Chapitre V
Penser la société from below
p. 183-223
Texte intégral
Depuis le soi-disant divorce entre philosophie et science, consommé à la fin du xviiie siècle, les sciences sociales en ont constitué le parent pauvre – ni viande ni poisson –, méprisé par chacun des pôles dans cette guerre des « deux cultures ». Et les chercheurs en sciences sociales ont intériorisé cette image, sentant qu’ils n’avaient d’autre destin que de se ranger soit parmi les scientifiques, soit parmi les humanistes. Aujourd’hui la situation a radicalement changé. Il existe un mouvement, déjà fort et qui va croissant, celui des études de la complexité, qui s’intéresse à la flèche du temps, aux incertitudes, et qui considère que les systèmes sociaux humains sont les plus complexes de tous les systèmes. Dans les humanités, il existe aussi un mouvement à la fois puissant et croissant, celui des études culturelles, qui considère qu’il n’existe pas d’essence des canons esthétiques et que les productions culturelles sont enracinées dans leurs origines sociales, dans leur réception sociale, et dans leurs distorsions sociales […] Ce qui était un champ de forces centrifuges dans le monde du savoir est devenu un champ centripète et la science sociale est désormais centrale pour le savoir.
Immanuel Wallerstein, « L’héritage de la sociologie, la promesse de la science sociale », Sociétés contemporaines, n° 33-34, janvier/avril 1999, p. 190)
1Si j’ai mis en exergue cette citation d’Immanuel Wallerstein, ce n’est pas pour relayer une célébration des vertus des façons de penser la société, mais plutôt pour retenir qu’elles sont au cœur, et participent pleinement dans leurs propres évolutions, d’un changement de régime général de connaissance qui concerne les trois façons de penser que j’ai choisi d’observer.
2Bien entendu, il ne peut être question ici de prétendre restituer l’ensemble des orientations prises dans les dernières décennies par les façons de penser la société. D’une part, je n’approcherai celles-ci, comme dans la première partie de l’ouvrage, qu’à travers ce que disent les sciences sociales, principalement la sociologie. Dans ce cadre, je m’en tiendrai à l’objectif que je me suis fixé tout au long de cet ouvrage, c’est-à-dire sélectionner des façons de penser qui me paraissent pouvoir qualifier une tendance lourde ayant à voir avec un régime général de normativité, une « matrice juridico-politique » des sociétés contemporaines. Mes choix, parmi une immense littérature consacrée aux sciences sociales, seront guidés par cet unique souci de dégager cette tendance lourde, analogue à celle que nous venons de dégager grâce à l’analyse des façons de penser la nature, celles-ci ordonnées autour de référentiels.
Poser l’incertitude comme une évidence
3Dans le chapitre précédent, j’ai évoqué les exceptionnelles transformations des façons de penser la nature. Comme ces dernières, les façons de penser la société se sont longtemps inscrites dans le temps historique des certitudes avant, elles aussi, de basculer dans le temps historique des incertitudes. Ce basculement ne me conduit pas plus à m’associer aux interprétations pessimistes qu’il peut susciter en termes de perte de croyance dans un progrès permanent, d’affaiblissement d’un universalisme triomphant. Pour ce qui concerne les façons de penser la société, il apparaît effectivement qu’une connaissance de plus en plus approfondie de la complexité de son fonctionnement a favorisé la multiplication des angles d’observation et celle des recherches de sens. On pourrait considérer que le constat suivant pour ce qui concerne l’évolution de la sociologie pourrait valoir pour ce qui concerne l‘évolution de l’ensemble des façons de penser la société :
La théorie unique qui avait assuré pendant longtemps l’unité interne de la discipline a cédé sa place à des conceptualisations concurrentes et à des orientations déracinées de la tradition rationaliste de la réalité, de la vérité, de la preuve1.
4L’époque des grandes théories englobantes comme celle des méta-récits semblent révolues. La prise de conscience de l’existence d’une multiplicité de rationalités locales associées à une très grande pluralité d’acteurs conduit précisément à passer « de ce qu’on avait coutume d’appeler les ‘‘approches structurales’’ à l’étude de la complexité des actes humains en situation »2. Le développement de querelles d’écoles de pensée de plus en plus irréductibles les unes par rapport aux autres semble avoir précédé un changement radical. On observe un renoncement à des théories exclusivement critiques, aux généralisations abusives, à un alignement sur quelques grands paradigmes ou sur celui du ressassement de cadres théoriques éprouvés. L’objectif était d’abord inspiré par l’ambition d’épuiser le sens du fonctionnement des sociétés et de leur devenir. Mais ces théories sont en fait de moins en moins en prise avec les réalités nouvelles et avec la complexité croissante de sociétés contemporaines inscrites dans une multiplicité d’échelles, en termes d’espace et de temps.
5La référence à l’histoire des savoirs de l’économie d’Arnaud Orain, que j’ai déjà évoquée précédemment, constitue ainsi une illustration de cette montée en généralité dans la mesure où elle témoigne du caractère daté d’une science économique comme science moderne, a contrario des nouvelles formes de mobilisation de la connaissance qu’exige la confrontation avec les enjeux des sociétés contemporaines.3
6Rien ne mesure mieux cet épuisement des explications globalisantes que l’intérêt croissant porté à des processus sociaux circonscrits, à des configurations d’acteurs à l’œuvre dans des situations particulières, à des interactions sociales dans des contextes définis. Il s’agit désormais de rompre notamment avec des théories marquées par la linéarité inéluctable du changement ou celles de déterminations des comportements exclusivement du haut vers le bas. Ce qui importe de plus en plus, c’est de ne plus exclure ce que peut être une effervescence sociale autorisant des rétroactions, des détournements, des appropriations multiples, donnant une juste place à l’ensemble des acteurs sociaux y compris les plus « ordinaires », les plus démunis. Ainsi que le souligne l’historien des sciences Christophe Bonneuil :
une deuxième transformation majeure des savoirs scientifiques de la période se traduit par un déplacement des pensées des structures, des programmes et des régimes stables vers des pensées des systèmes complexes, des régimes loin de l’équilibre, des réseaux fluides et adaptatifs4.
7Ce dont il s’agit, c’est le passage, de la « structure au modèle », « l’essor de l’étude des systèmes dynamiques non linéaires »5. Plus généralement, ce qui s’observe c’est le déplacement d’une « pensée de la stabilité » vers des modèles où « la perturbation et la réorganisation deviennent la norme »6.
8Il est significatif que ce soit à des positionnements – sur lesquels je reviendrai dans ce chapitre – comme ceux de la microhistoire7, de l’ethnographie, de la mise en valeur de la fonction heuristique des singularités8 ou de certains courants de l’anthropologie9, qu’est revenue la tâche d’un retour à l’humilité. Celle-ci se manifeste par l’acceptation de l’incertitude des issues de processus sociaux liés à leur complexité et disqualifiant la prétention à la certitude de l’inéluctable ou de l’immuable portée par les métathéories.
9Rien n’illustre mieux les finalités d’un tel positionnement et ses spécificités que le choix fait par Bruno Latour refusant d’aller observer des peuples indigènes à partir d’un positionnement en surplomb pour se surprendre lui-même de l’extraordinaire dépaysement provoqué par son observation depuis un grand laboratoire d’un pays riche10. De même, Jean-Claude Passeron remarque dans son texte de présentation du livre de Richard Hoggart sur l’enquête ethnographique, La culture du pauvre :
la fécondité heuristique et le pouvoir d’objectivation [de l’enquête ethnographique] ne sont pas moindres que ceux de l’analyse statistique lorsque, mettant en œuvre dans une situation réelle l’observation directe et continue des conduites, elle opère selon des catégories méthodiquement construites et soumet ses instruments d’investigation à un contrôle systématique11.
10Il ajoute, en citant Bronislaw Malinowski :
Il est une série de phénomènes de grande importance que l’on ne saurait enregistrer en procédant à des interrogatoires ou en déchiffrant des documents, mais qu’il importe de saisir dans leur pleine réalité12.
11Finalement, les analyses portant sur la société n’échappent pas à une évolution des idées auxquelles les façons de penser la nature ont été elles-mêmes confrontées. Pour paraphraser Jean De Munck13 : comme dans les façons de penser la « Nature » où une prétendue nécessité de la « Science », au fondement de ses certitudes, s’est effondrée, la « figure de nécessité », telle que l’évoque Luc Boltanski14, n’était là que pour évacuer toute idée d’incertitude d’une « Raison ». Celle qui inspire les grandes théories épuisant les sens de ce qu’est le monde social et politique, et prétendant annoncer son avenir inéluctable. Une telle posture a fait place à l’avènement du règne de l’incertitude : comme une évidence mais aussi comme une vertu pour ce que devrait être désormais le travail de connaissance. Les façons de penser la société se sont définitivement alignées sur les façons de penser la nature telles que les préfigure en philosophie des sciences Karl Popper15.
En prenant ses distances avec le positivisme et la méthode nomologico-déductive, la philosophie des sciences a créé l’impression que les découvertes et les opinions des hommes devenaient plus provisoires, plus sujettes à l’erreur et de portée plus limitée que ce qu’eux-mêmes et le public auraient pu croire […] [Il règne désormais] un sentiment d’incertitude épistémique16.
12Cet avènement de l’incertitude comme une évidence résulte logiquement de la reconnaissance fortement assumée d’une complexité du fonctionnement des sociétés et de leur devenir. Dans cette perspective, les grands récits apparaissent n’avoir été possibles que parce que leurs auteurs n’échappaient pas à un certain nombre de pièges qu’il conviendrait désormais d’éviter. Rien ne l’illustre mieux que l’emploi du terme d’« antiréductionnisme » fréquemment utilisé et accompagné d’un refus de l’essentialisme pour justifier une prise de distance avec les « grands paradigmes unificateurs » dont « l’usure » est affirmée17. Le refus de l’essentialisme, c’est de ne pas tomber dans l’illusion que les grandes entités – l’État, la « Nature », la stratification sociale – s’imposent à nous figées dans ce qu’elles sont et dans le sens qu’on leur donne a priori. « Dans cette perspective, le monde physique et social, plutôt que d’être considéré comme figé et stable […] doit être systématiquement envisagé en tant qu’il est en action et en devenir »18. Il s’agit « d’approcher les réalités macrosociologiques en tant que celles-ci s’accomplissent dans la réalité sociale »19.
13La nouvelle posture dans les façons de penser la société, c’est de considérer que rien n’est écrit d’avance, ni dans les agencements qui se mettent en place dans le fonctionnement des sociétés, ni dans les actions qui se développent en leur sein, ni dans ce qui sera ou devrait être, dans l’esprit de celui qui pense la société, le destin de celle-ci. Axel Honneth, un des héritiers de deux des grandes figures de l’École de Francfort, Theodor W. Adorno et Max Horkheimer, reproche à ces derniers de promouvoir une conception qui rapporte tout à la figure de la raison et de la nécessité en ayant pour seul horizon : la révolution20.
14Comme le disent les tenants de la « sociologie pragmatique »21, courant remarquablement porteur de ce changement de régime de connaissance22, l’explication de ce qu’est une société ne saurait se réduire à la compréhension des comportements de ceux qui la composent en se contentant de rapporter ceux-ci à ce que sont leurs dispositions, la place qu’ils occupent dans l’espace social, au poids des structures. Il s’agit désormais « de ne pas verser dans le réductionnisme structural »23, celui qui enserre toute action accomplie par des « agents » et son explication dans les déterminismes auxquels ceux-ci ne pourraient échapper24. Suivant cette orientation, ces déterminismes subis par les agents s’inscrivent dans des lois de l’histoire qui rendent les destins inéluctables : « les positions radicales sont plutôt systémiques, et c’est sans doute la raison pour laquelle elles ont si souvent pris appui sur les sciences, comprises dans un sens positiviste, et particulièrement sur les sciences historiques et sociales dans lesquelles l’accent était mis sur des processus échappant aux volontés individuelles, telles que lois de l’histoire, structures, systèmes, dispositifs, etc. »25.
15Il est particulièrement significatif que la question de l’acteur devienne centrale dans ce processus d’affirmation d’un nouveau régime de connaissance. Le travail de relativisation des déterminismes, du poids des structures, de l’inéluctabilité dans l’évolution des sociétés favorisée par les « récits englobants », conduit à la reconnaissance d’une pluralité de logiques d’acteurs. Il favorise la reconnaissance d’une réversibilité des processus sociaux d’assignation auxquels ceux-ci sont exposés. La certitude de ce qui doit advenir fait progressivement place à une acceptation de l’indétermination relative des situations et des conduites. Une observation approfondie des acteurs est de surcroît susceptible de remettre en cause ce qui a été si fréquemment invoqué dans la « théorie critique » : la recherche du sens de la stratégie des acteurs ne saurait être réduite à ce qui en serait prétendument la seule cause, soit, la poursuite de leurs intérêts (« Sur le terrain des échanges sociaux, il n’y aurait ainsi que des intérêts et des manières de les dénier »26). Si la poursuite d’intérêts participe de stratégies des acteurs, d’autres variables sont susceptibles d’interférer qui ont à voir avec des valeurs. La poursuite de finalités se situe bien au-delà d’intérêts individuels, de classe, de groupes sociaux ou d’institution.
16Le changement de statut des acteurs dans ce nouveau régime de connaissance met particulièrement en valeur le réductionnisme que j’évoquais supra. Cette question des acteurs est au cœur des analyses portant sur l’exercice de la domination que j’ai traitée dans la première partie. Elle dévoile particulièrement les faiblesses d’un modèle totalisant, surplombant, englobant, dans l’analyse du social. Axel Honneth fait justement le reproche à Theodor W. Adorno d’en user exclusivement :
Adorno a échoué à développer une analyse de la société car il est resté attaché toute sa vie à un modèle totalisant de la domination de la nature qui le rendait par conséquent inapte à saisir le « social » des sociétés27.
17Dans le même esprit, l’historien Edward P. Thompson, bien qu’il adhère à l’idée d’une domination et à l’existence d’inégalités structurelles dans la société anglaise du xviiie siècle qu’il étudie, met en œuvre des moyens d’observation de cette société lui permettant d’en souligner la complexité. Il se distingue ainsi clairement d’une « vision réductrice » de cette société, relevant pour lui « d’un marxisme schématique et ultra-déterministe »28 et d’une conception critique qui fut celle des Lumières en vertu de « la droite raison », il convient de constituer « un savoir du social différent – voire contradictoire de celui des acteurs »29. Un tel positionnement est très proche de celui d’une historienne comme Simona Cerutti, s’inspirant elle-même des thèses d’Edward P. Thompson, quand elle prend ses distances avec une histoire d’inspiration foucaldienne où le droit n’est qu’instrument de contrôle social et de répression, où « les sources étaient ainsi lues, avant tout, en tant qu’elles mettaient en lumière les structures sociales de pouvoir et de domination […] [Dans cette perspective] les sources ne doivent pas être lues comme la manifestation de structures sociales sous-jacentes, mais bien comme des actions qui visent à demander, transformer ou certifier des droits »30.
18L’enjeu est bien finalement celui de la nécessaire complexification de toute théorie du social et de l’abandon d’un dogmatisme bardé de la certitude de produire une « Vérité » qui ne pourrait être ni contestée ni discutée. L’approche critique de la « théorie critique » peut être « associée à l’idée même de science non dogmatique »31.
Rejeter l’unilatéralité du « haut » vers le « bas »
19Parler d’unilatéralité, c’est très probablement toucher le point nodal de ce qui apparaît effectivement comme un nouveau régime de connaissance sur la société ou l’avènement d’une nouvelle tendance lourde dans les façons de la penser. J’ai parlé dans la première partie de l’ouvrage de la question de la domination. L’histoire des sciences sociales semble avoir été marquée par un tropisme : celui caractérisé par la forte prédominance d’un regard vers le haut, comme je l’ai qualifié dans le premier chapitre. Ce qu’on a nommé la domination désignait, comme une évidence, une forme de régulation politique et sociale « par le haut » et le principal des analyses sur la société lui était consacré. Il s’agissait d’observer les formes, les contextes dans lesquels elle se manifestait, les effets qu’elle produisait : soit, sans remettre en cause cette domination, considérant qu’elle était nécessaire de toute façon à la structuration et à la perpétuation des sociétés ; soit, au contraire, pour la dénoncer de la façon la plus radicale.
20Il est assez surprenant à cet égard que la mise à distance de cette approche radicale de la domination se fasse pour une grande part au sein de courants de pensée qui en étaient porteurs. C’est ce qu’illustre l’évolution des idées en la matière au sein de l’École de Francfort ou ce qu’on peut considérer comme une dissidence des tenants en France de la sociologie pragmatique par rapport à l’École de pensée de Pierre Bourdieu. De la même façon que les spécialistes de la régulation des sociétés ne pouvaient plus s’en tenir aux approches organicistes qui avaient longtemps prévalu en la matière, comme nous l’avons vu au chapitre III, il n’apparaît plus possible de fonder les façons de penser le social et le politique sur ce qu’on a pu appeler une approche verticale du monde. Il est nécessaire d’adopter une approche horizontale. Bien entendu, il ne s’agit pas de nier désormais qu’existent au sein des sociétés contemporaines des mécanismes de domination, des formes de pouvoir exercées par une minorité sur une majorité. Mais il s’agit de reconnaître en même temps que les processus à l’œuvre au sein des sociétés sont plus complexes. Comme le souligne Axel Honneth :
On ne peut sortir de cette polarité unilatérale pouvoir dominant/masses dominées qu’en prenant en compte les interactions sociales, la communication à l’intérieur de la société et non pas une vision unilatérale du pouvoir s’exerçant exclusivement de haut en bas32.
21Une telle évolution dans les façons de penser peut susciter de multiples réflexions. J’en retiendrai deux.
22D’abord, il convient d’observer qu’elle n’est pas un effet exclusif de ce qui serait une entrée des sociétés dans ce qu’on a appelé la postmodernité. Beaucoup des travaux qui contribuent ici à ce qu’on pourrait considérer comme un changement de paradigme sont issus de l’histoire (des sociétés anciennes) ou de l’anthropologie (des sociétés traditionnelles hors du monde occidental). Il y aurait là une dynamique de la connaissance qui serait relativement autonome par rapport à des changements de civilisation (ce qui n’exclut pas que cette dynamique soit influencée par des contextes).
23Ensuite, cette évolution est portée par une vision de l’évolution des sociétés inspirée par un refus de l’inéluctable, que ce soit dans un sens positif ou négatif. Rien n’illustre mieux cette vision que le jugement porté par le philosophe Jacques Rancière sur une sociologie critique entraînant toute la sociologie vers une « critique radicale d’une situation radicalement immuable […] Avec la vision de Max Weber, Bourdieu importe cette autre tradition sociologique qui porte la marque du pessimisme post-schopenhauerien et post-nietzschéen d’une intelligence germanique persuadée d’assister non au commencement mais à la fin du monde »33. L’approche d’une vision critique qui n’a comme horizon que la révolution (comme le souligne Axel Honneth dans sa critique de la pensée des figures fondatrices de l’École de Francfort34) se conjugue avec une sociologie critique qui devient « une sociologie de la résignation stoïque à la modernité » s’éloignant notamment définitivement des espérances de « la République pédagogique de la sociologie durkheimienne »35. Notons ici un parallèle avec les évolutions dans les façons de penser le droit telles qu’elles sont illustrées par le courant américain du « new legal realism ». Celui-ci prend en effet ses distances avec ce qu’on pourrait qualifier de vision critique, telle qu’elle est portée par le courant des « critical legal studies », pour refuser une vision nihiliste de telle sorte que la reconnaissance des échecs du droit ne doit pas conduire à négliger l’observation et l’analyse de la possibilité d’un changement social par le droit et autour du droit36. Pour le « new legal realism », il ne s’agit pas de s’en tenir à l’affirmation péremptoire que « tout droit est politique » et de le rejeter comme objet d’étude au prétexte qu’il ne serait qu’« une des formes de dissimulation du pouvoir »37.
24Le domaine de savoir sur les politiques publiques constitue lui-même, de ce point de vue, un excellent laboratoire pour comprendre l’illusion que représente la thèse de l’unilatéralité des processus de domination. Comme nous l’avons déjà évoqué, le schéma classique adopté dans ce domaine était celui d’une décision prise par un État tout-puissant que les destinataires n’avaient plus qu’à mettre en œuvre et auquel les institutions, les groupes, les individus n’avaient plus qu’à se soumettre et à appliquer. Ce que révèle désormais ce domaine de savoir, c’est la complexité des processus sociaux qui sont à l’œuvre : multiplicité des acteurs et des formes organisées susceptibles de développer des stratégies de contestation prenant la forme de détournements, d’appropriations différentielles, de remises en cause. Ce que nous donne à voir cet exemple, c’est une disqualification de schémas d’analyse où les formes de pouvoir s’exercent implacablement du haut vers le bas, de façon inéluctable. Suivant cette logique, ne sont pas prises en compte l’exceptionnelle complexité des processus sociaux qui sont à l’œuvre, ni les possibilités de « résistance sociale »38. Ces dernières s’expriment éventuellement par des mobilisations collectives, des luttes de pouvoir dans des espaces où règne certes l’inégalité mais où les plus démunis ne sont pas systématiquement passifs, autant de faits susceptibles d’ouvrir la possibilité d’une réversibilité par rapport à ce qu’on peut être tenté d’imposer39.
25Pour illustrer le temps historique des certitudes, je me suis référé dans la première partie (chapitre III) aux façons dont il a été prétendu à une théorie globale de la régulation politique des sociétés. Cette théorie s’inspirait des certitudes de la « Science » (notamment par des emprunts à la biologie et un recours à l’organicisme). Il convenait d’assurer une maîtrise de la mise en œuvre concrète d’une régulation politique grâce à une connaissance maîtrisée de la façon dont elle fonctionne. Ici aussi, je reprendrai cet exemple de la régulation dans la mesure où les analyses récentes portant sur la régulation politique des sociétés font douter de la pertinence d’une telle prétention40. La régulation politique apparaît plus comme la résultante involontaire de contraintes additionnées, pour reprendre une expression utilisée il y a déjà plusieurs décennies pour remettre en cause une vision mythique des politiques publiques41. Les façons de penser la régulation politique étaient un moyen de promouvoir une représentation sociale de l’action de régulation maîtrisée par ses promoteurs en même temps qu’inspirée par une volonté politique sans faille. Or ce que donnent à voir les observations des processus à l’œuvre en la matière, c’est un cheminement plein d’aléas, marqué par les interventions issues de configurations multiples d’acteurs, de groupes, d’institutions. Ce cheminement est caractérisé par une forte porosité entre la sphère publique et des systèmes d’action où des acteurs privés issus de l’espace économique ont un rôle important. Cela est également le cas en ce qui concerne des citoyens agrégés dans des mobilisations collectives qui sont susceptibles de développer des stratégies de contournement, de résistance ou d’émancipation.
26La régulation politique des sociétés contemporaines, moins que d’obéir à un schéma linéaire qui irait du haut vers le bas où se manifesterait la prééminence d’un centre, est marquée par une segmentation des pouvoirs et une fragmentation de la souveraineté. Elle prend la forme d’une accumulation de régulations négociées se manifestant dans le cadre d’une transversalité, d’une horizontalité, d’une circularité au sein de laquelle le pouvoir est bien à l’œuvre mais de façons différenciées, en étant lui-même issu de sources multiples.
27Dépassant le cloisonnement soigneusement entretenu en France entre le territoire de la science politique et celui du droit, les tenants du courant américain du « new legal realism » ne disent pas autre chose quand, se référant à une appellation issue de la « Columbia Law School », ils se penchent sur une « New Governance Theory ». Il s’agit « d’aller au-delà d’une approche judiciaro-centrée ou juridico-centrée pour envisager de nouvelles formes de résolution des problèmes impliquant des expérimentations inspirées du pragmatisme ». Ces nouvelles formes renvoient à des « méthodes de résolution des problèmes : collaboratives, multipartites, multiniveaux pour la création du droit et son implémentation », prolongeant ou remplaçant la régulation traditionnelle42.
28Cette « new governance » ne relève pas seulement du simple constat. Elle porte une intention. À partir de la réalité d’une multiplication des acteurs impliqués, il s’agit d’élargir, dans le processus à l’œuvre, la représentation des parties prenantes, « les catégories de citoyens à qui la loi en cours d’élaboration est censée leur bénéficier »43. La finalité est bien ici d’introduire une approche « bottom up », seule susceptible de faire « émerger une théorie pragmatiste de la gouvernance non exclusivement destinée à renforcer les liens verticaux reliant les personnes à ceux qui maîtrisent la production du droit mais, aussi bien, à favoriser l’émergence de contextes horizontaux » inspirés par l’idée de démocratie, une démocratie en phase avec une vision de ce qu’est « la véritable vie des relations humaines »44. Comme nous le verrons au chapitre VI, une telle vision imposera d’ailleurs son empreinte sur les façons dont le courant du « new legal realism » donnera une place importante à une approche « bottom up », « on the ground » dans la construction des savoirs sur le droit. Cette nouvelle vision de la régulation s’imposerait particulièrement si l’on prend en compte la globalisation. En effet, dans ce nouveau contexte :
l’État est constamment remodelé par l’exigence de répondre aux incitations du marché global et à celle des nouveaux ordres légaux transnationaux publics et privés. L’État n’est plus imposé ou ne s’impose plus par le haut, ni par les gouvernants ni par les théories du droit. Il résulte des interactions propres au monde réel […] [ce qui suggère plus encore de nouvelles procédures], des espaces de délibération et des dialogues avec les citoyens et les parties prenantes45.
29Face à cette réalité, les façons de penser la régulation politique ne sauraient plus se référer, implicitement ou explicitement, à l’image du thermostat, à l’inévitabilité d’un retour à l’équilibre. Nous sommes désormais dans un contexte historique où la régulation politique ne peut plus être, suivant une représentation sociale dominante, rapportée à un État tout puissant, maître du destin d’une société, remède exclusif à ses dysfonctionnements. Le cas de la France est à cet égard particulièrement significatif de cette mutation comme l’illustre entre autres une gestion des relations professionnelles qui s’est progressivement déplacée de l’État vers l’entreprise, ceci dans le cadre d’une substitution d’une autonomie croissante accordée à l’entreprise dans le domaine contractuel en lieu et place d’une régulation et de production de règles « à des niveaux très centralisés »46. L’État est ainsi engagé dans une redéfinition de son rôle au niveau national en se cantonnant de plus en plus à un rôle incitatif et/ou correctif plutôt que de se maintenir dans une fonction d’imposition.
30Une telle évolution au niveau national est indissociable de ce que sont les effets de l’inscription de l’État dans un niveau supranational où se développe une globalisation, favorisant « l’emprise de la finance sur l’économie »47, dans le cadre d’une « gouvernance de la mondialisation » désormais « fragmentée »48. L’État est alors contraint de redéfinir ce que peuvent être encore ses sphères d’intervention pour établir ce que pourrait être un nouveau « bien commun » au-delà des influences qu’il subit, celles-ci souvent plus porteuses d’intérêts qu’inspirées par les valeurs au fondement des principes démocratiques.
31On voit la difficulté d’un tel positionnement de l’État si l’on se réfère au cas de la gestion publique de la protection sociale des individus en eux-mêmes ou en relation avec ce qu’est leur sphère privée. Rien ne l’illustre mieux que ce que sont les transformations de l’État social dans le contexte européen. En effet, celui-ci est confronté à l’apparition de nouveaux risques sociaux en même temps qu’à une diminution des finances publiques. Il en résulte une tension entre une primauté accordée aux déterminants économiques, d’une part, et la prise en compte des dimensions socio-démographiques, d’autre part. Tout ceci incite finalement l’État à s’inscrire dans une dynamique néolibérale de recours à des outils managériaux tout en étant dans l’obligation de prendre en compte les mobilisations sociales en faveur notamment de plus d’égalité (comme l’illustrent entre autres les mouvements féministes). Il en résulte une individualisation de l’aide publique et une incitation à la responsabilisation parallèle à une libéralisation dans le domaine de leur sphère privée par les individus. Ces redéfinitions du statut de l’État font alors système avec un contexte d’accroissement de la pauvreté, de décroissance des indicateurs de bien-être, de détérioration de la cohésion sociale et d’une crise de confiance dans les institutions publiques49 qui coexistent avec une prise en considération des aspirations des individus à plus de liberté et d’égalité dans leur sphère privée50.
32Dans ce nouveau contexte, on retiendra que des politiques publiques, souvent sublimées dans le passé comme produites par un « État tiers », supposé agir au seul nom de l’intérêt général, puissent être dans certains cas, dans le cadre de la globalisation, en partie au moins déterminées par des acteurs économiques puissants. C’est ce qu’illustre de façon spectaculaire une analyse des stratégies de multinationales de l’agroalimentaire mettant en place au niveau international des procédures supposées « démocratiques », puisque impliquant formellement les acteurs concernés dont de petits producteurs ou des ONG. Ces procédures ont pour objectif l’établissement de « standards » susceptibles d’être intégrés comme des évidences dans les dispositifs de politiques publiques d’États nations51.
33L’influence croissante de l’économique dans la régulation politique des sociétés contemporaines peut également s’illustrer par ce qu’on qualifie de « financiarisation des politiques publiques »52. Celle-ci peut prendre la forme : soit de stratégies d’appropriation par des investisseurs financiers de domaines dont il revenait auparavant à l’État d’assurer la régulation, soit d’une hybridation entre cette régulation de l’État et des investisseurs privés, par exemple dans le domaine agricole (caractérisé par une « conversion financière de la valeur des terres »53), ou encore dans celui de la santé54 ou de l’accès à l’eau55.
34Le problème que révèlent les transformations de la régulation politique en lien avec l’économique et la globalisation est bien celui de la gouvernabilité des sociétés contemporaines. Aucune théorie de la régulation politique qui s’afficherait comme une « science » de l’action politique, sorte de déclinaison d’une « science politique » qui assumerait sa fonction au service du politique, ne saurait donner l’illusion d’y remédier. De façon illustrative, il s’agit d’assumer ici le fait que nous sommes bien dans le temps historique des incertitudes. L’enjeu est donc de repenser ce que peuvent être les nouveaux objectifs d’un travail de connaissance. En l’occurrence, il s’agit d’observer ce que j’ai pu appeler des « champs régulatoires »56 comme champs de forces entre des configurations d’acteurs multiples, porteurs de logiques d’action fortement diversifiées et éventuellement antagonistes. En effet, ces logiques d’action sont susceptibles de s’inscrire non seulement dans des stratégies de pouvoir, politique et économique, mais également dans des stratégies de contre-pouvoir, ces dernières pouvant être portées par des acteurs sociaux parmi les plus démunis, sous des formes différenciées, comme celle de l’affrontement mais aussi du contournement ou de la réappropriation. Moins qu’une théorie de la régulation politique suggérant de façon illusoire l’idée de maîtrise, c’est bien d’une sociologie de la régulation politique dont il s’agit alors, celle-ci consacrée à une observation des combinaisons possibles entre des logiques d’action susceptibles de s’inscrire dans des modèles d’ordre politique inspirés par des finalités contradictoires.
35Dans ce maelström, ce qui se joue ici dans les façons de penser la société se situe à un double niveau.
36Il y a le niveau des exigences de la connaissance elle-même où, comme, par exemple, s’attachent à le montrer à la fois les héritiers de l’École de Francfort et les promoteurs d’une sociologie pragmatique, il convient de ne pas sous-estimer la capacité des individus, même « dominés », à être des acteurs sociaux. Ces derniers sont susceptibles d’agir sur le cours de l’histoire, d’être les promoteurs de formes de « résistance sociale », d’être acteurs de leur propre « émancipation », d’échapper à ce à quoi le courant critique les condamne en méconnaissant « les capacités profanes d’émancipation »57. Il s’agit de sortir de cette perception où les individus sont totalement soumis à la domination, au point qu’ils en intériorisent la pseudo-nécessité, aini que l’a démontré la théorie de la « fausse conscience ». Pour saisir cette complexité des processus sociaux qui sont à l’œuvre au sein des sociétés, ce sont de nouvelles orientations qu’il faut donner aux savoirs sur la société. Je reviendrai sur ces deux points dans les deux paragraphes suivants.
37Il y a un autre niveau qui interfère avec le précédent : c’est celui du « lien de l’activité savante à la pratique morale et politique […] de la vocation scientifique et [de] la vocation éthique »58, de ce que j’appellerai le fondement éthique d’un positionnement de recherche en la matière. Ce fondement éthique est souvent implicite. Il est parfois explicite dans les courants auxquels je fais référence. Les façons de penser le social et le politique doivent-elles nourrir un fatalisme comme celui découlant de ce qu’un auteur qualifie de « philosophie de l’histoire renversée » et qu’il attribue à l’une des figures fondatrices de l’École de Francfort, Mark Horkheimer ? Cet auteur promeut une philosophie de l’histoire « non plus (comme) une promesse de réconciliation ou d’émancipation mais une histoire de la catastrophe et du déclin inéluctable »59. Ces façons de penser ne risquent-elles pas alors de s’exposer à être associées à ces positionnements de recherche « en surplomb » qui s’attribuent le droit de dire la vérité du fonctionnement du monde et de l’imposer à ceux dont pourtant ils dénoncent la situation qui leur est faite d’être exclue de la parole publique ?
38Les acteurs sociaux constituent bien un enjeu central dans ce processus historique de transformation des façons de penser la société : strictement du point de vue du régime de connaissance et des représentations sociales de l’ordre politique portées par les locuteurs de ces façons de penser.
Reconnaître l’existence d’acteurs sociaux
39Les façons de penser la société se sont inscrites dans la même logique de connaissance que celle suivie par les façons de penser la nature : celle d’une vision en surplomb du fonctionnement du monde. Comme je l’ai déjà souligné, le cœur de la rupture avec cette vision est la reconnaissance que les individus « dominés » au sein des sociétés ne correspondent pas à la construction que donne d’eux la théorie de la « fausse conscience ». La représentation sociale de ces individus comme ayant intériorisé la domination qu’ils subissent, au point d’accepter l’aliénation à laquelle ils sont exposés, est remise en cause. « Les motifs de l’‘‘aliénation’’, de la ‘‘domination’’, des ‘‘systèmes de contraintes’’ font désormais l’objet d’une critique sévère. Certains concepts clés d’une réflexion sur le sujet, comme celui d’assujettissement, sont profondément redéfinis par Gilles Deleuze et Félix Guattari au début des années 1980 »60. Il est considéré qu’il s’agit bien d’une représentation sociale qui ne correspond pas à la réalité de la complexité du fonctionnement des sociétés.
40Rien n’illustre mieux ce positionnement que cette « sociologie qui est pensée à partir de son extériorité et de son surplomb, jamais comme le produit d’un dialogue avec les acteurs sociaux [d’où] un univers conceptuel ou théorique ‘‘autogénéré’’ qui impose ses propres significations à la réalité sociale sans entrer dans un dialogue avec elle »61. Il en résulte cette conclusion faisant étrangement écho à ce que souligne, comme un leitmotiv, le courant des « Science and Technology Studies » : « seule l’élite des ‘‘savants’’ accède à la lucidité qu’offrent la théorie et les valeurs universelles »62, seul ce « savant » peut prétendre à la vérité historique et donc à la vérité scientifique. Dans cette perspective, il y a bien un fossé entre ceux qui théorisent la domination et ceux qui la subissent, supposés être rendus passifs. Les façons de penser le monde social se légitiment comme discours savant par une justification d’ordre épistémologique d’un positionnement en surplomb : « le durcissement de la différence entre science sociologique et connaissance ordinaire [jusqu’à conférer à la sociologie le] pouvoir exorbitant d’être le principal discours de vérité sur le monde social »63. Un tel positionnement en surplomb va jusqu’à laisser suggérer l’intellectuel critique comme un « législateur », comme « un grand législateur social et humain »64.
41Tout le courant au sein duquel se discute la « théorie critique » va rompre avec ce statut d’un individu dominé au point d’en être passif à force d’avoir intériorisé son aliénation, ce qui justifie que la recherche l’ignore sinon pour justifier sa critique de la domination comme un leitmotiv. La reconnaissance de la complexité du fonctionnement social et politique, de celle du changement social et politique passe par une reconnaissance des capacités de résistance de l’individu qui ne sont plus ignorées, sous-estimées ou méprisées, de ses « capacités profanes d’émancipation ». L’« agent » devient un acteur social et la sociologie va retrouver l’histoire ou l’anthropologie pour prêter la plus grande attention aux formes les plus ordinaires de ce que peuvent être des stratégies de résistance, de détournement, de contournement pouvant aller jusqu’à la confrontation sociale et à produire du changement. Comme le souligne Axel Honneth :
l’exercice de la domination capitaliste est toujours soumis à la condition d’un consentement de toutes les parties concernées, quelles que soient les origines de celui-ci. C’est précisément cette constitution d’un accord médiatisé sur le plan intersubjectif qui, à mon sens, rend possible dans les faits, à tout moment et en tout lieu, la fracturation des minces façades de légitimation du système établi de domination, laissant éclore la résistance sociale65.
42Étudiant les pratiques des ethnies indiennes sous la colonisation espagnole, Michel de Certeau montre la capacité des Indiens à « métaphoriser l’ordre dominant », à le faire « fonctionner sur un autre registre », à le détourner « sans le quitter », car rien n’interdit « jamais entièrement les ‘‘tactiques’’ et les micro manœuvres par lesquelles ils [les dominés] renversent et neutralisent la volonté des puissants […] Il s’agit de combats ou de jeux entre le fort et le faible, et des ‘‘actions’’ qui restent possibles au faible […] [qui] ont les caractéristiques des ruses et des surprises tactiques : bons tours du ‘‘faible’’ dans l’ordre établi par le ‘‘fort’’, art de faire des coups dans le champ de l’autre » 66.
43En analysant les luttes sociales au xviiie siècle en Angleterre, l’historien Edward P. Thompson souligne que loin d’être « un mouvement fruste et spontané de travailleurs manuels illettrés », ces luttes s’inscrivaient dans des stratégies maîtrisées et délibérées pour s’opposer aux injustices et aux « illégalismes de patrons impopulaires »67. En étudiant les formes de résistance chez des paysans pauvres de Malaisie, l’anthropologue James C. Scott s’attache à dévoiler les « luttes politiques discrètes » que mènent ces paysans et les stratégies qu’ils mettent en œuvre pour établir une résistance aux exploitations dont ils sont victimes. Il appelle les sciences sociales à « saisir des actions qui ne sont pas considérées comme des actions politiques » et constituent pourtant la chair même du politique 68. La référence que cet auteur fait, pour conforter sa thèse, aux travaux de l’historien Maurice Agulhon sur le ramassage du bois mort par les paysans du Var69 fait étonnamment écho aux analyses de Marx sur la remise en cause par le Parlement rhénan d’un usage séculaire, de « coutumes propres à la classe pauvre » consistant à ramasser du bois dans les forêts privées et dont Marx reconnaît la légitimité malgré l’interdiction promulguée70. Il est intéressant de souligner ici que le courant américain du « new legal realism », illustratif de nouvelles façons de penser le droit comme nous le verrons dans le chapitre suivant, s’inscrit dans ces évolutions. En considérant l’importance d’introduire des recherches « bottom up », de ne pas s’en tenir à l’étude du « sommet de la hiérarchie sociale du droit » mais de prendre en compte « les populations exclues ou marginalisées », il s’agit de reconnaître que « ceux qui étaient originellement relégués en bas de la hiérarchie sont en mesure d’ouvrir les portes qui leur étaient fermées au sommet »71.
44Cette logique de restauration de l’individu comme acteur social, en se déployant dans le temps et dans l’espace, s’inscrit également dans une autre vision de l’espace dont la vision extensive n’est plus seulement celle consistant à regarder ce qui est perçu d’abord comme univers alternatifs à l’univers occidental, c’est-à-dire des sociétés dites « traditionnelles » ou « primitives ». Ce qui s’impose, c’est la réalité d’un espace monde dont l’univers occidental n’est qu’une des expressions. Dans cette nouvelle version de l’universalisme qui n’est plus le pseudo-universalisme occidentalo-centré, des stratégies « contre-hégémoniques » sont ainsi mises en valeur. Les mobilisations féministes constituent un cas exemplaire dans l’univers occidental de remise en cause de l’unilatéralité de la domination et de la capacité des femmes « dominées » de devenir actrices sociales de leur destin. Ces mobilisations peuvent prendre la forme de luttes, de mobilisations sociales et politiques comme de mobilisations intellectuelles. Elles rendent visibles les inégalités qu’elles subissent et démontrent qu’elles peuvent aboutir à les vaincre.
45Il est significatif que des analyses inspirées par cette nouvelle vision universaliste participent de cette reconnaissance de la femme « dominée » comme actrice sociale. Ce qui n’empêche pas de souligner les spécificités de ce processus d’émancipation quand on renonce à les observer avec une grille d’analyse qui serait occidentalo-centrée. Ce qu’il convient de faire, c’est :
d’étudier les potentiels émancipateurs d’une grande diversité de pratiques alternatives qui naissent dans un système à dominante capitaliste [et qu’en l’occurrence on accepte d’étudier] ces féminismes du Sud [qui] réfutent l’idée d’une définition unifiée du féminisme et veulent mieux comprendre les histoires locales à travers lesquelles le mouvement des femmes a construit une capacité d’action, ce qui conduit à réinterpréter des pratiques populaires condamnées par la modernisation, rituels religieux, appartenances communautaires, pratiques économiques non marchandes, dont les ambivalences sont à analyser sans plaquer des catégories importées72.
46De ce point de vue, l’analyse de Sindiso Mnisi Weeks sur les rapports à la justice de femmes dans un milieu rural de l’Afrique du Sud est remarquablement illustrative de ce qu’une approche qualitative des expériences de la justice qu’ont ces femmes révèle de leur aptitude, malgré leur condition d’être doublement dominées, à prétendre contribuer à un exercice de la fonction de justice qui était presque totalement monopolisé par les chefs traditionnels (« traditional leaders »)73.
47Ce processus historique de reconnaissance de l’individu « dominé » comme acteur social connaît un prolongement logique dans cet espace où s’établit, comme je l’ai déjà évoqué, un « lien de l’activité savante » avec « la pratique morale et politique », ceci de façon pleinement établie, notamment, par la sociologie critique (à condition que ce lien soit explicitement assumé)74. Ce prolongement logique est celui de la place de cet individu devenu acteur social dans le travail de connaissance sur la société, une telle interrogation rejoignant, comme nous l’avons vu, celle existant dans les développements contemporains des façons de penser la nature.
48La nouvelle « théorie critique » s’attache à l’étude de ce que vivent les plus démunis du point de vue de la pertinence même de ce que devraient être les façons de penser la société. Cela apparaît alors comme la première étape d’un cheminement qui va conduire les auteurs à des interrogations touchants soit au registre moral, soit au registre politique, qui concerne les principes démocratiques. Comme le souligne un commentaire portant sur le positionnement d’Axel Honneth :
La visée de la théorie sociale d’Honneth, appuyée sur un noyau moral, est […] de produire une critique sociale qui porte le point de vue des exclus et des opprimés. Il appuie donc sa théorie sur les expériences négatives du mépris dans les sphères affectives, juridique et sociale75.
49L’importance qu’il accorde à la « reconnaissance » témoigne d’une volonté de solliciter, non seulement le niveau des structures, mais aussi celui du registre subjectif, en l’occurrence par l’accomplissement d’une « reconnaissance intersubjectivement partagée »76. La référence à cette dernière participe de la poursuite d’un objectif neuf apparaissant comme un leitmotiv dans ces nouvelles façons de penser la société : celui de promouvoir « l’émancipation » des populations les plus démunies. Ce qui est en jeu, c’est « l’exigence d’un ordre social qui permette la participation de l’individu »77.
50Il ne s’agit plus seulement d’une exigence du point de vue de la connaissance comme « de dépasser un rapport instrumental entre sociologues et participants pour déboucher sur une coopération réflexive qui permette au sociologue de contribuer au changement social »78. En refusant de mettre de côté les façons de voir des profanes, en négligeant ce que peut être la rationalité spécifique de ceux sur lesquels on s’apitoie, mais qu’on n’écoute pas autrement que pour prouver un peu plus qu’ils sont « dominés », il ne s’agit pas seulement d’une lacune dans la démarche de recherche. Il s’agit aux yeux de beaucoup de critiques de ces orientations dans les façons de penser le social et le politique de dénoncer ce qui leur apparaît comme l’erreur de ne pas inscrire positivement ces façons de penser dans une démarche démocratique. Pour ces critiques, à la posture consistant à seulement dénoncer du haut de la « Science », doit se substituer le choix d’associer, ceci afin que ces façons de penser deviennent aussi des façons de faire évoluer le monde social et politique de façon conforme aux principes démocratiques.
51En s’inscrivant dans cette voie, les développements les plus contemporains de cette nouvelle critique retrouvent finalement celles plus anciennes d’un pragmatisme en philosophie comme celui de John Dewey lequel, dans les années 1920-1930, s’attachait à définir ce que devait être la participation des citoyens au fonctionnement démocratique79. Pour cet auteur, il s’agissait de mettre au service des citoyens un « certain nombre de ressources, de biens, de méthodes, de formations, d’équipements [les dotant] du pouvoir de produire eux-mêmes les connaissances grâce auxquelles ils pourraient agir sur les situations qui les ‘‘troublent’’, qui les font souffrir, qui produisent de l’exclusion ou de la détresse »80.
52Ce pragmatisme philosophique annonce finalement la « sociologie publique » de Michael Burawoy, partisan d’une co-construction du travail de connaissance entre les chercheurs et les publics, autorisant des interactions, une communication fondée sur une reconnaissance mutuelle de compétences susceptibles de se compléter pour favoriser un processus de régulation collective dans le fonctionnement et les transformations des sociétés81.
53Cette ouverture vers les citoyens dans le travail de connaissance a pour source la volonté de faire des individus les plus démunis des acteurs sociaux. Leurs pratiques de résistance, de détournement, de contournement contribuent à complexifier et à enrichir la connaissance des processus d’exercice du pouvoir. Il semble que cette ouverture soit relayée et amplifiée par un nouveau contexte : celui de la reconnaissance d’un nouveau rapport des citoyens à la connaissance. Mon propre engagement dans la création et le développement de « Maisons des Sciences de l’Homme »82 en France et en Belgique m’a ainsi permis de découvrir ce que pouvaient être les attentes et les potentialités d’une prise en compte de son environnement citoyen, social, culturel, économique d’une telle structure. Par exemple, la vocation de la Maison des Sciences de l’Homme de Liège est celle de la production de connaissance, mais aussi de la recherche d’une implication citoyenne dans ses activités. Dans certains cas, il apparaît ainsi que le public concerné d’une MSH est susceptible de manifester de l’intérêt, d’exprimer des attentes et de témoigner de compétences, sur le plan moral et même épistémologique, suggérant des possibilités de co-production, s’inscrivant « dans une perspective de co-construction démocratique »83. J’ai pu ainsi en observer des applications, par exemple, dans le domaine des pratiques culturelles ou de l’action sociale, les recherches mises en place s’inscrivant ainsi pleinement dans les préoccupations partagées de la Cité au sein de laquelle est censée œuvrer une Maison des Sciences de l’Homme.
54Une telle évolution participerait pour certains auteurs d’un changement de vision anthropologique susceptible de toucher l’ensemble des citoyens. Cette nouvelle vision anthropologique serait marquée par « la rencontre, le partage d’expériences, l’appariement, l’hybridation, la rencontre des différences et de la diversité des positions »84. Mais plus que d’une posture qui ouvrirait une ère de nouvelles relations entre le travail de connaissance et le citoyen, nous entrerions dans un mouvement « d’existentialisation du social » et de « socialisation de l’existentiel » 85. D’une part, des questions existentielles, subjectives, comme celles de la vie, de la reproduction couplée avec la bioéthique, de la mort couplée avec le droit à mourir, de la santé couplée avec ce qui la menace collectivement – comme cette épidémie mondiale de COVID-19 – deviendraient des questions sociales. De façon parallèle, des questions sociales sont de plus en plus existentialisées, comme le développement durable, le réchauffement climatique, mais aussi le traitement de la vieillesse, etc. Ces questions renvoient chacun à son existence, aux existences dont l’individu se sent responsable. Le constat est alors avancé qu’« un nombre croissant d’expériences sociales sont éprouvées en tant qu’affaires existentielles »86.
55Subjectivement impliqué dans les grandes questions qui suggèrent une vulnérabilité dans le déroulement de sa propre existence et de celle des collectifs dans lesquels il est inséré, l’individu est susceptible d’être plus incité à être partie prenante des débats scientifiques, des débats d’experts, des analyses sur les façons de penser la société.
Les savoirs ne sont pas simplement diffusés unilatéralement par l’université vers la Cité, comme pour mieux l’éclairer. Ils entrent systématiquement en résonance avec le monde environnant, posent question, interpellent, produisent des effets sur la vie des citoyens, détenteurs d’expertises profanes et immédiates, certes, mais qui réfléchissent, réagissent, débattent, contribuent à redéfinir, à réinterroger et à redynamiser ces mêmes savoirs qui apparaissent avant tout comme supports cognitifs permettant d’habiter le monde, d’y vivre87.
56Un tel contexte, outre de faire de l’implication citoyenne une conséquence logique d’un nouveau rapport au monde, a de surcroît un effet sur les divisions entre les façons de penser la nature, la société ou le droit. Particulièrement significative, la différenciation entre les façons de penser la nature et celles de penser la société apparaît logiquement comme n’ayant plus de sens dans la mesure où, tant aux yeux de la recherche qu’à ceux des citoyens, les questions liées au monde physique, aux nouvelles technologies qui sont mises en œuvre, sont indissociables des « défis » sociétaux, éthiques, politiques qu’elles posent88. Il revient alors aux façons de penser la société de les traiter sans qu’il soit admis que les façons savantes de les traiter laissent à l’écart un citoyen s’estimant de plus en plus concerné dans son existence même par ces défis et ce qui les fait advenir.
57Toutes ces questions que je viens d’aborder suggèrent alors un nouvel attribut de ce que j’ai appelé les façons de penser la société et que les analyses qui viennent d’être proposées introduisent. Cet attribut concerne le régime de connaissance sous-jacent à ces nouvelles façons de penser la société.
Penser autrement la société, penser autrement une « matrice juridico-politique »
58Comme je l’ai indiqué au début de ce chapitre, je ne saurais avoir la prétention insensée d’offrir ici un tableau exhaustif des évolutions contemporaines des façons de penser la société. Dans l’immense littérature des sciences humaines et sociales, j’ai retenu ce qui me paraissait illustrer au mieux des régimes de connaissance suggérant des formes nouvelles de normativité, une nouvelle « matrice juridico-politique ». Il s’agit dans cet ouvrage de montrer en quoi ces régimes de connaissance ont à voir avec une conception générale de ce qu’est la régulation politique et sociale des sociétés, les formes d’exercice du pouvoir, que ce soit pour les analyser et/ou pour y adhérer, explicitement ou implicitement, ou pour les dénoncer.
59Après une longue période historique où, comme pour les façons de penser la nature, les façons de penser la société se sont inscrites dans un temps des certitudes, c’est bien désormais celui des incertitudes qui caractérise ces façons de penser. Un positionnement de la production de connaissance en surplomb fait place à une confrontation assumée avec une reconnaissance de la complexité des phénomènes observés. Rien n’illustre mieux cette évolution ici, dans le domaine social et politique, que la remise en cause d’une unilatéralité telle que celle existant dans les analyses de la domination dont j’ai traité dans la première partie. Seule une régulation sociale et politique des sociétés s’exerçant quasi exclusivement du haut vers le bas se donnait à voir comme une évidence.
60La remise en cause d’un tel schéma d’analyse s’illustre particulièrement par l’intérêt porté aux individus composant les sociétés, particulièrement ceux exposés à la domination, lesquels de sujets passifs, ayant intériorisé leur condition, vont être susceptibles de devenir des acteurs sociaux, éléments du fonctionnement même des sociétés, comme une composante importante de la complexité de leur fonctionnement, de l’incertitude présidant à leur devenir, de leurs transformations. Comme le dit superbement Luc Boltanski, il convient que « nous renoncions à avoir le dernier mot sur les acteurs, en produisant ou en leur imposant un rapport plus fort que ceux qu’ils sont à même de produire. Cela suppose de renoncer à la façon dont la sociologie classique concevait l’asymétrie entre le chercheur et les acteurs »89. Ce qu’annonce de son côté Jean De Munck pour le savoir sociologique ne vaut-il pas alors pour toutes les façons de penser la société ?
Le projet d’une sociologie critique reste la voie royale de l’imagination sociologique au xxie siècle. Il se renouvelle aujourd’hui à la faveur de révolutions paradigmatiques qui ont introduit l’herméneutique et le pragmatisme en son cœur90.
61Une des expressions de ce processus historique de transformation des régimes de connaissance sur la société, c’est la prise en compte du constat de sociétés de plus en plus individualisées s’illustrant par un intérêt croissant porté à la subjectivité, aux mécanismes de subjectivation, traduisant un déplacement d’une centration sur la structure à une focalisation sur l’individu dans sa subjectivité91, ceci dans le cadre d’un mouvement qui affecte notamment les sciences humaines et sociales françaises durant les années 1980 et 1990, particulièrement en philosophie, en sociologie, en économie, en science politique ou en histoire où l’intérêt pour les « processus de subjectivation » constitue une entrée pour prendre en considération « l’autonomie individuelle »92. Il revient aux sciences humaines et sociales de considérer « le vécu des acteurs, leurs stratégies, leurs justifications. Il s’agit désormais de se placer à hauteur des hommes et aussi des femmes »93. Ce déplacement suscite d’autant plus d’effervescence dans les façons de penser la société qu’il s’inscrit dans un espace de débats fondamentaux sur un double axe : structure versus acteur social ; domination versus émancipation.
Depuis le début des années 1980, l’idée de sujet retrouve donc un nouvel espace dans les sciences sociales, là même où le déterminisme structuraliste ou fonctionnaliste en avait fait un effet plutôt qu’une cause94.
62Rien n’illustre mieux le premier axe – structure versus acteur social – et les enjeux qu’il suggère que cette considération sur ce qui serait la mutation de la critique : en portant un intérêt croissant à la subjectivité des individus, la « visée politique suggérée n’est plus nécessairement la révolution, mais plutôt, s’il ne fallait retenir qu’un mot, l’émancipation […] La critique porte non seulement sur les systèmes économiques et politiques, mais aussi sur le monde duquel elle émane, l’expérience individuelle. Elle est devenue la critique d’une société de plus en plus individualisée […] La critique redevient un thème dans la dynamique du développement des subjectivités au lendemain de la Seconde Guerre mondiale »95. L’importance accordée par Michel Foucault à cette question de la subjectivité (comme nous l’avons mentionné dans le chapitre II) est certainement inscrite dans ce processus historique, et l’ampleur des commentaires, je dirai même l’ampleur du travail d’exégèse dont ce volet de l’œuvre de Michel Foucault fait l’objet, est certainement à la mesure des enjeux épistémologiques liés à des enjeux idéologiques portés par cette centration sur l’individu. C’est bien de cela qu’il s’agit quand, dans un des commentaires, ces orientations de la pensée de Michel Foucault sont mises en relation avec « son antipathie fortement argumentée pour le marxisme et d’autres schémas d’action collective pour l’action politique »96.
63Ce sont ces mêmes commentaires sur cette place accordée à la question de la subjectivité dans l’œuvre de Michel Foucault qui suggèrent le second axe : celui de la domination versus l’émancipation. La promotion de la subjectivité des individus ouvre la possibilité d’un contre-pouvoir généré par le développement d’une subjectivité prenant la perception que les individus ont d’eux-mêmes, d’être partie prenante de la définition de ce qu’ils sont, du contrôle de ce qu’ils font, de la définition de ce que devrait être la société. Bien entendu, celle-ci n’exclut pas l’existence d’un espace de tensions dans la mesure où cette promotion se heurte à des interprétations où cet intérêt porté à la subjectivation constituerait une nouvelle voie pour assurer la domination. Dans ce cas, ce qui est visé, c’est d’abord le contrôle plutôt que l’émancipation, c’est-à-dire un objectif propre à la gouvernance néolibérale de compléter ou de renouveler les dispositifs de disciplinarisation, d’assurer le contrôle social via l’individualisation en maîtrisant les processus de subjectivation97.
64C’est cette même tension qu’on observe autour de nouveaux concepts comme ceux d’« agentivité » (« agentivity »), entendue comme la faculté pour un individu d’être acteur de son destin, d’acquérir le pouvoir d’agir sur le monde, sur les choses, les êtres, de les transformer ou de les influencer, ou comme ceux d’« empowerment », entendu comme une prise de conscience par un individu de sa capacité d’agir et de l’utiliser pour contribuer à transformer la société. Ces concepts peuvent être conçus, là aussi, comme de nouveaux moyens de contrôle sur les individus dans le cadre d’une gouvernance néolibérale ou parfois, plus précisément, comme des instruments au service du management. Mais ils ont également été appropriés par des courants d’analyse comme des instruments susceptibles de contribuer à une émancipation des individus. C’est bien cette conception à laquelle ont adhéré des courants de recherche féministes ou œuvrant dans le domaine des politiques sociales ou de l’action sociale. Comme le dit une des figures de référence de la recherche féministe : la notion d’agentivité (agency) renvoie à « la capacité à faire quelque chose avec ce qu’on a fait de moi »98. Par une sorte de renversement, il s’agit de se servir des contraintes imposées par le pouvoir pour en faire la source d’une subversion, celle de la construction d’une conception alternative. Comme le souligne Jean-François Bert, sociologue et historien des sciences sociales, faisant référence à une période qui est celle des premières années 1970 :
Les notions de « stratégie », de « pratique » puis celle de « négociation » et plus récemment encore celle d’agency, qui valorisent toutes les capacités d’agir et la marge d’autonomie des acteurs, connaissent un usage croissant dans l’ensemble des sciences humaines et sociales99.
65De même, l’empowerment est susceptible d’agir : au niveau individuel par un processus de construction d’une estime de soi ; au niveau collectif par une prise de conscience de groupe ; au niveau politique par une mobilisation susceptible de provoquer le changement100.
66Le concept de « capacité » (capability) tel qu’il est avancé par Amartya Sen101 peut certainement s’inscrire dans le même espace de tensions dans la mesure où il renvoie également aux individus, aux marges de manœuvre dont ils sont susceptibles de disposer, ceci en référence à ce qu’on pourrait appeler la réalité matérielle des droits humains (human rights). C’est une théorie de la justice qui est avancée ici, mais qui se distingue de théories issues de la philosophie et de la philosophie du droit, dans la mesure où il ne s’agit pas seulement d’énoncer des principes. Il s’agit d’observer le contexte, les conditions matérielles, sociales, économiques, culturelles, dans lesquelles les individus sont en mesure d’en être concrètement bénéficiaires. Ce qu’il convient de prendre en compte, c’est « leur capacité, leur liberté à utiliser leurs biens pour choisir leur propre mode de vie », les biens en question pouvant être « se nourrir suffisamment, se déplacer sans entrave, savoir lire et écrire »102. L’enjeu est bien ici aussi de se pencher sur « les conditions qui peuvent influencer la transformation des ressources des individus en agentivité et en réalisations efficaces »103. L’enjeu est bien « sans nier l’existence de la reproduction et de la répétition […] d’intégrer la possibilité du changement social et l’émergence de nouveaux phénomènes sociaux »104.
67Il nous restera à examiner dans le chapitre VI comment de tels concepts sont susceptibles de contribuer également aux transformations des façons de penser le droit, notamment en référence aux débats dont ils font l’objet. Pour le moment, tentons de revenir sur ce que sont les contours de ce nouveau régime de connaissance. Celui-ci vaudrait pour l’ensemble des façons de penser la société. Il serait partie prenante d’une autre forme de normativité impliquant à la fois du « top down » et du « bottom up ». Son horizon ne serait plus la seule révolution (pour reprendre la critique faite par Axel Honneth) mais l’avènement d’une vraie démocratie, grâce notamment à l’émancipation.
68Ce nouveau régime de connaissance, c’est certainement d’abord le renoncement à l’application de théories du social construites a priori et qui seraient appliquées « hypothétiquement à la réalité empirique » observée ensuite, l’observation de la réalité n’étant là que pour confirmer la « valeur explicative de la théorie »105. C’est la prise de distance avec ce qui devient un processus de « self-fulfilling prophecies ». Ce nouveau régime de connaissance advient à un moment qui est celui « de l’usure des grands paradigmes unificateurs »106 où les sciences sociales se déprennent « des ambitions universalisantes que les méthodologies sociologistes ou économistes de facture nomologique ou structuro-fonctionnaliste avaient héritées du xixe siècle »107. Dans le cadre d’un travail d’analyse sur le concept de « capability » d’Amartya Sen ainsi que sur celui d’agentivité, Jean-Claude Passeron et Jacques Revel parlent de « l’abandon du rêve d’une grande théorie [...] nous reconnaissons le caractère indéterminé et la complexité des faits sociaux, justifiant le recours à différentes méthodologies et approches théoriques […] L’agentivité individuelle, les organisations et les structures représentent différents niveaux d’analyse qui sont mutuellement complémentaires et interagissent les uns avec les autres »108.
69Une des manifestations de ce changement paradigmatique est, dans la perspective ouverte de traiter conjointement les différentes échelles d’observation et d’analyse (macro, meso et micro), d’observer un intérêt croissant porté au micro, à l’analyse, plutôt que des institutions, des processus sociaux représentés par « le réseau d’attentes, de réciprocités qui caractérisent la vie sociale »109. Ces processus sociaux sont faits de « singularités »110, des actes de la vie quotidienne, des pratiques de consommation. C’est de ce registre que Michel de Certeau fait le terreau de constructions théoriques sur la vie sociale111. C’est aussi la voie empruntée par une histoire « from below » où le choix est fait d’observer « quelles formes de dissentiment ou de résistance peuvent être élaborées à l’intérieur des relations de pouvoir […] [de se livrer à] une réflexion autour de l’autorité, de l’obéissance, de ses limites, ainsi que des résistances qu’il est légitime d’opposer aux dires des autorités »112.
70Il s’agit bien alors de « penser par cas » en vue de « construire des intelligibilités généralisables ou transposables à partir d’un traitement spécifique de singularités »113. Une telle focalisation sur le micro n’est, en effet, pas incompatible avec le macro. De nouveaux processus de montée en généralité sont alors envisagés. Dans une analyse pourtant remarquablement empathique des œuvres de Michel Foucault et de Pierre Bourdieu, Michel de Certeau s’interroge néanmoins sur les conditions de cette montée en généralité telle qu’elle est mise en œuvre dans le cadre de ces « méta-récits » globalisants114. En simplifiant exagérément, je dirai que l’auteur s’interroge sur le choix qui est fait de privilégier une des logiques qui est à l’œuvre au sein de la société en ne prenant pas en compte « les traces de développements différents ». Il se pose la question de la pertinence du choix « de réduire les fonctionnements d’une société à un type dominant ». Comme il le dit joliment :
Sous le monothéisme auquel on pourrait comparer le privilège que les dispositifs panoptiques se sont assurés, survivrait un « polythéisme » de pratiques disséminées, dominées mais non pas effacées par la carrière triomphale de l’une d’entre elles115.
71De la même façon, il s’interroge quant aux limites de « globalités dont les modèles ‘‘structuraux’’ prétendent rendre compte »116. « L’urgence de la théorie » exige que quelque chose soit trouvé « qui ajuste les pratiques aux structures »117, ceci au risque de la mise en œuvre « d’une raison dogmatique »118. La question reste alors posée de réconcilier ici, de combiner deux « savoirs hiérarchisés, l’un spéculatif, l’autre lié aux particularités, l’un occupé à lire l’ordre du monde et l’autre s’arrangeant avec le détail des choses »119, en donnant de l’importance, comme chez Michel de Certeau, au « paradigme subjectiviste en histoire », en prenant au sérieux « les notions d’expérience vécue ou d’intériorisation »120.
72C’est cette nouvelle procédure de montée en généralité que suggèrent Jean-Claude Passeron et Jacques Revel. «Penser par cas», c’est envisager qu’un « approfondissement des propriétés d’une singularité » peut laisser espérer la construction d’une « argumentation de portée plus générale […] ‘‘la montée en généralité’’ qui procède par succession de problèmes particuliers »121 et non plus de la simple mise en œuvre d’un modèle hypothético-déductif. C’est la voie suivie par la « microhistoire », où la question n’est pas de rejeter les « grand narratives » mais de « les examiner de manière approfondie avec l’objectif de corriger leurs simplifications et de modifier leurs perspectives »122. L’orientation est privilégiée de ne pas renoncer à la complexité des contextes dans lesquels vivent les individus. Mais une telle orientation n’interdit pas à l’histoire, « partant de l’étude de plusieurs ou d’un cas spécifique, [qu’elle] identifie des correspondances et des questions générales permettant de contextualiser l’interprétation de faits sans mettre de côté leur spécificité »123.
73Les perspectives ouvertes ici ne portent pas seulement sur des questions de méthodes, de procédures dans le travail de connaissance au carrefour du choix entre démarche déductive ou inductive. Elles tiennent à l’économie de relations entre disciplines, à l’identité même des disciplines comme autant de déclinaisons des façons de penser la société et aussi aux interrelations, que j’ai déjà évoquées, entre le registre cognitif et le registre moral et politique, ce qui nous renvoie finalement à cette question de la normativité, du régime général de normativité, de la « matrice juridico-politique » au cœur de tout régime de connaissance.
74L’intérêt accordé au micro, la mise en valeur de la fonction heuristique de l’étude des « cas », des « singularités », des démarches ou des pratiques « ordinaires » posent déjà la question de la pertinence du cloisonnement entre, par exemple, ethnologie et sociologie ou de l’usage de l’ethnographie par la sociologie. Mais, plus encore, les perspectives qui s’ouvrent avec ce nouveau régime de connaissance incluent la rupture avec ce que la perte de croyance dans les métathéories a provoqué : une « fragmentation croissante des corpus, des méthodes et des théories [favorisant] les fermetures et les chapelles […]. L’escalade dans la spécialisation des styles de recherche sans cesse redimensionnés à la mesure de plus petites provinces autonomes ». La rigidité qu’imposait l’affiliation à ces métathéories est susceptible de bouleverser « les frontières des anciens territoires disciplinaires […] et de libérer l’imagination des possibles »124. Ce dont il s’agit ici, ce n’est plus simplement d’appliquer des catégories aux acteurs sociaux mais de tenir compte « de leurs propres catégories, de leurs pratiques ou, pour mieux dire, de leur propre travail sur les catégories »125. En faisant cela, « l’enjeu n’est pas de faire confiance de manière aveugle à la réflexivité des acteurs du passé sans prendre en considération le poids des dominations et des déterminations sociales […] mais de penser la forge des catégories »126.
75L’identité même de chaque discipline est elle-même interrogée par ce changement de régime de connaissance. En tirant les leçons de ses observations d’anthropologue mettant en valeur les formes politiques de résistance des paysans pauvres en Malaisie127, James P. Scott propose le terme d’« infra-politique »128. L’emploi de ce terme répond pour l’auteur au souci de prendre en compte les « luttes politiques discrètes »129, à la « nécessité de saisir des actions qui ne sont pas repérées par les sciences sociales et donc pas considérées comme des actions politiques »130.
76Un tel positionnement ne vise pas seulement à alerter les façons de penser la société sur l’intérêt de travailler sur des « objets » qui auraient été délaissés. Il interroge l’identité même des disciplines concernées ou certaines d’entre elles. Nous avons vu dans ce chapitre combien la sociologie pouvait être concernée non pas seulement sur le choix de ses « objets » mais sur ses façons de plaquer des schémas théoriques sur des réalités tirées de l’empirie. Pour James P. Scott, c’est la science politique elle-même qui peut être visée, dans la mesure où elle néglige un « infra-politique » qui « fournit une grande partie des bases culturelles et structurelles de l’action politique plus visible sur laquelle, généralement, nous avons jusqu’à maintenant porté notre attention »131. Il cible explicitement la discipline quand il énonce :
j’ai toujours eu le sentiment qu’au moins la moitié de la production intellectuelle en science politique devrait s’intéresser aux gens qui n’ont pas de pouvoir, qui sont sous son œil et ne peuvent s’en extirper132.
77Une telle considération fait resurgir le vieux débat sur une science politique qui serait trop centrée sur les instances de pouvoir, ses institutions, le personnel politique et ses jeux de pouvoir. Il serait impératif de « s’affranchir des approches strictement juridico-institutionnelles »133. Il conviendrait donc, pour certains, de « sociologiser » la science politique134 en ne se contentant pas d’observer ce que les citoyens en pensent, de saisir leur « opinion », mais en prenant en compte les effervescences au sein même de la société, les pratiques et les mobilisations y compris de la part des citoyens « ordinaires », ceux parmi les plus démunis, en ce qu’elles ont de politique, en ce qu’elles participent pleinement du politique. La sociologie de l’action publique est particulièrement illustrative de ce processus de « sociologisation » de la science politique dans la mesure où « ce ne sont plus les objets traditionnels de la science politique qui sont traités »135. Partant du constat que « la recomposition des missions de l’État ne se fait plus par en haut, mais par en bas, à partir des territoires »136, une centration sur le rôle de l’État, du gouvernement, fait place à une observation des logiques multiples mises en œuvre par des acteurs et des groupes au sein de la société elle-même.
78Comme une autre illustration de ce processus, on pourrait également évoquer l’exemple de l’irruption de la question du genre dans le savoir de la science politique. En effet, « toute la richesse de l’épistémologie féministe et de ses controverses a conduit à défaire la fausse homogénéité des catégories coproduites par le politique, tout en montrant à quel point le genre pouvait contribuer d’une manière privilégiée de signifier le pouvoir »137. Un tel repositionnement a pu permettre ainsi le dévoilement des formes de domination occultées, et les mobilisations sociales qu’elles provoquent, face à des modes d’organisation du savoir, de l’exercice politique, de l’organisation du pouvoir, conçus comme des évidences. Outre ce qui est une contribution à la prise de distance nécessaire avec une approche unilatérale de la domination (voir dans le chapitre II et dans le présent chapitre), ce qui est bousculé ici, ce sont à la fois les objets de recherche d’un savoir institutionnellement établi et ses catégories consacrées.
79Cet exemple de la science politique met en lumière deux autres dimensions déjà abordées, soit dans les façons de penser la nature, soit dans celles de penser la société, soit dans celles de penser le droit.
80La première de ces dimensions, c’est l’importance du travail de réflexivité. Ce chapitre sur les nouvelles orientations dans les façons de penser la société illustre particulièrement l’importance des contextes historiques, celui des conditions de production de la connaissance, celui de la qualité des locuteurs, des formes que prennent leur inscription dans les univers de production de la connaissance, de leur rapport personnel au monde social et politique. Tout ceci suggère effectivement un travail de réflexivité dont le courant des S&TS, dans les façons de penser la nature, affirme l’importance en avançant le constat d’une recherche constamment située.
81La seconde dimension, qui est en rapport avec la première et qui s’affirme avec force dans ce chapitre consacré aux façons de penser la société, c’est celle des rapports entre le registre cognitif et celui du moral et du politique, c’est-à-dire des rapports entre la connaissance et le régime général de normativité, la « matrice juridico-politique » dont la connaissance est constitutive. La reconnaissance de ces rapports nous rappelle que les régimes de connaissance sont toujours porteurs d’une normativité. Les façons de penser le droit n’ont pas l’exclusivité de cette fonction, même si, par essence, elles la rendent plus visible.
82C’est sur ce point que je conclurai cette approche ciblée des façons de penser la société. Le choix fait de rejeter l’unilatéralité des modes de régulation sociale et politique, de prendre en considération les citoyens « ordinaires », les citoyens les plus démunis, de les reconnaître comme acteurs sociaux, ne porte pas seulement le projet d’un changement de paradigme. Il est aussi inspiré, de façon implicite ou explicite, comme toute production de connaissance, par des visions de la régulation sociale et politique des sociétés intégrant l’échec des mondes meilleurs qui nous étaient promis et à la recherche de nouveaux modèles dont les citoyens ne seraient pas seulement sujets mais acteurs, y compris dans les façons de concevoir ces nouveaux modèles (ce que nous avons vu à propos de certaines conceptions de la production de connaissance où les citoyens sont partie prenante).
83Ce sont là des interrogations sur la normativité inscrite dans les façons de penser la société. Nous avons vu ainsi que ces interrogations sur la normativité valent également pour les façons de penser la nature. Il nous reste à analyser si elles ne valent pas, plus encore peut-être, pour les nouvelles façons de penser le droit. En effet, ces dernières portent sur un objet qui est explicitement de produire des normes. Comme c’était déjà le cas dans le chapitre premier consacré aux façons de penser le droit dans le temps des certitudes, la normativité risque de s’y donner à voir, même si ces nouvelles façons de penser prétendent toujours ne se situer que sur le registre cognitif, comme ne faisant que de la « science », ou encore de prétendre énoncer une nouvelle « matrice juridico-politique » en ne faisant que de la « science ».
Notes de bas de page
1 Giovanni Busino, « De la sociologie à la science sociale ? », op. cit., p. 194.
2 Dominique Pestre, Introduction aux Science Studies, op. cit., p. 4.
3 Arnaud Orain, Des savoirs perdus de l’économie…, op. cit.
4 Christophe Bonneuil, « La Cinquième République des sciences. Transformations des savoirs et des formes d’engagement des scientifiques », dans Christophe Charle, Laurent Jeanpierre (dir.), La vie intellectuelle en France, 3. Le temps des crises (de 1962 à nos jours), Paris, Seuil, Points, 2016, p. 147.
5 Ibid., p. 147.
6 Ibid., p. 148. On notera que l’exemple pris ici de l’évolution de l’écologie est mis en parallèle par l’auteur avec des évolutions du même type en économie, ou encore en biologie.
7 Voir, par exemple : Giovanni Levi, Le pouvoir au village. Histoire d’un exorciste dans le Piémont du xviie siècle, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des Histoires », 1989 ; Edoardo Grendi, « Repenser la micro-histoire ? », dans Jacques Revel (dir.), Jeux d’échelles. La micro-analyse à l’expérience, Paris, Éditions de l’EHESS, Gallimard, Seuil, 1996, p. 233-243 ; Carlos Ginsburg, À distance. Neuf essais sur le point de vue en histoire, Paris, Gallimard, 2001 ; Jacques Revel, « L’histoire au ras du sol », dans Giovanni Levi, Le pouvoir au village. Histoire d’un exorciste dans le Piémont du xviie siècle, Paris, Gallimard, 1989, p. I-XXXIII.
8 Jean-Claude Passeron et Jacques Revel (dir.), Penser par cas, Paris, Éditions de l’EHESS, 2005.
9 James C. Scott, Weapons of the Weak. Everyday Forms of Peasant Resistance, New Haven, Yale University Press, 1985.
10 Bruno Latour, Steve Woolgar, La vie de laboratoire…, op. cit.
11 Jean-Claude Passeron, « Présentation », dans Richard Hoggart, La culture du pauvre, Paris, Les Éditions de Minuit, 1970 (1e éd. 1957), p. 10.
12 Bronislaw Malinowski, Les argonautes du Pacifique occidental, Paris, Gallimard, 1963 (1e éd. 1922), p. 75, cité par Jean-Claude Passeron, « Présentation », op. cit., p. 13.
13 Jean De Munck, « Les trois dimensions de la sociologie critique », SociologieS, 6 juillet 2011, p. 16 [http://journals.openedition.org/sociologies/3576].
14 Luc Boltanski, « Situation de la critique », dans Bruno Frère et al. (dir.), Le tournant de la théorie critique, Paris, Desclée de Brouwer, « Solidarité et société », 2015, p. 203.
15 Voir, par exemple : Karl R. Popper, La logique de la découverte scientifique, Paris, Collection Bibliothèque scientifique Payot, 1973 (1e éd. Logik der Forschung, 1934).
16 Patrick Baert et Alan Shipman, « L’avènement de l’intellectuel enraciné. Nouvelles formes de critique et d’engagement publics », dans Bruno Frère et al (dir.), Le tournant de la théorie critique, op. cit., p. 126, 128.
17 Jean-Claude Passeron et Jacques Revel, Penser par cas, op. cit., p. 15.
18 Cyril Lemieux, La sociologie pragmatique, Paris, La Découverte, « Repères », p. 21.
19 Yannick Barthe et al, « Sociologie pragmatique : mode d’emploi », Politix, 2013/3, n° 103, p. 180.
20 Axel Honneth, Critique du pouvoir. Michel Foucault et l’École de Francfort, élaboration d’une théorie critique de la société, Paris, La Découverte, 2016 (1e éd. 1986). Sur ces évolutions des façons de penser le social et le politique, on pourra prendre connaissance de l’analyse de Pierre Guibentif sur ce qu’il appelle « les mutations de la critique » : Pierre Guibentif, « Mutations de la critique et émergence de la subjectivité moderne », dans Patrice Corriveau, Alvaro Pires, Lukas Sosoe & Gérard Pelletier (éds.), Normativité et critique en sciences sociales, Québec, Les Presses de l’Université Laval, à paraître.
21 Voir, par exemple : Cyril Lemieux, La sociologie pragmatique, op. cit. ; Yannick Barthe et al., « Sociologie pragmatique : mode d’emploi », op. cit., p. 175-204.
22 Je fais le choix de privilégier la référence à ce courant de recherche dans la mesure où il s’inscrit de façon exceptionnellement illustrative dans cette transformation des façons de penser la société qui est au cœur de la thèse défendue dans ce chapitre.
23 Edward P. Thompson, La guerre des forêts. Luttes sociales de l’Angleterre du xviiie siècle, Paris, La Découverte, « Futurs antérieurs », 2014, p. 112 [trad. de Whigs and Hunters. The Origin of the Black Act, London, Allen Lane, 1975].
24 Luc Boltanski, « Sociologie critique et sociologie de la critique », Politix, vol. 3, n° 10-11, p. 124.
25 Bruno Frère, Le tournant de la théorie critique, Paris, Desclée de Brouwer, 2015.
26 Jacques Rancière, Les scènes du peuple (Les révolutions logiques, 1975/1985), Lyon, Horlieu éditions, 2003, p. 361.
27 Axel Honneth, Critique du pouvoir…, op. cit., p. 12.
28 Edward P. Thompson, La guerre des forêts…, op. cit., p. 12.
29 Jean De Munck, « Les trois dimensions de la sociologie critique », op. cit., p. 5.
30 Guillaume Calafat, « Préface », dans Simone Cerutti, Pratiques et idéaux de justice dans une société d’Ancien Régime, Paris, Éditions de l’EHESS, 2021, p. 21 [éd. originale : Giustizia sommaria. Pratiche e ideali di giustizia in una società di Ancien Régime (Torino XVIII secolo), Milan, Gian Giacomo Feltrinelli Editore, 2003]
31 Ibid., p. 16.
32 Axel Honneth, Le Monde, 17 mars 2017.
33 Jacques Rancière, Les scènes du peuple, op. cit., p. 363-365.
34 Axel Honneth, Critique du pouvoir…, op. cit.
35 Jacques Rancière, op. cit., p. 363.
36 Howard Erlanger et al., « Is It Time for a New Legal Realism ? », op. cit., p. 345.
37 Hanoch Dagan et Roy Kreitner, « The New Legal Realism and the Realist View of Law », Law & Social Inquiry, vol. 43, Issue 2, Spring 2018, p. 550.
38 Pour reprendre l’expression employée par Axel Honneth (Le Monde, 17 mars 2017).
39 Jacques Commaille et Bruno Jobert (dir.), Les métamorphoses de la régulation politique, op. cit.
40 Virginie Albe, Jacques Commaille et Florent Le Bot (dir.), L’échelle des régulations politiques, xviiie-xxie siècles. L’histoire et les sciences sociales aux prises avec les normes, les acteurs et les institutions, op. cit. ; Jacques Commaille et Bruno Jobert (dir.), Les métamorphoses de la régulation politique, op. cit.
41 Lucien Sfez, Critique de la décision, Paris, Armand Colin, 1973.
42 Michael Waterstone, « A New Vision of Public Enforcement », Minnesota Law Review, 2007, p. 482, cité par Victoria Nourse & Gregory Shaffer, « Varieties of New Legal Realism… », op. cit., p. 88.
43 Ibid.
44 Howard Erlanger et al., « Is It Time for a New Legal Realism? », op. cit., p 357, 358. Cet article contient de nombreuses références de travaux portant sur des exemples de mise en œuvre de réformes, par exemple dans le domaine de la « global governance » ou des politiques de santé, inspirées de cette conception de la « new governance ».
45 Victoria Nourse & Gregory Shaffer, op. cit., p. 110-111.
46 Guy Groux et Jean-François Amadieu, « L’autonomie de l’entreprise contre les régulations politico-juridiques ? Le cas des relations professionnelles », dans Jacques Commaille et Bruno Jobert (dir), Les métamorphoses de la régulation politique, op. cit., p. 179-197.
47 Jean-Paul Pollin, « La gouvernance de la mondialisation s’est fragmentée », Le Monde, 13-14 octobre 2019.
48 Ibid.
49 Claude Martin, « La sphère domestique des individus dans la régulation publique. Penser les transformations et l’avenir des systèmes de protection sociale », dans Jacques Commaille et Bruno Jobert (dir.), Les métamorphoses de la régulation politique, op. cit., p. 141-180.
50 Jacques Commaille, Les stratégies des femmes. Travail, famille et politique, Paris, La Découverte, « Textes à l’appui. Série sociologie », 1993.
51 Ève Fouilleux, « Quand les acteurs privés s’emparent de la régulation politique. ONG et industriels dans la globalisation », dans Jacques Commaille et Bruno Jobert (dir), Les métamorphoses de la régulation politique, op. cit., p. 199-233.
52 Ève Chiapello, « La financiarisation des politiques publiques », Mondes en développement, n° 178, 2/2017, p. 23-40 ; Id., « Financialization as a Socio-technical Process”, dans Phil Mader, Daniel Mertens, Natascha Van der Zwan (éds.), The Routledge International Handbook of Financialization, New York & London, Routledge, 2020, p. 81-91.
53 Je remercie Lise Cornilleau de m’avoir alerté sur l’importance de ce processus de financiarisation et ses effets sur les politiques publiques, ceci dans le cadre de la préparation de son projet de recherche sur « Les valeurs de la terre. Faire de la terre agricole un actif financier à l’ère de la crise environnementale » et des références bibliographiques mobilisées à cet effet.
54 Turo-Kimmo Lehtonen, “Domesticating insurance, financializing family lives: the case of private health insurance for children in Finland”, Cultural Studies, 31(5), 2017, p. 685-711.
55 Hug March, Thomas Purcell, “The muddy waters of financialization and new accumulation strategies in the global water industry: the case of AGBAR”, Geoforum 53, 2014, p. 11-20.
56 Jacques Commaille, « Conclusion générale », dans Virginie Albe, Jacques Commaille et Florent Le Bot (dir.), L’échelle des régulations politiques…, op. cit., p. 397-405.
57 Bruno Frère, « Introduction. La relance de la critique » dans Bruno Frère et al (dir.), Le tournant de la théorie critique, op. cit., p. 10.
58 Jacques Rancière, Les scènes du peuple…, op. cit., p. 353-354.
59 Danny Trom, « La crise de la critique sociale vue de Paris et de Francfort », Esprit, juillet 2008/7, p. 118.
60 Jean-François Bert, « De la critique du sujet à la subjectivation », op. cit., p. 248.
61 Didier Lapeyronnie, « L’académisme radical ou le monologue sociologique. Avec qui parlent les sociologues ? », Revue française de sociologie, n° 45, 2004, p. 628, 646, cité par Jean De Munck, « Les trois dimensions de la sociologie critique », op. cit., p. 17.
62 Ibid.
63 Luc Boltanski, De la critique. Précis de sociologie de l’émancipation, Paris, Gallimard, nrf essais, 2009, p. 41-45, cité par Jean-Louis Laville, « La théorie critique : de l’impasse au renouveau. Écoles de Francfort, sociologies pragmatique et publique, épistémologies du Sud », dans Bruno Frère et al. (dir.), Le tournant de la théorie critique, op. cit., p. 419.
64 Zygmunt Bauman, Modernity and Ambivalence, Cambridge Polity Press, 1991.
65 Axel Honneth, Critique du pouvoir…, op. cit., p. 9.
66 Michel de Certeau, L’invention du quotidien. 1/ Arts de faire, Paris, 10/18, 1980, p. 79, 82, 91, 474.
67 Edward P. Thompson, La formation de la classe ouvrière anglaise, Paris, Éditions de Minuit, 1988 [trad. de The making of the Working Class, London, Victor Gallancz, 1963].
68 James C. Scott, Zomia ou l’art de ne pas être gouverné, Paris, Seuil, 2013 [trad. de The Art of not being governed : An anarchist history of upland Southeast Asia, Yale University Press, 2009].
69 Maurice Agulhon, La République au village. Les populations du Var de la Révolution à la Seconde République, Paris, Plon, « Civilisations et mentalités », 1970.
70 Pierre Lascoumes et Hartwig Zander, Marx. Du « vol de bois » à la critique du droit, Paris, PUF, « Philosophie d’aujourd’hui », 1984.
71 Howard Erlanger et al., « Is It Time for a New Legal Realism? », op. cit., p. 351.
72 Jean-Louis Laville, « Préface » », dans Boaventura de Sousa Santos, Épistémologies du Sud. Mouvements citoyens et polémique sur la science, Paris, Desclée de Brouwer, « Solidarité et société », p. 12-22.
73 Sindiso Mnisi Weeks, « Women seeking Justice at the intersections between vernacular and state laws and courts in rural KwaZulu-Natal, South Africa », dans Heinz Klug and Sally Engle Merry (éds.), The New Legal Realism : Studying Law Globally, New York, Cambridge University Press, 2016, p. 113-142.
74 Voir, par exemple : Jean De Munck, « Les trois dimensions de la sociologie critique », op. cit.
75 Katia Genel, « Responsabilité morale et théorie sociale de l’École de Francfort. D’Adorno à Honneth », dans Bruno Frère et al (dir.), Le tournant de la théorie critique…, op. cit., p. 106.
76 Axel Honneth, La lutte pour la reconnaissance, Paris, Gallimard, « Folio essais », 2013 (1e éd. 1992).
77 Katia Genel, op. cit., p. 107.
78 Jean De Munck, « Les trois dimensions de la sociologie critique », op. cit., p. 16.
79 John Dewey, Le public et ses problèmes, Paris, Gallimard, coll « Folio essais », 2010 (1e éd. 1927).
80 Joëlle Zask, Participer. Essai sur les formes démocratiques de la participation, Lormont, Le bord de l’eau, 2011, p. 217.
81 Michael Burawoy, « Living Theory », Contemporary Sociology, vol. 42, n° 6, nov. 2013, p. 779-783 ; Id. « La sociologie publique face au marché », dans Isabelle Hillenkamp et Jean-Louis Laville (dir.) Socioéconomie et démocratie. L’actualité de Karl Polanyi, Toulouse, ERES, « Sociologie économique », 2013, p. 89-104.
82 Jacques Commaille (dir), Avenir de la recherche et Maisons des sciences de l’Homme, Paris, nouv. éd., Collection Athéna, 2020.
83 Voir les commentaires de Bruno Frère (« Préface » dans Bruno Frère et al (dir.), Le tournant de la théorie critique, op. cit., p. 24-25) sur la contribution de Patrick Baert et Alan Shipman, « L’avènement de l’intellectuel enraciné. Nouvelles formes de critique et d’engagement publics », dans Bruno Frère et al (dir.), Le tournant de la théorie critique », op. cit., p. 115-149.
84 Jean-Louis Génard, « Capacités et capacitation : une nouvelle orientation des politiques publiques ? », dans Fabrizio Cantelli et Jean-Louis Génard (dir.), Action publique et subjectivité, Paris, LGDJ, « Droit et Société », 2007, commenté par Didier Vrancken, « Les sciences sociales à l’épreuve de la cité », dans Maryse Bresson, Jean Cartier-Bresson, Monique Hirschhorn (dir.), Sociologues et économistes face à la demande de savoirs. Participation et contournement, MSH Paris-Saclay Éditions, 2019, p. 184.
85 Danilo Martuccelli, « Une sociologie de l’existence est-elle possible ? », SociologieS, 8 octobre 2011 [http://journals.openedition.org/sociologies/3617].
86 Danilo Martuccelli, op. cit., p. 26.
87 Didier Vrancken, op. cit., p. 186. Je suis particulièrement reconnaissant à Didier Vrancken et à ses collaboratrices de la Maison des sciences de l’Homme de Liège (Belgique) qui, grâce à nos échanges et aux activités de cette MSH, ont enrichi ces réflexions sur l’implication citoyenne et l’implication de la Cité dans la recherche en sciences humaines et sociales.
88 Voir : Jacques Commaille et Françoise Thibault (dir.), Des sciences dans la Science, op. cit.
89 Luc Boltanski, « Sociologie critique et sociologie de la critique », op. cit., p. 131.
90 Jean De Munck, « Les trois dimensions de la sociologie critique », op. cit., p. 17.
91 Pour une analyse de cette importance de courants de recherche au niveau international consacrés à cette question de la subjectivité, voir par exemple : Pierre Guibentif, « Mutations de la critique et émergence de la subjectivité moderne », op. cit. Sur cette même question, on pourra également se reporter aux travaux de Jean De Munck et du centre de recherche qu’il dirige à l’Université catholique de Louvain : le Centre de Recherche interdisciplinaire. Démocratie, Institutions, Subjectivité (CRIDIS). Notons ici que pour certains auteurs américains, dans son ouvrage Économie et société, Max Weber portait déjà de l’intérêt à l’observation et aux interprétations théoriques de la subjectivité des acteurs. Voir Victoria Nourse & Gregory Shaffer, op. cit., p. 79, note 61.
92 Mathieu Hauchecorne, « Essor et disciplinarisation des sciences humaines et sociales », dans Christophe Charle et Laurent Jeanpierre (dir.), La vie intellectuelle en France…, op. cit., voir en particulier le paragraphe « Processus de subjectivation et autonomie », p. 211-213.
93 Jean-François Bert, « De la critique du sujet à la subjectivation », op. cit., p. 248.
94 Ibid., p. 249.
95 Pierre Guibentif, « Mutations de la critique… », op. cit.
96 Lois McNay, « Self as Enterprise… », op. cit., p. 68.
97 Je prends acte ici de cette tension dans la mesure où elle est au cœur de ce qui m’intéresse ici, c’est-à-dire ce qu’est la nature et ce que sont les contours d’un régime général de normativité faisant système en l’occurrence ici avec des façons de penser la société. Mais ce n’est pas mon objet de rendre compte de façon exhaustive des débats et des analyses que secrète cette tension et qui font l’objet d’une importante littérature au niveau international, d’autant plus abondante quand il s’agit d’entreprendre un travail d’exégèse de l’œuvre de grands auteurs (comme nous l’avons vu avec Michel Foucault).
98 Judith Butler, Défaire le genre, Paris, Amsterdam, 2006, p. 15 (version anglaise : Undoing gender, New York, Routledge, 2004). On pourra prendre une connaissance empirique des formes d’émancipation que permettrait l’agentivité dans : Catherine Achin, Delphine Naudier, « L’Agency en contexte : réflexions sur les processus d’émancipation des femmes dans la décennie 1970 en France », Cahiers du Genre, n° 55, 2013/2, p. 109-130 ; ou encore dans Noémie Marignier, « L’agentivité en question : étude des pratiques discursives des femmes enceintes sur les forums de discussion », Langage et société, n° 152, 2015, p. 41-56.
99 Jean-François Bert, « De la critique du sujet à la subjectivation », op. cit., p. 247-248.
100 Voir : Marie-Hélène Bacqué, Carol Biewener, L’empowerment, une pratique émancipatrice ? Paris, La Découverte, « Pôle / Sciences humaines et sociales », 2015.
101 Amartya Sen, L’idée de justice, Parsi, Flammarion, 2010 (1e éd. The idea of justice, London, Allen Lane, 2009) ; Id. « Éléments d’une théorie des droits humains », dans Jean De Munck, Bénédicte Zimmermann (dir.), La liberté au prisme des capacités. Amartya Sen au-delà du libéralisme, Paris, Éditions de l’École des hautes études en science sociales, p. 139-183.
102 Éric Monnet, « La théorie des ‘‘capabilités’’ d’Amartya Sen face au problème du relativisme », Tracés,12/2007 [https://journals.openedition.org/tracés/211 ; DOI : https://doi.org/1004000/traces.211].
103 Jean-Michel Bonvin, Jean De Munck, Bénédicte Zimmermann, « Introduction : The Capability Approach and Critical Sociology », Critical Sociology, vol. 44 (6), 2018, p. 861.
104 Ibid., p. 862.
105 Axel Honneth, Critique du pouvoir…, op. cit., p. 17.
106 Jean-Claude Passeron, Jacques Revel, « Penser par cas. Raisonner à partir des singularités », dans Id., Penser pas cas, Paris, EHESS, 2005, p. 15.
107 Ibid, p. 10.
108 Jean–Michel Bonvin, Jean De Munck, Bénédicte Zimmermann, « Introduction : The Capability Approach and Critical Sociology », op. cit., p. 861.
109 Simona Cerutti, « Normes et pratiques… », op. cit., p. 133.
110 Jean-Claude Passeron, Jacques Revel, op. cit.
111 Michel de Certeau, L’invention du quotidien. 1/ Arts de faire, op. cit. ; Id., L’invention du quotidient 2 : Habiter, cuisiner, Paris, Gallimard, « Folio essais », 1994.
112 Simona Cerutti, « Who is Below ? E. P. Thompson, historien des sociétés modernes », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2015/4, p. 932, 954.
113 Jean Claude Passeron, Jacques Revel, op. cit. p. 15. Voir également Carlo Ginzburg, « Signes, traces, pistes. Racines d’un paradigme de l’indice », Le Débat, 6, 1980, p. 3-44. Notons ici que la démarche de Simona Cerutti s’inscrit superbement dans la même dynamique de montée en généralité quand elle « interroge les fondements de nos principes de justice contemporaine à partir d’une étude très localisée et contextualisée, inscrite dans les relations sociales et les pratiques du xviiie siècle » (Guillaume Calafat, « Préface », dans Simone Cerutti, Pratiques et idéaux de justice dans une société d’Ancien Régime, op. cit., p. 13).
114 Michel de Certeau, L’invention du quotidien. 1/ Arts de faire, op. cit.
115 Ibid., p. 106.
116 Ibid., p. 119.
117 Ibid., p. 119.
118 Ibid., p. 121.
119 Ibid., p. 131.
120 Jean-François Bert, « De la critique du sujet à la subjectivation », op. cit., p. 248.
121 Jean-Claude Passeron, Jacques Revel, « Penser par cas. Raisonner à partir de singularités », op. cit., p. 9, 36.
122 Giovanni Levi, « Microhistory and the Recovery of Complexity », dans Susanna Fellman et Marjatta Rahikainen (éds.), Historical Knowledge in Quest of Theory, Method and Evidence, Newcastle upon Tyne, Cambridge Scholars Publishing, 2012, p. 129.
123 Ibid., p. 128.
124 Ibid., p. 41.
125 Guillaume Calafat, « Préface », dans Simone Cerutti, Pratiques et idéaux de justice dans une société d’Ancien Régime, op. cit., p. 13.
126 Ibid, p. 13.
127 James P. Scott, Zomia ou l’art de ne pas être gouverné, op. cit.
128 James P. Scott, « Infra-politique des groupes subalternes », Vacarme, 36 / Savoirs et pratiques des gouvernés, 2 Juillet 2016 ; Id., La domination et les arts de la résistance. Fragments du discours subalterne, Paris, Éditions Amsterdam, 2009 [trad. de Domination and the Arts of Resistance. Hidden Transcripts, Yale University Press, 1990].
129 James P. Scott, La domination et les arts de la résistance…, op. cit., p. 199.
130 Ibid., p. 249.
131 James P. Scott, « Infra-politique des groupes subalternes », op. cit.
132 James P. Scott, La domination et les arts de la résistance…, op. cit., p. 246.
133 Philippe Braud, « Sociologie politique et politiques publiques », dans Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot, Pauline Ravinet (dir.), Dictionnaire des politiques publiques, Paris, Les Presses de SciencesPo, 5e éd., 2019, p. 615.
134 Sur ce processus de « sociologisation » de la science politique, on pourra se référer entre autres à : Bernard Voutat, « La science politique ou le contournement de l’objet », Esprit Temps, n° 76-77, 2001, p. 6-15 ; Philippe Braud, « Sociologie politique et politiques publiques », op. cit. ; Fabrizio Cantelli, « Risque et action publique : une approche de science politique », dans Yves Cartuyvels (dir.), Les ambivalences du risque. Regards croisés en sciences sociales, Bruxelles, Presses de l’Université Saint-Louis, 2019, p. 95-111 ; Jacques Commaille, « Sociologie de l’action publique », dans Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot, Pauline Ravinet (dir.), Dictionnaire des politiques publiques, op. cit., p. 576-584.
135 Jacques Commaille, « Sociologie de l’action publique », op. cit., p. 576.
136 Patrice Duran, Jean-Claude Thoenig, « L’État et la gestion publique territoriale », Revue française de science politique, vol. 46, n° 4, p. 591.
137 Catherine Achin et Laure Bereni, « Introduction », dans Id. (dir.), Dictionnaire genre & science politique…, op. cit., p. 41.
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