Chapitre IV
De nouveaux référentiels dans les façons de penser la nature
p. 155-181
Texte intégral
Ne pas partir de l’hypothèse de régulations maîtresses structurant le monde, elle [l’histoire héritée des « social studies of knowledge] préfère poser le désordre comme premier et la société comme un champ d’abord agnostique. Elle fait retour sur l’importance des stratégies singulières, sur la variété des décisions qu’autorisent les ressources disponibles, sur les rationalités multiples repérées d’abord dans l’action […] Il n’y a plus de hiérarchies des chaînes causales, plus de pyramides nécessaires des explications, plus d’univers structurés et organisés autour de grandes échelles de détermination
Dominique Pestre, « Pour une histoire sociale et culturelle des sciences », op. cit., p. 515-516
1Dans le chapitre précédent, clôturant la première partie de l’ouvrage sur le temps des certitudes, l’analyse des façons de penser la nature nous offrait ce que j’ai appelé des marqueurs pour qualifier les régimes de connaissance en interaction avec les régimes généraux de normativité, des « matrices juridico-politiques ». Le présent chapitre constitue la première étape d’une nouvelle phase de l’analyse à laquelle est consacrée cette seconde partie de l’ouvrage, dans laquelle il s’agit d’aborder les nouvelles façons de penser la nature, afin qu’elles nous fournissent d’emblée ce que sont leurs propres marqueurs. L’idée est que ces marqueurs sont susceptibles de constituer également les éléments d’une grille d’analyse de nouvelles façons de penser la société et de penser le droit dans un temps historique qui est celui de l’incertitude. En procédant ainsi, l’objectif est désormais d’observer en quoi les transformations de ce régime général de connaissance dans les façons de penser la nature annoncent ou accompagnent les propres transformations de penser la société et de penser le droit ; la force de ces convergences renvoyant à un nouveau régime général de normativité, une nouvelle « matrice juridico-politique » en gestation.
2Les développements contemporains des façons de penser la nature sont notamment fondés sur la critique d’une autonomie supposée des normes régissant le monde scientifique et la célébration qui en découle « des idéaux de la science autonome ». Si cette thèse a pu faire illusion juste après la fin de la Seconde Guerre mondiale, elle a ensuite été fortement remise en cause en constatant que le mouvement scientifique n’échappait pas aux stratégies, aux mouvements, aux actions venus de la société, des pouvoirs économiques et politiques dans le cadre d’un processus inéluctable de contextualisation de la science1. L’idée d’un universalisme de la science telle que l’a promue Robert K. Merton et d’une éthique propre à son univers a été abondamment discutée, l’exemple de la place réservée aux femmes dans cet univers n’étant qu’une des illustrations de cette contestation.
3L’histoire des savoirs sur la nature a d’abord été marquée par une période où le parti pris adopté par Robert K. Merton d’une science conforme au modèle analysé dans le chapitre précédent (chapitre III) mettant en valeur des dynamiques propres inspirées par une éthique partagée rendait inadéquate toute approche externe. Il en résultait un constat :
[celui d’une] incapacité de la sociologie à rendre compte de la nature et du contenu des connaissances scientifiques [dans la mesure où] l’influence que la société, la culture, le politique ou l’idéologie peuvent exercer sur les mécanismes d’élaboration de connaissance scientifique ne peut pas résister, à terme, aux épreuves empiriques et à la réalité de la nature [de telle sorte que] l’effet du social sur la science n’est que temporaire et apparent2.
4Selon Olivier Martin, les sociologues des sciences ont eu à dépasser cette vision du mouvement de la science et des techniques pour considérer que le sens de celui-ci ne pouvait être dégagé sans prendre en compte sa dimension sociale faite de facteurs économiques, culturels, politiques, idéologiques. En optant pour des démarches « inspirées des traditions ethnographiques et anthropologiques »3, et en rompant avec des approches internalistes, il lui est apparu de plus en plus légitime de se pencher sur des questions comme « la diffusion des savoirs et leur appropriation par le corps social et les individus ; les formes de l’organisation institutionnelle de la recherche ; l’internationalisation de la science et des collaborations ; le rôle des politiques scientifiques ; les usages économiques, sociaux et industriels des savoirs académiques »4, etc.
5Un ensemble de chercheurs sur les savoirs sur la nature, ou plus largement des sciences et des techniques, ont choisi une grille d’analyse de ces transformations sous la forme de ce qu’ils ont décrit comme le passage du « Mode 1 » au « Mode 2 »5.
6Le « Mode 1 » est celui qui correspond grosso modo au régime de savoir sur la nature tel que les grands traits en ont été dessinés dans le chapitre III du présent ouvrage : la science se développe d’elle-même, elle cultive son organisation hégémonique en disciplines, elle a sa propre éthique et ses propres règles pour poursuivre un seul objectif qui est celui de la quête de vérité.
7Dans le « Mode 2 » qui serait devenu le mode s’imposant au sortir de la Seconde Guerre mondiale (même si la juxtaposition des deux modes peut ne pas avoir complètement disparu), la science n’échappe pas à son inscription dans un contexte qui change considérablement : celui de l’action de l’État dans le développement de la recherche, des stratégies des acteurs économiques (le marché) – ceci dans le cadre d’un triangle « Science-État-Industrie » – ; celui de l’imposition d’attentes sociales et d’une aspiration à des parties prenantes (« stakeholders ») à être, suivant des façons multiples, interlocuteur de la science, partenaire d’une dynamique interactive entre science et société. De cette évolution découle alors une exigence de « responsabilité sociale » accrue de la science, notamment en lien avec la question de l’application. Cette évolution contribue à poser le problème de la « distribution sociale » de la connaissance en relation avec l’élévation du niveau d’éducation.
8Ce sont là autant d’éléments qui caractérisent un contexte général de transformation des sociétés, elles-mêmes inscrites dans un processus d’internationalisation (la « globalisation ») et qui annoncent la fin de la « Modernité ». Il s’agit bien d’un vaste changement structurel dans le système scientifique6 qui passe d’une « culture de l’autonomie » (« culture of autonomy ») à une culture de la responsabilité (« culture of accountability ») justifiant des procédures de contrôle. Dans ce nouveau régime de connaissance, la transdisciplinarité s’impose effectivement souvent face aux disciplines. La postmodernité se caractérise par une « mise en doute des canons de la connaissance »7.
9Ce déplacement entre le « Mode 1 » et le « Mode 2 » et les multiples expressions qu’il prend, sur lesquelles nous reviendrons dans le cours de ce chapitre, est une des plus fortes illustrations de l’avènement de cette incertitude qui qualifie la seconde partie du présent ouvrage. C’est un « océan d’incertitude »8 dont il est alors question, lié à l’accent mis sur le développement des risques sur lequel des auteurs travaillent, comme l’illustrent les théories d’Ulrich Beck9 et celles de Niklas Luhmann10 ou encore celles de John Maynard Keynes11. C’est dans ce contexte historique d’incertitude que s’affirme le « Mode 2 » pour disqualifier toute représentation de la science en termes de hiérarchie, de linéarité, d’empreintes positivistes. Aux certitudes de la science fait place une incertitude dont, de surcroît, la science et la technologie deviennent elles-mêmes une « source majeure » en termes de risques12.
10Une telle évolution ne veut pas dire que des tensions et des contradictions ne peuvent pas exister dans la mesure où, tant du côté des façons de penser que de celles des modes de gouvernement des sociétés, peuvent subsister des volontés de s’en tenir ou de revenir à ce qui prévalait dans le temps des certitudes.
11Pour cette nouvelle phase, je retiendrai quatre référentiels, lesquels, à bien des égards, apparaissent comme exactement antinomiques de ceux présentés dans le chapitre précédent :
- le désenchantement,
- l’indissociation entre science et société,
- « faire entrer les sciences en démocratie »,
- le rejet d’une vision décliniste.
Le désenchantement
12Ce qui caractérise ce nouveau régime de connaissance13, c’est l’affaiblissement de ce qui l’inspire, de ce qui est à sa genèse. L’idée d’un référentiel du désenchantement s’impose alors d’emblée. Celui-ci correspond à la disparition ou à l’affaiblissement de tout ce qui concourait à donner une importance majeure au référentiel de la transcendance dans le modèle général de régime de connaissance correspondant au temps des certitudes. Dans un processus historique où s’affirme un affaiblissement des fondements de la transcendance, il ne s’agit plus désormais de privilégier ce que j’ai appelé un regard vers le haut, celui consistant à ne penser la production de connaissance que de façon analogue à la façon dont on pense le pouvoir, le gouvernement des sociétés en ne retenant qu’une vision top down de la production de la connaissance comme du mode de fonctionnement social et politique des sociétés.
L’enjeu intellectuel est bien visible : soit nous postulons une transcendance, un quelque chose commun à tous les esprits, les organisant et garantissant leur parfaite communication – une métaphysique […], soit nous postulons que c’est toujours en situation et contexte que les choses se jugent et que c’est pragmatiquement que nous définissons nos règles et communiquons14.
13Comme je l’ai souligné à propos de l’avènement de ce que certains ont qualifié de « postmodernisme », il s’agit désormais de prendre en considération une approche bottom up, soit en lui accordant la priorité, soit en considérant ses modes d’hybridation avec l’approche top down.
14Ce changement n’est sans doute pas sans rapport avec le statut de la religion et les façons de la penser. Nous sommes désormais loin d’une perception de la religion comme élément central dans la préservation de la cohésion sociale, comme exerçant sur les sociétés une fonction « régulatrice et intégratrice » (Émile Durkheim), comme fournissant un « cadre moral » utile à l’établissement de la démocratie (Alexis de Tocqueville), comme au fondement des comportements sociaux (Max Weber). L’attribution de telles fonctions vitales à la religion justifiait la quête éperdue de substituts dans des sociétés engagées dans la modernité. Le déni de leur sécularisation passait alors par l’affirmation d’un déplacement de l’objet du culte, illustré par exemple par l’institution d’un culte de la « République » ou de la « Raison » de la « Science » se substituant à celui de « Dieu ».
15Comme nous l’avons vu, il y a alors un effet de système entre une vision du monde inspirée par la religion et la construction d’une représentation sociale de grandes entités : la Science, le Politique, le Droit, etc., ou encore avec l’« évidence » d’une « Certitude transcendante » ou celle d’une « Vérité ». Ces entités fonctionnent alors comme des « croyances dogmatiques ». Comme le souligne Paul Feyerabend : « Et la Raison pour finir, rejoint tous ces monstres abstraits – l’Obligation, le Devoir, la Moralité, la Vérité –, et leurs prédécesseurs plus concrets – les Dieux – qui ont jadis servi à intimider les hommes et à restreindre un développement heureux et libre ; elle dépérit »15. La création de ce que j’ai appelé des fictions, la « Famille » par exemple, procède de la même logique : son idéalisation, sa mythification visent d’abord à imposer sans restriction.
16En étant un élément essentiel du « faire société », la religion fonctionnait elle-même sur le registre de « l’indicible », au sens de Ludwig Wittengstein, inspirait en même temps une façon de penser le Pouvoir mais aussi, ce qui nous intéresse ici, une façon de penser la production de la connaissance, ces deux façons se conjuguant, comme l’illustrent particulièrement les façons de penser le droit.
17Nous sommes désormais dans une période historique dite de « sécularisation » entendue, ainsi que l’exprime Peter Berger, comme un « processus par lequel des secteurs de la société et de la culture sont soustraits à l’autorité des institutions religieuses […] [où] la religion n’est plus perçue comme un cadre général d’emprise, régulé par un appareil dispensant le vrai, le juste et le défendu »16. Paradoxalement, les manifestations de la religion perdurent mais sous des formes qui semblent devoir contredire la fonction générale qu’on lui attribuait. Loin de favoriser la cohérence de la société, la religion témoignant, notamment, d’une « pluralisation du croire » ferait l’objet d’une affirmation d’identités plurielles jusqu’à être parfois fortement antagonistes au sein d’une même société, ou encore servirait de support de revendications caractéristiques d’une remise en cause, par une partie des citoyens d’une société donnée, d’aspirations exprimées par une autre partie d’entre eux, ceci plus encore quand ces dernières sont reconnues comme légitimes par le pouvoir politique.
18Ce n’est pas notre objet et il n’est pas de ma compétence de développer sur les raisons de la transformation du statut de la religion abondamment traitées et débattues par la sociologie des religions. Mais ce qui importe ici, c’est d’observer en quoi cet effondrement des fondements de la transcendance détermine ce que j’appellerai un affaiblissement de ses expressions tel qu’il se manifeste particulièrement dans les façons de penser la connaissance, ce qui, de surcroît, n’est pas sans lien avec les façons de penser le gouvernement des sociétés17. Nous emprunterons ici une nouvelle fois aux façons de penser la nature, notamment par les courants de recherche relevant des « Science and Technologies Studies » (S&TS). Ces courants ont en effet fortement remis en cause une représentation de la science telle qu’elle existait dans le temps historique des certitudes : d’abord en critiquant celle-ci comme nous l’avons déjà entrevu au chapitre III, ensuite en promouvant le cadre d’analyse d’un nouveau régime de connaissance en phase avec le temps historique des incertitudes.
19Ces façons de penser la nature vont ainsi illustrer ce qu’on peut considérer comme des expressions de la transcendance en déclin. Une de ces expressions est la contestation d’une dictature de la raison, de la « Raison » pour faire référence à ces entités ou à ces fictions propres au temps historique des certitudes. Herbert Marcuse et Jürgen Habermas vont ainsi dénoncer « la domination de la seule rationalité instrumentale […] qui annihile les autres formes de pensée et qui est une forme de domination politique insidieuse »18. La raison devient relative et non plus relevant d’une « conception générale et universelle de la science »19 comme seule norme à suivre. Loin de se situer en surplomb, elle est dépendante de contextes : « les schémas conceptuels et les pratiques des savants sont chaque fois rapportés à un contexte ou à un groupe social donnés »20. Elle est modelée en fonction des propriétés sociales, culturelles de celui qui prétend l’énoncer et en revendique l’universalité. La vérité de celui qui énonce dépend d’où il parle et des valeurs qui fondent son action : les siennes et, éventuellement, celles de l’institution à laquelle il appartient. C’est ce constat qui autorise, par exemple, à considérer que « l’ensemble des sciences est un produit social sexué, issu d’une société dominée par les hommes »21.
20Pour prendre un autre exemple du caractère situé de ce qui s’affirme comme exempt de détermination, Pierre Bourdieu rappelle aussi que les catégories de la statistique d’État dépendent des représentations sociales consacrées en fonction de valeurs situées : « il n’est pas de plus parfaite manifestation de ce que j’appelle la pensée d’État que les catégories de la statistique d’État qui ne révèlent leur arbitraire (d’ordinaire masqué par le soutien d’une institution autorisée) que lorsqu’elles sont mises en doute par une réalité ‘‘inclassable’’ »22. J’avais moi-même éprouvé ce caractère situé de la statistique d’État quand elle ignorait des formes d’organisation de la vie privée des individus non consacrées par le droit ou encore ignorait la relation entre famille et chômage, certainement parce que cette relation était susceptible de fragiliser la représentation sociale consacrée par le courant français du « familialisme » : celui d’une « Famille » « universelle » au-delà de ses différences relevant de la position sociale23.
21L’analyse que fait James C. Scott relève du même schéma logique quand il observe un projet de mise en place par l’État d’une politique agricole inspirée par un « high modernism » jusqu’à imposer une représentation de l’agriculture en totale inadéquation avec des pratiques agricoles de sociétés traditionnelles fortement ancrées dans une longue expérience locale24. Comme le démontre tout un courant remettant en cause des « vérités » prétendument « universelles » de l’Occident, les certitudes scientifiques et les catégories sur lesquelles elles se fondent sont relatives aux cultures qui les produisent25.
22D’une raison relative découle le renoncement à des visions globalisantes. Il s’agit de prendre ses distances « d’avec l’explication causale globale »26 dans la mesure où il s’agit de rapporter toute explication avancée, de relativiser toute théorie assénée en la mettant en relation avec la pluralité des situations auxquelles elles prétendent donner sens. Dans cette perspective, l’influence des contextes est décisive, contextes historiques comme l’a si bien démontré Michel Foucault27, comme contextes culturels. La production de connaissance s’y inscrit plutôt qu’elle les surplombe. La science « est changeante au fil du temps et d’un lieu à l’autre, elle est locale dans ses déterminations et modes de preuve – en bref elle est sans essence »28. L’influence des contextes culturels est déterminante, comme le démontre une recherche sur le rôle des tests appliqués aux États-Unis et en France pour l’admission dans les Écoles et les Universités qui sont façonnés par des conceptions culturelles totalement différentes de la réussite et du mérite reposant dans un cas sur les potentialités de l’individu, dans l’autre sur un système général potentiellement ouvert à tous29.
23Il est bien question d’une rupture avec ce que j’ai appelé l’autojustification, en référence au temps historique des certitudes. La science est « sans essence ». Elle n’est pas autonome par rapport aux temps dans lesquels elle s’inscrit, par rapport aux lieux à partir desquels elle est énoncée. Il est possible alors de dire qu’« elle est locale dans ses déterminations et modes de preuve »30. Il n’est plus concevable de penser que la science trouve son explication en elle-même et qu’elle bénéficie d’un « développement immanent partiellement autonome »31. En un mot, la science est une construction sociale où au travail qu’accomplissent ceux qui la font s’ajoutent de multiples éléments issus de ce que sont les sociétés et ce que font les acteurs sociaux qui s’y meuvent.
L’indissociation entre science et société
24C’est bien un nouveau régime de connaissance que les courants de recherche relevant des « Science and Technologies Studies » prétendent révéler. L’enjeu serait bien celui du dépassement déjà évoqué d’un dualisme entre nature et culture que l’Occident aurait particulièrement cultivé « sur le mode de la séparation »32 et dont la pandémie de COVID-19 nous a rappelé avec force les risques qui en découlent. Le temps serait venu de considérer que la science est une science située. Elle n’est plus en état d’apesanteur ni de surplomb par rapport à l’existence de contextes sociaux, culturels, économiques et vis-à-vis des acteurs sociaux : ceux-là qui l’énoncent et qui sont eux-mêmes des locuteurs situés dans le « champ » scientifique mais aussi dans les « champs » sociaux, culturels, économiques ou politiques ; ces acteurs sociaux qui l’influencent ; qui en font l’usage, jusqu’à parfois l’instrumentaliser. C’est ainsi que pour Dominique Pestre, se référant aux analyses de l’historien des sciences Andy Warwick, il convient de refuser « les notions passives de diffusion et de réception pour retenir celles, plus actives, de représentations et d’appropriations historiquement situées »33. Les façons de penser la nature (comme la société et comme d’évidence le droit) sont dépendantes de contextes historiques, institutionnels mais aussi sociaux, économiques et politiques.
25Au cœur même de la révolution des façons de penser la nature – dans le cadre de ce que j’ai appelé l’avènement d’un nouveau régime de connaissance – se trouve la relation triangulaire entre la nature, les façons de la penser et ce qui se passe dans la société. Cette dernière peut être la source de multiples interférences avec les façons de penser la nature. Ces interférences peuvent être de l’ordre des représentations sociales qu’on accole à cette dernière, des rapports que la société aspire à entretenir avec elle, des appropriations ou des rejets dont la société est la source, et enfin des implications possibles auxquelles la société peut prétendre dans le processus même de production de la connaissance : soit sous forme d’exigence, soit sous forme d’invitation. On pourrait ici illustrer ces nouvelles façons de penser les sciences et techniques en se référant à ces analyses développées en « nanomédecine ». Pour consacrer l’idée d’un traitement conçu comme une relation simple, l’usage y est courant d’user de métaphores inspirées de termes militaires comme celui d’un « missile magique » traversant un espace homogène pour atteindre sa « cible », dans le cadre d’un jeu binaire où ne sont pris en compte que le médicament et sa « cible ». En vue de rompre avec cette représentation d’une relation simple, en son lieu et place, il est alors proposé une approche oïkologique (« oïkological approach ») où la complexité, l’hétérogénéité de l’environnement, de même que les paramètres subjectifs en relation avec la perception de l’agent concerné sont pris en compte, ceci au sein d’un processus investi par de multiples acteurs dans le cadre d’interactions elles-mêmes multiples avec cet environnement34.
26Rien n’illustre mieux ces nouvelles perceptions des interactions entre nature et culture que la magistrale histoire des savoirs de l’économie d’Arnaud Orain. Une approche critique de la science économique comme « archétype de savoir moderne […] construit sur le grand partage entre l’humain et la nature »35 est prétexte à un retour, à partir de la fin du xviiie siècle, sur des courants de pensée occultés par la science économique. Dans ces courants, comme ceux de la « science du commerce » ou de la « physique de l’économie », sont rejetés les savoirs autoréférentiels en même temps que sont soulignées : l’importance de la relation avec le monde naturel, celle des « vérités locales », ou encore le caractère co-construit des savoirs. Ce retour à l’histoire est finalement prétexte à fonder l’exigence contemporaine d’un dépassement du régime de connaissance des sciences modernes marqué par l’hyper-spécialisation, la distance entre la science et le citoyen, l’exercice de l’autorité sans réserve… Selon l’auteur, il est temps de se préoccuper « des interdépendances entre tous les phénomènes sans dualisme […] parce que nous sommes à un moment de l’histoire qui précède une rupture épistémique dans les sciences »36.
27Nous reviendrons sur ce bouleversement à propos des nouvelles façons de penser la société ou de penser le droit. Il est fondateur d’une autre vision générale des façons de produire la connaissance : il ne s’agit rien moins que de passer de l’idée de risque de contamination par le social au sens large (laquelle, comme nous l’avons vu dans le chapitre premier, a tant marqué l’histoire des façons de penser le droit) à celle de l’indissociabilité dans la production de la connaissance entre la « vérité » qu’elle prétend énoncer et la société qui est constitutive dans ses multiples expressions de cette « vérité » énoncée. Cette indissociabilité découle notamment du fait que celui qui prétend énoncer la « vérité » est lui-même un être social : « la raison ne parle pas d’une voix neutre et venue de nulle part […] la variété des approches et des positions sociales à partir desquelles on pense et regarde les choses est un fait général »37.
28Tentons de reprendre et de préciser ces différents points au cœur de la thèse que je prétends soutenir dans cet ouvrage.
29L’indissociabilité de la science et du social est contenue dans cette affirmation que les savoirs sont toujours des savoirs situés, que la science « parlerait donc toujours de quelque part »38, qu’il s’agit de concevoir « bien des champs de science comme des constructions étant le fait d’humains »39. Le « champ » scientifique n’échappe pas au fait qu’il est « comme d’autres champs […] un champ de forces doté d’une structure, et aussi un champ de luttes pour conserver ou transformer ce champ de forces […] L’idée de champ porte du même coup à mettre en question la vision irénique du monde scientifique, celle d’un monde d’échanges généreux dans lequel tous les chercheurs collaborent à un même fin »40.
30Ce recours à la notion de « champ » confirme ainsi une approche relativiste de la science suivant laquelle il convient de « rapporter les énoncés scientifiques aux contextes dans lesquels ils sont énoncés », parce que « c’est toujours en situation et contexte que les choses se jugent »41 et qu’il existe une « historicisation radicale des perspectives scientifiques »42. Les façons de penser la science sont désormais marquées par l’idée de contingence, par « l’aspect contingent de la pratique scientifique », comme le souligne Pierre Bourdieu en reprenant ce qu’en dit David Bloor43, s’appuyant lui-même « sur Wittgenstein pour fonder une théorie de la science selon laquelle la rationalité, l’objectivité et la vérité sont des normes socioculturelles locales, des conventions adoptées et imposées par des groupes particuliers »44. Comme le dit l’historien et le sociologue des sciences Dominique Pestre : « les faits scientifiques sont des constructions négociées »45.
31Dans la thèse tenue d’un passage d’un « Mode 1 » à un « Mode 2 » de l’activité scientifique qui est évoqué au début de ce chapitre, un des traits marquants de ce passage serait celui d’une « coévolution » de la science et de la société : « Le changement social n’est pas plus conduit par le changement scientifique que la science n’est passivement déterminée par la société. Pour cette raison, nous préférons faire appel au concept de coévolution […] la science ‘‘parle’’ à la société depuis le début des temps modernes […] mais la société ‘‘répond’’ désormais à la science »46. Dans la préface à Repenser la science, Jean-Jacques Salomon, en commentant la thèse tenue par les auteurs, revient sur :
comment et combien les besoins et les aspirations de la société affectent désormais les orientations même de la recherche scientifique au point de changer les modes opératoires de la science, ses acteurs et ses lieux de recherche, et, du même coup, les modes de fonctionnement de nos sociétés, les problèmes nouveaux qu’elles affrontent et les réponses qu’elles leur proposent47.
32Pour cet auteur, il s’agit bien de « liens d’influence réciproques et de fertilisation croisée – entre la science et la société tels qu’ils se sont noués depuis la fin du xxe siècle et sont voués à se développer de plus en plus étroitement au cours du xxie siècle »48. Pour les auteurs de l’ouvrage, de façon extraordinairement parallèle à ce que nous observerons dans les transformations des savoirs sur le droit (chapitre VI), « la contextualisation est l’irruption du « Socius » dans les affaires de la science49.
33Les transformations des savoirs sur la nature apparaissent comme remarquablement illustratives du déplacement qui s’est opéré d’un schéma de rapport de causalité simple entre les savoirs et la société, inspiré par une représentation sociale de la science conçue comme une « force externe »50, à l’établissement de configurations51 complexes avec des interpénétrations multiples, déplacement dont on retrouvera la trace dans les savoirs sur la société (chapitre V) et dans ceux sur le droit (chapitre VI). Un tel déplacement constitue une rupture radicale avec une vision en surplomb des savoirs, expression d’un monopole d’une régulation par le haut. Pour les promoteurs de la thèse du « Mode 1 » au « Mode 2 », « l’inexorable progression de l’incertitude dans la science et la société est l’un des éléments essentiels de leur coévolution »52. Mais cette incertitude est assumée au point que la stricte autonomie de la science n’est plus revendiquée comme elle pouvait l’être dans le « Mode 1 » avec le prétexte que l’« univers social [est] trop confus et contaminé par des intérêts sociaux, des jugements de valeur et des idéologies »53.
34On peut considérer le développement d’une « sociologie de la traduction »54 comme un prolongement ou l’une des expressions de la thèse sur la « co-association » entre science et société, ceci au nom du principe affirmé d’une « construction simultanée du fait scientifique et du contexte social »55, de « l’association en chaîne entre faits de nature et faits de société »56 dont un prolongement sera l’Actor Network Theory (ANT) fondé sur le postulat que tous les acteurs sont impliqués (objets, sujets, êtres humains, machines, animaux…). Dans son article de référence sur les coquilles Saint-Jacques57, Michel Callon démontre ainsi le caractère indissociable des relations entre le monde naturel, le monde social constitué en l’occurrence par les marins-pêcheurs concernés, et le monde scientifique représenté par les chercheurs impliqués dans une expérience visant l’innovation en la matière. Ces chercheurs sont ici impliqués « non seulement dans leur discussion des faits de Nature mais également dans leur discussion des contextes sociaux qu’ils contribuent à élaborer et à mettre en forme »58, de telle sorte qu’il s’agit « de ne pas changer de grille d’analyse pour étudier les controverses sur la Nature et les controverses sur la Société »59.
35De la même façon, le développement, au sein des activités de production de la connaissance, de travaux sur les techniques d’expertise et de décision60 vient conforter le constat suivant lequel les paramètres proprement scientifiques font système avec d’autres d’ordre naturel ou social. Ainsi, à l’opposé d’une thèse où l’expertise tiendrait sa crédibilité d’un strict respect de ses normes de scientificité lui assurant une autonomie par rapport aux conditions dans lesquelles elle est mise en œuvre, une observation de ses usages dans le cadre judiciaire révèle que :
l’expertise n’est pas un savoir à même de se constituer de manière légitime en dehors du droit : les normes scientifiques de l’expertise puisent leur légitimité au contact du monde du droit […] les normes de validité d’une expertise sont établies selon des critères scientifico-juridiques susceptibles de varier dans l’espace et dans le temps […] Il existe (une forte interdépendance des arguments scientifiques et juridiques dans l’élaboration et la mise en œuvre des normes de l’expertise61.
36Le scientifique s’interpénètre avec le juridique et la dynamique judiciaire.
37De la même façon, des travaux comme ceux sur les nanotechnologies mettent en valeur la porosité entre la production de connaissance dans les sciences et techniques et les usages et les appropriations dont une découverte fait l’objet, inscrite dans des espaces faits de rapports de force, économiques ou politiques, dans les processus d’appropriation, ceux-ci favorisés par un contexte néolibéral et une « emprise croissante de la régulation marchande sur la science »62. C’est bien ce qu’illustre la compétition autour des brevets d’invention ou autour de la propriété industrielle, dont l’intensité va jusqu’à faire naître une aspiration à une open science qui redonnerait le statut de bien public aux connaissances des sciences et techniques63.
38Dans ce vaste mouvement de révolution culturelle, l’économie des relations entre la science et la société dans ses multiples expressions se décline finalement de plusieurs façons. C’est ainsi que sera également avancée la notion de « co-production ». Cette notion occupe une place centrale dans l’œuvre de Sheila Jasanoff64. Il s’agit de considérer que l’ordre naturel et l’ordre social sont indissociables, que la science et la société sont co-produites, d’accorder de l’importance à une conception interactionniste du travail de la science, c’est-à-dire à une conception où la compréhension de la science, de ce qu’elle produit, tient à la fois : des façons – relevant de sa partie « constitutive » – dont elle s’ordonne fondamentalement avec ses catégories propres pour tenter de saisir le monde dans sa réalité, et de ses confrontations faites de conflits et d’accommodements survenant inévitablement entre les ordres naturels et sociaux.
39À l’opposé de l’obsession d’une contamination qui a tant marqué l’histoire des façons de penser la nature, comme des façons de penser le droit, il s’agit désormais de prendre en compte ce qui est susceptible de la déterminer socialement, au sens large du terme, c’est-à-dire ce qui vient de la société y compris dans ses composantes politiques. Pour Sheila Jasanoff :
Le savoir scientifique [...] n’est pas un miroir transcendant de la réalité. Il intègre à la fois et est intégré dans les pratiques sociales, les identités, les normes, les conventions, les discours, les instruments et les institutions – en bref, dans tous les éléments constitutifs de ce que nous appelons le social […] la Science, dans le schéma co-productionniste, n’est conçue ni comme un reflet de la réalité sur la nature ni comme un épiphénomène d’intérêts sociaux et politiques65.
40Il s’agit ici de rompre avec ce que l’autrice qualifie de « realist ideology » consistant à constamment séparer « le domaine de la nature, des faits, de l’objectivité, de la raison et de la politique, de ceux de la culture, des valeurs, de la subjectivité, de l’émotion et des politiques »66.
41Nous verrons plus tard que ces définitions de la co-production sont en correspondance avec les transformations des façons de penser le droit, ceci dans la mesure où il s’agit bien, dans les deux cas, d’une théorie constitutive où le social est constitutif de la science comme il l’est aussi du droit (ce que nous examinerons dans le chapitre VI). Les transformations des façons de penser la nature résultent d’un dépassement d’une conception où il s’agissait, comme le souligne Bruno Latour, de trouver le sens du savoir scientifique par sa mise en relation avec un contexte social. Ce qui est désormais en question, c’est comment le scientifique et le social « se (re)définissent et se (re)construisent simultanément »67. Mais cette considération, qui vaut pour les façons de penser la nature, vaut certainement aussi, comme nous le verrons, pour les façons de penser la société dans le chapitre V et celles de penser le droit dans le chapitre VI.
42Cette notion de co-production ouvre la voie également à des analyses qui soulignent l’exigence de prise en compte de déterminations sociales68 ou encore de déterminations politiques. Des interactions diverses entre la science et l’État pèsent ainsi sur le travail scientifique.
La relation entre la science et l’État n’est pas un donné. Elle dépend à la fois du type de science et du type d’État ; elle se manifeste également par un nombre de différents niveaux d’interactions69.
43Le laboratoire, haut lieu de la « science pure » dans le temps historique des certitudes, est alors observé comme un espace social où se jouent des rapports de pouvoir, où pèsent des enjeux en termes de propriété, où s’impose l’influence de normes juridiques, de procédures orientant le travail proprement scientifique70. La mise en valeur de ces déterminations apparaît particulièrement subversive. En effet, c’est précisément la représentation d’une autonomie par rapport aux vicissitudes du social qui est au fondement de la force normative de la parole du scientifique, de son pouvoir d’influence71. Ce dernier est d’autant plus grand quand l’état d’apesanteur est revendiqué par rapport au social pour le locuteur de la « Vérité » ou du serviteur de la « Raison ». Le fait de se réclamer exclusivement du registre savant peut également s’accompagner du recours à une autre source de légitimation : celle de l’éthique. Mais ce recours à un ethos scientifique est alors susceptible de se voir disqualifié comme un recours à une « notion idéologique »72 tout en admettant qu’en invoquant l’éthique, les acteurs des façons de penser la nature trouvent là un moyen d’écarter de leur route un droit qu’ils estiment trop contaminé par le social et le politique.
44Finalement, la notion de « co-production », celle d’une indissociabilité entre science et société ouvre la voie à deux développements possibles : l’un concerne la nature même du travail de connaissance ; l’autre ses implications politiques en termes de démocratisation.
45Par exemple, dans le cadre d’une mobilisation d’une centaine de chercheurs venus de toutes les disciplines de sciences humaines et sociales, mobilisation suscitée par la conception européenne de la recherche et la place faite dans ce cadre à ces mêmes sciences humaines et sociales, il a été question des interrelations observées entre les sciences humaines et sociales et les autres sciences. Il s’agissait de considérer ces interrelations entre ces deux sphères comme une évidence.
La vieille opposition, héritée du xixe siècle, des sciences de l’esprit et des sciences de la nature, nourrissant le débat entre la compréhension, réservée aux phénomènes humains, et l’explication, propres aux phénomènes naturels, a été depuis longtemps dépassée. Les sciences humaines et sociales […] sont traversées par des techniques et des questionnements venus des sciences de la nature et de l’information, tandis que ces dernières sont profondément engagées, de la médecine à l’informatique en passant par la physique, dans des problématiques herméneutiques ou historicistes73.
46Ce qui est suggéré ici, c’est que l’idée d’indissociation peut trouver des prolongements au-delà du constat d’interférences entre les deux sphères : celle de la science et celle du social. Ce qui est soutenu ici, ce sont des recoupements possibles dans les positionnements épistémologiques aussi bien que dans les démarches de recherche et ce qu’elles mobilisent de catégories fondamentales des savoirs concernés.
« Faire entrer les sciences en démocratie »
47Un autre prolongement paraît pouvoir découler de cette reconnaissance d’un effet de système entre la science et son environnement social et politique. Il prend la forme d’une approche positive de l’influence de cet environnement social et politique. Il ne s’agit plus simplement de l’observer, éventuellement, comme l’illustrent si bien certaines des façons de penser le droit, en le percevant comme une menace. Au contraire, ce qui est envisagé, c’est de lui attribuer un rôle en considérant que l’avancement de la connaissance passe aussi par une démocratisation de ses processus de production et de ceux d’appropriations, par l’adoption de modèles de décision pragmatique visant à opérer des choix basés sur le dialogue entre experts, « sachants » et profanes74, une telle dualité pouvant alors se métamorphoser en une conjugaison entre « savoir universitaire et savoir citoyen », pour reprendre ce qu’on peut considérer comme une devise de cette structure si précurseur du « Service aux collectivités » existant à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
48En fait, une telle évolution du statut de la science découle paradoxalement d’un désenchantement : celui né de la perte de croyance dans l’association entre le développement de la science et l’idée de progrès inéluctable des sociétés. Les vertus supposées de la science sont devenues progressivement indissociables des risques qu’elle est susceptible d’engendrer et des excès de pouvoir dont elle peut être à l’origine. Nous vivons dans une « société du risque »75. La science ou les technologies peuvent en être la source ou le vecteur comme elles peuvent en devenir les attributs dans l’exercice d’un pouvoir sans partage. La contestation née de la société, du « social » est la résultante logique de cette transformation des représentations sociales de la science.
49Ce qui se joue autour de la science, de la technologie, de l’expertise qu’elle légitime, ce sont alors tout à la fois des affrontements, des oppositions (voir, par exemple, l’histoire du VIH ou encore la question du nucléaire76) et, en même temps ou à la suite, l’exigence proclamée, le souci manifesté d’assurer globalement « la place des citoyens dans la science » ou encore de « faire entrer les sciences en démocratie »77. Il peut alors être question de « démocratie technique »78, dont l’avènement reposerait sur l’exigence de participation à l’expertise des citoyens79 ou encore par l’instauration d’un « mutual learning » prenant par exemple la forme, dans le domaine de la santé, d’une collaboration entre patients et spécialistes80. Le processus de démocratisation ne vise pas seulement à réduire le fossé entre « clercs », « sachants » et profanes par la recherche d’une meilleure explication fournie par les « clercs » auprès des profanes. Il est inspiré par l’ambition d’impliquer les profanes, en l’occurrence les citoyens, d’associer « l’amateur » dans la production même du travail de connaissance, de ses mises en œuvre et de ses usages. Il est à l’inverse de cette affirmation : « Finalement, la manière dont nous acceptons ou rejetons les idées scientifiques est radicalement différente des procédures de décision démocratique »81.
50Chez les auteurs avançant la thèse d’une coévolution entre science et société et soulignant l’importance d’une mise en contexte de la science, « un moyen d’accroître la sensibilité de la science au contexte est d’y impliquer des gens »82 la question de l’implication citoyenne dans le fonctionnement de l’univers scientifique depuis la production de connaissance jusqu’à ses applications est posée avec acuité jusqu’à préconiser une « épistémologie nouvelle », « plus nuancée et sociologiquement plus sensible, capable d’intégrer les visions ‘‘douces’’, individuelles, sociales et culturelles de la science, ainsi que la substance ‘‘dure’’ de sa connaissance »83.
51Ce processus de « socialisation » de la science conduit ces auteurs à considérer avec attention les façons dont la science devra vivre désormais dans un environnement que des auteurs appellent l’« agora », entendue comme « le nouvel espace public où se mêlent la science et la société, le marché et le politique »84. Cette évolution, si illustrative d’une disqualification du monopole d’une régulation par le haut, est d’autant plus nécessaire que, de façon analogue à ce que considèrent les savoirs sur les politiques publiques, la question n’est plus seulement ce que la science produit mais les effets de ce qu’elle produit. « On passe d’une culture d’autonomie scientifique à une autre, où la science doit rendre des comptes »85, assumer sa responsabilité. La non-prise en considération de ce nouveau statut explique que « la perte du capital social de la science […] n’est nulle part plus manifeste que dans le déclin de son autorité face aux contestations publiques de la science »86.
52La science se voit confrontée à des « forces de la démocratisation [qui] ont entraîné la croissance des systèmes d’éducation de masse »87. C’est là l’un des facteurs qui a contribué à la reconnaissance de « l’importance du libre arbitre – plutôt que de la structure, qui caractérisait la modernité – et la nécessité pour l’individu d’exercer sa volonté et d’agir, d’opérer des choix dans l’action »88, susceptible également de « favoriser une subjectivité émancipatrice », laquelle n’est pas incompatible avec la participation des mouvements sociaux susceptibles de s’imposer comme partenaires de la science. Mais :
La science et les scientifiques ne sont pas habitués à un contexte qui leur répond, et il n’est donc pas surprenant qu’ils perçoivent la contextualisation comme une menace pour leur autorité cognitive et sociale. Mis sur la défensive, ils blâment la contextualisation et l’agora où elle se manifeste, pour la montée des sentiments anti-science, pour l’influence subversive des spécialistes de sciences sociales et autres « relativistes »89.
53Pourtant, suivant les auteurs du passage du « Mode 1 » au « Mode 2 » :
la science a beaucoup à apprendre et à contribuer pour un approfondissement de la démocratie quand elle sera prête à entrer sans peur dans l’agora90.
Le rejet d’une vision « décliniste »
54Retracer ainsi, rapidement, ce tableau des évolutions dans les façons de penser la nature, qui s’inscrit remarquablement et symbolise parfaitement le temps historique des certitudes, ne doit cependant pas conduire à ignorer les controverses que ces évolutions ont suscitées. Les tenants, en philosophie et en sociologie des sciences, d’un « programme fort » (« programme fort de la sociologie des sciences »), dont la genèse résiderait dans une « École d’Édimbourg » qui en aurait posé les fondements91, n’ont ainsi pas manqué d’être accusés de répandre ce relativisme évoqué en introduction du chapitre III et jugé ici comme excessif et destructeur à l’égard de la science. L’argument est alors avancé suivant lequel un tel processus à l’œuvre dans les façons de penser la science finit par réduire celle-ci à une « croyance sociale », conformément à l’idée suivant laquelle « le courant relativiste présente les sciences comme des systèmes de croyances, relatifs aux groupes sociaux qui y adhèrent »92. Pour certains, le scepticisme deviendrait alors caricatural : « En réaction contre les simplismes et les délires du scientisme, des thèses ont vu le jour qui s’en prennent à la science même, soit en remettant en cause sa légitimité et ses fondements, soit en contestant ses applications ou ses conséquences »93. La science et la technique seraient ainsi assignées à n’être que « des croyances constitutives de l’idéologie de la Modernité »94. Comme une illustration parmi beaucoup d’autres des vertus de la mise en comparaison des savoirs tentée dans le présent ouvrage, on notera ici que ces expressions de disqualification des schémas d’analyse où la production de connaissance apparaît comme indissociable de conditions sociales ne sont pas propres au domaine des savoirs sur la nature. Il est certainement significatif que dans le domaine des savoirs sur le droit où la tendance à l’autoréférentialité reste toujours très présente, certains « legal realists » américains, particulièrement soucieux d’inscrire le droit dans ses dimensions sociales et politiques, se sont vus reprochés d’être « sceptiques, furent accusés non seulement d’être épistémologiquement des relativistes mais aussi, par extension, d’être politiquement des traîtres »95. Les certitudes de la « Science » font ainsi significativement écho à celles du « Droit ». Elles sont à la mesure de la disqualification à laquelle sont exposés ceux qui formulent le constat que les choses ne sont peut-être pas aussi simples, ni aussi justes !
55Dans tous les cas, dans le domaine des savoirs sur la nature, face à ces critiques, David Bloor96 persiste à justifier la notion de « co-production »97. Il énonce un ensemble de principes dont le principe de causalité : les énoncés scientifiques doivent être rapportés à leur contexte intellectuel, institutionnel, social et culturel. Il y ajoute un principe de réflexivité : la sociologie des sciences doit s’appliquer à elle-même un retour sur les conditions de sa propre démarche qu’elle impose à la production de la science. Les nouvelles façons de penser la nature sont alors considérées comme se situant, dans leurs nouveaux développements, loin d’être la manifestation d’un déclin de la connaissance s’inscrivant dans un déclin plus général, celui d’un « relativisme généralisé selon lequel il y a autant de vérités, de valeurs et de points de vue que de groupes sociaux ou de communautés d’intérêts, de cultures diverses, de conceptions du monde […] [où] les universaux de la science ne seraient rien d’autre que le cache-misère de l’idéologie de la Modernité »98. La prise en compte du social dans les façons de penser la nature serait plutôt une des illustrations de leur enrichissement grâce à l’acceptation positive du constat de la complexité qui est le propre du temps historique des incertitudes, ce dernier non plus perçu comme une malédiction mais comme un enjeu auquel il est impératif et exaltant de se confronter.
56Si nous adoptons la perspective d’analyse proposée par l’historien Alain Corbin dans sa magistrale histoire de l’ignorance99, l’idée de complexité si propre à ce temps historique des incertitudes est une avancée positive, dont le constat n’enlève rien à la réalité de l’apport de ce que furent les façons de penser la nature, pour favoriser un « lent recul des ignorances »100, tout au long du xixe siècle et à la contribution au progrès de connaissance de la Nature si l’on considère, par exemple, que :
les Occidentaux de la seconde moitié du xviiie siècle – ou des Lumières – comprenaient bien peu de choses au fonctionnement du monde [alors qu’à] l’aube du xxe siècle, l’ignorance de la Terre subsistait en bien des domaines, mais elle avait reculé depuis 1860, beaucoup plus rapidement que durant le siècle précédent101.
57À ces façons de penser la nature s’ajoutait une représentation sociale optimiste au sein même de la société prenant la forme d’une croyance au progrès, exceptionnellement entretenue, dans la période en France qui va de 1850 à 1900, par ce qui fut, comme le considère Alain Corbin, « un âge d’or de la vulgarisation »102 se manifestant par la création de revues, de sociétés savantes, de bibliothèques, parmi lesquelles des « bibliothèques populaires » et des bibliothèques scolaires.
58C’est sans doute cette vision positive de l’évolution des façons de penser dont il faut retrouver le fil, et non pas sombrer dans une vision « décliniste ». Il conviendrait de tirer parti de l’effort de lucidité que portent tous ces courants préconisant une prise de distance par rapport à un positionnement en surplomb et regrettant une ignorance assumée de ce qu’il y a de social dans toute production de la connaissance, y compris comme on vient de le voir ici, quand il s’agit des façons de penser la nature.
59C’est avec ces éclairages, constituant une sorte de grammaire, grâce à une exceptionnelle effervescence autour des analyses des façons de penser la nature et de les ordonner, que nous allons maintenant retourner successivement : aux façons de penser la société où l’ampleur des évolutions apparaît ainsi en miroir de celles des façons de penser la nature ; à celles de penser le droit, lesquelles, plus encore, rendent particulièrement visibles le fait que les évolutions de ces façons de penser les savoirs font système avec les incertitudes du régime général de normativité, soit la « matrice juridico-politique » des sociétés contemporaines.
Notes de bas de page
1 Helga Nowotny, Peter Scott et Michael Gibbons, Repenser la science, op. cit., p. 89-90.
2 Olivier Martin, « Savants, sciences et savoirs en société : quelques réflexions sur le renouvellement de la sociologie des sciences », Sociétés contemporaines, 2006/4, n° 64, p. 5-6.
3 Ibid., p. 9.
4 Id.
5 Ces « Modes » ont été définis dans l’ouvrage de Michael Gibbons, Camille Limoges, Helga Nowotny, Simon Schwarzman, Peter Scott et Martin Trow, The New Production of Knowledge and the Public in an Age of Uncertainty, London, SAGE, 1994. La thèse avancée a fait l’objet de débats importants, ce qui a conduit à un nouvel ouvrage : Helga Nowotny, Peter Scott et Michael Gibbons, Re-Thinking Science. Knowledge and the Public in an Age of Uncertainty, Cambridge, Polity Press, 2001 (version française : Repenser la science, Paris, Belin, « Débats », 2003). Dans ce dernier ouvrage, les auteurs reviennent sur la thèse concernée avec pour objectif de dissiper les malentendus dans son interprétation et d’apporter des nuances, des rectifications et des précisions à la mesure notamment des critiques qui se centraient sur le fait que le « Mode 2 » pouvait contribuer à la promotion plus ou moins implicite d’une conception technocratique de la recherche ou que cette typologie sous forme de deux « modes » de fonctionnement de la science donnait une représentation de l’évolution de cette dernière sous forme d’une « binarité » induisant une linéarité, alors que ces deux modes étaient susceptibles d’avoir déjà coexisté dans l’histoire (pour de plus amples analyses sur ces critiques, on pourra se reporter à Christophe Bonneuil, Pierre-Benoît Joly, Sciences, techniques et société, op. cit., p. 24-26). On notera que les auteurs visés par ces critiques reviennent sur leur thèse dans : Helga Nowotny, Peter Scott et Michael Gibbons, « Introduction : ‘‘Mode 2’’ Revisited: The New Production of Knowledge », Minerva, vol. 41, n° 3, Special Issue : Reflections on the New Production of Knowledge, 2003, p. 179-194.
6 Helga Nowotny, Peter Leroy, “Helga Nowotny: an itinerary between sociology of knowledge and public debate. Interview by Peter Leroy”, Natures Sciences Sociétés, 17, 2009, p. 57-64.
7 Helga Nowotny, Peter Scott et Michael Gibbons, Repenser la science, op. cit., p. 25.
8 Ibid., p.257
9 Ulrich Beck, Risk Society: Towards a New Modernity, London, SAGE, 1992.
10 Niklas Luhmann, “Modern society shocked by its risks”, Social Sciences Research Centre, Occasional Paper, 17, Hong Kong, 1996, p. 3-19.
11 John Maynard Keynes, “The general theory of employment” Quaterly Journal of Economics, 51, 1937, p. 209-223.
12 Helga Nowotny, Peter Scott et Michael Gibbons, Repenser la science, op. cit., p. 258.
13 Cette expression de nouveau régime de connaissance est inspirée par un ouvrage de référence en histoire et sociologie des sciences où est soulignée l’influence de plus en plus prononcée des contextes dans le fonctionnement de la recherche, ceci dans des sociétés entrées dans le temps historique de l’incertitude : Michael Gibbons et al., The New Production of Knowledge, London, Sage Publications Ltd, 1994 ; Helga Nowotny, Peter Scott, Michael Gibbons, Repenser la science, Paris, Belin, 2003 [Re-Thinking Science. Knowledge and the Public in an Age of Uncertainty, Cambridge, Polity Press, 2001].
14 Dominique Pestre, Introduction aux Science Studies, op. cit., p. 14.
15 Paul Feyerabend, Contre la méthode…, op. cit., p. 197.
16 Olivier Bobineau, « Religion. Sociologie religieuse », op. cit.
17 On notera tout de même ici que l’évolution n’est pas forcément linéaire et que peuvent surgir des effets de balancier. Lorsque la religion recule, elle fait reculer, comme un boomerang, la vision totalisante de la nature et de la société, ce qui favorise des formes de contextualisation de la « Raison ». Mais quand le fait religieux recommence à se revendiquer comme central, comme c’est le cas, par exemple, aux États-Unis avec certains mouvements évangélistes, ou en Europe et dans le monde avec la montée en puissance de l’Islam politique rigoriste, les formes les plus équilibrées de relativisme ont du mal à contenir la vague et sont susceptibles de refluer au profit d’approches plus scientistes (analyse suggérée par Stéphanie Lacour dans le cadre d’échanges après lecture de mon manuscrit d’ouvrage).
18 Dominique Vinck, Sciences et société…, op. cit., p. 274.
19 Ibid., p. 6.
20 Dominique Pestre, « Pour une histoire sociale et culturelle des sciences… », op. cit., p. 490.
21 Isabelle Stengers, L’invention des sciences sociales, op. cit., p. 20. Voir également : Sandra Harding, Whose Science ? Whose Knowledge ? Thinking from Women’s Lives, op. cit.
22 Pierre Bourdieu, Science de la science et réflexivité…, op. cit., p. 177. Voir également Alain Desrosières, Prouver et gouverner. Une analyse politique des statistiques publiques, Paris, La Découverte, « Sciences humaines », 2014 ; Id., La politique des grands nombres. Histoire de la raison statistique, Paris, La Découverte, 1993.
23 Jacques Commaille, Famille et chômage, Haut Conseil de la Populations et de la Famille, multigr., 1999.
24 James C. Scott, Seeing Like a State: How Certain Schemes to Improve the Human Condition Have Failed, New Haven, Yale University Press, 1998.
25 Boaventura de Sousa Santos, Épistémologies du sud. Mouvements citoyens et politique sur la science, Paris, Desclée de Brouwer, « Solidarité et société », 2016 (édition originale : Epistemologies of the South: Justice Against Epistemicide, Routledge, 2014).
26 Dominique Pestre, Introduction aux Science Studies, op. cit., p. 4.
27 Voir, entre autres, parmi les ouvrages de Michel Foucault : L’archéologie du savoir, Paris, Gallimard, nrf, « Bibliothèque des sciences humaines », 1969.
28 Dominique Pestre, Introduction aux Science Studies, op. cit., p. 6.
29 John Carson, « The Science of merit and the merit of science. Mental order and social order in early twentieth century France and America », dans Sheila Jasanoff (éd), States of Knowledge…, op. cit., p. 181-205.
30 Ibid., p. 6.
31 Dominique Vinck, Science et société…, op. cit., p. 281.
32 Étienne Klein, Le goût du vrai, op. cit., p. 54.
33 Dominique Pestre, « Pour une histoire sociale et culturelle des sciences… », op. cit., p. 504.
34 Bernadette Bensaude-Vincent, Sacha Loeve, « Metaphors in Nanomedecine: The Case of Targeted Drug Delivery », NanoEthics, Springer Verlag, 2014, 8 (1), p. 1-17. Je remercie Stéphanie Lacour de m’avoir suggéré cette piste d’analyse.
35 Arnaud Orain, Les savoirs perdus de l’économie. Contribution à l’équilibre du vivant, Paris, Gallimard, nrf essais, 2023, p. 268.
36 Ibid., p. 269.
37 Dominique Pestre, Introduction aux Science Studies, op. cit., p. 90. Voir également : Dominique Pestre (dir.), Histoire des sciences et des savoirs, Paris, Seuil, 3 vol., 2015.
38 Dominique Pestre, « Pour une histoire sociale et culturelle des sciences… », op. cit., p. 17.
39 Ibid., p. 14. On n’ignorera pas ici les différences de conceptions pouvant exister sur la nature de ce « relativisme », sur lesquelles nous reviendrons, entre, par exemple, le « Programme fort » de David Bloor ou Barry Barnes et le positionnement de Bruno Latour.
40 Pierre Bourdieu, Science de la science et réflexivité…, op. cit., p. 69, 92.
41 Dominique Pestre, Introduction aux Science Studies, op. cit., p. 14.
42 Ibid., p. 14.
43 David Bloor, Wittgenstein: A Social Theory of Knowledge, New York, Columbia University Press, 1983.
44 Pierre Bourdieu, Science de la science et réflexivité…, op. cit., p. 41.
45 Dominique Pestre, « Pour une histoire sociale et culturelle des sciences…», op. cit., p. 492.
46 Ibid., p. 57-58, 77.
47 Jean-Jacques Salomon, « Préface », dans Helga Nowotny, Peter Scott et Michael Gibbons, Repenser la science, op. cit., p 5.
48 Ibid., p. 5.
49 Helga Nowotny, Peter Scott et Michael Gibbons, Repenser la science, op. cit., p. 8.
50 Ibid., p. 263.
51 Pour l’usage du terme de « configuration », je me réfère au sens que lui donne Norbert Elias (Qu’est-ce que la sociologie ?, Agora Pocket, 1993, 1e éd. 1970) de « lien mobile entre formes antagonistes, équilibre fluctuant de tensions entre champs connexes, mode transitoire de dépendances réciproques entre individus, groupes sociaux, ensembles culturels ». Voir : Pierre Lassave, « Sociologie de la traduction. L’exemple de la ‘‘Bibliothèque des écrivains’’ », Cahiers internationaux de sociologie, 2006/1, n° 120, p. 153.
52 Ibid., p. 60.
53 Ibid., p. 293. On notera ici une perception du social qui est très proche de celle si présente dans les savoirs sur le droit (chapitre premier et chapitre 6).
54 Olivier Meier, « Michel Callon et la sociologie de la traduction », RSE Magazine, 5/3/2020 ; Madeleine Akrich, Michel Callon, Bruno Latour, Sociologie de la traduction. Textes fondateurs, Paris, Presses des Mines, 2006.
55 Michael Lynch, « Technical Inquiry : Investigations in a Scientific Laboratory », Social Studies of Science, 12, 1982, p. 499-534.
56 Pierre Lasave, op. cit., p. 135.
57 Michel Callon, « Éléments pour une sociologie de la traduction : la domestication des coquilles Saint-Jacques et des marins-pêcheurs dans la baie de Saint-Brieuc », L’Année Sociologique, vol. 36, 1986, p. 169-208.
58 Ibid., p. 201.
59 Ibid., p. 202.
60 Olivier Martin, op. cit., p. 10.
61 Rafaël Encinas de Munagori, « Trois idées reçues sur les normes de l’expertise (illustrées par les sciences du mensonge) », dans Collectif, Sciences et sociétés. Les normes en question, Actes Sud/ IHEST, 2004, p. 148, 154.
62 Christophe Bonneuil, Pierre-Benoît Joly, Sciences, techniques et société, op. cit., p. 29.
63 Stéphanie Lacour, « Les effets de la complexité et de l’incertitude sur l’élaboration des normes juridiques : le cas des nanotechnologies », in Collectif, Sciences et sociétés. Les normes en question, Actes Sud/ IHEST, 2004, p. 215-228 ; Id., « Du partage de l’information au partage des innovations : le modèle propriétaire est-il toujours pertinent ? », p. 261- 277, dans Collectif, Sciences et sociétés…, op. cit.
64 Pour une analyse approfondie de cette notion de « co-production », on pourra se reporter à une synthèse que Sheila Jasanoff consacre à cette approche « co-productionist » de la littérature issue du courant « Science and Technologies Studies » dans son « Afterword » : Sheila Jasanoff (éd.), States of Knowledge. The co-production of science and social order, op. cit., p. 274 et s. Voir également : Sheila Jasanoff, Le droit et la science en action, Paris, Dalloz, « Rivages du droit », 2013 (ensemble d’articles de l’autrice présenté et traduit par Olivier Leclerc).
65 “Scientific knowledge […] is not a transcendent mirror of reality. It both embeds and is embedded in social practices, identities, norms, conventions, discourses, instruments and institutions – in short, in all of what we term the social […] Science, in the co-productionist framework, is understood as neither a simple reflection of the truth about nature nor an epiphemenon of social and political interests”, Sheila Jasanoff, « The idiom of co-production », dans Id. (éd.), States of Knowledge…, op. cit., p. 3.
66 « Co-production can therefore be seen as a critique of the realist ideology that persistently separates the domain of nature, facts, objectivity, reason, and policy from those of culture, values, subjectivity, emotion and politics », Ibid., p. 3.
67 Dominique Pestre, « Pour une histoire sociale et culturelle des sciences… », op. cit., p. 493.
68 Michel Dubois, La nouvelle sociologie des sciences, op. cit., p. 82.
69 « The relation between science and the state is not a given. It depends on both the kind of science and the kind of state ; it also exists on a number of differents levels of interaction », Peter Dear, « Mysteries of State, Mysteries of Nature… », op. cit., p. 206.
70 Stephan Hilgartner, “Mapping systems and moral order. Constituting property in genome laboratories”, dans Sheila Jasanoff (éd.), States of Knowledge…, op. cit, p. 131. Voir également : Susan Silbey, Patricia Ewick, “Architecture of Authority: The Place of Law in the Space of Science”, dans Austin Sarat, Lawrence Douglas, Martha Merrill Umphrey (éds.), The Place of Law, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2003, p. 77-108. Voir également l’ouvrage de référence de Bruno Latour et Steve Woolgar, La vie de laboratoire. La production des faits scientifiques, Paris, La Découverte, 2004 (1e éd. française : 1988 ; éd. originale en anglais: Laboratory Life: The Social Construction of Scientific Facts, Princeton University Press, 1979) ; voir également : Cynthia Colmellere, Lise Cornilleau, Stéphanie Lacour, « Les mains dans la poudre. Ethnographie des normativités ‘‘en actes’’ autour des risques de l’impression 3D en laboratoire », Cahiers, Droit, Science et Technologies, 13, 2021, p. 77-92.
71 Rappelons ici combien ce schéma d’analyse issu des « Science and Technology Studies » pouvait être transposé de façon exemplaire aux façons de penser le droit relevant du temps des certitudes.
72 Dominique Vinck, Sciences et société…, op. cit., p. 58.
73 Jacques Commaille et Françoise Thibault (dir.), Des sciences dans la Science, Paris, Athéna Collection, 2014, p. 13-14 [édition en anglais : Science with The Sciences, Paris, Athéna Collection, 2014].
74 Dominique Vinck, Science et société…, op. cit., p. 269 (l’auteur cite ici Jürgen Habermas, La technique et la science comme « idéologie, Paris, Gallimard, 1973). Notons ici que la perspective d’un dialogue entre « sachants » et profanes s’inscrit dans un contexte historique où la distance entre les deux semble se réduire en relation avec la métamorphose d’une représentation sociale du « savant » en « chercheur », ce dernier lui-même indissociable de son appartenance à un collectif de recherche.
75 Pour faire référence ici à l’ouvrage d’Ulrich Beck, La société du risque : sur la voie d’une autre modernité, Paris, Aubier, 2001.
76 Voir, par exemple : Michel Callon, Pierre Lascoumes, Yannick Barthe, Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Paris, Seuil, « La couleur des idées », 2001.
77 Dominique Vinck, Science et société…, op. cit., p. 276.
78 Ibid.
79 Sheila Jasanoff, « Categories at risk : cultures of modernity in the US and EU », Science as Culture, vol. 11, Issue 3, 2002, p. 363-380.
80 Vololona Rabeharisoa et Michel Callon, « Patients and scientists in French muscular dystrophy research », dans Sheila Jasanoff (éd.), States of Knowledge…, op. cit., p. 142-160. Voir également : Michel Callon, Pierre Lascoumes, Yann Barthe, Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Paris, Seuil, 2001.
81 Paul Feyerabend, Contre la méthode…, op. cit., p. 340.
82 Helga Nowotny, Peter Scott et Michael Gibbons, Repenser la science, op. cit., p. 149.
83 Ibid., p. 256.
84 Ibid., p. 259 (voir le chapitre 12 : « La science entre dans l’‘‘agora’’ », p. 257-272.).
85 Ibid., p. 151.
86 Ibid., p. 241.
87 Ibid., p. 261.
88 Ibid., p. 262.
89 Ibid., p. 266.
90 Ibid., p. 307.
91 Voir dans Dominique Pestre, Introduction aux Science Studies, op. cit, p. 14 et s. ; Dominique Vinck, Sciences et société, op. cit., p. 181 et s.
92 Dominique Vinck, Sciences et société, op. cit., p. 181.
93 Étienne Klein, Le goût du vrai, op. cit. p. 34.
94 Giovanni Busino, « De la sociologie à la science sociale ? », Revue européenne des sciences sociales, XLI-127, 2003, p. 222.
95 Neil Duxbury, « Jerome Frank and the Legacy of Legal Realism », Journal of Law and Society, 18 (2), 199, p. 179, cité par Olivier Zajec, « Legal Realism et International Realism aux États-Unis dans l’entre-deux-guerrres », op. cit., p. 799.
96 David Bloor, Knowledge and Social Imagery, London, Routledge & Paul Kegan, 1976 ; Id., Socio-logie de la logique, Les limites de l’épistémologie, Paris, Pandore, 1983.
97 Rappelons qu’à ces deux principes, David Bloor ajoute celui de l’impartialité et celui de la symétrie.
98 Giovanni Busino, « De la sociologie à la science sociale ? », op. cit, p. 221.
99 Alain Corbin, Terra Incognita…, op. cit.
100 Ibid., p. 123.
101 Ibid., p. 113, 255.
102 Ibid., p. 237.
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