée pendant longtemps par les façons de penser la société et relayée puissamment par la « matrice juridico-politique ». Dans la période actuelle, les résurgences d’une telle chaîne de causalités témoignent de la force potentielle qu’elle représente encore. A contrario, rien n’illustre plus l’ampleur de la mutation observée en la matière que la part active désormais prise par les individus dans la fixation des normes juridiques régissant leur univers privé.
15Ce changement de statut du social dans les trois domaines de savoirs étudiés est aussi lié à ce qu’on pourrait qualifier de brouillage de l’État comme Référence. Le constat, déjà mentionné, d’« un contexte d’épuisement de la solution hiérarchique et de relativisation de la souveraineté »14 renvoie bien entendu à la relativisation du statut de l’État. Cette relativisation est une réalité que j’ai longuement décrite, notamment dans mon ouvrage À quoi nous sert le droit ? en observant les mutations des sociétés à travers une grille analytique spatiotemporelle, et sur laquelle il n’est donc pas nécessaire de revenir. Cette relativisation est à la fois la conséquence de l’importance prise par le transnational sur le national, de la difficulté de l’État à assurer une position d’autorité absolue dans la régulation politique des sociétés, mais aussi d’un affaiblissement de la croyance dans un État tout-puissant. À l’adhésion au récit enchanté des réussites des politiques publiques, peut se substituer la défiance du citoyen. Cette perte de statut de « Référence » de l’État, dont les effets n’ont peut-être pas été assez étudiés sur les façons de penser la nature, a une influence très forte sur les façons de penser la société. Elle a incité à rompre avec une vision causaliste simple sur le rôle de l’État dans la régulation sociale et politique des sociétés et à prendre plus en compte la complexité des logiques, celle des manifestations du social dans les processus de transformations à l’œuvre. De même, pour ce qui concerne les façons de penser le droit, face à ce changement du statut de l’État, c’est bien à une révolution paradigmatique que sont confrontées ces façons de penser si l’on considère les difficultés que j’ai soulignées de la philosophie du droit et de la théorie du droit à se reconstruire sans la Référence que constituait l’État. Comme cela est souligné par des auteurs appartenant au courant du « New Legal Realism » américain, auquel nous avons fait plusieurs fois référence dans l’ouvrage, le problème de la recherche sur le droit est de rompre avec une :
importante tradition dans les façons de penser le droit qui est, explicitement ou implicitement, étatiste ; pensons, par exemple, au rôle crucial que « la règle de reconnaissance » de Herbert Hart ou que la « Norme fondamentale » de Hans Kelsen jouent dans leur approche positiviste respective du droit15. Effectivement, quand, au sein de la philosophie analytique du droit, il est tenté d’élucider la nature du droit, c’est la mutuelle dépendance du droit et de l’État qui est assumée ou discutée16.
16L’enjeu est bien alors de se situer au-delà du paradigme étatiste, notamment en prenant en compte à la fois les formes de droit trans-étatistes et infra-étatistes17.
17Il s’agit finalement de dépasser une représentation étatiste du monde du droit18 conforme à une « matrice juridico-politique » elle-même en parfaite adéquation avec les représentations du monde propres au temps historique des certitudes19. Il est illustratif ici qu’un théoricien du droit s’interrogeant sur la définition de la juridicité dans le contexte historique actuel pose la question suivante : « Le ‘‘juridique’’ est-il encore et toujours une variable nécessairement dépendante de la volonté de l’État ? »20. Pour les tenants du courant américain du « New Legal Realism », de l’attention portée au social dans ses multiples expressions découle l’affirmation que le droit est désormais une variable dépendante mais moins de l’État que du social21. Il s’agit désormais « d’identifier les variables indépendantes non-juridiques ayant pour conséquence ou déterminant le droit à être défini comme une variable dépendante »22. Ce social se manifeste dans les façons dont il pèse sur la vie du droit, dont il est présent dans les façons dont il est produit et mis en œuvre par des locuteurs porteurs de croyances politiques, de valeurs personnelles et d’autres facteurs extra-juridiques. Comme le souligne Karl L. Llewellyn : « notre gouvernement n’est pas un gouvernement des lois, mais un gouvernement des lois à travers les hommes »23.
Reconnaître les rapports aux savoirs des citoyens comme un élément central d’une « matrice juridico-politique » en gestation : pour un nouvel ordre politique, pour de nouvelles façons de « faire société »
18La représentation sociale des façons de penser en surplomb comme un des attributs du temps historique des certitudes était en adéquation avec une perception des individus comme simples récepteurs des bienfaits du progrès scientifique et technologique, comme sujets ou victimes du fonctionnement des sociétés et de leur régulation politique, comme « sujet de droit », interprétés ici comme intégrant et se soumettant aux règles fixées d’en haut. Je ne reviendrai pas sur les formes de développement de l’individualisme, sur les formes qu’il est susceptible de prendre, mais les progrès de l’éducation, de l’information, de la communication qui l’ont accompagné ou dont il a été une des causes ne sont pas sans effets sur les rapports que les citoyens entretiennent désormais avec les savoirs. Tant dans le domaine des façons de penser le droit, que celles de penser la société, que celles de penser la nature, c’est une nouvelle configuration qui apparaît. Au simple rapport de causalité émetteur-récepteur, se substitue une relation dans laquelle le citoyen devient potentiellement un interlocuteur jusqu’à pouvoir prétendre à être partie prenante du processus de production de la connaissance en général : dans sa réalisation, dans les effets qu’il est susceptible de produire.
19Comme nous l’avons vu à propos d’analyses portant sur la recherche scientifique dans la Cité, le citoyen a désormais des manières d’être dans le monde qui sont susceptibles de le rendre demandeur de connaissance ou, plus encore, interlocuteur pour en discuter les vertus ou les dangers. La prise en considération de l’individu, du citoyen comme acteur de la production de connaissance peut ne pas relever seulement d’une prise de conscience des producteurs de savoir, mais aussi d’une exigence venue des citoyens eux-mêmes, de plus en plus conscients qu’ils ont des droits sur les façons dont sont produits ces savoirs, dont ils sont appropriés : par l’univers institutionnalisé de la science, par des forces politiques économiques ou culturelles.
20C’est certainement cette prise en compte de plus en plus importante de l’individu comme acteur social qui explique, comme une illustration parmi d’autres, l’intérêt croissant porté à sa subjectivité dans les façons de penser la société au point qu’il puisse être question de dépasser la distinction entre une sociologie centrée sur les faits sociaux et une psychologie à qui reviendraient exclusivement d’observer les faits psychologiques24. Cette importance de l’individu dans les processus sociopolitiques à l’œuvre dans les sociétés contemporaines pourrait également expliquer une évolution générale de la critique où la « visée politique suggérée […] n’est plus nécessairement la révolution, mais plutôt, s’il ne fallait retenir qu’un mot, l’émancipation ; enfin la critique porte non seulement sur les systèmes économiques et politiques, mais aussi sur le monde duquel elle émane, l’expérience individuelle. Elle est devenue la critique d’une société de plus en plus individualisée »25. L’individu est désormais au cœur des façons de penser : dans les démarches que celles-ci développent, dans les procédures de travail qu’elles adoptent autant que dans leurs observations, leurs analyses, leurs types de théorisations. Il est significatif que ce concept d’agency, que j’ai évoqué dans les façons de penser la société et dans celles de penser le droit, puisse être sollicité pour promouvoir l’implication des citoyens dans la production de connaissance en général. Les « agency rights » font alors référence à une capacité revendiquée par le citoyen, ou pour le citoyen, d’agir sur la connaissance, de l’influer ou de la transformer26. En référence aux expériences nombreuses actuellement au niveau international du type des Open Science Policies ou celles des Collaborative Research Networks, il ne s’agirait plus de simplement ouvrir les frontières entre différents modes de connaissance dans un même domaine ou entre les producteurs de connaissance et les décideurs politiques, mais de permettre aux citoyens d’être également partie prenante du processus de production, de diffusion et d’appropriation de la connaissance.
21Il y a dans cette évolution une illustration exemplaire de cet effet de système entre les façons de penser les savoirs et ce que j’ai appelé un nouveau régime général de normativité et ce que Michel Foucault a qualifié de « matrice juridico-politique ». Ce qui se joue ici avec l’exigence d’un nouveau rapport des citoyens aux savoirs renvoie bien alors à un phénomène plus large qui est celui de leur place dans les processus de régulation politique des sociétés, celui de la recherche de renouvellement des procédures de réalisation de la démocratie. Je retrouve là les conditions d’un nouvel idéal démocratique telles qu’elles s’imposaient à partir d’une prise en considération, dans mon ouvrage À quoi nous sert le droit ?, d’un changement de statut du droit lui-même, d’un rapport au droit des citoyens27. Une comparaison des transformations des trois régimes de savoir étudiés en relation avec l’avènement d’une nouvelle « matrice juridico-politique » vient confirmer ces préconisations de John Dewey28 – rapportées par Joëlle Zask et que j’avais également reprises – de mettre à la disposition des citoyens un « certain nombre de ressources, de biens, de méthodes, de formations, d’équipements »29 les dotant du « pouvoir de produire eux-mêmes les connaissances grâce auxquelles ils pourraient agir sur les situations qui les ‘‘troublent’’, qui les font souffrir, qui produisent de l’exclusion ou de la détresse »30. Cette comparaison donne également tout son sens à l’idée de Jürgen Habermas suivant laquelle la légitimité démocratique ne se construit que dans la mesure « où le cercle des personnes qui participent aux décisions recoupe celui de ceux qui en subissent les conséquences »31. Elle suggère enfin un retour réflexif sur l’œuvre de Pierre Rosanvallon traitant des recompositions de la démocratie en vue de l’avènement d’un nouvel idéal démocratique32. Cette œuvre invite à entrer dans un domaine de connaissance : celui de la démocratie participative-délibérative, lequel, depuis l’article fondateur de Sherry R. Arnstein33, connaît un développement international exceptionnel, à la fois pour rendre compte, analyser et, éventuellement, promouvoir ces expériences de participation citoyenne34 ou les critiquer35.
22Le rapport aux savoirs des citoyens, lequel, comme nous l’avons vu, s’est modifié concomitamment avec un changement de la « matrice juridico-politique », s’inscrit de façon exemplaire dans ce nouveau contexte dont on pourrait penser qu’il constitue un prolongement, voire une nouvelle expression de cet « infra politique » déjà évoqué supra. Serait-il possible de dire que cette fois-ci les savoirs sur le politique, en particulier, ne l’ignorent plus et en font même un objet privilégié ? Il est intéressant d’observer ici que, dans ce contexte, les expériences de participation citoyenne suscitent chez les acteurs impliqués un intérêt extrêmement fort, un engagement à la hauteur des missions qui leur sont ainsi confiées, inspiré par une très vive conscience des enjeux que ces devoirs comportent potentiellement36.
23Mais les aspirations nouvelles des citoyens méritent de n’être pas seulement situées sur le registre de la redéfinition de leur place dans l’ordre politique. Elles suggèrent également une préoccupation qui a été constamment portée dans les façons de penser la société par les sciences sociales : celle de comment « faire société ».
24Nous nous trouvons dans un contexte qui est celui d’une fragilité fortement réactivée, notamment par les menaces pesant sur l’environnement ou sur la santé (cet ouvrage a été en partie écrit durant la pandémie de COVID-19). En référence à ce contexte exceptionnel, je me suis livré à diverses tentatives pour définir le social en évoquant ce que peuvent être ses diverses expressions. Je l’ai fait d’autant plus volontiers que la question de la prise en compte de ce social est désormais au cœur d’un contexte historique où se multiplient des courants de réflexion, où s’observe la mise en place de dispositifs expérimentaux, où s’établissent des réalisations. Toute cette effervescence semble inspirée par une volonté de retrouver, sous des formes nouvelles, certaines des vertus de ce que la modernité nous a fait perdre. La mobilisation actuelle de la connaissance au niveau international visant à un renouvellement de l’idée de « communauté » est une illustration, parmi d’autres possibles, de cette évolution.
25Les grandes figures des sciences sociales de la fin du xixe siècle et de la première moitié du xxe siècle avaient interprété l’avènement de la modernité comme le passage de la communauté à la société, ce qui impliquait de s’interroger sur les nouvelles modalités à mettre en place pour « faire société ». Comme un retour qui marquerait les inquiétudes sur ce que furent ce passage et ce que sont les sociétés contemporaines face à cette exigence de « faire société » : « Rien ne semble plus à l’ordre du jour qu’une pensée de la communauté » (ce que suggère déjà, comme nous l’avons vu supra, la référence renouvelée à l’idée de coutume). « Rien n’est plus exigé, réclamé, annoncé par une conjoncture qui allie, au sein d’une seule et même époque, la faillite de tous les communismes à la misère des nouveaux individualismes »37. Même si « la communauté n’est pas un donné mais est toujours à construire, toujours à venir »38, même si, en la matière : « Rien, pourtant, n’est moins imminent. Rien n’est à ce point éloigné, reporté, renvoyé à un temps encore à venir, à un horizon lointain et indéchiffrable »39, il s’agirait néanmoins de ne pas renoncer au désir de communauté.
26Pour ne prendre qu’un exemple parmi beaucoup d’autres, Jean-Guy Belley commente la création d’une nouvelle revue intitulé Communitas en soulignant que le remplacement de la relation droit et société par droit et communauté ne serait pas anodin et, qu’en référence à la distinction « communautaire » et « sociétaire » établie par l’une de ces grandes figures des sciences sociales évoquées supra (en l’occurrence ici Ferdinand Tönnies), il s’agit bien de penser, « contrairement à la communauté traditionnelle qui assujettit ses membres à l’intérêt collectif », une « communauté postmoderne [qui] place l’individu au centre d’elle-même »40. L’objectif est bien, comme le concevait Georges Gurvitch, véritable précurseur, de « faire société à une autre échelle de l’espace et du temps » en faisant « communauté plutôt que société »41. En l’occurrence, l’enjeu serait bien ici de vivre et de penser le droit de façon « communautaire » plutôt que « sociétaire », de développer de nouvelles façons de penser le droit conçu comme « bien commun ». En quoi le droit venu, conçu, imposé « d’en haut » est susceptible de devenir un « bien commun » entretenu par ce que j’ai qualifié de social. C’est bien dans cette perspective que se situe Mireille Delmas-Marty, attachée à développer ce que pourraient être des droits fondamentaux issus d’un nouvel universalisme où seraient pris en compte « les biens communs mondiaux et des principes émergeant comme la solidarité planétaire ou l’hospitalité universelle »42 au fondement de ce qui pourrait devenir « un droit commun ‘‘universalisable’’ »43.
27Cette effervescence dans les façons de penser le droit n’est qu’une des expressions de ce qui se manifeste en même temps dans les façons de penser la nature et de penser la société. Les causes du changement de statut du social semblent ici se conjuguer pour faire resurgir cette question de la communauté et celle qui lui est associée : les « communs »44. Comme pour la notion de communauté, les « communs » sont une extraordinaire résurgence de ce qu’étaient les communs médiévaux, dont la fin annonçait l’avènement du capitalisme, ou encore de ces droits d’usages traditionnels des « commons » dans l’Angleterre du xviiie siècle, c’est-à-dire de ce qui représentait une socialisation des biens en dehors du champ étatique.
28Ce qui est en jeu ici se situe à plusieurs niveaux : celui d’un dépassement de la dichotomie Public-Privé, de celle entre le Marché et l’État ; celui de l’implication citoyenne dans la gestion collective de ressources partagées. Une telle évolution est elle-même susceptible de connaître deux prolongements : celui prenant la forme d’une « science participative » comme, par exemple, dans le domaine agro-alimentaire45 ou dans celui de la question du climat46 ; celui, indissociable, du développement d’une démocratie délibérative47 dans la mesure où les communs supposent l’avènement de citoyens qui ne sont plus perçus comme porteurs d’intérêts particuliers mais comme porteurs de l’intérêt général.
29C’est dans cet esprit que le philosophe Étienne Tassin conçoit une « cosmopolitique » fondée sur « une reformulation des rapports que la chose publique doit entretenir avec les différentes communautés, culturelles, religieuses, éthiques ou sexuelles, qui composent la société politique »48. Pour cet auteur :
ce n’est pas sous couvert d’une illusoire gouvernance mondiale ni même, en l’état actuel, d’un droit cosmopolitique encore balbutiant, mais depuis l’espace public des communautés politiques finies, lieu par excellence de l’action civique, que peut se déployer la politique d’un monde commun, une composition des rapports à l’autre, le toujours étranger, qui, seule, fait monde49.
30De même, l’anthropologue Louis Assier-Andrieu croit bon de rappeler les vertus de la communauté par rapport à la société, ce que sont les vertus des « relations de la communauté, en tant qu’‘‘esprit de société’’ »50, « communauté [qui] se fonde sur l’échange au bénéfice de tous, une réciprocité désintéressée »51. Rappeler ainsi l’importance de l’idée de communauté, c’est alors tenter de dépasser les vices d’une société qui prédispose à un individualisme négatif, prenant la forme du triomphe des égoïsmes, de celle d’une « rationalisation individualisante » stimulée par un marché et un libéralisme économique pour lesquels la solidarité qui prévaut dans la communauté devient une « externalité négative »52.
31Le retour à cette idée de communauté offre là une exceptionnelle série de déclinaisons de ce que peut devenir le social tel que je l’ai défini. C’est un social qui s’anime dans des analyses et des expériences extrêmement diverses qui tiennent à la santé, au foncier, au climat et à la protection de l’environnement, au numérique, au patrimoine, etc. et qui peut se manifester à des échelles locales, nationales, comme supranationales. C’est un social qui est à la source de bouleversements possibles dans les façons de penser la nature53, la société54, le droit55. Le traitement de la question de la communauté fonctionne ici comme un laboratoire pour les analyses proposées dans l’ouvrage. Dans les trois domaines – celui du droit, celui de la société, celui de la nature –, en touchant aux pratiques, on touche à la connaissance, aux modes de produire la connaissance sur les pratiques et les usages sociaux et politiques de cette connaissance, tout en suggérant corrélativement un nouveau modèle de régulation politique. Les interrelations entre régimes de connaissance et « matrice juridico-politique » sont ici un peu plus confirmées.
32Mettre ainsi en valeur les vertus heuristiques de cet exemple de la communauté n’implique pas néanmoins implicitement une adhésion sans réserve à ce qui pourrait apparaître comme une vision utopique de l’évolution des régimes de connaissance articulés à une « matrice juridico-politique » au fondement d’une société plus harmonieuse. Nous avons adopté une approche en deux parties : le temps des certitudes et celui des incertitudes qui laisse effectivement entendre une évolution. Dans cette évolution, le temps historique des incertitudes serait celui du présent et de l’avenir. Bien entendu, une telle vision doit être nuancée. D’abord, dans les trois domaines de savoirs observés, il apparaît qu’il puisse y avoir coexistence dans la période actuelle de façons de penser qui relèvent de ces deux temps historiques et qui seraient en tension les unes par rapport aux autres. À l’inverse d’une histoire qui privilégierait « une problématique de la succession sur celle de la coexistence », c’est bien de la coexistence possible de plusieurs temporalités dont il est question56.
33C’est une évidence dans les façons de penser la société où sont encore susceptibles de s’affronter des positionnements marqués, même si certains deviennent minoritaires. D’un côté, demeure une adhésion aux méta-récits, aux approches macrostructurelles, dans lesquelles les individus sont assignés, de façon implacable, à un destin social, et où s’affirment des métathéories prétendant épuiser le sens des évolutions et inspirées par l’idée de leur caractère inéluctable. De l’autre côté, l’accent est mis sur la complexité des processus à l’œuvre au sein des sociétés, sur la reconnaissance de l’existence d’une multiplicité de stratégies et de logiques portées par des individus reconnus comme acteurs sociaux et des instances. Tous ces éléments constituent le cœur de l’effervescence des sociétés où le fonctionnement multipolaire est particulièrement mis en valeur. Cette dernière orientation fait écho à ces façons de penser le droit que nous avons évoquées où sont susceptibles de s’opposer des conceptions où perdure la conviction de la seule validité d’une régulation des sociétés par le haut, et où le juridique est indissociable du politique. Dans cette orientation, le positivisme et la dogmatique juridiques ne laissent pas de place à l’incertitude de la justesse d’un droit fait pour susciter la soumission sinon l’adhésion. De l’autre côté, s’affirme une prise en compte positive de ce qui surgit de la société elle-même jusqu’à suggérer de nouvelles conceptions de ce que devrait être un nouvel ordre politique.
34Ces tensions que je viens d’évoquer, particulièrement dans les façons de penser le droit et de penser la société, donnent toute sa force au mot d’« incertitude ». Ce dernier est susceptible de suggérer qu’il est tout autant annonciateur d’inquiétudes que de promesses. Mais sans sombrer dans la naïveté de penser que des basculements vers les plus extrêmes régressions sont inconcevables, il me semble que le constat de ces incertitudes comme la référence ultime faite au penser « from below » invite plus encore à revenir en conclusion de cet ouvrage sur ce que pourraient être des évolutions positives des régimes de connaissance dans les différents domaines de savoir choisis et de l’influence possible de ces évolutions sur l’avenir du gouvernement des sociétés. Une certaine lucidité sur les incertitudes ne doit pas exclure, au contraire, de faire le choix de mettre en valeur la possibilité de ces évolutions positives en se laissant inspirer délibérément par cette idée de « savoir irénique » qu’évoquait Roland Barthes (voir la citation en exergue de cette conclusion).
Remettre en question l’autoréférentialité des savoirs
35C’est à un exercice d’épistémologie comparée, inspiré de la sociologie de la connaissance, auquel j’ai tenté de me livrer dans cet ouvrage57. Cet exercice a mis en valeur l’exceptionnelle fonction heuristique des analyses où les façons de penser la nature par l’histoire, la philosophie et la sociologie des sciences ont servi de marqueurs pour les façons de penser le droit et celles de penser la société. À partir de cet exercice d’épistémologie comparée s’impose finalement « un sentiment d’incertitude épistémique »58. L’affaiblissement de l’autoréférentialité constitue un trait commun aux trois façons de penser et a ici une fonction de révélateur. En effet, à cette autoréférentialité s’opposent de plus en plus :
- pour la nature, l’idée d’une science située dans des univers sociaux (y compris dans les espaces où elle produit de la connaissance), contingente en fonction des contextes historiques dans lesquels elle officie, qui remet en cause l’idée d’une « science pure » et conduit à admettre que toute production de connaissance sur la nature relève aussi du social dont elle est issue. Il est désormais question, comme nous l’avons vu, de « co-production » dans le sens où les ordres naturels et sociaux sont indissociables : les ordres naturels s’ordonnent avec les catégories propres de la science mais, en même temps, sont dans des confrontations, faites de conflits et d’accommodements, avec les ordres sociaux59 ;
- pour la société, le principe énoncé par Émile Durkheim, « le social doit s’expliquer par le social », il passe par la sollicitation de macro-théories pour donner sens au fonctionnement et aux transformations des sociétés. Comme le souligne Axel Honneth en se référant à Max Horkheimer : il s’agit de s’appuyer « sur la méthode de réflexion de Descartes. Selon ce modèle, la tâche des théories sociales est de rassembler des énoncés élaborés de manière didactique, qui sont appliqués hypothétiquement à la réalité empirique observée »60. L’excès de théorisation visant à rendre celle-ci indiscutable et immuable peut alors conduire à ne tirer de la réalité observée que ce qui confirme la théorie de départ. « La théorie traditionnelle se comprend [alors]comme une théorie pure » alimentant ainsi l’idée de « critère immanents de la connaissance »61. Nous avons vu que les courants critiques de la « Théorie critique », comme la sociologie pragmatique choisie comme illustration, vont remettre en cause ces certitudes par une prise en compte de la complexité du fonctionnement des sociétés, ce qu’illustrent parfaitement les formes de contestations du paradigme de la domination quand il est enfermé dans une perspective exclusivement unilatérale ;
- pour le droit, l’exceptionnel appareillage d’un magistère savant en charge de consacrer une autonomie totale par rapport au social, ceci avec notamment le concours d’un magistère doctrinal emprunté à la pratique juridique et d’un magistère moral empruntant à la philosophie du droit, est déstabilisé par ce qui s’impose comme une indissociation de plus en plus affirmée du droit et du social, jusqu’à concevoir un social comme constitutif du droit. Notons ici qu’une telle évolution justifie, pour les tenants du courant du « New Legal Realism » américain, un parallèle avec la philosophie de la biologie et la philosophie de la physique, désormais plus tournées vers les sciences empiriques que vers les grandes théories philosophiques. La tendance des spécialistes des Science Studies à se centrer sur les pratiques des scientifiques fait écho à celle observée dans la recherche sur le droit qui est mobilisée de plus en plus « au-delà de la surface du droit des livres vers des investigations sur le ‘‘droit en action’’ »62.
36Ce déclin de l’autoréférentialité a plusieurs effets sur les modalités de mise en œuvre d’une production de connaissance dans les trois domaines concernés.
37Dans les façons de penser la nature, l’idée d’une porosité entre la nature et la culture pourra conduire à considérer une indissociabilité nécessaire dans la prise en compte des phénomènes étudiés. Rappelons cette considération déjà avancée sur le dépassement de la :
vieille opposition […] des sciences de l’esprit et des sciences de la nature, de celle entre la recherche de sens sur les phénomènes humains et celle propre aux phénomènes naturels, ceci à partir du constat d’interférences entre les deux sphères exigeant la recherche d’une épistémologie commune63.
38Ce qui est suggéré ici, c’est que l’idée d’indissociation peut trouver des prolongements au-delà du constat d’interférences entre les deux sphères : celle de la science et celle du social. Ce qui s’impose ici, ce sont des recoupements possibles dans les positionnements épistémologiques, dans les démarches de recherche et ce qu’elles mobilisent de catégories fondamentales des savoirs concernés. Une telle évolution s’impose d’autant plus que, comme nous l’avons considéré : « tant aux yeux de la recherche qu’à ceux des citoyens, les questions liées au monde physique, aux nouvelles technologies qui sont mises en œuvre, sont indissociables des ‘‘défis’’ sociétaux, éthiques, politiques qu’elles posent »64. Comme pour les façons de penser le droit où nous sommes passés de l’expression « droit et société » à celle de « droit dans la société », dans les façons de penser la science, on passerait de l’expression « science et société » à celle de « science en société ».
39Dans les façons de penser la société, un changement de régime de connaissance s’impose. On observe la métamorphose d’une histoire passant des grands récits comme « récits plutôt héroïques » vers des « micro-récits », une « thick description » prenant modèle sur une histoire « au ras du sol », s’attachant à « l’étude de situations locales » et « ordinaires »65, face à la perte de croyance dans l’existence d’un « sens métathéorique de l’histoire »66. La reconnaissance d’une complexité reconnue, à partir de l’observation « d’actes humains en situation »67, les ruptures avec les méta-récits englobants imprégnés de la notion de causalité, de la « figure de la nécessité » et de la non-réversibilité possible des processus sociaux à l’œuvre68, favorisent un éloignement de « la théorie traditionnelle ». Des changements d’échelle sont opérés avec un intérêt croissant porté au niveau micro, avec l’adoption d’approches ethnographiques69, du « penser par cas »70. Ces changements vont jusqu’à remettre en cause les fondements épistémologiques des disciplines de science sociales. C’est le cas, par exemple, pour l’histoire avec la promotion là aussi d’une « histoire from below » 71. Cela vaut également, par exemple, pour la science politique, comme l’illustre le concept d’« infra politique » utilisé par James C. Scott pour s’opposer à une science politique qu’il considère comme en partie aveugle à cause de l’ignorance manifestée à l’égard des « gens sans pouvoir ». Un des effets marquants de ces nouvelles perspectives est de ne plus faire de l’individu un élément passif d’ensembles macrostructurels mais un individu susceptible de réaliser des actions qui sont constitutives de ce que sont les sociétés et de ce qu’elles deviennent. Nous aurons à revenir sur les effets de ce changement de regard du point de vue d’une éthique de la vie scientifique.
40Les façons de penser le droit sont, elles, confrontées à un véritable bouleversement de l’identité même des formes consacrées de production de la connaissance dans la mesure où : d’une part, celles-ci reposaient sur une autonomie nécessaire proclamée (que devient une « épistémologie juridique » confrontée à l’indissociation du droit et du social ?) ; d’autre part, elles étaient inspirées, en même temps qu’elles la légitimaient, par une vision pyramidale du pouvoir politique, ce qui n’est pas mieux illustré que par l’adossement de la philosophie et de la théorie du droit à un État dans sa conception la plus classique. Plus encore que pour les deux autres domaines, ce sont bien les piliers de cette identité qui sont remis en cause. Parmi ceux-ci, il y a un positivisme aussi absolu que celui présent dans les façons de penser la nature où « le monde existe vraiment, objectivement, en dehors de nous »72. Il y a également, appliquée dans sa version la plus orthodoxe, la « pureté » d’une « science du droit ». Est contestée aussi la binarité couplée avec la représentation sociale de la pratique faisant l’objet d’une « science », où se distinguent d’un côté les « clercs » (les « savants » pour reprendre l’appellation la plus fréquente dans les façons de penser la nature ou les « sachants ») et de l’autre les « profanes ». De surcroît, cette binarité est un peu plus brouillée avec l’irruption de spécialistes du social perçus comme intrusifs parce que porteurs de visions jugées comme subversives par rapport aux représentations sociales consacrées de ce que doit être le droit, le « Droit ». Ces représentations sont à la genèse de ce qui s’est constitué comme une « science du droit ». Enfin, comme une déclinaison logique de tous ces attributs, l’idée est contestée que les thèses avancées, les interprétations fournies, les théories développées, la « science normative » mise en œuvre, sont encore pertinentes. D’abord le positionnement qui en découle peut parfois apparaître comme aristocratique, abusivement élitiste. Ensuite, est remis en cause un processus de naturalisation suivant lequel la démarche serait exempte d’influence tenant au fait que celui ou celle qui l’entreprend est un sujet social, inscrit dans des contextes sociaux, culturels, politiques. Les façons de penser le droit sont situées et exposées à des contingences comme le sont les façons de penser la société ou celles de penser la nature (ce qu’avaient déjà fortement démontré, comme une illustration parmi bien d’autres, les travaux du courant « Science and Technologies Studies, par exemple, quand est soulignée l’influence de la variable « genre » dans le processus même de production de la science73).
41Toutefois, une référence à une analyse des positionnements des formes de réalisme dans la recherche sur le droit américain74 est venue à propos nous rappeler un peu plus ici ce que peuvent être les spécificités dans les façons dont les savoirs sur le droit s’inscrivent dans cette phase de transformation des savoirs en général, à laquelle a été consacrée la deuxième partie du présent ouvrage. Pour les auteurs de cette analyse, le droit tel qu’il est observé par ces courants réalistes est traversé par trois grandes tensions :
- une tension entre pouvoir et raison dans la mesure où le droit n’est pas seulement institué dans un rapport au politique ; il est aussi un exercice de raison et ces deux traits sont potentiellement dans une incompatibilité fondamentale que la recherche doit prendre en compte ;
- une tension entre la science et des façons de faire propres à la pratique du droit. Ces façons de faire tiennent de l’art (ce qui a déjà été évoqué dans cet ouvrage) ou encore de ce que nous appellerons des tours du métier75. Tout le problème serait alors ici de faire coexister ces traits de la pratique du droit, les attributs spécifiques de sa pratique, avec une approche « scientifique », une aspiration à entreprendre « une véritable étude scientifique du droit » recourant notamment à des méthodes empruntées aux sciences sociales ;
- une tension entre tradition et progrès dans la mesure où le droit est un vecteur de changement social en même temps qu’il est contraint par la tradition. « Le passé du droit sert de point de départ pour des analyses contemporaines parce que ce passé est un ancrage nécessaire pour l’intelligibilité du droit et sa prédictibilité »76.
42L’accent ainsi mis sur ce que pourraient être ces trois types de tension est certainement à relier à ce souci exprimé par les auteurs appartenant au courant du « New Legal Realism » (voir le chapitre VI de l’ouvrage) de préserver ce que seraient les spécificités du droit justifiant des spécificités des savoirs sur le droit. En l’occurrence, ces nouvelles orientations des savoirs sur le droit qu’ils proposent avec une prise en compte de ce que disent les sciences sociales doivent être mises au service de la pratique du droit et des savoirs sur le droit et non viser à ce que préconise notamment, comme nous l’avons vu, Roger Cotterrell, c’est-à-dire une connaissance des transformations des sociétés77. Implicitement, il reviendrait aux sciences sociales elles-mêmes de poursuivre cet objectif. C’est également ce souci d’entretenir une certaine spécificité qui incite certainement les auteurs de ce courant à revendiquer une approche conciliant ce qui pourrait, au moins dans certains cas, apparaître inconciliable pour les sciences sociales. Par exemple, il faudrait à la fois : dépasser l’opposition entre formalisme et réalisme ; combiner approches quantitatives et qualitatives ; approches « par le bas » et approche « par le haut », pour que « la discipline du droit soit prise au sérieux » ; investir le « Law in Books » et le « Law in Action » (même si les chercheurs relevant des courants réalistes ont une forte inclination pour cette seconde orientation) ; étudier les élites au sommet de la hiérarchie et les individus au bas de l’échelle sociale ; assumer le savoir de philosophie et de théorie du droit et celui résultant de la recherche empirique ; prendre en compte les analyses critiques et celles doctrinales78, comme s’il fallait laisser aux sciences sociales l’option du positionnement agonistique pour préserver celui qui serait plus propre à l’univers du droit : un positionnement inspiré de la conception consensualiste79.
43Mais le choix du consensualisme a certainement une autre raison. Le recours aux sciences sociales par le droit se joue ici très précisément dans un champ de forces qui est celui des institutions académiques américaines consacrées à la formation au droit. Même si « le NLR n’a pas véritablement réussi à s’implanter en droit », en l’occurrence chez « les juristes universitaires » et les « facultés de droit »80 aux États-Unis, il s’est constitué en référence à l’univers juridique et s’est inscrit depuis les années 2000 dans un mouvement d’entrée des sciences humaines et sociales (économie, science politique, histoire, philosophie, psychologie, sociologie, anthropologie…) dans les espaces de formation au droit. Le contexte est bien celui d’institutions d’enseignement supérieur qui « continuent à former les praticiens du droit tout en devenant des centres de recherche pluridisciplinaire »81, ces centres animés par des juristes, mais également titulaires de PhD en sciences sociales (dont il est observé une croissance du recrutement82). Dans ce contexte, les sciences sociales ne sont plus « le diable dans la maison » mais un attribut de statut contribuant à l’excellence et au prestige de la formation en droit et à la recherche en droit, consacrant l’idée que la quête du sens du droit, du point de vue de la pratique comme de la connaissance, est désormais indissociable de la prise en compte des façons de penser le social. L’importance de cette variable institutionnelle au niveau de l’enseignement comme de la recherche est un constat à méditer, en particulier pour des nouvelles façons de penser le droit en France. Celles-ci témoignent en effet, dans la période actuelle, de potentialités exceptionnelles mais qui sont en attente d’une consécration incertaine par les institutions d’enseignement et de recherche concernées83.
Revenir sur les principes au fondement des régimes de connaissance
44De façon générale, pour ces trois domaines de savoirs mis en comparaison, même en tenant compte de la restriction formulée supra pour ce qui concerne les savoirs sur le droit, il reste que le constat est bien néanmoins celui du déclin de l’autoréférentialité. Ce déclin apparaît comme un point de fixation commun aux trois façons de penser. Dans les trois domaines, c’est une transformation des rapports au social qui en est l’expression. Cette porosité établie par rapport au social qui traverse ces trois domaines ouvre une perspective qui pourrait être d’importance pour ce que j’ai annoncé comme une nouvelle épistémologie : celle d’une interdisciplinarité entre les trois domaines dont l’évidence s’affirmerait84.
45Le social, tel qu’il est désormais pris en compte dans les nouvelles façons de penser la société, impose également son existence dans des interrelations nouvelles, respectivement dans les façons de penser la nature et dans celle de penser le droit jusqu’au point de transformer cette relation dont nous avons souligné l’importance entre les modes de production de la connaissance et la « matrice juridico-politique » du temps historique des incertitudes. Ce social qui s’impose dans les trois domaines est dans une relation systémique avec la disqualification d’un modèle de régulation politique par le haut tel qu’il s’imposait dans le temps historique des certitudes. Le constat de cette extraordinaire similitude est susceptible d’avoir deux effets : rendre plus évident de travailler conjointement, comparativement dans les trois domaines cette relation et les effets de celle-ci, à travers des retours concertés sur les catégories fondamentales des savoirs concernés, sur les instruments, les techniques et méthodes utilisés ; observer dans quelle mesure elle impose de se pencher sur ce que pourrait être une nouvelle éthique scientifique en référence avec une « matrice juridico-politique » inspirée par la reconnaissance de cette nouvelle place du social dans les façons de penser le monde.
46La reconnaissance du social dans les processus observés, ce n’est pas simplement considérer que les phénomènes naturels et leurs modes d’observation, que les processus d’élaboration de la normativité juridique et de sa mise en œuvre ont, d’évidence, une dimension sociale. De façon conforme à la définition que j’ai donné du « social », ce qui lui confère son importance, c’est la reconnaissance que ce social n’est pas simplement une variable dépendante, comme le suggérait fortement une vision exclusivement unilatérale de la domination. Il occupe une fonction, il agit sur les processus qui sont à l’œuvre au sein de la nature et des sociétés. Il le fait parce que les individus qui le composent ne sont pas des sujets passifs mais sont susceptibles d’être des acteurs sociaux.
47Cette reconnaissance du social à travers celle du rôle que les individus qui le composent sont en mesure de remplir est certainement, comme nous l’avons souligné, un élément majeur dans le changement de régime de connaissance auquel correspond le passage du temps historique des certitudes à celui du temps historique des incertitudes. Nous pourrions parler d’un nouveau régime de véridiction qui passerait par les citoyens. Mais ce changement a une autre dimension. Il relève du registre éthique et participe de ce qu’on pourrait considérer comme une nouvelle éthique de la vie scientifique conçue dans la délibération avec les citoyens.
48Remettre en cause la binarité « clercs » ou « savants », ou « sachants » versus « profanes » participe d’un rejet d’une science en surplomb où l’autorité revendiquée contribue à une conception unilatérale du pouvoir. De ce rejet découle un renoncement à « l’asymétrie entre le chercheur et les acteurs »85. Cela amène à considérer que le citoyen est en mesure d’entrer dans des processus de « mutual learning »86. Celui-ci peut être un interlocuteur ou même un partenaire dans les processus de production de la connaissance et dans les usages qui peuvent en être faits. Il ne s’agit plus de seulement accepter l’avènement possible de nouveaux dispositifs de production de la connaissance. Il s’agit aussi de « faire entrer les sciences en démocratie »87 et de rompre avec une certaine conception aristocratique de la production de la science ou des savoirs. En référence à l’effet de système entre la production de connaissance et la « matrice juridico-politique », l’éventualité d’un tel changement de régime de connaissance renvoie à une nouvelle vision de ce que pourrait être un nouveau régime de régulation politique des sociétés contemporaines.
49Mais ce qui s’annonce comme une possible nouvelle éthique de la vie scientifique ne saurait nous permettre de faire l’économie de ce retour réflexif sur les façons dont ces univers de la science fonctionnent. La référence à plusieurs travaux sur cette réflexivité m’a permis de souligner combien il était nécessaire d’avoir la plus grande conscience de l’existence de paramètres qui hypothèquent la prétention à la recherche de la vérité hors des rapports de pouvoir propre au champ scientifique. J’ai terminé le chapitre VI sur l’éloge de ce que Roland Barthes appelait la « Neutralité ». Cherchant un dépassement de la « terreur théorique » dont parle Jean-François Lyotard88, témoignant d’une lassitude à l’égard des excommunications réciproques de certains positionnements scientifiques, de l’usage abusif d’affirmations de l’ordre de la « vérité dogmatique » auxquels il oppose un refus des « endurcissements de la foi et de la certitude »89, Roland Barthes voit dans « le Neutre » une façon de dépasser un binarisme constitutif d’un seul paradigme, faisant office de structure commune à deux programmes antagonistes90.
50Ce que nous suggère la situation ainsi analysée, c’est une dérive se situant à deux niveaux.
51L’un de ces niveaux correspondrait à une dynamique provoquée par un lien très étroit entre la production de connaissance et les enjeux que cette connaissance produit du point de vue de la « matrice juridico-politique » dont elle est dépendante (c’est ce que démontrerait de façon éclatante le champ des savoirs dans le domaine pénal auquel nous avons vu que Dan Kaminski applique les schémas d’analyse de Roland Barthes91) : le jeu des échanges relevant proprement d’une dynamique de production de la connaissance est hypothéqué par l’importance des enjeux d’ordre normatif et politique.
52L’autre niveau serait celui du fonctionnement interne d’un collectif scientifique où l’économie des relations serait marquée par des rapports de pouvoir, des stratégies de défense de territoires, où chacun vise à établir une prééminence. La quête éperdue d’une identité exclusive et dominante passe par la disqualification de toute autre vision de ce qu’est la réalité étudiée.
53Une nouvelle éthique de la vie scientifique, ce serait alors se livrer à un travail réflexif sur les hypothèques que risquent de faire peser des enjeux propres à la « matrice juridico-politique » sur les façons de penser la nature, la société, le droit. Ce serait également concevoir ces façons de penser, dans leurs spécificités, mais aussi dans leurs convergences, comme susceptibles de se confronter dans le cadre d’espaces de dialogue et non pas sous forme de guerres de territoires répondant plus à des logiques de pouvoir qu’à des impératifs épistémologiques (comme l’a si bien souligné Immanuel Wallerstein pour les façons de penser la société suggérant un régime de connaissance « post-disciplinaire »92, ou comme l’illustre un autre auteur quand, à propos des mobilisations qu’il estime nécessaires en faveur de l’évaluation des politiques publiques, il considère que « l’affrontement des disciplines masque […] un combat plus âpre qui est celui auquel se livrent les différentes élites pour le maintien ou l’acquisition de positions de pouvoir »93).
54Il s’agit, comme un préalable, de substituer alors aux affrontements sous forme de disqualifications a priori entre les courants de pensée scientifique des modes d’échanges et de production de synergies entre les forces scientifiques et sociales concernées.
55Il s’agit également, enfin, de faire prévaloir sur les modes institutionnels dont les savoirs sont produits et transmis le caractère multidimensionnel des univers pour l’étude desquels ils sont requis.
Ce n’est pas les choses du monde qui se laissent ranger dans des tiroirs distincts, ce sont les opérations intellectuelles qu’on leur applique – ce dont témoigne la vieille division universitaire des « Facultés » […] Parce que le monde n’est pas prédécoupé selon un plan divin à la manière du melon de Bernardin de Saint-Pierre, on ne peut définir a priori l’objet spécifique d’une science94.
56Le problème posé ici est celui du caractère intangible d’un régime disciplinaire agissant plus « comme un mécanisme de standardisation des savoirs constitués que comme un aiguillon des savoirs en voie d’élaboration »95. C’est bien de prendre au mot des « injonctions récurrentes à l’interdisciplinarité »96 dont il s’agit, de se livrer à la quête d’une « vision universelle ou totalisante de l’ordre de la connaissance »97 qui est en jeu, un dépassement de la dépendance de la dynamique des savoirs à l’égard de « configurations institutionnelles » et de professions établies98. Pour paraphraser Karl Popper, l’enjeu est de privilégier les problèmes et les solutions à leur apporter plutôt que les traditions académiques99, ceci par l’adoption d’un « programme scientifique résolument non disciplinaire »100, rompant avec une « parcellisation » pour s’engager dans de « nouvelles transversalités »101, ceci dans la filiation de Jean Piaget tentant de développer de l’inter, du multi ou du transdisciplinaire102, ou dans celle d’Edgar Morin avec sa « théorie de la complexité » prenant en compte indissociablement « la nature, la vie et la vie sociale »103, ou encore dans celle de Michel Foucault quand il « annonce l’arrivée d’une nouvelle épistémé – celle de l’interdisciplinaire »104. L’avènement de cette nouvelle « matrice juridico-politique » à laquelle il a été fait abondamment référence dans la seconde partie de l’ouvrage appelle une nouvelle organisation des savoirs mobilisée face au constat de la complexité, des incertitudes croissantes de la régulation des sociétés, des « défis » auxquels celle-ci doit désormais faire face105. Elle appelle précisément à une nouvelle éthique dans des échanges inscrits dans une interdisciplinarité impliquant que les dispositions à communiquer, à échanger, à écouter, à partager soient établies comme des principes intangibles.
57Dans ce contexte, l’irruption des « Studies » a certainement une forte signification dans l’histoire contemporaine des savoirs sur la société en même temps que cette irruption suscite des réflexions susceptibles de valoir pour les autres champs de savoir. L’avènement des « gender studies », des « cultural studies », des « postcolonial studies » ou encore des « anthropocene studies » introduisent de nouvelles façons d’imposer l’interdisciplinarité si l’on admet qu’il s’agit de « domaines de savoirs interdisciplinaires organisés autour d’une labellisation par l’objet »106, et qui naissent souvent d’interpellations venues de la société et relayées par des courants d’études critiques, ceci comme une expression de cette implication croissante du social dans les transformations des régimes de savoir dont l’importance a été fortement soulignée dans la seconde partie de l’ouvrage consacrée au temps historique de l’incertitude.
58Il y aurait là une expression parmi d’autres de cette exigence d’une nouvelle économie des savoirs, laquelle serait en même temps inspirée d’une nouvelle éthique. Cette exigence s’imposerait d’autant plus que ce temps historique des incertitudes, dans lequel nous nous trouvons plus que jamais, porte conjointement des menaces et des promesses.
59Les menaces, ce serait celles de régressions vers des certitudes où la production de la connaissance serait liée à une « matrice juridico-politique » empruntant majoritairement aux aspects d’un ordre politique autoritaire renouvelé. Dans une telle perspective, rien n’exprimerait mieux l’idée d’une régression que les formes prises par l’inféodation du droit, sa totale soumission à cet ordre politique autoritaire renouvelé107. Sans compter les savoirs sur la société assignés à n’être que des instruments idéologiques, l’intention serait notamment de faire de la science en général un instrument à son service, ou une activité disqualifiée parce que soumise aux illusions d’un ordre politique. Les fake news, le complotisme apparaissent alors comme une autre façon de se confondre dans les excès d’un relativisme rendant suspect toute production de connaissance, particulièrement quand cette façon se réfère, explicitement ou implicitement, à la « Science » qui n’est alors nommée que parce qu’elle est perçue comme suspecte.
60Ces menaces peuvent aussi prendre la forme d’une recherche de relégitimation d’un ordre politique mettant en avant la promesse d’une euphémisation du politique par une régulation des sociétés qui serait assurée en apparence par la science et les technologies qui en sont issues (comme une des expressions de ce que j’avais appelé une « normativité gestionnaire »108).
61Ce pourrait être encore un détournement de la revendication croissante d’autonomie du social et de la relativisation d’une régulation par le haut sous l’influence de logiques économiques où se saisir de cette opportunité ne serait visé que pour assurer la seule optimisation des profits.
62Les promesses, loin d’inciter au « déclinisme », se confrontent positivement à l’exigence d’« explicitation des incertitudes radicales » et à celle de « fabriquer du doute au bénéfice de la recherche »109. Elles suggèrent la réalisation de potentialités comme celles que nous avons tenté de mettre en valeur dans cet ouvrage. Les façons de penser la nature, la société, le droit prendraient la forme de sciences autonomes, mais complémentaires les unes aux autres. Elles obéiraient à des dynamiques propres de la connaissance tout en étant inscrites dans une « Cité civique ». Elles seraient ainsi en phase, dans ce qu’elles seraient et dans ce qu’elles produiraient, avec une « matrice juridico-politique » uniquement inspirée par la réalisation d’un idéal démocratique où serait préservé « un pacte intrinsèque entre l’État de droit et le partage des savoirs »110.
63La fin du xixe siècle et le début du xxe siècle portaient une vision optimiste de l’avenir des sociétés où l’idée de progrès scientifique occupait une place importante, indissociable d’une reconnaissance du prestige du « savant » et d’une économie des relations entre domaines scientifiques pas encore marquée par un processus d’institutionnalisation et de professionnalisation favorisant l’établissement de frontières étanches entre les spécialisations et entre sciences de la nature et sciences de la société111. Comme nous l’avons vu dans l’introduction, c’est en référence à cette période que Gaston Bachelard, s’appuyant sur la sociologie d’Auguste Comte et sa théorie des trois états pour la compléter, porte un intérêt à la psychologie dans la construction d’un « nouvel esprit scientifique » où il s’agit de « rappeler que l’activité scientifique, si elle n’est pas désincarnée, ne devient objective qu’en se dépersonnalisant et en s’effaçant, comme contingence individuelle, derrière des normes de cohérences rationnelles »112. Réciproquement, se manifestait une influence de la physique dans la construction de ce « nouvel esprit scientifique », ou encore l’œuvre d’Albert Einstein faisait irruption dans les débats philosophiques. À la suite, Georges Gurvitch construisait une sociologie qui mettait précisément en valeur l’importance du social en contestant la prétention au monopole d’une régulation par le haut, ceci tout en appelant à une interdisciplinarité.113
64N’entrons-nous pas dans une nouvelle période historique qui rend nécessaire un renouvellement de cette effervescence des transversalités entre savoirs auxquelles s’ajoutent des exigences de transversalités entre ces savoirs et les univers politiques et sociaux ? Cette nouvelle période historique doit, en tous les cas, nous inciter à un travail de réflexivité sur les formes consacrées d’organisation des savoirs, en prolongement ou concomitamment, à celui auquel j’ai tenté de me livrer dans cet ouvrage et qui ne saurait être compris qu’avec une vive conscience d’un tel contexte historique. L’ampleur des défis auxquels nos sociétés sont confrontées, dont le changement climatique ou la crise sanitaire constituent des illustrations exemplaires, se conjugue avec un accroissement de la supranationalisation de la connaissance pour produire des effets multiples :
- qui touchent le régime des disciplines ;
- qui favorisent l’avènement de régimes post-disciplinaires jusqu’à l’intersectorialité, associés à des régimes de connaissance postnationaux ;
- qui interpellent les divisions comme celles existant entre les savoirs dont j’ai privilégié l’étude dans cet ouvrage ;
- qui suscitent l’accroissement d’une demande politique dont une des déclinaisons est une demande citoyenne d’une implication dans le choix des objets (comme nous l’avons vu avec l’émergence des Studies), dans le processus de production de la connaissance, dans ses mises en œuvre, et disqualifient un peu plus les tendances à l’autoréférentialité des savoirs les uns par rapport aux autres et à l’égard de ce qui leur paraît extérieur114.
Dans une telle perspective, les façons de penser la nature, la société, et le droit, en s’appuyant de surcroît sur ces convergences que j’ai tenté de mettre en valeur dans cet ouvrage, « pourront servir la liberté plutôt que le contrôle si les communautés citoyennes et savantes prennent en main la transition paradigmatique »115, non comme une menace, mais bien comme une promesse que ce temps historique des incertitudes rendrait possible.
65Comme le considère l’historien des sciences Christophe Bonneuil face à ces mutations de l’économie des savoirs, « comment ne pas voir aussi dans ces idées nouvelles des échos diffus du rejet des totalitarismes, des commandements autoritaires et centralisés, des hétéronomies »116 ? Si l’idée d’émancipation semble avoir remplacé celle de révolution, c’est peut-être que nous sommes désormais plus sensibles à ce que disait Albert Camus dans L’homme révolté :
Quand la révolution est la seule valeur, il n’y a plus de droits, en effet, il n’y a que des devoirs. Mais par un renversement immédiat, au nom de ces devoirs, on prend tous les droits117.
66Se référant aux colloques scientifiques tenus à Cerisy entre 1970 et 1984, Christophe Bonneuil observe que ces colloques « promeuvent par exemple des ontologies scientifiques résonnant avec une vision du social où prime le jeu des acteurs sur les contraintes des structures […] [C’est] un basculement intellectuel qui est encore plus marqué dans le champ des sciences humaines et sociales »118.
67Peut-être y a-t-il finalement là une perspective en accord avec ce que furent ces représentations enchantées du monde de la connaissance évoquées dans l’introduction à cet ouvrage. S’attacher à observer et à souligner ce qui est susceptible de réunir les différents champs de savoirs dans ce qu’ils sont et dans leur relation commune avec une « matrice juridico-politique » en devenir, n’est-ce pas justifier ce sentiment de croyance, exprimé au début de mon propos, dans la faculté des savoirs analysés à mieux se coordonner, à plus approfondir collectivement un travail de réflexivité sur ce qu’ils font et comment ils le font, sur ce qui les rend communs qu’ils relèvent de la nature ou de la culture, pour contribuer à « faire société », au-delà de leur vocation première qui est de se livrer conjointement à une recherche de vérité en considérant qu’« il n’y a d’émergence de la vérité que dans une ‘‘socialisation de la vérité’’ »119.
Notes de bas de page
1 Hugues Rabault, « La théorie du droit fonctionnaliste de Niklas Luhmann », op. cit., p. 216. L’auteur fait ici référence à l’ouvrage de Niklas Luhmann, Die Wissenschaft der Gesellschaft, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1990.
2 Hugues Rabault, « Le problème de la fonction sociale du droit », op. cit., p. 229. L’auteur fait ici référence à l’ouvrage de Niklas Luhmann, Le droit de la société, Québec, Presses de l’Université Laval, 2019 [éd. or. : Das Recht der Gesellschaft, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1995].
3 Hugues Rabault, « La théorie du droit fonctionnaliste de Niklas Luhmann », op. cit., p. 216.
4 Helga Nowotny, Peter Scott et Michaël Gibbons, Repenser la science, op. cit., p. 56, 87, 88. Les auteurs se réfèrent ici à la théorie de Niklas Luhmann : « Modern society shoked by its risks », Social Science Research Centre, Occasional Paper, 17, Hong Kong, 1996, p. 3-19.
5 Pierre Rosanvallon, Le Parlement des invisibles, Paris, Seuil, « Raconter la vie », 2014.
6 Dominique Pestre, Introduction aux Sciences Studies, op. cit, p. 89.
7 Christophe Bonneuil, 2016. « La Cinquième République des sciences. Transformations des savoirs et des formes d’engagement des scientifiques », op. cit., 2016, p. 149.
8 Vincent-Arnaud Chappe, Jérôme Pélisse, Anna Egea, « Importations, diffusions, inflexions des Legal Consciousnes Studies dans la recherche française », Droit et Société, n° 100, 2008/3, p. 665-684.
9 Pour la définition que je donne au « social », on voudra bien se reporter au chapitre premier.
10 Jean-Arnaud Mazères, « Normativité, vérité, gouvernementalité : figures du juridique chez Michel Foucault », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 2017/2, vol. 79, p. 5575.
11 Olivier Wright, « Normes, normalité, normalisation chez Michel Foucault », 6 janvier 2014 [https://www.o-wright.com/uploads/2/6/4/3/26432010/dissertation_-_olivier_wright_-_norme_normalite_et_normalisation_chez_michel_foucault.pdf].
12 Pierre Macherey, De Canguilhem à Foucault, la force des normes, Paris, La fabrique éditions, 2009, p. 104.
13 On pourrait ajouter ici les façons de penser le politique. Dans un article de 1975, deux auteurs, analysant les rapports entre le national et le local, avancent le constat suivant : « L’opinion publique fait peur et on s’en cache. Les maires, les conseillers généraux, les responsables administratifs pensent tous également que la population est incapable de dire son mot dans la gestion des affaires qui la concernent sauf de façon irresponsable ou pour faire valoir ses intérêts particuliers » : Michel Crozier et Jean-Claude Thoenig, « La régulation des systèmes organisés complexes. Le cas du système de décision politico-administratif local en France », Revue Française de Sociologie, vol. 16, n° 1, 1975, p. 13.
14 Patrice Duran, « L’(im)puissance publique, les pannes de la coordination », op. cit., p. 29.
15 Il est fait référence ici aux ouvrages : Herbert L. A. Hart, The Concept of Law, Oxford University Press, 1961 (trad. française : Le concept de droit, Bruxelles, Publications des FUSL, 2005) ; Hans Kelsen, General Theory of Law and the State, Cambridge, M. A., Harvard University Press, 1945 (trad. française : Théorie générale du droit et de l’État, Bruxelles, Paris, Bruylant-LGDJ, 1997).
16 Hanoch Dagan et Roy Kreitner, « The New Legal Realism and the Realist View of Law », op. cit., p. 544.
17 Ibid., p. 544.
18 Joseph Raz, « Why the State? » dans Nicole Roughan and Andrew Halpin (éds.), In pursuit of Pluralist Jurisprudence, Cambridge, Cambridge University Press, 2017, cité par Hanoch Dagan et Roy Kreitner, op. cit., p. 544.
19 Il convient néanmoins de reconnaître l’existence de courants au sein de la philosophie et la théorie du droit où la distance est prise avec des paradigmes « à dominante étatique » au profit d’« une épistémologie non-kelsenienne [qui] pourrait nourrir une nouvelle pensée juridique qui ne soit plus seulement centrée sur les États nations » (Mireille Delmas-Marty, « Où va le droit ? Entre pot au noir et pilotage automatique, le droit peut-il nous guider vers une mondialité apaisée ? », La Semaine juridique, n° 14, 2 avril 2018, p. 678, 680).
20 Jean-François Perrin, « Le problème de la juridicité des normes, confusion, évolution, révolution ? », Communication au comité de recherche « Sociologie du droit-Études socio-juridiques », Congrès de l’AISLF, Tunis, juillet 2021.
21 Hanoch Dagan et Roy Kreitner, « The New Legal Realism and the Realist View of Law », op. cit., p. 530.
22 Shauhin Talesh, Elisabeth Mertz, Heinz Klug, « Introduction », in Id. (éds.), Research Handbook on Modern Legal Realism, op. cit., p. 4.
23 Karl N. Llewellyn, « Some Realism about Realism – Responding to Dean Pound », Harvard Law Review, n° 44, 1931, p. 1243, cité par Thomas J. Miles and Cass R. Sunstein, « The New Legal Realism », The University of Chicago Law Review, n° 2, vol. 75, Spring 2008, p. 832.
24 Pierre Guibentif, « The Sociology of Legal Subjectivity », op. cit.
25 Pierre Guibentif, « Mutations de la critique et émergence de la subjectivité moderne », op. cit.
26 Pierre Guibentif, « Taking Modern Legislation Seriously: Agency Rights as a Special Challenge », op. cit.
27 Voir le chapitre VII « L’idéal démocratique » de l’ouvrage, p. 356-380.
28 John Dewey, Le Public et ses problèmes, Paris, Gallimard, « Folio essais », 2010 (1e éd. 1927).
29 Joëlle Zask, Participer. Essai sur les formes démocratiques de la participation, Lormont, Le Bord de l’Eau, 2011, p. 217.
30 Joëlle Zask, « Self-gouvernement et pragmatisme. Jefferson, Thoreau, Tocqueville, Dewey », Etica & Politica / Ethics & Politics, XII, n° 1, 2010, p. 119.
31 Jürgen Habermas, Droit et démocratie. Entre faits et normes, Paris, Gallimard, nrf Essais, 1997, p. 132-138. On notera ici que, pour certains auteurs, la référence aux analyses d’Habermas dans la littérature sur la démocratie délibérative fait souvent l’objet d’une « interprétation à contre-sens », dans la mesure où « la délibération habermassienne est juridique avant d’être démocratique » et que cet auteur « défend l’État de droit plutôt que la politique délibérative ». Voir : Bernard Reber, « Précautions et innovations démocratiques », Archives de philosophie du droit, 2020/1, tome 62, p. 399-425.
32 Parmi les analyses de Pierre Rosanvallon en la matière, on retiendra ici particulièrement son ouvrage La légitimité démocratique : impartialité, réflexivité, proximité, Paris, Seuil, « Sciences Humaines », 2008.
33 Sherry R. Arnstein, « A Ladder of Citizen Participation », Journal of the American Institute of Planners, 35: 4, 1969, p. 216-224.
34 Parmi l’importante littérature en la matière, on pourra citer : Marie-Hélène Bacqué et Yves Sintomer, La démocratie participative : histoire et généalogie, Paris, La Découverte, 2011 ; Laurence Bherer, Pascale Dufour et Françoise Montembeault (éds.), The Participatory Democracy Turn, New York, Routledge, 2018 ; Cécile Blatrix, « Des sciences de la participation : paysage participatif et marché des biens savants en France », Quaderni, 79, automne 2012, Dossier Produire la démocratie, p. 59-80 ; Loïc Blondiaux et Jean-Michel Fourniau, « Un bilan des recherches sur la participation du public en démocratie : beaucoup de bruit pour rien ? », Participations, 2011/1, n°1, p. 8-35 ; Hélène Landemore, Open Democracy: Reinventing Popular Rule for the Twenty-First Century, Princeton, Princeton University Press, 2020 ; Elisa Lewis et Romain Slitine, « Quand les citoyens font la loi » dans Id. Le coup d’État citoyen : les initiatives qui réinventent la démocratie, Paris, La Découverte, 2016, p. 61-93 ; Carole Pateman, Participation and Democratic Theory, Cambridge, Cambridge University Press, 1970 ; Graham Smith, Democratic Innovations: Designing Institutions for Citizen Participation, Cambridge, Cambridge University Press, 2009 ; Nadia Urbinati, Representative Democracy: Principles and Genealogy, Chicago, University of Chicago Press, 2006.
35 Voir, par exemple : John Clarke, « L’enrôlement des gens ordinaires. L’évitement du politique au cœur des nouvelles stratégies gouvernementales ? Participations, 2012/2, n° 6, p. 167-189 ; Luigi Pellizzoni, Laurent Vannini, « Une idée sur le déclin ? Évaluer la nouvelle critique de la délibération publique », Participations, 2013/2, n°6, p. 87-118.
36 Jacques Commaille et Stéphanie Lacour, « Les citoyens ont démontré que le débat démocratique pouvait être plus inclusif », Le Monde, jeudi 21 avril 2023, p. 12.
37 Roberto Esposito, Jean-Luc Nancy, Communitas, origine et destin de la communauté ; conloquium, Paris, PUF, Collège international de Philosophie, Sciences humaines et sociales, 7 avril 2000, p. 13. Voir également : Roberto Esposito, Communauté, Immunité, biopolitique. Repenser les termes de la politique, Amsterdam, Les Prairies ordinaires, 2010.
38 Tiphaine Samoyault, « Communauté, immunité. Deux livres de Roberto Esposito », En attendant Nadeau, n° 10, 20 mars 2020.
39 Roberto Esposito, op. cit., p. 13.
40 Jean-Guy Belley, « Ubi communitas, ibi ius ? », Les Cahiers de droit, Université Laval-Communitas, Université du Québec à Montréal, 2020 (publié également dans Droit et Société, n° 106, 2020/3, p. 731-750).
41 Ibid.
42 Mireille Delmas-Marty, « Où va le droit ? Entre pot au noir et pilotage automatique…», op. cit., p. 682.
43 Ibid., p. 684.
44 Pour plus de développements, on voudra bien se reporter ici au riche dictionnaire consacré à ce thème : Marie Cornu, Fabienne Orsi, Judith Rochfeld (dir.), Dictionnaire des biens communs, Paris, PUF, « Quadrige », 2017 (2022).
45 Voir, par exemple : Robert-Ali Brac de la Perrière, Semences paysannes, plantes de demain, Paris, Éditions Charles Léopold Mayer, 2014.
46 Judith Rochfeld, Justice pour le climat ! Les nouvelles formes de mobilisation citoyenne, Paris, Odile Jacob, 2019.
47 Voir par exemple : Pierre Dardot et Christian Laval, Commun. Essai sur la révolution au xxie siècle, Paris, La Découverte, 2014 ; Joëlle Zask, La démocratie aux champs, Paris, La Découverte, 2016.
48 Étienne Tassin, Un monde commun, Pour une cosmo-politique des conflits, op. cit., p. 301.
49 Ibid., p. 301.
50 Louis Assier-Andrieu, Chroniques du juste et du bon, op. cit., p. 259.
51 Ibid., p. 260.
52 Ibid., p. 260. On pourra ici se reporter utilement aux développements de Louis Assier-Andrieu consacrés, dans son ouvrage Chroniques du juste et du vrai (op. cit.), à cette question de la communauté dans ses chapitres 9 (p. 245 à 261) et 10 (p. 265 à 273).
53 Ce qu’annonçait l’ouvrage de référence dans ce domaine des communs : Elinor Ostrom, La gouvernance des biens communs. Pour une nouvelle approche des ressources naturelles, Bruxelles, De Boeck, 2010 (Governing the Commons. The Evolution of Institutions for Collective Action (Political Economy of Insitutions and Decisions), Cambridge University Press, 1990).
54 Benjamin Coriat (dir.), Le Retour des communs, la crise de l’idéologie propriétaire, Paris, Les Liens qui libèrent, 2015.
55 On trouvera de nombreuses déclinaisons de la question des communs du point de vue du droit dans : Marie Cornu, Fabienne Orsi, Judith Rochfeld (dir.), Dictionnaire des biens communs, op. cit. Voir également : Judith Rochfeld, Justice pour le climat…, op. cit.
56 J’emprunte là une formulation utilisée pour l’histoire du droit : Frédéric Audren, Anne-Sophie Chambost, Jean-Louis Halpérin, Histoires contemporaines du droit, op. cit., p. 39.
57 On notera ici, qu’à ce stade, celui du bilan de ce qu’a pu être la poursuite de l’objectif du présent ouvrage, j’ai pu observer, suite à une rencontre au centre culturel international de Cerisy avec l’auteur Arnaud Orain, puis suite à la lecture de son magistral ouvrage (Arnaud Orain, Les savoirs perdus de l’économie…, op. cit.), d’exceptionnelles convergences entre ses propres analyses tirées d’une observation centrée sur les savoirs en économie et ma propre tentative de recherche de sens d’une mutation du régime épistémique à partir d’une comparaison avec les savoirs sur le droit, la société et la nature.
58 Dominique Pestre, Introduction aux Science Studies, op. cit., p. 129.
59 Sheila Jasanoff, « The Idiom of co-production », op. cit, p. 3.
60 Axel Honneth, Critique du pouvoir…, op. cit., p. 17.
61 Ibid, p. 19.
62 Bryant Garth, Elisabeth Mertz, « Introduction: New Legal Realism at Ten Years and Beyond », op. cit., p. 134.
63 Jacques Commaille et Françoise Thibault (dir.), Des sciences dans la Science, op. cit., p.13, 14.
64 Ibid.
65 Dominique Pestre, « Pour une histoire sociale et culturelle des sciences… », op. cit., p. 515.
66 Olivier Zajec, «Legal realism et international realism... », op. cit., p. 804.
67 Dominique Pestre, Introduction aux Science Studies, op. cit., p. 4.
68 Luc Boltanski, « Situation de la critique », op. cit.
69 Il peut être ainsi question d’un « tournant ethnographique » initié dans les années 1990 et qui « s’inscrit à la croisée de plusieurs héritages » (comme celui de l’École de Chicago, de « l’ethnologie de la France et de la sociologie rurale française »…). Voir : Mathieu Hauchecorne, « Essor et disciplinarisation des sciences humaines et sociales », dans Christophe Charle et Laurent JeanPierre (dir.), La vie intellectuelle en France…, op. cit., p 187-219.
70 Outre l’ouvrage déjà cité de Jean-Claude Passeron et Jacques Revel (dir.), Penser par cas, op. cit., on pourra se référer également à l’ouvrage de Jean-Claude Passeron, Le raisonnement sociologique. L’espace non-popperien du raisonnement naturel, Paris, Nathan, 1991 dont il est dit qu’il « invite à penser la sociologie et les autres sciences sociales comme des disciplines produisant des vérités contextualisées plutôt que comme des sciences nomologiques à l’image des sciences de la nature ou de l’économie » (Mathieu Hauchecorne, op. cit., p. 217).
71 Simona Cerutti, « Who is Below ? », op. cit.
72 Patrick Juignet, « Les principes philosophiques de la science moderne », op. cit.
73 Sandra Harding, Whose Science? Whose Knowledge? Thinkings from Women’s Lives, op. cit.
74 Hanoch Dagan et Roy Kreitner, « The New Legal Realism and the Realist View of Law », op. cit.
75 Le mot anglais ici utilisé est celui de « craft » défini de façon quelque peu polysémique en renvoyant simultanément à l’art, à l’artisanat, à des façons de faire dans un métier particulier.
76 Ibid., p. 541.
77 Roger Cotterrell, « Why Must Legal Ideas Be Interpreted Sociologically? », op. cit. On retrouve là une dichotomie fondamentale dont on observe également la trace dans les propos de Véronique Champeil-Desplats : « De la même façon qu’il existerait une philosophie du droit des philosophes (engagée vers une compréhension globale de la nature et de la fonction du droit dans le monde) distincte de la philosophie du droit des juristes (tournée vers la recherche plus spécifique de l’essence du droit et de ses rapports avec le concept de justice), peut-on distinguer une sociologie du droit des sociologues (qui aborderait par exemple le droit comme l’une des normes régulatrices des comportements sociaux ou analyserait le profil sociopolitique des juristes…) et une sociologie du droit des juristes (qui s’intéresserait à l’effectivité, l’efficacité ou les effets sociaux du droit, et qui se réapproprierait la sociologie pour résoudre les problèmes particuliers des juristes », Véronique Champeil-Desplats, Méthodologies du droit et des sciences du droit, op. cit., p. 149, cité par Yannick Ganne, L’ouverture du droit aux sciences sociales…, op. cit., p. 618.
78 Bryant Garth, Elisabeth Mertz, op. cit., p. 125 à 130.
79 Jacques Commaille, À quoi nous sert le droit ?, op. cit. p. 388 et s.
80 Yannick Ganne, L’ouverture du droit aux sciences sociales…, op. cit., p. 376.
81 Ibid., p. 315.
82 Ibid., p. 337.
83 Voir, par exemple : Jacques Commaille, « La French touch de la recherche sur le droit », op. cit. Cet article est consacré à une analyse de cette exceptionnelle transformation de la recherche française du droit et sur le droit. Autre exemple parmi d’autres de ce mouvement : Frédéric Rouvière et Clotilde Aubry de Maromont (dir.), « La méthodologie de la recherche juridique pensée par ses acteurs », Cahiers de méthodologie juridique, n° 34, Revue de la recherche juridique. Droit prospectif, 2020-3, n° spécial, Presses universitaires d’Aix-Marseille (voir, en particulier, les « Propos introductifs » de Clotilde Aubry de Maromont, p. 1297-1322).
84 Ces nouvelles perspectives générales de l’interdisciplinarité sont notamment mises en valeur dans le cadre de ce qui a été une exceptionnelle mobilisation des Maisons des sciences de l’Homme et de leur réseau national ayant abouti à un ouvrage : L’épistémologie sans concession, Paris, Athéna Éditions, 2023.
85 Luc Boltanski, « Sociologie critique et sociologie de la critique », op. cit., p. 131.
86 Vololona Rabeharisoa et Michel Callon, « Patients and scientists in French muscular dystrophy research », dans Sheila Jasanoff (éd.), States of Knowledge…, op. cit., p. 142-160. Voir également : Michel Callon, Pierre Lascoumes, Yann Barthe, Agir dans un monde incertain.., op. cit.
87 Dominique Vinck, Science et société, op. cit., p. 276.
88 Jean-François Lyotard, Rudiments païens…, op. cit., p. 9-10.
89 Roland Barthes, Le Neutre…, op. cit., p. 40.
90 Rappelons que Dan Kaminski donne une illustration de ce binarisme avec l’opposition, dans le champ des savoirs sur le pénal, de deux approches théoriques, de la permanence de ce binarisme paraissant découler une identité spécifique à ce champ de savoirs, tout l’enjeu étant alors de rendre possible un dépassement paradigmatique.
91 Dan Kaminski, La critique avec le Neutre ou la subversion du paradigme, op. cit.
92 Immanuel Wallerstein, « L’héritage de la sociologie, la promesse de la science sociale », op. cit.
93 Patrice Duran, « Introduction. Évaluation des politiques publiques : les leçons de l’expérience », Revue française d’administration publique, n° 177, 2021, p. 7. Sur ces cloisonnements entre discipline obéissant moins à des logiques de connaissance qu’à des logiques institutionnelles, on pourra également se référer à : Tony Becher, Paul R. Trowler, Academic Tribes and Territories : Intellectual Enquiry and the Culture of Discipline, Royaume-Uni, The Society for Research into Higher Education, Philadelphia, Pensylvania, Open University Press, 2001 (1989) ; Jerry Jacobs, In Defense of Disciplines. Interdisciplinarity and Specialization in the Research University, Chicago, Illinois, University of Chicago Press, 2013.
94 Alain Testart, Essai d’épistémologie pour les sciences sociales, CNRS Éditions, « Biblis, 2021, p. 95, 96.
95 Jean Boutier, Jean-Claude Passeron, Jacques Revel (dir.), Qu’est-ce qu’une discipline ?, Éditions de l’EHESS, 2006, p. 8.
96 Christophe Bonneuil, « La Cinquième République des sciences. Transformations des savoirs et des forces d’engagement des scientifiques », dans Christophe Charle, Laurent Jeanpierre (dir.), La vie intellectuelle en France…, op. cit., 2016, p. 123.
97 Ibid., p. 8.
98 Jean-Louis Fabiani, « À quoi sert la notion de discipline ? », dans Jean Boutier, Jean-Claude Passeron, Jacques Revel (dir.), op. cit., p. 33.
99 Il s’agit d’une référence à Karl Popper en exergue d’un chapitre de Gérard Lenclud, « L’anthropologie et sa discipline », dans Jean Boutier, Jean-Claude Passeron, Jacques Revel (dir.), op. cit., p. 69.
100 Fabien Locher, « Configurations disciplinaires et sciences de l’observation. Le cas des approches scientifiques de l’atmosphère (xixe-xxe siècle) », dans Jean Boutier, Jean-Claude Passeron, Jacques Revel (dir.), op. cit., p. 193.
101 Christophe Bonneuil, « La Cinquième République des sciences…», op. cit., p. 123.
102 Jean-François Bert « La quête d’un au-delà des disciplines », dans Christophe Charle, Laurent Jeanpierre (dir.), La vie intellectuelle en France…, op. cit., p. 225.
103 Ibid., p. 226. L’auteur fait ici référence à l’ouvrage d’Edgar Morin, La Méthode, Paris, Seuil, 6 tomes, 1977-2004.
104 Ibid., p. 224. L’auteur fait ici référence à l’ouvrage de Michel Foucault, Les Mots et les choses, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des sciences humaines », 1966.
105 Sur toutes ces questions, on pourra se reporter également à l’ouvrage L’interdisciplinarité sans concession, op. cit.
106 Lucas Monteil, Alice Romerio, « Des disciplines aux ‘‘studies’’. Savoirs, trajectoires, politiques », Revue d’anthropologie des connaissances, n° 3, vol. 11, 2017/3, p. 231. Le numéro de cette revue intitulé « Les studies à l’étude » est entièrement consacré à cette question du développement des « studies » et du sens à lui donner notamment sur le plan épistémologique. On pourra également se référer ici à : Johan Heilbron, Yves Gingras, « La résilience des disciplines » Actes de la recherche en sciences sociales, 5 (210), 2015, p. 4-9 ; Yves Gingras, Sociologie des sciences, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 2020.
107 Au-delà des approches sur le droit et le nazisme comme dans cet ouvrage magistral d’Olivier Jouanjan : Justifier l’injustifiable. L’ordre du disours nazi (Paris, PUF, « Leviathan », 2017), on pourra trouver des analyses consacrées au statut et à la fonction du droit dans des contextes autoritaires dans le dossier « Droit et autoritarisme/Droit en contexte autoritaire » coordonné par Baudoin Dupret et Liora Israël, Droit et Société, n° 113, 2023-2, à paraître.
108 Jacques Commaille, À quoi nous sert le droit ?, op. cit.
109 Bernadette Bensaude-Vincent, La science contre l’opinion. Histoire d’un divorce, Paris, La Découverte, « Les empêcheurs de tourner en rond », 2003.
110 Cynthia Fleury, « Construire un comportement collectif respectueux de l’État de droit », Le Monde, samedi 28 mars 2020.
111 De façon illustrative, c’est aussi la période des « Interfield theories » prônant, par exemple, la confrontation de théories en chimie, bio-chimie, génétique ou biologie (voir, entre autres : Lindley Darden & Nancy Maull, « Interfield theories », Philosophy of Science, (1), 1977, p. 43-64) ou qui inspireront une contribution de l’histoire à la théorie en psychologie (voir Annals of Theoretical Psychology, vol. 9, 1, 1993).
112 Laurent Fédi, « La psychologie de l’esprit scientifique chez Bachelard et ses prédécesseurs », op. cit., p. 209.
113 Georges Gurvitch, L’expérience juridique et la philosophie pluraliste du droit, Paris, Pédone, 1935, cité par Garance Navarro-Ugé, L’idée de droit social de Georges Gurvitch…, op. cit.
114 À cet égard, on pourra trouver intéressant le souci que manifestent des auteurs de se poser, de façon renouvelée, en tant que chercheurs, la question du passage des idées aux mouvements sociaux et politiques de ce qui relève du registre de la connaissance vers celui du politique : Bruno Latour et Nicolaj Schultz, Memo sur la nouvelle classe écologique. Comment faire émerger une classe écologique consciente et fière d’elle-même, Paris, La Découverte, « Les empêcheurs de penser en rond », 2022.
115 Jean-Guy Belley, « Ubi communitas, ibi ius ? », op. cit. (la citation exacte que je me suis permis d’aménager pour rester en cohérence avec les termes que j’utilise dans la thèse que je tente de soutenir dans le présent ouvrage est : « Le droit et la science pourront servir la liberté plutôt que le contrôle si les communautés citoyennes et savantes prennent en main la transition paradigmatique vers la postmodernité ». L’auteur se livre là à un commentaire de l’ouvrage de Boaventura de Sousa Santos, Vers un nouveau sens commun juridique. Droit, science et politique dans la transition paradigmatique, Paris, LGDJ, « Droit et Société », 2004).
116 Christophe Bonneuil, « La Cinquième République des sciences… », op. cit., p. 150.
117 Albert Camus, L’homme révolté, op. cit., p. 173.
118 Christophe Bonneuil, « La Cinquième République des sciences… », op. cit. Pour ce qui concerne les colloques scientifiques, l’auteur fait ici référence à un article de Mathieu Triclot, « Les colloques scientifiques à Cerisy : un laboratoire pour de nouveaux paradigmes (1970-1984) », Histoire@Politique, n° 20, 2013/2, p. 72-88.
119 Didier Gil, Autour de Bachelard : Esprit et matière, un siècle français de philosophie des sciences (1867-1962), Paris, Les Belles Lettres, 2010, p. 228-229, cité par Laurent Fédi, « La psychologie de l’esprit scientifique chez Bachelard et ses prédécesseurs », op. cit., p. 181.
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